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LT0101 Le livre de Thibault – Deux potes

Le livre de Thibault (saison 1).

Avertissement.

1987.

Jérémie et Thibault, Jé pour l’un, Thib pour l’autre. Deux garçons aux caractères bien différents et pourtant si proches l’un de l’autre, les meilleurs potes du monde.

Votre première rencontre remonte au CP. C’était l’année 1987.

A six ans, Jé était un petit garçon timide, frêle et maigrichon. Depuis les premiers jours d’école, il s’était fait bousculer par les « grands » de CM2.

Oui, le premier souvenir de Jé qui se présente à toi, c’est l’image d’un garçonnet effacé, complexé et malmené, qui souffrait en silence, à la récré, dans la cour du collège.

Touché par ce petit bonhomme, tu prenais sa défense, n’hésitant pas à affronter les « grands » et à te faire taper par les « grands ».

Une amitié était née.

A sept ans, tu avais été impliqué dans un grave accident de la route. Ton père s’en était tiré avec quelques éraflures. Toi, Thibault, tu avais eu une épaule cassée.

Lorsque ton pote avait appris pour l’accident, il s’était beaucoup inquiété. Il n’avait été rassuré que lorsqu’il avait pu aller te voir à Rangueil où tu étais resté en observation pendant quelques jours.

Vous aviez huit ans, lorsque tu avais perdu ton Filou adoré, un petit chien croisé Beagle. C’était un jour de pluie et Jé t’avait aidé à faire le trou au fond du jardin, il avait déposé la dépouille dedans. Et avec la sagesse que seuls possèdent les enfants, il t’avait expliqué qu’il avait entendu dire qu’il existait un Paradis pour les gentils toutous et que Filou y était, c’était sûr. Et, toi, petit Thib en larmes, tu avais senti ses bras t’enserrer, et ça t’avait fait un bien fou.

Cette même année-là, le rugby était rentré dans votre vie, et il n’en était jamais sorti depuis.

Vous aviez dix ans lorsque les parents de Jé avaient divorcé. Sa mère s’était barrée à l’autre bout de la France avec un autre gars. Depuis, elle avait presque totalement disparu de la vie de ton pote et son petit frère Maxime.

Quant à son père, il n’avait pas tardé à ramener une nouvelle femme à la maison. Et très vite, entre cette nana et ton pote Jé, ça avait mal tourné.

Jé ne supportait pas sa belle-mère. La première raison à cela étant qu’il n’acceptait pas qu’elle puisse prendre si rapidement la place de sa véritable mère.

Très remonté contre cette dernière, incapable de comprendre son attitude qu’il considérait comme un abandon pur et simple, en conflit ouvert et permanent avec sa belle-mère qui ne tolérait pas son hostilité, à dix ans, Jé était un garçonnet profondément en colère.

Heureusement, il y avait le rugby. Heureusement, tu étais là pour le soutenir et pour le faire rire. Tu étais le seul qui arrivait à le faire rire en cette période difficile de sa vie. Et ça te rendait si heureux de le voir rire.

Vous aviez douze ans lorsque toi, Thibault, tu avais perdu ta grand-mère que tu adorais par-dessus tout.

Ton pote Jé ne t’avait pas lâché d’une semelle pendant des mois, passant d’innombrables après-midis avec toi, collés à la console de jeux ou en selle sur vos vélos.

C’est bon d’avoir un copain dans les moments difficiles, c’est bon à tout âge de la vie, mais a fortiori pour un enfant qui se construit.

Jour après jour, votre amitié avait grandi jusqu’à devenir irremplaçable.

Puis, l’adolescence était arrivée. Elle était arrivée sans crier gare.

A quatorze ans, Jé était toujours très en colère contre sa famille, de plus en plus en colère. Il attendait avec impatience ses seize ans, avec la ferme intention de se faire émanciper et pouvoir quitter le domicile familial dans la seconde.

Et même si le rugby avait commencé à muscler son corps, même s’il ne se faisait plus bousculer, il se voyait toujours comme le garçon maigrelet qui se faisait moquer et molester dans la cour de récré.

C’est pour cela qu’il avait voulu faire de la muscu « parce que je veux devenir fort », comme il te l’avait annoncé un jour. Des mots que tu avais trouvé particulièrement émouvants.

Le rugby était devenu à la fois le fil conducteur et le pilier central de sa vie et de la tienne.

Dès les premières compétitions, vous aviez connu la tension dans les vestiaires avant le début du jeu, vous aviez été confrontés à l’effort collectif pendant deux fois quarante minutes, vous aviez appris à mouiller le maillot pour gagner, pour gagner tous ensemble.

Vous aviez connu la joie et l’excitation de marquer un essai, la déception d’en rater, le désarroi d’en encaisser. Vous aviez connu l’euphorie de la victoire et le blues de la défaite. Vous aviez pris des coups, mais vous vous étiez fait des potes.

Et vous aviez connu la troisième mi-temps, ce temps partagé avec les copains qui sont des copains parce qu’ils savent ce que chacun a vécu, et parce qu’ils l’ont vécu ensemble. La troisième mi-temps, c’est le temps du réconfort après l’effort, le moment de refaire le match, le moment de la camaraderie, de la bonne humeur, c’est une fête de famille sans la famille.

Au rugby, encore plus qu’avant, vous aviez connu la sensation réconfortante de pouvoir compter l’un sur l’autre, la sensation de vous capter au quart de tour pour faire avancer le jeu, de vous comprendre sans un mot en chaque circonstance.

Et au fur et à mesure que ton pote devenait bon sur le terrain, le rugby devenait pour lui une façon de prendre sa revanche sur la vie.

A quinze ans, les nanas avaient commencé à s’intéresser à lui, et lui à s’intéresser à elles. Le lycée était devenu alors la dernière de ses priorités, loin derrière les potes, le rugby et les meufs.

Malgré cela, au fond de lui, Jé était toujours un garçon en pleine phase de rébellion. Cette colère avait même failli avoir raison de votre amitié. Et si cela n’a pas été le cas, ce fut grâce à ta patience, à ta fermeté et à ton tact.

Ton pote l’avait voulu, et il avait réussi. En l’espace de deux ans, son corps avait été métamorphosé, sa musculature s’était développée. Tout comme sa technique au rugby, notamment dans le rôle d’ailier.

A 16 ans, il était assez baraqué et bon joueur pour imposer le respect. Personne ne se moquait plus de lui depuis un bon moment déjà. Et, de plus en plus, il suscitait l’admiration et la jalousie. Quant aux nanas, elles se battaient pour pécho le beau rugbyman brun.

En parallèle au rugby, vous aviez fait toute votre scolarité ensemble. Du moins jusqu’à ce que Jé se fasse exclure du lycée au dernier trimestre de la première année.

C’était à cause de ses absences répétées, injustifiées, stratégiques. Mais aussi de son je-m’en-foutisme porté à son plus haut niveau, de son tempérament allergique à toute forme d’autorité, de son attitude irrespectueuse vis-à-vis des profs, et de son comportement trop facilement bagarreur vis-à-vis de ses camarades.

Qu’à cela ne tienne, votre amitié avait survécu au changement de lycée de Jé. A cette époque, vous avez fait les 400 coups ensemble. Premières sorties en boîte de nuit, l’alcool, le pétard, la bagarre entre mecs, les premières copines, les premières fois, le sexe, le permis, la bagnole.

Toujours présent à ses côtés, tu avais évité à Jérém de faire pas mal de bêtises. Combien de fois tu l’avais empêché de prendre la voiture ou de se battre lorsqu’il était saoul !

1994

Un souvenir précis remonte à ta conscience. Un instant gravé dans ta mémoire. Le souvenir d’un vestiaire d’après match, vers l’âge de 13 ans. Ce jour-là, en regardant ton pote se doucher, tu t’étais surpris à t’attarder sur lui.

Dès lors, match après match, vestiaire après vestiaire, douche après douche, tu n’avais jamais plus renoncé à regarder ton pote. Tu t’arrangeais presque toujours pour te doucher en même temps que lui. Parfois, il t’était arrivé de croiser son regard, souvent accompagné d’un petit sourire, un sourire que tu n’avais jamais su interpréter.

Tu avais de plus en plus « besoin » de regarder ton pote. Car, le regarder, te faisait te sentir bien.

Parfois, tu faisais même exprès de le chercher, de le narguer, de provoquer une réaction de sa part. Un jour, tu l’avais éclaboussé jusqu’à ce qu’il te bouscule, te pousse contre la faïence. Le simple contact de ses mains, de ses cuisses, la proximité de son visage, de ses cheveux dégoulinants d’eau, de sa nudité t’avait troublé.

Un autre jour, attirés par vos petites chamailleries sous l’eau, d’autres gars étaient venus vous rejoindre sous les douches, tels des labradors voyant d’autres labradors nager dans une rivière. Au bout de quelques minutes, le sol du vestiaire était recouvert d’une épaisse couche d’eau et de mousse, bêtise qui vous avait valu un bon savon de la part de l’entraîneur.

A chaque fois, tu étais heureux que ton pote fasse semblant de te bousculer, qu’il t’attrape par les bras, les épaules, par le cou. Et à chaque fois, tu étais heureux de sentir le contact avec son corps, avec cette peau mate et douce qui te faisait de plus en plus envie.

Et puis, il y avait et cette nuit sous la tente. C’était l’été 1994.

Cet été-là, tu avais demandé à tes parents d’inviter ton pote à venir en camping avec vous près de la mer. Et tes parents avaient accepté. Vous, les garçons, vous dormiez dans la même tente.

Tu repenses au dernier soir avant le retour à la maison, à ces bières que vous aviez achetées en cachette à la superette du camping et que vous aviez descendues sous la tente, en discutant jusqu’à tard.

Tu te rappelles de cette sensation d’euphorie, d’allégresse et d’étourdissement que t’avait apporté la bière. Tu n’en avais jamais bu auparavant.

Et, surtout, tu te souviens du moment où tu t’étais rendu compte que, peu après t’avoir souhaité une bonne nuit, ton pote était en train de se taper une queue juste à côté de toi.

Ce n’était pas la première fois tu te rendais compte que ton pote se branlait avant de dormir. Ni la première fois que tu en avais envie. Et pourtant, c’était la première fois où, les bières aidant assurément, tu avais senti le cran d’oser.

Ta main avait glissé sur le sexe de ton pote. Et ce dernier ne l’avait pas repoussée. Tu l’avais branlé jusqu’à le faire jouir. Puis, il t’avait renvoyé l’ascenseur, il t’avait branlé et fait jouir à son tour.

Le matin suivant, vous vous étiez dit bonjour comme d’habitude, comme s’il ne s’était rien passé. Ni ce jour-là, ni à aucun moment par la suite, vous n’aviez parlé de ce qui s’était passé. Et l’occasion ne s’était pas présentée de recommencer.

Pourtant, tu n’étais jamais parvenu à effacer le souvenir de ce qui s’était passé pendant cette fameuse nuit. Le souvenir remontait en toi à chaque fois que, au gré des actions de rugby ou de la complicité entre potes, il t’arrivait d’avoir un contact physique avec ton Jéjé. Et cela arrivait assez régulièrement, car Jé était assez tactile avec toi, notamment dans les vestiaires.

Souvent, avant un match important, ou après une victoire, il te serrait fort contre lui, tout en glissant ses mains entre ton t-shirt et ton dos. Sous les douches, si ce n’était pas toi qui le cherchais, c’était lui qui te cherchait. Il t’attrapait par les bras, par l’épaule, par le cou, il faisait semblant de te bousculer. C’était devenu un jeu entre vous. Vos petites chamailleries sous la douche étaient devenues récurrentes. C’était marrant.

Parfois, lorsque nous regardiez un match seuls tous les deux sur le canapé, il passait un bras autour de ton cou. Il arrivait aussi, lors de fins de soirée très alcoolisées et très « fumées », que ton pote se laisse aller à certaines familiarités inconcevables « à jeun ». Il passait une main dans tes cheveux, les caressait. Parfois, il appuyait sa tête contre ton épaule.

Chaque fois tu acceptais ces gestes, parce que tu aimais ce contact avec ton pote. Tu les acceptais sans chercher à creuser plus loin, sans tenter d’aller plus loin, tout en ressentant à chaque fois de doux frissons. Mais aussi une grande frustration.

Parfois, lors des déplacements pour les matchs de rugby, tu t’étais parfois retrouvé à dormir dans la même chambre, et parfois dans le même lit que ton pote. C’était à la fois un bonheur et une torture.

Le bonheur de retrouver la proximité avec ton pote, et la torture de devoir maîtriser à chaque fois la brûlante envie de retrouver la complicité des esprits, des corps et des plaisirs que tu avais connue en cette fameuse nuit sous la tente.

Depuis cette dernière nuit au camping, Jérém ne s’était plus jamais branlé à côté de toi. Tu avais fini par te dire que ce qui s’était passé sous la tente n’était qu’une bêtise d’ados, une bêtise qu’il fallait oublier, tout comme semblait l’avoir fait ton pote.

Pourtant, il t’arrivait parfois de te demander si ton Jé repensait parfois à cette nuit, et s’il lui arrivait d’avoir lui aussi envie de retrouver le bonheur de ce moment magique.

Après cet été-là, très vite, ton pote Jé avait été accaparé par les nanas. Toi aussi tu avais commencé à en fréquenter. Mais vous n’aviez pas du tout la même approche.

Ton pote cherchait les filles bien roulées et voyantes, du genre qui rendent les potes jaloux. Ton genre à toi c’était les filles naturelles et fortes, avec de la conversation. Ton pote multipliait les aventures sans lendemain. Tu avais eu quelques aventures d’un soir, mais pas très nombreuses. Tu aurais pu en avoir davantage, les nanas ne manquaient pas de te montrer qu’elles te trouvaient attirant. Mais, contrairement à ton pote, ça ne t’avait jamais vraiment intéressé d’étoffer un « tableau de chasse ». Tu aspirais à des relations plus suivies.

Comme avec Lorie, une nana rencontrée chez les pompiers. Tu aimais bien Lorie, tu appréciais son engagement, son intelligence, son humour, son ouverture d’esprit et sa générosité. Ça s’était terminé lorsqu’elle était partie à Toulon après la fin de ses études. Vos conversations, vos partages, votre complicité, sa façon de te comprendre et de te soutenir t’avaient beaucoup marqué. Et t’avaient beaucoup manqué lorsqu’elle était partie. Beaucoup plus que le sexe.

Tu étais resté seul plus d’un an. Et puis, peu avant tes dix-huit ans, lors d’une soirée en boîte de nuit, tu avais rencontré Nathalie, une infirmière de quelques années ton ainée. Chez elle aussi tu as aimé son engagement, son intelligence, son humour, son ouverture d’esprit et sa générosité. Car tu trouves ces qualités morales rassurantes chez l’autre. Que ce soit une nana ou un pote, d’ailleurs.

Mais Nathalie, très accaparée par son travail et par ses études, ne voulait pas d’une relation suivie. Vous avez passé quelques bons moments ensemble, mais elle a mis de la distance quand elle a vu que tu commençais à trop t’attacher.

Oui, depuis le début du lycée, tu as toujours fréquenté des nanas.

Mais à côté de ça, tu n’as jamais cessé de penser à ce qui s’était passé sous la tente avec ton pote Jé.

Tu ne sais pas vraiment comment l’expliquer. Avec ton pote Jé, c’est différent, un point c’est tout. Tu n’as jamais ressenti ce « truc » pour un autre gars. Cette implication affective, cette envie de l’aider avant même qu’il le demande, l’envie de le rassurer quand il en a besoin. L’envie de le faire rire, de le serrer dans tes bras quand il n’est pas bien, l’envie de le protéger. Tu ressens pour lui une empathie totale, une connexion qui fait que tu n’es bien que lorsqu’il est bien lui aussi.

Ton pote t’inspire une immense tendresse. Car tu sais à quel point, derrière son apparente assurance, derrière sa fierté qui prend parfois des airs d’insolence et d’arrogance, se cachent d’anciennes blessures qui n’ont jamais cicatrisé. Et tu sais que derrière le joueur de rugby très doué, derrière le tombeur de nanas, derrière son côté macho se cache un p’tit mec qui a par-dessus tout besoin d’être rassuré et aimé.

Car tu sais bien que, malgré son émancipation, malgré sa réussite au rugby, son succès insolent auprès des nanas, sa colère ne l’a pas quitté depuis la fin de son enfance, depuis le jour où sa mère est partie près de dix ans plus tôt. C’est-cette colère, résultat d’une souffrance profonde, qui a forgé sa personnalité et qui régit toujours ses attitudes et ses comportements.

Oui, c’est-cette colère, et le désir annexe de se sentir aimé, jalousé, qui le pousse à être si charmeur. Pour avoir souffert de s’être senti longtemps impuissant face à l’abandon, il ressent un besoin jamais rassasié de s’imposer partout.

Voilà pourquoi ton pote t’inspire autant de tendresse.

Mais tu sais bien que ce n’est pas tout. Aucun gars ne t’a jamais fait l’effet qui te fait ton Jé. Pour aucun autre gars tu n’as ressenti ce « truc » qui te vrille les tripes lorsque tu le regardes sous la douche. Aucun autre gars ne t’a inspiré cette envie irrépressible de chercher le contact physique. Aucun autre gars ne t’a jamais donné envie de le branler sous une tente.

Tu as tout fait pour essayer de maîtriser cette envie, de l’étouffer, de l’oublier. Mais tu n’as jamais réussi complètement. Et elle t’est revenue à la figure comme un boomerang à chacun des exploits sexuels de ton pote.

Fête foraine à Fenouillet.

Juin 2000.

Ce soir-là, après le repas au resto, quelqu’un avait lancé l’idée d’aller faire un tour à la fête à Fenouillet.

Avec ton pote Jé et d’autres gars, vous aviez fait étape au punching-ball, puis au stand de tir, pour échouer enfin à la buvette.

A un moment de la soirée, ton pote s’était éclipsé avec une nana qui avait flashé sur lui lors de l’étape au punching-ball. Et ça t’avait fait quelque chose.

Ton pote était revenu une demi-heure plus tard, la cigarette au bec, un petit sourire bien coquin sur son visage.

Il avait été accueilli de la même façon qu’il avait été salué tout à l’heure, lorsqu’il est parti s’éclipser avec cette nana, affectueusement raillé par vos camarades. Des mots comme « serial baiseur » lui avaient été lancés.

Sans ciller, il avait repris sa place sur la chaise haute qu’il avait quitté une demi-heure plus tôt et qu’on lui avait gardée.

Le regard fier et taquin, il avait redemandé une bière, l’air plutôt fier d’entendre ses potes « célébrer » son exploit avec des moqueries transpirant un subtil mélange de jalousie et d’admiration.

Et là, l’air du mec plutôt fier de lui, il avait commencé à raconter son exploit. Tu n’avais pas vraiment envie d’entendre ça. Vraiment pas. Et pourtant, tu y étais en quelque sorte « obligé », en tant que meilleur pote.

Tu avais du mal à endurer ce récit d’une pipe mal faite, récit qui faisait se marrer tout le monde, mais pas toi.

Tu avais remarqué une trace de rouge à lèvres dans le cou de ton pote. Tu le lui avais fait remarquer, tu avais fait semblant de trouver ça drôle, alors que ça t’avait fait mal.

Malgré tout, tu étais conscient que ton pote était un très beau garçon, et que c’était normal qu’il ait du succès auprès des nanas.

Mais le jour ne tarderait pas à venir où tu réaliserais qu’il n’y avait pas que les nanas qui s’intéressaient à ton pote.

Songe étrange d’une nuit d’été.

Août 2000.

En ce début du mois d’août, Jérémie vient d’avoir son permis. Et sa voiture. Une vieille 205 rouge de quatrième main, mais qu’importe. C’est sa toute première voiture, celle pour laquelle il a bossé depuis un an, pendant toutes ses vacances.

Le permis, la voiture, l’été, il faut fêter tout ça avec les potes du rugby. Alors, c’est parti pour une semaine au bord de la mer, avec toi Thibault, son meilleur pote, et deux autres coéquipiers, Julien et Thierry.

Il est deux heures de l’après-midi lorsque vous débarquez au camping de Gruissan. Le soleil cogne fort. Le temps de planter les tentes, d’avaler un sandwich, de passer un short de bain et la joyeuse bande quitte le camping direction la plage.

Les enceintes de la réception diffusent le tube viral de l’été :

La plage, le sable, la mer, le soleil, les serviettes, les parasols, l’odeur de la crème solaire, voilà le parfum des vacances.

Les potes plongent lourdement dans l’eau, éclaboussent, font des vagues à tout va. Et lorsqu’ils réémergent de l’eau, la peau ruisselante, les brushings défaits, sur les visages se dessinent des sourires de gosses. Tu aimes tellement voir tes potes heureux. Et ton Jé, plus que tous les autres.

Il y a dans ces instants quelque chose qui s’approche de la contemplation de l’œuvre d’art. L’émotion profonde que ces garçons savent inspirer tout en étant simplement « eux-mêmes », en vivant leur vie avec cette fougue, avec cette insouciance, avec cette plénitude.

Tu pourrais passer des heures à les regarder faire les cons entre eux, à te mélanger à leurs jeux, touché et ému par toute cette énergie débordante, par leur côté « jeunes chiens fous ». Et là encore, c’est avec ton Jé que tu cherches le contact physique, à qui tu passes la balle que vous avez amenée dans l’eau. C’est avec lui que tu veux être en équipe quand vous improvisez un petit match de foot sur la place. C’est avec lui que tu veux partager ta tente. Comme depuis l’été de vos 13 ans.

Le lendemain soir, la petite bande est de sortie. Ton pote Jé débarque dans la boîte de nuit avec un t-shirt blanc bien près de son torse et de ses biceps, contraste parfait avec sa peau bronzée, il avance avec un sourire ravageur aux lèvres, fer de lance d’une attitude conquérante qui semble annoncer « personne ne peut me résister ».

Et effet les nanas le dévorent du regard. Et elles attaquent sur tous les fronts. Il y a celles qui chargent frontalement, qui viennent se mélanger à la meute, qui viennent lui parler. Et puis il y a des regards plus subtils, qui jouent un match de séduction tout en finesse.

Mais il y a un regard en particulier, un regard que Jérémie trouve particulièrement culotté. La nana sait bien mener son jeu, elle fait du charme à ton pote tout au long de la soirée. Elle y va par petites touches, elle cherche son regard, puis l’ignore, elle se montre intéressée, puis distante.

Un jeu de séduction qui se solde par une bonne partie de jambes en l’air dans un chalet sur la plage.

Au petit matin, Jérémie marche sur le sable fin en fumant une clope, alors que la brise marine ramène le son étouffé d’une radio :

Et tu chantes, chantes, chantes ce refrain qui te plaît

Et tu tapes, tapes, tapes, c’est ta façon d’aimer

Ce rythme qui t’entraîne jusqu’au bout de la nuit

Réveille en toi le tourbillon d’un vent de folie

Il est deux heures de l’après-midi lorsque ton pote émerge de son sommeil décalé.

Le soleil, la mer, les vacances. Quatre potes avec un ballon sur la plage, ça attire du monde. Un ballon, c’est le volley, le foot, le rugby. Chaque jour, il y a davantage de monde que la veille.

Tout ce raffut de jeunes mecs sur la plage finit par attirer des nanas. Dès lors, la petite bande de rugbymen toulousains n’aura pas de mal à conclure. Même toi, Thibault, le plus pudique et réservé des quatre, tu finiras par craquer un soir sur une petite brune.

Jérémie, quant à lui, après un premier but marqué au chalet de Mélanie, avait transformé des essais presque chaque soir. Et presque chaque fois avec une nouvelle nana.

Les jours filent. Ton pote trouve le temps de se faire tatouer un brassard aux motifs tribaux qui lui va sacrement bien.

Et le dernier soir arrive. Ton pote s’est éclipsé avec Stéphanie, une petite rousse.

Tu as désormais l’habitude de t’endormir seul dans la tente, car ton pote découche presque chaque soir. Mais ce soir, tu n’arrives pas à dormir. Ton pote te manque. Au fond de toi, tu as chaque fois pensé à cette nuit sous la tente l’été de vos treize ans. Chaque soir, au fond de toi, tu t’es dit que, peut-être… Mais ça n’a jamais été le cas. Ton pote n’a plus besoin de se taper des queues, il a bien assez de nanas pour se faire plaisir !

Mais quand le dernier soir est arrivé, tu t’es à nouveau dit que, peut-être, comme cet été-là, le dernier soir… En fait, tu avais surtout espéré pouvoir partager quelques heures avec ton Jé, même sans aucun contact physique. Tu avais espéré passer un peu de temps avec lui.

Et quand ton pote t’avait annoncé que ce dernier soir aussi il partirait « farcir de la moule », tu avais ressenti une immense frustration que tu avais eu le plus grand mal à cacher.

Non, ce dernier soir avant votre retour à Toulouse, tu n’arrives pas à dormir. Il est deux heures passées lorsque tu décides d’aller faire un tour. Tu marches déjà depuis quelques minutes lorsque tu reconnais à quelques mètres de toi, dans la pénombre, l’allure familière de ton pote, sortant d’un mobil-home. Ce dernier est torse nu, son débardeur posé sur l’épaule, la cigarette entre les lèvres, et il semble fouiller dans les poches de son short, certainement à la recherche de son briquet.

Tu te dis que ton pote est vraiment incroyable, il s’est tapé une nana chaque soir, et le dernier soir ne se prive pas d’emballer cette jolie rousse qui fait de l’effet à tout le monde.

Tu attends patiemment qu’il s’éloigne de quelques pas pour aller le rejoindre, lui passer l’avant-bras autour du cou et te moquer gentiment de ses exploits.

Mais une deuxième silhouette apparaît aussitôt sur le seuil du mobil-home, dans le noir.

« Pssssssst ! ».

Ton pote s’arrête net, se retourne, alors qu’il se trouve désormais dans une zone un peu plus éclairée. La deuxième silhouette avance jusqu’à le rejoindre.

Et là, tu as du mal à réaliser ce qui se présente à tes yeux. Car cette deuxième silhouette n’est pas celle de la jolie rousse. Pas du tout.

Tu as besoin de marcher un peu, tu as besoin de prendre l’air. Tu as besoin de remettre de l’ordre dans ta tête.

Lorsque tu rentres enfin à la tente, ton pote est déjà dans son sac de couchage. Mais il ne dort pas pour autant.

— T’étais parti où ? il te questionne.

— J’ai fait un tour à la plage… tu lui glisses.

— C’était bien ta soirée ? tu veux savoir.

— Pas mal…

La 205 rouge roule à vive allure sur l’autoroute des Deux Mers. Au bout d’une longue montée, la citadelle de Carcassonne apparaît sur la droite, majestueuse.

Tout en conduisant, Jérémie porte une cigarette entre les lèvres, et l’allume.

Ton regard se fixe sur ce briquet que tu lui as offert pour ses 18 ans.

— Tu regardes quoi ? fait ton pote, surpris par ton regard figé.

— Rien, tu lui souris, tout en posant la main sur son épaule, rien du tout.

Soudain, tu repenses à ce que tu as vu la nuit d’avant.

Lorsque la deuxième silhouette était sortie du mobil-home, et alors que tu t’attendais à voir une jolie rousse se dévoiler, c’était quelqu’un d’autre qui s’était présenté à tes yeux.

Tu avais parfois surpris d’autres regards se poser sur ton pote, autres que ceux des nanas. Et tu t’étais parfois demandé s’il faisait cas de ces regards. Désormais, tu as ta réponse.

La 205 rouge roule à vive allure sur l’autoroute à hauteur de Villefranche de Lauragais. Une toute nouvelle chanson vient de résonner sur les ondes radio :

Music… makes the people come together/La musique… rapproche les gens…

En arrivant au péage de Toulouse, tu n’arrives toujours pas à effacer de ta mémoire l’image de ce garçon musclé, l’image de ce petit gabarit très bien proportionné, de ce petit footeux qui n’avait pas arrêté de mater ton pote depuis qu’ils avaient débarqué au camping. Et qui avait finalement réussi à l’attirer dans son mobil-home, te privant ainsi de sa compagnie, le dernier soir avant votre départ.

Le mec s’était approche de Jérém pour lui rendre son briquet. Et pendant que ce dernier allumait sa clope, le mec en avait profité pour poser un baiser furtif dans son cou. La réaction de ton pote t’avait surpris. Il l’avait repoussé, sans ménagement.

Tu avais parfois entendu ton pote Jé avoir des propos très mauvais au sujet des « pédés ». Et tu t’étais parfois dit que si l’un d’entre eux lui avait montré trop d’attention, il aurait réagi de façon violente, verbalement et même physiquement, de façon à décourager ces attentions. Mais aussi, et surtout, à montrer « qu’il n’était pas une tafiole ».

Et là, toutes tes certitudes avaient basculé en un instant. Visiblement, il s’était passé un truc entre ton pote et ce garçon. Mais s’il avait bien voulu partager le plaisir, ton pote refusait la tendresse.

Cette nuit-là, ton cœur en avait pris un gros coup. Car tu venais de réaliser que ton pote avait les mêmes envies que toi, des envies que tu n’avais pas su voir, malgré tout le temps passé ensemble. Ou bien, justement « à cause » de tout le temps passé ensemble, « à cause » de votre amitié, cette amitié qui avait empêché vos désirs similaires de se reconnaître et de se rencontrer.

Tu as pris cette découverte comme une claque en pleine figure, une claque qui t’a mis KO.

Et ça t’a fait un mal de chien.

Novembre 2000.

Le match vient de se terminer. Il faisait froid dehors, et la deuxième mi-temps s’est déroulée sous une pluie battante et sur un terrain bien gadouilleux. Ça a été dur, éprouvant. Pour gagner, il a vraiment fallu mouiller le maillot. Et même souiller le maillot. Les gars sont heureux de leur victoire, mais aussi de se retrouver dans les vestiaires, bien au chaud, entre potes, heureux de quitter leurs maillots boueux et de passer sous les douches.

C’est bon cette odeur de vestiaire, de potes. Même l’odeur de la gadoue a son charme, celui de l’effort commun, de la camaraderie.

Jéjé se déshabille très vite. Il est très à l’aise avec sa nudité. Te le regardes se diriger vers les douches de son pas assuré. Tu le trouves vraiment très beau.

Un épais brouillard chaud sature l’air et diffuse une intense odeur d’humidité chargée de fragrances de gel douche. Jéjé s’installe à la seule place vide, à côté de deux autres joueurs, Thomas et Thierry, eux aussi plutôt bien foutus. Mais tu te dis que Jéjé est le plus beau d’entre eux. Tu te dis que ton pote est vraiment le plus beau mec de l’équipe.

Jéjé ouvre le robinet et le jet d’eau chaude commence de tomber sur ses cheveux bruns. Sublime image.

Une douche vient de se libérer et tu te retrouves juste à côté de ton Jéjé en train de se savonner. Tu es troublé par cette proximité, par cette promiscuité. Tu ouvres le robinet. Tu essaies de te concentrer sur les bienfaits de l’eau chaude, tu prends garde de ne pas trop laisser traîner son regard de son côté.

Mais les épaules mouillées finissent par se frôler, et les regards par se croiser aussitôt. Ton pote te regarde, il semble fixer ton torse.

— Attend, il te lance, tout en enserrant ton biceps dans sa main.

— C’est pas vrai, ça ! ! ! tu l’entends pester.

Tu sais où il veut en venir. Et ça te fait marrer. Tu aimes beaucoup l’impressionner.

— Je me casse le cul à la muscu, deux fois plus que toi, et je n’aurais jamais des biceps comme les tiens, fait chier !

— Arrête un peu de te plaindre. T’es super bien foutu !

— Pas comme toi ! Je veux être plus baraqué !

— Mais pour quoi faire ? tu veux savoir.

— Les nanas aiment les gars bien foutus !

— Mais qu’est-ce que tu veux de plus ? Tu ne sais même plus où donner de la queue ! plaisante Thierry.

— Il a raison ! tu confirmes.

— C’est vrai, il admet.

— T’es mieux foutu que moi mais moi je me tape plus de gonzesses que toi, il te glisse, taquin.

— Tu n’es qu’un sale petit con ! tu lui lances en rigolant.

Et là, pour toute réponse, il te balance de l’eau à la figure, le regard empli de cette étincelle de chien foufou que tu adores. Tu adores quand ton pote est d’humeur joyeuse et joueuse comme à cet instant.

« Il veut jouer, alors on va jouer ! » tu te dis, ravi de ce petit moment de complicité qui se dessine.

Tu attrapes ton pote par les épaules, tu le plaques contre le mur pour l’empêcher de bouger. Il se démène, en vain. Jéjé fait plusieurs centimètres de plus que toi, mais tu parviens toujours à le maîtriser.

Tu ressens de bien agréables sensations dans ce corps à corps inattendu. Tu sens tous ses muscles se bander dans la tentative d’échapper à ta prise.

Mais très vite, tu dois quitter ce contact, avant que ton corps ne te trahisse. Tu sens que si tu ne désamorces pas ce corps à corps, tu vas bander.

Tu profites d’un sursaut de Jéjé pour relâcher un peu ta prise, lui permettant ainsi de se dégager, tout en lui laissant l’impression qu’il y est parvenu tout seul.

Jéjé se retourne, il rigole. L’eau ruisselle sur tout son corps, ses cheveux bruns retombent en bataille sur son front. Dans son regard se loge un petit air de fripouille. Oui, il est vraiment très beau.

Guillaume.

Automne 2020.

Si en voyant ton pote revenir aux filles dès le retour sur Toulouse tu avais pu te convaincre que l’épisode du mobil home de Gruissan n’était qu’un « accident » dans sa vie sexuelle, un autre épisode était venu te troubler un peu plus tard dans l’année. C’était l’épisode « Guillaume ».

Pendant une période, ton pote avait amené son cousin dans votre bande de potes le week-end. Tu avais ainsi eu l’occasion de remarquer les regards insistants que ce garçon posait sur lui.

Il était arrivé que Guillaume reste dormir à l’appart rue de la Colombette. Et au fond de toi, tu avais toujours pensé qu’il se passait des choses entre eux.

C’était pendant l’épisode « Guillaume », que tu avais commencé à ressentir un sentiment inattendu poindre dans ton esprit. Un sentiment qui s’était d’abord emparé de toi de façon sournoise, avant de t’éclater à la figure d’une façon extrêmement violente en une autre occasion, vers la fin de l’année.

Ce sentiment, c’était de la jalousie.

Patxi

Hiver 2000

C’était un week-end de décembre, lors du dernier match avant la pause du tournoi à l’occasion des fêtes de fin d’année. Votre équipe avait remporté ce match de justesse face à une Section Paloise plutôt aguerrie.

Parmi les joueurs de cette équipe, il y avait ce Patxi, un demi de mêlée originaire de Saint-Jean de Luz. Un demi de mêlée, tout comme toi, Thibault.

Patxi n’était pas très grand, mais bien musclé. Il était brun, les cheveux assez courts et frisés, plutôt typé basque, avec des petits yeux très noirs, très vifs, un regard très brun, profond, pénétrant. Il portait un petit piercing à l’arcade sourcilière qui relevait un peu plus encore sa mignonnerie naturelle.

Son sourire était lumineux, tour à tour doux, fripon, charmant et charmeur. Son rire était sonore, franc, spontanée, généreux, contagieux, avec un je-ne-sais-quoi d’enfantin ci et là. Patxi était le genre de garçon qui dégage une joie de vivre exubérante. Un garçon vraiment craquant.

Malgré la défaite, l’équipe paloise était restée sur Toulouse pour faire la fête.

Au cours de la soirée, numéro de maillot partagé oblige, Patxi avait très vite et très bien sympathisé avec toi, Thibault. Mais aussi avec ton pote Jé. Et vous aviez fini par vous retrouver, tous les trois, tard dans la nuit, à boire une dernière bière dans l’appart de la rue de la Colombette.

C’est à ce moment-là que tu avais ressenti ce sentiment étrange monter en toi, te serrer la gorge et te vriller les tripes. C’était lorsque tu avais été frappé par la nette impression que ce Patxi s’employait à flatter l’égo de ton Jé, qu’il tentait de l’impressionner, presque de le « draguer ». Et que ton pote, porté par la progression de son degré d’alcoolémie, semblait de plus en plus sensible aux flatteries du petit basque.

Plus les minutes passaient, plus tu avais l’impression que ton pote était conquis par les mots et par la présence de ce tchatcheur intarissable. Mais, il fallait bien l’admettre, intéressant, sympathique, fûté et plutôt drôle. Plus ça allait, plus tu avais l’impression que ton pote buvait les mots de ce Patxi, qu’il posait sur lui ce regard attentif et admiratif que tu ne lui avais pas souvent vu. Ce regard qu’il avait assez souvent posé sur toi par le passé.

Comment ça te manquait, ce regard, depuis quelques temps !

Cette nuit-là, tu sentais qu’entre ton pote et ce gars, en l’espace d’à peine quelques heures, s’était créé une complicité aussi forte, voire plus forte encore, que celle que vous aviez eu tous les deux depuis tant d’années. Une complicité dans laquelle tu avais l’impression de déceler une forme de sensualité, et de désir réciproque.

— Là, j’ai du respect, mec ! avait lâché Jé, lorsque le petit basco-béarnais avait sorti un joint de sa poche. Sa voix était chargée de cette allégresse, fille d’ivresse. Son regard dégageait ce sourire un peu « hébété » que tu avais toujours trouvé adorables et touchants chez ton pote lorsqu’il était saoul ou stone.

Après avoir partagé le joint à tous les trois, Jé avait proposé à Patxi de rester dormir chez lui.

— On se voit demain, tu avais alors pris congé, la mort dans l’âme, en regardant ton Jé et ce Patxi en train de se dessaper.

Tu étais rentré chez toi le cœur lourd, très lourd.

Tu n’as jamais su s’il s’était passé quelque chose entre ton pote et le demi de mêlée palois. Pourtant, plus encore que l’épisode « Gruissan », plus encore que l’épisode « Guillaume », l’épisode « Patxi » t’avait fait prendre conscience de l’existence et de l’importance de ta jalousie.

Car, contrairement à l’inconnu de Gruissan ou à Guillaume, que tu ne connaissais pas, Patxi était un gars « comme vous », un rugbyman, un mec dont on n’aurait jamais pu imaginer être de ceux « qui s’intéressent à d’autres gars ». Et pourtant, Patxi, « un gars comme vous », semblait vraiment s’intéresser à ton pote.

Trois « épisodes » de la vie de ton pote, trois claques qui t’avaient mis KO. Et pourtant, tu avais continué à faire comme si tu ne savais rien. Comme si l’amitié te suffisait. C’était de plus de plus dur pour toi.

Et puis, il y avait eu le plan à quatre.

Mars 2001.

Ce soir-là, ton pote et toi étiez de sortie au KL, avec d’autres coéquipiers. Il y avait beaucoup de monde au KL, beaucoup de vos potes du rugby. Tout se passait normalement, jusqu’à ce que ton pote lance cette idée saugrenue.

— On parie combien que je vais lever deux nanas canon ?

— Je ne parie pas, tu avais tenté de calmer ses ardeurs.

— Si j’y arrive, on va les baiser chez moi, ok ?

Tu avais hésité, car l’idée de ce plan avait fait surgir en toi un certain malaise. Et si tu avais fini par accepter, c’était plus pour faire plaisir à ton pote, pour ne pas casser son plan (il t’avait dit avoir envie d’essayer un plan à quatre) que parce que tu en avais réellement envie.

Tu l’avais regardé emballer une nana, puis une autre. Tu t’étais dit que ton pote était un véritable magicien. Son pouvoir magique, c’était cette aura sexuelle qui attirait à lui toutes les nanas, comme des trombones vers un aimant. Et ce soir, il s’était surpassé.

Tu t’étais ainsi retrouvé sur le lit dans l’appart de rue de la Colombette, à côté de ton pote, en train de coucher avec une nana dont tu avais du mal à te rappeler le prénom.

Et alors que tu t’étais senti un tantinet mal à l’aise dans cette situation pour toi inédite, tu avais été fasciné par l’aisance de ton pote. Ce dernier avait l’air de prendre son pied le plus naturellement du monde, sans se laisser impressionner ni par ce plan, nouveau pour lui aussi, ni par les regards des deux nanas, ni par ta présence.

Sur le lit étroit, dans le feu de l’action, tu avais senti son l’épaule frôler la tienne. Vos têtes s’étaient retournées au même moment, les regards s’étaient rencontrés.

Au fil des coups de reins, vos épaules s’étaient frôlées encore, encore et encore, ainsi vos hanches, vos cuisses, vos genoux. Et vos regards. Tous ces contacts répétés avaient grandement participé à l’excitation du moment. Tu avais fini par trouver tes marques et par prendre du plaisir. Peu à peu, la cadence de tes va-et-vient s’était réglée sur celle de ton pote, dessinant avec elle comme un seul et unique mouvement.

Et lorsque l’orgasme de Jéjé arrive, le tien avait suivi de très près. Vous aviez joui au même moment, ensemble.

Et c’est encore ensemble, avec des gestes presque identiques que, peu après, vous vous étiez retirés de vos partenaires d’un soir.

Sans un mot, Jéjé avait ôté sa capote, passé un boxer. Il s’était dirigé vers le frigo, il en avait sorti des bières, les avait décapsulés, il en avait gardé une, il t’avait passé les autres. Tu t’étais chargé de les faire suivre aux nanas.

Sur la terrasse, dans la pénombre, il avait roulé une cigarette magique, l’avait allumée, il en avait tiré une longue taffe et te l’avait passée.

En récupérant le tarpé d’entre les doigts de ton pote, tu n’avais pas pu t’empêcher de laisser traîner ton regard sur le tissu fin et élastique cachant ses attributs, ainsi que sur son torse ondulant sous la vague d’une respiration encore accélérée par l’effort sexuel.

Ça faisait déjà un moment que tu trouvais que ton pote Jéjé était vraiment un beau garçon. Mais à cet instant précis, après l’orgasme, tu avais réalisé à quel point il l’était.

Les filles vous avaient rejoints en terrasse. Dans le silence de la nuit de printemps, le tarpé était passé de main en main, de lèvre en lèvre, jusqu’à ce que les corps et les regards manifestent de nouvelles envies.

Tu te souviens très précisément de la suite de cette soirée.

Les reins appuyés à la rambarde de la terrasse, Jéjé avait posé son joint et sa bière sur le rebord. Il avait porté ses mains sur les hanches, il avait laissé glisser les pouces entre sa peau et le boxer. Le tissu léger était descendu lentement, sa queue presque raide était apparue dans la pénombre.

Un instant plus tard, la nana que tu venais de sauter était à genoux en train de le sucer dans la fraîcheur de la nuit. L’autre en avait fait de même avec toi, Thibault. Jéjé avait repris son joint, il avait tiré dessus. Puis, il te l’avait passé.

Quelques minutes plus tard, vous étiez en train de limer les deux nanas, par derrière. C’est ton pote qui a eu l’idée. Et toi, Thibault, tu n’avais fait que suivre le mouvement, une fois de plus.

Et tu avais assez vite réalisé que cette position possédait un atout considérable. Elle vous permettait, à ton pote et à toi, de vous affranchir du contact visuel avec vos partenaires, et de pouvoir vous sentir plus libres dans vos regards, dans le contact de vos corps.

Ainsi, dès les premiers coups de reins, vos épaules s’étaient frôlées avec plus de facilité, tout comme les hanches, les cuisses, les genoux. Vos regards se cherchaient, se croisaient fébrilement. Très vite, vos va-et-vient s’étaient à nouveau réglés sur un même rythme. Le plaisir montait, la jouissance approchait.

Mais ce qui avait fait précipiter la venue de ton orgasme, avait été autre chose. Sa main qui s’était posée sur son cou, ses doigts qui s’étaient enfoncés doucement dans tes cheveux, son regard qui avait cherché le tien avec insistance. Et lorsque, dans ce regard, tu avais vu ton pote perdre pied, tu n’avais pas pu résister à la tentation de poser à ton tour ta main sur son cou.

Les regards s’étaient comme aspirés l’un l’autre, vos excitations s’étaient embrasées. Une nouvelle fois, vous aviez joui au même moment. Et ton orgasme avait été parmi les plus puissants que tu n’avais jamais connu.

Mais la descente avait été rude. Dès l’orgasme passé, les regards qui se cherchaient un instant avant étaient devenus fuyants, les corps qui se frôlaient cherchaient désormais à s’éloigner.

Une fois de plus, vous vous étiez retiré rapidement, vous vous étiez débarrassés des capotes, vous aviez enfilé vos boxers. Les nanas avaient disparu dans la salle de bain, Jéjé était parti en terrasse. Après un instant d’hésitation, tu l’y avais rejoint. Tu avais repris ta bière entamée, tu t’étais installé non loin de lui, dans la pénombre.

Ton pote t’avait proposé de rester dormir. Tu sentais en effet la fatigue te gagner et l’idée te plaisait bien.

Quelques minutes plus tard, les deux nanas parties, tu t’étais retrouvé au lit avec ton pote, dans le noir. Jéjé s’était tourné sur un flanc, vers l’extérieur du lit.

— Bonne nuit, il t’avait lancé.

— Bonne nuit, tu lui avais répondu, un brin déçu qu’il veuille dormir de suite.

Tu aurais bien partagé une bière de plus, et quelques échanges. Tu aurais voulu parler de ce qui s’était passé avec ces deux nanas. Tu aurais voulu savoir si ça avait été aussi bon pour lui que pour toi. Et si ta présence avait été aussi importante, que la sienne l’avait été pour toi, si elle avait participé à son plaisir de la même façon que la sienne avait participé au tien.

Epuisés par l’heure tardive et par deux baises coup sur coup, Jéjé avait vite trouvé le sommeil.

Ça n’avait pas été ton cas. Car tu avais repensé à ce plan, et au plaisir que tu avais pris.

Tu avais d’abord été surpris, désarçonne par la proposition de ton pote. Mais, très vite, tu y avais vu une occasion inespérée de partager un moment de promiscuité sensuelle avec lui, la présence des nanas n’étant au fond que le prétexte pour y parvenir.

C’était comme un test pour toi, un test pour comprendre et appréhender tes sentiments à son égard.

Tu avais aimé cette nuit avec les deux nanas. Et ce que tu avais aimé par-dessus tout, c’était cette super complicité avec ton pote. Une complicité faite de regards, des contacts de peau trop nombreux pour être toujours involontaires, ressemblant parfois à des caresses qui ne s’avouent pas.

Tu sais que si tu as autant pris ton pied, c’est aussi grâce au fait que ton pote était là, à côté de toi, en train de prendre son pied en même temps que toi.

Et le truc qui t’avait le plus secoué, c’était bien ce geste inattendu de ton Jéjé, cette caresse dans ton cou qui avait précipité ton orgasme.

Tu avais fini par t’endormir, mais ton repos n’avait pas été de longue durée. Tu t’étais réveillé brusquement. L’esprit embrumé, tu t’étais rappelé de la soirée au KL, des deux nanas, du retour avec ton pote, de la double baise coup sur coup.

Mais une seconde plus tard, la panique s’était soudain emparée de ton esprit, lorsque tu avais réalisé que tes bras, ton torse, tes jambes enlaçaient le corps chaud de ton pote, que l’agréable et douce chaleur que tu ressentais dans son ventre venait du contact avec son dos, et que la sensation de douceur que tu ressentais sur ta joue venait du contact avec ses cheveux.

Tu t’étais demandé comment cela avait pu arriver, comment tu t’étais débrouillé, dans le sommeil, pour enlacer ton pote, pour glisser ses bras autour de son torse.

Dans ta tête, c’était l’état d’alerte maximal. Tu ne voulais surtout pas que ton pote se rende compte de ce qui se passait. Il fallait que tu te dégages, vite. Mais la manœuvre que cela impliquait était des plus délicates. Il fallait retirer tes bras et t’éloigner de ton pote sans le réveiller.

La manœuvre s’était révélée encore plus compliquée que prévu. Tu avais beau essayer de tirer pour ramener ton bras gauche, ça ne venait pas. Tu t’y étais pris autrement. Tu avais exercé une légère pression sur l’épaule de ton pote pour le faire pivoter légèrement sur le flanc.

Un instant plus tard, Jéjé s’était retourné complètement, s’était calé à plat ventre sur le matelas, le visage toujours tourné vers le bord du lit. Tu t’étais senti soulagé. Le changement de position de ton pote t’avait offert l’occasion inespérée de retirer ton bras tout en douceur.

Tu avais écouté la respiration de ton pote. Tu avais été rassuré de constater qu’il dormait toujours. Ce n’est qu’à ce moment-là que tu avais enfin repris ton souffle.

Et pourtant, au-delà de la panique que ce petit « accident » avait provoqué en toi, tu avais été obligé de t’avouer que tu avais adoré ressentir la chaleur du corps de ton pote contre le tien.

Aussi, tu t’étais demandé si ton pote s’était rendu compte de ce qui s’était passé cette nuit-là.

Tout comme ça t’arrive, parfois, depuis des années, de te demander s’il arrive à ton Jéjé de repenser à cette fameuse nuit sous la tente, en camping, l’été de vos 13 ans.

Oui, ce plan avec les nanas avait été comme un test pour toi. Et le résultat était sans appel.

Après cette nuit, tu n’avais qu’une envie, celle de remettre ça. Oui, « remettre ça », mais seul à seul avec ton pote.

Et puis, il y avait eu le garçon au sac à dos.

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Commentaires

Une réponse à “LT0101 Le livre de Thibault – Deux potes”

  1. Avatar de Yann
    Yann

    C’est une bonne idée d’avoir publié ces épisodes du point de vue de Thibault.
    Même si, comme lecteur assidu de J&N, j’en connaissais tous les développements, je trouve que le regard de Thibault sur cet amour impossible qu’il a vu naître et grandir en étant successivement camarade, pote, ami de Jérém est particulièrement émouvant.
    Yann

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