JN01118 Un triste samedi soir toulousain.
Samedi 25 août 2001, au soir.
Je quitte le Grand Rond, et je vais marcher sur le Canal. Je marche longuement, sans regarder l’heure. Je marche au milieu des ombres s’allongent peu à peu.
Je n’ai pas envie de rentrer manger. J’envoie un message à maman, je prétexte une pizza avec des potes.
Le jour se couche sur la ville rose, les derniers rayons du soleil se fanent, laissant derrière eux des couleurs et des nuances pleines de charme.
La nuit s’installe peu à peu. Les arcades du pont Neuf s’illuminent, tout comme les candélabres du pont St Pierre qui semblent sortis d’un autre temps. Les berges de la Garonne entre les deux ponts sont éclairées comme en plein jour, permettant ainsi aux nombreux toulousains venus chercher de la fraîcheur au bord de l’eau de prolonger leur soirée jusqu’à tard.
Sur les vastes marches qui amènent aux berges, un petit brun assis à mi-pente est en train de boire une bière. Il y a quelque chose de violemment sensuel dans sa façon d’être, dans son regard. Je croise son regard, il est fixe, insistant. Quoi lire dans ce regard ? Un désir ? Une invitation ? De la curiosité ? De l’hostilité ? Est-ce qu’il est ému par mon regard ? Ou bien, est-ce que ce regard n’est pas tout simplement un regard alcoolisé ? Est-ce qu’il est à deux doigts de se lever et de me cogner devant tout le monde ?
Je finis par baisser les yeux, comme toujours intimidé, devant le regard d’un bomec.
Je coupe le contact visuel, j’avance de quelques pas. Puis je me retourne, furtivement. Le petit brun regarde ailleurs. Quel con d’avoir pensé qu’il pourrait s’intéresser à moi ! Et a fortiori en ce moment, alors que ma détresse doit se lire sur ma gueule et agir comme un répulsif certain.
Je trace mon chemin. Je me balade sur les berges, je longe le mur de soutènement de la route qui se déroule une vingtaine de mètres plus haut. Les briques rouges rendent petit à petit à la nuit la chaleur accumulée pendant la chaude journée estivale.
Chaque mètre carré de verdure est pris d’assaut par le toulousain en mode détente.
Sur l’étroite bande de verdure à côté de l’eau, une bande de potes est assise en cercle, comme une petite communauté qui se protègerait des intrusions externes. Des bouteilles de bière vides sont amoncelées au centre de ce petit cercle, comme des trophées d’une soirée simple et agréable.
Un peu plus loin, un mec assis sur le rebord en pierre est en train de textoter, le dos penché en avant. Son t-shirt gris découvre un bout de peau de ses reins, c’est simplement beau.
Un bobrun torse nu et casquette bleue vissée à l’envers sur la tête fait le clown, tout en buvant de grandes rasades de bière et en rigolant avec les potes assis sur l’herbe.
Une force inexplicable me pousse à quitter le bord de l’eau, à remonter des marches pour aller faire un tour dans le quartier de la Daurade, ce quartier que je connais si bien pour l’avoir fréquenté tous les jours pendant trois ans.
Petit pincement nostalgique en passant devant ce lieu, cette vieille et magnifique bâtisse que je n’ai pas encore appris à appeler « mon ancien lycée ».
Plus qu’un lieu, une époque de ma vie désormais révolue, une époque dans laquelle j’ai laissé « mes anciens profs ». Une époque après laquelle j’ai vu partir, à jamais dispersés dans leurs vies respectives, « mes anciens camarades ». Une époque qui a vu ma vie d’adulte commencer sur les ailes d’un amour dévorant, un beau jour de septembre de trois ans plus tôt, lorsque j’ai croisé le chemin de vie d’un beau brun de 16 ans, avec son t-shirt noir déjà sexy. Un garçon qui m’a fait connaître le feu d’artifice de l’amour physique, sans jamais m’ouvrir l’accès à son cœur.
Et maintenant, il va falloir que je m’habitue à appeler ce garçon « mon ex ».
Je me surprends à penser à lui pour la première fois, en tant que mon « ex ». C’est tellement triste !
Je me sens abattu, fatigué. Une partie de moi voudrait traverser la Garonne et rentrer à la maison.
J’ai mal aux pieds à force de marcher. Mais l’idée de me retrouver seul dans ma chambre, dans ce lit où les souvenirs m’étouffent, me paraît encore plus insupportable que de continuer à marcher.
Alors, je décide de rester encore un peu en ville. Ainsi, pour tenter d’anesthésier mes démons, je choisis le seul remède efficace que je connaisse. Celui qui consiste à m’abreuver, à m’étourdir, à m’énivrer de l’inépuisable beauté du « Masculin ».
Je reprends la direction du Capitole, et j’entends des voix de mecs derrière moi. Du coin de l’œil, je détecte une bande de potes. Ils marchent vite, ils me doublent, ils rentrent dans mon champ de vision. Ils sont cinq.
Un t-shirt blanc pas vraiment ajusté à un physique trop élancé.
Un t-shirt gris bien coupé et casquette rouge, morphologie p’tit rugbyman un peu trapu.
Un autre t-shirt me plait tout particulièrement : il est blanc sur le torse, avec les manchettes et les épaules jusqu’au col en bleu.
Il y a un deuxième t-shirt gris, mais moins bien rempli que l’autre.
Et, pour finir, un polo blanc sur une peau plus sombre, métisse.
Shorts, pantalons légers, mollets poilus, d’autres moins, baskets. Brushing de bogoss, d’autres plus approximatifs. Voilà une bande de potes de vingt ans lancés à toute allure vers leur nuit toulousaine, laissant derrière eux de subtiles trainées de propre et de parfum. Laissant derrière eux comme des étincelles de bogossitude, la vibration étourdissante des vies anonymes, pleines de promesses, de tous ces p’tits mecs croquant leur jeunesse et leur sexualité bouillonnante.
Une force irrépressible me pousse vers la place Wilson, puis vers la rue Gabriel Péri. Je passe devant la Bodega, ce pub dans lequel je ne suis pas souvent rentré mais où, lors de la soirée après le bac, j’ai fait une pipe mémorable à mon bobrun dans les chiottes.
Boulevard Riquet, le vent d’Autan agite les frondes des platanes. Le néon rouge de l’enseigne du ON OFF fait office de madeleine pour me rappeler un autre souvenir avec Jérém.
La nostalgie et la souffrance me déchirent le cœur. Putain de souvenirs ! Mais pourquoi notre cerveau et notre cœur ne disposent pas d’une fonction « Cliquez ici pour désinstaller toutes les composantes », fonction essentielle en cas de rupture sentimentale ?
Je m’engouffre dans la rue de la Colombette, je ne peux m’en empêcher. Je trace, je marche vite, je sens mon cœur se serrer devant cette façade si familière, devant ce théâtre de nos premières révisions, cette scène où se joue désormais une autre pièce, avec d’autres acteurs.
Je n’arrive toujours pas à vraiment réaliser que tout est fini, que j’ai perdu mon Jérém.
Si je te perds, que vais-je faire ?
Se perdo te/Si je te perds
Se perdo te cosa farò/Si je te perds, qu’est-ce que je vais faire ?
Io non so più restare sola/Je ne sais plus rester seul
Ti cercherò e piangerò/Je te chercherai et je pleurerai
Come un bambino che ha paura/Comme un enfant qui a peur
(,) Se perdo te, se perdo te/Si je te perds, si je te perds
Cosa farò di questo amore/Qu’est-ce que je vais faire de cet amour
Ti resterà, e crescerà/Il restera, il grandira
Anche se tu non ci sarai/Même si tu n’es pas là
La rue de la Colombette défile devant mes yeux embués, je passe devant la Ciguë, à la façade discrète et sombre, ce bar à mecs dans lequel je n’ai jamais fichu les pieds.
Je traverse Carnot, place Wilson à nouveau, rue d’Alsace-Lorraine, rue de la Trinité, place de la Trinité, avec sa fontaine ronde et ses trois statues se tournant le dos et tenant le bassin supérieur avec le bout de leurs ailes.
Trois mecs déboulent juste devant moi en sortant d’un café. Bande de potes bogoss toulousains, tous plus mignons les uns que les autres. Ils s’arrêtent au milieu de la petite place, en rond, ils discutent. Ils sont bientôt rejoints par un quatrième pote, tout aussi charmant.
Les quatre gars ne semblent pas pressés de partir, ils sont peut-être en train de décider où terminer leur soirée. Oui, comment vont-ils terminer leur soirée ? Avec qui vont-ils éventuellement prendre leur plaisir ? Est-ce qu’ils vont se faire un plaisir en solitaire dans leur lit ? Pourquoi pas entre eux ?
Ils sont tellement beaux ! Leur énergie débordante de testostérone réveille une émotion qui va au-delà du désir charnel. Une émotion qui est contemplation, la même émotion qu’on ressent devant une œuvre d’art.
Je les regarde, incapable de détourner mes yeux de la magie qui se dégage d’eux, jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans une rue.
Je fais un dernier tour de la place pour me laisser bercer par le joyeux brouhaha des jeunes toulousains qui font la fête entre potes dans la douce tiédeur d’une nuit d’été.
Puis, je continue en direction des Carmes. Un mec me double et son parfum flotte et persiste dans l’air chaud de la ville.
Place des Carmes, la façade discrète du B Machine qui me fait de l’œil. Happé par les lumières et les basses qui arrivent à filtrer à travers la porte, je me fige sur le trottoir.
Je ne suis ni habillé, ni assez en forme, ni dans le bon mood pour en franchir le seuil. Pourtant, je frémis d’envie de passer cette porte métallique. Une envie qui se fait encore plus forte lorsque je suis obligé de me décaler pour laisser rentrer trois mecs. Lorsque la porte s’ouvre, la musique me percute de plein fouet. J’ai même le temps d’apercevoir l’ambiance feutrée de l’intérieur, et une salle fréquentée au-delà de ce que j’avais pu imaginer.
Pourtant, faute d’une tenue et d’une forme mentale et physique adéquates, je décide de rentrer.
En marchant vers la maison, je reconnais l’abribus où j’avais vu deux petits mecs en train de s’embrasser, la dernière fois que j’avais fait une longue balade nocturne en ville. Que sont-ils devenus ? Sont-ils toujours aussi amoureux ?
À la maison, papa est en train de regarder un match de foot à la télé. Maman est en train de lire dans la cuisine.
« Ça va mon loulou ? ».
« Oui maman, ».
Non, ça ne va pas : je viens de rentrer et tout me semble insupportable. Je n’ai pas envie de monter dans ma chambre, pas envie de m’y enfermer avec mes souvenirs et mes larmes.
Soudain, je repense à la façade discrète du B Machine, comme la promesse d’une nuit qu’échapperait à la tristesse, à la désolation, à l’immense vide qui habite mon cœur. J’ai envie de me défoncer les tympans de musique techno, j’ai envie de danser. J’ai envie de m’enivrer de garçons, j’ai envie de savoir si je peux plaire, si je peux attirer les regards.
Au fait, je ne sais pas trop de quoi j’ai envie cette nuit. Peut-être de sexe, et rien que de sexe, de m’étourdir de sexe. J’ai peut-être besoin de me retrouver dans un endroit où être gay est normal. J’ai envie de découvrir ce monde, de voir comment marche la drague entre mecs.
« Je vais ressortir, je vais boire un coup avec des potes du lycée » j’annonce à la maison.
Je me douche, je m’habille, t-shirt noir, jeans qui va bien, baskets jaunes, brushing au gel comme me l’a appris Elodie. Ça me fait du bien de me faire beau, de me sentir mis en valeur. De me regarder dans le miroir et de me dire que j’ai quand-même une chance de plaire.
« Amuse-toi bien, Nico ! Et sois prudent » me glisse maman.
Et je ressors de la maison en direction de la ville et de ses lumières.
Il est minuit et la ville semble s’endormir suivant une vague qui part de la périphérie, et qui avance vers le centre-ville, mais sans jamais l’atteindre complètement. Car le centre-ville ne dort jamais.
Je passe le pont St Michel et je regarde les lumières de la ville se projeter dans la Garonne. Le pont Neuf, le Pont St Pierre, et les clochers de la ville brillent de mille feux.
Le vent d’Autan est très toujours là, toujours aussi puissant, il caresse ma peau, s’engouffre dans mes oreilles, semble accompagner mes pas.
Un quart d’heure plus tard, je suis à nouveau place des Carmes, devant l’entrée discrète du B Machine.
Je réalise que c’est la première fois que je m’apprête à rentrer dans une boîte gay, tout seul.
J’hésite à rentrer. J’ai l’impression qu’une fois que j’aurai passé cette porte, que j’aurai approché ce « monde », une fois que je serai devenu un « pédé qui sort dans le milieu », une fois que j’aurai peut-être rencontré un mec comme moi et que j’aurai couché avec, à ce moment-là j’aurai tourné une page. Et j’aurai définitivement renoncé à mon Jérém.
Je me demande comment et pourquoi j’en suis arrivé là. Pourquoi ça n’a pas marché avec Jérém. Pourquoi je n’ai pas su le garder auprès de moi.
Une rafale un peu plus forte du vent d’Autan et la sensation d’un insupportable gâchis m’envahit, me prend à la gorge, aux tripes. J’ai envie de faire demi-tour, de rentrer chez moi, de pleurer.
Vite, rentrer, avant de me faire rattraper par la détresse.
Samedi 25 août 2001, 23h55.
Lorsque je pousse la porte du B Machine, je suis frappé de plein fouet par la puissance des décibels. A droite de l’entrée, un escalier s’enfonce dans le sous-sol. c’est de là que vient l’incessante vibration de la musique techno.
Mais dès qu’on avance un peu dans la salle au rez-de-chaussée, c’est une ambiance sonore plus apaisée qui est proposée aux clients. La magnifique « Angels » de Robbie Williams retentit dans la sono du haut.
Enveloppée par une lumière tamisée sur des tons bleutés, la salle se développe toute en longueur, bordée sur la droite par un bar presque entièrement occulté par les nombreux clients assis et débout. Derrière le zinc, deux barmans et une barmaid s’affairent à servir tout ce beau monde.
En face, sur ma gauche, un alignement de petites tables, toutes bondées.
C’est d’un pas incertain que je m’aventure dans cet espace inconnu, comme un lionceau qui, un peu méfiant, un peu craintif, pas vraiment rassuré, prendrait sur soi pour poser ses premières traces dans la poussière de la savane. Intimidé par ce terrain nouveau, j’avance lentement, sur mes gardes, tout en essayant de me familiariser avec le lieu et sa faune, une faune quasi exclusivement masculine.
Je ne sais pas si c’est à cause de mon air désorienté, ou de ma démarche un peu gauche, ou tout simplement du fait de mon statut de tête nouvelle. J’ai l’impression que les regards me suivent à la trace, et qu’on me toise de la tête aux pieds.
A vrai dire, j’ai peur qu’on me trouve ridicule. Je ressens un peu la même crainte qu’au lycée, dans les vestiaires. Je ressens la crainte des quolibets. Pédé ! Pédé ! Bien évidemment, ce n’est pas ici que je risque de me faire traiter de pédé. Qui pourrait donc lancer la première pierre ?
Non, ma crainte est de faire tache. De n’avoir ni le look, ni le style de l’emploi. Ma crainte est qu’après avoir détecté ma présence, personne ne la trouve intéressante. J’ai peur de faire office de papier peint.
N’empêche que je suis captivé par cette ambiance feutrée, par la déco, par la musique, et par la présence de tous ces mecs. Je suis saisi par ce mélange de senteurs d’alcool, de fumée de cigarette, et de parfums divers. Je suis happé par les sons, les images et les arômes entêtantes d’une soirée pleine de promesses.
Au fond de la salle, à côté du comptoir, un deuxième escalier s’enfonce lui aussi dans le sous-sol, tout en débitant le même boum boum techno que le premier. Ce qui me fait dire qu’il doit sans doute conduire au même endroit, c’est-à-dire une piste de danse.
Attiré par les basses puissantes, et par la curiosité de compléter la découverte du lieu, j’attaque la descente. L’escalier n’est pas illuminé, et à chaque marche la pénombre se fait un peu plus sombre.
La première rampe débouche sur un palier, presque plongé dans le noir. J’arrive à discerner une ouverture donnant sur un espace encore plus sombre, une ouverture délimitée par d’épais rideaux faits de bandes souples de plastique translucide. Naïvement intrigué par cet endroit mystérieux, je n’ai pourtant pas le loisir de mener bien loin mes investigations. Une priorité, une urgence indérogeable se présente à moi. Une rythmique familière vibre sous mes chaussures et dans mon ventre, m’attirant irrésistiblement vers le sous-sol.
Je descends une nouvelle rampe. Jusqu’à déboucher dans une grande piste de danse, aussi grande que la salle du haut, emplie de centaines de mecs serrés comme des sardines, s’agitant au rythme d’un immense tube que je ne connais que trop bien et qui commence par :
Hey Mister Dj, put a record on, I wanna dance with my baby
And when the music starts, I never wanna stop, It’s gonna drive me crazy
Music, music,
Music, makes the people came together, yeeeaaaah !
Music, mix the bourgeoisie and the rebels,
Presque un an déjà que ce titre est sorti et me voilà enchanté de découvrir qu’il tourne toujours en boîte de nuit. Alors je me laisse aller, je cherche à me glisser dans la piste et à me mélanger à la foule pour danser moi aussi sur ce tube phénoménal.
Je danse et je me sens bien, je danse et je me sens libre. Je danse pour essayer de m’enivrer de cette nuit, des lumières de la piste, de l’odeur du gaz de brouillard, de cette ambiance, de cet étourdissant parfum de fête. Je cherche à me mélanger, à me fondre dans la masse.
Je danse et je laisse mon regard divaguer. Je capte des regards, je surprends des regards venant à moi. C’est grisant.
La monumentale « Music » vient de se terminer, et je me laisse porter par la suite. Danser me fait du bien, la puissance des décibels et le mouvement de mon corps m’aide à faire le vide, à ne plus penser.
J’aimerais tellement qu’Elodie soit là avec moi, en train de danser et de déconner avec moi, comme lors de cette folle nuit au « Fire », à Londres. C’était une soirée Madonna. J’avais dansé longtemps, enivré par l’idée de mes retrouvailles avec Jérém lors de mon retour à Toulouse.
Je ferme les yeux pour freiner les larmes qui voudraient sortir, je pousse un immense cri silencieux pour me débarrasser de la solitude qui vient me trouver au beau milieu de cette piste bondée. Et je danse, toujours et encore, pour oublier, pour m’étourdir, pour m’épuiser, bien décidé à ne pas m’arrêter de sitôt.
C’est lorsque je rouvre les yeux que je capte son regard fixe et insistant. Le dos appuyé au mur, installé à côté de l’escalier par lequel je suis venu, un mec est en train de me dévisager. Il me regarde, il me sourit. Et sa tête ne me semble pas inconnue. Mais il me faut quelques instants pour le remettre.
Bien sûr que sa tête ne m’est pas inconnue. Je connais ce mec, j’ai même couché avec !
C’était un samedi soir, tard dans la nuit, au tout début des « révisions » avec Jérém. Un SMS était arrivé au beau milieu de la nuit, me sommant de me rendre à l’appart « vite », pour « prendre cher ». J’avais foncé chez lui et, surprise, un troisième participant était de la partie. C’était Guillaume, le cousin de Jérém.
Voilà d’où je connais ce mec qui est en train de me faire un petit coucou en levant son verre dans ma direction. L’idée de retrouver Guillaume ne m’enchante guère. J’essaie de fuir tout ce qui me ramène à Jérém. Mais le gars ne cesse de me regarder et de me sourire et je finis par quitter la piste pour aller lui dire bonjour.
« Hey, salut, comment tu vas ? » fait-il, tout pimpant, en me claquant la bise.
« Bien et toi ? ».
« Bien, bien, alors, qu’est-ce que tu deviens ? ».
« Ça va, j’ai eu mon bac, je passe bientôt mon permis, et à la rentrée, je vais aller à la fac à Bordeaux, ».
« C’est cool, et tu vois toujours mon cousin ? ».
Direct le sujet que je voulais éviter. Je savais que ce n’était pas un bon plan d’aller parler à Guillaume.
« Non, je ne le vois plus » je coupe court.
« Ah, dommage… ».
« Tu es au courant qu’il a été recruté par un club de rugby à Paris ? » je tente de dévier le sujet.
« Non, je ne savais pas, je n’ai plus de nouvelles de lui depuis… depuis cette nuit. Il va quitter Toulouse, alors ? ».
« C’est ça… » je fais, sans joie.
« Ne sois pas triste, tu trouveras d’autres mecs, t’es bogoss » il me lance.
« Et sinon, vous vous êtes revus souvent après ce soir-là ? ».
« Oui, pas mal de fois ».
« T’en as, de la chance, toi ! ».
« Mais elle est finie, la chance, il est revenu aux meufs ».
« Quel gâchis ! ».
« Et toi, tu l’as, revu, après ce soir-là ? ».
Je ne sais pas pourquoi je me lance dans ce genre de question dont la réponse peut potentiellement faire mal.
« Non, jamais… et c’est pas faute de lui avoir proposé pourtant ! ».
« Tu lui as proposé ? ».
« Je ne savais pas qu’il était avec toi ».
« De toute façon, ça n’a plus d’importance » j’admets.
« Et tu avais déjà couché avec lui avant ? ».
Je ne sais toujours pas pourquoi je me lance dans ce genre de questions dont la réponse peut potentiellement faire mal.
« Je l’ai sucé quelques fois, l’année dernière, mais il n’a jamais voulu me baiser, à part la fois où tu es venu ».
Et sa réponse me fait mal.
Définitivement, ce n’était pas un bon plan d’aller parler à Guillaume. Parfois, il faut savoir être impoli.
Déjà qu’à la base je n’ai pas envie de parler de Jérém, je suis de plus en plus pressé de mettre fin à cette conversation qui, échange après échange, m’enfonce le moral. J’ai besoin de prendre l’air.
« Je vais te laisser, je vais prendre un verre à l’étage ».
« Je t’accompagne ».
« Je vais retrouver des potes » je mens promptement.
« Ah, ok, à un de ces quatre, alors » fait-il, visiblement déçu.
Je remonte l’escalier, j’approche du comptoir et je commande mon mojito en pensant une fois de plus à Elodie. Je le bois lentement, tout en savourant le soulagement de m’être débarrassé de Guillaume.
Mais mon répit n’est que de courte durée. Jusqu’à ce que mon regard tombe sur un mec assis à une table avec des potes. C’est un mec barbu, beau comme un Dieu. Nos regards se croisent, le sien semble me toiser, me caresser, me déshabiller. Ce qui est plutôt flatteur, vu le spécimen.
Le fait est que ce mec non plus ne m’est pas inconnu. Là non plus je n’ai pas envie de seconder des « retrouvailles » qui finiraient inévitablement par ressasser les souvenirs de Jérém et d’une autre nuit torride dans l’appart de la rue de la Colombette.
Je tente de détourner mon regard, mais il est déjà trop tard. Du coin de l’œil, je vois le mec se lever et approcher inexorablement.
« Salut ! » fait-il, la voix chaude et charmante, en approchant sa joue de la mienne pour me faire la bise. Le contact avec sa barbe bien fournie et très douce me donne toujours autant de frissons.
Je repense au soir où Jérém m’avait traîné au ON OFF et qui s’était finie en plan à trois avec ce beau barbu. Je repense leur petit combat de coqs pour savoir qui serait le « plus mâle » au pieu. Je repense à Jérém qui m’offre à cet inconnu, comme s’il s’en foutait de moi. Je repense à sa jalousie pendant que le bobarbu me baisait. Je repense au bobarbu qui lui balance ses quatre vérités au sujet de son arrogance et de son manque de considération à mon égard.
Et je repense à Jérém hors de lui après le départ de ce mec. A Jérém qui me demande pourtant de rester dormir, ce qui permettra à cette nuit magique d’exister, nuit magique où nous avons partagé, pour la première fois, autre chose que du sexe. De la tendresse, et un petit début de complicité. Une nuit où je l’ai senti si proche, si humain.
Pourtant, lorsque je m’étais réveillé le matin suivant, Jérém était parti. Je n’ai jamais su pourquoi.
Nuit magique, nostalgie terrible.
« Salut, » je finis par répondre au sexy Romain, tout en revenant de mes rêveries.
« Comment ça va depuis le temps ? ».
« Euh, bien, on va dire, et toi ? ».
« Ça gaze, mais dis-moi, tu es seul ici ou bien tu es venu accompagné de ton chéri ? ».
Et de deux. Il m’énerve déjà.
« C’est pas mon chéri ! ».
« Ah bon, je croyais… ».
« Je suis venu seul » je coupe court.
« Tu l’as laissé chez lui ? ».
« Je ne le vois plus ».
« Tu l’as enfin largué ? T’as bien fait ! Il ne te mérite pas ce mec ! ».
« C’est lui qui m’a largué ! ».
« Je pense que c’est le mieux qu’il pouvait t’arriver, ce mec ne te respecte pas ».
« Arrête ton baratin tu sais pas de quoi tu parles ! » je m’emporte.
« J’espère que ce n’est pas ce que je lui ai balancé ce nuit-là qui a pas foutu la merde entre vous deux » il ricane.
« Non, au contraire, ce petit accident nous a rapprochés. Quand tu es parti, j’ai passé la nuit avec lui, et ça a été la plus belle nuit que nous avons passé ensemble ».
« Ah, c’est nouveau ça ! Moi qui joue les Cupidons dans un plan à trois…décidemment, j’aurai tout entendu ! ».
« De toute façon, c’est fini entre lui et moi ».
« Alors, que s’est-il passé ? ».
« Je prends un joker, s’il te plaît ».
Je bois ma dernière gorgée de mojito pour me donner une contenance.
« C’est si dur pour toi ? ».
« Laisse tomber, s’il te plaît ! ».
« Tu le kiffes vraiment, hein ? » il insiste pourtant.
« Je le kiffais… ».
« Tu le kiffes toujours ».
« Peut-être, mais à quoi bon ? Je ne sais même pas où il est ».
« Une fois de plus, ce mec ne te mérite pas ».
Si seulement cet argument suffisait à calmer ma tristesse et ce sentiment d’abandon qui me hante !
J’ai envie de pleurer en pensant à cette nuit déjà lointaine où j’ai été si bien avec Jérém.
« Ou alors, c’est moi qui ne le mérite pas » je finis par lâcher.
« Tu dis n’importe quoi ! ».
« Peut-être bien… ».
« Sinon… tu fais quoi… après ? ».
« Je crois que je vais rentrer, je suis fatigué ».
« Moi aussi je vais partir. Tu veux venir prendre un verre chez moi ? ».
« Je ne sais pas si c’est une bonne idée ».
« Pourquoi ça ne le serait pas ? ».
« Je ne suis pas dans mon assiette ce soir ».
« Allez, secoue-toi, tu ne vas pas te laisser gâcher la vie par ce type qui couche avec la moitié des mecs de cette ville… ».
« De quoi tu parles ? ».
« Quand on s’est rencontrés au ON OFF, j’avais eu l’impression d’avoir déjà vu ce mec ».
« Mais où, ça ? ».
« Dans « le milieu »… ».
« Dans le milieu gay ??? ».
« Ouaisss… ».
« Tu te trompes ».
« Non, je ne crois pas, je n’oublie jamais un beau mec. Je m’en suis souvenu le lendemain de notre nuit. Je me suis souvenu l’avoir vu à la Ciguë, au début de l’été. C’était un dimanche soir, je crois. Et il est reparti avec un pote à moi ».
« T’es sûr de toi ? » je me décompose.
« J’ai revu ce pote quelques temps après le plan avec vous deux et je lui en ai parlé. Quand je lui ai décrit le type, il s’appelle Jérémie, c’est ça ? ».
« Oui… »
« Et que je lui ai parlé de l’appart rue de la Colombette, il m’a dit qu’il s’était fait baiser par le même mec, au même endroit ».
J’ai envie de vomir. Ainsi, Jérém ne m’a pas mitonné juste pour me faire du mal. Il a vraiment couché avec d’autres mecs. Lui qui ne veut pas être pédé ! Quel connard, mais quel connard !
Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi je me suis infligé ça cette nuit ? Pourquoi je suis venu à cet endroit de malheur peuplé d’êtres malveillants à la langue fourchue ? Pourquoi je ne suis pas resté dans mon lit à me branler ? Vraiment, j’avais besoin de tout sauf de connaître les exploits gays de mon ex.
J’ai chaud, j’étouffe.
« Allez, viens prendre un verre à la maison ! » il revient à la charge.
« Je vais faire un dernier tour en bas et je vais rentrer ».
« Comme tu voudras ».
Je traverse la salle sans trop regarder autour de moi. Dans mon empressement, je ne fais pas gaffe au mec avec la chemise à petits carreaux noirs et blancs installé debout devant le comptoir, et que je le frôle involontairement au passage.
Un nouveau mojoto à la main, je descends une nouvelle fois les escaliers du fond.
Deux mecs surgissent à l’improviste de derrière les rideaux translucides du palier. Dans leur élan, ils manquent de me faire renverser mon verre. Le premier, un petit blond, s’excuse, tout en remontant l’escalier. Le deuxième trace son chemin. Pendant une fraction de seconde, nos regards se croisent. Visage connu, physique connu, mec connu. Est-ce qu’il m’a seulement reconnu, lui ? Rien dans son attitude ne le laisse présager. Dans son regard, que de l’indifférence. Comme si j’étais transparent.
Pourtant, moi je l’ai bien reconnu. Le revoir, me replonge direct dans le mauvais souvenir d’une nuit où je me suis fait jeter par Jérém. Une nuit où, pour échapper à ma tristesse, je m’étais laissé faire par ce mec croisé devant le ON OFF et dont je n’ai jamais su le prénom.
Il fallait qu’il soit là, lui aussi, cette nuit. Fidèle à lui-même, d’ailleurs, sortant de la backroom du B Machine en compagnie de son plan Q du soir.
Sur la piste de danse, toujours aussi bondée, la musique martèle dans ma tête et entre en résonnance avec les battements de mon cœur. Je danse et je laisse une fois de plus mon regard parcourir ce paysage composé de tnt de mecs cherchant juste à échapper à la solitude d’un samedi soir.
Tant de mecs, mais pas la force de tenter d’accrocher un regard, de tenter une approche. Il n’y a qu’un mec dont j’ai envie et ce mec m’est désormais inaccessible. Dans cette salle bondée de monde, je me sens seul comme je ne me suis jamais senti seul de ma vie.
Croiser l’inconnu du ON OFF m’a fait penser à ce dont je n’ai pas envie. Baiser pour baiser, je ne peux pas. Non, pas ce soir, je m’en sens incapable.
J’avale rapidement ma boisson et je remonte les escaliers. Je laisse mon verre au bout du comptoir. Et alors que je m’apprête à quitter les lieux, j’entends mon nom balancé au milieu des décibels.
« Nico ! ».
Je me retourne. À travers des lunettes carrées lui donnant un look étudiant-intello sexy, ses yeux marron foncé me fixent. Son regard intense, charmant et charmeur, aimante le mien. Son sourire, brûlant comme le soleil du mois d’août, m’aveugle.
Sa chemise à petits carreaux noirs et blancs, parfaitement ajustée à sa plastique, les manches retroussées jusqu’aux coudes – chemise estampillée du logo à l’effigie d’un fameux reptile – retombe sur un beau pantalon orange. A son poignet, une belle montre de mec. Ses beaux cheveux châtains souples, bouclent légèrement sur le dessus. Sa barbe brune bien taillée donne du caractère à sa mâchoire.
Bref, dans son look à la fois élégant et décontracté, le mec en jette. Car le type, il a la classe. Définitivement, Martin est le genre de garçon qui attire le regard, comme un rideau blanc la lumière du soleil.
Décidemment, on dirait que tous les gays de Toulouse se sont donné rendez-vous au B Machine ce soir.
Je me surprends à me réjouir de retrouver Martin. Et ce, malgré le malaise vis-à-vis de la façon dont je l’ai laissé tomber la dernière fois que nous sommes vus.
« Bonsoir ! » il me lance en me claquant la bise.
« Bonsoir, ».
Sa barbe est dense mais douce comme une caresse. Alors que son parfum est capiteux, enivrant.
Faire mes cours de conduite avec Julien a été une épreuve. Mais les faire avec martin aurait été une épreuve encore plus inhumaine. Car non seulement je suis attiré par lui, mais le gars s’intéresse également à moi. Entreprenant comme il l’est, ça aurait été dur de ne pas tomber dans un jeu de séduction.
« T’as failli me casser une côte tout à l’heure, » il fanfaronne.
« De quoi ? ».
« Tu m’as pas vu quand tu es parti en laissant Romain en plan ? ».
« Non, pardon ! J’étais pressé de m’en débarrasser. Mais tu le connais ? ».
« Qui ne connaît pas Romain, le serial baiseur ! ».
« Oui, qui ne le connaît pas… ».
« Je crois qu’il n’a pas apprécié que tu le plantes, il n’a pas l’habitude » il se marre.
« Il s’en remettra » je lance, tout en me demandant s’il a lui aussi déjà couché avec Romain et/ou s’il sait que j’ai couché avec.
« Alors, que deviens tu depuis le temps ? Tu vas bientôt passer la conduite ? » il enchaîne.
« Début septembre ».
« Désolé de t’avoir fait faux bond, j’ai eu un petit accident ».
« T’es toujours en arrêt maladie ? »
« Eh, oui, je dois subir une petite opération dans quelques temps, j’en ai encore pour deux mois au moins ».
« J’espère que c’est rien de grave ».
« Non, pas trop grave, mais c’est dommage, j’aurais bien voulu te prendre à la conduite, et sur la banquette arrière aussi ! ».
Des mots prononcés sur le ton de la boutade, pendant que ses yeux dégagent un petit regard lubrique.
« Que de la gueule ! » je joue.
« Tu me connais mal… » fait-il, mi farceur, mi challengeur.
« N’empêche que tu m’as fait faux bond ! ».
« T’as pas à te plaindre ! Du coup, t’as fait ça avec Julien, ce putain de bogoss sexy à se damner et chaud comme la braise. T’as dû te régaler à le mater ! ».
« Ouiiiiii ! ».
« Ce Julien dont le plus grand défaut c’est d’être excessivement hétéro, et ce, même après trois bières ».
« T’as essayé de le faire boire ? ».
« Et comment ! J’ai tout essayé, mais impossible de le convaincre à se laisser faire la moindre petite pipe ! ».
« C’est un hétéro… ».
« C’est surtout un petit allumeur, il chauffe tout le monde, filles, mecs, chiens, chats. Les filles, il en baise certaines. Mais avec les mecs, il n’ira jamais jusqu’au bout ».
Au fond de moi, je ressens une sorte de frisson, un frisson incroyable car inespéré. C’est la grisante sensation, comme une délivrance, de pouvoir enfin partager avec quelqu’un tout ce qui était si secret pour moi avant. De réaliser que d’autres pensent comme moi et ressentent les choses comme moi.
Et puis, Martin est le premier gars qui ne me parle pas de Jérém. Parler d’un autre bogoss m’amuse et me fait du bien.
« Nous sommes devenus amis » je lui annonce.
« Julien est un coureur mais c’est un bon gars » je considère.
« J’en suis persuadé. Mais aussi un sacré allumeur ! ».
« Ah, oui, quand-même ! ».
« Il t’a chauffé ? ».
« Un peu… ».
« Il a voulu savoir si tu le trouvais sexy, non ? ».
« En effet… ».
« Il ne peut pas s’en empêchera, c’est maladif chez lui ! ».
« Toi aussi il t’a chauffé ? » j’ai envie de savoir.
« Juju est arrivé à l’autoécole ce printemps. Quand j’ai vu débarquer cette bombasse, j’ai été scotché. En plus, il est super sympa, il est marrant. Il a très vite commencé à me parler de ses plans avec les nanas. Alors, j’ai fini par lui dire que je m’en foutais d’entendre parler de chatte, car moi j’aimais les mecs. Il l’a très bien pris. C’était devenu un jeu entre nous, il essayait de deviner quels gars je kiffais parmi les candidats de l’autoécole, c’était génial !
Très vite j’ai eu l’impression qu’il y avait une sorte de feeling entre nous. J’ai même eu l’impression qu’il me cherchait, qu’il me chauffait. J’ai fini par me dire qu’il y aurait peut-être le moyen de le mettre dans mon lit.
Un soir je l’ai invité prendre un verre chez moi, on a bien rigolé, on s’est raconté nos vies. Il m’a posé plein de questions sur mes relations avec les mecs. Et, au bout de quelques bières, ses regards me semblaient particulièrement chauds et caressants.
Je te raconte pas dans quel état j’étais ! J’avais bu moi aussi et alors, à un moment, je lui ai carrément dit que j’avais envie de lui faire une pipe. Comme il ne disait rien, j’ai fini par lui mettre la main sur le paquet. Il m’a regardé droit dans les yeux, avec son regard pétillant sexy à mort, j’ai cru qu’il allait me dire d’y aller. Mais il m’a dit : « Fais pas ça ».
Et il s’est levé pour partir. Nous nous sommes retrouvés face à face. J’ai vu dans son regard qu’il était rond comme une bille, et j’ai trouvé que l’alcool ça lui donnait un petit air fragile et perdu qui le rendait, si possible, encore plus sexy que d’habitude.
J’avais tellement envie de le sucer, à m’en arracher les tripes. Je me suis approché de lui, j’ai tenté de passer mes mains sous son t-shirt.
Dans un premier temps, j’ai eu l’impression qu’il se laissait faire. Je suis même arrivé à effleurer les poils en dessous de son nombril. Je te raconte pas comment j’avais furieusement envie de le débraguetter et me mettre à genoux devant lui !
Mais j’ai senti ses doigts attraper les miens et les stopper net. Ça a jeté un froid entre nous. Après, j’ai eu une autre opportunité de travail ailleurs. Si j’ai accepté, c’est aussi pour mettre de la distance entre nous. Parce que, ce mec me fait un effet bizarre… ».
« Tu as trop envie de lui ? ».
« Je crois que c’est plus que ça, Nico. Je crois que je suis, ah putain, ça m’arrache la gueule de le dire, tellement ça ne me ressemble pas, je crois que je suis, amoureux, de Juju ! ».
« C’est beau ! ».
« Non, c’est con, ce mec ne sera jamais à moi ! Un coureur de jupons et un coureur de caleçons, qu’est-ce que tu veux que ça donne de bon ? Je plains ses copines ! Être avec ce mec, c’est un sacerdoce ».
« Quand je pense qu’il n’a pas voulu que je le suce parce que je suis un mec, alors que je ne lui demandais rien de plus que de lui faire ce que lui font ses copines, mais en mieux ! ».
Je ne peux m’empêcher de me marrer de sa prétention.
« C’est vrai, quoi, » s’excite Martin « je voulais juste lui faire plaisir ! Nous voulons juste leur faire plaisir à ces cons d’hétéros ! Pourquoi nous n’aurions pas le droit de nous faire plaisir en leur faisant plaisir ? Juju laisserait n’importe quelle greluche fouiller dans son boxer mais pas moi, juste parce que je n’ai pas de chatte. Une bouche, c’est une bouche, merde ! ».
« Oui, je confirme, c’est très con un hétéro ».
« Moi je pense que s’ils ont autant de réticence à se faire sucer par un mec, c’est parce qu’ils ont peur de trop aimer, et de plus pouvoir s’en passer. Ils ont peur de découvrir au passage des envies qu’ils ne pourront jamais assumer, comme de sucer ou même de se faire prendre…
Il faudrait les priver de toute gonzesse ! Tu verrais qu’au bout d’une semaine, ils feraient moins les difficiles si un mec leur propose une pipe ! ».
« C’est clair ! ».
« Il fallait que je m’entiche de ce petit con de Juju, je te jure ! » fait-il, avec une certaine tristesse dans la voix.
« Mais tu dois en tomber plein de mecs en boîte, » je tente de dédramatiser.
« Oui, oui, j’en tombe. Enfin, j’en tombai. Depuis quelques temps, j’ai plus vraiment envie. C’est avec lui que j’ai envie d’être. Je donnerais une fortune pour sentir l’odeur de sa peau, pour le serrer contre moi, pour passer une nuit avec lui, pour avoir le plaisir de lui offrir du plaisir. Ça m’est arrivé de coucher avec des mecs et de jouir en pensant à Juju ».
« T’es vraiment accro ! ».
« C’est idiot, alors que je n’ai rien à espérer, » il considère.
« Et toi, alors, t’as pas ton garde du corps ce soir ? » il enchaîne.
Et de trois. Nico touché-coulé. Mais tant pis. Je suis prêt à partager ma détresse avec celle de Martin.
« Je ne le vois plus, il m’a largué » je raconte pour la troisième fois cette nuit.
« Ah, mince ! ».
« Je suis désolé de t’avoir laissé en plan la dernière fois, » je profite pour m’excuser.
« J’avoue que ça m’a fait bizarre. Moi non plus, je ne suis pas vraiment habitué à me faire planter. Mais bon, je ne peux pas te blâmer, si un mec pareil vient me chercher de cette façon, devant plein le monde en plus, je me laisse faire moi aussi ! ».
« Oui, mais maintenant il ne viendra plus me chercher, nulle part » je considère tristement.
« Dis, Nico. Ça te dit d’oublier nos bombasses impossibles et d’aller prendre un verre chez moi ? ».
C’est la deuxième fois on me propose ça cette nuit.
« On n’est pas obligé de baiser » il précise, en se marrant « on peut juste discuter ou mater un film ».
Je n’ai pas envie de me retrouver seul à ruminer dans ma chambre, et Martin m’inspire davantage confiance que Romain.
Je l’ai trouvé touchant et sincère lorsqu’il m’a parlé de ce qu’il ressent pour Julien. Comme quoi, en grattant un peu sous la surface, dans chaque coureur peut se cacher un esprit sensible.
Alors, cette fois-ci, je décide d’accepter.
Dimanche 26 août 2001, 2h47.
Il est près de 3 heures du mat lorsque nous quittons le B Machine. Après l’overdose de décibels et les températures tropicales de la boîte, ça fait du bien de retrouver le silence et la fraîcheur de la nuit. La caresse du vent d’Autan est la bienvenue.
En contournant le parking en spirale, nous entendons voler un : « Bande de pédés ! » sur notre passage.
« N’y fais pas attention » me glisse Martin.
« Surveille juste du coin de l’œil qu’ils n’approchent pas. Et si tu les vois approcher, cours le plus vite possible, et n’arrête pas tant que tu n’as pas croisé du monde. J’ai un pote qui s’est fait démolir par une bande de casseurs. Vraiment, y a des mecs qui ne méritent pas de vivre ».
Nous marchons dans les petites rues en direction des allées Verdier.
Nous n’avons pas fait 100 mètres que mon regard détecte une silhouette blanche et brune. J’ai beau être à plusieurs dizaines de mètres de distance, je reconnais illico sa façon de porter un beau t-shirt sur son torse sculpté. Je reconnais également une façon de fumer, éminemment sexy.
Quinze jours depuis ce maudit vendredi 10 août. Quinze jours passés à tenter de l’oublier, à tenter de soigner mes blessures, à essayer de me donner l’illusion que je suis en passe de guérir de cet amour dévastateur.
Pourtant, il me suffit de capter sa présence pour qu’en une fraction de seconde tout remonte, dans mon cerveau, dans ma chair. Son sourire pendant la semaine magique, sa langue fringante, ses baiser musclés, le goût de sa peau, son kif, mon kif, la puissance de ses giclées, le goût de son jus, ses coups de reins, ses doigts sur mes tétons, sa main sur ma queue, sa main qui me fait jouir. Notre dispute, mon coup, son coup.
Jérém est là, installé dans la terrasse d’un bar, en compagnie d’une nana, de son frérot Maxime et de la copine de ce dernier. Ça ressemble à un pot de départ avant son déménagement à Paris.
Nous avançons. Et même si nous marchons de l’autre côté de la route, il va forcément finir par me capter. Il va me capter en compagnie de Martin. Comme ce fameux soir en boîte.
Pas après pas, j’ai l’impression que le sang se fige dans mes veines, que mon cœur est sur le point d’exploser après un ultime battement. Un coup si puissant qu’il défoncerait ma caisse thoracique. Ma tête tourne comme un tambour de machine à laver en mode essorage, mes muscles se crispent, mes tripes se vrillent, j’ai du mal à marcher, et même juste à respirer.
Je cherche une issue pour éviter le choc frontal. Le t-shirt blanc approche vite et la collision est déjà inévitable.
Si j’osais, je dirais à Martin de faire demi-tour, et je m’éviterais ce malaise. Mais je n’ose pas. Et puis, mon cerveau est comme paralysé, je suis incapable de me focaliser sur la moindre pensée. Ma volonté s’est faite la malle. Et puis, au fond de moi, je crève d’envie de croiser son regard. J’ai envie de voir sa réaction, tout autant que je la redoute.
Un étrange mélange d’émotions s’agite en moi. Des frissons et des larmes, j’ai envie de pleurer et j’ai peur. J’ai peur de sa réaction lorsqu’il va me voir en compagnie d’un mec, et à fortiori ce mec, dont il a déjà été jaloux.
Une partie de moi a envie de le voir jaloux à nouveau, comme une sorte de revanche sur sa méchanceté de cet horrible vendredi, et aussi par rapport au choc que me provoque le fait de le voir avec cette pouffe qui a pris ma place.
Mais au fond, je ne ressens aucune envie de me « venger ». Je ne veux pas blesser son égo. Je voudrais juste avoir pris une autre route, et ne pas être sur le point de le croiser.
Je sais que lorsqu’il va nous capter, ça va le faire bouillir. Je ne redoute pas un nouveau sketch comme la dernière fois à la sortie de la boîte de nuit. Il n’est pas seul, et nous sommes en public. J’ai du mal à imaginer qu’il puisse se lever et venir nous pourrir dans la rue.
Ce que je redoute, c’est son regard, et le cheminement que cette « rencontre » va provoquer dans sa tête. Une infime partie de moi se dit que si jamais il existe une infime probabilité que Jérém revienne vers moi, elle pourrait être pulvérisée à l’instant même où il va me capter en compagnie de Martin.
30 mètres… collision proche avec le t-shirt blanc…
20 mètres… il est beau, beau comme un Dieu dans son t-shirt blanc immaculé, il est à hurler à s’en casser les cordes vocales !
10 mètres… dernière possibilité de faire demi-tour…
9 mètres… le blanc du coton, sa peau mate, chaude, douce, parfumée, l’encre noir des tatouages, tant de contrastes magiques, je craque !
8 mètres… comment j’ai envie de caresser ses beaux cheveux bruns !
7 mètres… le petit grain de beauté dans le cou, la chaînette posée sur le coton blanc, comment j’ai envie de lui !
6 mètres, la largeur de la route… envie de le serrer dans mes bras, de le couvrir de bisous, de câlins, envie de son corps musclé sur le mien, et lui coulissant en moi, envie de tout avec lui, envie de retrouver la complicité de la semaine magique, envie de lui crier : « je t’aime ! ».
Envie de passer inaperçu
Envie de croiser son regard
Envie de lui
Et BAM !
La collision visuelle survient. Au moment même où nous sommes pile à hauteur de la terrasse de l’autre côté de la rue, Jérém me capte, nous capte.
Et je croise son regard. Ses yeux bruns se figent sur moi, son cou pivote au gré de mon avancement, son regard ne me lâche pas. Son regard fulmine comme un ciel de grand orage d’été. Et dans ce regard je vois de la colère et de la jalousie.
Mais j’y vois aussi, et surtout, une immense déception, une infinie tristesse.
Ce que je vois, c’est un immense gâchis.
A quoi pense-t-il en me revoyant avec Martin ? Que j’ai toujours gardé contact avec lui ? Que j’ai peut-être même couché avec lui pendant nos révisions ? Assurément, que l’ai laissé prendre sa place au pied levé. Il doit se dire que je me suis bien vite consolé après notre rupture, après lui avoir dit « Je t’aime ».
J’ai l’impression que son regard me dit avec sarcasme et amertume : « C’est bien, t’as trouvé un nouveau mec… ».
Tutt’al più, mi accoglierai/Tout au plus, tu m’accueilleras
Con la freddezza che, non hai avuto mai/Avec la froideur que tu n’as jamais eue
Dans son regard, je vois à quel point ça le fait chier de me trouver :
Assieme a quelle che, ha preso il posto moi/Avec (celle) celui qui a pris (ma) sa place…
J’ai envie de crier que personne n’a pris sa place. Et que si ce soir je rentre avec Martin :
Non è perché l’amore sia finito/Ce n’est pas parce que l’amour est terminé
Io ti amo ancora/Je t’aime encore
Oui, j’ai envie de lui crier que, non, personne n’a pris sa place, du tout ; que si j’ai accepté de finir ma soirée avec Martin, c’est juste parce que j’ai besoin de ne pas être seul, parce que je n’ai plus envie de pleurer en pensant à lui ; j’ai envie de lui crier que la présence de Martin à mes côtés est juste une façon de trouver un peu de répit à la souffrance, une façon de supporter cet immense gâchis.
Mais à cet instant, la seule chose que je me sens capable de faire, c’est de partir loin, au plus vite, loin de lui, de ce malaise et des larmes que je sens monter en moi.
Il doit penser que je suis déjà passé à autre chose, que j’en ai bien profité depuis deux semaines .
E forse mi chiederai/Et peut-être tu me demanderas
Quanti ragazzi ho avuto/Combien de gars j’ai eus
Dimenticando te/En oubliant que tu (étais le plus important de tous pour moi)
Il doit penser que je suis à nouveau amoureux. Ou peut etre que j’ai toujours été amoureux de Martin.
Eppure tu sai bene/Pourtant, tu le sais bien
Che una ragazza come me/Qu'(une fille) un mec comme moi
Non scherza con l’amore/Ne plaisante pas avec l’amour
Non ha scherzato mai/N’a jamais plaisanté.
J’ai l’impression que mes tripes se déchirent, j’ai l’impression que je vais me disloquer sur le trottoir, comme un jouet cassé.
Les trois autres convives ne semblent se rendre compte de rien. Et Martin non plus. Martin me parle, mais je n’entends pas ses mots.
J’ai envie de figer tout le monde à la Piper, sauf lui et moi, et aller lui parler, faire la paix, lui dire à quel point je l’aime, encore et encore, le couvrir de bisous, le serrer dans mes bras. J’ai envie que nous soyons seuls au monde. Car je suis certains que si nous étions seuls au monde, s’il n’avait pas peur des regards et des jugements, il s’autoriserait à être heureux avec moi.
Au lieu de quoi, il y a maintenant quinze jours, tu m’as quitté en affichant un mépris qui me provoque toujours une immense souffrance.
Tutt’al più mi offenderai/Tout au plus, tu m’offenseras
Et tu mi caccerai/Et puis tu me chasseras (…)
Dicendo che oramai/Me disant que maintenant
Non t’interessa più/Tu ne te soucies pas plus
Una ragazza che/Pour un(e) (fille) mec qui
Serviva solamente/A servi seulement
Per divertirsi un po’/Pour s’amuser un temps
Puis, son regard se détourne du mien. Pendant un instant encore, je regarde mon Jérém, le regard vide, dans le vide, comme désemparé. C’est un regard dans lequel j’ai l’impression de lire le même souvenir qui m’arrache le cœur depuis que le destin, avec son ironie impitoyable, ait provoqué cette « rencontre » inattendue. C’est le souvenir de cette nuit à l’Esmé où j’avais failli partir avec Martin, le souvenir de son sketch, lorsqu’il était venu me chercher, me sommant de rentrer avec lui. Obtenant, au final, que je rentre avec lui.
Un souvenir qui se met tout seul en parallèle avec cette nuit, où son regard est le même que cette soirée en boîte. Mais sa réaction n’est pas la même que ce soir-là. Bien sûr, le contexte n’est pas du tout le même. N’empêche que, contrairement au soir à l’Esmé, il n’est pas venu me faire de scène. Et que je suis en train de repartir avec ce même gars, sous ses yeux.
Ses traits sont figés, ses lèvres sont serrées, parcourues par un frémissement incontrôlable. Sa pomme d’Adam bondit sous l’effet d’une déglutition fiévreuse. Son regard perdu, rempli de désolation, est le même que j’ai vu dans ses yeux la dernière fois qu’il est venu chez moi, après qu’il m’ait quitté, alors que j’essayais de le retenir. Et tout comme à ce moment-là, ce que je vois à cet instant, c’est un garçon très, très, très malheureux. Et ça me fend le cœur.
J’ai envie de traverser la route…
Mais à quoi bon ? Pour me faire jeter une fois de plus ? Je ne sais pas quoi faire pour annuler cette distance infinie qu’il a voulu, lui et lui seul, mettre entre nous. J’ai l’impression qu’un mur de verre infranchissable se dresse désormais entre nous.
Je me suis battu pour approcher son cœur, depuis des mois. Et là, je n’ai plus l’énergie de me battre. Je n’ai plus l’énergie de me faire humilier, de me sentir rejeté.
Avant de me dévisser le cou, je suis obligé de couper le contact visuel avec lui.
Le tout n’a duré que deux ou trois secondes au total, ça m’a pourtant paru une éternité.
Pendant que Martin et moi nous éloignons, j’ai l’impression de sentir son regard s’accrocher lourdement à moi, happer mon énergie, entraver le mouvement de mes jambes. Le fait est que mon corps est en train de s’éloigner DE lui, mais que mon cœur est resté AVEC lui. Mes pas sont de plus en plus pénibles au fur et à mesure que je tente de m’éloigner, comme si un élastique invisible était en train de se tendre entre ces deux bouts de moi. Jusqu’où cet élastique va se tendre avant de casser ?
Sa colère, sa jalousie, son regard noir, avec son silence, son absence de réaction, sa façon de baisser les bras. Ma tristesse, ma frustration, mes larmes, avec mon silence, mon absence de réaction, ma façon de baisser les bras.
Et BAM ! Voilà le grand coup de ressort qui ramène mon cœur à moi, mais en mille morceaux.
J’avais cru que rien ne pouvait me faire davantage souffrir que notre dispute de cet horrible vendredi.
Je me trompais. Cette nuit, alors qu’il ne s’est rien produit, à part un échange de regards, ma souffrance est renouvelée et portée à des sommets encore jamais atteints.
J’ai envie de pleurer. De courir et de pleurer. D’être seul et de pleurer.
« Mais ce n’était pas ton « garde du corps » le type en t-shirt blanc en terrasse ? ».
« Si, si, c’était bien lui.
Et je fonds en larmes.
Chez Martin, nous avons pris un verre en parlant de nos amours impossibles.
Puis, nous nous sommes allongés sur son lit. Il m’a pris dans ses bras, il m’a caressé, il m’a embrassé. Je l’ai laissé faire. Son parfum m’étourdissait, le contact avec sa peau chaude, avec son torse dénudé me faisait me sentir bien.
Martin a été doux, attentionné, sensuel.
Mon corps s’est donné à lui, mais mon esprit était ailleurs. Sans doute il en était de même pour lui.
Nous avons mélangé nos solitudes et nos détresses.
Se immagino che tu sei qui con me/Si j’imagine que tu es ici avec moi
Sto male, lo sai!/Je me sens mal, tu sais!
Voglio illudermi di riaverti ancora/Je veux me donner l’illusion de t’avoir à nouveau
Com’era un anno fa/Comme c’était il y a un an.
Io stasera insieme ad un altro/Ce soir, je suis avec un autre (…)
Puis, Martin s’est glissé sur moi. J’ai couché avec lui, alors que mon cœur pleurait tout le long.
Pazza idea di far l’amore con lui/Idée folle de faire l’amour avec lui
Pensando di stare ancora insieme a te!/En imaginant d’être encore avec toi!
Folle, folle, folle idea di averti qui/Folle, folle, folle idée de t’avoir ici
Mentre chiudo gli occhi e sono tua/Pendant que je ferme les yeux et je suis à toi.
Après l’amour, Martin s’est allongé sur moi, il m’a embrassé. Il m’a souri, je lui ai souri.
Pazza idea, io che sorrido a lui/Idée folle, alors que je souris à lui
Sognando di stare a piangere con te/Tout en rêvant de pleurer dans tes bras
Folle, folle, folle idea sentirti mio/Folle, folle, folle idée de te sentir à moi
Se io chiudo gli occhi vedo te/Si je ferme les yeux c’est toi que je vois.
Et nous nous sommes assoupis l’un à côté de l’autre.
Dimanche 26 août 2001, 4h32.
Et je me réveille en sursaut. Il fait chaud dans l’appart et je sors chercher de la fraîcheur sur le balcon.
Je regarde la ville endormie, j’écoute le silence de la nuit.
Ma première pensée est le souvenir de Jérém assis en terrasse et de son regard empli de tristesse.
Ce regard me hante. Car il me dit plus de choses de lui que cent-mille mots. Ce regard m’a infiniment touché.
Soudain, je me sens prêt à aller le voir, où qu’il soit, avec qui qu’il soit, prêt à retourner toute la ville pour le retrouver et pour m’excuser de l’avoir frappé, et pour lui dire qu’il est la plus belle chose qui me soit arrivé dans la vie.
Non, je ne peux pas me résigner à le perdre de cette façon, sans tenter une dernière fois de lui faire comprendre à quel point on pourrait être bien ensemble.
Alors, à cet instant précis, je me dis que dans quelques heures je vais l’appeler, ou bien je vais aller le voir à la brasserie, et que je vais trouver les mots pour le convaincre de se voir et discuter calmement. Oui, je me dis que demain je vais retrouver mon Jérém.
À cet instant précis, le lendemain me semble plein de promesses.
La nuit va bientôt se terminer et le vent d’Autan n’a rien perdu de sa vigueur. Il caresse ma peau, s’engouffre dans mes cheveux, essuie mes larmes. Il fait onduler les branches les arbres des allées, il balaie les feuilles que la sécheresse commence à faire tomber. C’est encore lui qui qui fait osciller les câbles des lignes électriques, qui s’engouffre dans les places, les avenues, les rues de la ville rose, qui traverse les grilles du Boulingrin, que je contourne en rentrant chez moi, après avoir quitté l’appart de Martin au petit matin.
Devant le Grand Rond, je ralentis le pas. Car je suis percuté par la violence du souvenir, ce tout premier souvenir de ma nouvelle vie, le souvenir d’un beau jour de mai, le souvenir de mon parcours, plein d’angoisses et de bonheur, vers la première « révisions » pour le bac, vers l’appart du garçon que j’aimais depuis le tout premier jour du lycée.
Je me souviens de cet après-midi ensoleillé. Le vent d’Autan soufflait très fort dans les rues de la ville Rose. Puissant, insistant, caressant ma peau, s’engouffrant dans mes oreilles, me racontant le réveil d’un printemps qui se manifestait partout, dans les arbres des allées au feuillage triomphant, dans les massifs fleuris de ce même Grand Rond.
J’ai le net souvenir de la sensation de ce vent dans le dos, accompagnant mes pas, encourageant ma démarche, comme pour tenter de faire taire mon hésitation.
Cette nuit encore, le vent d’Autan semble m’encourager à retrouver mon Jérém, dès demain.
C’est reposant de se dire qu’il y aura toujours un demain pour faire ce que nous n’avons pas eu le courage de faire aujourd’hui. La vérité c’est que nous ne savons rien de ce que demain nous réserve. Car, en une fraction de seconde, le temps d’un battement d’aile de papillon, la vie que nous connaissons peut se retourner, du tout au tout.
La vérité c’est que la vie est un cadeau. Un cadeau qu’il faut chérir à chaque instant. Un cadeau dont il faut savoir profiter, tant qu’il est possible.
La nuit va bientôt se terminer et le vent d’Autan n’a rien perdu de sa vigueur. Il souffle sur la peau de Nico, ébouriffe mes cheveux, essuie mes larmes, encourage mes bonnes résolutions d’aller une dernière fois vers mon Jérém, dès demain.
Et c’est le même vent qui souffle sur un balcon à l’autre bout de la ville, et qui s’engouffre dans les magnifiques reliefs du torse dénudé de Thibault.
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