LT0115 Le livre de Thibault – L’accident.
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Samedi 8 mars 2003.
Le ralenti de l’accident de Jérém défile à l’écran et montre comment son genou a été malmené lors de la chute. Son pied a touché le sol dans une position décalée. Le poids de son corps, déséquilibré, démultiplié par la chute, s’est déchargé dessus, et le genou droit s’est plié vers l’avant. Les images sont incroyablement dures, cruelles.
En début de soirée j’arrive à avoir Thibault au téléphone et je le sens tout aussi désemparé que je le suis. Il me demande si j’ai envie de passer chez lui. Evidemment que j’ai envie. Lorsque je débarque à l’appart, nous nous prenons dans les bras et nous mélangeons nos inquiétudes, nos tristesses. Et ça nous fait un bien fou. Sa simple présence est apaisante.
— Mon coach connaît bien celui du Stade Français. Il m’a promis de l’appeler et de me tenir au courant dès qu’il y aura du nouveau.
Mais les heures passent et rien ne vient. Les examens médicaux doivent toujours être en cours. Je passe la nuit chez Thibault mais ni lui ni moi n’avons le cœur à envisager autre chose que de la tendresse. La présence et la proximité de l’autre est tout ce qu’il nous faut en ce moment si difficile.
Le portable du jeune pompier sonne au milieu de la nuit. Son radio-réveil indique 3h31. Thibault se réveille en sursaut, et moi avec lui. Il répond dans le noir. Le coup de fil ne dure pas très longtemps, et Thibault ne fait qu’écouter et pousser des soupirs de dépit. Je sens que ça ne s’annonce pas bien du tout.
Lorsqu’il raccroche, il prend une très longue inspiration. Il demeure assis dans le lit, l’attitude d’un gars perdu. Même dans le noir, je sens son inquiétude. Même avant qu’il ne prononce un mot, je sais que les choses sont graves, peut-être même plus graves qu’on l’imaginait.
— C’est pas bon…
— Qu’est-ce qu’ils ont trouvé ?
— Il y a rupture des ligaments croisés antérieurs. Sa cheville a pris aussi, il a une entorse carabinée. Ils craignent des microlésions. Mais ce qui les inquiète le plus pour l’instant, c’est la tête.
— Quoi, la tête ?
— Sa tête a heurté le sol. Il a perdu connaissance. Il a une commotion cérébrale. Depuis qu’ils l’ont pris en charge, il a eu des absences.
— Et ça va s’arranger ? je questionne, j’ordonne, je prie.
— Je ne sais pas, Nico, j’espère… fait Thibault, la voix faible, étouffée par les larmes.
L’horizon de Jérém s’assombrit un peu plus. Me revoilà, nous revoilà replongés dans le cauchemar d’il y a deux ans, lorsqu’il s’était cogné la tête en tombant suite à une bagarre. Mon inquiétude, notre inquiétude grandit encore.
Thibault et moi ne dormons plus beaucoup cette nuit-là. Nous parlons de Jérém pendant des heures.
Jeudi 27 mars 2003.
Lorsque j’arrive à la gare Montparnasse, Thibault m’attend à côté de la ligne de métro. Ça fait du bien de retrouver un visage connu dans cette ville où tout m’est inconnu. Le jeune pompier me fait la bise et me serre fort dans ses bras. Sa présence, son attitude, son torse, ses bras sont tellement rassurants !
Après un passage par le métro, nous débarquons à l’appart de Jérém par surprise. En fait, la surprise n’est que pour ce dernier, car Maxime est au courant.
— Il va de soi que ce n’est pas le bon moment pour que Jé apprenne ce qui s’est passé entre nous, me glisse Thibault alors que nous montons par l’ascenseur.
— Il va de soi…
— Je ne regrette toujours pas, au contraire. Je dis juste que ce n’est pas le bon moment, il s’empresse de préciser.
— J’avais bien saisi, et je te suis à 100%.
Thibault sonne à la porte. Un instant plus tard, le petit brun nous accueille avec un sourire dans lequel il n’est pas difficile de deviner une insistante note de tristesse.
— C’est qui ? j’entends Jérém le questionner depuis le séjour.
— C’est quelqu’un qui vient te voir.
— Je ne veux voir personne.
Ça promet…
Maxime nous fait rentrer. L’appart empeste la fumée de cigarette et le joint. Jérém est affalé sur le canapé, la jambe enserrée dans une botte de maintien, posée sur la table basse. Il est habillé avec un jogging blanc à bandes noires. Deux béquilles sont posées contre le canapé, à côté de lui. Sur le meuble à sa droite, un cendrier rempli à ras bord de mégots trône juste à côté d’innombrables bouteilles de bière vides.
— Jé, mon pote ! lui lance Thibault.
— Thib !
Jérém a l’air surpris de voir son pote débarquer, mais pas contrarié. Il a même l’air très touché. Et ému. Thibault se penche vers lui et le prend dans ses bras. Il l’embrasse deux fois sur la joue et lui caresse le cou et la nuque.
— Salut, Jérém, je lui lance, lorsque l’accolade entre les deux potes prend fin.
— Salut… il me lance assez froidement, le regard ailleurs.
Ce n’est pas encore un accueil qu’on caractériserait de chaleureux, mais il y a du mieux par rapport à la dernière fois. Déjà, je ne me suis pas fait jeter !
— Ça vous dit si je fais des pâtes ? nous demande Maxime.
— Parfait ! lui répond Thibault.
— Comment tu vas, mon petit Jé ? enchaîne l’adorable pompier.
— Comme tu le vois, comme une épave !
— Mais qu’est-ce que tu racontes ! Tu oublies que j’ai été mécano et que je sais très bien reconnaître une épave d’une belle voiture accidentée. Toi, tu es une très belle voiture accidentée. Une fois réparé, tu vas être comme neuf.
— Non, tu te trompes, je suis une épave. Je ne serai jamais comme neuf.
— Tu crois que tu es le premier joueur de rugby à subir ce genre des blessures ? Et qu’il n’est pas possible d’en guérir et de revenir au top ?
— Le chirurgien n’y croit pas lui-même ! Et quand même le mécano ne croit pas en la réparation de la voiture qu’il vient de passer sur le pont, je te fais pas un dessin !
— Le chirurgien n’a jamais dit qu’il n’y croit pas, intervient Maxime. Il dit juste qu’il a besoin de voir comment tes lésions guérissent avant de pouvoir faire un diagnostic fiable.
— Il y a des réparations qui demandent du temps, avance Thibault.
— Ouais, ouais.
— Là, il ne se passe rien parce que tu es en phase de cicatrisation et que tu ne peux rien faire, avance le demi de mêlée. Tu te fais chier et tu ne vois aucun progrès. Mais quand tu seras à Capbreton, tu vas progresser.
— J’espère qu’ils ont un service spécialisé dans les miracles, fait Jérém, l’air complétement désabusé.
— Pour guérir, il faut y croire. Je suis passé par là, après mon accident à AZF. Oui, ma blessure était moins grave que la tienne. Mais j’ai eu des doutes comme toi, j’ai eu peur comme toi. Et pour m’en sortir je me suis raccroché à un but, celui de retrouver ma forme d’avant et de retourner jouer. Il faut être patient, et ne pas vouloir que les choses aillent trop vite.
— Oui, oui, allez, parlons de choses plus marrantes, j’entends Jérém balayer le sujet d’un revers de main. Avant d’enchaîner sur un tout autre sujet : Tu as des nouvelles de Thierry et de Thomas ?
Thibault n’insiste pas, et il suit Jérém sur ce nouveau terrain. Pendant l’apéro et le repas, les deux potes d’enfance renouent avec leur complicité d’antan en évoquant leurs potes de Toulouse, leur vie d’avant, leurs expériences communes, leurs souvenirs du rugby. Jérém s’anime peu à peu au contact de Thibault. Ce dernier sait le faire réagir, et même le faire sourire. Il le connaît tellement bien. Et il est tellement sensible, avisé, psychologue.
Son tact est tel qu’il arrive à tout lui dire sans le braquer.
— Jérém, ton frère à l’air fatigué, il lui balance au détour d’une conversation.
— Je sais, je suis un véritable boulet en ce moment. Et mon frérot est un ange, il a du mérite à rester ici avec moi.
— Dans quelques jours je pars pour Capbreton, je te libère, il lance à Maxime.
— Ça va être long, fait le petit brun, à moitié en rigolant, à moitié sérieux.
— Si Maxime doit reprendre ses cours, je peux rester quelques jours jusqu’à ton départ à Capbreton… je lance.
Jérém me regarde de travers.
— Et tes cours ? me questionne Thibault.
— Je les rattraperai plus tard.
— Je n’ai pas besoin de ton aide, je me débrouillerai tout seul, me balance Jérém sèchement.
— « Tout seul », tu vas déprimer à fond, lui glisse Thibault.
— Je sais me gérer, merci, il s’agace.
— Pourquoi tu ne veux pas que je reste ? je le questionne.
— Je ne veux pas de ta pitié ! il me crie dessus.
— Je n’ai aucune pitié pour toi, je veux juste te filer un coup de main ! je m’emporte à mon tour.
— Bon, vous nous cassez les couilles tous les deux, fait Thibault, l’air facétieux. Hein, Maxime, qu’ils sont insupportables ces deux-là ?
— Un peu…
— Nous on va prendre un café, et vous vous arrangez pour vous calmer d’ici que nous soyons revenus, continue le jeune pompier.
— Avec grand plaisir ! fait le petit brun qui a de toute évidence compris le but de la manœuvre de Thibault, celui de permettre à Jérém et moi de rester un peu seuls pour régler nos histoires entre nous.
Jeudi 27 mars 2003, au soir.
Va-t’en, Nico, pars loin d’ici. Tu vois pas que je suis en train de couler ? Ne coule pas avec moi !
Je ne partirai que quand tu iras mieux. Et personne ne coulera. Je te promets que tu iras mieux. Je te promets qu’un jour tu joueras à nouveau au rugby et encore mieux qu’avant l’accident. Je te promets qu’un jour tu gagneras le Top16 avec le Stade. Mais pour ça, il faut y croire. Pour cela, il faut continuer à croire en tes rêves.
Oui, je sais que je distribue de l’espoir à crédit, à découvert, sans prendre aucune garantie, en encourant un risque fou. Mais en voyant Jérémie dans cet état je ne peux faire autrement que lui donner quelque chose à qui s’accrocher, coûte que coûte. J’ai besoin d’y croire et je veux qu’il commence à l’envisager.
Je pense aux mots du chirurgien du train :
« Et surtout, il faut s’arranger pour qu’il n’arrête jamais d’y croire, même s’il prétend le contraire. Car l’espoir est l’élément clé de la guérison. Il n’est bien évidemment pas suffisant, mais il est terriblement nécessaire ».
Tout est possible, pourvu qu’on continue à rêver, je lui glisse, alors que mes sanglots se mélangent aux siens.
Les joues de Jérém sont encore humides lorsque Thibault et Maxime rentrent à l’appart. Le petit brun s’en rend compte. Il prétend avoir oublié de prendre le courrier, tout en faisant disparaître en catastrophe les enveloppes qu’il tenait à la main dans la poche arrière de son jeans. Quant à Thibault, il avance avoir oublié de faire des courses. Les deux adorables petits mecs quittent fissa l’appart, pour me laisser un peu plus de temps pour sécher les larmes de Jérém.
Ce soir-là, Thibault et moi prenons une chambre dans un hôtel. Elle comporte deux lits jumeaux, mais très vite nous les rapprochons pour nous câliner.
Ça me fend le cœur de le voir dans cet état, me glisse Thibault, alors que ses gros bras me pressent contre son torse puissant et chaud.
A moi aussi ça me fend le cœur, il est tellement abimé !
C’est vrai que tu peux passer du temps avec lui ? il me questionne.
Oui, je peux, et j’en ai envie.
Tu t’en sens le courage ?
Je ne sais pas, mais j’ai envie d’essayer.
Il faut être très fort, Nico…
Je sais.
Tu es sûr que ça ne va pas interférer avec tes études ?
Je vais tout faire pour que ça se passe bien. Je pense que mes camarades peuvent m’aider.
Tu es vraiment un chouette gars, Nico.
Toi aussi Thibault, tu es un gars en or.
Ce qui me fait peur, c’est quand il va se retrouver seul à Capbreton. J’ai peur qu’il n’y mette pas tout son cœur, et qu’il ne fasse pas tout ce qu’il faut pour récupérer.
J’aimerais pouvoir être à ses côtés quand il sera là-bas, mais je n’ai aucune idée de comment faire, j’avance.
Si tu es vraiment sûr que tu peux passer du temps avec lui, je te propose quelque chose.
Dis-moi…
Je te paie le séjour à Capbreton. Tu prends une chambre ou un appart là-bas, et je règle tous les frais pendant tout le temps que tu seras à côté de Jé.
Mais Thibault ! je m’exclame, touché pas sa générosité, ému par sa bonté.
Il n’y a pas de « mais ». Si tu es prêt à t’occuper de lui, je peux te faciliter la tâche, et je veux te faciliter la tâche.
Mais je te préviens que ça ne va pas être facile, il ajoute aussitôt. Les jours qui t’attendent ne vont pas être de tout repos. Il est démoli à l’intérieur, et il voit tout en noir. Il va te rendre malade, parce qu’il va très mal. Mais il a besoin de toi, même s’il va toujours prétendre le contraire.
L’admiration et l’immense tendresse inspirées par la grandeur d’esprit que Thibault vient de me montrer une fois de plus, n’ont jamais été si immenses, si fortes à m’en donner des larmes. J’ai envie de lui, j’ai envie de faire l’amour avec lui. J’ai envie de lui offrir tout le plaisir qu’il mérite. J’ai envie de le câliner, j’ai envie d’offrir à cet adorable garçon toute la douceur qu’il mérite. Et putain que je le sais à quel point il les mérite !
Thibault un véritable puits à câlins, un véritable aimant à bisous. Cette nuit, je lui donne toute la tendresse dont il a besoin, qui n’est sans doute qu’une fraction de celle qu’il m’inspire.
Nous savons le désir que nous partageons. Mais cette nuit la présence de l’autre nous suffit pour nous faire nous sentir bien.
Samedi 29 mars 2003.
Thibault et Maxime restent un jour de plus et rentrent à Toulouse dans le week-end. Quant à moi, je reste avec Jérém. Bien qu’il se soit montré assez distant et froid, après notre rapprochement du premier soir, je reste et m’installe chez lui pour quelques jours pour permettre à Maxime de rentrer à Toulouse. La cohabitation ne s’annonce pas vraiment sous les meilleurs auspices. Mais je prends sur moi, et j’essaie de garder un peu d’optimisme quant au fait que ça s’arrange.
J’attends ton RIB, me glisse discrètement Thibault, en me prenant dans ses bras, avant de partir. Et si c’est trop dur, tu m’appelles. Je viendrai vous voir, s’il le faut je ferai l’aller-retour dans la nuit.
Ce garçon est vraiment, vraiment adorable.
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