JN01028 Repas de classe
Samedi 2 juin 2001.
Le samedi soir, le rendez-vous est fixé sur le parking d’une grande surface à St Orens. Je descends du bus et j’arrive parmi les premiers, à la fois impatient et redoutant de voir Jérém débarquer. L’envie de le revoir se mélange à la peur de le sentir déjà loin de moi, définitivement inaccessible.
Je n’aurais jamais dû lui proposer de réviser. J’ai connu le Paradis, et je vais connaître l’enfer. Peut-être qu’on appelle l’enfer ce qui est tout simplement un Paradis perdu…
Mais même si l’enfer qui m’attend me fait peur, au fond de moi, je suis content d’avoir connu le Paradis de la rue de la Colombette.
Les autres camarades arrivent petit à petit. Dans l’attente, je discute avec les uns et les autres, c’est ma façon de tenter de déstresser. Le fait est que je ne tiens plus en place, je suis à la fois tendu et excité comme si j’avais un rendez-vous en tête-à-tête avec lui.
Nous sommes déjà une petite bande lorsque la 205 rouge de Jérém pointe le bout de son pare-chocs décoloré. Le bogoss débarque avec une chemise bleu intense, avec le col, les poignets et la boutonnière en blanc.
Une tenue très élégante, qui me met en extase. D’autant plus que les deux boutons du haut sont ouverts et donnent une vue imprenable sur ses pecs à la peau mate et visiblement rasés de près, sur sa chaînette de mec abandonnée sur ses pecs. Mon regard est inévitablement attiré vers le bas de cette ouverture, et il demande à descendre encore plus bas, beaucoup plus bas.
Le bobrun fait un tour pour serrer les mains aux mecs et faire la bise aux nanas.
Lorsqu’il arrive près de moi, il me serre la main tout en continuant à déconner avec un autre camarade. C’est le premier contact que j’ai avec lui depuis une semaine, depuis notre dernière « révision ». Sa poignée est rapide et évasive, son regard fuyant.
Mais pour moi, ce simple contact avec sa main a l’effet d’une décharge électrique. Je ressens un frisson géant se propager sur toute ma peau, dans mon dos, jusqu’à mon cuir chevelu, je ressens une chaleur intense se dégager de mon bas ventre. Mon visage s’enflamme, je commence à transpirer brutalement. Un simple contact avec sa main et le bonheur sensuel secret partagé pendant nos « révisions » remonte en moi comme une vague qui renverse tout sur son passage.
Quelques minutes plus tard, nous partons vers le restaurant. Evidemment, je monte dans une voiture qui n’est pas la 205 rouge feu.
Ce soir-là, au resto, je redécouvre une facette de la personnalité de mon bobrun assez inattendue.
En général, Jérém est un brun ténébreux, un brin frimeur, certes, mais pas vraiment un déconneur. Il l’était davantage au début du lycée, mais ce trait de sa personnalité semble avoir peu à peu disparu au fil du temps laissant la place justement, à ce côté ténébreux qui le rend craquant à souhait.
Mais pendant ce dîner, la boisson aidant, je retrouve le Jérém en mode déconneur que j’avais connu la première année du lycée, le Jérém qui arrivait en cours avec la casquette à l’envers, qui se foutait de la gueule des profs, qui faisait rigoler tout le monde avec ses pitreries.
Je le regarde déconner, rigoler, s’amuser, rire avec ses camarades les plus proches et ça me donne à la fois envie de déconner, rigoler, m’amuser, rire avec lui mais aussi de pleurer, tant c’est beau à voir.
Car cela me fait prendre la mesure du fait que Jérém n’est pas qu’un putain de bogoss, le grand joueur de rugby, la bête de sexe. Jérém est aussi un mec drôle, à l’esprit débordant d’humour, un gars qui, avec un brin d’alcool et une bonne compagnie, fait des étincelles.
Oui, ce soir-là, Jérém est le mec qui met l’ambiance nécessaire à ce genre de soirée, une sorte de soirée d’adieu. Un sentiment qui a évidemment une résonance toute particulière en moi, car la fin du lycée ne va pas de me priver que de mes profs et de mes camarades, mais aussi du mec que j’aime comme un fou.
Au restau, tout le monde semble heureux, amusé. Je m’efforce de faire comme les autres, mais j’ai bien du mal. Car au plus profond de moi, se terre un garçon amoureux qui pleure désespérément.
Le repas s’étire jusqu’à ce que ce soit l’heure de partir en boîte.
Au KL, il fait chaud. Les manches de la jolie chemise bleue de Jérém se retrouvent vite retroussées autour des biceps saillants, découvrant ainsi son brassard tatoué.
Au KL, le Jérém déconneur laisse illico la place au Jérém charmeur, séducteur, chasseur.
Je le regarde, installé au bord de la piste, une bière à la main, fusillant les nanas d’un regard brun et charmeur au possible, envoyant des petits sourires en rafales, comme autant de flèches qui fusent partout autour de lui, faisant des dégâts collatéraux, s’enfonçant dans mon cœur avec un bruit sec et sourd.
Je bois moi aussi, je bois pour tuer l’ennui, la tristesse, pour faire taire l’angoisse et la crainte qu’il lève une nana devant mes yeux.
Je me retrouve à danser sur la piste avec un camarade et deux meufs. Des souvenirs d’une soirée de quelques mois plus tôt font surface dans mon esprit, Jérém qui part se faire sucer par une nana dans les toilettes, Thibault qui vient me parler de son pote, le débardeur blanc qui m’a dragué sur la piste avant de me montrer sa bite aux toilettes, le retour avec Jérém, le souvenir d’une pipeau petit matin, dans sa voiture garée non loin de chez moi. Nostalgie, regrets, nostalgie, désir.
Je danse pendant un bon petit moment, tout en guettant les mouvements de Jérém. Hélas, il suffit d’un instant d’inattention, pour que le bobrun disparaisse des écrans radar. Puuuutaaaaiiinnnnnn ! Ça y est, il doit être dans une cabine des chiottes, la queue coincée dans la bouche d’une nana.
Il est près de trois heures du matin, et mon Jérém s’est évaporé. Alors, pour moi, cette soirée est terminée. Déçu et frustré, je reprends une bière que sirote seul, appuyé à un mur, dans un coin, en attendant que quelqu’un se décide à rentrer.
Je suis en train de me dire que c’est con de ne pas encore avoir de permis, car si c’était le cas je rentrerais sur le champ, lorsque sa voix vient secouer mon tympan, et me retourner comme une chaussette :
« Tu t’amuses ? ».
Ces quelques mots sont prononcés si près de mon oreille que son souffle chaud vient chatouiller ma peau et provoquer mille frissons.
Je ne l’ai pas vu approcher, mais je sais que c’est lui. Je me retourne et Jérém est là, à côté de moi, une bière à la main. Définitivement, cette chemise bleue portée à la fois avec une élégance redoutable et une décontraction absolue, est juste à tomber.
« Ça va… » je ne trouve pas mieux à lui répondre.
Le bogoss me toise en silence, il me regarde droit dans les yeux, je fonds. En plus, il sent tellement bon ! Mon esprit déjà vaseux à cause de l’alcool, je suis sur le point de craquer.
« Je parie que t’as envie de rentrer… » il me lance, avec un petit sourire charmeur et coquin à la clef.
« Sciack ! », le bruit est sec et impitoyable. Le bogoss plisse légèrement les yeux, un petit sourire malicieux et coquin s’esquisse en biais sur son visage. Une nouvelle flèche est lâchée, propulsée avec une puissance inouïe, elle me percute plus fort que les autres, car elle m’est spécialement destinée, elle s’enfonce profondément dans mon cœur. Cible touchée en plein centre, coulée.
Ah, putain, si je m’attendais à ça ! Moi qui croyais qu’il m’en voulait pour ces quelques bisous que j’avais osé poser sur son cou la dernière fois. Il faut croire que le bogoss est chatouilleux mais pas rancunier.
« Oui… ».
« Viens, on rentre… ».
Devant son attitude assurée, hypnotisé par le ton ferme de sa voix, cette vibration profondément masculine qui me renvoie direct à sa virilité, je capitule sans résister. Ainsi, c’est dans un état presque second que je me rends auprès du camarade avec qui j’étais venu en voiture, pour l’avertir que je rentre avec Jérém.
Quelques minutes plus tard, je suis dans la 205 rouge, à côté de mon bobrun. La Rocade presque déserte défile tout autour de nous, la fraîcheur de l’air qui rentre par les deux fenêtres demi ouvertes, mélangée à l’odeur du tabac, me secoue peu à peu de ma torpeur, me fait oublier l’heure tardive et l’alcool.
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