JN0319 Les emmerdes de Jérém
[Mardi 28 janvier 2003, 2h06.
Tu as horreur de la paperasse. Tu n’ouvres ta boîte aux lettres que lorsqu’elle déborde. Et tu ne tries ton courrier que quand tu as besoin de faire de la place sur la table de ton séjour. Ou quand tu fais des insomnies.
L’enveloppe arrivée de Bordeaux est restée ignorée avec tant d’autres pendant de nombreux jours. Elle était coincée dans un encart publicitaire, et elle a failli partir à la poubelle avec. Heureusement, elle est tombée pile à tes pieds, et du côté de l’adresse. En voulant la ramasser, ton regard est tombé dessus. Tu as immédiatement reconnu son écriture. Et ton cœur a fait un bond dans ta poitrine.
Inutile de prétendre le contraire, Jérémie. La lettre que Nico t’a envoyée t’a énormément touché, et depuis les tout premiers mots. Au fur et à mesure que tu les lisais, tu as senti ta poitrine se serrer si fort que tu as fini par avoir l’impression de ne plus pouvoir respirer.
Cette lettre, totalement inattendue, carrément bouleversante, tu l’as lue et tu l’as relue, et elle t’a tiré des larmes. Car c’est la première fois que tu lis « je t’aime ». Et tu réalises que si te l’entendre dire c’est merveilleux, le lire c’est encore autre chose. Les mots dits passent. Et même si elles résonnent dans ton esprit, leur souvenir n’est pas aussi saisissant que la présence durable de celles qui sont écrites, et que tu peux relire à chaque fois que tu en as envie. Les mots écrits ne disparaissent pas. De plus, ils sont chargés de l’intention de celui qui les a écrites de les faire arriver jusqu’à toi.
Pendant qu’il écrivait cette lettre, Nico était loin de toi. Et, pourtant, il a pensé à toi. Il a pensé à toi avant de l’écrire, pendant qu’il l’écrivait, en la postant, et encore après l’avoir postée. Il a dû se demander, et il doit probablement toujours se demander, qu’est-ce qu’elle allait t’inspirer.
Cette lettre a traversé son esprit, sa main, puis des centaines de bornes pour arriver jusqu’à toi. Et maintenant, ces mots sont à toi, tant que tu voudras les conserver.
Et ce sont des mots d’amour, de bien beaux mots d’amour. Une preuve tangible de l’existence, de la persistance de son amour. Cet amour qui te manque à en crever. Et le fait de le retrouver intact, après l’avoir tant malmené, te vrille les tripes.
Si ses mots te touchent tant, c’est parce qu’elles pourraient être les tiennes. Si seulement tu avais le cran de les exprimer.
Parce que pour toi aussi quelque chose de spécial a commencé au lycée, la première fois que tu as capté son regard. Tu as d’abord senti qu’il était impressionné par toi, comme pas mal de monde, d’ailleurs. Tu as senti son désir, timide, gêné, et pourtant brûlant. Mais tu as vite compris qu’il n’y avait pas que ça dans son regard.
En fait, tu as surtout senti qu’il y avait vu que sous ta carapace de frimeur insolent, de petit con, de petit macho, se cachait un garçon sensible avec un énorme besoin d’être aimé. Et ça, c’était la première fois que tu le ressentais. Pour la première fois, tu avais l’impression que quelqu’un t’avait percé à jour.
Cela t’avait d’abord mis en pétard. Depuis ton adolescence, tu avais tout fait pour cacher tout ça, celles que tu considérais tes faiblesses. Tu avais fait des pieds et des mains, des milliers d’heures de muscu et d’entraînement au rugby, de dizaines de nanas baisées et jetées juste après pour être considéré comme un « vrai mec », pour être respecté, jalousé, envié. Et y étais parvenu.
Et là, en croisant le regard de Nico, tu avais l’impression d’être mis à nu. Tu avais l’impression que ce regard anéantissait tous tes efforts pour te créer une image dans laquelle tu te sentais à l’aise.
Il t’a fallu trois ans pour trouver le cran de laisser ce garçon t’approcher.
Ses demandes de câlins lors de vos premières « révisions » dans l’appart de la rue de la Colombette tu les ressentais comme la preuve qu’il savait que tu en avais envie autant que lui. Et ça te braquait. Tu en avais envie, bien sûr, mais tu ne pouvais pas l’admettre. Tu voulais être fort, tu voulais n’avoir besoin de personne.
Il t’a fallu longtemps pour lâcher prise, pour faire confiance. Il t’a fallu un clash, il t’a fallu ressentir la peur, le vertige de l’avoir perdu, pour y parvenir.
C’est à Campan, lorsque tu as vu Nico apparaitre sous la halle malgré la pluie battante, malgré tout le mal que tu lui avais fait subir, que tu as enfin su ce qu’être heureux signifiait. C’est quand tu lui as fait l’amour dans la petite maison dans la montagne, et que tu as accepté sa tendresse et sa douceur, que tu t’es enfin senti en phase avec toi-même.
Ça t’a fait un bien fou de laisser s’exprimer cette partie de toi, celle que Nico a appelé dans sa lettre « cette douceur qui est en toi et que tu caches trop souvent ». Dans ses bras, après l’amour, tu as enfin eu l’impression de respirer à pleins poumons. Tu n’avais jamais ressenti cela auparavant.
Depuis tes toutes premières expériences sexuelles, tu n’avais jamais supporté aucun contact physique, ni avec une nana, et encore moins avec un mec, après avoir joui. Te réveiller le matin à côté de celle ou de celui que tu avais baisé la veille t’était tout simplement insupportable.
Nico a changé pas mal de choses dans ta vie. Avec lui, tu as connu le bonheur d’un câlin après le sexe, celui de sentir sa présence dans ton lit la nuit, et celui te réveiller à côté de lui le matin venu. Tu as connu celui de le voir heureux en l’appelant « Ourson ». Et celui de l’entendre t’appeler « P’tit Loup ».
Tu as pendant longtemps essayé de te convaincre qu’il ne t’aimait que parce qu’il te trouvait bogoss, et bon baiseur. Mais au fond de toi tu as toujours su que son amour ne s’arrêtait pas là, qu’il n’était pas qu’attirance, qu’il y avait bien plus que ça. Il te l’a montré en restant près de toi malgré tout ce que tu lui as fait endurer. Il te l’a montré lors de ton accident de voiture à Paris, lorsqu’il a pris les choses en main et qu’il t’a vraiment sorti du pétrin. Là, il t’a carrément impressionné.
Et toi, tu l’as blessé et déçu. Tu sais que tu as été injuste avec lui quand tu l’as comparé à Ulysse, qui a pas mal d’années plus que lui. Tu sais que tu as été odieux lorsque tu lui as dit qu’il n’était qu’un gamin et en sous-entendant qu’il ne sera jamais « un homme ». Qu’il ne sera jamais assez bien pour toi.
« Je t’aime tel que tu es. Je t’aime pour tout, je t’aime tout le temps », « je t’aime malgré toutes nos différences ».
Ce sont les plus beaux mots qu’on t’as jamais adressés. Et tu sais que ce ne sont pas des mots en l’air. C’est pour cela qu’elles te touchent autant.
Toi non plus tu n’aurais jamais pensé que c’était possible d’être aimé si fort. Et Nico t’a prouvé le contraire. Et il t’a montré aussi que c’était possible d’aimer un garçon, et de l’aimer d’une façon dont tu ne te serais jamais cru capable.
Après avoir lu sa lettre, tu as eu envie de l’appeler sur le champ. Mais il était deux heures du mat’ et tu t’es dit que ce n’était pas une heure pour renouer le contact avec le gars que tu aimes après l’avoir rejeté si brutalement. Tu t’es dit que tu le ferais le lendemain matin. Tu t’es endormi heureux et plein d’espoir.
Le lendemain matin, tu étais à la bourre et tu n’as pas pris pas le temps de le faire. Tu aurais dû. Parfois il faut prendre le temps quand on en envie, avant que la vie nous mène sur des chemins imprévus. Car ce qui allait se passer ce jour-là, allait couper tes ailes et stopper net ton élan.
Mais au matin de cette journée qui allait se terminer d’une façon particulièrement pénible, tu te sens tout léger. L’envie de reprendre contact avec Nico te suit pendant tout le trajet vers le centre d’entraînement, et elle grandit en toi pendant tes exercices du matin. A midi, tu ne tiens plus en place. Tu te dis que c’est un gâchis monumental que de gaspiller tant d’amour et de bonheur. Car cet amour et ce bonheur sont trop rares et précieux pour passer à côté. Tu te dis que tu as été un vrai con de le jeter comme tu l’as fait, et que tu dois te rattraper avant que ce ne soit trop tard.
Tu te dis que ce béguin que tu avais pour Ulysse n’était rien comparé à ce qu’il y a entre Nico et toi. Et ce n’est pas parce qu’Ulysse t’est inaccessible. Tu sais que jamais Ulysse t’écrirait une lettre comme celle que t’a écrit Nico.
Pendant le match de l’après-midi, tu te demandes à quel moment de la soirée tu vas l’appeler, comment tu vas t’y prendre pour t’excuser, et pour éviter de te faire jeter. Car tu as peur de te faire jeter. En fait, tu as peur que ce soit déjà trop tard.
Mais ce jour-là, en fin d’après-midi, quelque chose allait se passer à la sortie des douches, quelque chose qui contrarierait complètement tes plans.
Juste avant que tu partes du centre d’entraînement, ton agent t’appelle et te demande de passer à son bureau au plus vite. D’après le ton de sa voix, tu sens qu’il se passe quelque chose de grave. Tu lui demandes ce qui se passe, mais il te dit qu’il t’en parlera de vive voix. Tu cogites. Tu t’inquiètes.
Je t’ai fait venir parce que je dois te parler d’un truc un peu délicat… il te balance direct, le regard planté sur toi.
Quel truc ? tu lâches, soudainement inquiet.
Alors voilà : hier soir j’ai reçu un coup de fil d’une amie qui travaille dans un torchon à scandales. Il s’agit du plus con et en même temps du plus vendu de tous les torchons dans son genre…
Et ?
Apparemment, l’un de leurs journalistes aurait eu vent de certains bruits qui courent sur toi.
Quels bruits ?
Il semblerait qu’il t’arrive de traîner dans des lieux un peu douteux.
Quels lieux douteux ?
Allez, Jérémie, on va jouer cartes sur table, ça nous fera gagner du temps.
Mais de quoi vous parlez ?
On t’a vu traîner dans des boîtes à pédé.
N’importe quoi !
Tu sais, il n’y a pas que des avantages à être connu. La vie privée, tu oublies. Surtout maintenant qu’on te voit presque à poil à la télé et partout dans la rue ! Ton corps attire les regards, ta belle tronche aussi, alors on commence à te reconnaitre.
Ce que tu avais redouté est en train d’arriver. Tu te sens humilié, tu as envie de disparaître dix mètres sous terre. Tu as l’impression d’avoir le visage en feu, la poitrine resserrée sur tes poumons.
Ça a dû arriver une fois… tu tentes de minimiser.
D’après ce qu’elle a entendu, c’est arrivé plusieurs fois.
Tu ne sais plus quoi répondre, tu essaies de donner des explications confuses. Mais tu sens que tu t’enfonces un peu plus à chacun de tes mots, comme quelqu’un qui essayerait de s’extirper de sables mouvants en se débattant.
T’inquiète pas mon garçon, je ne te veux aucun mal, bien au contraire. Je te trouve sympathique, et je veux t’aider, si tu m’en laisses l’occasion.
Comment voulez-vous m’aider ?
Il y a une solution à tout, pour peu qu’on se donne la peine de l’envisager. D’abord, saches que perso je m’en fous que tu te tapes des mecs. C’est ton droit, tu fais ce que tu veux de ta vie. Ça ne change rien pour moi, et cette conversation ne sortira pas de ce bureau.
Mais il vaudrait mieux pour toi que ces bruits cessent au plus vite, il continue. Si tu veux être respecté par tes coéquipiers, le staff, tes adversaires, le public, il ne faut pas que ça se sache que tu es… comme ça. Si tu veux mener à bien ta carrière, il ne faut pas que ça se sache. Si ça se sait, tu seras confronté à des regards suspicieux, moqueurs, hostiles. Tu connaîtras le rejet, les insultes. On te fera la misère. Et si tu as tout ça à gérer, tu ne seras pas assez concentré sur le rugby. Et si tu n’es pas à 200% dans le rugby, tu vas foirer ta carrière. Si tu es déstabilisé par ce genre de conneries, tu ne pourras plus avancer. Ce serait comme être lesté d’un poids de 50 kilos en permanence sur tes épaules. Tu serais en permanence sous pression, et tu ne tiendras pas jusqu’à la fin de la saison. Tu comprends, mon grand ?
Ouais, ouais, ouais…
Il faut aussi penser aux sponsors. Si ça s’ébruite, je ne donnerais pas cher de ton contrat avec les boxers. Ils filent beaucoup de blé, à toi et au club, et ce serait dommage de rater ça.
Alors, qu’est-ce que vous proposez concrètement ? tu t’impatientes, t’inquiètes, t’irrites.
Je t’explique, c’est très simple. La meilleure défense, c’est toujours l’attaque. Mon amie du torchon me propose un marché gagnant-gagnant.
Un marché ?
Elle voudrait raconter une histoire dont tu serais le protagoniste.
Quelle histoire ?
L’histoire d’un rugbyman connu qui a une idylle avec une nana connue.
Quelle nana connue ?
J’imagine que tu ne regardes pas la Star Ac…
Non, pas du tout !
Je m’en doutais. Donc tu ne sais pas qui est Alexia…
C’est pas la blonde aux gros nichons ?
Ah, je vois que tu connais les émissions télé avec les critères du public masculin ! T’es sûr que t’es pédé ? Je rigole, je rigole. Oui, c’est pile poil elle. Tu vois, cette conasse ne sait pas chanter pour un sou, elle a l’éducation d’un marcassin, l’intelligence d’un poulpe, mais justement elle a de gros nichons. Alors la prod de l’émission cherche à en faire une people pour capitaliser sur sa popularité par ailleurs inexplicable. Et quoi de mieux pour cela, que de la maquer avec un rugbyman en pleine ascension ?
Tu veux dire que…
Qu’ils inventeraient une histoire de toute pièce entre vous deux. Ils organiseraient un shooting soi-disant « volé », et ils échafauderaient votre idylle sur 3 ou 4 numéros, avant d’annoncer votre rupture dans quelques temps. Ça va leur faire vendre du papelard, et ça va couper l’herbe sous les pieds aux bruits qui courent sur toi. Ça va être bon pour ton image et pour celle de l’équipe. Gagnant-gagnant…
C’est ça, gagnant-gagnant ? Tu sais que dans cette histoire tu vas perdre plus que tu vas gagner. Tu penses à Nico, à sa lettre, à son amour, à ton envie de l’appeler pour renouer le contact avec lui. Tu sais que si ce shooting va sortir, il va encore souffrir. Tu sais que tu vas le perdre pour de bon, et ça te déchire le cœur. Tu es hors de toi et ça doit se voir.
Ne fais pas la tête, mec ! Il vaut mieux ce genre d’exposition médiatique que de laisser courir des bruits qui peuvent te nuire, non ? Les gars de l’équipe et les supporters ne vont y voir que du feu, tu vas être leur héros. Ils adorent les mecs qui se tapent des bonnes pétasses. Et là, avec Alexia, on tient le pompon dans le genre. Après ça, si des bruits continuent à courir sur toi, ils seront perçus comme des conneries.
Pense à ton contrat avec le club. Il ne court que jusqu’à la fin de la saison pour l’instant…
En oscillant en permanence entre bienveillance et mise en garde, ton agent te fait comprendre que tu n’as pas le choix. Tu acceptes à contrecœur, parce que tu n’as pas le choix. Et tu es même obligé de le remercier de voler à ton secours pour rattraper le coup de ton imprudence. Alors qu’au fond de toi, tu sais que tu n’as rien fait de mal. Ton projet d’appeler et de renouer tombe à l’eau. Et ça t’arrache les tripes.
Cette fois-ci on va t’arranger le coup, il te glisse avant que tu partes. Mais sois davantage prudent à l’avenir. Ne laisse pas cette partie de ta vie éclipser tout le reste. C’est pas ce que tes coéquipiers et tes supporters ont envie de savoir de toi.
Je vais me faire nonne pour leur faire plaisir !
Allons, Jérémie, tu gagnes assez d’argent pour te payer des beaux gars qui te feront tout ce que tu veux et qui savent la boucler, en prime. J’ai des contacts partout, je peux t’avoir des numéros de téléphone si tu le souhaites.
Non, merci, ça ira.
Comme tu voudras. Mais, surtout, surtout, surtout, je t’en supplie, si tu couches avec des gars, mets toujours une capote. Je t’aime bien Jérémie. Je crois en toi. En fait toute l’équipe croit en toi, y compris la direction. Tu as une carrière très prometteuse devant toi. Ne la gâche pas à cause du cul, ok ?
Sur le shooting, tu es mal à l’aise. Cette Alexia est une vraie teigne. Elle se prend pour une star, alors qu’elle est creuse comme une coque de bateau après déchargement. Le photographe te demande de la prendre dans tes bras. Il fait chaud, et son parfum envahissant te remplit les narines et te donne envie de gerber. Sa présence t’irrite, le contact avec sa peau te donne des urticaires. De loin, tu la trouves vulgaire. De près, tu la trouves rebutante. Et pourtant, dans le passé, tu t’es tapé des nanas dans ce style. Plus elles étaient haut-placées dans « l’échelle de la cagolerie », selon l’expression de ton pote Thierry qui avait des origines marseillaises, plus elles te tapaient dans l’œil. En fait, tu cherchais des nanas qui tapaient dans l’œil de tes potes, pour leur en mettre plein la vue. Mais ça, c’était avant. Avant que tu arrêtes de te mentir. Avant que Nico t’apprenne à écouter tes envies, à te respecter.
Tu es obligé de passer de longues heures à coté de cette sombre pétasse, alors que la seule personne que t’as envie de prendre dans tes bras, c’est Nico, justement. Tu n’arrêtes pas de te demander ce qu’il va ressentir quand ces images vont sortir dans la presse. Tu voudrais l’appeler pour lui expliquer, mais tu es si mal que tu ne t’en sens pas le courage. L’appeler pour lui dire quoi ? Que tu es désolé de l’avoir jeté, que finalement Ulysse n’a pas voulu de toi, que tu t’es tapé quelques mecs, que tu t’es fait gauler, que tu te fais prendre en photo avec une conasse pour me protéger, mais que tu ne te sens pas le courage de le revoir parce que plus que jamais tu te sens en danger ? C’est trop de choses à expliquer, à avaler, à pardonner, à accepter. Tu ne peux lui en demander autant.
Le photographe te demande de sourire comme un gars heureux de se taper une femme que tant d’hommes désirent. Le fait est que tu ne la désires pas, pas du tout même. Elle a l’air de te kiffer, elle n’arrête pas de te chauffer. Tu ne sais plus comment la recadrer poliment, alors que tu as envie de l’envoyer chier, et d’une force !
Mais tu continues de ronger ton frein. Tu sais que tu as trop à perdre en envoyant tout bouler. Alors, même si tu as du mal à sourire, et à supporter cette mise en scène grotesque, tu prends sur toi et tu t’efforces de donner le change. Tu te sens comme pris en otage, on plutôt comme un condamné en sursis. On t’a évité la sanction une fois, et on t’a bien fait comprendre que la récidive pourrait t’être fatale. Alors, tu te dis que renouer avec Nico, ce n’est pas la meilleure façon d’éviter la récidive. Tu as besoin de montrer patte blanche, tu as besoin de laisser ces ragots derrière toi. Tu ne pourras plus sortir dans une boîte gay, ni dans un lieu de drague. Ton agent a raison, tu as assez d’argent pour payer des mecs que te garantissent la discrétion. Mais tu devines que payer, ça va t’enlever tout le plaisir de te sentir désiré.
Tu te sens bridé, entravé, censuré. Tu touches du doigt le fait qu’en tant que sportif de premier plan et gay, ta liberté est restreinte. Tu te sens étouffer. Tu as envie de prendre Nico dans tes bras, de lui faire l’amour.
Tu sors de ce shooting complètement lessivé. L’invitation d’Alexia à aller chez elle finit de t’achever. Tu prétextes une grosse migraine pour t’en débarrasser. Encore un mensonge. Mentir te fatigue au plus haut point. Et avec ce shooting, tu mens à la terre entière. Un mensonge fait de mots, comme ceux de la lettre de Nico, qui resterons. Des mots imprimés avec des images, et tirés à de centaines de milliers d’exemplaires. Tu penses au mal que ces mots, ces images, ce mensonge, vont faire à Nico et ça te brise le cœur. Mais déjà, ce mensonge de taille industrielle c’est à toi qu’il fait du mal. Tu n’es à nouveau plus en phase avec toi-même, plus du tout.
Mais tu as besoin de cette histoire. Tu en as besoin pour te protéger.
« Imaginer ma vie sans toi m’est tout simplement impossible », « Cette sensation d’inachevé que je ressens au plus profond de moi, est ce qu’il y a de plus insupportable. Ce regret permanent, cette certitude qu’on est passé à côté de notre histoire, de notre vie, de notre amour, du bonheur. C’est si triste de me dire qu’on a eu la chance de nous rencontrer, de connaître l’amour, mais qu’il nous est impossible de le vivre sereinement.
Ses regrets, ce sont les tiens aussi. Mais tu finis toujours par lui faire du mal. Alors, tu te dis que le mieux c’est de ne plus essayer de renouer. Le mieux, c’est qu’il t’oublie. Mais il t’a écrit qu’il ne t’oubliera pas. Alors, la seule façon de le pousser à tourner la page, c’est de lui faire croire que tu ne l’aimes plus. Peut-être que ces images, que ces mensonges, vont atteindre ce but.
Toi non plus, tu ne l’oublieras pas].
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