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JN0321 L’accident

Lundi 3 mars 2003.

Le lundi, le souvenir de l’amour avec Thibault me porte toujours. Je suis de bonne humeur.

Du moins jusqu’à la fin des cours. C’est en milieu d’après-midi, sur le retour vers la maison, que je découvre les nouveaux affichages. La marque de boxers déploie de nouveaux clichés sur les panneaux publicitaires. Sur l’un d’entre eux, Jérém est seul, le ballon entre ses mains. Il est debout, torse nu, un genou légèrement plié. Le bassin, les épaules, le cou négligemment penchés vers la droite. Le travail des couleurs et des contrastes de lumière fait ressortir la couleur mate de sa peau, l’éclat de ses tatouages, les magnifiques reliefs de sa plastique. Il est à tomber à la renverse.

Je repense à la nuit que j’ai passé avec Thibault et j’ai l’impression qu’elle m’a définitivement éloigné de Jérém. De toute façon, cette pub, ces images aussi, en plus de celles qui continuent de tourner à la télé, m’éloignent définitivement de lui. Je me dis qu’avec cette exposition médiatique de sa bogossitude, il pourrait baiser une nana ou un gars différent chaque soir.

A priori, ce n’est pas ce qu’il fait. Du moins, si on en croit à ce torchon qui pour l’énième semaine consécutive tient la France entière à jour sur l’idylle entre le beau rugbyman et la poufiasse de la Star Ac’, version moderne et inversée du mythe de la belle et la bête.

Dans le numéro en kiosque cette semaine, il est question d’un week-end sur l’Ile de Ré et d’une relation qui devient « solide ». Solide, mon cul ! Il baise peut-être cette pétasse pour garder les apparences, mais ce sont les gars qui l’intéressent. Et de ce côté-là, il y a fort à parier qu’il ne se prive pas.

Pas un seul instant je ne me doute que sa soudaine exposition médiatique est à la base de gros soucis pour lui, plus que d’opportunités. Et que l’histoire racontée dans ce torchon est une façon de se protéger.

Je me fie aux apparences, et je me dis qu’il m’a complètement oublié.

Le lundi soir, je ne peux me soustraire à mes obligations avec Ruben.

  • J’étais trop impatient de faire l’amour avec toi, il me glisse, alors que nous venons de jouir.
  • Moi aussi j’étais impatient…

Oui, j’étais impatient, et je le suis toujours, même juste après avoir joui, de refaire l’amour avec Thibault.

Samedi 8 mars 2003.

Ce samedi, je monte à Toulouse dans un double but. Primo, pour souhaiter une bonne fête de la femme à maman (quand on y pense, le fait que les femmes aient besoin d’une date particulière pour qu’on pense à elles, ça veut dire qu’on ne pense pas assez à elles). Deuxio, pour fêter l’anniversaire de papa.

Nous ne sommes que tous les trois, et maman nous a concocté un bon petit déjeuner. Pour l’anniversaire de papa, elle a fait mon dessert préféré, une croustade de fruits divers. Je l’adore.

A l’approche de 14 heures, papa quitte la table pour aller allumer la télé dans le salon. Je redoutais cet instant.

  • Viens un peu avec ton vieux père, on va regarder ton copain Jérémie faire la misère aux biarrots !

Entendre papa appeler Jérém « mon copain », le plus naturel du monde, me ferait tellement plaisir, si seulement c’était encore le cas. Ça ne l’est plus. Bien sûr, cette petite attention me touche, car il croit bien faire. Mais elle ravive violemment ma tristesse.

  • Ce n’est plus mon copain, papa.
  • Ah bon ? Et qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Je n’ai pas envie de parler de l’homophobie ambiante dans le monde du sport qui nous a fait du tort, de son besoin de vivre caché pour vivre serein, et encore moins du fait que Jérém regarde désormais vers un autre gars qui lui semble mieux correspondre à l’homme qu’il recherche.

Alors, je me contente de lui répondre :

  • C’est la distance qui nous a fait du tort…
  • Tu m’en vois vraiment désolé, j’étais si content de te savoir avec un gars comme Tommasi !
  • Merci papa.
  • Et de quoi ?
  • Merci d’avoir su changer ton regard sur moi et de m’avoir accepté tel que je suis.
  • Il me faut un peu de temps pour comprendre les choses, parfois, il plaisante.
  • Et tu crois que c’est vraiment irrattrapable avec Tommasi ? il enchaîne.
  • Je ne sais pas. Je n’ai pas de ses nouvelles depuis trois mois.
  • Tu ne l’as pas appelé ?
  • Il ne veut plus me parler.
  • J’imagine que ça doit être dur pour lui de vivre sa vie dans ce milieu.
  • Il y a de ça, oui.
  • Mais il y a autre chose ?
  • Je crois qu’il est amoureux d’un gars de son équipe, je finis par lâcher le morceau.
  • Ah, zut, alors. Mais il est amoureux de qui ?
  • Uly… enfin, Klein.
  • Klein ? Lui aussi il est… ?
  • Je ne crois pas… enfin, je ne sais pas, et ça ne m’intéresse pas de savoir. Regardons le match, tu veux ?
  • C’est pour ça qu’on est là ! il me lance sur un ton enjoué, comme pour me signifier qu’il respecte mon besoin de changer de sujet.

Le trombinoscope des basques défile à l’écran. Les visages des biarrots se succèdent devant mes yeux comme un compte à rebours, un décompte au bout duquel apparaitra le visage qui va me vriller les tripes. Je suis tellement happé par l’impatience et l’appréhension de le voir apparaître à l’écran, que je n’ai même pas le cœur à recenser les bogossitudes des joueurs du sud-ouest.

Le portrait du dernier biarrot est suivi par celui du premier stadiste. Là ce n’est plus un compte à rebours, mais une roulette russe. Chaque visage peut être suivi par celui de mon bobrun. Ma respiration est comme suspendue, les battements de mon cœur avec.

Et BAM !

Jérém apparait à l’écran et j’ai l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre. Les beaux cheveux bruns à peine un peu plus longs que dans mon souvenir, insolente crinière de jeune loup, tenus dans un véritable brushing de bogoss peigné vers l’avant, retombant légèrement sur son front. Le sourire ravageur, le maillot particulièrement flatteur vis-à-vis de sa plastique. Jérém est indiciblement beau. Je suis heureux de le voir si souriant, l’air si épanoui.

Mais au fond de moi j’ai très mal à l’idée de le savoir si loin de moi, à l’idée de l’avoir perdu.

Mon bobrun n’apparait à l’écran que pendant une ou deux secondes, mais son image reste longtemps imprimée dans ma rétine. Ulysse, celui que je devrais voir comme mon rival, apparaît quelques joueurs plus tard. Lui aussi est indiciblement séduisant avec ses beaux cheveux et sa belle barbe, avec cette belle blondeur de jeune nordiste qui entoure son visage aux traits virils. Je n’arrive même pas à lui en vouloir du fait que Jérém se soit détourné de moi parce qu’il est attiré par lui. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne vois pas Ulysse draguer Jérém. Quant à la fascination que Jérém peut ressentir pour lui, je la trouve parfaitement naturelle. Je me demande où ils en sont, s’ils ont fini par coucher ensemble.

Les joueurs déboulent sur le terrain. La caméra s’attarde sur Jérém. Le commentateur évoque le nombre remarquable de points marqués par la jeune recrue du Stade depuis le début de la saison, tout en parlant de lui comme d’un « joueur remarquable, d’un espoir pour le rugby à tout juste 21 ans ».

L’arbitre siffle le début du jeu. Le ballon est lancé et les actions s’enchaînent. Dès la 6ème minute, Jérém va au but. Le stade exulte comme un corps traversé par un orgasme. Un orgasme sportif provoqué par le beau brun Toulousain adopté par la capitale. Jérém marque de nouveaux points quelques minutes plus tard. Il est rapide comme l’éclair, il file à travers les joueurs de l’équipe adverse comme une rafale de vent. Il plonge, et il met le ballon au-delà de la ligne de but. Le stade jouit à nouveau. Jérém se relève, comme s’il était monté sur ressorts. Il a l’air de n’avoir rien fait, et surtout pas de s’être tout juste tapé un sacré sprint pour marquer. Son jeu a l’air si naturel, si facile, si cousu de fil blanc, qu’on a l’impression que c’est tellement facile, qu’on en oublie que cette aisance, que cette dextérité, cette apparente « facilité » sont le résultat d’un travail acharné et de longue haleine, et de pas mal de sacrifices.

Le jeu reprend. La mi-temps approche. Le ballon traîne un peu au milieu du terrain. Il finit par se dégager grâce à une passe d’Ulysse. Réception parfaite de Jérém, par ailleurs stratégiquement placé en bord de terrain, plutôt à l’écart des joueurs basques.

Le bel ailier fonce alors vers la ligne de but. La moitié des biarrots se rue dans sa direction pour essayer de l’intercepter. Un premier jouer tente de lui barrer le chemin, mais Jérém arrive à lui filer entre les doigts.

  • Il est terrible, ce gosse, fait papa, euphorique, emporté par la performance spectaculaire du jeune ailier.

Un deuxième obstacle humain tente de se mettre en travers de son envolée vers le but. Jérém est touché, il est déséquilibré, mais se rattrape et il continue sa route, comme un lapin Duracell.

  • Incroyable, il est incroyable, je te dis !

Il ne lui reste que quelques mètres avant d’atteindre la ligne de but. Ça paraît dans la poche.

Mais le destin en a décidé autrement.

Sorti de nulle part, un jouer de l’équipe adverse arrive comme un fou, et percute Jérém de plein fouet. Mon beau brun est éjecté en l’air et retombe lourdement sur le sol, sur sa jambe droite. Et sur sa tête. Je suis abasourdi par la violence de cet instant, par sa vitesse sans appel, sa brutalité, sa soudaineté. Et pourtant, il me paraît interminable. J’ai du mal à croire à ce que je vois, je sens que quelque chose de grave est en train de se passer, mais mon cerveau bugge, refuse de croire, ne réalise pas à quel point une poignée de secondes sont en train de tout faire basculer.

Jérém git au sol, immobile. L’impensable se produit devant mes yeux. Sa magnifique trajectoire qui semblait inarrêtable a été stoppée net par un bourrin de joueur qui s’est jeté sur lui comme une brute. L’inquiétude me submerge et je me tourne instinctivement vers papa pour être rassuré.

Mais papa a décollé son dos de son fauteuil, il a enlevé ses lunettes et scrute l’écran d’un air très préoccupé. Et son attitude ne me rassure pas vraiment, pas du tout.

Jérém demeure allongé sur le sol, il semble inanimé. Le jeu est arrêté. Les instants qui suivent me paraissent interminables.

  • Oh putain, putain, putain ! jure papa.
  • Qu’est-ce qui se passe, papa ? je me remets à son expertise en matière de rugby. Et, par extension, en matière de blessure au rugby.
  • Je ne sais pas, mais ça ne sent pas bon. On dirait qu’il a perdu connaissance.

« Tommasi ne se relève pas » glisse le commentateur, visiblement tout aussi déboussolé que papa et moi « une équipe de secours est en train de rentrer sur le terrain ».

En effet, un petit groupe de personnes avec une civière vient de débarquer sur la pelouse. L’une d’entre elles, certainement un médecin, se penche sur Jérém et semble essayer de lui parler. Mais il n’obtient visiblement aucune réaction. Jérém ne répond pas à ses sollicitations et il demeure inanimé. Le médecin saisit alors le masque à oxygène que son collègue lui tend et le place sur la bouche du jeune rugbyman blessé.

Je suis hors de moi lorsque le direct laisse la place aux images de replay. Je m’en fous du replay, je veux voir Jérém !!!

« A vitesse réelle, le plaquage du numéro 13 est un placage imprudent, avance une deuxième voix off. Il arrive sur Tommasi avec beaucoup de vitesse, il ne contrôle pas sa puissance. Il s’est délibérément jeté sur son adversaire pour le stopper coûte qui coûte, pour l’empêcher de marquer à nouveau. Pour moi c’est pénalité et carton rouge contre le 13 ».

« Avant la sanction, tempère le commentateur principal, il y a l’inquiétude au sujet au sujet de l’état de santé de Tommasi ».

Le ralenti de l’accident de Jérém défile à l’écran et montre comment son genou a été malmené lors de la chute. Son pied a touché le sol dans une position décalée. Le poids de son corps, déséquilibré, démultiplié par la chute, s’est déchargé dessus, et le genou droit s’est plié vers l’avant. Les images sont insoutenablement dures, cruelles. Je peux seulement imaginer la douleur qu’il a dû ressentir lorsque son genou a subi cette sollicitation inhumaine. J’en ai le vertige, je suis à deux doigts de vomir de dégoût. Je suis tellement triste, j’ai mal pour lui. Je suis horriblement inquiet.

  • Ah putain, putain, putain ! Il ne fallait pas ça, pas ça ! s’exclame papa, toujours aussi choqué.
  • Dis-moi ce qui se passe… je l’implore.
  • Attend une seconde…

Le direct revient, Jérém est toujours au sol. Il semble enfin être revenu à lui. Mais l’image qui se présente à mes yeux m’arrache les tripes, déchire mon cœur. Mon bobrun tient son genou droit entre ses deux mains, en train de se tordre de douleur.

  • Eh, merde ! lance papa, visiblement bouleversé, sonné, dégoûté.
  • Dis-moi, papa ! Dis-moi !
  • C’est le genou qui a pris. Et à voir comment il a mal, les ligaments ont été arrachés.
  • Et c’est grave, ça, non ?
  • C’est grave, oui.
  • Mais grave comment ?
  • Au mieux, sa saison est foutue. Et peut-être même sa carrière au rugby.

—    Non ! je m’entends crier à pleins poumons.

Non, pas ça, pas ça s’il vous plaît ! Ne faites pas ça à Jérém, il ne mérite pas ça !

Je me surprends à implorer, à crier intérieurement, paralysé par la panique, accablé par une impression d’injustice qui me désole, qui me révolte.

Le médecin injecte un produit dans le bras de Jérém, j’aime à imaginer que ce soit un calmant. J’aimerais tellement que ce soit un médicament miracle qui réparerait ses blessures comme par enchantement !

Le jeune ailier est enfin déposé sur la civière. La caméra le filme d’assez près pour que je puisse voir son visage. Et dans ses traits crispés, dans son regard hagard, je vois non seulement l’expression d’une douleur insoutenable, mais aussi, la déception, le désespoir, la colère, la peur panique de voir son rêve de rugby brisé à ses prémices. Et des larmes. Jérém pleure de douleur et de colère. Ça m’arrache le cœur. Un instant avant, il avait tout pour lui. Il était un espoir flamboyant du rugby français. L’instant d’après, il pourrait avoir tout perdu. Son avenir professionnel est désormais incertain. C’’st un choc terrible. J’ose à peine imaginer ce qu’il doit ressentir au fond de lui à cet instant précis. Le destin est parfois si cruel.

Un autre ailier débarque sur le terrain. Le show doit continuer.

Je passe un après-midi horrible. Je me sens si mal, si impuissant face au drame qui vient de se produire dans la vie de Jérém, et sous mes yeux. Si seulement j’avais le pouvoir de tout arranger ! Je donnerais tout ce que je possède, et un peu plus encore, pour qu’il cesse de souffrir, pour le voir à nouveau gambader sur le terrain, pour le voir à nouveau filer comme le vent.

Les heures passent, et aucune information nouvelle ne filtre des différentes émissions de rugby qui démarrent après la fin des matches. Les images de son accident passent en boucle et ne m’apprennent rien de nouveau. Elles ne font qu’enfoncer inutilement un couteau dans une plaie. C’est moins de l’information que de la basse spéculation sur la souffrance d’un garçon blessé.

Je voudrais tellement être à ses côtés en ce moment horrible. Est-ce qu’il est seulement conscient ? Est-ce qu’ils l’ont sédaté ? Est-ce qu’ils vont l’opérer dans la foulée ? Est-ce qu’on me laisserait seulement l’approcher ? Est-ce qu’il me laisserait seulement l’approcher ?

En début de soirée j’arrive à avoir Thibault au téléphone et je le sens tout aussi désemparé que je le suis. Il me demande si j’ai envie de passer chez lui. Evidemment que j’ai envie. Lorsque je débarque à l’appart, nous nous prenons dans les bras et nous mélangeons nos inquiétudes, nos tristesses. Et ça nous fait un bien fou. Sa simple présence est apaisante.

—    Mon coach connaît bien celui du Stade Français. Il m’a promis de l’appeler et de me tenir au courant dès qu’il y aura du nouveau.

Mais les heures passent et rien ne vient. Les examens médicaux doivent toujours être en cours. Je passe la nuit chez Thibault mais ni lui ni moi n’avons le cœur à envisager autre chose que de la tendresse. La présence et la proximité de l’autre est tout ce qu’il nous faut en ce moment si difficile.

Le portable du jeune pompier sonne au milieu de la nuit. Son radio-réveil indique 3h31. Thibault se réveille en sursaut, et moi avec lui. Il répond dans le noir. Le coup de fil ne dure pas très longtemps, et Thibault ne fait qu’écouter et pousser des soupirs de dépit. Je sens que ça ne s’annonce pas bien du tout.

Lorsqu’il raccroche, il prend une très longue inspiration. Il demeure assis dans le lit, l’attitude d’un gars perdu. Même dans le noir, je sens son inquiétude. Même avant qu’il ne prononce un mot, je sais que les choses sont graves, peut-être même plus graves qu’on l’imaginait.

—    C’est pas bon…

—    Qu’est-ce qu’ils ont trouvé ?

—    Il y a rupture des ligaments croisés antérieurs. Sa cheville a pris aussi, il a une entorse carabinée. Ils craignent des microlésions. Mais ce qui les inquiète le plus pour l’instant, c’est la tête.

—    Quoi, la tête ?

—    Sa tête a heurté le sol. Il a perdu connaissance. Il a une commotion cérébrale. Depuis qu’ils l’ont pris en charge, il a eu des absences.

—    Et ça va s’arranger ? je questionne, j’ordonne, je prie.

—    Je ne sais pas, Nico, j’espère… fait Thibault, la voix faible, étouffée par les larmes.

L’horizon de Jérém s’assombrit un peu plus. Me revoilà, nous revoilà replongés dans le cauchemar d’il y a deux ans, lorsqu’il avait cogné la tête en tombant suite à une bagarre. Mon inquiétude, notre inquiétude grandit encore.

Thibault et moi ne dormons pas beaucoup plus cette nuit-là. Nous parlons de Jérém pendant des heures.

Dimanche 9 mars 2003, 9h48.

Après un crochet chez mes parents pour récupérer mes affaires, je débarque à la gare Matabiau. Je prends un billet pour Paris. Je ne sais pas bien qu’est-ce que je vais pouvoir faire une fois là-bas, ni même si je pourrai le voir. Mais je ne peux pas rester à Toulouse, les bras croisés, ni même rentrer à Bordeaux. Je ne peux pas ne pas tenter d’aller le voir à l’hôpital, de m’approcher de lui. J’ai l’impression que si je ne m’approche pas physiquement, ou du moins géographiquement de lui, je vais devenir fou.

Thibault m’a promis qu’il viendrait lui-aussi, dès qu’il le pourrait. Il m’a demandé de le tenir au courant des moindres évolutions de l’état de son pote d’enfance.

Dans le kiosque à journaux dans le grand hall, la presse sportive fait les gros titres sur l’accident du jeune ailier. Je réalise que la photo de Jérém se tordant de douleur est imprimée en centaines de milliers d’exemplaires, au vu de la France entière. Cette photo me déchire les tripes.

Sur le quai, je regarde les autres passagers qui attendent immobiles. Sans que je sache rien d’eux, je me dis que leur vie me parait tellement plus belle, plus calme et heureuse que la mienne en ce moment.

Le départ du train pour Paris Montparnasse est annoncé. Je m’apprête à rentrer dans la rame, lorsque je vois débouler sur le quai un beau petit mec brun. Il court vite, il a l’air super à la bourre. Visiblement, il cherche une rame pas trop remplie.

Une fraction de seconde plus tard, je reconnais dans le beau petit brun Maxime, le frérot de Jérém. Je lui fais un grand signe. Il me reconnaît à son tour, et il court direct vers moi.

—    Nico ! Ça fait du bien de te voir, fait le petit brun en me claquant deux bonnes bises.

—    Moi aussi je suis content de te voir, même si j’aurais préféré que ce soit dans d’autres circonstances.

—    Tu sais pour l’accident de Jérém ?

—    Oui, je l’ai vu en direct à la télé.

—    Quelle rogne ! Il ne fallait pas ça !

—    Non, il ne fallait pas, je commente.

—    Tu vas bien ? j’enchaîne, lorsque nous avons pris place côte à côte dans la rame.

—    Non, pas vraiment.

—    Question bête, désolé. Je m’en doute bien que ça ne va pas.

Le train sort lentement de la gare.

—    Je ne sais même pas si je vais pouvoir le voir, mais je ne peux pas rester ici. J’ai besoin d’être près de lui, je lui glisse.

—    Moi pareil, je ne peux pas rester là sans rien faire. Ça me déchire tellement le cœur !

—    Sinon, tu as des nouvelles, Maxime ?

—    Papa a eu le coach ce matin au téléphone. A priori la nuit s’est bien passée, les médecins lui ont donné des trucs pour calmer la douleur et pour dormir. Tu as appris ce qu’ils lui ont trouvé après aux radios ?

—    Oui, gros problème au genou et à la cheville. Thibault a pu se renseigner. Et la tête ?

—    Ils vont lui faire passer d’autres tests aujourd’hui pour surveiller l’évolution. A l’heure actuelle, c’est ça le plus inquiétant. T’imagines qu’il pourrait avoir des séquelles à vie ?

—    A vie ? Des séquelles comme quoi ?

—    Le neurologue dit que ce genre d’accident peut provoquer des pertes d’équilibre et de coordination musculaire pendant longtemps, ou même pour toute la vie. Sa carrière serait fichue ! Sa vie toute entière serait fichue !

—    Il ne faut pas penser au pire, Maxime. Je pense qu’il est dans des bonnes mains. Et puis, c’est un garçon solide. Il faut rester confiant.

—    Je n’y arrive pas, Nico, je n’arrête pas de retourner tout ça dans ma tête. Et ça me rend fou !

Ce petit mec en détresse me touche immensément, tout comme il m’avait touché lors du premier accident de Jérém. L’amour fraternel est un sentiment si pur et si beau.

—    Il n’a pas de chance mon frérot ! il s’exclame, en sanglotant.

Je le prends dans mes bras et je tente de le calmer.

Le train vient tout juste de passer Montauban lorsque le téléphone de Maxime se met à sonner.

—    Oui, papa, décroche le petit brun, l’air effrayé.

—    Ah putain… et ils n’ont pas vu ça hier, après l’accident ?

—    Ils l’opèrent ce matin ?

—    Je suis dans le train. Tu viens quand ?

—    Fais vite, à tout.

—    Qu’est-ce qui se passe ? je l’interroge dès qu’il raccroche son portable.

La frustration et l’inquiétude provoquées par cette conversation à moitié, ainsi que par l’attitude de plus en plus agitée du beau petit brun, sont insoutenables.

—    Ce matin les médecins lui ont trouvé un hématome sous-dural, et ils vont tenter de le lui évacuer au plus vite.

—    Je n’arrive toujours pas à croire à ce qui s’est passé. Un instant avant il courait comme un lièvre, l’instant d’après, il était KO, je m’entends gémir.

—    Il faisait une saison d’enfer, il allait casser la baraque au Stade. Putain, quel con ce joueur de Biarritz ! Je te jure que si je l’avais devant moi, je lui péterais la tête !

Le petit brun est hors de lui, sa frustration se traduit dans une colère à la fois touchante et virile.

—    Excusez-moi, nous glisse un gars assis dans le siège de l’autre côté du couloir.

Il doit avoir une cinquantaine d’années. Ses cheveux sont grisonnants, ses lunettes stylées, son regard pénétrant. Il est habillé avec une chemise blanche, une veste et un jeans, et il dégage une classe certaine.

—    Je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre votre conversation, il enchaîne après avoir attiré notre attention. Vous parliez de Tommasi, le joueur du Stade qui a été blessé hier en plein match ?

—    Oui, pourquoi ? fait Maxime, sur un ton agacé.

—    Vous êtes des proches ?

—    Oui.

—    Je peux vous demander comment il va ?

—    Nous n’avons pas plus de nouvelles que celles que vous avez entendues, fait Maxime, encore plus sèchement.

—    Désolé, je ne veux pas m’immiscer dans votre vie privée. C’est juste que j’admire énormément ce garçon. Son jeu est brillant, son aisance sur le terrain dégage un panache fou. Ça se voit qu’il aime ce qu’il fait et c’est vraiment beau de voir quelqu’un qui a réussi à faire de son travail des vacances. Ça me peine de le savoir blessé. Ça me peine que tout se soit arrêté si soudainement pour lui.

—    A qui le dites-vous ! C’est une cata ! fait Maxime, le regard perdu, la voix émue.

—    Vous êtes des amis ?

—    Je suis son frère.

—    Je suis… un ami, j’ajoute.

—    Ecoutez-moi, les garçons. Dites-vous bien que pour qu’il ait une chance de s’en sortir, il va avoir besoin de vous qui êtes les plus proches. Pour remonter la pente, la route va être longue, parsemée d’obstacles qui vont sembler insurmontables. Il va vouloir renoncer, tout envoyer balader. Et il va avoir besoin d’être encouragé et soutenu, surtout à ces moments-là.

—    Et qu’est-ce que vous en savez, vous ? fait Maxime, sur un ton emporté.

—    J’ai oublié de me présenter : je m’appelle Marc Dupuy. Et, en plus d’être un grand amateur de rugby, je suis chirurgien orthopédiste au CHU de Toulouse. J’ai vu passer pas mal de jeunes sportifs sur mon billard, rugbyman, footballeurs, handballeurs, avec des blessures graves. Et je peux vous dire que ceux qui s’en sont sortis, ce sont ceux qui ont eu du soutien pendant toute la durée de la rééducation. Il ne faut pas le lâcher, même s’il devient odieux. S’ils deviennent invivables, c’est parce qu’ils souffrent, et ils souffrent parce qu’ils ont peur d’avoir tout perdu. Il faut être forts. Il faut l’être pour vous, et pour lui.

—    Et surtout, il continue, il faut s’arranger pour qu’il n’arrête jamais d’y croire, même s’il prétend le contraire. Car l’espoir est l’élément clé de la guérison. Il n’est bien évidemment pas suffisant, mais il est terriblement nécessaire. Tout est possible, pourvu qu’on continue à rêver.

—    Pour l’instant il a une commotion cérébrale et une poche de sang dans le ciboulot !

—    J’imagine qu’il est dans les mains des meilleurs médecins à Paris. Il faut être confiant.

Le train ralentit et l’arrivée en gare de Montauban est annoncée.

—    Moi je descends ici, fait le chirurgien, en se levant.

—    Tenez, les garçons, il nous glisse, en nous tendant une carte. Je vous ai marqué mon numéro de portable direct, si jamais vous avez besoin d’avoir un autre son de cloche. Parfois, il est intéressant de recueillir plusieurs avis.

—    Merci, fait Maxime sèchement, mais il est déjà pris en charge.

—    Je n’en doute pas. Mais sait-on jamais.

—    Merci, je lui glisse, touché par sa gentillesse, en saisissant la carte que Maxime a refusé de prendre.

—    Avec plaisir. Vous pouvez m’appeler à n’importe quelle heure. Passez mes amitiés à Mr Tommasi quand il sera réveillé.

Maxime et moi n’avons jamais eu l’occasion de passer autant de temps ensemble. Nous employons le reste du voyage à discuter. Maxime me parle de leur enfance difficile après le départ de leur mère. Il m’avoue avoir repris contact avec cette dernière depuis quelques mois, un choix que son frère aîné n’approuve pas et qui a été source de dispute avec lui.

Puis, il me questionne sur Jérém et moi. A priori, le petit brun n’a jamais eu ce genre de conversation avec son grand frère. Maxime veut savoir comment nous nous sommes trouvés, comment son frère est passé des nanas aux garçons, comment ça se passe entre nous avec la distance. Ça me fait du bien de parler de Jérém. Alors, je me prête au jeu.

Maxime est surpris lorsque je lui apprends que nous nous étions déjà « ensemble » avant le bac, et pendant tout l’été après notre bac.

—    Avant de me voir à l’hôpital de Toulouse il y a deux ans, tu ne t’es jamais douté que Jérém regardait les mecs ?

—    Jamais !

—    Pourtant, il y a eu d’autres gars avant moi. Des aventures, certes…

—    Non, je ne me suis jamais douté de rien. Il a bien caché son jeu. C’est quand je t’ai vu à l’hôpital, quand j’ai vu comment tu lui tenais la main, comment tu le regardais, comment tu étais mal, que j’ai compris.

Maxime est peiné quand je lui apprends à quel point son grand frère a eu du mal à s’accepter, et à accepter de se laisser aimer.

Il a l’air heureux d’apprendre qu’il a changé peu à peu, qu’il a appris à s’écouter, à se connaître, et que nous avons passé de très bons moments ensemble, à Campan, à Paris.

Et il a l’air très déçu lorsque je lui apprends que Jérém et moi nous ne sommes plus ensemble depuis plus de trois mois.

—    Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

—    Quand il y a de la distance, ce n’est jamais simple. Et quand il faut rester caché, c’est encore plus difficile. Jérém a peur pour sa carrière.

—    Je sais qu’il a peur. Au fait, tu as vu ce ramdam dans les journaux ?

—    Au sujet de lui et de cette greluche siliconée ?

—    C’est n’importe quoi cette histoire !

—    Quoi, cette histoire n’est pas vraie ?

—    Inventée de toute pièce !

—    Comment tu sais ?

—    Il me l’a dit ! C’est une idée de son agent pour lui donner une bonne image. Et ça le faisait tellement chier de devoir se prêter à ce jeu malsain. Mais son agent lui a forcé la main et il n’a pas pu refuser.

—    Pourquoi il aurait besoin d’une bonne image ? Il s’est passé quelque chose ?

—    Ça, je ne sais pas, il ne me l’a pas dit. Il m’a juste dit que c’était une idée de son agent.

Le train arrive en gare de Montparnasse vers 14 heures. Et mon téléphone se met à sonner.

« Ruben » s’affiche à l’écran.

Je ne réponds pas, je n’ai pas la tête à ça.

A l’hôpital, seul Maxime est autorisé à parler aux médecins.

Lorsqu’il revient, il a le regard empli de tristesse et les yeux humides.

—    Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?

—    L’hématome est résorbé, et le saignement a cessé.

—    C’est une bonne chose, non ?

—    Oui, mais le pronostic vital est toujours engagé.

—    Non !

—    Si, pendant encore 48 heures. Ils attendent de voir comment ça évolue. Ils ont peur que l’hémorragie reprenne, ils ont peur des séquelles neurologiques. Putain, c’est pire que ce que je pensais !

—    Un pas à la fois, ils vont le sortir de ce merdier ! je tente de le rassurer.

Et pourtant, au fond de moi, j’ai du mal à croire à ce que je viens d’avancer. J’ai terriblement envie de le voir. Mais je ne suis pas autorisé à le faire pour l’instant. J’ai beau l’aimer, je ne fais pas partie de sa famille.

En sortant de l’hôpital, nous allons manger un bout. Je crève de fatigue, la nuit quasi blanche commence à me peser horriblement. J’ai un mal de tête des plus carabinés.

—    J’y retourne, m’informe le petit brun.

—    Je viens avec toi.

—    Tu as l’air claqué, il considère.

—    Toi aussi tu as l’air claqué.

—    Va te reposer un peu. Inutile qu’on s’épuise à attendre à deux. Tu vas venir me relayer un peu plus tard, si tu veux bien.

—    Je veux bien, oui.

—    Tu as un point de chute à Paris ? il me questionne.

—    J’ai un peu d’argent pour prendre une chambre.

—    Tiens, il me lance, en me tendant un trousseau de clés.

—    Ce sont les clés de…

—    De son appart, oui. Je t’appellerai s’il y a du nouveau.

Pénétrer dans l’appart de Jérém trois mois après la dernière fois, ça me fait un drôle d’effet. Et savoir que Jérém ne rentrera pas parce qu’il est dans un lit d’hôpital, inconscient, blessé, me serre le cœur.

Le séjour est plongé dans un joyeux bazar. Jérém n’a jamais été un fan de ménage, et ça n’a pas changé. Dans la salle de bain, posée sur le rebord du miroir, la chaînette que je lui ai offerte pour l’anniversaire de ses 20 ans. Et son parfum qui flotte dans l’air. J’ai envie de pleurer.

Dans la chambre à coucher, le lit défait, des capotes sur la table de nuit, un emballage ouvert. Je n’arrive même pas à être jaloux.

Où que mon regard tombe, j’ai l’impression de voir dans cet appart l’instantanée d’une tranche de vie. Une tranche qui s’est arrêtée soudainement, violemment. Dans ces pièces où rien ne bouge, où tout est silence, je ressens une désolation lugubre. J’ai l’impression que tout est figé, et que le temps s’est arrêté.

Un t-shirt blanc abandonné sur le canapé attire mon attention. Je plonge mon nez dedans, je retrouve son parfum, son odeur. Je pleure.

La sonnerie de mon téléphone retentit dans la pièce sinistrement silencieuse.

« Ruben ».

J’ai oublié de le rappeler. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? Je sais qu’il ne comprendrait pas que je lui dise la vérité, que je suis monté à Paris pour être près du gars que j’aime plus que tout. J’ai besoin de retrouver mon souffle avant de l’appeler. J’ai besoin de trouver le courage et la force. Je suis assommé par cette situation et par le manque de sommeil. Avant de l’appeler pour lui annoncer que je ne rentrerai pas à Bordeaux le lendemain, j’ai besoin de trouver quelque chose de vraisemblable et d’acceptable à raconter. J’ai aussi besoin de me ressaisir. Je sais qu’il devinerait à ma voix que je viens de pleurer. Je sais que je n’aurais pas la force d’affronter sa suspicion, ses doutes, sa tristesse.

« Je t’appelle dans quelques minutes » je lui envoie par texto.

Pendant ces quelques minutes, j’appelle papa pour lui donner des nouvelles. Papa se veut rassurant, et il sait trouver les mots pour m’apaiser. En vrai, c’est surtout le fait de le sentir proche et concerné dans cette épreuve qui m’apaise.

J’appelle Ruben en suivant. Je me suis un peu calmé et j’ai trouvé du vraisemblable et de l’acceptable. Je lui raconte que ma mère est tombée dans la cuisine, qu’elle doit rester immobilisée pendant quelques jours. Et que, par conséquence, je vais rester à Toulouse pour m’occuper d’elle.

Ce n’est pas beau de mentir, mais je n’ai pas le courage d’affronter la vérité ce soir, et encore moins de prendre les mesures qui s’imposent. La vérité étant que, malgré la profonde affection que je ressens pour Ruben, je ne suis pas amoureux de lui. Parce que je suis toujours amoureux de Jérém.

Et la seule mesure qui s’impose, c’est celle de lui rendre sa liberté pour qu’il ait une chance de rencontrer un gars qui le rendrait heureux.

Mais pas ce soir. La journée a été assez éprouvante comme ça. Le mensonge est une façon de me protéger. Je m’arrange avec la réalité pendant de longues minutes, et Ruben n’y voit que du feu.

Les heures passent, le soir arrive, et toujours pas de coup de fil de Maxime. J’essaie de l’appeler plusieurs fois, mais je tombe toujours sur son répondeur. Mon inquiétude grandit au fil des heures silencieuses. Je n’ai pas envie de manger, je n’ai pas envie de regarder la télé. Je tourne en rond, comme un animal en cage. Je reste de longues minutes allongé sur le canapé à fixer le plafond.

La sonnette de l’appart retentit vers 22 heures. Le petit brun débarque enfin, l’air complètement lessivé.

—    Ça va ? je le questionne.

—    Je suis KO.

—    Je comprends. Et ton frère ?

—    Ils ont refait un scanner, et il n’y a pas eu d’autres hémorragies.

—    C’est bien, ça, je me réjouis.

—    L’activité cérébrale semble convenable.

—    Un autre pas en avant !

—    Ils ont dit que les 24 prochaines heures vont être décisives.

—    Ça va aller, j’en suis sûr !

—    Ça me rassure de savoir que papa est près de lui cette nuit.

Maxime part à la douche. Il revient quelques minutes plus tard, torse nu, enveloppé par un délicieux nuage olfactif chargé de la fraîcheur humide du gel douche. Il sent divinement bon. Une serviette autour de la taille, les cheveux bruns encore humides, il est beau comme un petit Dieu. A peine un peu plus petit en taille que son grand frère, mais tout aussi bien bâti, avec de beaux pecs et des abdos finement dessinés. La ressemblance avec Jérém est troublante. Adorable et beau petit mec.

Maxime insiste pour prendre le canapé et me laisser le lit.

Cette nuit-là non plus je ne dors pas beaucoup. Je n’arrive à trouver le sommeil qu’en serrant le t-shirt de Jérém contre mon visage et en imaginant qu’il soit là, à côté de moi. Qu’est-ce qu’il me manque !

Lundi 10 mars 2003.

Le lendemain, nous nous rendons à l’hôpital de bonne heure. A notre arrivée, le père de Jérém est en train de s’entretenir avec le neurologue. Lorsqu’il revient, il nous rapporte que la nuit s’est bien passée, qu’il n’y a pas eu de nouvelles complications. Un autre pas en avant. Et que si tout va bien, ils vont le laisser émerger tranquillement en fin de journée. L’horizon semble s’éclaircir un peu, enfin, après 48 heures d’inquiétude et de désarroi.

—    J’ai aussi parlé avec le chirurgien orthopédiste…

—    Il a dit quoi ?

—    Les ligaments croisés antérieurs sont déchirés. Il va falloir opérer au plus vite. Sa cheville est en vrac aussi, le tendon d’Achille est arraché.

—    Putain, la totale ! fait Maxime, l’air bouleversé.

—    Il va devoir affronter de longs mois de rééducation…

—    Il pense qu’il pourra rejouer un jour ?

—    Il ne m’a pas semblé très optimiste à ce sujet.

—    Oh putain !!! Putain !!! Putain !!! s’emporte le petit brun.

—    J’en ai un dégoût, tu peux pas savoir, fait Mr Tommasi, l’air épuisé, perdu, ahuri, prenant appui des épaules contre la cloison du couloir. Je ne sais même pas comment on va pourvoir lui annoncer tout ça quand il se réveillera.

—    On va l’aider, on ne va pas le lâcher d’une semelle, et il va revenir au top ! fait Maxime, dans une soudaine démonstration d’optimisme qui n’est en fait que le reflet parfaitement symétrique de son inquiétude.

Les mots du petit brun ressemblent en effet à une réaction au désarroi de son père, à une façon de refuser une réalité trop dure à accepter.

—    Je m’en veux tellement de ne pas lui avoir dit à quel point je suis fier de ses exploits au Stade ! se morfond Mr Tommasi.

—    Et pourquoi tu ne l’as pas fait ? l’apostrophe Maxime. Tu peux pas savoir à quel point il attendait que tu lui montres que tu étais fier de lui ! C’est pourtant pas faute de te l’avoir dit !

—    Tu sais bien que depuis le départ de votre mère, entre Jérém et moi ça n’a jamais été facile. Et puis, je n’ai jamais été doué pour montrer ce que je ressens…

—    C’est ton fils, et tu dois te démerder pour lui dire que tu es fier de lui, si tu es fier de lui, putain !

—    Je suis fier de lui, et je suis fier de toi. Vous êtes deux garçons merveilleux.

Une infirmière vient annoncer que la famille est autorisée à aller voir le patient.

—    Je laisse ses frères y aller d’abord, ment le père sans hésiter.

—    Vous avez trois beaux garçons, elle commente, en n’y voyant que du feu.

—    Je ne me plains pas…

Je laisse le vrai frère y aller avant moi. Il en revient en larmes.

C’est à mon tour d’y aller. J’ai l’impression de revivre l’angoisse du premier accident de Jérém, en pire. J’ai les jambes en coton, le cœur en fibrillation, je ressens une oppression étouffante dans mon torse, j’ai du mal à respirer.

Jérém est allongé sur le lit médicalisé, les yeux fermés, un masque respiratoire sur la bouche. Moi non plus je ne peux retenir mes larmes. Pourvu qu’il se réveille, pourvu qu’il n’en garde aucune séquelle.

Et en même temps, je me surprends à redouter l’instant où il se réveillera, où il apprendra la gravité de ses blessures, et le long parcours difficile qui l’attend pour remonter la pente. Est-ce qu’il pourra seulement la remonter ? Je sais que ça va le démolir.

Mr Tommasi y va en dernier. Lorsqu’il revient, je suis seul, Maxime est parti prendre l’air pour essayer de se calmer.

—    Merci d’avoir menti pour me permettre d’aller le voir, je lui glisse.

—    C’est normal. Tu as fait le déplacement de Toulouse pour venir le voir, alors tu méritais de le voir. Tu es un bon gars. Tu es un ancien copain de lycée, c’est ça ?

—    Oui.

—    Je t’avais vu la dernière fois qu’il avait été à l’hôpital après une bagarre…

—    Voilà.

—    Nico, si je me souviens bien…

—    Oui, c’est ça.

—    Et vous avez gardé contact même après que Jérém soit parti à Paris ?

—    Oui, on s’appelle de temps à autre, je mens.

—    C’est important les bons copains. Les nanas, ça ne fait pas tout, il commente.

—    Non, ça ne fait pas tout, je confirme.

A 19h30, la nouvelle qu’on attendait depuis 48 heures tombe enfin : Jérém est conscient. Nous tirons tous ensemble un profond soupir de soulagement. Pour la première fois depuis que nous sommes à Paris, je vois le beau visage de Maxime se décrisper et amorcer un petit sourire.

A 19h55, l’infirmière vient nous annoncer que nous pouvons à nouveau aller le voir l’un après l’autre.

—    Je vais y aller en premier. C’est à moi de faire le sale boulot, annonce Mr Tommasi.

—    Vas-y mollo, papa… s’il te plaît ! fait Maxime, le regard redevenu soudainement pensif et préoccupé.

Mr Tommasi disparaît dans la chambre de Jérém. Les secondes s’égrènent lentement, lourdes comme des pierres. Maxime et moi tendons l’oreille. Mais rien ne vient.

Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’on entend la voix de Jérém se lever, rugir sa détresse. Mr Tommasi revient l’air défait.

Maxime disparaît à son tour dans la chambre de Jérém. L’adorable frérot est certainement le plus à même de réconforter le rugbyman blessé. Au fil des minutes, je ressens une grande angoisse monter en moi. Après ce qu’il vient d’apprendre, Jérém doit être au fond du trou, et d’une humeur massacrante. Je me demande comment il va réagir quand il va me voir, je me demande si je ne vais pas me faire jeter direct.

Maxime revient une demi-heure plus tard, l’air lui aussi complétement défait.

—    Comment il va ?

—    Mal. J’ai essayé de lui remonter le moral, mais rien n’y fait. Je lui ai parlé pendant de longues minutes, et il n’a pas dit un mot. Il regardait le mur. Il est complètement sous le choc.

—    Tu veux y aller ? il me questionne.

—    Tu lui as dit que je suis là ?

—    Oui.

—    Il a réagi comment ?

—    Il a dit qu’il ne veut voir personne.

—    Alors je ne vais pas le déranger.

—    Vas-y quand même, je suis sûr que ça lui fera plaisir de te voir.

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Fabien

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