JN01084 Dans l’espace et dans le temps
1993, j’ai tout juste 10 ans. C’est ma première « rencontre » avec Elle. C’est la première fois que je la vois à la télé. C’est un reportage sur le « Girlie Show », dans le journal de 20 heures. Il débute par un extrait de « Fever ». Les cheveux très courts, couleur platine, un rouge à lèvres d’un rouge très vif, un sourire immense, un visage et un corps dégageant une énergie insolente. Toute de cuir vêtue, entourée de deux danseurs noirs, je la trouve sublime.
Ma mère prépare le dîner et me dit : c’est Madonna. C’est la première fois que j’entends ce nom. Episode sans suite immédiate. Pourtant, je crois bien que c’est ce soir-là que mon histoire avec elle a commencé.
1994, j’ai 11 ans. Au collège, je me sens seul, je n’ai pas de potes. Les camarades commencent à se moquer de moi parce que je suis timide et parce que je ne suis pas sportif. La musique et les clips de « Secret », « Human Nature », « Take a Bow », « Bedtime Stories » frappent mon imagination à cette époque à cheval entre l’enfance et l’adolescence.
1995, j’ai 12 ans. Au collège, je me sens toujours seul, je n’ai toujours pas de potes. Les camarades commencent à me traiter de pédé. Au début, je ne sais même pas ce que ça veut dire, « pédé ». On me fait comprendre que regarder les garçons ce n’est pas bien. Ah bon ? Et pourquoi, donc, ce serait mal, alors que c’est si bon ?
La compil’ Something to remember réunit toutes ses plus belles ballades, magnifique. Après mes rudes journées au collège, j’aime bien me réfugier dans la douceur de ce beau CD.
1996, j’ai 13 ans. « You must love me », premier extrait du film Evita passe à la radio. Le texte me touche, car il semble me parler de moi-même :
« Deep in my heart I’m concealing/Au fond de mon cœur je cache
Things that I’m longing to say/Des choses que j’ai envie de dire
Scared to confess what I’m feeling/Effrayée de confesser ce que je ressens »
Assommé par quolibets de mes camarades, je suis chaque jour un peu plus confronté à ce truc que je ressens pour les beaux garçons. Je suis seul avec mes questionnements. Suis-je vraiment pédé ? Et si c’est le cas, comment l’accepter, comment le vivre ? Et, surtout, surtout, comment le cacher ? Comment faire en sorte que mes parents et toutes les autres personnes qui me connaissent ne l’apprennent jamais ?
Un soir, je vais voir Evita au cinéma de la place Wilson. Je suis soufflé. La musique, les images, Madonna elle-même : tout est magnifique et rayonnant dans ce film.
Toujours 1996. Un dimanche après-midi, je tombe sur une rétrospective des vidéos de Madonna sur M6.
« Like a Prayer » : la chanson est un chef d’œuvre. J’adore l’énergie, la fraîcheur, l’effronterie, le culot qu’elle dégage dans le clip.
Le rythme puissant d’ « Express Yourself », ses mots tout aussi puissants : « Don’t go for second best baby… express yourself », ainsi que son clip magnifique peuplé d’ouvriers musclés me parlent, me touchent.
Les synthés de « Material Girl » me font danser. Je suis conquis par son beau sourire et par le clip en rouge Marylin.
Incontournable, inénarrable « Like a Virgin », avec la beauté de son clip tourné à Venise.
Avec sa mélodie aussi délicieuse qu’une sucrerie, « True Blue » me berce et me plonge dans un décor années 50 qui rappelle l’ambiance du film Grease.
« Vogue » : la chanson est du plaisir à l’état pur. Le clip, une perle d’un esthétisme en noir et blanc.
Le clip sulfureux de « Justify my Love », splendide délire en noir et blanc.
Le clip SM soft d’ « Erotica ».
Le clip plein de couleurs de « Deeper and Deeper ».
Le clip de « Secret »tourné dans les quartiers pauvres.
Le monde de la corrida pour « Take a bow ».
Cet après-midi-là, je suis conquis, à jamais conquis. Dans les mois suivants, je casse ma tirelire pour m’acheter tous ses CD.
A l’école, on me fait chier. Mais quand je rentre à la maison, je m’enferme dans ma chambre, je passe mon casque, je mets un CD de Madonna, j’appuie sur PLAY. Et tout va bien.
1998, j’ai 15 ans, je suis un jeune garçon introverti de plus en plus attiré par les beaux garçons. Je suis un garçon solitaire, un garçon dont on se moque. Un garçon qui en a vraiment marre d’aller au collège et de se faire humilier.
Au mois de février, une bombe musicale explose à la radio. Elle se nomme « Frozen ».
L’album Ray of light sort quelques semaines plus tard. C’est un petit chef d’œuvre aux sonorités electro, c’est frais, c’est avant-gardiste, c’est un régal pour les oreilles. Chaque chanson est remarquable. Je suis soufflé. Encore une fois.
Tel le Phénix renaissant de ses propres cendres, après une petite « traversée du désert » au début des années ’90 en contrecoup du succès fulgurant des premières années, avec Ray of light Madonna rayonne à nouveau, et plus que jamais. Elle acquiert une crédibilité artistique et s’installe définitivement sur son trône de Star.
Internet est en passe de devenir un moyen d’information et de diffusion incontournable. Je retrouve Madonna sur les sites de fans.
Au mois d’avril, le single de la chanson « Ray of light » est lancé. Cette chanson s’installera définitivement comme ma bande-son de l’été 1998. « Ray of light », peut-être le morceau le plus puissant de l’album, est accompagné d’une vidéo d’un esthétisme original.
Un clip montrant pour l’essentiel des images de villes, de transports, de foules, de circulation, des images accélérées qui semblent pousser le spectateur à s’interroger sur le sens d’une vie vécue sur un rythme infernal.
L’été s’étire lentement, je m’ennuie. Dans ma vie, il ne se passe rien d’intéressant. Mes parents n’ont pas le temps de partir en vacances, je pars quelques jours à Gruissan avec ma cousine et mes oncles. Août arrive, les jours s’enchaînent, la rentrée au lycée approche. Le lycée, une nouvelle « aventure » qui me fait peur.
Comme pour me mettre du baume au cœur, le vendredi juste avant la rentrée, un troisième single de l’album est lancé. « Drowned world » passe à la radio, le clip dans Hit Machine. Cette chanson mélancolique épouse bien le cafard qui s’empare de moi à l’approche de ma rentrée au lycée.
Jeudi 3 septembre 1998, c’est mon premier jour de lycée. Dans la cour de l’établissement, je le remarque, instantanément. C’est comme un coup de poing dans le ventre que je n’avais pas vu venir et qui manque de très peu de me mettre KO.
Brun, peau mate, un t-shirt noir posé comme un gant sur un torse déjà prometteur, une chaînette négligemment posée sur le coton, un jeans bien coupé, des baskets de marque. Et une casquette, noire elle aussi, posée à l’envers sur ses cheveux bruns.
Le beau gosse est là, au beau milieu de cet espace ouvert, en train de discuter et de déconner avec d’autres garçons. Et sur son beau visage il y a ce sourire, ce sourire de dingue qui semble illuminer non seulement toute la cour du lycée, mais ma vie tout entière.
Dès l’instant où mon regard se pose sur ce mec, tout disparaît autour de moi. La cour du lycée se vide d’un coup, le bruit des conversations est remplacé par un silence total par-dessus lequel je n’entends plus que les battements de mon cœur et ma respiration saccadée. Tout semble se dérouler au ralenti, le temps d’une seconde infinie.
A cet instant précis, je ne vois que lui. A cet instant, et pour la première fois de ma vie, je sens l’air circuler dans mes poumons, le sang pulser dans mes veines. Je me sens vraiment et pleinement vivant. Car mon cœur fait désormais bien plus que battre pour me maintenir en vie.
Je reste planté un long moment à le mater, la gorge nouée, la respiration bloquée, les jambes incapables de faire le moindre pas.
Chaque fibre de mon corps vient de se réveiller à cet instant précis, et crie une irrépressible envie de serrer ce garçon contre moi. Ma peau réclame sa peau, mes lèvres les siennes.
Puis, pendant une seconde, son regard accroche le mien. Il m’a vu. Ou, du moins, il a capté que je le mate. Mon cœur est sur le point d’exploser.
Mais très vite, le bonheur de découvrir ce regard très brun, charmant comme ce n’est pas permis, laisse la place à la peur. La peur qu’il ait compris que je le mate, que je le kiffe. Et qu’il vienne me mettre son poing dans la gueule. Alors, je baisse mon regard, je m’accroupis et j’ouvre mon sac à la hâte, les mains tremblantes, style « je cherche un truc », juste pour créer une diversion.
Le hasard a voulu que nous soyons dans la même classe. Lors du premier appel, je retiens son prénom et son nom. Jérémie Tommasi. Ça sonne tellement bien à mon oreille.
Oui, il y a eu un avant et un après ce jeudi 3 septembre 1998. Avant, il n’existait pas pour moi. Après, j’étais fou de lui.
Le soir, dans mon lit, j’écoute la chanson « Crazy for you ». Elle décrit bien mon état d’âme à cet instant précis.
Commentaires
Yann
01/06/2016 10:31
Encore un bel épisode avec toujours cette sensibilité dont tu as le secret Fabien. Je crois que je reconnaitrais tes textes entre 100. J’ai beaucoup aimé quand Nico se remémore la première fois où il a vu Jerem. On a tous connu cet émoi au premier regard mais ta façon si juste et si criante de réalité pour le décrire nous fait revivre ces instants magiques où tout explose en nous, où le temps est suspendu, où soudain on est happé par ce bogoss et où plus rien ne compte autour de nous. Comme tu l’écris si bien on veut sur le champ tout savoir de lui la couleur de ses yeux, le son de sa voix, ce que cache son t-shirt, son parfum, ce qu’il fait, ce qu’il aime… Et puis il y a l’instant où son regard croise le nôtre, où on voudrait pouvoir le soutenir indéfiniment ; à contre cœur, il nous faut y renoncer par crainte que ce ne soit perçu comme une « agression ». Un instant après avoir baissé les yeux on y revient sans cesse et sans cesse, on ne s’en lasse pas de le regarder subjugué par tant de beauté. Même si, en raison de tes occupations, tu ne peut pas écrire autant que tu le voudrais, merci de garder à tes textes toute leur qualité. Comme Rantanplan je suis un peu frustré que cet épisode ne mette pas en scène Jerem et Nico dans la suite de leur histoire mais je ne doute pas que de retour à Toulouse Nico sera un des plus fervents supporters de Jerem pour son dernier match de la saison qu’il va gagner et qu’ils fêteront cela comme il se doit. Nb : Je viens de lire le petit texte d’hier sur la page d’accueil de ton blog qui annonce une suite. Même si je ne fais pas trop le lien avec l’épisode passé, je suis impatient de la découvrir c’est aussi ça le suspense.
rantanplan
01/06/2016 00:40
C’est toujours un peu frustrant de lire les épisodes où les deux héros ne sont pas ensembles même si ils apportent beaucoup à l’histoire! Superbe épisode ce dernier détail laisse rêver sur les vrais sentiments de jerem pour nico et apporte tellement tellement d’ampleur à l’histoire. Merci de toujours continuer à publier cette histoire quand tu peux ! Rantan
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