JN01077 Dilemme ultime et le choix qui s’impose
En fait, non, il n’y a pas de dilemme. Certes, il pourrait bien y en avoir un, je pourrais hésiter, me taper mille et une branlettes mentales comme je sais si bien le faire. Oui, je pourrais hésiter, me débattre sans fin entre deux choix opposés.
Mais la vérité est que le seul choix qui s’impose à moi en entendant son invitation à rester, est celui de l’accepter.
Car, je sais. Je sais parce que j’y ai déjà goûté une fois. Je sais que rentrer dans les draps de Jérém, c’est rentrer dans un pur univers de bonheur. Sentir sa présence à côté de moi, le serrer dans mes bras, ou être blotti dans les siens. Ou même simplement frôler ses jambes avec les miennes, écouter sa respiration, m’enivrer de l’intense bouquet olfactif – mélange de propre, de déo, de jeune mec sexy – qui se dégage de ses draps.
Non, je ne peux renoncer à tant de bonheur.
Et lorsque, une fois allongé à côté de lui, je l’entends me balancer : « Viens ! », je suis débordé par ce bonheur, et j’ai soudain envie de pleurer. Je me tourne vers lui et je le prends dans mes bras, je plonge mon visage dans le creux de son épaule et je me laisse transporter par le contact chaud, par le parfum tiède et doux de sa peau. Je passe mon bras sous son aisselle, je pose une main sur son torse, entre pecs et abdos.
Et là, je sens mon beau brun remuer, comme si quelque chose le dérangeait.
« J’ai le droit ? je me renseigne.
— Ouais…
— Et ça j’ai le droit ? je le questionne à nouveau, tout en posant quelques bisous dans son cou.
— La ferme ! » fait-il sèchement.
Je suis heureux : « la ferme ! » est bien mieux que « dégage ! »
Je prends ça comme un feu vert de bonheur, et je deviens entreprenant.
« Si j’ai le droit à ça, je devrais aussi avoir le droit à ceci » je lui glisse, juste avant de laisser mes lèvres remonter le long de son cou, parcourir sa joue, s’attarder sur son oreille.
Je sens mon beau brun frémir, puis frissonner de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’il secoue la tête pour se dégager.
« Ça chatouille ! » il me balance, sur un ton adorablement enfantin.
Je me dis que j’ai vraiment bien fait de rester. J’ai l’impression que cette nuit, dans les draps de Jérém, s’est ouvert un passage spatio-temporel permettant d’atteindre une réalité parallèle où mon Jérém n’est plus le beau brun macho que je connais, mais un garçon qui a envie de câlins. Et cette petite complicité n’a pas de prix à mes yeux.
Je suis tellement bien avec lui. Je voudrais que cet instant, que cette nuit ne se termine jamais. Je voudrais que nos vies ne s’éloignent pas à la fin de l’été. J’ai besoin de lui dire à quel point il compte pour moi. J’ai besoin de le lui dire maintenant, avant que ce ne soit trop tard.
« Tu vas me manquer Jérém… » je lui glisse, sans pouvoir arriver au bout de la phrase que j’avais construite dans ma tête. Je sens les larmes monter aux yeux, je tente de les retenir.
« De quoi ?
— Tu vas me manquer quand tu vas partir, je termine, après avoir pris une profonde respiration et en maîtrisant ma voix de justesse.
— Je ne sais pas encore si je vais partir…
— Mais c’est une possibilité !
— Oui, ça en est une…
— Toulouse ne va pas te manquer ? »
Perche #1, tendue.
« A part le rugby il n’y a pas grand-chose qui me retient ici ! »
Putain !!! Et moi ? Je suis là, merde ! Qui te fera des câlins comme celui-ci, si tu t’en vas loin de moi ?
Perche #1, ratée.
Enchaîne, Nico, ne te laisse pas démonter. Fais-le parler de ce qu’il aime, mets-le à l’aise. Sois patient.
« C’est très important le rugby pour toi, j’arrive à formuler.
— Le rugby c’est toute ma vie. Jouer au rugby c’est-ce que je sais faire le mieux. En fait, c’est le seul truc qui me réussit vraiment.
— Et vous en êtes où de votre tournoi ?
— Il reste deux matches, une demi-finale demain, et la finale la semaine prochaine. Cette année, nous avons toutes nos chances de le gagner !
— Tu t’es donné à fond !
— Je kiffe ça.
— Ça se voit que tu aimes le rugby…
— Le rugby, c’est un ballon avec des potes autour. Et quand on enlève le ballon, il reste les potes. »
C’est pour ça aussi que j’aime ce petit mec. Non pas seulement parce qu’il est beau comme un Dieu et parce qu’il me fait l’amour comme un Dieu. Mais aussi et surtout parce qu’il peut être parfois touchant jusqu’aux larmes. Je le serre un peu plus contre moi, je lui fais d’autres bisous dans le cou.
« Et tu n’as jamais envisagé de continuer un peu les études ? je le questionne.
— Non, je n’ai pas du tout envie de retourner me faire chier en cours…
— Remarque, je plaisante, tu as l’air très à l’aise avec ton plateau à la main !
— Pas tant que ça !
— Mais si, j’insiste, on dirait que tu as fait ça toute la vie !
— Tu parles…
— En tout cas t’es vraiment beau dans ta tenue !
— Ce taf c’est du dépannage, je ne vais pas faire ça toute ma vie…
— Et tu aimerais faire quoi ?
— Je n’en sais rien…
— Si tu pouvais choisir…
— Jouer au rugby en pro, mais je ne suis pas assez bon pour ça.
— Moi je te trouve très doué !
— Arrête, tu n’y connais rien !
— Ça c’est vrai, j’avoue.
— Je suis sûr que tu n’as jamais regardé un match de ta vie !
— Ça, c’est pas vrai ! Je suis venu te voir jouer une fois et je suis resté jusqu’à la fin du match.
— Laisse-moi rire, il se marre, t’es juste venu pour…
— Pour te mater, oui, oui, oui, oui, j’avoue !
— Voilà !
— Et ça t’a pas fait plaisir ?
— Quoi donc ?
— Que je vienne te voir, banane !
— Vite fait… »
Encore du pur Jérém. Je le déteste. Je l’aime.
« Vite fait ? » je le cherche.
Je ne vois pas son visage mais je sais qu’il sourit. Je sais que ça lui fait plaisir de savoir à quel point je suis fou de lui.
« C’est vrai que je n’y connais rien, mais tu es doué au rugby, à ce qui se dit.
— Qui dit ça ?
— Thibault dit ça. Mais pas que lui. Tout le monde au lycée te considère comme le meilleur joueur de l’équipe. Je ne sais pas comment ça marche tout ça, mais je pense qu’on finira par te repérer.
— Si ça devait arriver, ce serait déjà fait. En attendant, il faut que je gagne ma vie. Au pire, j’ai un cousin qui est couvreur. L’un de ses ouvriers part à la retraite à l’automne. Il va avoir du taf à proposer.
— Tu sais faire des toitures ?
— J’en ai déjà fait avec lui l’été dernier, et ça paie pas trop mal. Mais il ne faut pas avoir peur de la chaleur. Même torse nu on était en nage ! »
L’évocation de cette image, de mon Jérém en short, torse nu, dégoulinant de transpiration du front jusqu’à ses poils pubiens a de quoi me rendre dingue.
« C’est déjà pas mal que j’ai eu le bac. D’ailleurs, merci, il conclut.
— Merci de quoi ? je demande, sonné par ce petit mot venant de lui.
— Merci de m’avoir aidé.
— Je n’ai pas fait grand-chose », je lui réponds, alors que soudain une question me brûle les lèvres. Vais-je oser la poser ou pas ?
Il faut y aller Nico, fonce, c’est-ce soir ou jamais.
« Pourquoi t’as dit oui quand je t’ai proposé de réviser ? »
Pendant de longues secondes, j’écoute sa respiration, sa déglutition, les battements de son cœur. J’attends fébrilement sa réponse.
« Parce que je voulais avoir une chance d’avoir le bac » il finit par lâcher, après un instant qui me paraît interminable.
BAM ! Petit con, va !
Cette réponse ne me satisfait pas, pas du tout ! Alors, fonce, Nico !
« Tu savais déjà qu’il se passerait un truc entre nous ? »
Perche #2, lancée.
« Je savais que tu avais envie de moi. »
Perche #2, esquivée.
Fonce, Nico, fonce !
« Et toi ? j’insiste.
— Moi quoi ?
— Tu avais imaginé que nous coucherions ?
— Je n’en sais rien
— T’avais envie de coucher avec moi ? »
Perche #3, lancée.
« J’avais surtout envie de voir jusqu’où tu étais capable d’aller. »
Perche #3, esquivée aussi.
« Alors, je suis allé assez loin ?
— Je crois, oui…
— Et ça t’a plu ?
— Tu me saoules ! »
Re-BAM !
Ne te laisse pas démonter, Nico, enchaîne !
« Tu sais, Jérém, j’ai été fou de toi dès la première fois où je t’ai vu dans la cour du lycée avec tes potes. Je me souviens que tu portais un t-shirt noir qui t’allait super bien. Tu étais très jeune mais tu étais déjà si beau, si sexy… Et quand je t’ai vu rentrer dans la même classe que moi, j’ai failli tomber dans les pommes. En plus, je t’ai trouvé tellement drôle, je t’ai trouvé sympa comme gars !
— Sympa ? On n’a même pas parlé !
— Je t’ai entendu déconner avec tes potes, et j’ai adoré la façon dont tu te foutais de la gueule du prof !
— J’ai toujours été un cancre !
— Un cancre qui m’a fait un effet de dingue. J’étais tellement fou de toi que je n’ai pas pu arrêter de te mater !
— Ouais, ce jour-là et les suivants aussi !
— Tu t’en étais rendu compte ?
— Oh, que oui, et pas que moi !
— Ah bon ?
— Tu n’étais pas vraiment discret !
— Et ça t’a fait quoi de sentir qu’un gars te matait ?
— Je ne sais pas…
— Et tu t’es dit quoi en voyant que je te matais ?
— Il est sorti d’où ce pédé au t-shirt jaune qui n’arrête pas de me mater ? »
STOP ! Rembobiner de quelques secondes. Arrêt sur images. Focus sur la formule : « au t-shirt jaune ». C’est un détail, mais un détail qui a son importance.
Je n’oublierai jamais le beau t-shirt noir que Jérém portait la première fois où je l’ai vu. Tout comme je n’oublierai jamais non plus le t-shirt jaune que j’avais sur moi à cette même occasion.
Je me souviens que je ne l’aimais pas, car il était informe et de trois tailles trop grandes par rapport à mon physique de crevette de l’époque. Je me souviens m’être « battu » ce jour-là avec maman car je ne voulais pas le porter pour mon premier jour de lycée.
Je me doutais que la première impression que je donnerais dans cette nouvelle communauté contribuerait de façon assez définitive à façonner mon image et mon statut, une image et un statut que je me traînerais pendant les trois années à venir, c’est-à-dire une éternité à l’échelle temporelle d’un lycéen.
Le collège n’a pas été une belle période pour moi. Ma côte de popularité était la même que celle d’un président de la République en fin de mandat, et les railleries et humiliations en tout genre étaient mon quotidien. Avec la solitude, une oppressante solitude.
Je ne voulais surtout pas que cela recommence au lycée, d’autant plus que, par un coup de chance inouï, aucun de mes anciens camarades de collège n’avaient intégré le lycée que j’avais choisi. Il n’y avait pas de raison que cela recommence. Il n’y avait pas de raison que je sois à nouveau la dernière roue du char, le souffre-douleur, celui dont on se moque pour passer le temps. Mais je savais pertinemment que ce t-shirt jaune n’allait pas jouer en ma faveur, pas du tout.
Fort heureusement, un beau jeune garçon brun avait fait son apparition dans la cour du lycée et m’avait fait oublier mon t-shirt jaune. Dès l’instant où je l’avais aperçu, mes soucis vestimentaires avaient disparu d’un coup. Car mon cœur avait commencé à battre pour autre chose que pour me maintenir en vie.
Depuis bien des années, ce t-shirt jaune est parti chez Emmaüs. Mais je ne l’ai pas oublié. Et, visiblement, Jérém non plus.
« Tu te souviens de mon t-shirt jaune ? je ne peux m’empêcher de lui demander, à la fois ému et heureux.
— De quoi ? J’en sais rien, je ne sais plus s’il était jaune ou d’une autre couleur !
— T’as dit jaune et il était jaune ! j’insiste.
— Tu me saoules !
— Alors ça t’a fait quoi ? j’enchaîne.
— De quoi ?
— De voir que le gars au t-shirt jaune te matait.
— J’ai failli aller lui péter la gueule !
— Parfois j’ai eu peur que tu le fasses.
— Tu me saoulais grave !
— Ça ne t’a pas fait un peu plaisir que je m’intéresse à toi ?
— Ouais…
— Je suis heureux d’avoir osé de te proposer de réviser ensemble.
— Je ne sais pas si tu as bien fait de m’approcher.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Parce que toi t’es gay, et pas moi.
— Et toi t’es quoi, Jérém ?
— T’en poses des questions toi, à cette heure-ci », il esquive.
Ces derniers mots glissent sur ses lèvres comme au ralenti. Jérém est en train de glisser dans les bras de Morphée.
Quelques instants plus tard, je capte le bruit de respiration typique d’un gars qui dort. La fatigue vient d’avoir raison de son corps musclé.
Un gazouillis tout mignon s’échappe de sa gorge, rappelant celui d’un bébé.
Je dois bien l’admettre, le plan avec Romain était bien excitant. Mais rien ne saurait m’apporter autant de bonheur que la simple présence de mon beau brun.
La fatigue finit par me rattraper aussi. Je perds pied et je m’endors avec un petit sourire aux lèvres.
Je n’arrive pas à croire qu’il se souvienne encore de mon t-shirt jaune !
Laisser un commentaire