JN01040 Bac, jour 3 : L’Histoire-Géo, la Physique-Chimie, et une rencontre inattendue
Le mercredi, Jérém se pointe au lycée avec un simple t-shirt noir fabriqué dans un coton stretch tout fin. Chacun des muscles de son dos, de ses pecs, de ses abdos, de ses épaules, chacun de ses mouvements sont épousés au poil par les fibres.
Une fois dans la salle, devant ma copie, je me demande comment se passe le bac pour lui. Lundi, je n’ai même pas pensé à lui demander comment s’était passée la philo et depuis, nous ne nous sommes même pas adressé la parole.
Je suis encore contrarié par son départ précipité de la veille, mais cela ne m’empêche pas de recommencer à espérer qu’il aura envie d’une petite « révision » entre midi et deux, entre l’histoire-géo du matin et la physique-chimie de l’après-midi. Ou bien après cette dernière, en fin de journée.
Pas difficile d’imaginer ma déception lorsqu’à midi je le vois partir déjeuner avec d’autres camarades, lorsque je le vois m’ignorer tout simplement. Mais une nouvelle déception m’attend en fin d’après-midi, encore plus cuisante : elle m’envahit lorsqu’il dépose une nouvelle fois sa copie une demi-heure avant la fin du temps imparti, lorsqu’il passe à côté de moi sans le moindre signe à mon égard, en frôlant au passage mon bras avec le bas de son t-shirt moulant, en vrillant mes narines et jusqu’à mon dernier neurone avec la trainée de son déo de jeune mec.
Oui, je suis déçu, frustré, assommé. Après avoir passé la journée à me brûler les yeux avec sa tenue sexy, je n’en peux plus, j’ai trop envie de lui.
J’attrape ma copie de physique-chimie, qui aurait pourtant besoin d’une dernière relecture, et je l’amène direct au bureau des surveillants. Je sors de la classe avec un pas calme, du moins en apparence. Dans le couloir, mon allure change du tout au tout, je me lance fébrilement sur la piste de mon Jérém.
Mais le bobrun a pris de longues secondes d’avance, et il n’est déjà plus dans le couloir, il doit être déjà dans la rue. J’avance très vite, mais je stoppe net, avec toujours l’impression de produire un bruitage de dessin animé, lorsque je le vois sortir des chiottes du rez-de-chaussée et se diriger rapidement vers la sortie du lycée.
Jérém ne m’a pas vu, il continue sur sa lancée. Je me lance à ses trousses, je finis par le rattraper, je ne peux pas le laisser partir comme ça.
Et là, subjugué parle vertige que m’inspire ce mec, en prenant sur moi pour vaincre ma timidité maladive, la voix étranglée par le trac et la peur de me faire jeter, bégayant à moitié, j’arrive à lui lancer :
« Salut… ça s’est b… bien p… passé ? ».
« Ça s’est passé » il me lance froidement, sans s’arrêter de marcher, sans me regarder.
Je suis essoufflé d’avoir presque couru pour le rattraper, je suis assommé par son attitude distante, j’ai les jambes sciées. J’inspire un grand coup, et je me lance:
« Je… je… Jérém… ».
« Quoi ? » fait-il sèchement, toujours sans me regarder.
« Ça te dit pas une petite révision ? ».
« On n’a plus rien à réviser ! » il lâche, en tournant enfin les yeux vers moi, en me percutant avec un regard dur et distant.
« T’as pas envie ? ».
« Non… ».
« T’as pas aimé lundi ? ».
« Fiche-moi la paix ! ».
Et ce disant, il cache ses yeux bruns derrière ses lunettes noires, il accélère un peu plus son allure et me laisse là, en plan.
Abasourdi et humilié par son refus net et précis, je reste ainsi planté devant la façade du lycée, comme un con, jusqu’à le voir disparaître dans la rue Gambetta.
Pendant un instant, j’ai envie de lui courir après, de laisser parler ma frustration, ma déception, ma colère, mon cœur. J’ai envie de crier, de pleurer. Au lieu de quoi, je me mets à marcher, sans but précis, si ce n’est celui de calmer cette nouvelle blessure qui brûle en moi.
Oui, j’ai besoin de marcher pour évacuer tout ça. Pas facile, alors qu’à chaque pas la présence de mon beau mâle brun se fait sentir dans mon corps, entre mes fesses, souvenir encore bien vif des passages de sa queue deux jours plus tôt. L’amour avec Jérém est la drogue la plus puissante qui soit. Je suis en manque, et le sevrage s’annonce long et difficile.
J’ai mal dans mon corps, j’ai mal dans mon cœur, je suis déboussolé. Je marche un pas après l’autre, sans direction précise. Mon circuit aléatoire m’amène à remonter la rue de Metz, jusqu’à l’esplanade de la Cathédrale de St Etienne.
C’est peut-être mon inconscient qui m’y a amené, car cette place est l’un des endroits de Toulouse que je préfère, avec ses espaces verts, sa pelouse, ses arbres, avec de nombreuses terrasses de cafés et de restos animées à longueur de journée, notamment à la belle saison.
Cette place est comme une sorte de grand jardin où des Toulousaines et les Toulousains viennent flâner, pique-niquer, lire, écouter de la musique, partager un bon moment, faire une petite sieste, profiter de l’ombre offerte par les arbres qui entourent cet espace de verdure. C’est un espace marqué par la présence de la Cathédrale, cette construction imposante et atypique, si hétéroclite et pourtant si esthétique.
Oui, j’ai toujours aimé ce quartier, car il respire la « dolce vita » à la sauce toulousaine. Dès qu’on y arrive, on a envie de se déchausser et de s’allonger sur l’herbe, exactement comme sur une plage.
Et c’est d’ailleurs ce que je fais: je trouve un carré de pelouse à l’ombre d’un arbre, je me déchausse, je pose mes chaussettes, je m’allonge, je plie mes genoux, je pose mes pieds nus bien à plat sur la pelouse douce et fraîche. J’essaie de me détendre, j’essaie d’évacuer l’amertume qui me prend à la gorge.
L’effort du maintien du poids de mon corps désormais confié à la portance du sol, mes énergies sont désormais libérées pour faire le vide dans ma tête. Ça ne paraît pas comme ça, mais il faut une sacrée énergie pour arriver à ne penser à rien.
Je respire profondément une, deux, plusieurs fois. Mon odorat est ravi par les odeurs d’herbe, de terre, de sève. Mon ouïe est bercée par le piaillement de quelques petits oiseaux cachés quelque part dans les frondes des arbres, ainsi que par le bruit de fond engendré par les Toulousains en mode pré-vacances.
La caresse légère du vent d’Autan semble parler de l’insouciance des beaux jours, comme un petit avant-goût des plages chaudes de Narbonne et de Gruissan, des vagues puissantes de Biarritz et St Jean de Luz, des longues soirées d’été autour de l’apéro et des grillades, entourés par les potes.
Je reste allongé dans l’herbe pendant un bon bout de temps, et je finis par m’assoupir. Mais mon petit somme est vite interrompu par un événement imprévu, un imprévu survenant sous les traits et avec la fougue d’un labrador noir au collier rouge sorti de nulle part et venu direct me lécher les oreilles.
Je reviens à moi en sursaut. Mais dès que je réalise ce qui se passe, je trouve la situation drôle. Je relève mon buste et je commence à caresser le gros bébé foufou. Plus je le caresse, plus je ressens une sensation de calme gagner mon esprit.
« Gabin, au pied ! ».
En entendant la voix sonore de son maître, le toutou repart le rejoindre en courant. Je regarde dans la direction où le chien a détalé et je vois un mec en train d’accrocher une laisse au collier du labranoir.
Un instant plus tard, le labra et son maître s’approchent de moi, le premier réglant son pas sur celui du second.
Le mec a quelques années de plus que moi, autour de 25 ans je dirais. Il est assez grand, ses jambes sont poilues et plutôt musclées, le gars doit faire du sport. Ses cheveux châtains sont laissés en bataille, et une petite barbe naissante habille un visage rond. Le mec est habillé très simplement, avec un t-shirt marron clair, un short noir très sobre, des claquettes.
Sous son t-shirt, qui est plutôt une taille au-dessus et qui ne porte pas de marque, je devine quand-même une jolie carrure.
« Tu vas bien ? » me lance le type, en arrivant près de moi, tout en accompagnant ses mots par un beau sourire, un sourire lumineux, attachant. Ses yeux noisette sont très doux, et contribuent à donner à son visage ce petit côté « nounours » qui le rend plutôt craquant.
« Oui, oui, ça va… ne vous inquiétez pas… ».
« Je suis désolé, je n’aurais pas dû le lâcher… » il insiste, tout gentil.
« J’aime les chiens… j’ai toujours rêvé d’en avoir un… ».
« D’habitude il reste avec moi, c’est la première fois qu’il déguerpit comme un fou pour aller embêter quelqu’un… ».
« Ca fait rien… ».
« Je l’ai appelé, mais il n’a rien voulu entendre… encore désolé… ».
« Ce n’est rien, vraiment… ».
« Il t’a sali ? ».
« Même pas ».
« Au fait, moi c’est Stéphane » il enchaîne.
« Enchanté Stéphane, moi c’est Nico ».
« Enchanté Nico. Et lui, c’est Gabin… ».
« Bonjour Gabin ! » je lance, à l’attention du toutou, avant de m’adresser à son maître : « vous avez de la chance d’avoir un si beau chien ».
« J’aimerais bien que tu me tutoies… » il me lance.
« Avec plaisir… ».
« Pour m’excuser, je t’offre un verre … » il me lance.
« Vous n’êtes pas obligé… ».
« On avait parlé de se tutoyer, non ? ».
« Ah oui… tu n’es pas obligé ».
« J’insiste… ».
« D’accord… si tu veux… ».
« Je te proposerai bien de nous installer dans un bar, mais avec le chien ça va être compliqué. Je te propose de prendre un verre chez moi, si ça te va. Je n’habite pas très loin ».
Son invitation me met un tantinet mal à l’aise : le gars doit s’en rendre compte, car il me balance, sur un ton à la fois taquin et charmeur :
« T’inquiète… je te trouve mignon, mais je te drague pas… enfin… pas encore… ».
J’adore son attitude à la fois cash et bon enfant. J’adore son naturel souriant, cette gentillesse qui me fait fondre.
Ce qui ne m’empêche pas de me poser un certain nombre de questions. Est-ce qu’il dit vrai ? Est-ce qu’il me trouve vraiment mignon ? Est-ce qu’il rigole ? Est-ce qu’il pourrait me draguer ? Est-ce qu’il est déjà en train de me draguer ? Est-ce qu’il a l’intention de me draguer ?
Je n’en sais rien. Le fait est que le gars a l’air vraiment adorable. Je me sens en confiance. Alors, je décide d’oublier ma méfiance, je décide le me laisser aller et d’accepter son invitation.
« J’habite à côté de la Halle aux Grains… ».
Pendant le trajet, Stéphane me questionne sur mes études, mes centres d’intérêt, mes passions. Il m’écoute, il sait me mettre à l’aise.
Définitivement, ce gars respire la gentillesse. Le courant passe bien, je le trouve de plus en plus sympa.
Il est des charmes qui ne se révèlent pas entièrement au premier regard, car ils ont besoin de l’œuvre d’un sourire, de quelques mots, pour déployer toute leur intensité. Oui, il est des charmes qui ont besoin d’un petit laps de temps pour nous apprivoiser.
Et là, je me sens de plus en plus apprivoisé. Elle est drôle la vie, et elle a parfois un sens de l’humour un brin tordu. Hier encore je me disais que jamais je ne pourrais rencontrer un gars comme moi dans la vie de tous les jours, que pour rencontrer un gars je serais obligé d’aller dans des bars qui ne me font pas envie. Et voilà qu’aujourd’hui, tout juste 24 heures plus tard, un gars on ne peut plus naturel croise mon existence d’une façon on ne peut plus naturelle. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant la porte d’un immeuble en briques typiques.
« Nous-y voilà… ».
Je sens mon cœur battre à tout rompre.
« Cool, mec, je vais pas te sauter dessus… je te propose juste un verre… » il se marre, adorable, en ouvrant la porte cochère.
« Pourquoi tu dis ça ? » je fais, un brin dérouté.
« Parce que tu as l’air mort de trouille… » il me lance, avec un petit sourire tout mignon.
Gabin s’engouffre dans le hall et commence à tirer violemment sur la laisse.
« Tu vois, il te montre ce que tu as à faire… ».
Il me sourit, je lui souris à mon tour. Il me tend la main, je l’attrape, j’avance d’un pas, je suis dans le hall sombre. Le labrador tire de plus en plus fort sur la laisse, Stéphane est obligé de relâcher ma main, il a besoin de toute sa force pour le maîtriser.
Nous traversons le hall, nous passons dans une petite cour intérieure. Stéphane avance jusqu’à une porte en pvc blanc.
Une fois la porte ouverte, Gabin est lâché. Et il en profite pour s’engouffrer dans l’entrée de l’appart en courant comme un barjot. Stéphane me fait signe d’entrer. Il m’emboîte le pas. Me voilà chez lui. Charmant garçon, ce Stéphane.
Laisser un commentaire