JN01022 Comment j’ai osé approcher Jérém
(Le jour J de la « première révision », le mercredi 2 mai 2001).
Longtemps, pendant la première partie de mon adolescence, et jusqu’au dernier jour des vacances séparant le collège du lycée, une question a souvent tourné en rond dans ma tête sans que j’arrive à y répondre. Comment sait-on qu’on est amoureux alors qu’on ne l’a jamais été auparavant ?
Bien évidemment, j’ai lu des livres, j’ai vu des films où il était question d’amour. Et j’ai vu des camarades, surtout filles, dans un état d’enchantement qui ressemble à la définition d’« être amoureux ».
Puis, en ce jour de début septembre 1998, la réponse m’a sauté aux yeux comme une évidence.
Ce jour-là, le tout premier jour du lycée, en une fraction de seconde Jérém est rentré à la fois dans mon espace visuel, dans ma tête, dans mon cœur, dans ma vie. Et il a bouleversé le cours de mon existence.
A partir de cet instant, ce garçon a occupé la plupart de mes pensées, aussi bien en cours que dans le reste de mes journées.
A partir de cet instant, j’ai tout voulu savoir de lui. Jour après jour, j’ai fait tout mon possible pour capter la moindre info, le moindre bruit de couloir le concernant. Je le matais pendant les interros, lorsqu’il était appelé au tableau, je m’abreuvais des numéros de clown qu’il livrait pour cacher son manque d’application, j’étais triste pour ses mauvaises notes. Jérém était un parfait branleur, mais je le trouvais à la fois tellement marrant, tellement sexy, tellement attachant.
J’ai passé trois années de lycée à me dire qu’il ne se passera jamais rien entre moi et ce bobrun au sourire incendiaire. Triste constat, brûlante frustration, alors que je ne pouvais tout simplement pas décoller les yeux de lui, alors que j’avais envie de lui à en avoir mal au ventre, envie à en crever.
C’était une torture de le regarder grandir, de le voir débarquer chaque jour un peu plus beau et sexy que la veille. C’était un supplice de sentir la traînée de son déo de mec sur son passage, un calvaire de voir défiler ses t-shirts et ses jeans comme coupés sur mesure pour mettre en valeur sa plastique de fou.
Les jours où il ne venait pas en cours, il me manquait au point que je n’arrivais plus à m’intéresser à ce qui se passait au tableau.
Mais, pire que ses absences en cours d’années, il y avait les week-ends. Et, surtout, les vacances. A l’approche des vacances, j’étais le seul mec triste de la classe, car je trouvais insupportable l’idée de ne pas le revoir pendant des semaines. Bien évidemment, le pire du pire c’était les vacances d’été, deux mois où je serais privé de sa bogossitude. Je savais d’avance qu’il allait horriblement me manquer.
Pendant tout le lycée, j’étais jaloux de ses potes, ceux avec qui il sortait le week-end, de ses coéquipiers de rugby, avec qui il partageait une passion et des vestiaires. J’étais jaloux de tous ces gens qui avaient la chance de le côtoyer en dehors du lycée, de ces potes qui partageaient avec lui des moments de sa vie qui m’étaient inaccessibles.
Puis, à chaque rentrée, il ne me restait qu’à découvrir à quel point il avait évolué, à quel point il était encore plus canon que la dernière fois où je l’avais vu. Rater Jérém pendant une longue période était aussi frustrant pour moi que rater des épisodes de mes séries préférées de l’époque, « Une nounou d’enfer » et « Sauvé par le gong », à une époque où le replay n’existait pas.
Mes sentiments pour Jérém ont évolué au fil du temps. Le premier jour de lycée, j’ai eu envie de le serrer contre moi, de le couvrir de bisous. Puis, très vite, cette envie de tendresse s’est mélangée à des envies d’un tout autre genre, plus sensuelles, puis sexuelles.
Deux obstacles insurmontables, cependant, sur le chemin de ce besoin viscéral : son goût prononcé et affiché pour les nanas, et ma timidité, doublée d’une grande peur d’oser, de me faire jeter, de me sentir rejeté et humilié.
Ainsi, je n’aurais jamais cru que j’aurais un jour le cran d’oser lui proposer de réviser, et encore moins que nos révisions deviendraient ce genre de « révisions ».
Un grand esprit a écrit : « Il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde ».
Pendant trois années de lycée, il ne s’est rien passé. Puis, un jour, j’ai osé. En balbutiant, j’ai osé. Alors qu’à la récré je venais d’entendre deux camarades parler de se retrouver après les cours pour réviser, sur un coup de tête je me suis adressé à mon bobrun, en train de fumer juste à côté :
« On p… p… peut réviser les maths ensemble… enfin, si ça te dit… ».
Quelques secondes à peine…
Le bobrun m’avait regardé de haut en bas, il avait longuement expiré la fumée de sa cigarette, et j’avais même eu l’impression qu’un petit rire narquois s’était esquissé au coin de ses lèvres. Je m’attendais à ce qu’il m’envoie bouler, je me préparais à l’entendre se moquer de moi, à me faire humilier.
Puis, contre toute attente, il avait lâché, froidement :
« Si tu veux… ».
Oui, quelques secondes à peine, et ma vie toute entière avait basculé.
« Ce soir après les cours ? » j’avais assuré ma proposition, pour ne pas qu’elle parte en l’air.
« Si tu veux… ».
Bien sûr que je le voulais, comme un fou je le voulais, à en crever je le voulais.
Même si cela n’explique toujours pas comment j’avais trouvé le cran de lui proposer cette première révision.
Peut-être que j’ai puisé cette force dans la peur panique que ces années de lycée se terminent et que Jérém disparaisse de ma vie sans que j’aie tenté quoi que ce soit, alors que j’étais raide dingue de lui depuis le premier jour. Ou bien, dans la peur du vide absolu et intolérable, du déchirement intérieur, du vertige insupportable qu’aurait été le fait de ne plus le voir, de le perdre de vue, sans jamais n’avoir pu approcher son intimité.
Oui, comment sait-on qu’on est amoureux alors que l’on ne l’a jamais été auparavant ?
Est-on amoureux lorsqu’on se rend compte qu’on n’est pas attirés que par un corps de fou, et par une belle petite gueule de mec ? Quand on a envie de tout savoir de lui ? Quand il nous manque à l’instant même où il n’est pas dans notre champ de vision ? Quand on a envie de le rassurer et de l’aider le jour où on le voit inquiet à cause d’une mauvaise note ?
Si tout cela c’est être amoureux, alors oui, je suis amoureux de Jérém.
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