JN01045 Gruissan, Jérémie, Stéphane
Juin 2001, après le bac.
Jour après jour, je profite de la plage de Gruissan. Je traîne pendant de longues heures sous le parasol. Un jour, une rafale plus puissante que les autres arrive à l’arracher. Elodie et moi nous nous levons d’un bond et nous lui courons après, nous arrivons à le récupérer juste au bord de l’eau. Ce jour-là, ma cousine et moi nous sommes tapé un sacré fou rire.
Sous le parasol, je passe des heures à bouquiner. Je découvre et dévore la trilogie des Fourmis de Werber.
Pendant que ma cousine rôtit au soleil et avale ses magazines de gonzesse, je nage, je me balade sur la plage.
La vision du corps féminin dépassant des maillots de bain me conforte dans l’idée que les nanas ne m’attirent pas le moins du monde.
Ce qui entraîne l’éternel questionnement : pourquoi est-ce que j’aime les mecs ? Et la conclusion qui va avec : ma vie serait tellement plus facile si ce n’était pas le cas…
Et puis voilà, le beau torse et le sourire charmeur d’un bogoss me rappelle illico à moi-même.
Parfois, Elodie vient se balader sur la plage avec moi. Nous marchons pendant des heures, en discutant, en alternant des moments de pure déconnade avec des conversations quasi-philosophiques sur la vie, les relations humaines, l’amour. En fait, nous refaisons le monde à chacune de nos balades.
Avec ma cousine, je me sens bien. Je me sens à l’aise, compris, accepté pour ce que je suis. Avec Elodie, je me sens « normal ». Et qu’est-ce qu’on rigole, tous les deux !
Tout est occasion pour se taper des fous rires. Un paquet de pâtes qui tombe et explose sur le carrelage de la cuisine et que l’on passera une soirée à ramasser ; une pizza oubliée au four ; quand on se rend compte d’avoir oublié d’acheter le produit pour lequel on était précisément parti à la superette.
Nous passons le plus clair de nos journées à la plage, nous ne rentrons à l’appart qu’en toute fin d’après-midi.
Parfois, après avoir dîné, nous retournons à la plage pour regarder le soleil plonger dans l’eau. Nous nous asseyons sur le sable, en silence. Devant l’immensité des éléments, je me sens souvent submergé par la tristesse, par un sentiment de solitude déchirant.
Elodie s’en rend compte à chaque fois, elle me prend dans ses bras, elle a toujours le bon mot pour remonter le moral à son petit cousin. Sa bienveillance me fait me sentir bien.
Un soir, je me décide à lui parler de Stéphane.
« Petit cachottier… » elle me lance « sans déconner, je suis contente pour toi, mon cousin, ce mec a vraiment l’air cool… ».
« Mais il va partir loin… ».
« Mais, au moins, grâce à ce mec, tu as enfin compris et testé qu’il n’y a pas que ce Jérémie comme mec sur Terre… ».
« Je ne sais même pas comment Stéphane a pu s’intéresser à moi… ».
« Parce que tu es un beau garçon et que tu es quelqu’un de touchant, ça se voit au premier coup d’œil ! Arrête un peu de penser que tu n’as rien pour plaire ! Tu as tout pour plaire! ».
J’ai toujours été complexé par rapport à mon physique. Cela est probablement dû au fait que je me suis toujours inconsciemment comparé aux garçons sur lesquels je flashais, c’est-à-dire à des gars plutôt bien foutus. Alors, bien sûr, dans ce genre de comparaison, je n’existe tout simplement pas.
« Et puis il y a eu Jérémie… » fait Elodie.
« Il ne m’a jamais dit comment il me trouvait… ».
« Si un canon comme lui a eu envie de coucher et de recoucher encore et encore avec toi, c’est que quelque part tu ne dois pas être si moche que ça… ».
« Ou alors c’est tout simplement parce qu’il pouvait faire avec moi ce qu’il voulait… ».
« Pffffff… et Stéphane, alors ? A lui aussi tu lui as plu. Et, d’après ce que tu me racontes, ce n’est pas du tout le même genre de mec que Jérémie… ».
A partir de ce moment-là, et pendant toute la durée de ces vacances, Elodie s’emploiera à me faire prendre conscience que je peux plaire.
Un soir, alors que nous nous apprêtons à sortir, elle me regarde avec insistance. Je commence à croire qu’elle va se moquer de moi parce que j’ai un truc de travers, mais elle me balance de but en blanc :
« Tu sais que t’es vraiment bomec ? ».
« Tu parles… ».
« Il est très joli ton t-shirt noir, il te va super bien, ça souligne bien ton cou dégagé et ta chute d’épaules. N’en doute plus, mon cousin, t’es bomec… ».
« Si tu le dis… ».
« Il faut juste arranger ça… » elle ajoute, tout en passant une main dans mes cheveux et en m’entraînant dans la salle de bain avec l’autre.
Elle me cale devant le miroir, elle attrape mon tube de gel fixant, gel dont elle dit : « Tu ne t’en sers pas assez ». Ses doigts s’enfoncent dans ma tignasse et commencent à la trifouiller vigoureusement. En quelques secondes, sous mes yeux d’abord sceptiques, mon désastre capillaire prend peu à peu une toute nouvelle allure. Lorsqu’elle en a terminé, exit le brushing bien trop sage, je ressemble enfin à quelque chose. A un mec de mon âge.
« Waaaa, le bogoss ! Dommage que tu sois mon cousin, sinon tu passerais à la casserole ! ».
« Arrête de te moquer de moi… ».
« Je ne me moque pas du tout… » fait-elle, tout en me mettant une bonne tape sur les fesses, et en ajoutant : « mate-moi un peu ce petit cul à croquer !Allez, mets un coup de déo, tu vas emballer ce soir ! ».
Je regarde ma cousine à mon tour. Elle est bien roulée, bien sapée, maquillée simplement, elle est hyper féminine : pas étonnant que pratiquement chaque soir elle ait des touches. Des touches dont elle ne profite jamais, car elle ne veut pas me laisser tout seul.
Ce soir-là, en boîte de nuit, elle flashe sur le regard de feu d’un certain Daniel, un charmant brun avec une barbe fournie et bien taillée, un regard intense, accrocheur, terriblement charmant, habillé d’une chemisette gris pétrole dont l’ouverture de deux boutons en haut donne l’aperçu d’un torse légèrement velu.
« Putain, qu’est-ce qu’il est beau ce type… ».
« Je ne te le fais pas dire, cousine… ».
« Mais t’as vu ses yeux ? On dirait des aimants ! ».
« Il te plaît, hein ? ».
« Grave ! ».
« Alors fonce, ma cousine ! ».
« Arrête, je ne vais pas te planter là comme un con… ».
« Peut-être pas toi, mais moi oui ! » je lui balance, en me levant de ma chaise.
« Arrête de faire le con, Nico ! » elle rigole.
« Amuse-toi bien ma cousine, ce soir tu as la permission… ».
« C’est vrai ? ».
« Oui, c’est vrai… ».
« Ok, tire-toi vite, alors ! » elle se marre.
« Envoie juste un sms pour me dire si tout se passe bien ».
Je sors du pub et je marche en savourant le calme et la fraîcheur de la nuit de ce début d’été. Je marche jusqu’au port de Gruissan, je m’assois sur un banc et j’écoute le clapotis de l’eau contre les quais et les coques des bateaux. La solitude nocturne est propice à la mélancolie. C’est la nuit que le manque de l’être aimé est le plus intolérable.
Jérém, où es-tu ? Avec qui dors-tu ce soir ? Est-ce que je te reverrai, un jour ? Pourquoi m’as-tu mis dans ton lit si c’est pour que ça se finisse de cette façon ?
Soudain, je repense à Stéphane. Je repense au bonheur de me retrouver dans ses bras, après le plaisir des corps, à ses caresses, à ses baisers, à sa tendresse, à sa bienveillance. Et j’ai terriblement envie de retrouver ces sensations. Si seulement Jérém pouvait avoir un peu de la douceur du gars au labrador…
Cette rencontre avec Stéphane aura été une révélation pour moi. Ça fait du bien de réaliser qu’avec un garçon on peut envisager autre chose que des baises bien chaudes suivies de séparations bien glaciales. Oui, ça fait du bien de savoir qu’il y a des garçons avec qui je peux partager plus qu’un lit.
J’ai envie de lui envoyer un message, de l’appeler, de discuter avec lui. Je suis certain que ça me remonterait le moral. Pour l’instant, je profite de ma cousine. Je lui enverrai un sms dès que je serai de retour sur Toulouse.
Le matin suivant je me réveille vers 9h00 et je réalise que je suis seul dans l’appart. Je me souhaite le bonjour de la même façon que je me suis souhaité la bonne nuit : avec une bonne branlette. Elle a le double pouvoir de détendre mon esprit et de me faire replonger dans un dernier petit sommeil matinal.
Une heure plus tard, le bip du portable me réveille une nouvelle fois. Un sms vient d’arriver.
« Tout va bien, je rentre vers midi, je te rejoins à la plage ».
Sacrée Elodie ! Il est 15 heures lorsqu’elle se pointe à la Mateille. Immenses lunettes noires cachant la moitié de son visage, elle s’allonge lentement sur la serviette qu’elle vient d’étendre sur le sable. Elle me raconte un peu sa nuit de folies avec le bogoss. Elle a l’air d’avoir kiffé grave, je suis heureux pour elle.
Après sa folle nuit, l’après-midi de ma cousine est encore moins « physique » que l’habituel bronzette-magazines :ce coup-ci, c’est carrément carpette sur la plage. Ainsi, après s’être copieusement badigeonnée de crème solaire, elle s’endort sur sa serviette.
Je pars à l’eau, je nage un peu, puis je pars me balader sur la plage. J’avance loin en direction de l’est, jusqu’aux Ayguades. J’avance sans but véritable. J’avance jusqu’à ce que je tombe sur l’un de ces spectacles magnifiques dont les ingrédients principaux sont : la plage, la mer, l’été, le soleil, un filet, un ballon, et un bon paquet de mecs en train de s’amuser. Et là, je m’arrête enfin. Car j’ai atteint mon but inconscient.
Autour d’un filet tendu sur la plage, des mecs sont en train de jouer au beach volley. Un petit public assiste à cette animation improvisée. Une scène qui me fait repenser aux quatre potes jouant au ballon dans l’eau, la petite bande que j’avais croisée le jour de mon arrivée à Gruissan.
Je les ai « cherchés » sur la plage les jours suivants, mais je ne les ai jamais revus. J’avais même fini par les oublier. Ou presque. Que-sont-ils devenus ? Qu’est devenu le petit brun ? A-t-il déjà quitté Gruissan ? Est-il déjà reparti dans sa ville ? Et c’est quoi, cette ville ? A-t-il déjà repris le cours normal de sa vie ? Est-il étudiant, ouvrier, employé ? A-t-il une copine ? C’est quoi son passé, son présent, son quotidien, ses habitudes, ses passions, ses envies, ses rêves ? Autant de questions qui resteront à tout jamais sans réponse, car plus jamais je ne croiserai son existence.
Une petite nostalgie m’envahit alors. Mais elle est très rapidement chassée par l’animation générée par le match de beach volley.
J’approche de la scène, attiré par ces jeunes corps de mecs, par la couleur ambrée des peaux bronzées. Je suis happé par un premier regard, très brun, un regard que j’ai envie de sonder, comme à la découverte d’un monde inconnu et fascinant. Un instant après, je suis enchanté par un deuxième, très clair celui-ci, et dans lequel j’ai envie de plonger et de me laisser flotter, comme dans la mer.
Regarder une bande de mecs jouer à un quelconque sport, c’est s’exposer au risque d’être percuté par une infinité de ces petits détails qui m’émeuvent au plus haut point : une belle gueule, un joli sourire, une chute d’épaules sexy, un torse musclé qui dépasse d’un short de bain, la puissance et l’élégance des corps en mouvement, des muscles qui se donnent à fond et qui chauffent, un filet de transpiration qui suinte dans le creux du cou et descend entre les pecs, jusqu’aux abdos.
Mais, aussi, des mots balancés malicieusement à un pote, des mots relayés par la bande, une petite raillerie faisant visiblement allusion à un épisode récent, et dont le sujet semble être une nana levée la nuit précédente par l’un des gars. Ce sont des mots précieux, capables de m’offrir un petit aperçu de cette vie, de cette amitié, de cette complicité entre mecs qui m’intrigue tant.
Le match se termine déjà. Les gagnants sont en liesse, et les perdants vont les féliciter. Très vite, je comprends qu’un nouveau match se prépare. Les équipes se mélangent, des gars vont s’assoir sur le sable, alors que d’autres viennent prendre le relais.
Et parmi ces derniers, il y en a un qui est ni plus ni moins qu’une putain de bombasse a(na)tomique. Blond, les cheveux coupés courts, le brushing en brosse, avec une petite barbe bien taillée, de grandes lunettes noires sur le nez. Il porte un short de bain bleu dont l’élastique tombe juste au-dessous d’un pli de l’aine spectaculaire. Le mec a une mâchoire carrée et virile, des pecs bien saillants, des abdos superbement dessinés, des beaux mollets musclés (et légèrement poilus), témoins d’une activité sportive régulière.
Sa façon de marcher, de balancer ses bras, de balayer l’espace du regard :tout chez ce mec dégage cette assurance, cette attitude à la fois, insolente, énervante et craquante, du mec qui sait très clairement qu’il est bogoss. Et cela va très vite se confirmer.
Dès que le gars rentre dans mon champ de vision, plus rien ni personne n’existe autour. C’est exactement le genre de mec vers qui je me sens attiré d’une façon viscérale, inéluctable, violente.
Si seulement il pouvait enlever ses lunettes de soleil pour que je puisse découvrir son regard ! Mon vœu est vite exaucé car le bogoss se débarrasse de ses lunettes noires qu’il confie à l’un de ses potes assis au bord du terrain de volley.
Et là, c’est comme un choc : le gars dégaine un regard clair et transparent, profond, d’une intensité à couper le souffle. C’est un regard qui semble capturer tout le bleu du ciel et de la mer et le refléter, le restituer, chargé de l’éclat étincelant d’une jeunesse insolente et d’une virilité torride. Le mec est terriblement sexy.
Mais cela n’est pas tout. Dès la reprise du jeu, je vais vite réaliser que le mec a vraiment tout pour lui. Car il appartient à cette rare espèce de gars qui, en plus d’être beau comme pas permis, est habile de ses jambes et de ses bras.
Le ballon touche le sol et c’est à lui de la remettre en jeu. Ses gestes traduisent l’assurance du mec qui est sûr de son coup. Le gars exécute un service précis et puissant, le ballon pique juste au milieu de camp adverse. Il est intercepté, il rebondit plusieurs fois d’un côté et de l’autre du filet et finit par toucher le sable du camp adverse grâce à un smash asséné par le même beau gosse !
Le bogoss se retourne vers le public qui l’applaudit, vers les nanas qui lui balancent des « bogoss », « t’es canon », «t’es le meilleur ». Le gars est en plein dans le rôle du « kéké » fier de son exploit, et qui veut en mettre plein la vue.
Puis, l’un des mecs du camp adverse, lui balance : « Ahhhhhh, tiens, Jérémie, toujours à frimer celui-là !!! ». La simple évocation de ce prénom pour moi tant chargé d’émotion me fait frissonner.
Ainsi, le bogoss blond avec les lunettes noires, s’appelle Jérémie lui aussi : il faut admettre qu’il a le physique et les attitudes de l’emploi. C’est le mec sûr de lui, de son corps, de ses exploits au sport, et certainement de sa queue aussi, ainsi que de ses exploits au pieu.
Le jeu reprend, les services s’enchaînent. Le bogoss est vraiment bon à ce sport. Je le regarde courir derrière la balle, pieds nus sur le sable, et je ne suis jamais rassasié d’admirer la perfection de son anatomie en mouvement.
Le match se termine avec la victoire de l’équipe de « Jérémie 2 ». Les gars des deux équipes se rejoignent, se félicitent réciproquement, s’échangent des tapes dans les mains, sur l’épaule, des accolades, des bises. Ils se disent au revoir « comme des mecs ».
Lorsque je les regarde, je ressens une agréable sensation de bien-être. Définitivement, c’est ça que j’aime, je ne peux rien y faire. Ce sont les garçons qui m’offrent du bonheur, les garçons et rien que les garçons.
Le spectacle est terminé, mais je suis toujours assis sur le sable, car je n’ai pas envie de partir. Qu’est-ce qu’il me plaît ce petit con de « Jérémie 2 » !
Petit à petit le petit public se disperse, tout comme les joueurs de deux équipes. Heureusement, le boblond ne s’en va pas loin, il s’installe sur une serviette à proximité du filet. Juste à côté d’une blonde aussi maquillée qu’une voiture volée !
Très vite, je la déteste. Et ce, pour plusieurs raisons : déjà, dès que le bomâle s’allonge sur la serviette, elle commence de lui caresser le torse, en insistant bien entre la région au-dessous de son cou jusqu’au nombril. Sans gêne, elle descend encore plus, jusqu’à la lisière de son short de bain, j’ai même l’impression que les bouts de ses doigts jouent avec l’élastique de son short, comme s’ils aspiraient à retrouver quelque chose de précis, de connu, quelque chose dont elle serait en manque.
« Jérémie 2 » se laisse faire pendant un petit moment, sans réagir. Tu m’étonnes, il doit aimer ça, ça doit l’exciter, il doit bander dans son short de bain.
Pourtant, à un moment, il relève le buste, il se met en position assise, obligeant la blondasse à arrêter son vilain petit jeu.
Le mec porte alors la main sur son paquet, il trifouille sa queue par-dessus le tissu, comme s’il voulait la remettre en place, attitude incroyablement érotique à mes yeux. Toute cette scène ne doit pas prendre plus que deux secondes grand maximum, et pourtant j’ai l’impression qu’elle dure très longtemps. Mon regard est aimanté.
Puis, d’un coup, le boblond part se baigner, rapidement rejoint par deux des mecs de son équipe. Les jeunes mâles aux corps de petits dieux se jettent à la mer et disparaissent sous l’eau pendant quelques instants, avant de refaire surface, les cheveux trempés, la peau ruisselante, éclaboussant de l’eau partout. C’est beau à en pleurer.
Et lorsque c’est au tour de « Jérémie 2 » d’émerger de l’eau, je me retrouve à assister à une vision à couper le souffle : le torse en V, ses épaules bien bâties, sa gueule d’ange viril la peau bronzée ruisselante d’eau, il est beau comme un Dieu.
Je le suis des yeux pendant qu’il avance vers sa serviette et à un moment nos regards se croisent. Immédiatement je baisse les yeux. Je les relève un instant plus tard, « Jérémie 2 » regarde toujours dans ma direction. Non, il me regarde carrément. Je baisse mes yeux à nouveau, mais je sens toujours son regard sur moi.
Je fais diversion en partant à l’eau à mon tour, en me forçant à ne plus le mater directement. Je ne peux pour autant pas m’empêcher de le chercher discrètement du coin de l’œil.
Le bogoss a remis ses lunettes noires et s’est allongé sur la serviette, sur le dos, à côté de sa blondasse qui est déjà en train de lui badigeonner les pecs et les abdos de crème solaire. Lorsqu’elle termine enfin ses attouchements abusifs sur la musculature saillante du bomâle, elle s’allonge à son tour.
Soudain, j’entrevois une occasion pour m’approcher un peu plus du boblond, pour détailler la bête d’un peu plus près. Mon plan est de passer au plus proche du petit Dieu, pour le détailler au maximum Tout en profitant de sa position allongée, de son regard caché derrière les lunettes de soleil, et de son éventuel sommeil, pour faire cela discrètement.
Après avoir fait un petit détour dans l’eau, je sors en marchant dans sa direction, sans le quitter du regard. Chacun de mes pas m’apporte un peu plus de précision et de détails dans la découverte de sa plastique de fou.
Je me sens protégé par ses lunettes noires, ainsi que par la position de son visage, tourné à l’opposé, en direction de sa pouffe. Je suis persuadé que le gars ne me voit pas, alors je ne me prive pas de le mater.
Pourtant, lorsque j’arrive à hauteur de sa serviette, le bogoss relève le buste d’un geste soudain il tourne la tête vers moi, il remonte ses lunettes sur ses cheveux blonds, il plisse ses yeux clairs comme pour me montrer qu’il a capté que je le mate.
Je baisse mon regard à toute vitesse, l’attitude coupable, l’air con. Pendant un instant, je crains qu’il puisse venir me chercher des noises. Puis, je me dis que c’est improbable. Ses potes sont pas loin, sa copine est juste à côté, la plage est bondée : il aurait l’air de quoi s’il venait me castagner ? Mais est-ce qu’il en serait de même si on n’était que tous les deux ?
Putain, Nico, apprend à être discret ! Ça ne t’a donc rien appris tes mésaventures avec le sexy reubeu au KL et avec le bourrin dans les chiottes du Shangay ?
Je reviens m’asseoir sur la plage et j’évite soigneusement de le regarder. Je regarde la mer, la plage, le ciel, je regarde partout sauf dans sa direction.
Et lorsque je me décide enfin à m’autoriser à laisser traîner à nouveau mon regard dans le secteur de « Jérémie 2 », je me prends une claque en pleine gueule : le boblond est à nouveau installé en position demi-assise, en appui sur ses coudes et ses avant-bras (décidemment, cette attitude me fait un effet de dingue) et il regarde dans ma direction. Comme s’il me surveillait. J’ai déjà connu ce genre de situation, je ne veux pas me retrouver dans le même pétrin, je ne veux pas mettre le bogoss en pétard.
Mal à l’aise, je décide de fuir, je vais me baigner. Je rentre dans l’eau, je fais quelques brasses en direction du large. Lorsque je me retourne vers la plage, je vois « Jérémie 2 » approcher de l’eau à son tour et alors que je sens mon cœur s’emballer, le bogoss ne me calcule même pas. Il avance dans l’eau avec assurance, jusqu’à être immergé à hauteur de la taille et là, il fait un plongeon vers l’avant, plongeon accompli à la fois avec puissance et élégance.
Je le regarde nager vers le large avec un crawl vigoureux, je le regarde pendant un petit moment jusqu’à perdre le signal de sa bogossitude.
J’ai envie d’attendre qu’il revienne pour le mater encore, mais le petit con semble parti pour un long moment de natation. Je commence à ressentir des frissons, j’ai froid, je n’ai pas le choix, je dois sortir de l’eau.
Je me pose à même le sable, en attendant que le soleil et le vent sèchent ma peau. Je ne suis posé que depuis quelques secondes, je grelotte encore, lorsque je vois le beau « Jérémie 2 » sortir de l’eau à son tour. J’ai l’impression qu’il me regarde fixement et qu’il fonce direct sur moi.
Pourquoi je n’arrive pas à maîtriser mes regards ? Mais comment les empêcher d’aller là où ils sont irrépressiblement attirés ? Comment regarder ailleurs, alors que la beauté d’un garçon m’attire avec cette urgence, avec tant de violence ?
Le gars n’est plus qu’à cinq mètres, je commence vraiment à croire qu’il va venir m’engueuler. Je cherche désespérément une façon de me justifier, de m’excuser. Il n’est plus qu’à trois mètres, dans ma tête c’est le chaos.
Puis, tout se passe très vite. Le boblond me balance un sourire insolent et narquois, sexy à mourir. Il approche encore, et il vient s’asseoir sur le sable, juste à côté de moi.
« Tu t’es bien rincé l’œil ? » il me balance à brûle pourpoint.
Sa question est cash. Mais, contre toute attente, le ton de sa voix n’est pas agressif.
« De quoi ? » je feins quand-même de m’étonner.
« Ça fait une heure que tu me mates… »
Je ne sais pas quoi lui répondre. Je n’ai pas envie de lui mentir, et j’ai peur de lui dire la vérité.
Je n’ose pas me retourner vers lui mais je sens son regard lourd, insistant, perçant sur moi. Je sens aussi sa présence olfactive, un délicieux mélange de petites odeurs d’eau de mer, de crème solaire, de peau trempée, de présence de bogoss.
Non, je n’ai pas l’impression que le gars a des intentions belliqueuses. Et pourtant, sa présence m’impressionne, m’intimide. Je m’en veux de ne pas avoir pu empêcher mon regard d’être aussi indiscret, aussi importun.
Et pourtant, mon malaise est moins provoqué par la honte de m’être fait gauler que par la proximité de cette brûlante mâlitude, de cette sexytude palpable, presque radioactive, qui se dégagent de sa simple présence. La proximité d’un bogoss me fait perdre tous mes moyens.
« Tu me kiffes, hein ? » il revient à la charge.
J’ai envie de lui crier que, bien sûr, je le kiffe à mort. Mais les mots restent figés dans mon cerveau paralysé, et ils ne trouvent par le chemin pour descendre dans ma gorge.
« T’inquiète, je vais pas te casser la gueule… si je devais casser la gueule à tous les gars qui me matent, je ne ferais rien d’autre de mes journées… » il lâche, sur un ton amusé.
« Allez, dis-moi… » il enchaîne, face à mon silence persistant. En même temps, le bogoss envoie un coup de coude léger dans mon bras, pour attirer mon attention, comme pour me tirer de mon état second.
Son geste m’oblige à le regarder. Et le sourire que je découvre sur son visage est juste magnifique. Tellement beau, presque insoutenable.
« Tu es très beau… » je finis par admettre.
« Ça, on me le dit souvent… ».
« J’imagine… désolé si je t’ai vexé… ».
« Tu ne m’as pas vexé… ».
« Tant mieux. Si je te regardais, c’est parce que tu es tellement beau et sexy que je ne pouvais pas regarder ailleurs… » je me lâche.
« Jérémie 2 » sourit, visiblement flatté. Il y a peu de sensations que je trouve aussi jouissives que de sentir un bogoss flatté par mes mots, ou par mon regard.
« Alors, toi t’es pd… » fait-il, sur un ton détendu.
Je me sens étrangement en confiance avec ce gars. De toute façon, il m’a bien cerné. Alors, je décide de jouer cash.
« J’aime pas le mot pd… disons que je kiffe les mecs… ».
« Tu trouves que je ressemble à un gay ? » il me questionne.
« Je te mate parce que tu es viril et sexy à tomber ! ».
« Tu kiffes les mecs bien foutus… ».
« Oui, les gars comme toi… ».
« Ça, j’avais bien compris ! ».
« Et toi, t’aimes quoi ? ».
« Les nanas… ».
« Rien que les nanas ? ».
« Rien que les nanas… Et toi, tu ne couches qu’avec des mecs ? ».
« Oui… ».
« Et t’en as eu beaucoup ? ».
« Non, j’en ai eu qu’un… enfin… deux… ».
« Tu les as rencontrés dans un bar ? ».
« Celui qui a vraiment compté, c’était un camarade de lycée… en plus, il s’appelle comme toi… ».
« Tu connais mon prénom ? ».
« J’ai entendu tes potes t’appeler Jérémie… ».
« Et toi, tu t’appelles comment ? ».
« Nico… ».
« Alors tu couchais avec un camarade du lycée, Nico… ».
« Oui… ».
« Et tu ne couches plus avec ? ».
« Le lycée c’est fini, nos vies vont se séparer… ».
« Tu le kiffes vraiment… ».
« Plus que ça même… ».
« C’est un gars comme toi ? ».
« Non, c’est plutôt un gars comme toi… ».
« C’est-à-dire ? ».
« Aussi beau et bien foutu que toi… mais en brun… ».
« Ça, c’est pas possible ! ».
« Pourquoi ça ? ».
« Personne n’est aussi beau que moi ! » il fanfaronne.
« Si tu le dis… ».
« Et t’as vraiment jamais rien fait avec une nana ? ».
« Jamais… ».
« Peut-être que tu devrais essayer… ».
« Et toi, tu n’as jamais rien fait avec un mec ? » je me surprends à avoir le culot de lui demander.
« Ah, non, jamais… » il se défend, en appuyant bien sur « non » et « jamais ».
« Peut-être que tu devrais essayer… ».
« Je ne crois pas… ».
« Pourquoi pas, peut-être que tu aimerais… ».
« Je kiffe pas les mecs… ».
« Essayer, c’est aimer… ».
« Tu prends tes rêves pour des réalités… ».
« Ce ne serait pas la première fois que je fais changer de bord à un hétéro… ».
« C’est vrai ? ».
« Le mec qui s’appelle comme toi, il ne sortait qu’avec des filles avant de coucher avec moi… ».
« Mais moi je ne suis ni pd ni bi… ».
« Mais tu aimes savoir qu’on te kiffe… même si c’est un mec qui te kiffe… ».
Et là, le bogoss lâche un sourire ravageur et plein de malice qui me fait fondre.
« Trêve de bêtises, je vais y aller. Bye, mec… ».
« Bye… ».
Je regarde Jérém2 s’éloigner, je regarde son dos nu, beau comme pas permis. Je regarde sa main caresser ses abdos et ses pecs, attitude de kéké frimeur et on ne peut plus sexy.
Ce petit échange un brin surréaliste avec cette bombasse de mec me fait repenser à l’épisode du beau reubeu qui m’avait lui aussi gaulé en train de le mater. Et cette fois-ci, ça s’est passé autrement, à peu près comme dans la réalité 2.0 que j’avais imaginée plus tard, dans mon lit.
Pourquoi tous les gars ne pourraient pas réagir comme Jérém2 face à l’attirance d’un autre gars ?
Bien sûr, le résultat est le même, Jérém2 est venu me voir juste pour s’entendre dire qu’il est bogoss. Et il repart en me mettant une veste en bonne et due forme. Et pourtant, il ne s’est à aucun moment montré agressif. Juste surpris, curieux. Et, hélas, pas intéressé.
Oui, entre une réaction violente et une indifférente mais calme, le résultat est le même. Quand c’est non, c’est non. On n’a aucun pouvoir contre le NON ferme, simple et définitif d’un hétéro. Alors, à quoi bon se vexer ?
Peut-être parce que le mâle lambda a tout aussi besoin d’être flatté que d’être rassuré. Et que, par manque d’assurance, ce dernier besoin ne prend que trop souvent le pas sur le premier.
Je prends une profonde inspiration, je fais appel à toutes mes forces pour trouver le courage de me lever et aller retrouver ma cousine. La proximité avec « Jérémie 2 » m’a mis KO, ce petit échange m’a assommé. J’ai les jambes en coton, le cœur dans la gorge. La bogossitude peut-être une expérience violente
Lorsque j’arrive à notre petit campement, Elodie est enfin réveillée. Je m’allonge à côté d’elle et nous discutons. Je lui parle du petit échange surréaliste avec « Jérémie 2 », ça la fait rire et ça lui en bouche un coin. Elle n’arrive pas à croire que j’ai pu être si effronté avec ce gars. Et moi non plus. Et pourtant, je crois que ça m’a vraiment fait du bien. Ça fait un bien fou de cesser d’avoir peur.
Ce soir nous discutons longtemps sur la plage, de choses et d’autres. Avec Elodie, nous ne sommes jamais à court de sujets de conversation. La richesse de nos échanges me fascine parfois.
A un moment, nous en venons à parler des souvenirs de notre enfance. Depuis quelque temps, nous parlons régulièrement de notre enfance. C’est peut-être le signe que nous sommes en train de grandir. On passe les quinze premières années de notre vie à vouloir sortir de l’enfance et le restant de notre existence à rêver d’y revenir.
Notre discussion se poursuit comme un flot incessant, alors que la plage se vide peu à peu. Nous discutons jusqu’à sentir les rayons de soleil faiblir et la caresse du vent se rafraîchir. Nous discutons jusqu’à ce que l’appétit nous rattrape. Ce soir-là, nous allons chercher des pizzas que nous ramenons sur la plage et que nous mangeons à même nos serviettes, devant un coucher de soleil estival aux couleurs magnifiques.
Le lendemain, le temps est maussade. La météo annonce un temps pluvieux et froid pour les jours à venir. De plus, Elodie semble pressée de rentrer. A 14 heures, nous quittons le parking de la résidence pour aller retrouver Toulouse.
Nous traversons Gruissan en direction de l’A9. Nous nous arrêtons à un premier feu rouge, puis à un deuxième. Des piétons traversent sur les passages cloutés juste devant nous.
Et là, mon cœur s’emballe d’un coup. C’est lorsque, parmi les piétons, je reconnais « Jérémie 2 », avec un t-shirt noir du meilleur effet. Je regarde mieux, mais oui, c’est bien lui, et il est accompagné par ses potes du match de beach volley de la veille, tous armés de sacs de plage. L’un des potes tient un ballon sous le bras.
Comme quoi, si le temps maussade a de quoi en décourager certains d’aller à la plage, il ne peut rien contre la détermination d’une bande de bogoss bien vigoureux.
Soudain, j’ai envie de descendre de la voiture, de les suivre, d’assister à ce nouveau match qui s’annonce, j’ai envie de revoir leurs corps de dieux grecs bondir sur le sable, plonger dans la mer, puis refaire surface, ruisselants d’eau.
Le dernier pote vient de quitter le passage piéton et le feu passe au vert. Je les regarde s’éloigner en direction de la plage. C’est la dernière fois que je le vois. Adieu magnifique petit con blond, nos destins ne se sont croisés que l’espace d’un match de beach volley, de quelques échanges de regards, et d’une petite conversation qui m’a fait comprendre qu’il existe des gars, comme toi, qui ne sont pas vexés par les regards d’autres gars, même s’ils n’ont pas envie de coucher avec. Au revoir « Jérémie 2 », prends soin de toi. Et au revoir aussi le petit brun du premier jour qui jouait dans l’eau avec tes potes. Au revoir à tous les mecs à Gruissan, à ces inconnus qui m’ont offert des frissons intenses, qui ont provoqué des frustrations tout aussi brûlantes, à ceux qui ont mis en route le tambour de machine à laver dans mon ventre, à tous ces gars qui m’ont fait sentir vivant.
Sur l’autoroute, le temps est carrément à la pluie. Mon moral descend un peu plus bas à chaque sortie d’autoroute, à chaque kilomètre. Il prend un sacré coup lorsque je lis « Toulouse » sur un panneau.
Pendant le séjour à Gruissan, j’avais commencé à croire que le deuil de ma relation avec Jérém avait commencé, et qu’il était en bonne voie. Mais, au fur et à mesure que nous nous approchons de Toulouse – et que je commence de me projeter dans un futur imminent où ma cousine ne sera plus avec moi H24 – je réalise que ma « guérison » n’était qu’illusoire.
Je réalise aussi que je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis une semaine. Je savais que je n’en aurais pas, mais ce n’est pas pour autant que le constat est moins dur. Jérém me manque toujours, il me manque horriblement.
Lorsque nous passons la sortie Villefranche de Lauragais, la dernière avant Toulouse, je me sens envahi par le désespoir, la nostalgie, la tristesse, la solitude.
Jamais depuis que nous avons commencé à coucher ensemble, je ne suis resté aussi longtemps sans le voir. Est-ce que je vais le revoir, un jour ?
Lorsque nous arrivons au péage à Toulouse, la pluie s’est arrêtée de tomber. Des lames de lumière transpercent obliquement les nuages et s’enfoncent dans le sol.
Nous roulons sur le périph lorsque je repense à Stéphane. Et lorsque je repense à Stéphane, je ressens en moi une soudaine envie d’aller vers l’avant.
Dès mon retour à la maison, je vais lui envoyer un sms.
Commentaires
ZurilHoros
23/06/2020 08:16
C’est un des plans les pires que Nico à vécu jusque là. Ca calme. C’est aussi la première fois que je lis « encule ». Un mot rare voir exceptionnellement rare dans « Jérém&Nico »
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