JN01116 Après le déluge (partie 2, Gruissan – Toulouse).
Vendredi 17 août 2001, au réveil.
Aussitôt réveillé, aussitôt une nouvelle douloureuse déception. A chaque fois que je regarde l’écran vide de mon portable, c’est une nouvelle, cuisante déception. Une nouvelle confirmation du fait qu’il est passé à autre chose, qu’il m’a oublié, qu’il ne reviendra jamais vers moi. Parce que sa vie est désormais ailleurs, sans moi. A chaque fois que je regarde l’écran vide, c’est comme si je me faisais quitter une nouvelle fois.
Oui, il s’est déjà écoulé une semaine depuis ce vendredi noir, depuis cette triste date du 10 août, cette date qui me hante. C’est dur d’affronter tous ces « anniversaires », si rapprochés, si douloureux, après une rupture.
Même à Gruissan, mon sommeil est irrégulier, insuffisant, je passe des longues heures nocturnes à ruminer des images, des mots, des souvenirs. Même à Gruissan, je traîne une fatigue dont je n’arrive pas à me débarrasser. Et la migraine me guette à chaque fin de journée.
Depuis une semaine, je suis tellement sonné que je n’ai même pas ressenti le besoin de me branler.
Ce matin, à l’issue de ce maudit rêve, je ne suis pas plus en forme. pourtant, malgré la tristesse et la désolation qui agissent en moi comme un poison, mon corps semble réclamer ces caresses et ces sensations qu’il a boudées depuis assez longtemps.
Alors, je me branle. Je me branle et je ressens instantanément l’envie violente, déchirante d’avoir sa queue entre mes lèvres, sur ma langue, de tenir son plaisir dans ma bouche. Je me branle et je pense à ses giclées puissantes, à son goût de petit mec, si doux et si fort à la fois. Je me branle et je frémis dans mon entrejambe, dans mon ventre. Je me branle en écartant mes cuisses, en appelant ses coups de reins de toutes mes forces. Je me branle en pensant à sa belle petite gueule déformée par l’orgasme.
Et je jouis. Je jouis en pensant à son plaisir, ce plaisir que je ne pourrai plus jamais lui offrir. Ce plaisir que je pourrai plus jamais m’offrir.
Lorsque je reviens à moi, je me demande aussitôt avec qui il couche désormais, qui a la chance de le faire jouir aujourd’hui. C’est une nana ? Des nanas ? Un autre mec ? Est-ce qu’il a joui, hier soir ? Combien de fois a-t-il joui depuis vendredi dernier ? Comment prend-il son plaisir ? Est-ce qu’il fait des choses qu’il faisait avec moi ? En découvre-t-il d’autres ? Est-ce qu’il couche toujours avec capote, ou bien il a déjà franchi le pas de s’en passer ? A-t-il finalement trouvé ailleurs un plaisir plus grand que celui que j’étais capable de lui offrir ? Est-ce qu’elle – ou lui – se rend compte de la chance d’avoir ce petit Dieu, ce bogoss absolu, cette machine à sexe, dans son lit, dans sa bouche, dans son ventre ?
Chacune de mes cellules pleure son absence. Une absence qui est partout en moi. La douceur, l’odeur, la chaleur de sa peau. L’harmonie et la puissance de ses muscles, l’étreinte de ses bras. Ses regards doux, ses sourires joueurs, sa façon de me faire l’amour pendant la semaine magique. Notre merveilleuse entente sensuelle, notre parfaite complémentarité sexuelle.
Je pleure en repensant à son kif, à mon kif, à notre plaisir enfin partagé, de plus en plus incroyables. A notre complicité, de plus en plus détonante, avec pour point d’orgue cette pipe fabuleuse dans l’arrière-boutique de la brasserie.
Tout ça, c’est fini.
Quand je pense au plaisir sexuel que j’ai connu pendant des mois, j’ai envie de pleurer et de crier. Je me dis que plus jamais je ne retrouverai quelqu’un capable de me faire autant vibrer. C’était trop bon avec lui, et ça l’était parce que c’était si libre, sans soucis.
J’ai pris un risque important avec lui, un risque que je n’aurais jamais dû prendre. Coucher avec lui sans capote ça n’a pas été très prudent. Non seulement je me suis laissé faire par ses envies, je me suis laissé porter par mes propres envies, par le désir déraisonnable que ce mec m’inspirait. Mais je lui faisais confiance, je croyais que tôt ou tard il ne serait qu’à moi.
Je lui ai offert mon corps comme il le voulait, parce que c’était lui. Je lui ai donné tout ce qu’il voulait, et plus encore. Je me sens trahi, humilié. Par moments, je regrette de m’être autant donné à lui. A d’autres, de ne pas m’être assez donné.
Et maintenant, l’idée que quelqu’un d’autre va en profiter à ma place me rend fou de jalousie. J’ai l’impression qu’on me déchire de l’intérieur.
Je donnerais cher, très cher, pour goûter une fois encore, une seule, à son corps, à sa queue, à son jus.
Pourtant, lorsque je repense aux trois mois qu’a duré notre relation, ce qui fait le plus mal, ce que je regrette le plus, c’est de ne pas avoir pu partager grand-chose d’autre avec lui que des bonnes parties de baise.
J’ai toujours cru que ses résistances et ses barrières finiraient par sauter un jour, et que ses envies profondes, son besoin d’affection, de tendresse, d’amour, se dévoileraient.
J’ai cru que ce jour je pourrais lui parler de mes sentiments sans me faire jeter.
J’ai cru que ce jour nos bonheurs finiraient par s’apprivoiser, sans réticences.
Et j’ai cru que je pourrais compter davantage à ses yeux que comme un simple jouet sexuel.
Je me suis trompé.
Thibault m’avait appris que, derrière la façade de mec assuré et un peu macho, Jérém était un garçon qui avait besoin d’être rassuré. Au fil du temps, j’avais compris à quel point il avait raison.
J’ai cru que je réussirais à le mettre en confiance. J’ai cru avoir les épaules pour lui montrer que je pouvais être là pour lui, qu’il pouvait compter sur moi.
Mais il aurait fallu pour cela être capable de le soutenir sans pour autant lui donner l’impression d’avoir besoin de moi. Sans lui donner l’impression d’être « faible ». J’aurais voulu être capable d’être là pour lui, tout en préservant sa fierté de mec.
Mais cela est un jeu d’équilibriste que seul Thibault sait maîtriser.
Je repense au maillot que j’ai ramène de Londres. J’avais fondé de grands espoirs sur ce maillot. J’avais voulu lui faire plaisir, j’avais imaginé son regard s’illuminer lorsqu’il le recevrait.
J’avais imaginé ce maillot comme un moyen de lui montrer qu’il était bien plus pour moi qu’un très bon amant. Je voulais lui montrer que j’aimais faire plaisir au garçon que j’aime. Et je voulais lui faire plaisir en lui offrant quelque chose lié à sa passion, le rugby. Ce maillot aurait dû être la première chose que nous aurions « partagée » en dehors du sexe.
Et même si pendant une fraction de seconde j’ai vu ce regard de gosse qui ouvre ses cadeaux à Noël, Jérém n’a pas voulu de mon présent. Il était sans doute impossible pour lui d’accepter ce cadeau – qui aurait créé un lien supplémentaire entre nous – au moment où justement il voulait couper tous les autres.
J’aurais peut-être dû lui donner le maillot plus tôt, pendant la semaine magique. Ça aurait été le moyen de créer ce lien à un moment où tout était peut-être possible entre nous.
J’ai sans doute été freiné par la peur. La peur que ce cadeau, en tant que démonstration trop tangible de mon amour, le fasse fuir, mettant un terme à la magnifique progression sur laquelle nous étions lancés.
J’avais un atout dans mon jeu, je l’ai gaspillé n’ayant pas su le jouer au bon moment.
Sur le coup, laisser le maillot à la brasserie m’avait paru une bonne idée. Maintenant, plus le temps passe, plus son silence radio s’allonge, plus j’ai l’impression d’avoir fait du forcing, de lui avoir mis un peu plus la pression en l’« obligeant » à accepter mon cadeau. Tout en rendant son patron « témoin » de tout cela.
Il est même probable que le fait de se voir remettre le paquet, « de la part de Nico », l’ait mis mal à l’aise, en rendant encore plus forte sa détermination à s’éloigner de moi.
Qu’est-ce que j’ai pu être idiot de m’imaginer qu’il enverrait un message pour me remercier de mon cadeau !
S’il le faut, il l’a foutu à la poubelle sans même le regarder.
Samedi 18 août 2001
Ce matin je me réveille une fois de plus avec le moral dans les chaussettes. Mon premier geste est, comme chaque matin, de regarder si j’ai reçu un message sur mon portable. Bien évidemment, il n’en est rien.
Et maintenant ? Est-ce qu’il n’y a que de la solitude dans mon horizon ? Comment reprendre goût à la vie, après le déluge qui a tout détruit sur son passage ?
Sortir, rencontrer d’autres gars, réapprendre à faire confiance, tenter de deviner et de comprendre les sentiments de l’autre, me protéger, éviter à tout prix de souffrir encore. Coucher à nouveau, me protéger, éviter les MST. Je n’arrive à envisager rien de tout ça. De toute façon, je ne sais même pas si je vais réussir à rencontrer des gars. Des baises d’un soir, peut-être. Mais qui voudra d’une relation avec moi ? Qu’est-ce que j’ai réellement à offrir à un mec ?
Et qu’est-ce que les mecs ont à m’offrir ? Qui sont les gays ? Que recherchent-ils ? Comment fonctionnent-ils ? Un autre Stéphane, est-ce que ça existe ?
Dimanche 19 août 2001.
C’est aujourd’hui que Philippe débarque enfin à l’appart. Elodie est heureuse, et ça me fait vraiment plaisir pour elle. Le revers de la médaille, c’est que, du coup, elle est moins présente pour moi. Et je me retrouve à tenir la chandelle sous un parasol soudainement devenu trop petit.
Alors, au bout d’un moment j’ai besoin d’air. Je marche seul sur la plage, je marche loin, longtemps.
Je marche avec mes souvenirs, mes regrets, mes remords, ma souffrance. Heureusement, j’ai mes lunettes pour cacher mes larmes, et le vent pour les essuyer.
Où est-il à cet instant précis ? Est-ce qu’il bosse toujours à la brasserie ? Est-ce qu’il est déjà à Paris ? Est-ce qu’il est en train de s’envoyer en l’air ? Avec qui ?
Par moments, je suis transpercé par une violente envie de l’appeler, ou de lui envoyer un SMS.
Depuis une semaine, j’ai été dix, cent, mille fois sur le point de tenter de reprendre contact avec lui. J’ai affiché son numéro, et j’ai fixé la touche verte de mon portable pendant de longues minutes, avant de renoncer. J’ai écrit, effacé, réécrit et ré-effacé un nombre incalculable de messages sur mon portable. Ils ne sont jamais partis.
A chaque fois, l’envie de prendre de ses nouvelles a été censurée par un sursaut d’auto-préservation. Un jour, sur un coup de colère, j’ai effacé l’intégralité de nos échanges d’SMS. J’ai parcouru l’historique des appels, et effacé chaque trace de son contact.
J’ai même fini par effacer son numéro de mon portable. Geste purement symbolique, car je connais son 06 par cœur.
Le fait de ne plus avoir son prénom dans mon téléphone, le fait d’effacer des traces, des souvenirs, et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de retour en arrière possible, ça me soulage.
La présence constante de ma cousine me préservait de la tentation de faire des bêtises.
Mais aujourd’hui, alors que je me balade seul sur la plage, je me sens sur le point de craquer, de lui demander des nouvelles par SMS. Lui demander des nouvelles, et certainement m’exposer à souffrir un peu plus encore, quelle que ce soit sa réponse. La plus probable et la plus insoutenable de toutes étant son silence.
Je sais que le fait de chercher le contact avec lui équivaut à compromettre mon processus de guérison. et, aussi, à faire ressurgir des attentes absurdes, à recommencer à espérer un changement de sa part, à espérer son retour.
Je sais que je n’ai rien à espérer, car il m’a fait trop mal. Pourtant, au fond de moi, il y a toujours un petit espoir, tapi sous les gravats de ma souffrance, l’espoir qu’il revienne vers moi.
De toute façon, le problème ne se pose pas. J’ai laissé mon portable à l’appart. Alors, pas de SMS.
Je retrouve Elodie et Philippe en toute fin d’après-midi et nous rentrons à l’appart pour dîner.
Nous ressortons après, pour aller prendre un verre. On rigole bien, tous les trois. Enfin, surtout Elodie et Philippe. Moi, je me contente d’essayer de faire bonne mine. En réalité, je suis en train de rechuter. Tous les signes cliniques sont là. J’ai envie d’être seul. J’ai envie de ruminer ma peine. J’ai envie de chialer.
Alors, quand aux alentours de minuit ils annoncent leur envie de rentrer à l’appart, je prétexte une forme pétante et le besoin de me balader un peu, beaucoup, pour mieux préparer mon sommeil.
C’est ce que je vais faire, marcher. Marcher sur le port, dans le village, jusqu’à la plage, m’imprégner de la douceur du soir, du son apaisant de la mer, du chant insouciant des cigales, de la présence de quelques bogoss ici et là.
Je marche pour tenter d’échapper à mes démons. Tentative vaine, ils me collent de près. Je n’arrête de penser à Jérém. Ce soir, il me manque horriblement.
La nuit avance, la chaleur disparaît et une brise fraîche vient caresser ma peau.
Je repense à mon cocard qui disparaît de jour en jour. Bientôt, il n’en restera plus la moindre trace. Et ça me rend triste. Car j’y tiens à ce bleu. Ce qui est tout bonnement paradoxal. J’ai envie de tout oublier de cette histoire, jusqu’à même oublier d’avoir été amoureux. Et pourtant, je m’accroche à ce bleu, jusqu’à souhaiter qu’il ne disparaisse pas. Ce bleu est le dernier contact que j’ai eu avec Jérém.
Les images de nos étreintes se bousculent dans ma tête, son beau sourire pendant toute cette semaine merveilleuse, le bonheur le prendre dans mes bras et de lui faire des bisous. Je suis percuté par une déchirante envie de remonter le temps pour être avec lui encore, pour revenir à cette semaine magique ou tout était si beau, remonter le temps pour trouver le moyen de le retenir.
Vraiment, ce soir il me manque horriblement. Ce soir, j’ai envie d’entendre sa voix. Je sais que ça va me faire plus de mal que de bien, mais j’en ai trop envie. J’ai besoin d’entendre sa voix pour savoir s’il va bien. Et pour tenter de retrouver un espoir. Ce soir, j’ai besoin d’un espoir.
Heureusement, mon portable est resté à l’appart. Malheureusement, ma carte bleue est dans ma poche, son 06 gravé dans ma tête. Et je connais l’emplacement des cabines téléphoniques. Cabines qui ont en plus un avantage certain, celui de garantir l’anonymat de l’appelant.
J’hésite pendant de très longues minutes devant le petit clavier métallique.
Je finis par taper les dix chiffres, les doigts tremblants, le cœur dans ma gorge. Rien que le fait de les voir s’afficher sur le petit écran me donne le tournis.
Ça sonne. Je ne sens plus mes jambes, je suis obligé de m’appuyer contre la paroi vitrée. À chaque sonnerie, mon cœur a des ratés, et je sens mon élan s’enrayer. Finalement, je crois que je préférerais tomber sur son répondeur, entendre sa voix enregistrée, et raccrocher avant le bip.
Cinquième sonnerie, mon vœu semble en passe de se réaliser.
Pourtant, ça finit par décrocher.
« Oui ? ».
Et le timbre de sa voix de mec, son ton un brin sec, vient faire vibrer tant de cordes sensibles en moi.
Je ne veux pas lui parler. De toute façon, je ne peux pas, ma langue est nouée, mon cerveau paralysé.
Les secondes s’enchaînent, mon silence devient suspect.
« Allo ? » fait le bogoss, agacé.
Je sais que c’est le moment de raccrocher, avant de me faire envoyer chier. Pourtant, je n’arrive pas à m’y résoudre. Une partie de moi voudrait me faire connaître, lui dire que c’est moi à l’autre bout du fil, lui dire à quel point il me manque, à quel point je crève d’envie d’être avec lui.
« Alloooooo ? » il relance, déjà emporté.
Putain, qu’est-ce qu’il me manque ! Rien que d’entendre sa voix, tout remonte en moi. J’ai connu le bonheur, et je l’ai perdu. Je ressens au fond de moi une immense, douloureuse nostalgie pour ce Paradis Perdu. Je sens que je vais encore chialer. Je dois me retenir. Je dois mettre fin à cette « conversation ». Mais je n’en ai pas la force.
Mais lui, si. Une seconde plus tard, le contact est interrompu. Jérém vient de raccrocher.
Je marche, je pleure, je marche et je pleure pour tenter de me calmer. Je marche et je pleure jusqu’à l’épuisement. Je rentre à l’appart vers 3 heures, je suis en miettes. Et pourtant, je n’ai pas envie de dormir. J’ai trop les nerfs en pelote. J’ai besoin de m’étourdir jusqu’à tomber de sommeil.
J’allume la télé et je tombe sur une émission d’Arte. En général, les émissions de la nuit d’Arte c’est bien pour aider à trouver le sommeil.
Mais pas cette nuit. Car, une fois n’est pas coutume, l’émission de cette nuit arrive à capter mon attention toute entière.
Il s’agit de la rediffusion d’un documentaire consacré à une chanteuse vénitienne très populaire en Italie, mais pratiquement inconnue en France. Son nom est Patty Pravo.
Sur des images d’archive des années 70, la voix off la décrit comme une artiste atypique et inclassable dans le paysage de la variété musicale italienne. En raison d’un répertoire dont les thèmes récurrents sont la fin de l’amour, l’abandon, le manque, et la solitude, la star italienne est définie comme « la chanteuse du chagrin d’amour ». Une artiste qui est devenue, au fil des années, une icone gay.
L’émission alterne des interviews de l’artiste avec des extraits de ses chansons.
Ragazzo triste come me (…)/Garçon triste comme moi (…)
che sogni sempre come me (…)/qui rêve toujours comme moi (…)
(…) Nessuno può star solo/Personne ne peut rester seul,
Non deve stare solo, quando si e’ giovani così/Ne devrait pas être seul quand on est si jeune
La Bambola/La Poupée
Tu mi fai girar, tu mi fai girar/Tu me fais tourner, tu me fais tourner
Come fossi una bambola/Comme si j’étais une poupée
Poi mi butti giu, poi mi butti giu/Puis tu me jettes, puis tu me jettes
Come fossi una bambola/Comme si j’étais une poupée
Non ti accorgi quando piango/Tu ne t’en rends pas compte quand je pleure
Quando sono triste e stanca/Quand je suis triste et fatiguée
Tu, pensi solo per te/Toi, tu ne penses qu’à toi
Se perdo te/Si je te perds
Se perdo te cosa farò/Si je te perds, qu’est-ce que je vais faire ?
Io non so più restare sola/Je ne sais plus rester seule
Ti cercherò e piangerò/Je te chercherai et je pleurerai
Come un bambino che ha paura/Comme un enfant qui a peur
(…) Se perdo te, se perdo te/Si je te perds, si je te perds
Cosa farò di questo amore/Qu’est-ce que je vais faire de cet amour
Ti resterà, e crescerà/Il restera, il grandira
Anche se tu non ci sarai/Même si tu n’es pas là
Tutt’al Più/Tout au plus
Parfois, je pense revenir te voir /Et si je ne l’ai pas encore fait
Ce n’est pas parce que l’amour est terminée/Je t’aime encore
Je ne l’ai fait parce que/Parce que j’ai peur de te trouver changé
Pazza idea/Idée folle
Se immagino che tu sei qui con me/J’imagine que tu es ici avec moi
sto male, lo sai!/Je me sens mal, tu sais!
Voglio illudermi di riaverti ancora/Je veux me donner l’illusion de t’avoir à nouveau
com’era un anno fa/comme c’était il y a un an.
Pazza idea di far l’amore con lui/Idée folle de faire l’amour avec lui
pensando di stare ancora insieme a te!/pensant que je suis encore avec toi!
Folle, folle, folle idea di averti qui/Folle, folle, folle idée de t’avoir ici
mentre chiudo gli occhi e sono tua/Pendant que je ferme les yeux, je suis à toi.
Et aussi :
Non andare via/Ne me quitte pas
Une reprise qui n’a pas besoin de présentations.
Cette nuit, je découvre une artiste, une femme dont les chansons me frappent droit au cœur. Cette nuit, je sais que moi et Patty, ce sera pour la vie. Cette nuit, je me dis que je veux apprendre l’italien.
Il est cinq heures du matin, je viens enfin de me coucher. Mon téléphone émet un petit son de réception de message. Réflexe pavlovien, mon cœur s’emballe au quart de tour. Au fond de moi, j’espère toujours que ce sera un message de Jérém.
Une fois de plus, ce n’est pas le cas.
« Hey, tu bronzes, le veinard ? Mate pas trop les mecs sur la plage ! ».
C’est un message de Julien, l’adorable jeune loup blond.
Jeudi 23 août 2001, la veille du départ.
C’est décidé, demain nous allons quitter Gruissan et rentrer à Toulouse.
Ça va faire deux semaines que nous sommes partis. Deux semaines depuis la dispute avec Jérém. Deux semaines que je ne l’ai pas vu. Deux semaines, rien que deux semaines. Et pourtant, j’ai l’impression que ça fait un siècle que j’ai quitté Toulouse.
Oui, ça fait deux semaines que j’attends un SMS qui n’est jamais venu. Il m’a déjà oublié. Il n’y a plus de place pour moi dans sa vie.
L’idée de rentrer au bercail me parait bizarre. Et angoissante.
Je réalise que je viens sans doute d’affronter la quinzaine la plus dure, la plus difficile, la plus éprouvante de ma vie. Et je suis conscient que si j’ai pu passer ce cap, c’est parce que j’ai eu la chance d’être très bien entouré. La chance d’avoir une maman adorable, une cousine fantastique, des potes formidables comme Stéphane ou Julien, ou encore Thibault. La chance d’être écouté, compris, accepté, aimé.
Combien de jeunes gays de 18 ans, ou plus jeunes encore, ont cette « chance » ? Combien de jeunes mettent fin à leurs jours, non pas parce qu’ils se sont faits larguer, mais parce non seulement ils sont harcelés dans leur quotidien, parfois agressés, mais aussi rejetés par leur famille ? Combien de jeunes gays choisissent de partir parce que leur vie n’est plus supportable, parce qu’ils ne peuvent compter sur personne ?
Soudain, un souvenir remonte à mon esprit, un souvenir qui revient du fin fond de mon enfance. J’avais genre 9-10 ans, lorsque j’ai vu une scène à la télé qui m’a marqué comme peu d’autres.
Les détails sont flous, il me semble que c’était un film d’animation réalisé dans un style naïf et épuré, en noir et blanc.
Dans la séquence, on voyait un bonhomme qui avait l’air complètement désespéré (sans que l’on connaisse les raisons de sa détresse) se jeter du toit d’un building.
L’immeuble est haut, et sa chute dure longtemps. D’autant plus que, par la magie de l’animation, sa vitesse de chute n’augmente pas de façon exponentielle, mais reste constante. Et, surtout, bien en déca des lois de la gravité terrestre.
Alors, pendant sa chute « artistiquement aménagée », le bonhomme voit défiler, étage après étage, des vies qui lui sont inconnues.
A travers une fenêtre, il voit une belle femme qu’il a soudainement le regret de ne plus pouvoir connaître.
Derrière une autre fenêtre, il voit des gens qui font la fête, et qui lui paraissent très sympathiques. Derrière une troisième, il voit un couple qui s’embrasse et qui a l’air heureux.
Fenêtre après fenêtre, le bonhomme se surprend à envier les vies de toutes ces gens. Et aussi la vie qu’il aurait pu avoir en osant aller à la rencontre de ces gens.
Le sol approche inexorablement et en cet instant ultime, le bonhomme n’a plus du tout envie de mourir.
Ainsi, sa dernière pensée avant de se fracasser au sol, c’est le regret de quitter cette vie qui lui semble à nouveau belle, le regret d’avoir commis un geste qu’il considère finalement stupide.
Au final, le bonhomme termine sa vie en se trouvant stupide.
Mettre fin à ses jours ce n’est jamais la bonne solution, même si ça peut le sembler dans un moment de désarroi. Rien ne vaut ce geste, et surtout pas les cons qui s’emploient à rendre insupportable la vie d’autrui. Même pas le chagrin le plus insupportable ne vaut pas tant qu’une vie.
La fin d’un amour c’est un gâchis épouvantable. Mais il n’est pas plus grand gâchis que celui de ne pas découvrir ce que l’avenir nous réserve.
Malgré tout, je redoute le retour sur Toulouse. Je sais que je ne suis pas encore complètement guéri, loin de là. Je redoute les souvenirs qui vont venir à moi à l’instant où je vais retrouver les lieux familiers, cette ville, ses rues, cette maison, la chambre qui ont servi de décor à mon premier amour, désormais fini.
Une seule chose est capable de rendre l’idée de ce retour moins insupportable. C’est la perspective de retrouver ma maman, cette maman que j’adore et qui est désormais au courant.
Pendant le séjour à Gruissan, je l’ai eue régulièrement au téléphone. Ça m’a fait du bien de sentir sa présence, cet amour, cette bienveillance qui chauffe et soigne les blessures.
Quand j’y pense, j’ai encore du mal à me dire que maman est désormais au courant. Et je regrette que mon coming out ne se soit pas du tout passé comme je l’avais imaginé.
J’avais imaginé lui annoncer que j’étais gay le jour où je serais heureux avec un garçon. Elle l’a découvert en assistant à une dispute, elle a été confrontée à l’image de la violence, des coups, du sang.
Elodie, maman, Jérém, of corse, Stéphane, Julien, et d’autres encore. La liste des personnes au courant se rallonge. C’est une bonne chose pouvoir être soi-même sans avoir besoin de se cacher. C’est le signe que je suis en train de m’affirmer et de m’approprier de ma propre vie.
Et pourtant, il m’arrive de me sentit nostalgique de ma vie d’avant, quand personne ne savait encore, ou du moins quand je pouvais penser encore que personne ne savait. C’était une vie qui me rendait malheureux, certes. Mais ce « jardin secret » faisait partie de ma spécificité. Il me définissait, d’une certaine manière.
Je me suis construit dans la dissimulation, dans la peur que les parents, les amis ou autres connaissances apprennent qui j’étais vraiment. Mon secret, et la crainte qu’il soit découvert, sont devenus au fil du temps presque des raisons d’être.
Être gay n’est pas la seule chose qui me définit, ni même la plus importante. Mais ça fait partie de moi.
Pendant longtemps, j’ai attendu le coming out comme une sorte de délivrance. Et maintenant que c’est fait, du moins en partie, j’ai l’impression que cette partie de moi m’échappe, comme si elle ne m’appartenait plus totalement.
Mais, au-delà de cette nostalgie pour le temps des secrets, mon plus grand regret est d’avoir attendu tant de temps pour sortir du placard.
Le fait que mes coming out successifs avec Elodie, Thibault, maman, se passent bien, me fait prendre conscience du fait que mon « secret » n’avait finalement pas tant d’importance que ça. Que j’aurai pu m’épargner tant d’angoisses, tant de questionnement, et la peur panique d’être démasqué. Si seulement j’avais pu réaliser plus tôt qu’être gay n’est pas si terrible, que je n’avais pas à me cacher.
Et aussi, le fait que maman soit au courant, me donne l’impression d’avoir franchi un cap au-delà duquel je ne pourrais plus faire marche arrière, comme si ma vie allait prendre une direction en quelque sorte inéluctable.
Est-ce que je suis vraiment être homo ? Est-ce que, avant de donner une direction définitive à ma vie ? Est-ce qu’avant d’acter le fait que je n’aime que les garçons, je ne devrais pas d’abord essayer avec une fille ? Peut-être que je pourrais y arriver, être comme tout le monde. Ma vie serait tellement plus simple !
Mais aucune fille n’a encore provoqué en moi l’étincelle que savent provoquer certains garçons.
Vendredi 24 août 2001.
Comme prévu c’est ce vendredi en début d’après-midi que nous quittons Gruissan et nous reprenons la route vers Toulouse.
La cité de Carcassonne fait son apparition sur notre gauche, embrasée par la couleur vive du soleil de l’après-midi. Soudain, le poste diffuse un son intéressant, une rythmique qui me cueillit d’entrée.
Et puis, vient la voix. Reconnaissable entre mille. Et elle vient décliner des couplets qui me parlent, qui me touchent, qui m’émeuvent.
My life… will never be the same/Ma vie… ne sera plus jamais la même
‘Cause girl, you came and changed/Parce que chérie, tu es arrivée et tu as changé
The way I walk/Ma façon de marcher/The way I talk/Ma façon de parler
I cannot explain the things I feel for you/Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens pour toi
But girl, you know it’s true/Mais chérie, tu sais que c’est la vérité
Stay with me, fulfill my dreams/Reste avec moi, réalise mes rêves
And I’ll be all you’ll need/Et je serai tout ce dont tu as besoin
Oui, le King de la Pop est de retour. J’ai encore de croire que cet immense artiste qui a marqué mon enfance, mais qui est en perte de vitesse depuis quelques années, peut encore surprendre et revenir au top.
Nous ne sommes plus qu’à 100 bornes de Toulouse.
Jérém me manque horriblement. Est-il encore sur Toulouse ou est-il déjà parti à Paris ?
Soudain, je ressens en moi le besoin irrépressible d’aller le voir, coûte que coûte. A Toulouse, ou à Paris, n’importe où. Je sens poindre en moi l’espoir désespéré de trouver les mots qui pourraient le toucher, de trouver enfin le passage secret qui donne accès à son cœur.
Je me dis qu’il a eu le temps et l’occasion de réfléchir en deux semaines. Et, la distance aidant, de se rendre compte du gâchis qu’on est en train de commettre en nous interdisant de vivre notre histoire. Je me dis que, peut-être, il m’attend. Qu’il attend un message, un coup de fil, que j’aille le voir
Mais non, il ne m’attend pas. Et je ne peux pas aller à sa rencontre. Je me ferais jeter une nouvelle fois. Et ça c’est au-dessus de mes forces.
Il est en revanche une autre rencontre que je dois provoquer au plus vite. celle avec mon pote Thibault.
Car, plus j’y pense, plus je me dis que ce silence ne lui ressemble vraiment pas.
Demain je vais le voir, c’est décidé. S’il y a malaise, je tenterai de le dissiper. Et s’il y a autre chose derrière son silence, je serai fixé.
Nous venons de passer la sortie de Villefranche de Lauragais, la dernière avant le périf. Dans une demi-heure, je serai à la maison. En passant le péage, l’angoisse m’envahit.
Philippe, à la place du passager, roupille paisiblement. J’ai envie de dire à Elodie de s’arrêter, de me laisser un peu de temps pour me préparer à ce retour.
Mon regard croise le sien dans le rétroviseur. L’inquiétude doit se lire en lettres de feu sur mon visage.
« Ça va aller, mon cousin ? ».
« Oui, ça va aller… ».
Sauf que non, ça ne va pas aller du tout.
Le périph’ défile trop vite. Et de la même façon, trop vite, je retrouve les allées, les façades, le profil familier de la ville rose. Puis, la maison.
Malgré le grand sourire et les mots adorables avec lesquels maman vient m’accueillir, la vitesse à laquelle tout s’enchaîne m’est insupportable.
Commentaires
ZurilHoros
07/07/2020 19:24
Je ne compte plus, mais après 6 ou 7 jours consécutifs d’ébats sexuels à multiples éjaculations par séance, revoilà Jérém pour un 8ème round. Comment fait-il?
poopy
04/12/2017 13:42
Salut Fabien, Je sais que c’est possible avec l’application Calibre. Il m’arrive de faire des béta lecture pour des amis et en général ils me donnent les fichier en .doc. Je glisse le fichier dans l’appli et je fais convertir au format E-pub. Tu peux même modifier l’epub pour faire la table des matière du livre ect… J’espère que ça t’aura aidé 😉 ! Bon courage ! Poopy PS : J’ai trouvé ce tutoriel sur la question : http://edutechwiki.unige.ch/fr/Cr%C3%A9er_des_e-book_avec_Calibre
poopy
04/12/2017 10:10
Je n’ai pas encore lu cet épisode mais il me tarde. Sinon je voulais te demander, n’envisages tu pas de faire un format epub pour lire sur reader/liseuse ? Car je serai prête à l’acheter sous ce format. Le format pdf c’est impossible de lire sur liseuse correctement. Merci de ta réponse et bonne continuation. PS : Merci pour toute ton énergie et ta créativité.
Yann
02/012/2017 14:37
J’ai beaucoup aimé ce très bel épisode ; l’harmonie de ces deux jeunes amants c’est si beau ! Hélas Jerem n’est toujours pas totalement débarrassé de ses barrières qui l’entravent. Comme Gripsou je redoute que nous soyons arrivés à l’apogée de cette belle histoire et que Nico, mais probablement aussi Jerem, aient à souffrir après avoir partagés tant de bonheur. Merci Fabien Yann
Gripsou22
01/12/2017 18:55
Merci Fabien pour cet épisode plein de sensualité et d’érotisme. Jérémie se laisse de plus en plus aller à ses désirs ses envies il progresse dans la découverte de sa bisexualité et sa relation va de mieux en mieux avec Nico…Malheureusement il y a toujours son machisme, son besoin de virilité qui l’empêche d’aller plus loin. Tant que son rôle est 100% actif il peut toujours se dire « hétéro ». De plus baiser un homme pour un macho peut être encore plus valorisant car c’est dominer un autre homme donc être encore plus un « mâle Alpha ». Mais maintenant que son envie de sucer un homme arrive, ça le coupe complètement. Ca y est après l’apogée ça commence à se gâter. Pour l’instant Jérémie n’a pas l’air de trop mal réagir mais on sent qu’on arrive sur la pente descendante. Pauvre Nico qui va souffrir après cet épisode de bonheur… P.S.: Quelle bonne nouvelle pour la version papier de l’histoire 🙂
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