JN01009 Souvenir de Jérémie (voyage en Espagne)
(Mai 2000, 1 an avant « première révision »).
Le voyage de fin d’année de première, nous amène en Espagne, à Saint-Sébastian, à Bilbao, en Aragon, à Alquézar.
Au départ de Toulouse, alors que je monte dans le bus avec Valérie, une camarade de classe et ma meilleure copine de l’époque (après que Nadia a déménagé dans une autre ville), Jérémie est installé à côté de son pote Thierry à mi-chemin entre les deux sorties.
J’avance dans le petit couloir et je ne peux m’empêcher de le regarder. Le bogoss capte mon regard, il l’accroche, il ne le lâche pas. Moi non plus je ne lâche pas le sien, et je m’étonne moi-même de ne pas baisser les yeux.
En passant à côté de lui, j’ai même droit à un beau sourire et à un « Salut ! ».
Malgré le sprint olympique que se tape mon cœur dans la seconde, j’arrive à lui répondre de la même façon. « Salut ! ». Je suis trop content intérieurement, mais j’essaie de ne pas trop le montrer.
Avec Valérie, nous nous installons dans les sièges juste derrière lui. Quelle chance qu’ils soient encore vides !
Le bus démarre. Nous n’avons même pas encore quitté la rocade que déjà Valérie commence à taper la discute avec Jérémie. Je tends bien l’oreille pour entendre leur conversation et j’apprends beaucoup de choses au sujet du bogoss. Il est célibataire (ça promet pour le voyage qui commence), il kiffe une meuf d’une autre classe (ça fait mal de l’entendre), il a un petit frère prénommé Maxime, son père est vigneron.
Les kilomètres s’enchaînent, le réveil trop matinal finit par avoir raison de ma curiosité. Entre Tarbes et Pau, je finis par m’assoupir.
Lorsque je refais surface, une bien mauvaise surprise m’attend : j’ouvre les yeux et je vois direct ma pote Valérie à côté de mon Jérémie… en train de lui rouler une pelle ! Ah, putain, que c’est traître une gonzesse ! (la jalousie me rend dingue).
Je bug carrément quand je vois ça ! Ma meilleure pote se tape le mec sur lequel j’ai flashé. C’est insupportable. Pourquoi il faut que ce soit elle ?Je suis dégoûté à un point inimaginable ! Le voyage commence tout juste et je ne suis plus très heureux d’être là.
Du coup, par jalousie, je ne calcule plus trop Valérie. Ni pendant le reste du trajet, ni pendant les premiers jours du voyage. Je me renferme sur moi-même, tout en essayant de ne pas montrer ma déception et ma colère, je m’isole un peu plus encore que d’habitude.
Quand je les vois se rouler des pelles, se peloter, quand je vois Jérémie sourire à ma copine (ex copine), la faire rire, tenter (avec succès) de lui faire du charme, je m’imagine tout simplement à sa place à elle. Je donnerais n’importe quoi pour embrasser et toucher le bogoss, pour avoir droit à ses sourires de fou qui me font fondre.
Au bout de deux jours, Valérie finit par venir me voir et me demander pourquoi je lui fais la tête : malgré tous mes efforts, elle a bien vu que je suis contrarié. J’invente un bobard vite fait pour ne pas éveiller ses soupçons.
Pourtant, je lui en veux beaucoup. Même si, au fond, elle ne fait rien de mal. Aller vers un mec comme Jérémie, il n’y a rien de plus naturel pour une belle nana.
Je prends sur moi pour faire semblant, pour essayer d’avoir un comportement « normal ».
Comme si le fait de voir ma copine se taper Jérémie n’était pas suffisant, dans la deuxième partie du voyage je me fais sérieusement emmerder par Laurent, un mec d’une autre classe, un type franchement trop chiant. Le type me colle la honte en m’appelant « Ma Chérie », il me cause comme si j’étais une nana, il se fout de mes cheveux « coiffés en balai de chiottes », de mes vêtements « Made in Emmaüs », de chacun de mes gestes, de mes mots, de ma voix. Je ne peux pas faire un pas sans entendre sa voix de con me casser les couilles. Il est vraiment trop rélou.
Le pire c’est quand il arrive derrière moi par surprise, qu’il me passe son bras autour du cou et qu’il me parle dans l’oreille ! Putain, qu’est-ce que ça me gonfle d’entendre son souffle et de me prendre ses postillons !
Très vite, il commence à me demander des clopes. Evidemment, puisque je ne fume pas, je n’en ai pas. Il me demande alors de l’argent pour acheter des clopes. Je lui en donne une fois, pour qu’il la ferme. Et il la ferme, du moins à chaque fois qu’il a une clope au bec.
Mais une fois le paquet terminé, c’est-à-dire le lendemain, il vient me redemander de l’argent. Je refuse. Il recommence à me casser les couilles. Je fais tout mon possible pour l’éviter, en veillant autant que possible d’avoir toujours un prof à proximité. Mais le connard est du genre teigneux et il finit par réussir à me coincer dans le couloir de l’hôtel, juste après le dîner. J’ai beau lui dire que je n’ai pas beaucoup d’argent, il ne me lâche plus.
J’en ai vraiment marre de lui, je ne veux plus me laisser faire, mais le mec insiste, il devient de plus en plus agressif et menaçant, je ne sais vraiment plus comment m’en débarrasser.
« Il te dit qu’il n’a pas de clope, fiche-lui la paix ! ».
Jérémie vient de surgir à l’improviste et de s’adresser directement à ce gros con de Laurent. Et il lui donne son paquet de clopes entamé.
« Merci Jérém… » fait Laurent, soudainement calmé « on rigolait, pas vrai, Nico ? ».
Je me tais, sonné par l’intervention de Jérémie.
« A partir de maintenant, je ne veux plus te voir en train de le faire chier… » fait le bogoss, le regard noir.
« Il faut pas en faire un drame… ».
« Demain tu t’achètes des clopes et t’arrêtes de l’emmerder, c’est compris ?! » fait Jérémie en montant le ton de plusieurs crans.
« Ok, ok, t’énerve pas… ».
Sur ce, Laurent se tire, et Jérémie lui emboîte le pas. Je le regarde s’éloigner alors que j’ai tellement envie de le retenir.
« Merci, Jérémie ! » je lui lance, le cœur qui bat à tout rompre.
Le bogoss ne se retourne même pas, se limitant à me lancer un geste de la main qui semblait signifier : « c’est rien, laisse tomber », juste avant de disparaître au tournant du couloir.
Sur le coup, je réalise tout juste ce qui vient de se passer : Jérémie vient de prendre ma défense alors que rien ne l’y obligeait. Sans pour autant vraiment comprendre pourquoi il est venu à mon secours à cet instant précis, alors que je me fais régulièrement emmerder au lycée (mais jamais à ce point, c’est vrai), et qu’il n’a jamais levé le petit doigt pour me sortir du pétrin.
Le lendemain, j’espère profiter de cet épisode pour avoir un ticket d’entrée pour discuter un peu avec lui. Je prends mon courage à deux mains et je vais le voir alors qu’il fume seul dans un coin.
Mes espoirs sont vite déçus. J’essaie de lui parler, mais je le sens plutôt distant et froid, il affiche un air pressé, surtout pressé de me voir dégager. Ce qui coupe mon élan et me fait perdre tous mes moyens : du coup, j’ai juste envie d’aller me cacher.
Le voyage touche à sa fin et nous voilà sur le chemin du retour. Au départ d’Alquézar, je suis assis à côté de mon pote David. Valérie et moi sommes toujours en froid.
Ceci dit, je suis soulagé de voir qu’elle semble l’être avec Jérémie aussi, car ce dernier est installé à plusieurs sièges de distance. Est-ce que le fait que Jérém ait embrassé une autre nana lors de la soirée d’il y a deux jours, y est pour quelque chose dans cet éloignement providentiel ?
En début de soirée, alors que la nuit tombe, le bus s’arrête dans une station-service pour une pause pipi. Au moment de repartir, mon pote David s’en va s’installer au fond du bus avec d’autres camarades. Une place reste donc libre à côté de moi, côté couloir. Une place qui ne tarde pas à être prise.
Par qui ? Par cette mégabombasse de Jérémie !
Le bogoss semble de bien meilleur poil que la dernière fois où j’ai essayé de lui parler. Il me demande si j’ai bien aimé le voyage, nous échangeons quelques banalités. Il me parle de Valérie, il me dit qu’elle est cool, marrante (ah bon, c’est pour ça que tu as embrassé l’autre blondasse avant-hier soir ?). Je l’écoute, tout en chauffant sérieusement à l’intérieur, mais j’essaie de ne rien montrer.
Puis, à un moment, un pote assis de l’autre côté du couloir l’appelle ; le bogoss se retourne, il me tourne le dos et il ne me calcule plus. Je mets mes écouteurs sur les oreilles et j’essaie de dormir un peu.
Il fait nuit à présent, les lumières dans le bus sont plutôt faibles : très vite, je m’assoupis.
Je suis presque endormi, lorsque je sens quelque chose se poser et peser contre moi. Lorsque je reviens à moi, je me rends compte que c’est la tête de Jérémie qui est en train de glisser sur mon épaule. Le bogoss, toujours de dos par rapport à moi, est en train de s’endormir lui aussi.
Je suis fou de le savoir si proche, je suis dans un état d’excitation inimaginable ! J’en tremble…
Avec les mouvements du bus, sa tête et ses épaules finissent par glisser le long de mon bras et par se retrouver sur mes cuisses. Le mec que je kiffe à mort est en train de dormir sur mes genoux, je suis enivré par la chaleur et l’odeur de sa peau. J’ai les sens en feu, j’ai trop envie de le caresser, de mettre ma main dans ses cheveux ou de la glisser sous son t-shirt.
J’ai horriblement envie de lui, mais je suis également très touché. Quand je le regarde dans son sommeil, dans cette position, je ne vois plus le jeune loup sûr de lui et inaccessible, le jeune mâle à la queue bien chaude, un brin arrogant. Ce que je vois, c’est un gosse qui s’est encore fait avoir par le marchand de sable… bonne nuit, les petits…
L’image est d’une douceur émouvante. Alors, avant tout désir sensuel, j’ai envie de le serrer dans mes bras et de le couvrir de bisous.
Assommé par la fatigue, bercé par les mouvements du bus, et bouleversé par le bonheur d’avoir le mec que j’aime si proche, même si endormi, je finis par m’assoupir à mon tour.
Nouvelle surprise en me réveillant un peu plus tard. Je suis saisi par une panique indescriptible lorsque je réalise que ma main est posée sur son torse. Du coup, je suis comme pétrifié, je n’ose plus bouger, de peur qu’il se réveille et qu’il s’en rende compte. Mon regard reste bloqué sur ma main se soulevant au rythme de sa respiration, ma paume chauffée par le contact avec son corps, et j’ai l’impression que le moment dure longtemps, très longtemps. Et c’est à la fois un moment de pur bonheur et d’immense angoisse.
Lorsque j’arrive enfin à tourner la tête et à regarder son visage, je m’aperçois que le bogoss a les yeux entrouverts, et rivés sur ma main. Je ne bouge pas, j’évite juste son regard direct, tout en le « surveillant » du coin de l’œil.
Quelques instants plus tard, je le vois refermer les yeux, sans chercher mon regard une seule fois.
Le bus s’arrête pour une nouvelle pause pipi. Jérémie se relève avant tout le monde, comme s’il avait honte qu’on le voit allongé sur mes genoux. Je le regarde se faufiler en vitesse dans le couloir du bus, m’ignorant une fois de plus, alors que ma main et mes genoux s’ennuient déjà de la présence de son corps chaud, alors que mon cœur est meurtri par son manque de considération à mon égard.
Au moment de reprendre place avant de repartir, un camarade appelle Jérémie et ce dernier passe à côté de moi et, sans un regard, il continue vers le fond du bus.
Je suis très déçu qu’il ne revienne pas s’asseoir à côté de moi. Au fond de moi, j’y avais cru. Du moins, je l’avais espéré très, très, très fort.
Je me retourne pour voir où il va s’asseoir. Pendant un instant, je croise son regard, un regard dans lequel je crois voir comme une ombre de déception, comme s’il était emmerdé d’avoir été interpellé et qu’il aurait préféré faire les derniers kilomètres avant Toulouse à mes côtés.
Mais je me fais certainement des films, je prends mes rêves pour des réalités. Il faut que j’arrête de kiffer ce mec à ce point.
Le soir, dans mon lit, je me demande si j’ai vraiment vécu l’épisode du bus. Je me sens un peu honteux, je me sens soudainement très « pd », je me demande s’il est normal, s’il est sain de ressentir autant de choses pour ce garçon, surtout pour un garçon si inaccessible.
Des questionnements qui tournent en boucle dans ma tête, qui ne cessent de faire surface, de tourner dans mon esprit, tout en aboutissant à chaque fois la même considération : Nico, tu es amoureux pour la première fois de ta vie.
Tout s’emmêle dans ma tête, j’ai envie d’aller vers lui et j’ai peur de mes sentiments. Je crois que j’ai vraiment réalisé à cet instant ce qu’être amoureux signifie, et je devine que, puisque mon amour est ainsi fait, ma vie sera compliquée.
Je trouve cela à la fois beau et effrayant. Être amoureux, j’imagine bien que ça doit être l’une des plus belles choses de l’existence. Mais être amoureux d’un gars, et notamment de ce gars, ça ne présage rien de bon. Et, surtout, ça ne mènera nulle part, à part me confronter au malheur de ne pas pouvoir l’avoir. Malgré cela, j’ai hâte que le week-end se termine pour retrouver Jérémie en cours. Hélas, dès le lundi suivant, le bogoss est à nouveau très distant avec moi, voire davantage que d’habitude. Est-ce qu’il m’en veut pour ce qui s’est passé dans le bus ?
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