JN01031 Drôle de soirée pour Nico
Samedi 9 juin 2001, le week-end avant le bac.
Le samedi matin je dors jusqu’à tard. En faisant le ménage dans ma chambre, j’écoute du Madonna. De Material Girl à Vogue, de la Isla Bonita à Express Yourself, de Borderline à Justify My Love, la voix de ma copine de toujours est la seule à avoir le pouvoir de me secouer (un peu) de ma morosité. Sa voix est cette voix qui a le pouvoir d’allumer en moi une petite lumière d’espoir, même dans les jours les plus sombres.
Dans l’après-midi, je sors prendre un verre avec Elodie. J’aime vraiment ma cousine. Elle me fait rire. C’est comme une grande sœur. C’est ma meilleure amie. C’est le grand pote que je n’ai jamais eu. Elle a tout juste trois ans de plus que moi, mais elle a toujours été là pour moi. Elodie est la personne qui me connaît le mieux au monde, presque mieux que moi-même, et à qui je peux tout dire sans peur d’être jugé.
Ce samedi, mon moral est au plus bas et je n’arrive pas à cacher ma tristesse et ma déception.
« Allez, Nico, crache le morceau ! ».
Quand je ne vais pas bien, elle le sent, elle le sait. Et elle me secoue autant que nécessaire.
« Le bac c’est la semaine prochaine, et je ne sais même pas si je vais le revoir… il m’a carrément dit que les révisions, c’est fini… ».
« Mais tu t’attendais à quoi, Nico ? Ce mec a 19 ans, il est beau comme un Dieu, il peut avoir n’importe qui dans son lit. Il charme, il baise, il quitte, autant qu’il en a envie. Et si tu n’as pas encore compris ça, tu vas avoir mal longtemps… ».
« Fait chier… ».
« Mais tu attendais quoi de lui, au juste ? Des baisers fougueux, des déclarations d’amour ? Des fleurs pour la Saint Valentin ? Qu’il oublie les nanas, qu’il se promène avec toi dans la rue, main dans la main ? ».
« Pas tant, pas tant, mais… ».
« Mais Nico, réveille-toi ! Ce mec a voulu coucher avec toi, mais il ne voudra jamais être avec toi. Ce mec n’est pas un mec pour toi. Si tu veux être bien avec un mec, il te faut un gars comme toi, un gars qui s’assume, bon sang ! Oublie un peu ce petit con et vis ta vie ! Sors dans le milieu, et rencontre des mecs ».
« Je n’ai pas envie de sortir dans des bars pour draguer… ».
«Tu es beau garçon, mon cousin, je suis sûre que tu ferais des ravages… ».
« Tu parles… ».
« Si, j’en suis certaine. De toute façon, tu dois te mettre le cœur en paix, ce n’est pas avec Jérém que tu auras une relation stable et apaisante ».
« Si tu savais comme je l’ai dans la peau ».
« Ah, si, si si, je le sais, je le vois même ».
« Je ne peux pas me passer de lui ».
« Tu sais au moins ce qu’il va faire, lui, cet été ? ».
« Non… ».
« Tu vois ? Alors, vis ta vie, comme lui il vit la sienne. Surtout ne l’attends pas. Car tu pourrais attendre très longtemps, et attendre pour rien ».
Je sais qu’elle a raison, sur toute la ligne.
« Alex et Joffrey m’ont proposé de sortir au Shangay, à Rangueil, ce soir. Tu connais ? ».
« Non, je ne connais pas… ».
« Alors viens avec nous. Une bonne petite sortie avec ta cousine, ça ne peut pas te faire de mal. On prend un verre à la Bodega, et puis on file danseeeeer ! ».
Là aussi elle a raison, sortir en boîte m’évitera de passer la soirée à broyer du noir.
Ce soir-là, je me retrouve à la Bodega, en train de prendre un verre avec ma cousine et ses potes. Je ne connais pas cet endroit non plus, et il faut admettre que son ambiance rustique, sa déco « tout en bois » de comptoir espagnol est plutôt originale.
Assis devant de nos boissons, nous discutons de tout et de rien. Et alors que je mate les bogoss qui défilent aux abords du comptoir, mon regard est soudainement attiré par un mec en particulier, un jeune rugbyman qui ne m’est pas inconnu.
De dos, de trois quarts, t-shirt noir enveloppant son beau physique massif, voilà Thibault, le meilleur pote de Jérém. Et si Thibault est là…
Thibault est rentré dans mon champ de vision et mon cœur est sur le point de bondir de ma poitrine. Désormais, tout ce qui se passe, se dit, se fait à ma table passe complètement à l’arrière-plan de ma conscience, je ne suis plus qu’un radar balayant l’espace à la recherche de l’objet de mon désir.
Je suis tout excité, je ne tiens plus en place, j’ai l’impression que ma tête enchaîne les tours complets, comme un périscope.
Et puis, l’attente prend fin. Je le vois apparaître dans la lumière tamisée du pub, arrivant de je ne sais pas où, avec son allure nonchalante et « bien mec », une bière à la main. Mon cœur s’arrête de battre, le malaise me guette.
Une fois de plus, il est habillé d’un t-shirt « blanc-aveuglant »qui lui va comme un gant, avec col en V découvrant une assez vaste portion de ses pecs, et sa chaînette de mec ; une fine couche de coton tendue sur sa plastique de fou, derrière laquelle ses tétons pointent malicieusement.
Inutile de préciser que les manchettes dudit t-shirt semblent avoir été coupées sur mesure tant elles moulent ses biceps à la perfection, tout en retombant juste au-dessus de son brassard sexy.
Habillé de ce simple t-shirt, je le trouve presque aussi sexy que s’il était torse nu, voire davantage. Je le regarde et je m’imagine déjà en train de soulever tout doucement ce petit bout de coton, je m’imagine en train de sentir, de humer l’odeur tiède de sa peau.
Pour parachever le tout, Jérém porte un beau jeans taille basse mettant en valeur son cul bien rebondi, ainsi que des baskets de marque de couleur rouge.
Je le regarde évoluer avec ses potes, je bois ses sourires, ses attitudes de jeune mâle bien installé dans sa meute. Force est de constater que, même entouré d’autres gars tous aussi bien gaulés les uns que les autres, on ne voit que lui. Car, au-delà de sa beauté masculine hors normes, mon bobrun dégage quelque chose de magnétique et de terriblement sensuel.
Et le fait de connaître sa sexualité, de connaître l’ivresse qu’elle procure, cela rend le fantasme bien réel, et ne fait qu’amplifier encore le désir.
Jérém est là, tout va bien pour lui, il trace sa route loin de moi, sans se poser la moindre question, sans se soucier le moins du monde de ce que je ressens.
Ainsi, le voir évoluer à quelques mètres de moi, en étant coincé à la table avec Elodie, Alex et son Joffrey, c’est une véritable torture.
Je donnerais cher pour pouvoir appuyer sur un bouton et faire disparaître tout le monde, pour rester seul avec Jérém, pour me mettre à genoux devant lui, pour le prendre en bouche, pour me cogner le front contre ses tablettes de chocolat cachées sous le coton doux de son t-shirt blanc…
Elodie a dû se rendre compte de mon petit manège car elle finit par me glisser discrètement :
« Qu’est-ce qui t’arrive, Nico ? ».
Toute prise dans la conversation avec ses potes, elle n’a pas vu Jérém évoluer quelques mètres derrière son dos. Je la mets au jus avec un simple mouvement du menton.
« Tu te calmes, cousin… De toute façon on ne va pas tarder à bouger… ».
J’essaie de finir mon verre tout en me forçant à ne plus mater Jérém et à prendre part à une conversation dont je me fous éperdument.
J’essaie mais je n’y arrive pas. Très vite, mon regard échappe à ma « surveillance » pour tenter d’étancher sa soif de sa présence.
Trop tard, le bobrun a disparu. Thibault n’est plus là non plus, la plupart de ses potes de rugby se sont également envolés. Ils ne sont pas tous partis, quand même ?
Soudain, je me souviens qu’Elodie m’a dit en arrivant qu’il y a une salle avec des billards dans ce pub. Peut-être que les mecs sont planqués là-bas.
Ma cousine commence à remuer son sac à main, signe qu’elle va bientôt se lever pour partir. Mais avant, j’ai besoin de partir aux toilettes : rien de tel qu’une bière pour m’y envoyer en un temps record.
Une minute plus tard, alors que je viens de sortir d’une cabine, la porte des chiottes s’ouvre, laissant entrer le son de la salle. Et ce putain de t-shirt blanc qui me rend dingue !
Le bogoss se tient là, devant moi, son corps sculpté remplissant mon champ de vision et mon esprit. La vision rapprochée du bogoss au t-shirt aveuglant me coupe le souffle. Vu de près, mon Jérém est encore plus beau que de loin.
La barbe de quelques jours est bien taillée, le brushing est impeccable, la finition du col du t-shirt comme collé à la peau, la peau mate, chaude sent la douche fraîchement prise, tout en dégageant un petit parfum entêtant.
Quant à son regard, c’est un faisceau laser intense, profond, brun, perçant, un regard qui me défonce l’esprit tout comme son corps défonce le mien. Le bogoss me toise, comme souvent avant la baise. Ça ne dure peut-être qu’un instant, mais j’ai l’impression que ce moment s’étire pendant une éternité. Et dans mon esprit refait surface l’image de son corps en train de transpirer pendant qu’il me baise. Je vais tomber raide…
Un petit sourire coquin monte au coin de ses lèvres, et c’est sexy, sexy, sexy, mon Dieu !
« T’es là, toi ? » il finit par me lancer.
« Bah, oui, c’est la première fois que je viens… c’est… ma cousine… qui… qui m’a amené… ».
Je commence à transpirer et j’ai l’impression que plus mon malaise me gagne, plus son sourire coquin prend de l’ampleur. Ses yeux sont remplis d’une sensualité presque animale. Il sait de quoi j’ai envie. Je suis sûr qu’il a envie de la même chose. Et pourtant, je crois qu’il trouve tout jouissif avant tout le fait de voir à quel point j’ai envie de lui. Oui, le bogoss se rend bien compte de l’effet de malade qu’il me fait et ça l’amuse, ça le flatte.
« Qu’est-ce que vous faites après ? » il me demande.
« Nous allons aller au Shangay… ».
« Nous on va au KL. Bye, alors… » il répond, sur un ton détaché, avant de tracer au fond des toilettes et se poster devant une pissotière.
« Bonne soirée… » je m’entends lui lancer, connement.
Je reste là, planté devant le lavabo, en le regardant dans la glace en train de défaire sa ceinture, d’ouvrir son froc, en écoutant les petits bruits de l’intimité masculine, le cliquetis de la boucle de la ceinture, le crissement du cuir, le glissement du tissu sur la peau ou sur un autre tissu.
Le simple fait d’imaginer Jérém en train de se tenir sa queue entre les doigts à quelques mètres de moi me fait un effet de dingue, un effet décuplé lorsque j’entends son jet puissant percuter la cuvette.
Et si le Nico de raison ne cesse de marteler qu’Elodie m’attend pour partir, le Nico de désir crève d’envie d’aller rejoindre Jérém et de lui proposer un petit détour dans une cabine.
Personne n’est rentré dans les toilettes après lui, nous ne sommes que tous les deux. Mais mes jambes sont comme tétanisées par la peur et je n’arrive pas à faire le moindre mouvement. Le temps me semble comme arrêté, j’ai l’impression que je me suis transformé en statue de marbre et que plus jamais je ne bougerai de là.
Et puis le bruit du jet finit par s’estomper, j’entends le cliquetis de la boucle de ceinture en train d’être rattachée. Le cliquetis, c’est mon déclic, je me décide enfin à quitter les toilettes.
Quelques minutes plus tard, je suis en voiture avec ma cousine et ses potes, en direction du Shangay.
« Putain, qu’est-ce qu’il peut y avoir comme bogoss, ce soir ! » s’exclame Elodie, lorsque nous débarquons dans la grande salle.
Le Shangay, en bref : de la jeunesse, de la Techno, encore de la jeunesse, des lumières, toujours de la jeunesse, de l’alcool, surtout de la jeunesse. Et putain, quelle jeunesse !
Ce soir, on dirait que tous les beaux mecs de Toulouse ont sorti leurs plus beaux t-shirts et leurs plus belles chemises ajustées de leurs placards pour se donner rendez-vous dans cette boîte.
Décidemment, la bière ne me réussit pas, il faut encore que j’aille pisser.
Je viens tout juste de rentrer aux chiottes, lorsqu’un mec sort de l’une des cabines. Il a des cheveux châtain clair en bataille, des yeux gris, il n’est pas très grand mais il a avec un joli physique très bien proportionné.
L’ouverture sur trois boutons de sa jolie chemise blanche offre une large vue sur un torse finement poilu. Les manches sont approximativement retroussées. Et alors que l’un des pans est rangé de travers dans le jeans, l’autre retombe en vrac par-dessus. Le mec a l’air de ne pas avoir sucé que des glaçons, et il a un regard du genre pas commode. Le fait est que, plus il approche, plus je le trouve sexy.
Alors, bien qu’ayant flairé le danger (à croire que ma frayeur avec le reubeu au KL quelques mois plus tôt ne m’a pas vraiment servi de leçon), je ne peux m’empêcher de tourner carrément la tête lorsqu’il passe à côté de moi.
C’est là que je sens son regard sauvage s’enfoncer profondément dans le mien. Je détourne mes yeux, je continue d’avancer vers le fond des toilettes, mais c’est trop tard.
« Eh, toi… » je l’entends me lancer sur un ton plutôt agressif.
Je me retourne et je découvre le mec planté au milieu de l’espace des lavabos, le regard et l’attitude bien bagarreurs.
« Moi ? » je fais semblent de m’étonner
« Oui, toi… tu veux ma photo ? » il me balance, l’air bien bourrin.
Putain, ce regard noir qu’il me lance avec ses yeux clairs : le mec est clairement éméché, énervé. Et sexy à mourir !
C’est là que je commence à avoir peur, car je le sens très proche d’une réaction épidermique et violente.
« Je … je… je… croyais que vous étiez quelqu’un d’autre… » je tente de faire diversion.
« C’est pas plutôt que t’es une tarlouze ? ».
« Mais non, suis pas pd, moi… ».
« Pourquoi, tu crois que j’en suis, moi ? ».
Je le vois monter encore en pression.
« Non, non, je voulais juste dire que je n’en suis pas, c’est tout… ».
« C’est ça, à d’autres ! T’es une petite pédale qui aime la bite, hein ? ».
« Vous vous trompez… ».
« Je vais te péter la gueule… » il me balance, tout en avançant vers moi, le regard rivé dans le mien, soufflant comme un taureau prêt à charger.
Comment vais-je pouvoir éviter de me faire taper sur la gueule ? Pourquoi personne ne vient dans ces putain de chiottes ?
« Tu l’auras cherché… ».
Le mec n’est plus qu’à cinq, trois, deux mètres de moi, je me prépare à me protéger des coups qu’il va dégainer…
…quand la porte des chiottes s’ouvre enfin, laissant, pendant une fraction de seconde, affluer la puissance des décibels de la piste. Mais pas que…
Oui, quand la porte battante s’immobilise enfin, les décibels ne sont pas la seule puissance qu’elle ait laissée rentrer, ni la plus impressionnante.
Ce corps, ce t-shirt blanc, ce regard brun en train de noircir à vue d’œil ! Je n’arrive pas à en croire mes yeux !
Soudain, j’ai envie de pleurer, pleurer de bonheur, pleurer de tendresse, pleurer non seulement parce que je commence à espérer m’en sortir sans trop de dégâts, mais parce que je vais m’en sortir grâce à mon Jérém.
Oui, Jérém est là ! Mais il sort d’où celui-là ? Il ne devait pas aller au KL ? Mais qu’importe, c’est tellement bon qu’il soit là ! Son arrivée me rassure, je sais qu’il ne va pas laisser le type me cogner.
Jérém est planté devant la porte d’entrée des chiottes, les jambes légèrement écartées, les deux pieds fermement vissés au sol. Ses yeux noirs n’arrêtent pas de faire des allers retours hyper rapides entre moi et le type qui veut me péter la gueule. Je crois bien qu’en une fraction de seconde, mon bobrun a pigé ce qui est en train de se passer.
Ses yeux se plissent, son torse se bombe sous l’effet d’une profonde inspiration. Les épaules bien ouvertes, le buste complètement redressé, les bras le long des flancs, un peu écartés, les poings fermés : sa carrure est encore plus impressionnante. On dirait un taureau dans l’arène en train de taper son sabot au sol, soulevant à chaque coup un petit nuage de poussière.
« Eh du con… ! » je l’entends lancer sur un ton fracassant.
Le mec se retourne, interloqué.
« C’est à moi que tu causes ? ».
« Oui, à toi. Qu’est-ce que tu trafiques ? ».
« On est potes, toi et moi ? ».
« Non, pas du tout… ».
« Occupe un peu de tes oignons, tu veux, mec ? ».
« Il se trouve que lui c’est mon pote, alors c’est mes oignons… ».
« T’occupe pas de ça, il vaudra mieux pour toi… ».
Devant l’insolence du type, je vois Jérém monter un peu plus en pression et approcher dangereusement de la zone rouge. Ses pecs gonflés à bloc, sa chaînette posée sur son t-shirt, il est à craquer !
Et là, il a ce geste probablement inconscient, mais d’une virilité exacerbée, presque violente, celui de soulever la manchette de son t-shirt, du côté gauche qui plus est, dégageant encore plus cet incroyable biceps et ce tatouage qui me rendent dingue.
Au travers du coton fin du t-shirt, je vois tous les muscles de son torse et de ses épaules se préparer à la bagarre. Plus que jamais, Jérém a l’air prêt à charger.
Les deux mâles se jaugent. Je réalise soudain qu’à cause d’un regard mal placé, je risque d’entraîner mon beau Jérém dans une bagarre dans laquelle il n’a rien à voir. Une bagarre qui, comme toute bagarre, peut mal se finir. Je voudrais trouver les mots pour les apaiser tous les deux, je voudrais éviter l’accrochage, je voudrais avoir le pouvoir de tout faire cesser sur le champ. Hélas, c’est bien trop tard. Je suis complètement désemparé face à la violence.
Il faudrait que quelqu’un d’autre arrive dans les toilettes pour faire diversion, mais la porte reste désespérément immobile.
L’affrontement me paraît désormais inévitable, et j’en ai mal au ventre. Je n’ai jamais encore assisté à une bagarre et encore moins à une bagarre où je serais en quelque sorte « impliqué ». Voilà une situation dans laquelle jamais je n’aurais imaginé me retrouver un jour.
Je suis vraiment inquiet pour ce qui pourrait se passer, et tout particulièrement pour Jérém, car je m’en voudrais à mort s’il lui arrivait quelque chose. Et en même temps, jamais personne ne pourra me retirer le bonheur intense de voir Jérém courir à mon secours, prêt à se battre pour me défendre.
« C’est quoi ton problème ? » fait le mec, en haussant encore le ton.
« C’est toi mon problème… » répond Jérém, sans se démonter.
« C’est un truc entre moi et lui… ».
« Tu lui fous la paix… ».
Jérém avance d’un pas vers le type. Chacun des muscles de son corps semble tendu comme une corde de violon, on dirait un fauve prêt à bondir.
L’autre non plus ne se démonte pas, j’ai même l’impression qu’il cherche délibérément l’affrontement. Il a l’air d’avoir l’alcool mauvais, l’air de ne pas avoir peur de recevoir des coups, d’avoir surtout envie d’en donner.
« Tu dégages ou ça va faire mal… » aboie le type.
« Tu lui fous la paix, un point, c’est tout… ».
« C’est quoi ton truc, tu t’enfiles cette tafiole ? ».
C’est le mot de trop. Jérém charge, le mec aussi. Ce dernier stoppe net l’élan de mon bobrun, en opposant violemment les paumes des mains aux pecs qui me sont si familiers.
Sous la puissance de l’impact, Jérém se retrouve projeté vers l’arrière et se rattrape de justesse avant de tomber. Les deux étalons se font à nouveau face, les visages empourprés et les respirations bruyantes. J’ai presque l’impression de voir de la fumée sortir de leurs narines.
La tension est palpable pendant cet instant qui semble se dilater à l’infini. Je sens que le prochain assaut va faire mal.
« T’aurais pas dû me chercher… » lance le type, sur un ton très mauvais.
Le mec charge à nouveau, il se jette sur Jérém avec toute sa puissance et sa masse. Mon bobrun arrive à esquiver le choc, avec la même souplesse et dextérité qu’il aurait esquivé un joueur de la défense de l’équipe adverse sur le terrain de rugby. Il attrape le type par l’épaule, il le force à se retourner et il le balance violemment contre une cloison.
Le bruit est assourdissant. Le visage du mec cogne si violemment contre la paroi, que son nez commence à saigner, éclaboussant sa chemise blanche.
Avec l’autre main, et avec un geste rapide comme l’éclair, Jérém attrapé le bras du gars et le replie dans son dos. Le type se retrouve ainsi immobilisé.
« Lâche-moi, putain ! ».
« Je te lâcherai quand tu te seras excusé… ».
Le mec tente de se dégager, mais Jérém le coince avec tout son corps, son bassin, son torse, ses deux mains. Le bobrun serre un peu plus encore la prise sur l’épaule du type. Une grimace de douleur se dessine sur le visage du gars, alors qu’il gigote en secouant violemment la tête, faute de pouvoir libérer ses membres entravés. Une agitation qui a pour effet d’éclabousser le t-shirt blanc de Jérém de nombreuses petites taches rouges.
« Lâche-moi, je te dis ! ».
« Tu t’excuses d’abord ! ».
« Ça va, ça va, lâche moi… Je déconnais… ».
« Je préfère ça… ».
« Lâche-moi maintenant… ».
« Tu lui fous la paix ? ».
« Oui, oui, je lui fous la paix… ».
Jérém se décide enfin à relâcher le type, il le décroche de la cloison et le repousse violemment en direction de la porte de sortie. Le mec trébuche et se rattrape de justesse. Puis, il se dirige vers la porte des toilettes d’un pas chancelant.
Mais une fois arrivé devant le seuil, il fait brusquement demi-tour et revient à la charge. Aveuglé par sa rage, il charge Jérém comme un fou. Mon bobrun esquive une nouvelle fois son assaut. Et ce coup-ci, il y va franco, il lui décroche un putain de gauche en pleine mâchoire. Le type est carrément désarçonné, il tombe.
« Tu te casses ou merde ? » hurle Jérém.
Un instant plus tard, le type se redresse, l’air complètement abasourdi. Et il quitte définitivement les chiottes sans demander son compte.
J’avais entendu en classe que Jérém s’était battu parfois. Mais je ne l’avais encore jamais vu dans cet état-là, prêt à utiliser le langage des coups pour de vrai.
J’ai toujours détesté la violence et eu une très basse estime pour les mecs qui ne savent pas s’exprimer autrement que de la sorte. Mais on a beau être pacifiste et idéaliste, il est des occasions comme celle-ci, où l’on est bien content qu’un gars avec de gros bras et une bonne paire entre les jambes vole à notre secours.
Sacré Jérém ! Je regarde son t-shirt blanc taché de sang et je n’arrive pas encore à croire qu’il se soit battu pour moi, pour me tirer de ce pétrin où je m’étais mis tout seul.
Jérém se tient là devant moi, vainqueur, triomphant, sa carrure puissante secouée par une respiration profonde. J’ai l’impression que l’adrénaline a du mal à retomber, qu’il a du mal à se calmer.
Toutes proportions gardées, l’entrée en scène de Jérém me rappelle une autre entrée en scène inattendue et spectaculaire, pendant le voyage en Espagne en première. Certes, les deux situations ne présentent pas du tout le même degré de danger. Cependant, mine de rien, c’est la deuxième fois que Jérém vient à mon secours. Est-ce que je représente donc quelque chose à ses yeux ?
Je le regarde allumer sa cigarette, tirer deux taffes dessus. Je le regarde fumer et j’ai juste envie de lui, j’ai envie de tout avec lui, envie de me retrouver seul avec lui, de le toucher, de sentir le parfum de sa nudité, envie de l’embrasser comme jamais, là, tout de suite.
Oui, il a une sacrée paire de couilles ce bobrun. Et cette paire, cette sacrée paire, cette nuit j’ai envie de les lui vider comme jamais.
« Merci… » je lâche.
« C’est un gros con ce mec… » il me répond froidement, le regard dans le vide, se dirigeant vers la sortie.
« Tu le connais ? ».
« Pas besoin de le connaître pour voir que c’est un con… il le porte sur lui…Viens, tirons-nous d’ici au cas où il ait l’idée de revenir avec ses potes… ».
Nous passons la porte battante et nous retrouvons la foule, les lumières et les décibels de la salle. J’ai encore les jambes en coton, mais je me dois de remercier l’homme qui m’a sauvé. Et je veux profiter de cette occasion bénie pour tenter d’instaurer une nouvelle complicité entre nous.
« Je peux t’offrir un truc à boire… ? » je propose.
« Naaan… t’as vu la gueule de mon t-shirt ? Je vais rentrer… ».
« Tu as de la place dans ta voiture ? ».
« On se retrouve dehors, devant l’entrée… ».
Je pars à la recherche Elodie et je la retrouve en bord de piste. Je lui explique que je vais partir plus tôt que prévu et avec un moyen de transport complètement inattendu. Evidemment, je ne me sens pas le courage de lui raconter la petite aventure que je viens de vivre.
Nous nous embrassons et nous nous enserrons l’un dans les bras de l’autre. Je lui souris pendant que je m’éloigne pour aller rejoindre « mon » mec.
Quelques instants plus tard, je suis dehors, sur le parking, dans la fraîcheur de la nuit du mois de juin. Les décibels de la sono arrivent désormais à mon oreille comme amortis, de plus en plus lointains.
Depuis tout à l’heure, la brise du soir s’est transformée en rafales puissantes. La météo l’avait annoncé : du vent d’Autan, vent de printemps, insistant, vent qui parle de la belle saison qui arrive, vent qui balaie ma peau et mon esprit et qui semble parler du temps qui avance inexorablement, du temps passé, des chemins inattendus, des chemins empruntés pour me retrouver à ce moment précis à l’extérieur de cette boîte de nuit, en train d’attendre le mec qui me fait vibrer, le mec qui va m’amener chez lui, pour que je puisse m’offrir à lui.
Je n’attends pas plus d’une minute ou deux avant de le voir sortir. Je le vois passer le sas d’entrée, je le regarde avancer avec sa démarche bien mec et ça me fait frissonner.
Jérém n’est pas seul, il est accompagné de son pote Thibault. Il rentre donc avec nous ?
« Salut… » me lance Thibault, en dégainant un sourire charmant. Putain qu’est-ce qu’il est craquant, lui aussi.
« Salut… »
J’attrape sa paluche et je me retrouve, comme à chaque fois où l’on s’est dit bonjour, avec la main broyée par sa bonne poignée de mec.
Pendant que nous avançons dans les allées du parking, le vent souffle par rafales, et les cimes des arbres bordant la route en face sont secouées dans tous les sens.
Je marche derrière les deux potes qui marchent côte à côte. Ils sont beaux tous les deux, beaux et bien virils, avec des cous, des épaules, des dos et des culs puissants. Et ils sentent tellement bon.
Depuis le temps, je devrais savoir qu’il faut éviter l’insupportable torture de marcher derrière ce genre de petits mâles au déo généreux, laissant dans leur sillage une épaisse trace olfactive qui décuple leur attrait et leur charme. Je suis tellement enivré par leurs fragrances masculines que j’arrive tout juste à capter leur conversation.
« Tu es sûr que tu as rien ? » demande Thibault, inquiet.
« Naaan, ça va… ».
« Mais c’était qui ce con ? ».
« Je sais pas, un type qui cherchait la merde. Il était torché. Mais t’inquiète, il a eu son compte ».
« Fais gaffe à toi, Jé… »
« Mais oui… » fait Jérém, en lâchant un petit sourire complice et un brin taquin.
Et, ce disant, Jérém fait un écart inattendu, il fait mine de bousculer son pote. Thibault fait mine de se rebiffer, de charger à son tour. Jérém fait un bond pour lui échapper. Mais Thibault le rattrape, il lui passe un bras autour du cou, le retient. Jérém fait semblant de vouloir se dégager à tout prix, alors qu’un immense sourire s’affiche sur son visage amusé. C’est un jeu, un jeu entre jeunes potes foufous. C’est beau cette complicité entre jeunes mecs, c’est beau à chialer !
« Salaud ! » se marre Jérém, alors qu’il arrive enfin à se dégager de la prise de son pote.
Lorsque nous arrivons à la voiture, Jérém ouvre la porte côté passager, se penche au-dessus du siège, il tend un portefeuille à Thibault. Donc, ce dernier ne va finalement pas rentrer avec nous.
Je suis content qu’on ne rentre que tous les deux, je suis heureux comme un gosse à l’idée de me retrouver seul avec le beau Jérém, surtout cette nuit, une nuit si spéciale à mes yeux. Car cette nuit, après ce qu’il vient de faire pour moi, j’ai envie de m’offrir à lui comme jamais.
« Tu es sûr que ça va aller ? T’as pas trop bu ? » revient à la charge le beau Thibault. Il est vraiment charmant ce gars, sous tout point de vue.
« Naaan, ça va, t’inquiète… ».
Thibault n’a pas l’air convaincu, il semble inquiet.
« Tu fais gaffe, ok ? ».
« On se voit demain au match ! » fait Jérémie.
« Ça ne va pas être une partie de plaisir ! ».
« Les derniers matches de la saison sont toujours gratinés ».
« Mais on va rien lâcher » fait Thibault.
« Parce que cette année on n’est vraiment pas loin du but ».
« Demain on va les cramer ! » conclut Jérém.
« C’est pour cela que notre capitaine doit rester entier ».
« Oui, papa ! ».
« Dégage ou c’est moi qui vais te taper sur la gueule ! » coupe court Thibault, tout en affichant un beau sourire plein de tendresse et de douceur. Ce gars est vraiment touchant, bienveillant, c’est un vrai pote.
« T’as des capotes ? » fait Jérém en s’adressant à Thibault.
« De quoi ? ».
« Pour la petite brune de tout à l’heure… ».
« Nathalie ? ».
« Elle-même ! ».
« Mais elle m’a largué il y a un moment ! ».
« Peut-être… mais cette nuit elle ne demande qu’à se faire à nouveau lever par toi, mon pote ».
« Arrête ! ».
« Fais-moi confiance, je m’y connais ! ».
« Des conneries, oui ! ».
« Tiens ! » fait Jérém, en lui balançant la petite boîte en carton.
« Tu vas la voir, tu lui fais un sourire, et tu la remets dans ton pieu ! ».
« Tire-toi ! ».
« Baise un bon coup et tu joueras mieux demain ! conclut Jérém, taquin, en démarrant la 205 rouge.
« Tu fais gaffe à ce petit con ! » me lance Thibault, tout en me lançant un regard dans lequel, au-delà du sourire de façade, j’ai pourtant l’impression de déceler une certaine angoisse.
Juste avant de quitter le parking, le bobrun met un petit coup de klaxon en guise d’au revoir pour son pote. Pour toute réponse, ce dernier lève la main et dégaine un sourire des plus craquants.
Sacré Thibault, débordant de sensualité et de douceur, beau petit gars qui respire à la fois la force et le calme, la virilité tranquille, l’équilibre. Définitivement, Thibault a l’air un garçon rassurant, solide, attentionné, sensible, loyal, un garçon bien bâti tant dans le physique que dans le mental, un garçon qui recèle des trésors de tendresse à donner. Et, certainement, un grand besoin d’en recevoir.
Thibault est vraiment un bon gars, qui se soucie sans cesse du bien-être et du bonheur de son pote de toujours.
Visiblement, Jérém compte vraiment beaucoup pour lui, et il sait le cerner comme personne d’autre. Je doute fort que Jérém ait pu lui parler de ce qui se passe entre nous, de nos révisions. Pourtant, une petite voix en moi ne cesse de me répéter que Thibault a quand même dû comprendre tout seul.
Si ça se trouve, il sait depuis la toute première fois qu’on s’est croisés devant la porte du studio de Jérém, quelques semaines plus tôt. Ce jour-là déjà, j’avais eu l’impression qu’il savait.
Pendant qu’il roule en direction la Rocade, Jérém fume une cigarette et demeure taciturne. Une attitude qui détonne grandement avec celle qui était la sienne juste avant de se retrouver seul avec moi. Une minute plus tôt il déconnait avec son pote ;et là, dans la voiture, il semble fatigué, tendu, éteint.
Décidemment, au contact de Thibault, Jérém est vraiment un autre mec : Thibault le connaît par cœur, il sait comment le faire rire, comment le mettre à l’aise.
Je les ai vus déconner comme des gosses et j’ai été touché et ému par leur complicité, mais aussi d’une certaine façon jaloux de cette amitié si forte, une amitié que rien ne semble pouvoir ébranler. Je suis jaloux car je n’ai jamais connu une telle complicité avec qui que ce soit. Je me dis que ça doit être beau et rassurant de connaître ce genre d’amitié. Thibault est le pote qui sera toujours là quand Jérém aura besoin de lui. Ça doit réchauffer le cœur d’avoir un pote comme Thibault, de sentir que quelqu’un qui veille sur soi.
Thibault était visiblement troublé à l’idée que Jérém ait pu se trouver en danger, qu’il ait pu se battre sans qu’il ait pu venir à son secours. Il voulait savoir pourquoi il s’était battu.
Evidemment ça ne m’a pas échappé que Jérém ne lui a pas donné les véritables raisons pour lesquelles il s’était battu.
Commentaire de Chris-j
13/10/2020 17:03
Tout a été trop vite pour que Jerem pense à ce qu’il a ressenti en voyant Nico et l’autre type. Il a entrevu la possibilité que Nico lui échappe et cela a réveillé un souvenir traumatique. C’est pour ça qu’il pleure. Je n’avais pas vu ça il y a 4 mois. C’est une indication qu’il est marqué au fer rouge par son enfance.
Commentaire de ZurilHoros
22/06/2020 12:19
C’est un épisode qui se passe de commentaires. On sait que ce moment d’apaisement sera suivi d’une réaction violente.
Laisser un commentaire