JN01052 Avant de se quitter… et après
Je regarde mon beau brun quitter les douches et commencer de s’essuyer. Les cheveux, le visage, le cou, le torse, le dos, l’entrejambe, le sexe, les cuisses, jusqu’aux pieds. Puis, il passe la serviette autour de son cou, ses deux extrémités retombant nonchalamment sur ses pecs. Là encore, c’est terriblement sexy.
J’arrête l’eau à mon tour. Sans un mot, Jérém saisit une deuxième serviette qu’il me balance à travers la pièce. Je l’attrape de justesse avant qu’elle ne retombe sur le sol humide.
Je commence de m’essuyer en silence. Jérém vient de s’asseoir devant un autre casier qu’il vient d’ouvrir. Voilà son casier, le cinquième sur la gauche en rentrant. Je paierais cher pour pouvoir jeter un œil à l’intérieur . Le beau brun en sort un sac de sport noir et blanc. Jérém ouvre la fermeture zip et sort un magnifique t-shirt noir col en V qu’il passe sur son torse avec un geste rapide et assuré. Bien évidemment, ça lui va comme un gant. Il en sort également un boxer de couleur bleu électrique, avec l’élastique blanc, beau à se damner. Ses jolies fesses et sa queue disparaissent dans le tissu élastique qui épouse si bien le relief de ses attributs de mec.
Quelques instants plus tard, le beau brun est habillé, les cheveux encore humides, beau à en crever. Je n’ai pas perdu une miette de ce strip-tease à l’envers qui me fait constater une fois encore que c’est tout aussi excitant de voir un gars se rhabiller après l’amour que de le voir dessaper avant.
Aussitôt les baskets glissées aux pieds et les lacets disparus à l’intérieur sans les nouer (là encore, plus petit con tu meurs), il attrape son sac sans le fermer et quitte la pièce. Je lui emboîte le pas, car mes vêtements se trouvent dans la salle de muscu
Et pendant que je m’habille, je le regarde ramasser son petit débardeur blanc, son boxer et son short imbibés de transpiration et les fourrer à la va vite dans son sac. Un sac qui devient à cet instant précis une véritable boîte au trésor.
Je noue les lacets de mes chaussures et je me sens de plus en plus mal à l’aise. Voilà comment ça se termine toujours avec lui, après le sexe. Avec ces silences insupportables. En évitant de se regarder. Comme si ce que l’on vient de faire était sale, comme si c’était mal.
Jérém quitte la pièce, je le suis. Je passe devant lui, je suis dans le couloir. Il éteint la lumière de la salle de muscu. Nous nous retrouvons dans la pénombre. La lueur qui traverse les vitres opaques de la porte d’entrée du bâtiment est faible mais suffisante pour nous guider vers la sortie sans allumer d’autres lumières. J’ai envie de l’embrasser, mais je sais que c’est impossible. J’avance vers la sortie, le cœur lourd. Je suis complètement déboussolé.
Ce soir, Jérém s’est montré à la fois viril et attentionné, tout ce que j’aime. J’ai même eu droit à un brin de tendresse inattendue. Tout a été parfait pour moi. Et j’ai eu l’impression que ça l’a été pour lui également. Pourquoi alors cette putain de distance, après l’amour ?
Je regrette déjà d’avoir cédé à son SMS et d’avoir annulé le rendez-vous avec Stéphane.
Je suis devant la porte d’entrée, dernier sas après lequel nous allons nous séparer. Jérém déverrouille la serrure, pousse le battant. Je m’apprête à sortir dans la fraîcheur de la nuit, lorsque je sens sa main se poser lourdement sur mon bras et me retenir.
« C’était qui ce mec avec qui tu causais l’autre jour ? »
Si au fond de moi j’espérais l’entendre me poser cette question, ce n’est pas pour autant que j’avais préparé une réponse claire et nette. Je me retrouve pris au dépourvu.
« Un pote », j’arrive à bégayer et à mentir, après un instant de flottement.
Hésitation que le beau brun a dû capter, puisqu’il revient à la charge, l’air pas du tout satisfait de ma réponse.
« Un pote… comment ? »
Il m’agace, ça ne le regarde pas.
« Un pote », je répète froidement.
Jérém me saisit alors par l’épaule, m’obligeant à me retourner vers lui. Il n’y a pas beaucoup de lumière, mais la noirceur de son regard me transperce littéralement.
« Tu baises avec ? »
Il n’a pas froid aux yeux ce petit con. Il m’énerve. J’ai envie de lui balancer que oui, j’ai couché avec lui, et alors ? Si lui n’a pas de comptes à me rendre, moi non plus je n’ai pas de comptes à lui rendre !
Evidemment, je n’ai pas le courage d’aller au bout et d’exprimer clairement mon agacement. Une fois de plus je prends sur moi, trop soucieux de ne pas le vexer, trop craintif de mettre le mot FIN à notre relation. Ce soir-là, je ne veux pas le blesser inutilement.
« Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher…
— C’était qui alors ?
— Un pote à ma cousine Elodie. »
Le beau brun ne semble toujours pas complètement satisfait de ma réponse. Même dans la pénombre j’arrive à capter sa moue dubitative. Je crains ses prochains mots. Je sais qu’ils peuvent être très blessants.
« Tant mieux, il a vraiment une tête de con. »
— Il n’a pas une tête de con !
— C’est ça… »
Nous quittons le bâtiment. Je regarde Jérém refermer la porte du « Temple du masculin ». Je l’entends faire claquer la serrure, puis retirer la clef. Je le regarde allumer une clope et partir sans un mot. Le crissement de ses baskets sur le goudron me transperce le cœur. Il n’est pas possible ce mec. Je ne peux me résoudre à le laisser partir comme ça.
« Salut, je me force à lui balancer.
— Ouais… » il lâche en retour, froidement.
Ça ne me suffit pas, ça ne peut pas me suffire.
« Jérém…
— Quoi ??? » fait le petit con sur un ton agacé, mais en s’arrêtant net, et en me servant une fois de plus ce petit mot et ce ton agacé pour décourager la discussion.
« On va se revoir ? » je trouve l’audace de lui demander.
Dans la pénombre j’arrive à deviner son profil à la lueur au bout de sa cigarette. Son silence est tellement dur à encaisser. J’ai besoin d’une réponse de sa part, quelle qu’elle soit.
« T’as envie qu’on se revoie ?
— T’en poses des questions, toi…
— T’as bonne mine de dire ça. Toi aussi t’en poses des questions. » Des questions qui en plus ne te regardent même pas. Et sinon, c’est qui cette pouffe avec qui tu t’es ramené à la piscine ? Tu couches avec ? Elle a vraiment une tête de conasse !
Voilà ce que j’aurais dû lui balancer à la figure face à sa désinvolture. Mais devant son effronterie, je suis désarçonné, incapable de trouver les mots pour me défendre.
« T’en poses des questions, toi… », ce seront ses derniers mots. De l’esquive, comme d’hab. Le bruit de ses pas sur goudron reprend illico et je regarde sa silhouette parfaite de mec s’éloigner dans la rue.
Après toutes ces années, je regrette de ne pas lui avoir dit clairement ce soir-là, cet été-là, dès le printemps même, que je l’aimais comme un fou. Peut-être qu’il m’aurait tout simplement jeté comme une merde, et que notre relation aurait pris fin avant de prendre les proportions démesurées qu’elle prendra par la suite. Jérém serait passé à autre chose, et moi j’aurais fait mon deuil.
Peut-être qu’au contraire, lui ouvrir mon cœur nous aurait peut-être empêché bien des mauvais moments, bien des bêtises, de gâcher tant de temps avant d’arriver à ce jour de septembre 2001 où notre histoire prendra un tout autre tournant. Peut-être que sur le coup il se serait moqué de moi, c’est même certain. Mais qu’importe, au moins il l’aurait su.
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’aurait surtout pas fallu que je lui mette la pression comme je le faisais, en lui montrant à chaque fois que baiser avec lui ne me suffisait pas. Hélas, lorsqu’on est amoureux, on est transparent, et nos sentiments se voient en filigrane dans chacun de nos gestes, de nos regards, de nos mots.
A l’époque je n’étais qu’un jeune garçon, aveuglé par mes sentiments. Ce soir-là, en regardant Jérém s’éloigner dans la rue, la cigarette au bec, son sac de sport à la main, avec son allure assurée de mec bien dans ses baskets, je ne voyais qu’un garçon qui avait l’air de parfaitement savoir ce qu’il voulait – de la bonne baise – et également ce qu’il ne voulait pas – s’encombrer avec de la tendresse et des sentiments.
Lorsqu’on regarde les choses de trop près, comme je regardais mon beau brun à cette époque, au sens propre comme au sens figuré, on ne voit pas ce qui se passe autour, car notre horizon est bouché.
Oui, si j’avais su prendre un peu de distance, si j’avais su regarder un peu au-delà de la surface, je me serais peut-être rendu compte que son refus de toute tendresse n’était qu’une façon de cacher sa crainte maladive de l’attachement, de l’abandon et de la solitude.
Commentaires
ZurilHoros
23/06/2020 18:37
Voilà un texte sur lequel je voulais revenir depuis un certain temps pour le commenter comme si la suite de l’histoire m’était inconnue. C’est un épisode difficile, mais intéressant sur ce qui ressemble, à des rapports sadomasochistes. Depuis le début, comme Sisyphe dans la mythologie, la même partition se rejoue selon les règles fixées par Jérémie et acceptées par Nico. Jérém veut se vider, Nico rapplique, il suce, se fait baiser, ou l’inverse, puis Jérém lui dira de dégager. Le seul suspens de l’épisode est de savoir si Nico aura gagné son image comme un enfant sage. Un câlin, un baiser, une nuit. Il sait que si il l’obtient, il le payera cher et qu’il sera humilier sans pitié, mais il recommencera le même cirque la fois d’après. Nico comprend assez bien la mécanique de ce cercle vicieux mais il ne peut pas s’en empêcher car il n’a pas la force d’y échapper.
Commentaires
ZurilHoros
23/06/2020 18:37
Voilà un texte sur lequel je voulais revenir depuis un certain temps pour le commenter comme si la suite de l’histoire m’était inconnue. C’est un épisode difficile, mais intéressant sur ce qui ressemble, à des rapports sadomasochistes. Depuis le début, comme Sisyphe dans la mythologie, la même partition se rejoue selon les règles fixées par Jérémie et acceptées par Nico. Jérém veut se vider, Nico rapplique, il suce, se fait baiser, ou l’inverse, puis Jérém lui dira de dégager. Le seul suspens de l’épisode est de savoir si Nico aura gagné son image comme un enfant sage. Un câlin, un baiser, une nuit. Il sait que si il l’obtient, il le payera cher et qu’il sera humilier sans pitié, mais il recommencera le même cirque la fois d’après. Nico comprend assez bien la mécanique de ce cercle vicieux mais il ne peut pas s’en empêcher car il n’a pas la force d’y échapper
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