JN01033 Le dilemme de Nico
Je suis tellement surpris que je laisse échapper mon jeans. La boucle en métal de ma ceinture percute le sol en produisant un bruit aigu.
J’ai tant espéré que cela se produirait, je suis tellement heureux que j’ai envie de pleurer. C’est inespéré, et tellement bon. Comment ne pas accepter une telle proposition ?
« Ok, je reste. Il faut juste que j’envoie un message à ma mère ».
Je rattrape mon jeans, je sors mon portable, j’envoie un petit mensonge :
« Je dors chez Dimitri »
Il a bon dos Dimitri, ça fait au moins 6 mois que je ne l’ai pas vu. Si un jour ma mère tombe sur la sienne, ça va barder. Mais qu’importe, tout ce qui compte c’est qu’elle ne s’inquiète pas, et que mon portable ne sonne pas au milieu de la nuit.
Je me dessape à nouveau, je garde juste mon boxer et je me glisse sous les draps à côté de mon beau mâle brun.
Pendant une ou deux longues minutes, nous restons en silence, allongés l’un à côté de l’autre, sans nous toucher.
Puis, Jérém se retourne sur un flanc, se positionnant de dos par rapport à moi. Si c’est pour ça, à quoi bon me demander de rester ?
Mais un instant plus tard, sa main vient chercher la mienne, elle la saisit, doucement mais fermement, elle l’attire vers lui. Le message est clair, et tellement beau. Je sens ma gorge se nouer, les larmes monter aux yeux. A cet instant précis, je suis le mec le plus heureux de la Terre.
Son geste est une invitation, tout ce que je peux imaginer de plus tendre et de plus adorable. Le bogoss a donné le « la », et c’est moi qui vais écrire la suite. Mes doigts se resserrent autour des siens, mon corps pivote sur le flanc, mon torse se colle contre son dos, mes jambes contre les siennes, mon bassin contre ses fesses musclées, mes bras enlacent son torse, ma main gauche se pose à plat sur ses pecs en béton armé.
Et dans cette parfaite symphonie de bonheur, le bobrun va mettre la touche finale : sa main vient se coller sur ma main, ses jambes s’entremêlent aux miennes.
Oui, Bonheur, avec un grand « B », c’est le mot qui s’affiche dans mon esprit en lettres rouges en repensant à ce moment parfait, à cette nuit où je me suis retrouvé dans les draps de Jérém, sur sa propre demande, après une heure d’amour, et non pas juste de baise.
Dehors, le vent d’Autan souffle toujours aussi fort, le store s’agite bruyamment sous l’effet des rafales successives. Et moi, je suis bien au chaud dans ses draps. Je me sens heureux, en sécurité. La fin du monde pourrait venir, je sais que rien ne pourrait m’arriver, car je suis dans la tanière de mon bomâle, je suis enlacé à l’homme que j’aime.
Je me blottis un peu plus contre lui, je le serre un peu plus dans mes bras et j’ai l’impression que sa main se resserre un peu plus autour de la mienne. J’entends, je ressens sa respiration contre ma peau, dans ma peau, dans mon ventre, elle s’apaise petit à petit. Peu à peu, ma propre respiration se règle au rythme de la sienne.
Puis, à un moment, Jérém prend une grande inspiration. Et pendant la toute aussi grande expiration qui s’ensuit, chacun de ses muscles semble se relâcher, se décrisper. Cette longue expiration ressemble à un soupir de bonheur, comme si tant de tensions venaient de lâcher d’un coup, comme si ce contact avec mon corps lui faisait tout autant de bien qu’à moi.
Si je me retiens de pleurer, c’est au prix d’un effort surhumain. Je suis touché, ému comme jamais je ne l’ai été. J’ai envie de lui faire encore plus de câlins, de lui montrer que je suis là et qu’il peut se laisser aller. J’ai envie de lui parler, de savoir ce qui se passe dans sa tête à cet instant précis, de le rassurer.
Et en même temps j’ai l’impression que tout mot serait inutile. Ce qui vient de se passer est juste inouï et je ne veux surtout pas gâcher ce moment parfait avec une discussion qui ne ferait que casser la magie. Parfois, il est inutile de vouloir mettre des mots sur tout.
De toute façon, je sens que Jérém n’est pas prêt à s’ouvrir à moi, pas encore, pas cette nuit. Si je commençais à le questionner, si j’essayais de forcer son intimité, je n’obtiendrais que de le mettre en pétard, et ça serait tout juste bon pour me faire jeter.
Maintenant que j’ai enfin la preuve que mon bobrun est « humain », je commence à imaginer qu’il me laissera rentrer un peu plus dans sa vie, qu’il me permettra d’accéder à son jardin secret. Ainsi, je me surprends à rêver que ses mots sans appel : « Le bac c’est lundi, les révisions c’est fini… » ne soient plus d’actualité.
Si notre relation évolue comme cette nuit laisse l’espérer, il y aura d’autres occasions pour parler, elles viendront naturellement, quand ce sera le moment, quand il sera prêt.
Je m’emballe, j’ai envie d’y croire, de croire que ce qui s’est passé cette nuit, depuis son irruption dans les chiottes du Shangay, jusqu’à ce que sa main se pose sur la mienne dans cette étreinte sous la couette, que tout cela est le début d’une nouvelle phase de notre histoire, la fin de la baise et le début de l’amour.
J’ai envie d’y croire, j’ai besoin d’y croire. Et j’ai besoin de faire taire cette petite voix au fond de moi qui me dit que ce que je suis en train de vivre ne survivra pas à cette nuit magique. Que, dès demain, cette carapace qui s’est un peu fendillée sous l’effet de plusieurs émotions, d’un cheminement intérieur dont j’ignore à peu près tout, sera à nouveau intacte.
Oui, j’ai besoin de faire taire cette petite voix qui me dit qu’à la lumière du jour, son insupportable et ô combien sexy arrogance de jeune coq sera de retour, qu’il va regretter cette faiblesse d’un instant. Et, surtout, qu’il va regretter de m’en avoir rendu témoin. Une partie de moi semble persuadée que cet état de grâce n’est qu’une parenthèse heureuse, comme un passage de comète.
Alors, en attendant, je profite de l’instant magique. Je m’enivre du contact avec sa peau, de cette chaleur qui chauffe mon corps et mon cœur, de la prise de sa main qui enferme la mienne, de la douceur de ses cheveux.
Je m’enivre de lui, je plane. Je me réjouis pour ce que je viens de vivre : Jérém qui me fait l’amour, Jérém qui me demande de rester dormir avec lui, qui veut que je le prenne dans mes bras. Jérém perdu, touché, touchant, ému, émouvant.
Et j’oublie tout le reste. La meilleure façon de jouir de cet instant magique, c’est de me concentrer sur le présent, sans me demander si Demain saura tenir les promesses de cette Nuit.
En écoutant sa respiration, je réalise que Jérém vient de s’endormir. J’ai envie de lui faire un million de câlins, mais je me contente de savourer cet instant d’intense bonheur. Très vite, la fatigue me gagne, et je m’endors à mon tour.
Lorsque je reviens à moi, un peu plus tard dans la nuit, réveillé par une violente rafale de vent d’Autan faisant claquer le volet roulant, un autre bonheur m’attend. A cet instant, ce n’est plus moi qui tiens Jérém dans mes bras, mais bien le contraire. Son torse enveloppe le mien, ses jambes sont imbriquées aux miennes, son visage est enfoui dans le creux de mon épaule.
C’est tellement bon de me sentir protégé par ce corps puissant, de me sentir enserré par ses bras, bercé par sa respiration, apaisé par la chaleur et l’odeur de sa peau. C’est tellement bonde me sentir si proche de lui, si proche de son cœur. Je me sens comme un chaton dormant dans le panier à linge de son propriétaire, comme un labrador couché sur les vêtements abandonnés à terre par son maître. Sa présence, le contact avec son corps me rassurent, me font du bien.
Là, vraiment, il ne peut rien m’arriver. Je suis tellement heureux que je ne voudrais pas me rendormir, je voudrais veiller et retenir cette nuit magique. Hélas, on ne retient pas la nuit.
Lorsque j’ouvre à nouveau les yeux, la lumière du jour arrive à s’infiltrer dans la pièce par les petits espaces entre les lattes du store. Jérém a changé de position, il ne m’enlace plus. Il est là, juste à côté de moi, tourné sur le flanc, vers moi, une main entre la tête et l’oreiller. Il est profondément endormi, beau comme un enfant. Sur son visage, une expression douce et apaisée.
J’adore le regarder dormir. Quand il dort, mon bobrun est là, entièrement avec moi, en corps et en esprit. Pendant qu’il dort, il ne fait pas des trucs que je ne voudrais pas qu’il fasse, il ne pense pas à des trucs auxquels je ne voudrais pas qu’il pense. Pendant qu’il dort, il ne dit pas des mots qui pourraient me blesser, il ne peut pas me faire souffrir, je ne suis pas jaloux, je ne suis pas angoissé, je suis bien.
Tout a été parfait cette nuit. Il n’y a qu’un truc qui pourrait gâcher cette perfection : le matin. Ce « morning after » m’angoisse. Dans quelles dispositions sera-t-il au réveil ? Comment renouer avec la magie de ces instants incroyables, tout en évitant la fausse note qui fera tache ?
Comment va-t-il ressentir ma présence au réveil ? Est-ce qu’il va être heureux de me retrouver là, ou bien ma présence lui sera-t-elle insupportable ? Est-ce qu’il aura juste envie que je me tire ?
Tout un ensemble de questions qui, à bien regarder, se résume en une seule et unique : est-ce qu’il vaut mieux que je reste jusqu’à qu’il se réveille ou bien, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux partir avant son réveil, en laissant un mot simple ?
« J’ai dû rentrer, merci pour cette nuit ».
Non, là tu en fais trop, Nico.
« Je suis rentré ».
Ça, il va le voir tout seul.
« On s’appelle ».
Ça, c’est présumer de ses envies.
Alors, quoi d’autre ? Pas de mot du tout ? Comment va-t-il prendre mon absence ? Avec soulagement ? Est-ce qu’il va être déçu et m’en vouloir ?
Alors, quoi faire ? Rester, en essayant de renouer avec la tendresse et la sensualité ? Partir, en laissant intacte la beauté de la nuit passée ?
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