LT0119 Le livre de Thibault – Dans un vignoble gersois.
Le dimanche 20 octobre 2023.
C’est après les vendanges, lorsque le vignoble s’embrase de nuances allant du jaune au marron, en passant par le rouge, qu’un grand repas est organisé dans le domaine des Tommasi pour l’anniversaire de Jérém. Il y a quelques jours, l’ancien rugbyman a fêté ses 42 ans.
Ce lieu, chargé d’histoire familiale, recèle beaucoup de souvenirs d’enfance avec ton meilleur pote.
Autour de la grande table sont réunis tous les Êtres qui comptent pour Jérém, la famille et les amis. Il y a bien évidemment le maître des lieux, Papa Tommasi. Lui aussi semble très bien vieillir avec le temps. Il y a Maxime, qui porte sa quarantaine tout aussi fabuleusement bien que son frère. Sa copine est là aussi, ainsi que son fils Cédric, un adorable garçon de six ans souriant et vraiment facile à vivre. Maxime est un véritable papa poule, et lorsqu’il regarde son fils, ses yeux débordent de tendresse et d’amour.
Un autre invité à qui la quarantaine va comme un gant, c’est le sublime Thibault. Il est accompagné par son compagnon Arthur. Mais également par son fils Lucas. Lucas vient de fêter ses 22 ans. Et je réalise qu’il est déja plus âgé que ne l’était son papa lorsqu’il l’a conçu. Comment le temps passe !
Lucas est beau comme un petit Dieu. Il y a dans son regard une telle fraîcheur, une telle candeur, une innocence mais dans le bon sens du terme, un éclat si magique, si enviable. Sa simple présence dégage la plus sublime forme d’insolence, l’exhibition presque indécente de la beauté et de la jeunesse. Et ce qui le rend encore plus touchant, c’est le fait qu’à l’instar de son papa lorsqu’il avait son âge, il ne se doute même pas à quel point il est insoutenablement beau.
[Tu as dû surmonter des épreuves, des déceptions, des frustrations, Thibault. Lorsque tu regardes ton pote Jéjé, tu te souviens toujours de tes sentiments que tu as éprouvés pour lui.
Mais aujourd’hui, tu es en paix avec toi-même. Tu es là où tu as envie d’être. Tu es avec l’homme qui te rend heureux. Et tu regardes grandir ton fils, fier de l’homme qu’il est en train de devenir.
Dans l’année de tes 42 ans, tu es serein et confiant. Tu te sens bien].
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
16 octobre 2006.
[Lorsque tu as appris pour l’agression homophobe de tes potes Jéjé et Nico à Paris, tu as été sidéré. Car tu as eu la peur de ta vie. Cette agression, tu l’as sentie au fond de toi, presque dans ta chair. Tu n’en as pas dormi pendant un bon moment. Tu as eu peur pour leurs blessures, tu as eu peur pour les séquelles physiques et psychologiques qu’un tel épisode pourrait entraîner.
Heureusement, côté physique, tes deux potes ne s’en étaient pas trop mal tirés. Mais au niveau mental, c’était autre chose. En particulier pour Jéjé. Parce que cet accident avait fini par rendre publique cette partie de sa vie qu’il s’était donné tant de mal à garder cachée depuis toujours, et encore plus depuis qu’il était devenu joueur professionnel.
Tu savais ce que cela entraînerait. Les regards, les jugements, les mots, le mépris, l’exclusion du monde sportif. Ton pote n’y avait pas écopé. Lors de son retour sur le terrain après l’agression, il s’était battu en plein match. L’un des joueurs de l’équipe adverse l’avait traité de pédé. Cette agression avait outé ton pote, lui rendant impossible la suite de sa carrière sportive. A 25 ans, au sommet de sa puissance, de ses capacités, et de son envie, avec un potentiel des plus prometteurs il n’avait plus d’avenir dans le rugby hexagonal. Il se sentait rejeté, injustement puni parce qu’une bande de con l’avait cogné. Et ça avait fini par affecter sa vie toute entière.
Malgré sa volonté de bien faire et d’être à ses côtés pour le soutenir, Nico avait fini par en faire les frais.
Ton pote avait eu besoin de partir à l’autre bout de la planète pendant un temps pour se retrouver.
Et lorsqu’il était enfin revenu, il envisageait d’arrêter sa carrière sportive. Tu savais que cela l’aurait détruit. Mais il s’était vu proposer un poste dans une équipe anglaise. Et il était reparti du jour au lendemain, laissant Nico seul et inconsolable. Tu sais à quel point Nico est important pour ton pote. Et tu as du mal à comprendre pourquoi il a eu besoin de s’éloigner de lui, comme de tout le reste.
Chez les Wasps, il avait fait la connaissance d’un joueur, Rodney. Et ton pote avait semblé retrouver un nouvel équilibre loin des regards du rugby français, des torchons de la presse à sensation, dans cette nouvelle équipe, et dans les bras de Rodney, un garçon un peu plus âgé que lui, un garçon qui avait l’air de le rassurer comme tu avais su le faire dans le passé].
Avril 2008.
Après ma nouvelle séparation d’avec Jérém, je ressens le besoin de rappeler Thibault. Je pense que s’il y a une personne sur terre capable d’alléger un peu mon fardeau, c’est bien le jeune pompier.
Arthur étant d’astreinte au SDIS, il n’a pas pu être avec à nous. Au fond de moi, je suis content que ce soit le cas. Non pas que je n’aime pas Arthur, bien au contraire, ce garçon est bien sous tous rapports. Mais je sais que je serai davantage à l’aise juste avec Thibault, car nous avons des souvenirs communs, et une connaissance commune qui nous unit. Je sais que je pourrai me laisser aller avec Thibault, parler de ma tristesse, pleurer.
Nous nous faisons un resto au centre-ville. Je n’ai pas vraiment envie de parler tout de suite de mes malheurs. Je sais que ça va venir à un moment ou à un autre, mais j’essaie de gagner du temps. Pour ce faire, je m’emploie à prendre d’abord des nouvelles du jeune pompier.
J’apprends ainsi qu’il est en passe de devenir chef de centre, avec à la clé plusieurs dizaines d’hommes sous sa responsabilité. J’apprends qu’il est toujours heureux avec Arthur, et ça me met du baume au cœur. Thibault mérite tellement ce bonheur ! J’apprends également qu’il est heureux lorsqu’il commence sa journée « en amenant le petit Lucas à l’école ». Si c’est pas mignon, ça ! Thibault est un véritable papa-poule.
Mais le jeune papa ne tarde pas à me questionner.
Comment tu vas, Nico ?
J’ai connu mieux.
Ça peut pas s’arranger entre vous deux, vraiment pas ?
Non, je ne crois pas…
J’avoue que je ne comprends pas ce qui s’est passé dans sa tête… vous aviez l’air tellement heureux tous les deux !
Et moi donc !
Au fait, tu as eu de ses nouvelles depuis qu’il est parti en Angleterre ? j’enchaîne pour ne pas pleurer
Pas beaucoup. Je ne l’ai eu au téléphone que pour les vœux de la bonne année.
Ainsi, Thibault y a eu droit. Il n’y a donc que moi qui n’y a pas eu droit. Il veut vraiment couper les ponts.
Il t’a raconté, pour lui et Rodney ?
Un peu, mais il ne s’est pas éternisé sur le sujet. Je crois qu’il avait peur que je lui fasse la morale…
Il avait l’air heureux ?
Nico…
Dis-moi, s’il te plaît.
Je ne sais pas, il avait l’air d’aller bien.
Il a emménagé avec lui, et il a l’air d’avoir trouvé l’équilibre qui lui manquait avec moi.
Ne dis pas ça, Nico, Jérém a été très heureux avec toi.
Il ne l’était pas assez, visiblement !
Ce qui s’est passé à Paris il y a deux ans ça l’a vraiment secoué. Et ça a tout bousculé dans sa tête.
Et il m’a oublié !
Ce n’est pas vrai. Quand on s’est eus au téléphone, il m’a demandé de tes nouvelles.
Je sais que le fait qu’il demande de mes nouvelles ne signifie rien de plus, qu’il n’envisage pas pour autant de revenir auprès de moi. Mais ça me touche d’entendre ça.
La soirée continue chez lui, autour d’un verre. Thibault me parle de son taf qui le passionne et j’aime le sentir si épanoui, si heureux. Le bonheur ajoute encore des degrés à sa sexytude déjà affolante. Sous l’effet de l’alcool et de cette proximité nocturne, je repense à nos plans à trois avec Jérém, celui dans l’appart de la rue de la Colombette, mais aussi à ceux dans l’appart à Paris, à l’occasion des finales de championnat. Et je repense aussi à cette nuit que nous avons passée tous les deux à Bordeaux. Qu’est-ce que ça avait été bien cette nuit de plaisir et de tendresse !
Et qu’est-ce que j’aurais envie de réitérer l’expérience me sentir tour à tour saisi, dominé, enveloppé par ses gros bras ! Ce soir, j’ai envie de lui, furieusement envie de lui.
A la faveur d’un blanc dans la conversation, nos regards se croisent. Thibault semble déceler le désir qui suinte de mon regard, et il a l’air tout autant troublé que moi. C’est sans doute ce trouble, ou bien l’empathie envers ma tristesse, qui le pousse à me prendre dans ses bras puissants et à me serrer très fort contre lui. J’accepte ce gage d’amitié, de bienveillance et de tendresse. Et même si je crève d’envie de l’embrasser, de le revoir à poil et de faire l’amour avec lui, je me retiens ce soir encore. Je respecte son bonheur avec Arthur et je ne veux pas qu’il se passe quelque chose entre nous qu’on pourrait regretter par la suite. Je tiens trop à notre amitié.
Début juin 2008.
[Chez les Wasps, ton pote Jéjé s’en sort vraiment pas mal. Il a fait une belle saison. Il semble avoir retrouvé sa forme, sa motivation, et ses stats sont très bonnes.
Mais début juin, tu tombes sur un article indiquant que Jérémie Tommasi et Rodney Williams auraient signé pour au moins une saison en Afrique du Sud. Il est prévu qu’ils intègrent l’équipe des Sharks pour y disputer début 2009 le Super 14, une compétition de rugby internationale entre équipes sud-africaines, néo-zélandaises et anglaises.
Partir en couple en quête du graal du rugby mondial, partir comme deux jeunes premiers que rien ne semble pouvoir arrêter, la route devant eux toute tracée vers la gloire sportive. Ça doit être tellement beau. Ils doivent être tellement heureux, les deux amoureux !
Je lis également que si le retour de Jérém dans le XV de France avait un temps été envisagé au vu de ses exploits anglais, désormais, suite à ce transfert en Afrique du Sud, cela n’est à nouveau plus d’actualité. Jérém s’éloigne un peu plus de toi, de plusieurs milliers de bornes.
Adieu, Jéjé, mon pote d’enfance, et mon premier amour. Tu as mal. Et tu as mal pour Nico].
Juillet 2009.
[Sa saison en Afrique du Sud est un véritable succès. Ton pote semble heureux avec Rodney. Tout semble lui sourire à nouveau. Jusqu’à ce que le « scandale » n’éclate.
Toute la presse en parle. Rodney Williams vient d’annoncer son retrait définitif du rugby professionnel à la veille du coup d’envoi de la Currie Cup, le tournoi de rugby d’Afrique du Sud auquel il devait participer au sein des Sharks avec Jéjé.
Mais la nouvelle de son retrait soudain et « inexplicable » de la scène rugbystique est totalement éclipsée par une autre info bien plus croustillante pour la presse à scandale. Rodney Williams vient de faire son coming out dans un talk-show sur une grande chaîne de télévision anglaise. Et, de ce fait, devant la Terre entière.
La photo par laquelle le « scandale » avait éclaté était parue dans un canard anglais à gros tirage. L’image, prise par téléobjectif et par ailleurs assez floue, montrait deux silhouettes masculines au bord d’une piscine, dans une attitude qui semblait de grande proximité. On y voyait Jérém de dos, je n’ai pas eu de mal à reconnaître son dos musclé et ses tatouages, et Rodney devant lui, à moitié caché. Les deux garçons semblaient en train de s’embrasser, ou en passe de s’embrasser. Une hypothèse promue par un titre écrit en gros caractères dégoulinants d’encre rouge et suggérant le « scandale » :
BOYS HAVE FUN !
Les noms de Rodney et de Jérém y étaient cités, avec une allusion malicieuse à la nature de leurs véritables relations.
A l’intérieur du canard, d’autres photos, moins explicites mais non moins sensuelles, affichant leur demi-nudités, les torses musclés sortant des maillots de bain, des sourires, une complicité visible.
L’« article », ou plutôt l’ensemble de ragots accompagnant les photos, parlaient d’amitié particulière, avec des allusions vaseuses.
Pendant plusieurs jours, il n’y avait eu aucune réaction de la part des intéressés. Puis, l’interview de Rodney, tombée par surprise, avait fait l’effet d’une bombe. Et elle avait été relayée par la plupart des médias.
Tu n’as pas eu de difficultés à retrouver ses propos sur Internet.
Ça démarre très fort, à partir du titre de l’article : « Il est temps que la honte change de camp ».
Rodney Williams, comment avez-vous vécu la publication de ce fameux article ?
Mal, très mal. Ma vie privée ne concerne que moi. J’étais dans un espace privé, j’ai tout fait pour rester discret.
Mais vous êtes un personnage public, et votre vie intéresse le public…
Je suis un rugbyman professionnel. Enfin, je l’étais, jusqu’à il y a peu de temps . Mes performances sportives concernaient le public. Je le répète, ma vie privée ne concerne que moi. Je n’ai jamais cherché à m’afficher, il aurait tout simplement fallu respecter cela.
Comment ces « révélations » sur votre vie privée ont été accueillies autour de vous ?
Cette histoire m’a attiré de la haine, de l’hostilité, mais aussi des soutiens. Ma famille me soutient. Les gens intelligents me soutiennent. Quant aux autres, je ne porte aucun intérêt à leur sujet.
Pourquoi quitter le rugby alors que vous deviez participer à la Currie Cup ?
Je sais qu’après cette histoire j’aurais trop de pression à gérer, et je ne pourrais pas être au top de ma forme. J’arrête avant le tournoi de trop. Et puis, j’ai passé l’âge de me faire emmerder.
Si je comprends bien, votre retrait du rugby professionnel s’est fait sous la pression médiatique…
Vous comprenez très bien. Dans l’absolu, c’est triste que cela se passe de cette façon. Mais cette histoire aura au moins permis d’attirer l’attention sur quelque chose d’important.
Vous pensez à quoi ?
Je pense au fait que l’orientation sexuelle n’a aucune influence sur ce qui définit l’individu par ailleurs.
Expliquez-vous.
Il me semble pouvoir dire, au vu de mon parcours dans le rugby, que j’ai eu une belle carrière, que j’ai de très bonnes statistiques. Je pense que j’ai été un bon joueur, sinon on ne m’aurait pas fait jouer dans l’équipe nationale, non ? J’ai joué dans le top du rugby anglais et international, et ce, malgré la pression que j’ai ressentie sur moi pendant toute ma carrière.
De quelle pression voulez-vous parler ?
La pression de l’homophobie dans le milieu sportif. J’ai dû mentir sur mon orientation depuis mon adolescence, pendant plus de vingt ans, pour avoir la paix et mener à bien ma carrière. Je sais qu’en venant ici ce soir je vais en prendre plein la gueule, mais je m’en fiche. Il est grand temps que les choses bougent, et il n’y a qu’en libérant la parole qu’elles peuvent bouger. J’affirme que tout sportif doué doit pouvoir trouver sa place dans le rugby, indépendamment de son orientation sexuelle.
J’affirme que ce qui compte est le résultat sportif d’un joueur, et que ce qui se passe dans son pieu ne concerne que lui et la personne qui accepte de le partager avec lui.
Comment M. Tommasi a vécu toute cette histoire ?
Mon coming-out ne concerne que moi. Je viens vous parler pour dire que oui, je suis gay, gay et fier de l’être, et pour demander qu’on arrête de me poursuivre avec des téléobjectifs et avec des micros. Je viens demander qu’on fiche la paix à ma famille. Je ne suis pas une bête de foire, je suis comme tout un chacun, j’ai besoin d’aimer et d’être aimé. Et le fait que je préfère aimer un garçon plutôt qu’une fille ce n’est qu’un détail. Fin de l’histoire, il n’y a rien d’autre à rajouter.
Vous êtes le premier rugbyman connu à faire son coming-out. Mais vous n’êtes certainement pas le seul homosexuel dans le rugby professionnel.
Non, je ne suis pas le seul. Il y a d’autres joueurs homosexuels dans le rugby et dans les autres sports, et ils se cachent pour avoir la paix et ça les mine. Vous n’avez pas idée de l’énergie que ça demande de faire semblant d’être celui qu’on n’est pas à longueur de temps, de mentir aux gens qu’on aime, qu’on admire, qu’on respecte. C’est un immense déchirement que de devoir choisir entre sa carrière sportive et son bonheur personnel.
Et maintenant il est grand temps que tout cela change, il est temps que la honte change de camp.
Il est temps que la honte change de camp. C’est le mot de la fin, un très joli mot de la fin. Par le biais de cette interview, Rodney fait un joli doigt d’honneur à ceux qui l’ont harcelé, et il le fait avec panache.
Mais pour un Rodney qui ose, combien de sportifs souffrent de devoir « choisir entre sa carrière sportive et son bonheur personnel » ?
Tu sais que ton pote Jéjé a toujours souffert de ce choix sans cesse posé dans sa vie de rugbyman. Et les mots clairs et percutants de Rodney t’ont ému, car ils font écho au déchirement qui a été le tien avant de choisir de quitter le rugby et d’être toi-même.
Dans les quelques photos illustrant l’article, l’ex-rugbyman est très élégant, très en valeur, très beau, l’air épanoui et bien dans ses baskets. L’air rassurant. Tu comprends très bien que ton pote puisse être fou de ce garçon.
Lorsque Jérém a rencontré Rodney, il a probablement cru pouvoir enfin concilier rugby et vie privée. Mais la réalité a fini par le rattraper.
Mille questions se bousculent dans ma tête. Où est donc passé Jérém ? Comment va-t-il ? Comment vit-il toute cette histoire ? Est-ce qu’il va poursuivre sa carrière dans le rugby ou pas ? Est-ce qu’il est revenu en France ou va revenir en France ? Est-ce qu’il est toujours avec Rodney ? Est-ce qu’il est entouré, soutenu ?
Tu aimerais tellement être à côté de lui en ce moment difficile. Tu ne peux rester les bras croisés sans rien faire, sans rien savoir.
Oh Nico… il est reparti en Australie, m’annonce Maxime, d’entrée, en décrochant. Il n’est même pas passé nous voir, il est parti juste après la publication de l’article.
Et le rugby ?
Cette fois-ci, je crois que c’est fini pour de bon.
Comment il va ?
Je pense qu’il a besoin d’être loin de tout ce bordel et de se changer les idées.
Seul ?
Je ne sais pas…
Tu sais pas si Rodney est allé le rejoindre ?
Je crois que c’est prévu… il finit par admettre.
On peut le joindre ?
Non, pas vraiment.
Il a un portable ?
Pas pour l’instant. Je crois qu’il n’en veut pas. Il rappellera quand il sera prêt.
Passe-lui le bonjour de ma part, je pleure, si tu en as l’occasion, et dis-lui que je pense très fort à lui. Et qu’il peut m’appeler, s’il en a envie, n’importe quand, n’importe quand, vraiment…
La nouvelle du retrait définitif du rugby de Jérém et de sa nouvelle fuite en Australie te plonge dans un état de détresse et de frustration indicibles.
La vie de ton meilleur pote a été traversée par un ouragan qui a tout emporté sur son passage et tu ne peux rien faire pour l’aider. Tu n’as pas de mal à imaginer ce qu’il ressent, à quel point il doit se sentir humilié après ce nouvel outing si médiatique, face à cette photo à la une d’un tabloïd à la vue de tous.
Il doit être dans une colère noire, du fait que tout ce bordel l’oblige à renoncer à sa carrière au rugby. Il doit en vouloir à la Terre entière.
Tu sais ce que le rugby représente pour lui, et tu imagines sans mal sa souffrance, son déchirement, le sentiment d’injustice et d’immense gâchis qu’il doit ressentir au fond de lui. Tu es toi aussi profondément en colère. Pour un scoop, pour une photo tapageuse à la une, on n’hésite pas à gâcher la vie de quelqu’un. C’est insupportable.
Tu espères que Rodney soit à ses côtés pour le soutenir et l’aider à surmonter cette épreuve. Au vu de l’interview que tu viens de lire, tu te dis que Rodney a l’air d’être un garçon mentalement très solide, et c’est tout ce dont Jérém a besoin en ce moment. Tu te dis qu’il saura s’occuper de lui, peut-être mieux que tu le pourrais dans une telle circonstance.
Tu te demandes également comment il a vécu le fait que Rodney fasse son coming-out…
Tu es super inquiet. Tu espères vraiment que Rodney ne l’a pas laissé tomber.
Pendant quelques jours, ton esprit est traversé par l’idée d’acheter un billet d’avion et partir à sa recherche. Tu es prêt à traverser la moitié de la planète pour aller voir comment il va.
Mais comment faire, alors que tu ne sais pas du tout dans quel coin de cette immense île-continent le chercher ?
Puis les jours passent, et tu finis par te dire que s’il est reparti là-bas, c’est qu’il sait qu’il y sera bien. Il y a déjà passé plusieurs mois après l’agression de Paris, et il a dû penser qu’il y serait bien à nouveau. A 16 heures d’avion de ses emmerdes, il pourra redevenir un garçon anonyme, loin des ragots et de la pression médiatique. C’est sans doute ce qu’il souhaite désormais comme nouvelle vie.
Je te souhaite d’être heureux, mon Jéjé !
Paris, début mai 2023.
[Jéjé revient d’Australie, après son exile à la suite de la publication des photos avec Rodney.
Pendant toutes ces années passées à l’autre bout de la planère, il t’a beaucoup manqué.
Ton pote te parle d’un projet qui lui tient à cœur et te demande si tu veux t’associer à lui pour le porter].
« Notre invité du jour a 41 ans, annonce l’animatrice télé, il est originaire de la région toulousaine et il a été l’un des rugbymen les plus prometteurs de sa génération. Dans son palmarès, un bouclier de Brennus soulevé avec l’un des plus gros clubs de Top14, le Stade Français, ainsi qu’un Tournoi des Six Nations gagné en Equipe de France. Il a également connu une carrière internationale en Angleterre, puis en Afrique du Sud, et il a été l’un des rares joueurs natifs de l’hémisphère nord à participer au tournoi du « Super 14 », qui est devenu depuis « Super Rugby », une compétition disputée entre équipes d’Afrique du Sud, de Nouvelle Zélande et d’Australie. Autrement dit, le Saint des Saints du rugby mondial.
Ce soir, il est accompagné par Thibault Garcia et Ulysse Klein, tous deux également anciens rugbymen de premier plan.
Nous accueillons ce soir l’ancien ailier international Jérémie Tommasi ».
« Il y a 15 ans, tout allait bien pour vous, enchaîne l’animatrice. Votre carrière était bien lancée et rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Et pourtant, elle a été stoppée net lorsque vous n’aviez que 27 ans ».
« C’est exact ».
« Mais cet arrêt brutal n’a pas été causé par une blessure, comme c’est malheureusement souvent le cas pour les grands sportifs ».
« Non, en effet ».
« Elle a été stoppée à cause d’une photo ».
« Eh oui, malheureusement… ».
« Alors, racontez-nous ce qu’il y avait de si terrible, de si scandaleux, de si répréhensible sur ce cliché pour que ce soit suffisant pour arrêter une carrière comme la vôtre ».
« Sur cette photo, il y avait deux garçons, moi et Rodney Williams ».
La fameuse couverture du tabloïd à l’origine du « scandale » apparaît à l’écran, avec la mention : « Boys have fun ».
« Rodney Williams est un ancien international de rugby que vous avez rencontré lorsque vous jouiez à Londres » précise l’animatrice.
« C’est exact ».
« A cette époque Rodney Williams était votre petit ami… ».
La caméra fait un plan serré sur Jérém. Je vois l’hésitation traverser son regard, je reconnais sa pudeur, sa réticence à s’exposer de la sorte. Puis, je le vois prendre une inspiration profonde. Une étincelle nouvelle jaillit de son regard. Il saisit son courage à deux mains, et il lance, la voix plus sonore, l’attitude mieux affirmée :
« Oui, c’est ça ».
« Avant de parler de cette photo et du bouleversement qu’elle a provoqué dans votre vie, je voudrais que vous me racontiez votre parcours. Vous avez commencé le rugby en tant qu’amateur lorsque vous étiez enfant… ».
« C’est ça. C’est Thibault qui m’a fait découvrir le ballon ovale » explique Jérém en indiquant son pote d’enfance.
« Et c’est au cours de votre adolescence que vous avez découvert votre attirance pour les garçons. Comment avez-vous vécu cela ? ».
« Plutôt pas bien. Je ne pouvais pas accepter d’être comme ça. Je ne voulais pas être gay, comme si j’avais pu choisir. Je suis sorti avec des nanas pour éloigner les soupçons sur moi. Mais avant tout pour me convaincre que je n’étais pas gay ».
« Et pourtant vous aviez déjà eu des expériences avec des garçons, vous les avez eues assez jeune… ».
« Oui, mais j’espérais que ce ne serait qu’une passade, et que j’arriverais à maîtriser ce « truc ».
« Mais vous n’y êtes pas arrivé… ».
« Non, je n’y suis pas arrivé. Au contraire, j’ai peu à peu pris conscience de qui j’étais. A vingt ans, j’ai eu une relation avec un garçon, une très belle relation qui a duré près de 10 ans. Et cette relation m’a fait mûrir, m’a aidé à me respecter, à ne plus avoir honte de moi. »
« Mais ça n’a pas été toujours une relation de tout repos, en particulier à cause du rugby ».
« Quand j’ai commencé ma carrière dans le rugby professionnel, je venais tout juste d’apprendre à m’accepter tel que j’étais. A partir de ce moment, j’ai dû cacher cette partie de moi, j’ai dû mettre ma vie personnelle en arrière-plan. Et ma relation en a pâti ».
« Mais elle a quand-même perduré. Et puis il s’est passé quelque chose qui a à nouveau bouleversé votre vie ».
« Oui. C’était le soir de mes 25 ans, je sortais d’une petite fête qu’Ulysse ici présent m’avait préparée chez lui. J’étais en compagnie de mon copain de l’époque. On avait un peu bu, on a certainement été imprudents. Des types nous ont vus nous nous embrasser, et ils nous ont tabassés ».
Hasard ou pas, la caméra le montre désormais de profil. Un angle de vue qui fait ressortir cette légère cassure sur son nez, ce changement de son profil qui n’est pas la conséquence de coups reçus pendant ses années rugby, mais le stigmate indélébile de la violence aveugle dont nous avons été victimes il y a 17 ans.
« Mon nez s’en souvient encore, plaisante Jérém en voyant le retour d’image dans un écran. A l’époque, on m’avait proposé de corriger ça. Mais je n’ai jamais voulu. Je voulais me souvenir de ce qui était arrivé pour ne plus jamais baisser la garde ».
« De cette agression, vous en avez remporté des blessures qui vous ont éloigné du terrain de jeu… ».
« J’ai passé des mois à récupérer. Physiquement, ça allait. Mais mentalement, ce n’était pas du tout ça. J’ai quand même voulu rejouer, car le terrain était l’endroit où je me sentais le mieux au monde. J’espérais que ça m’aiderait à tourner la page ».
« Et comment avez-vous été accueilli ? ».
« Je ne m’attendais pas un soutien inconditionnel après ce que j’avais subi, j’attendais juste qu’on me laisse une chance de reprendre ma place d’ailier ».
« Est-ce qu’on vous l’a donnée, cette chance ? ».
« Pas vraiment. Cette agression m’avait « outé ». Dès le premier match, dès le premier accrochage avec un joueur, je me suis fait traiter de pédé ».
« C’est la double peine », s’indigne un chroniqueur. « Vous aviez été la victime d’une agression homophobe, et au lieu de vous montrer du soutien, on vous a montré du mépris ».
« Je ne pouvais plus jouer dans mon équipe, ni dans le Top14 » continue Jérém. « Mais je ne pouvais pas concevoir de renoncer au rugby pour autant. Pas à 25 ans. Alors, quand j’ai eu cette occasion de partir jouer en Angleterre, je l’ai saisie. C’est à ce moment que j’ai rencontré Rodney ».
« Je ne sais pas trop. Je n’y suis pas resté assez longtemps pour le vérifier. Pendant la saison que j’ai faite là-bas, j’ai bénéficié de l’« intouchabilité » de Rodney. Rodney était un joueur très respecté, et personne n’aurait osé s’attaquer à lui. Ce qui m’offrait une sorte de protection, si on peut dire. Mais des propos homophobes, j’en ai entendu là-bas aussi ».
« Puis tout s’est enchaîné » raconte l’animatrice. « La saison en Afrique du Sud, et les fameuses photos. Expliquez-nous ce que vous avez ressenti lorsque vous avez vu pour la première fois ces images dans la presse ».
« Quand je les ai découvertes, je me suis senti mis à nu devant la Terre entière. Mes proches savaient que j’étais homosexuel. Mais je n’étais pas prêt à partager publiquement cet aspect de ma vie. Je savais que si cela s’ébruitait, ça me porterait préjudice ».
« Vous vous ne trompiez pas… ».
« Non. Après la publication de ces images, tout le monde m’a lâché, il continue. Les sponsors, l’entraîneur, l’équipe ».
« Vous n’avez donc eu aucun soutien après le scandale ? Si on peut appeler ça comme ça… ».
« Aucun. Je savais que ma carrière était fichue. Je savais qu’aucun club important ne voudrait plus de moi. Et puis, de toute façon, j’étais tellement mal que j’avais perdu le mental nécessaire pour être un bon joueur. Je savais que je ne reviendrais jamais au top ».
« Alors vous êtes parti, loin, très loin, pour oublier ce que vous aviez subi… ».
« Je suis parti en Australie pour tenter de tout oublier jusqu’à qui j’étais ! ».
« Quels sentiments vous habitaient à cet instant précis ? ».
Jérém a l’air très ému. Son regard pétille plus qu’il ne devrait. Je sens qu’il retient ses larmes de justesse. Visiblement, la violence qu’il a subie il y a quatorze ans, la violence de ces photos et de leurs conséquences sur sa vie, sont toujours là, enfouies quelque part en lui. Mais pas trop loin de la surface quand-même.
« La honte et la colère, il finit par répondre après un instant de flottement. J’étais brisé. Cet instant a été pour moi le début d’une longue descente aux enfers. Il m’a fallu des années pour rebondir ».
« Suite à la parution des photos, Rodney Williams avait fait son coming out à la télévision anglaise… ».
« C’était courageux de sa part. Mais moi je n’étais pas prêt pour ça ».
« Vous estimez que l’homophobie vous a privé d’une partie de votre carrière au rugby ? ».
« C’est un fait. Mais elle ne m’a pas privé que de ça. Elle m’a privé aussi de ma vie, de mon bonheur et de… de … de… ».
Jérém est visiblement très ému. Quant à moi, je pleure devant ma télé.
« Et de quelqu’un qui a beaucoup compté pour moi » il finit par lâcher.
« Vous venez aujourd’hui dénoncer l’homophobie dans le monde du rugby ? ».
« Je viens dénoncer l’homophobie dans le rugby et, plus en général dans le monde du sport et, encore plus en général, dans nos sociétés. Il est inadmissible de recevoir autant de haine et de discrimination pour le simple fait d’aimer un garçon. Tant que « pédé » sera considéré comme une insulte humiliante, il n’y aura pas le compte. Tant qu’il faudra faire son coming out, le compte n’y sera pas non plus. Quand on y pense. Un coming out est une façon de se « dénoncer », de se justifier devant la Terre entière, comme si on suppliait les autres de nous accepter et de nous pardonner de quelque chose. Quand on est gay, on n’a pas besoin de ça. On a juste besoin de respect, comme tout un chacun ».
Jérém est de plus en plus à l’aise, il est habité, sincère, il parle avec ses tripes, il me fait vibrer.
« Je ne suis pas certain qu’on arrivera un jour à supprimer définitivement l’homophobie » il continue, et toute autre forme de discrimination. Car, depuis tout jeune, c’est facile de se faire mousser en crachant sur l’autre, surtout quand il est « différent ». D’abord, on ne réalise pas à quel point ça peut faire du mal. Et après ça devient banal, c’est une façon de se faire accepter par ses potes, et par montrer qu’on est des petits malins. La souffrance de l’autre, on ne la voit pas, on ne la voit plus, ou on fait semblant de ne pas la voir. On ne se rend même plus compte d’à quel point ces comportements sont injustes et dévastateurs ».
« La souffrance de l’autre, on ne la voit pas, on ne la voit plus, ou on fait semblant de ne pas la voir » répète l’animatrice. Avant d’enchaîner :
« Quel souvenir gardez-vous de votre carrière ? ».
« Le souvenir d’un rêve qui s’est révélé être une illusion, et qui au final s’est transformé en une immense désillusion ».
« Vous pouvez être un peu plus précis ? ».
« A 20 ans, j’avais de l’argent, j’avais le succès, j’étais connu, reconnu, apprécié. Paris et ses boîtes m’ouvraient grandes leurs portes, j’aurais pu avoir toutes les nanas et tous les mecs que je voulais. A cette époque, j’avais l’impression d’avoir le monde à mes pieds. J’étais comme un enfant laissé seul dans un magasin de jouets. J’ai le souvenir de cette époque comme d’une cuite qui aurait duré pendant des années, une cuite qui m’est montée à la tête et qui m’a peu à peu déconnecté du réel ».
« Mais tout cela a un prix » lance l’animatrice.
« Oui, un prix élevé. Tout marche bien tant que vous êtes au top. Tant que vous assurez, tout vous sourit. Mais gare aux moments de faiblesse ! Une blessure, quelques mois d’absence du terrain de jeu, vous avez à nouveau tout à prouver ».
« Si tant en est qu’on vous en donne la chance, bien entendu » fait l’animatrice.
« Oui, car cette chance, on ne vous la donnera qu’à la condition d’être, ou de faire semblant d’être, celui que les autres attendent de vous. Si vous ne rentrez pas dans les clous, cette chance on vous la refuse. Quand on est sportif de haut niveau et homosexuel, le choix vous est très clairement posé entre la carrière et la vie personnelle. Et quand les deux s’entrechoquent, tout s’arrête d’un coup. Du jour au lendemain, on n’est plus rien. On est seul au monde ».
« Et on finit par se demander ce qui est vraiment important dans la vie. On se demande si cette gloire, si cette carrière en valait vraiment le prix qu’on a dû y mettre. On se demande après quoi on court en réalité. L’argent, la gloire, le besoin d’être acclamé par les supporters, de rendre sa famille et ses potes fiers de soi ? On se demande à quoi bon repousser toujours les limites, supporter les coups, obliger le corps et le mental à encaisser encore et encore, chaque jour… ».
« Au fil des années, je repensais de plus en plus au plaisir de jouer qui m’avait fait aimer le rugby pendant mon adolescence. Et je me disais que dans le rugby professionnel je ne retrouvais rien de ce plaisir simple partagé entre potes. La pression sur les joueurs pour la performance à tout prix est si forte que ça en devient un fardeau et ça crée une ambiance propice aux blessures physiques et mentales ».
« Que diriez-vous aujourd’hui à des jeunes sportifs gays ? Ou à des jeunes sportifs tout court… ».
« Je n’ai pas la prétention de pouvoir donner des conseils à qui que ce soit, j’ai fait toutes les erreurs possibles dans ma vie ».
« Alors, quelle est l’erreur que vous leur conseilleriez d’éviter à tout prix ? ».
Et là, après un long instant d’hésitation, Jérém finit par lâcher :
« Ma plus grosse erreur a été celle de choisir la réussite professionnelle plutôt que la réussite personnelle ».
« J’ai réussi dans la vie, mais est-ce que j’ai réussi ma vie ? » s’interrogeait un jour Dalida dans une interview, se souvient un chroniqueur.
« C’est ça » admet Jérém. « Et ça, on finit par le regretter, tôt ou tard ».
Les applaudissements du public lui permettent de boire quelques gorgées d’eau et de souffler pendant quelques instants.
« Vous êtes revenu en France pour reprendre le vignoble familial aux côtés de votre frère et de votre père, enchaîne l’animatrice ».
« C’est exact ».
« Mais ce n’est pas le seul projet qui occupe vos journées… ».
« Non, en effet. Avec mes deux amis, Thibault et Ulysse, nous venons de créer une association qui a pour but de soutenir les jeunes gays, et de lutter contre l’homophobie ».
« Thibault Garcia est votre ami d’enfance » explique l’animatrice. « Ulysse Klein a été votre coéquipier et votre mentor pendant les plus belles années de votre carrière dans le rugby ».
La parole leur est donnée ensuite. Thibault parle de la façon dont il a vécu son attirance pour les garçons lorsqu’il évoluait dans le rugby professionnel, de sa décision de quitter ce dernier pour ne pas avoir à se cacher, pour ne pas avoir à choisir entre sa vie sportive et sa vie personnelle. Mais aussi, pour s’engager à plein temps auprès des Sapeurs-Pompiers. Il évoque également son compagnon, ainsi que son enfant de vingt ans. Il explique également le sens de son engagement dans l’asso.
« Parce qu’on se sent parfois seuls, et qu’on a besoin de se sentir soutenus si on veut pouvoir donner le meilleur de soi » il conclut son intervention.
« On ne doit pas avoir à choisir entre sa vie professionnelle et sa vie tout court », abonde Ulysse. « Un bon joueur est un bon joueur, un bon gars est un bon gars, quelle que ce soit son orientation sexuelle ».
« Un bon gars est un bon gars, quelle que ce soit son attirance » lui fait écho l’animatrice. « C’est le plus beau message qu’on puisse faire passer. C’est le sens de votre engagement, il me semble ».
Les trois garçons acquiescent en cœur.
« Jérémie, vous avez dit tout à l’heure que vous étiez parti en Australie pour vous retrouver. Est-ce que vous y êtes parvenu ? ».
« Je crois que oui. Il a fallu du temps, mais je crois que oui ». Avant d’ajouter : « En fait, je crois que j’ai commencé à être bien… » et là, Jérém s’arrête, visiblement ému aux larmes. Thibault lui pose une main sur l’épaule. Le public applaudit. Jérém s’essuie une larme.
« Je crois que j’ai commencé à être bien quand j’ai cessé d’avoir honte de qui je suis ».
LT0117 Le livre de Thibault – Aller là où tu te sens bien.
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Juin 2006.
Il faudra attendre la demi-finale du Top14 pour que les deux Stades foulent à nouveau la même pelouse.
Le 3 juin, au Stade Gerland à Lyon, le blockbuster rugbystique affiche un nouveau choc de Titans.
Le match est serré, et chaque point est gagné en mouillant et en salissant le maillot bien comme il faut.
Malgré un final de saison en dents de scie, le Stade Français a quand même retrouvé un niveau de jeu qui lui avait cruellement fait défaut lors de la précédente rencontre avec les Toulousains. Mais cela ne suffit pas. Au bout de deux mi-temps intenses, les Parisiens sont obligés de s’incliner une nouvelle fois face aux Toulousains sur un score de 9 à 12.
La claque est dure à avaler. Pour la première fois depuis cinq ans, le Stade Français n’est pas en finale du Top 14. Jérém est dégoûté au plus haut point. Il est vrai que c’est rageant d’avoir joué toute une saison avant de perdre en demi-finale.
Jérém est tellement abattu qu’il a même envisagé de ne pas aller assister à la finale. S’il y va, c’est pour soutenir Thib.
J’espère que c’est le Stade Toulousain qui va gagner, Thibault le mérite vraiment.
Le 10 juin, au Stade de France, ce sont en effet le Stade Toulousain et Biarritz qui s’affrontent pour remporter le bouclier de Brennus.
Depuis la triste nouvelle du décès du pauvre Mr Charles, à chaque fois que je lis « Biarritz », que j’entends parler de Biarritz ou que je me souviens de Biarritz, j’ai une pensée pour le sympathique concierge qui un soir m’a confié quelques-uns des moments les plus marquants de son existence. Je me dis que je suis probablement l’une des rares personnes à qui il les a confiés. Je n’ai vu Mr Charles qu’une fois, et pourtant cet homme m’a marqué. Et quand on arrive à marquer les esprits de cette façon, avec cette sincérité, cette générosité, quand la vie s’éteint, quelque chose survit à l’enveloppe corporelle.
Après deux mi-temps intenses, la finale du Top14 se termine avec un score de 13 à 40 en faveur des Biarrots. Les Rouge et Blanc mettent une belle branlée aux Rouge et Noir, comme ils l’avaient fait un an plus tôt aux Rose et Bleu.
Les Toulousains n’ont pas du tout démérité, car ils ont tout donné. Mais les Basques ont été intraitables.
Après le coup de sifflet de l’arbitre, les Toulousains remontent lentement le terrain, dépités. Je cherche Thibault et je l’aperçois sur le bord de la pelouse. Il est défait, et il est en larmes. En fait, ses coéquipiers viennent le saluer, tentent de l’apaiser. Mais en vain. Le jeune demi de mêlée est débordé par sa déception, sa frustration, sa tristesse.
Je n’ai jamais vu Thibault dans cet état auparavant. S’il est rageant de perdre en demi-finale, ça doit être carrément insupportable de perdre en finale. Tous les efforts d’une année pour en arriver là. Pour rater le but de si près. Visiblement, cette victoire, ce Brennus représentait vraiment beaucoup à ses yeux.
Cependant, je suis surpris par l’ampleur de son désarroi, lui par qui j’ai toujours entendu dire que la beauté du sport est dans l’effort personnel et collectif, dans le respect, la passion, et que le résultat n’est qu’accessoire.
C’était au B-Machine, il y a deux mois, ils nous expliquent au sujet de leur rencontre. On se connaissait, mais on ne savait pas…
Je suis un peu étonné que Thibault ait su franchir la porte d’une boîte du milieu. Et pourtant, il l’a fait. Malgré sa notoriété. Ce garçon ne cessera jamais de me fasciner.
Arthur a 34 ans, lui aussi est pompier professionnel avec le grade de Lieutenant. Il est lui aussi papa, d’une fillette de dix ans. Arthur est châtain, assez costaud, souriant, et vraiment charmant. C’est un garçon simple, avenant, rassurant. Quand on l’entend parler, tout paraît simple, limpide. Il a l’air d’être un garçon généreux, bienveillant, droit dans ses bottes, bien dans ses pompes. Il a l’air d’être un modèle… Thibault. Pas étonnant qu’ils se soient trouvés ces deux-là.
La soirée est agréable. Et pourtant, j’ai l’impression que Thibault est toujours très affecté par la défaite de son équipe. Ceci dit, c’est tout frais, Jérém ne s’est pas encore fait une raison de l’élimination en demi-finale, même une semaine plus tard !
Le sujet du match du jour finit par revenir sur la table. Jérém essaie de ragaillardir son Thib en lui promettant une magnifique saison à venir, de belles victoires en perspective. Thibault le laisse parler pendant quelques minutes, l’air absent. Avant de faire une révélation fracassante.
Il n’y aura pas d’autre saison, il assène calmement.
Qu’est-ce que tu racontes ? s’insurge Jérém.
Je ne jouerai pas l’année prochaine.
Mais tu débloques ou quoi ?
Je n’ai pas renouvelé mon contrat.
Mais qu’est-ce qui te prend ? Perdre des finales fait partie du rugby, mais…
Laisse-moi t’expliquer, Jé. Cette finale n’y est pour rien dans ma décision. Elle était prise depuis des mois. Si ça me désole autant d’avoir perdu aujourd’hui, c’est parce que j’aurai voulu raccrocher sur un exploit. Mais c’était plus pour l’équipe que pour moi.
Là, je reconnais le merveilleux Thibault.
Nous avons perdu mais nous n’avons pas démérité, je crois que nous avons fait un beau match, et que les prochains gars qui vont jouer au Stade n’auront pas à avoir honte de nous.
Mais Thib ! tente de protester Jérém.
Attends, Jé, laisse-moi finir. J’ai fait cinq saisons au Stade, je me suis bien amusé, vraiment, il continue. Mais j’estime qu’il est temps pour moi de raccrocher les crampons et de consacrer ma vie à ce qui me tient vraiment à cœur.
Plus que le rugby ?
Avant d’être joueur, mon cœur est pompier.
Tu vas bosser à temps plein au SDIS ?
Ils ont besoin de bras et de bonnes volontés.
Je ne peux m’empêcher de me demander si l’adorable Arthur y est pour quelque chose dans la décision de Thibault. Mais je suis persuadé que si le jeune Lieutenant a pu jouer un rôle, tout ceci est son souhait avant tout.
L’été dernier je suis parti à New York avec des collègues du SDIS et nous sommes allés visiter une caserne de pompiers à Manhattan. J’ai rencontré des mecs qui sont intervenus le 11 septembre. J’ai été impressionné par ces gars, par leur détermination. Nous parlions très mal l’anglais et ils ne parlaient pas du tout français. Mais notre credo est le même, et on se comprenait parfaitement.
Ils nous ont montré leur caserne, leurs camions et leur matos. Je n’ai jamais vu autant de moyens matériels et humains réunis dans une seule caserne, c’était fascinant !
Pendant qu’il nous raconte sa rencontre avec les pompiers newyorkais, Thibault a le regard pétillant. Le ton de sa voix est enjoué et admiratif, le verbe passionné. Lorsqu’il nous parle de la grande échelle de dingue dont ils disposent, on dirait un gosse à Noël. Lorsqu’il nous raconte l’échange d’écussons entre les deux casernes et les longues poignées de main au moment de repartir, il est ému aux larmes.
Visiblement, tout son être tend vers ce monde, celui de l’assistance, de la protection, du don de soi. Je sens que le jeune papa a besoin de donner un sens à sa vie, et que ce sens il ne le trouvera qu’en étant investi à 100% dans une noble cause. Il n’y a aucun rêve de gloire dans cela, juste une bienveillance désintéressée, une immense grandeur d’esprit.
Arthur tente d’apaiser son émotion en posant une main sur son cou et en le caressant doucement. Ce petit mec a l’air bien amoureux de notre adorable Thib. Et ça fait trop plaisir à voir.
Rencontrer ces gars m’a motivé à m’investir encore plus chez les pompiers. La vie est trop courte, et je veux utiliser la mienne pour aider ceux qui en ont besoin.
Jouer au rugby c’est aussi une façon d’aider les gens. Tu leur offres du rêve, et les gens ont besoin de rêver pour supporter leur quotidien, intervient Arthur.
Peut-être. Mais quand tu à six ans je me suis retrouvé encastré dans une voiture avec mon père, le meilleur rugbyman du monde n’aurait pu nous sortir de là. Alors que les pompiers, eux, ont su le faire. Tu comprends ? enchaîne Thibault, en s’adressant tout particulièrement à Jérém.
Je comprends oui. Je comprends surtout que tu es un gars en or. Je comprends qu’il n’y en a pas deux comme toi !
J’ai aussi besoin de passer plus de temps avec Lucas. Avec le rugby, je ne suis jamais là le week-end. Il a déjà quatre ans et j’ai l’impression que je ne le vois jamais !
Tu renonces à une carrière fabuleuse au rugby, à des années de salaires déments, à l’affection des supporters… tu renonces à tout ça pour aller sauver des vies. Chapeau, mon pote !
Je ne renonce à rien du tout. Je vais faire ce qui me rend heureux. Il faut faire ce qui nous rend heureux. Si tu te sens bien dans un maillot, tu dois porter un maillot. Mais moi je sais que je serai plus heureux avec mon uniforme et mon casque.
Voilà comment le jeune papa m’a ému aux larmes ce soir.
Bonne chance à toi, Thib, fait Jérém, très ému, au moment où le beau petit couple de pompiers prend congé de nous. Et, surtout, fais attention à toi. Il serait tellement dommage qu’il t’arrive quelque chose.
Il y a tant de choses, tant d’admiration, d’amitié, d’amour dans ces simples mots. Je sais que Thibault ressent chacune des nuances de l’affection que Jérém a voulu exprimer, et qu’il les apprécie à leur juste valeur.
Merci Jé, merci beaucoup, fait le jeune papa, en enserrant son pote très fort dans ses bras.
Dimanche 17 septembre 2006.
Aujourd’hui, au Stadium de foot de Toulouse, les Bleu et Rose prennent enfin leur revanche sur les Rouge et Noir sur un score de 16 à 12.
Tu ne regrettes pas ta décision ? je m’entends demander à Thibault, après le coup de sifflet final.
Non, je ne regrette pas. J’adore ce que je fais au SDIS, et je ne changerais pour rien au monde.
Même de jouer avec Jé ?
Ah, si. J’aimerais jouer à nouveau avec Jé. Mais pas comme ça, pas en Top14. J’aimerais jouer comme on jouait quand on était gamins. J’aimerais jouer pour m’amuser, pas parce qu’il faut gagner à tout prix. Moi, ce rugby-là, ce rugby qui sent l’argent, qui casse les mecs, ça ne m’intéresse pas.
31 décembre 2006.
Cette année encore, nous passons le réveillon du 31 à Campan. Cette année, Thibault est là aussi, accompagné de son adorable Arthur.
Mais c’est pas possible, vous allez tous nous les piquer ! fait Satine, dépitée, en contemplant le joli couple de pompiers.
Les Cavaliers ont la délicatesse de croire, ou de faire semblant de croire, ce qu’ont raconté les journaux au sujet de l’agression de Jérém. De ne pas poser trop de questions sur ce qui s’est passé en cette horrible nuit parisienne. Et de ne pas faire de commentaires sur le petit changement de profil de Jérém.
L’ambiance est celle des soirées de fête, une folle ambiance faite de vannes potaches, de rires sonores, d’amitié. Mais même la bonne humeur et la bienveillance des cavaliers n’ont pas raison de la morosité de Jérém. Comme lors du réveillon de Noël, Jérém est taciturne, absent, et il ne se mélange pas à la fête. Il passe quasiment plus de temps à côté de la grande cheminée à griller des cigarettes qu’assis à table.
Il ne va pas bien, hein ? me questionne discrètement Charlène lorsque Jérém part pisser dehors.
Non, il ne va pas bien, j’admets, touché et attristé.
C’est violent ce qu’il a vécu. Il voit quelqu’un ?
Il ne veut pas. J’ai essayé de le faire changer d’avis, mais il n’y a rien à faire. Il est têtu comme une mule.
On dirait que quelque chose s’est cassé en lui, l’élan de sa jeunesse, son insouciance, sa joie de vivre, avance le sage Jean-Paul.
J’en ai les larmes aux yeux. Parce qu’en une seule phrase, JP a mis le doigt exactement là où le bât blesse.
De retour de sa pause pipi, Jérém est questionné par Martine au sujet de ses entraînements. Je l’entends lui mentir, lui dire que ça fait trois semaines qu’il a repris.
La nuit s’étire comme d’habitude sur les notes de la guitare de Daniel et sur le chœur à trop de voix toutes les unes plus fausses que les autres qui tentent de l’accompagner.
Samedi 27 janvier 2007.
C’est une fois de plus au Stade de France que se joue le choc des Titans, Stade Français contre Stade Toulousain. Hélas, les deux équipes sont privées de deux de leurs meilleurs joueurs. Jérém n’est toujours pas prêt pour revenir sur le terrain. Et Thibault a mis un terme à sa carrière.
Mais l’un et l’autre ne peuvent se priver de se rendre dans les tribunes pour assister au match. Et moi non plus. Je fais la route depuis Toulouse avec Thibault et Arthur. Mon impression au sujet de ce dernier se confirme pendant ce voyage de plusieurs heures. Le compagnon de Thibault est un sacré bonhomme, profondément gentil et attentionné. Et il est vraiment fou amoureux de l’ancien mécano. C’est tellement beau à voir ! Ils sont tellement beaux à voir !
Dans les tribunes, nous assistons à un match intense. Jérém et Thibault sont assis côte à côte et vivent le jeu à fond. C’est la première fois depuis l’agression que je vois Jérém aussi intéressé par quelque chose, aussi passionné. Et ça me fait tellement plaisir !
Le match se termine sur un score de 22 à 20 en faveur des Parisiens qui tiennent enfin une « revanche » face aux Toulousains après les déconvenues à répétition des derniers mois.
Il a suffi que je me tire, et c’est la débâcle ! se marre l’ancien demi de mêlée.
Il a suffi que je ne joue pas pour qu’ils gagnent, c’est tout aussi vexant ! fait Jérém.
Ne dis pas de bêtises, Jé !
Ça te fait pas quelque chose de voir tes coéquipiers jouer sans toi ?
Bien sûr que ça me fait quelque chose. Mais je ne regrette rien. Je suis vraiment bien dans ma nouvelle vie, comme un poisson dans l’eau.
Je suis heureux pour toi.
Merci, Jé. Continue de te battre, et tu vas vite retrouver tes potes sur le terrain.
J’espère…
Entendre Jérém « envisager » enfin un retour sur le terrain emplit mon cœur de joie.
Après le match, nous allons tous les quatre dîner en ville. Un peu plus tard dans la soirée, nous nous retrouvons tous à l’appart. Il est prévu que les deux beaux pompiers dorment dans la chambre d’amis cette nuit, avant de repartir demain pour la ville Rose. Je vais devoir repartir avec eux. Si j’étais encore étudiant, je pourrais sécher quelques cours et rester quelques jours. Mais désormais j’ai un travail, et mes obligations m’appellent. Que c’était beau d’être étudiant !
Je n’ai que cette nuit pour profiter de mon Jérém. Alors, je n’ai même pas envie de dormir. J’ai envie de profiter de sa présence, chaque instant.
La soirée s’étire tard dans la nuit, les discussions ponctuées de bières sont agréables. Les souvenirs communs des deux anciens coéquipiers font peu à peu surface dans la conversation. Le degré d’alcoolémie général augmente doucement.
A un moment, je vois le Lieutenant chercher les lèvres de l’ancien demi de mêlée et se lancer dans un baiser aussi doux que passionné. Un baiser qui dure, qui s’étire, et qui ne semble jamais devoir s’arrêter. Les bras enlacent, les mains caressent, cherchent le contact physique, insatiables.
Mais qu’est-ce qu’ils sont beaux ! Et comment je les envie ! J’aimerais tellement retrouver cette fougue avec Jérém. Je l’ai eue, et je l’ai perdue. Est-ce que je vais la retrouver, un jour ?
Lorsque ce long baiser prend fin, les deux pompiers ont l’air dans tous leurs états. Un instant plus tard, ils s’embrassent à nouveau. Lorsque les lèvres se séparent, les regards ne le peuvent toujours pas. Et le petit sourire qui illumine leurs visages donne la mesure du désir réciproque qui les consume. C’est beau, le désir, quand il est aussi brûlant, aussi manifeste.
Tous leurs mouvements sont harmonieux, fluides, animés par une complicité et une fébrilité qui crèvent les yeux. Ils ont envie l’un de l’autre, c’est flagrant.
Si vous avez envie, ne vous gênez pas, j’entends Jérém lancer.
On n’est pas des bêtes, on peut attendre, plaisante Arthur.
Vous ne devriez pas… insiste Jérém.
Arthur sourit, un peu décontenancé par la proposition de Jérém. Mais Thibault saisit son bel Arthur par l’avant-bras, l’attire contre lui et l’embrasse à son tour. Un baiser fougueux, très sensuel.
Un instant plus tard, les deux beaux pompiers disparaissent dans la chambre. Ils vont faire l’amour.
Leur bonheur me rend heureux. Thibault le mérite mille fois, et Arthur m’a l’air de le mériter tout autant.
LT0116 Le livre de Thibault – Une finale en costard et un nouveau départ.
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Juin 2003.
Depuis que sa récupération est enfin sur de bons rails, depuis que son attitude laisse deviner qu’il recommence à croire en la perspective de retrouver son niveau sportif d’avant, Jérémie s’intéresse à nouveau au rugby. Il regarde les matches du Stade à la télé, je les regarde avec lui. Il est heureux de voir son équipe gagner et se qualifier, mais il bout à l’intérieur de ne pas pouvoir apporter sa contribution à cette belle épopée sportive. Il regarde aussi les matches de l’autre Stade. Et il est tout aussi heureux de voir l’équipe de Thibault faire un très beau parcours et se qualifier également.
Cette saison, les deux Stades du Top 16 ne sont jamais dans la même poule, ni dans la phase de classement, ni dans celle de qualification. Ce qui fait que leurs chemins ne se croiseront que dans la grande finale du Top16.
Le match le plus attendu de la saison se déroule au Stade de France.
Putain, le Stade de France, en plus ! Le Stade de France ! s’emporte Jérém, l’air à la fois emballé, excité, impressionné et terriblement frustré.
Je sais qu’une telle finale, Stade Français contre Stade Toulousain, ça le fait rêver, ça le fait bander même. Car c’est une finale qui lui aurait enfin permis de jouer un match de championnat, le plus prestigieux de tous, qui plus est, face à son ami d’enfance, dans ce lieu démesuré. Alors, la perspective de ne pas pouvoir être présent sur le terrain, de rater ce grand moment sportif, lui plombe sacrément le moral.
Samedi 07 juin 2003, Stade de France.
Le match doit démarrer à 14 heures. Mais une bonne heure avant le coup de sifflet, l’immense enceinte commence à être bien remplie et à devenir bruyante, démonstrative, vivante, vibrante, impressionnante.
Jérém a été invité à suivre le match, et il a été installé sur le banc de touche pour être au plus près de l’action. Curieux paradoxe que ce placement qui le met au plus près de cette action, tout en lui rappelant sans cesse à quel point il en est loin.
Quant à moi, Ulysse a pu me trouver une place en Tribune Bas Ouest.
Quelques minutes avant le début du match, les écrans géants du stade affichent mon Jérém en gros plan. Qu’est-ce qu’il est beau en costume, chemise blanche et cravate ! Il est à la fois très élégant, mais aussi terriblement sexy dans son style particulier, un style qui consiste à porter la chemise ouverte de deux boutons en haut, la cravate lâche, une dégaine qui rappelle des ambiances relâchées de fin de soirée arrosée. Si je m’écoutais, j’irais le sucer sur le champ.
En même temps, les béquilles posées à ses côtés me font mal au cœur. Et la vulnérabilité qui se dégage de cette image, d’un joueur mis sur le banc de touche par une sale blessure, un joueur au moral cassé, le rend à mes yeux terriblement touchant. Si je m’écoutais, j’irais le prendre dans mes bras sur le champ.
Le commentateur parle de Jérémie et de son accident, « nous lui souhaitons de retrouver le chemin du terrain de jeu pour bientôt ».
Cet après-midi, la pelouse du Stade de France reçoit la fine fleur du rugby français. Deux Titans du championnat s’affrontent. Le choc est brutal. Le match est serré. Je n’ai que rarement vu Thibault jouer, mais je le trouve très tactique, fin stratège, il semble toujours avoir au moins deux coups d’avance sur tout le monde. Thibault est un facilitateur d’actions, on dirait que le jeu des Toulousains gravite autour de lui. Son jeu est à son image, adroit, futé et respectueux.
Je peux juste imaginer ce que Jérém ressent pendant ce match, lorsque les points sont marqués par son équipe ou par celle de Thibault. Il doit se sentir terriblement frustré. Vers la fin de la première mi-temps, la caméra refait un plan sur Jérém et sur ses béquilles. Jérém les tient désormais dans ses mains, comme s’il était à deux doigts de se lever et partir. Il a l’air dépité, dégoûté.
Le beau brun finit par lever le regard et il se voit sur les écrans. L’image qu’il voit de lui ne doit pas lui plaire. Avec un geste un brin agacé, il repose les béquilles à côté de lui.
Les actions se suivent, les points s’enchaînent. Les deux forces en présence sur le terrain sont toutes deux aussi remarquables. Mais il ne faut qu’un seul gagnant.
Au coup de sifflet final, le score affiché est de 32-18 en faveur du Stade Français. L’équipe de Jérém a gagné et la caméra fait un long plan sur Ulysse et sa belle crinière blonde, sur son visage en nage mais heureux, elle le montre en train d’échanger des accolades à répétition avec ses coéquipiers, mais aussi avec ses adversaires.
La caméra montre ensuite d’autres joueurs. Mais elle revient vite sur Ulysse. Et l’image qu’elle va montrer, me remue les tripes et m’arrache les larmes. Le beau blond au maillot bleu traversé par deux éclairs rouges a filé droit vers Jérém, et il est en train de le serrer très fort dans ses bras. Jérém est en larmes et son coéquipier lui caresse les cheveux, il pose des bisous sur son front. Un instant plus tard, un autre joueur, avec un maillot aux couleurs rouge et noir, s’incruste dans l’image. Thibault est là, et Ulysse lui cède sa place sur le champ. L’accolade entre les deux potes d’enfance est tout aussi émouvante, et elle dure longtemps, alors que le commentateur parle des deux champions toulousains, dont l’un très malchanceux, lui souhaitant une nouvelle fois un prompt rétablissement.
Je réalise que le stade est en train de scander « Tommasi ! Tommasi ! Tommasi ! ». Le stade ovationne mon beau brun et lui tire d’autres larmes. Non, Jérém n’a pas joué aujourd’hui. Mais il s’est quand même payé une sacrée démonstration d’affection, d’amitié, d’amour.
Quelques minutes plus tard, les joueurs parisiens soulèvent le bouclier de Brennus. Ulysse est tout proche de Jérém et le soutient lorsqu’il est obligé d’abandonner ses béquilles pour soulever le trophée que ses coéquipiers veulent à tout prix partager avec lui. L’image est belle, et terriblement émouvante.
Les joueurs de l’équipe gagnante quittent enfin le terrain. Jérém avance à son rythme, qui est celui de ses bras et de ses béquilles. Il est escorté par l’adorable Ulysse. Maxime et son père se dirigent vers lui. Maxime le prend dans ses bras en premier. Et son père, en fait de même dans la foulée.
La suite de cette journée si riche en émotions est un grand dîner dans un restaurant parisien. Autour de la table, en plus de Jérém, Papa et moi, Ulysse et Thibault qui ont pu s’échapper pendant une partie de la soirée aux programmes mondains de leurs équipes respectives, Maxime et son père, mais aussi Thierry et Thomas, qui ont eux aussi fait le déplacement pour la finale.
Jérém est comme ivre de toute cette avalanche d’affection qu’il a reçue en une seule journée.
La conversation tourne longuement autour de la finale. Thibault et Ulysse détaillent les actions, échangent leurs ressentis, ils les comparent aux impressions des quelques spectateurs présents à ce dîner. Non seulement les deux demi de mêlée affichent une belle complicité, mais aussi un humour des plus vifs et joyeux. Thibault ne semble en rien affecté par la défaite de son équipe. C’est un garçon intelligent, et il sait que le Stade toulousain n’a pas démérité aujourd’hui. C’est aussi un vrai sportif, qui sait que l’important dans le jeu, c’est le jeu, pas la victoire.
Jérém les écoute, mais je vois bien qu’il se tient en retrait. Je sais à quoi il pense, et je sais que malgré toute l’affection qu’on lui a témoignée, cette finale vécue en costard cravate demeure une plaie béante pour lui.
J’aurais tellement aimé être sur le terrain, cet après-midi ! il finit par lâcher.
On se retrouvera l’année prochaine, en finale, et on vous mettra une sacrée raclée, fait Thibault, en provoquant Jérém et Ulysse.
Le jour où vous allez jouer l’un contre l’autre, nous autres on ne va pas savoir pour quel stade courir ! plaisante Thierry.
N’importe quoi ! On est Toulousains, et le cœur d’un Toulousain ne peut battre que pour l’équipe de sa ville natale… il n’y a qu’un seul Stade, enfin !
C’est vrai, il n’y a qu’un Stade, celui de la capitale ! fanfaronne le beau blond. Et personne ne peut gagner contre le seul et l’unique !
T’as qu’à croire ! le mouche Thibault.
On a gagné cette année alors que Jérém a raté une bonne partie de la saison… alors, l’année prochaine, quand il sera de retour, je vous raconte pas les dégâts !
J’espère seulement pouvoir revenir !
Moi je ne l’espère pas, moi j’y compte. Je courais beaucoup moins quand tu étais sur le terrain ! lance Ulysse.
Moi aussi j’y compte, ajoute Thibault. C’est moins marrant de jouer en pensant que toi tu te fais chier en rééducation.
Il est près de minuit lorsque cette belle soirée prend fin, lorsque ce beau comité se sépare. Thibault et Ulysse sont appelés par leurs troisièmes mi-temps respectives. Mr Tommasi accuse le coup du voyage en voiture après un départ au petit matin depuis Toulouse. Maxime doit retrouver sa copine chez une amie à elle. Thierry et Thomas semblent quant à eux bien décidés à profiter de tout ce que peut leur apporter la nuit parisienne.
Jérém et moi rentrons à l’appart. Nous sommes en train de nous câliner lorsque la sonnette déchire le silence nocturne. Jérém referme sa braguette, il reprend ses béquilles et se dirige vers l’entrée.
Je n’avais pas envie de faire la fête avec l’équipe. J’avais envie de passer un peu plus de temps avec vous deux, nous explique l’adorable Thibault.
Jérém a l’air content que son pote soit là. Je suis content aussi, car je sais à quel point la présence de Thibault peut faire du bien à mon beau brun.
L’argent est partout, et il prend beaucoup trop de place, commente Thibault. Le besoin de gagner à tout prix fait perdre le plaisir simple du jeu, et provoque un jeu plus violent, plus dangereux. Il est important que les joueurs en prennent conscience, et que le respect de l’intégrité physique de tout le monde, y compris les adversaires, soit la priorité absolue.
Jérém a l’air vraiment touché par la présence et l’affection de son pote. Je suis soulagé qu’il ait bien pris ce qui s’est passé entre Thibault et moi en début d’année. Le beau pompier aussi avait été soulagé quand je lui avais dit que j’avais tout raconté à Jérém et qu’il ne s’en était pas offusqué.
Cette nuit, c’est Thibault qui prend les choses en main. C’est lui qui embrasse Jérém en premier, qui le caresse, le déshabille. C’est lui qui glisse sa main dans son boxer, qui le branle doucement.
Cette nuit, Jérém laisse Thibault venir en lui. C’est la première fois que je vois Jérém s’offrir à un autre gars que moi. C’est tellement beau de voir Jérém pénétré par la virilité de Thibault. C’est tellement beau de voir deux si beaux garçons se faire du bien, s’offrir mutuellement du plaisir !
Cette nuit, chacun de nous s’offre aux autres, chacun de nous possède l’autre à tour de rôle. Nous empruntons des chemins de plaisir encore jamais sillonnés, nous explorons de nouvelles voies de sensualité. Il n’y aucune réticence, aucune jalousie, aucune possessivité, juste l’envie d’être bien entre potes, une communion d’Etres qui s’aiment de la façon la plus pure et plus belle qui soit, celle qui consiste à être comblé en faisant du bien à l’autre.
Et lorsque je me retrouve allongé sur le lit, entre les deux mâles repus, assommés de plaisir, je sens qu’une immense tendresse perdure entre nous, une tendresse qui se manifeste avec des câlins, des caresses, des baisers, des petites conversations légères, une belle complicité, des confidences, des rires.
Samedi 15 mai 2004.
Le match se joue au Stade Ernest Wallon, le haut lieu du rugby toulousain. C’est un retour aux sources pour mon beau brun, un retour dans sa ville natale, comme un retour d’exil, dans le stade de l’équipe dont il rêvait de faire partie mais qui n’a pas voulu de lui.
Evidemment, j’ai fait le déplacement, je ne pouvais pour rien au monde rater un match où Jérém et Thibault s’affrontent. Je sais que Jérém tient à ma présence dans les gradins. D’ailleurs, il a réussi à m’obtenir un placement au bord du terrain juste à côté de l’entrée des équipes.
Ce samedi sur la pelouse du stade des Sept Deniers, c’est le choc des Titans. Deux équipes, probablement les plus fortes du Top16 s’affrontent, à un pas des demi-finales. Des joueurs, et parmi eux des fleurons du rugby français, vont se mesurer sans rien lâcher. Le choc est tel que le stade vibre, tremble, tangue à chaque action, à chaque passe. L’effervescence de l’assistance est palpable, les ovations des supporters font trembler les gradins.
C’est beau de voir les deux potes sur le terrain, eux qui ont longtemps joué dans la même équipe, les voir jouer l’un contre l’autre. J’ai l’impression qu’ils jouent merveilleusement bien.
Je sais que Jérém se met la pression comme jamais, je sais qu’il a envie de gagner comme jamais, qu’il a envie de prouver à ceux qui n’ont pas voulu de lui, et dans leur propre fief qui plus est, qu’ils ont fait une belle connerie. Jérém a besoin d’une revanche.
Pendant deux mi-temps intenses et riches en rebondissements les points sont marqués, arrachés, emportés dans l’effort et la transpiration. Et à la fin du temps réglementaire, le tableau affiche un score de 18-24 en faveur des Parisiens.
Ça y est, Jérém tient sa revanche. Une victoire que lui et ses coéquipiers sont allés chercher au prix d’un match sans répit, une victoire que les Toulousains n’ont laissé filer qu’après de vaillants efforts.
A la fin du match, l’image de Jérém et de Thibault qui se prennent longuement dans les bras l’un de l’autre est très émouvante. Thibault sourit, il a l’air ému et heureux pour la victoire de son pote. Une victoire aussi importante que si c’était la sienne, ou peut-être un peu plus encore.
Un journaliste attaque Jérém et Thibault à la sortie du terrain. Les deux belles gueules viriles des deux potes s’affichent sur les écrans du stade.
— Alors, Tommasi et Pujol, ça fait quoi de jouer l’un contre l’autre, alors que vous avez grandi ensemble, que vous avez été formés ensemble au rugby ?
— Un pur bonheur ! fait Thibault sans hésiter.
— Même si le match a été remporté par l’équipe adverse ?
— Le match a été beau, dur et prenant, on s’est battu jusqu’à la dernière minute… c’est un plaisir d’affronter des adversaires de cette envergure, commente le jeune papa.
— On a gagné, mais ils n’ont pas perdu, fait Jérém.
— Maintenant, l’objectif est de viser le haut du classement de votre poule…
— Bien sûr ! font les deux potes en chœur.
— Et remporter les demi-finales contre les équipes les mieux classées de la poule A…
— Et nous retrouver en finale ! fait Jérém, euphorique.
— Et on va vous mettre une bonne raclée ! plaisante Thibault.
— Rêve toujours ! fait mon beau brun.
— En tout cas, on vous souhaite à tous les deux le meilleur pour la suite…
Les deux potes se serrent la main, puis se prennent dans les bras l’un de l’autre. C’est beau, et bien plus que ça. Je trouve grisant de savoir que ces deux garçons ont un secret que toute cette foule ignore et dont je suis l’un des rares détenteurs. Je veux bien évidemment parler du fait qu’en dépit des apparences, des histoires d’amourettes sur les journaux pour l’un, d’un enfant pour l’autre, en dépit d’allures on ne peut plus viriles, l’un comme l’autre aiment les garçons, qu’ils ont déjà couché avec des garçons, dont moi, et même qu’ils ont déjà couché ensemble.
Aujourd’hui, ce samedi 15 mai 2004, après 80 minutes d’effort sportif et de jeu tout aussi spectaculaire que respectueux, ces deux garçons sont élevés au statut des « héros » par leurs co-équipiers, par leurs supporters, par leurs managements respectifs, ils sont même tenus en grand respect par les joueurs et les supporters de l’équipe adverse. Je ne peux m’empêcher de me demander s’il en serait de même si leur secret s’ébruitait.
Et alors que leur accolade prend fin, je suis happé par l’image de leurs maillots tendus sur leurs pecs se soulevant au rythme d’une respiration encore accélérée par l’effort sportif, de leurs brushings un peu malmenés par les exploits, de leurs fronts, de leurs cous, de la naissance de leurs pecs perlant de transpiration, par la sensualité qui se dégage de l’un comme de l’autre à cet instant précis.
Cette respiration après l’effort, ces brushing un peu défaits après l’exploit, cette transpiration perlant de leur peau, cette sensualité inouïe du corps qui a tout donné, je la retrouverai quelques heures plus tard, après la quatrième mi-temps, dans l’appart de Thibault, après que les deux potes se soient jouis dans le cul à tour de rôle, après qu’ils aient joui dans le mien l’un après l’autre. Une fois de plus, nous fêtons une grande occasion en passant la nuit à nous offrir du plaisir.
Début juin, je valide mes semestres sans trop de difficulté. Entre un match et l’autre, Jérém a lui aussi retrouvé le chemin des cours. Certes, son statut de sportif étudiant lui simplifie pas mal la tâche, mais je vois bien qu’il y met du sien aussi. Ça passe de justesse, mais ça passe, et c’est le plus important.
Les deux Stades se classent bien en tête de leur poule. Le 19 juin, à Lyon, le Stade Français s’impose face à Bourgoin. Ça semble bien engagé pour une finale de Top 16 entre les deux Stades. Jérém et moi nous rendons le lendemain à Montpellier pour assister au match Stade Toulousain-Perpignan. Hélas, la rencontre ne se passe pas comme prévu, en tout cas pas comme nous l’avions souhaité. Après deux mi-temps difficiles, les Haut-Garonnais s’inclinent face aux Frontaliers.
Samedi 26 juin 2004.
La finale du Top16 se joue au Stade de France, rien de moins.
Une fois de plus, Jérém a réussi à obtenir des places de premier choix, en tribune Est, catégorie basse. Je dis bien « des places », car il a invité Papa à venir aussi. Evidemment, Papa était aux anges, et il ne s’est pas fait prier pour faire le déplacement dans la capitale. Je suis heureux de partager ce moment avec lui. Et évidemment, pour cette occasion spéciale, Jérém a également prévu des places pour son père et son jeune frère Maxime. Et Thibault, Thierry et Thomas, bien entendu, ses meilleurs potes de Toulouse. Nous sommes tous là, réunis pour cette occasion spéciale, alignés en brochette sur le même rang.
Habitué à voir jouer Jérém dans des stades de 20-30000 places, je suis scotché par la démesure de l’immense enceinte aux 80000 places. Des places qui se remplissent jusqu’à la dernière. Le brouhaha et l’effervescence de ce genre d’endroit, d’une foule aussi immense sont étourdissants.
Je repense à la première fois où je suis allé voir jouer Jérém à Toulouse, peu après notre première révision. Je me souviens y être allé avec ma cousine, et avoir profité de l’occasion pour faire auprès d’elle mon tout premier coming out. Je me souviens de sa tête quand je lui avais annoncé que je couchais avec cette bombasse de Jérém, je me souviens de son air dépité, puis de sa bienveillance à mon égard. De sa mise en garde, de sa recommandation de ne pas tomber amoureux d’un gars « comme lui », un gars qui ne s’assumait pas et qui me ferait souffrir à coup sûr. Que de chemin parcouru depuis, du petit stade de quartier à Toulouse au Stade de France, des baises de l’appart de la rue de la Colombette à l’amour intense à chacune de nos retrouvailles, depuis le garçon qui ne s’assumait pas au Jérém d’aujourd’hui qui admet pleinement ses sentiments pour moi.
Le début du match est imminent. Le stade gronde, son impatience et son excitation montent de plus en plus. Les tribunes vibrent. Je vibre avec, ça provoque en moi des montées d’adrénaline, ça me donne la chair de poule. L’ambiance de fête me fait perdre pied.
Lorsque les joueurs rentrent enfin sur la pelouse, ils sont accueillis par une ovation qui a la puissance d’une déflagration. Jérém n’a pas du tout l’air intimidé par l’immense enceinte et par la foule surexcitée.
Le match démarre et mon beau brun semble au meilleur de sa forme. Il est rapide comme le vent, il est adroit, rusé, malin, habile, stratège. Sa connexion avec les autres joueurs est parfaite, avec Ulysse en particulier, et ça fait des miracles. Il ne rate aucune action, il marque des points en nombre, et les essais sont quasi systématiquement transformés.
Le match se termine avec une victoire nette pour le Stade Français, 38-20. Dans une longue, assourdissante, interminable ovation, le Stade de France fête les champions de tout un pays.
Quelques minutes après la fin du match, les joueurs de l’équipe gagnante s’alignent au milieu du terrain.
L’année dernière au Stade de France, Jérém rongeait son frein en costard cravate, et il soulevait le Brennus juste pour l’honneur, soutenu par les bras puissants d’Ulysse. Cette année il soulève son véritable premier bouclier de Brennus, bien assuré sur ses pattes, après avoir bien mouillé le maillot, devant une foule en délire.
Son regard à cet instant est émouvant au possible. Il y a de l’incrédulité, de l’éblouissement, de l’émerveillement. C’est le regard d’un gosse à Noël. Il y a une joie immense, mais aussi des larmes d’émotion que les écrans géants montrent impudiquement à de milliers de spectateurs.
J’ai l’impression que le stade tout entier applaudit et félicite le champion qui revient de loin. Et parmi les 80000 paires de mains qui claquent avec ferveur, celles de la petite délégation toulousaine tapent avec encore plus d’énergie que les autres, avec plus de bienveillance et d’affection. Même Thibault, qui rêvait lui aussi de soulever ce bouclier, est visiblement ému par le triomphe de son Jé.
— J’aurais tellement aimé jouer ce match contre le Stade Français, il me glisse.
— Tu aurais aimé soulever le Brennus à sa place ! lui lance Thierry qui a entendu ses mots.
— Peu importe qui aurait soulevé le Brennus. J’aurais surtout aimé jouer cette finale avec Jé.
— L’année prochaine, ce sera la bonne ! Je vois bien une finale Stade Toulousain contre Stade Parigot, et le Brennus qui revient à Toulouse, sa place de droit ! s’avance Thierry.
Hélas, ses prévisions se révéleront largement inexactes. Jamais les deux potes ne se retrouveront en finale du Top16. Déjà, parce que, pendant des décennies, les deux Stades n’accéderont pas en même temps à la finale de ce championnat qui sera bientôt rebaptisé le Top14. Aussi, parce que la carrière de l’un des deux potes s’arrêtera brusquement deux ans plus tard, au terme de la saison 2005-2006.
Octobre 2005.
Le grand absent de cette édition du calendrier des Dieux du Stade, c’est Thibault. L’adorable pompier m’a avoué un jour ne pas s’être senti à l’aise dans cet exercice. Et de ne pas avoir l’intention de renouveler l’expérience. Il ne reviendra jamais sur sa décision.
Samedi 15 octobre 2005.
La veille de son anniversaire, et à l’occasion de la 9ème journée du Top14, Jérém retrouve Thibault sur la pelouse du Stade de France. Le choc entre les deux poids lourds du rugby français fait trembler pendant 80 minutes l’immense anneau de la Plaine Saint Denis. Et il se termine par la victoire du Stade Français par 29 à 15.
Comme d’habitude, nous retrouvons avec bonheur notre pote Thibault lors de la quatrième mi-temps sensuelle entre garçons. Ce que nous ne savons pas encore, c’est que ce sera la dernière fois que Thibault partagera une nuit avec Jérém et moi.
Avril 2006.
En ce printemps 2006, la course du Stade Français semble inarrêtable. Du moins, jusqu’à ce que sa route sportive ne croise celle de l’autre Stade, celui des Rouge et Noir. Et là, c’est la grosse, grosse, grosse branlée.
Le 15 avril, au Stadium de foot de Toulouse, les Parisiens s’inclinent sur un score de 15 à …. 0 face aux locaux. Une cata. Du jamais vu de mémoire de supporters. Du jamais vu depuis 70 ans de mémoire de statistique.
Rien n’a marché au Stade Français. L’équipe étant épuisée par le cumul des matches en Top 14 et en H-Cup, diminuée par l’absence de nombreux titulaires suite à des blessures dans les derniers matches – Ulysse fait partie des grands absents – les Parisiens se sont embourbés dans un jeu décousu, laborieux. Au final, Jérém n’a pu, pas même une seule fois, aller au but.
Côté Toulousains, en revanche, le jeu était rôdé et la coordination des joueurs parfaite. A la fin du match, Jérém est épuisé et dégoûté. Son père tente de lui parler à la sortie du terrain, mais Jérém prend congé très vite, il a besoin d’être seul.
Il revient une heure plus tard, douché, en costard cravate, avec une bonne dose de parfum, sexy à en crever, mais toujours aussi dégoûté. Il n’a même pas envie d’aller à la troisième mi-temps. Il rentre à l’appart et se cale devant la télé, sans un mot mais entouré par beaucoup de bières. Je sens qu’il est d’humeur massacrante, je n’ose même pas lui parler.
Oui, la soirée s’annonce morose. Jusqu’à ce que ça sonne à la porte. Thibault est là.
Je suis désolé, Jé, il glisse à son pote, autour d’une bière.
T’as pas à être désolé !
On n’aurait pas dû insister… mais tu sais comment sont les gars…
C’est le but du jeu de marquer des points.
On aurait pu se contenter de moins… surtout à la fin.
Ça n’aurait rien changé.
Tu as super bien joué, Jé. Ton équipe avait été beaucoup remaniée et la sauce n’a pas pris.
Ça a été la cata.
Ça ira mieux la prochaine fois, tu verras.
On change de sujet, ok ? Tu vois toujours Paul ?
Avec Paul, c’est fini, nous annonce le jeune papa.
Ah, merde !
Il n’avait pas assez de temps pour une relation, et sans doute on ne cherchait pas la même chose.
T’inquiète, ça ira mieux la prochaine fois, tu verras ! fait Jérém, taquin.
Ça y est, je suis déjà à la « prochaine fois » !
Comment ça ?
J’ai rencontré quelqu’un. Il s’appelle Arthur et il est pompier, lui aussi.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Samedi 8 mars 2003.
Le ralenti de l’accident de Jérém défile à l’écran et montre comment son genou a été malmené lors de la chute. Son pied a touché le sol dans une position décalée. Le poids de son corps, déséquilibré, démultiplié par la chute, s’est déchargé dessus, et le genou droit s’est plié vers l’avant. Les images sont incroyablement dures, cruelles.
En début de soirée j’arrive à avoir Thibault au téléphone et je le sens tout aussi désemparé que je le suis. Il me demande si j’ai envie de passer chez lui. Evidemment que j’ai envie. Lorsque je débarque à l’appart, nous nous prenons dans les bras et nous mélangeons nos inquiétudes, nos tristesses. Et ça nous fait un bien fou. Sa simple présence est apaisante.
— Mon coach connaît bien celui du Stade Français. Il m’a promis de l’appeler et de me tenir au courant dès qu’il y aura du nouveau.
Mais les heures passent et rien ne vient. Les examens médicaux doivent toujours être en cours. Je passe la nuit chez Thibault mais ni lui ni moi n’avons le cœur à envisager autre chose que de la tendresse. La présence et la proximité de l’autre est tout ce qu’il nous faut en ce moment si difficile.
Le portable du jeune pompier sonne au milieu de la nuit. Son radio-réveil indique 3h31. Thibault se réveille en sursaut, et moi avec lui. Il répond dans le noir. Le coup de fil ne dure pas très longtemps, et Thibault ne fait qu’écouter et pousser des soupirs de dépit. Je sens que ça ne s’annonce pas bien du tout.
Lorsqu’il raccroche, il prend une très longue inspiration. Il demeure assis dans le lit, l’attitude d’un gars perdu. Même dans le noir, je sens son inquiétude. Même avant qu’il ne prononce un mot, je sais que les choses sont graves, peut-être même plus graves qu’on l’imaginait.
— C’est pas bon…
— Qu’est-ce qu’ils ont trouvé ?
— Il y a rupture des ligaments croisés antérieurs. Sa cheville a pris aussi, il a une entorse carabinée. Ils craignent des microlésions. Mais ce qui les inquiète le plus pour l’instant, c’est la tête.
— Quoi, la tête ?
— Sa tête a heurté le sol. Il a perdu connaissance. Il a une commotion cérébrale. Depuis qu’ils l’ont pris en charge, il a eu des absences.
— Et ça va s’arranger ? je questionne, j’ordonne, je prie.
— Je ne sais pas, Nico, j’espère… fait Thibault, la voix faible, étouffée par les larmes.
L’horizon de Jérém s’assombrit un peu plus. Me revoilà, nous revoilà replongés dans le cauchemar d’il y a deux ans, lorsqu’il s’était cogné la tête en tombant suite à une bagarre. Mon inquiétude, notre inquiétude grandit encore.
Thibault et moi ne dormons plus beaucoup cette nuit-là. Nous parlons de Jérém pendant des heures.
Jeudi 27 mars 2003.
Lorsque j’arrive à la gare Montparnasse, Thibault m’attend à côté de la ligne de métro. Ça fait du bien de retrouver un visage connu dans cette ville où tout m’est inconnu. Le jeune pompier me fait la bise et me serre fort dans ses bras. Sa présence, son attitude, son torse, ses bras sont tellement rassurants !
Après un passage par le métro, nous débarquons à l’appart de Jérém par surprise. En fait, la surprise n’est que pour ce dernier, car Maxime est au courant.
— Il va de soi que ce n’est pas le bon moment pour que Jé apprenne ce qui s’est passé entre nous, me glisse Thibault alors que nous montons par l’ascenseur.
— Il va de soi…
— Je ne regrette toujours pas, au contraire. Je dis juste que ce n’est pas le bon moment, il s’empresse de préciser.
— J’avais bien saisi, et je te suis à 100%.
Thibault sonne à la porte. Un instant plus tard, le petit brun nous accueille avec un sourire dans lequel il n’est pas difficile de deviner une insistante note de tristesse.
— C’est qui ? j’entends Jérém le questionner depuis le séjour.
— C’est quelqu’un qui vient te voir.
— Je ne veux voir personne.
Ça promet…
Maxime nous fait rentrer. L’appart empeste la fumée de cigarette et le joint. Jérém est affalé sur le canapé, la jambe enserrée dans une botte de maintien, posée sur la table basse. Il est habillé avec un jogging blanc à bandes noires. Deux béquilles sont posées contre le canapé, à côté de lui. Sur le meuble à sa droite, un cendrier rempli à ras bord de mégots trône juste à côté d’innombrables bouteilles de bière vides.
— Jé, mon pote ! lui lance Thibault.
— Thib !
Jérém a l’air surpris de voir son pote débarquer, mais pas contrarié. Il a même l’air très touché. Et ému. Thibault se penche vers lui et le prend dans ses bras. Il l’embrasse deux fois sur la joue et lui caresse le cou et la nuque.
— Salut, Jérém, je lui lance, lorsque l’accolade entre les deux potes prend fin.
— Salut… il me lance assez froidement, le regard ailleurs.
Ce n’est pas encore un accueil qu’on caractériserait de chaleureux, mais il y a du mieux par rapport à la dernière fois. Déjà, je ne me suis pas fait jeter !
— Ça vous dit si je fais des pâtes ? nous demande Maxime.
— Parfait ! lui répond Thibault.
— Comment tu vas, mon petit Jé ? enchaîne l’adorable pompier.
— Comme tu le vois, comme une épave !
— Mais qu’est-ce que tu racontes ! Tu oublies que j’ai été mécano et que je sais très bien reconnaître une épave d’une belle voiture accidentée. Toi, tu es une très belle voiture accidentée. Une fois réparé, tu vas être comme neuf.
— Non, tu te trompes, je suis une épave. Je ne serai jamais comme neuf.
— Tu crois que tu es le premier joueur de rugby à subir ce genre des blessures ? Et qu’il n’est pas possible d’en guérir et de revenir au top ?
— Le chirurgien n’y croit pas lui-même ! Et quand même le mécano ne croit pas en la réparation de la voiture qu’il vient de passer sur le pont, je te fais pas un dessin !
— Le chirurgien n’a jamais dit qu’il n’y croit pas, intervient Maxime. Il dit juste qu’il a besoin de voir comment tes lésions guérissent avant de pouvoir faire un diagnostic fiable.
— Il y a des réparations qui demandent du temps, avance Thibault.
— Ouais, ouais.
— Là, il ne se passe rien parce que tu es en phase de cicatrisation et que tu ne peux rien faire, avance le demi de mêlée. Tu te fais chier et tu ne vois aucun progrès. Mais quand tu seras à Capbreton, tu vas progresser.
— J’espère qu’ils ont un service spécialisé dans les miracles, fait Jérém, l’air complétement désabusé.
— Pour guérir, il faut y croire. Je suis passé par là, après mon accident à AZF. Oui, ma blessure était moins grave que la tienne. Mais j’ai eu des doutes comme toi, j’ai eu peur comme toi. Et pour m’en sortir je me suis raccroché à un but, celui de retrouver ma forme d’avant et de retourner jouer. Il faut être patient, et ne pas vouloir que les choses aillent trop vite.
— Oui, oui, allez, parlons de choses plus marrantes, j’entends Jérém balayer le sujet d’un revers de main. Avant d’enchaîner sur un tout autre sujet : Tu as des nouvelles de Thierry et de Thomas ?
Thibault n’insiste pas, et il suit Jérém sur ce nouveau terrain. Pendant l’apéro et le repas, les deux potes d’enfance renouent avec leur complicité d’antan en évoquant leurs potes de Toulouse, leur vie d’avant, leurs expériences communes, leurs souvenirs du rugby. Jérém s’anime peu à peu au contact de Thibault. Ce dernier sait le faire réagir, et même le faire sourire. Il le connaît tellement bien. Et il est tellement sensible, avisé, psychologue.
Son tact est tel qu’il arrive à tout lui dire sans le braquer.
— Jérém, ton frère à l’air fatigué, il lui balance au détour d’une conversation.
— Je sais, je suis un véritable boulet en ce moment. Et mon frérot est un ange, il a du mérite à rester ici avec moi.
— Dans quelques jours je pars pour Capbreton, je te libère, il lance à Maxime.
— Ça va être long, fait le petit brun, à moitié en rigolant, à moitié sérieux.
— Si Maxime doit reprendre ses cours, je peux rester quelques jours jusqu’à ton départ à Capbreton… je lance.
Jérém me regarde de travers.
— Et tes cours ? me questionne Thibault.
— Je les rattraperai plus tard.
— Je n’ai pas besoin de ton aide, je me débrouillerai tout seul, me balance Jérém sèchement.
— « Tout seul », tu vas déprimer à fond, lui glisse Thibault.
— Je sais me gérer, merci, il s’agace.
— Pourquoi tu ne veux pas que je reste ? je le questionne.
— Je ne veux pas de ta pitié ! il me crie dessus.
— Je n’ai aucune pitié pour toi, je veux juste te filer un coup de main ! je m’emporte à mon tour.
— Bon, vous nous cassez les couilles tous les deux, fait Thibault, l’air facétieux. Hein, Maxime, qu’ils sont insupportables ces deux-là ?
— Un peu…
— Nous on va prendre un café, et vous vous arrangez pour vous calmer d’ici que nous soyons revenus, continue le jeune pompier.
— Avec grand plaisir ! fait le petit brun qui a de toute évidence compris le but de la manœuvre de Thibault, celui de permettre à Jérém et moi de rester un peu seuls pour régler nos histoires entre nous.
Va-t’en, Nico, pars loin d’ici. Tu vois pas que je suis en train de couler ? Ne coule pas avec moi !
Je ne partirai que quand tu iras mieux. Et personne ne coulera. Je te promets que tu iras mieux. Je te promets qu’un jour tu joueras à nouveau au rugby et encore mieux qu’avant l’accident. Je te promets qu’un jour tu gagneras le Top16 avec le Stade. Mais pour ça, il faut y croire. Pour cela, il faut continuer à croire en tes rêves.
Oui, je sais que je distribue de l’espoir à crédit, à découvert, sans prendre aucune garantie, en encourant un risque fou. Mais en voyant Jérémie dans cet état je ne peux faire autrement que lui donner quelque chose à qui s’accrocher, coûte que coûte. J’ai besoin d’y croire et je veux qu’il commence à l’envisager.
Je pense aux mots du chirurgien du train :
« Et surtout, il faut s’arranger pour qu’il n’arrête jamais d’y croire, même s’il prétend le contraire. Car l’espoir est l’élément clé de la guérison. Il n’est bien évidemment pas suffisant, mais il est terriblement nécessaire ».
Tout est possible, pourvu qu’on continue à rêver, je lui glisse, alors que mes sanglots se mélangent aux siens.
Les joues de Jérém sont encore humides lorsque Thibault et Maxime rentrent à l’appart. Le petit brun s’en rend compte. Il prétend avoir oublié de prendre le courrier, tout en faisant disparaître en catastrophe les enveloppes qu’il tenait à la main dans la poche arrière de son jeans. Quant à Thibault, il avance avoir oublié de faire des courses. Les deux adorables petits mecs quittent fissa l’appart, pour me laisser un peu plus de temps pour sécher les larmes de Jérém.
Ce soir-là, Thibault et moi prenons une chambre dans un hôtel. Elle comporte deux lits jumeaux, mais très vite nous les rapprochons pour nous câliner.
Ça me fend le cœur de le voir dans cet état, me glisse Thibault, alors que ses gros bras me pressent contre son torse puissant et chaud.
A moi aussi ça me fend le cœur, il est tellement abimé !
C’est vrai que tu peux passer du temps avec lui ? il me questionne.
Oui, je peux, et j’en ai envie.
Tu t’en sens le courage ?
Je ne sais pas, mais j’ai envie d’essayer.
Il faut être très fort, Nico…
Je sais.
Tu es sûr que ça ne va pas interférer avec tes études ?
Je vais tout faire pour que ça se passe bien. Je pense que mes camarades peuvent m’aider.
Tu es vraiment un chouette gars, Nico.
Toi aussi Thibault, tu es un gars en or.
Ce qui me fait peur, c’est quand il va se retrouver seul à Capbreton. J’ai peur qu’il n’y mette pas tout son cœur, et qu’il ne fasse pas tout ce qu’il faut pour récupérer.
J’aimerais pouvoir être à ses côtés quand il sera là-bas, mais je n’ai aucune idée de comment faire, j’avance.
Si tu es vraiment sûr que tu peux passer du temps avec lui, je te propose quelque chose.
Dis-moi…
Je te paie le séjour à Capbreton. Tu prends une chambre ou un appart là-bas, et je règle tous les frais pendant tout le temps que tu seras à côté de Jé.
Mais Thibault ! je m’exclame, touché pas sa générosité, ému par sa bonté.
Il n’y a pas de « mais ». Si tu es prêt à t’occuper de lui, je peux te faciliter la tâche, et je veux te faciliter la tâche.
Mais je te préviens que ça ne va pas être facile, il ajoute aussitôt. Les jours qui t’attendent ne vont pas être de tout repos. Il est démoli à l’intérieur, et il voit tout en noir. Il va te rendre malade, parce qu’il va très mal. Mais il a besoin de toi, même s’il va toujours prétendre le contraire.
L’admiration et l’immense tendresse inspirées par la grandeur d’esprit que Thibault vient de me montrer une fois de plus, n’ont jamais été si immenses, si fortes à m’en donner des larmes. J’ai envie de lui, j’ai envie de faire l’amour avec lui. J’ai envie de lui offrir tout le plaisir qu’il mérite. J’ai envie de le câliner, j’ai envie d’offrir à cet adorable garçon toute la douceur qu’il mérite. Et putain que je le sais à quel point il les mérite !
Thibault un véritable puits à câlins, un véritable aimant à bisous. Cette nuit, je lui donne toute la tendresse dont il a besoin, qui n’est sans doute qu’une fraction de celle qu’il m’inspire.
Nous savons le désir que nous partageons. Mais cette nuit la présence de l’autre nous suffit pour nous faire nous sentir bien.
Samedi 29 mars 2003.
Thibault et Maxime restent un jour de plus et rentrent à Toulouse dans le week-end. Quant à moi, je reste avec Jérém. Bien qu’il se soit montré assez distant et froid, après notre rapprochement du premier soir, je reste et m’installe chez lui pour quelques jours pour permettre à Maxime de rentrer à Toulouse. La cohabitation ne s’annonce pas vraiment sous les meilleurs auspices. Mais je prends sur moi, et j’essaie de garder un peu d’optimisme quant au fait que ça s’arrange.
J’attends ton RIB, me glisse discrètement Thibault, en me prenant dans ses bras, avant de partir. Et si c’est trop dur, tu m’appelles. Je viendrai vous voir, s’il le faut je ferai l’aller-retour dans la nuit.
LT0114 Le livre de Thibault – Match bordelais et sa troisième mi-temps.
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Jeudi 27 février 2003.
Ce jour-là, je reçois le coup de fil de Thibault. Le jeune pompier m’annonce que le Stade Toulousain va se déplacer à Bordeaux pour un match de championnat le samedi suivant, c’est-à-dire deux jours plus tard. Il m’explique qu’ils ont prévu de rester à Bordeaux le soir et de ne repartir que le dimanche matin. Il me propose d’entamer le début de troisième mi-temps avec ses potes, puis de venir me rejoindre vers 21 heures pour dîner.
Samedi 1er mars 2003.
Le match Stade Toulousain-Bordeaux/Begles était télévisé. Les Haut-Garonnais se sont battus comme des lions et ont eu raison des Girondins. Thibault est vraiment très beau dans son maillot blanc et noir. La match Stade Français-Castres Olympique se jouait dans le sud. Il ne passait pas à la télé, mais j’ai appris par la radio qu’il avait été remporté par les Parisiens.
Je retrouve Thibault dans une brasserie du centre-ville. Chemise, costard, cravate, chaussures de ville, brushing soigné, le demi de mêlée est vraiment très élégant, et tout en beauté. Définitivement, le petit brillant à l’oreille ajoute un je-ne-sais-quoi de furieusement sexy à sa personne, le rendant tellement craquant.
« Eh, beh, tu es très beau ! » je ne peux m’empêcher de lui lancer.
« Merci. C’est la ténue réglementaire de l’équipe pour l’après match ».
« Ils ont bien choisie… ».
Je me retiens de justesse d’ajouter que sur un physique comme le sien, même un sac de patates ressemblerait à de la haute couture. Et que la petite traînée de parfum de mec qui flotte autour de lui titille mes narines et vrille mes neurones.
Le jeune pompier sourit, avant d’ajouter :
« Mais toi non plus t’es pas mal du tout ! ».
C’est vrai qu’avec ma chemise grise et mon jeans pas trop mal coupés, je me sens plutôt bien dans mes baskets. Et le compliment de Thibault finit de me convaincre que je suis à mon avantage dans ces fringues.
« Si tu permets, je me mets à l’aise », il poursuit.
« Je t’en prie… ».
Le beau rugbyman ôte sa veste, défait sa cravate, ouvre deux boutons de sa belle chemise bleue, laissant ainsi apparaître quelques petits poils, ainsi qu’un soupçon de la naissance de ses pecs. C’est terriblement sexy.
La compagnie de Thibault est des plus agréables. J’aime l’amitié qui s’est créée entre nous depuis deux ans, j’aime notre complicité. J’aime le fait de me sentir à l’aise pour parler de (presque) tout avec lui. J’aime sa façon de vivre sa vie, bien que si atypique. J’aime sa façon d’assumer son enfant, un enfant qui est arrivé sans vraiment être prévu, mais certainement pas sans être aimé. Car ce petit garçon qui va bientôt avoir un an est à l’évidence le plus grand bonheur de sa vie.
« Et alors, toujours bien avec Paul ? je le questionne après qu’il m’a longuement parlé de Lucas.
« Oui, toujours. Le seul problème, c’est que nous ne nous voyons pas souvent. Une ou deux fois par mois, tout au plus ».
« Ah, zut… ».
« Et depuis le début de l’année, c’est encore plus compliqué. Ça tombe toujours mal. Un coup c’est lui qui ne peut pas, un coup c’est moi. Ça fait plus d’un mois que je ne l’ai pas vu ».
« C’est difficile de former un couple avec ce genre d’obstacles… » je réfléchis à haute voix.
« Je ne sais pas si nous sommes vraiment un couple. Je sais qu’il m’aime beaucoup et qu’il ferait tout pour moi. Tout comme je ferai n’importe quoi pour lui. Mais il ne m’a jamais rien promis et il m’a toujours laissé toute la liberté de vivre ma vie comme je le sens ».
« Et tu n’as pas envie d’autre chose ? ».
« Comme une vraie vie de couple ? ».
« Oui, par exemple ».
« Pour l’instant, ça me va. Je prends les choses comme elles viennent, je profite des bons moments. Je ne veux pas lui mettre la pression ».
Je suis touché par sa façon d’aimer, sans jamais regretter de ne pas pouvoir vivre cela en pleine lumière. Par sa façon d’accepter les choses, sans jamais se plaindre, sans jamais proférer un seul mot amer. Par son côté lumineux, positif, cette philosophie qui est la sienne, « l’important ce n’est pas ce qu’on fait de vous, mais ce que vous faites de ce qu’on fait de vous », ou encore « il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions ».
J’aime sa droiture. Et j’adore sa profonde gentillesse et sa douceur exquise. Le tout parsemé par une certaine fragilité qui le rend émouvant au possible.
Quand je le regarde, j’ai à la fois envie d’être rassuré par ses bras virils et très envie de le prendre dans les miens pour le rassurer à mon tour. Définitivement, ce gars est un véritable puits à câlins. Je sais à quel point il est bon amant, fringant et doux, viril et tendre. Et je me dis qu’en amour, il doit être adorable au possible.
« Et toi, Nico, tu en es où avec Jé ? » il finit par me questionner.
« Je n’ai pas de ses nouvelles depuis près de trois mois ».
« Ah, merde ! Il ne t’a même pas appelé pour te souhaiter la bonne année ? ».
« Non… enfin, je ne sais pas… ».
« Comment, ça, tu ne sais pas ? ».
« Le premier janvier, il a essayé de m’appeler dans la nuit. J’avais éteint le portable pour ne pas être dérangé par les messages de vœux. Je n’ai vu son appel en absence que le lendemain. J’ai essayé de le rappeler plusieurs fois, mais il ne m’a jamais répondu. Je lui ai envoyé des messages, et il a fini par me répondre que ce coup de fil était une erreur ».
« Comment, ça, « une erreur » ? ».
« Je ne sais pas. Je ne sais pas s’il voulait dire que l’erreur c’était le fait de m’avoir appelé à la place de quelqu’un d’autre, ou bien si c’est le fait de m’appeler tout court qui était une erreur. Au fait, il t’a appelé pour la bonne année ? ».
« C’est moi qui l’ai appelé. Mais il était pressé, et nous avons peu discuté. On s’est dit qu’on se rappellerait plus tard, mais nous ne l’avons pas fait ».
« Il ne t’a pas parlé de moi… ».
« Non. Je voulais lui demander de tes nouvelles, mais je n’ai pas eu le temps ».
« Je lui ai envoyé une lettre ».
« Quand, ça ? ».
« Il y a un mois et demi environ ».
« Et il ne t’a pas répondu… ».
« Non… et il ne me répondra pas. Je crois que ce coup-ci, il a vraiment tourné la page ».
« J’ai du mal à croire ça ».
« T’as vu cette histoire avec cette nana de la télé ? » je le questionne.
« J’ai vu, oui. Mais à ta place je ne m’inquiéterais pas pour ce genre de sottises. Ça, ce n’est que du marketing, Nico. Les dirigeants se servent de la popularité des joueurs et de la presse people pour essayer d’intéresser un nouveau public au rugby. Et au Stade Français ils sont champions en la matière. C’est eux qui ont inventé le calendrier des joueurs à poil ! ».
« Quoi qu’il en soit, la dernière fois il m’a bien fait comprendre que je ne lui suffisais pas… ».
« Je trouve qu’il a été injuste avec toi. Quand il a eu son accident de voiture à Paris, tu as pris les choses en main, et tu lui as évité bien des problèmes. Tu as bien agi, tu as agi comme un homme l’aurait fait. Et tu l’as impressionné. Il m’en avait même parlé ».
Je regrette de ne pas avoir pensé à lui rappeler cet épisode lorsqu’il m’a balancé que je n’étais qu’un gamin. Je regrette de ne pas avoir su lui rappeler ça et sa gratitude de l’avoir sorti de la merde.
« Il a l’air d’avoir oublié cet épisode… ».
« Malheureusement, je n’ai pas de solution à te proposer, Nico. Désormais Jérém a pris son envol, et mon avis n’est plus aussi important pour lui qu’il a pu l’être auparavant. Bien sûr que j’aimerais vous voir ensemble et heureux que séparés et malheureux. Bien sûr que ça me démange de l’appeler et de lui dire qu’il me semble qu’il fait une connerie monumentale en te laissant tomber. Mais s’il ne vient pas solliciter mon avis, il continue, j’estime que je n’ai pas le droit de le lui donner. Jérém a le droit de faire ses propres choix. Je n’ai pas à les juger, à décider s’ils sont bons ou pas. Je pense qu’il a besoin de vivre sa vie, de faire des erreurs ».
« Tu as certainement raison… ».
« Mais je n’arrête pas de penser à lui. Et quand j’y arrive, je tombe sur un match, sur cette putain de pub, ou sur cette histoire à la con dans les journaux… ».
« Il est beau notre Jérém dans cette pub, hein ? ».
« Il est plus que beau, il est fabuleusement beau ! Quand je le vois à moitié à poil dans cette pub avec Ulysse, je me dis qu’il est impossible qu’il ne se soit rien passé entre eux ».
« Je doute fort qu’il se passe quelque chose entre eux, le gars m’a l’air bien branché nanas ».
« Admettons. Mais ce qu’il ressent pour Ulysse est bien réel… ».
« J’imagine qu’il faut vivre des expériences pour pouvoir faire ses choix et ne pas les regretter par la suite. Peut-être que justement de ces expériences il ressortira que le bon choix pour lui c’est toi. Moi, en tout cas, à sa place, je ne te laisserais pas filer ! ».
« T’es mignon, Thibault ».
Nous buvons nos cafés et un petit silence s’installe entre nous. Par-dessus le bord des tasses, nos regards s’accrochent, s’aimantent. Je le trouve vraiment sexy à mourir. Et les deux petits verres de vin que j’ai bus un peu trop vite à l’apéro me donnent cette petite ivresse sur laquelle le désir glisse sans freins. Peut-être que je prends mes désirs pour des réalités, mais j’ai l’impression que dans le regard de Thibault une petite lueur sensuelle pétille également.
Je le trouve terriblement désirable. J’ai très envie de lui ce soir. Ça fait un moment que je ressens une certaine attirance entre nous. A chaque fois que je le revois, j’ai l’impression que nous refusons de la voir. Mais jamais je n’ai ressenti cette attirance aussi intensément, aussi violemment que ce soir. J’ai envie de lui, mais les conséquences d’une aventure entre nous me font peur. Vis-à vis de Jérém, de Thibault lui-même, et probablement de Paul aussi.
« Je dois y aller, sinon les gars vont se demander où je suis passé », m’annonce le beau demi de mêlée en reposant sa tasse sur la table.
La perspective de rentrer seul ce soir me paraît bien triste. L’idée de laisser partir Thibault me déchire les tripes.
« Comme tu voudras… » je finis par lâcher, la mort dans le cœur.
Je l’accompagne à l’arrêt du bus. Nous parlons de choses et d’autres, mais je n’ai pas le cœur à la discussion. J’ai une folle envie de lui dire de ne pas partir, de venir chez moi. Mais j’ai peur de sa réaction. Et si je me trompais quant à ses envies à mon égard ? Il est possible que si je lui propose de passer la nuit ensemble, il refuse. Il est possible que je puisse le décevoir. Il est possible que ça mette à mal notre amitié.
« Ça m’a fait plaisir de te revoir, Nico ».
« A moi aussi, ça m’a fait plaisir ».
« Ça a été un peu court, mais on se rattrapera la prochaine fois. Passe me voir quand tu viens à Toulouse ».
« Je viendrai avec plaisir ».
« Tiens, il arrive » fait Thibault en voyant l’engin apparaître au loin dans la rue.
Je ne peux me résoudre à être privé de sa présence qui me fait autant de bien. Je ne peux me résoudre à le laisser partir sans rien tenter pour le retenir.
« Tu es vraiment obligé de retrouver tes potes ce soir ? ».
« Euh… oui… pourquoi ? ».
« Tu pourrais venir boire un verre chez moi, et dormir chez moi. Je peux te laisser mon lit, j’ai un sac de couchage pour moi » je m’empresse de préciser, devant la moue dubitative du beau pompier.
Le bus vient de s’arrêter pile devant nous. Les portes s’ouvrent et laissent sortir un peu de monde.
« C’est très gentil, Nico, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée ».
« Pourquoi ce ne serait pas une bonne idée ? ».
« Parce que j’ai trop peur de ce qui pourrait se passer si je viens chez toi ».
J’avais vu juste. Thibault a lui aussi envie de passer la nuit avec moi. Mais il a peur des conséquences, tout autant que moi.
« Moi aussi, j’en ai peur, j’enchaîne, mais j’en ai très envie aussi ! ».
« Moi aussi j’en ai envie… mais je crois que nous ferions du mal à trop de monde ».
« Tu as certainement raison. Au fond, je pense la même chose ».
Les portes du bus se ferment et l’engin reprend sa course.
« Ah, crotte, il est reparti ! » il s’exclame. « Tant pis, je prendrai le prochain. Je ne veux pas causer encore des problèmes, il continue, tu comprends ? J’ai déjà foutu assez le bazar la dernière fois quand j’ai craqué avec Jé. Ça m’a presque couté l’amitié avec mon meilleur pote, et j’ai failli te perdre toi aussi. Avec Jérém, ça s’est un peu arrangé depuis. Mais s’il se passe quelque chose toi et moi et qu’il l’apprend, je vais le perdre définitivement ».
« Il me manque tellement, si tu savais ! Mais je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il fait en ce moment, ni avec qui il est, ni si je le reverrai un jour ».
« Je suis certain que vous allez vous revoir ».
Le bus suivant se pointe au loin et avance tout aussi vite que le précèdent.
« Et puis, de toute façon, tu as quelqu’un aussi, je considère. Passe une bonne soirée » j’ajoute, en essayant de retenir mes larmes.
Des larmes qui sont le symptôme d’une tristesse dans laquelle se mélangent le manque de Jérém, qui est si loin, et la frustration de ne pas pouvoir retenir Thibault, qui est pourtant tout près de moi.
Le beau rugbyman me prend dans ses bras et me serre fort contre son torse solide. Je plonge mon visage dans son cou, il en fait de même. Ce contact physique et olfactif provoque d’intenses frissons en moi.
« Eh, merde, j’ai vraiment pas envie de partir », je l’entends me glisser à l’oreille.
« Alors, reste ».
Le bus suivant arrive, mais il repart alors que Thibault et moi nous sommes déjà loin. Je suis très content qu’il ait accepté mon invitation à venir chez moi. J’ignore ce qui va se passer cette nuit. Je sais ce dont j’ai envie. Mais je ne veux pas forcer les choses. Car cette nuit j’ai avant tout besoin de la compagnie d’un pote, d’un garçon adorable et touchant comme Thibault.
Et pourtant, j’ai l’impression d’avoir déjà forcé les choses. Et je n’ai pas envie que Thibault pense que l’intensité de mon attirance pour lui dépasse l’intensité de mon amitié. Je sais qu’il a envie de passer cette nuit avec moi. Mais je sais aussi que si je n’avais pas proposé, lui il ne l’aurait pas fait. Parce que Thibault est un garçon qui sait mieux que moi contrôler ses désirs.
Pendant que le jeune papa et moi marchons en direction de mon studio, il commence à pleuvoir. D’abord quelques gouttes, puis carrément des cordes. Nous traversons la cour au sol rouge en courant. Après avoir cherché mes clés et les avoir faites tomber deux fois dans la précipitation, nous nous mettons enfin à l’abri dans mon petit studio. Nous sommes alors trempés. Thibault enlève sa veste dégoulinante. Sa chemise est trempée aussi. Le coton adhère à son torse massif, et c’est furieusement sexy.
Je fais un tour par la salle de bain pour me changer. Je cherche un t-shirt sec et une serviette pour Thibault. Lorsque je reviens dans mon séjour, le beau rugbyman commence à déboutonner sa chemise mouillée.
Je savoure cet instant, cet instant qui me prépare à une belle claque visuelle. Je savoure cet « Instant d’avant ». Avant que cette belle chemise soit complètement ouverte, avant de me laisser aveugler par l’intense mâlitude de ce beau garçon. Chaque bouton ouvert me dévoile un peu plus de ce torse solide. Ce n’est pas la première fois que je le vois torse nu, mais à chaque fois je suis cueilli par la même intense émotion qui me vrille les tripes et embrase mes sens.
Les deux pans de la chemise sont désormais complètement séparés. Thibault fait pivoter lentement son torse dans un sens et dans l’autre, avance une épaule puis l’autre pour décoller le tissu mouillé de sa peau. C’est terriblement sensuel. La chemise finit par tomber et par dévoiler ce qu’elle était censée dissimuler. Dissimulation on ne peut plus délicieusement ratée, tant sa coupe épousait bien ce torse déjà lorsqu’elle était sèche, et a fortiori lorsque le tissu a été mouillé.
La vision de ce torse finement poilu, de cette peau sans seul tatouage, de ses pecs saillants, de ses beaux tétons, de ses abdos en bas-relief, de ses gros bras aux biceps rebondis, de son cou puissant – bref, de sa demi-nudité – me renvoient au plaisir que j’ai pris avec lui la dernière fois qu’il m’a fait l’amour à Campan, lorsqu’il s’était joint à Jérém et à moi pour une nuit magique. Ce souvenir fait grimper mon désir à des sommets insoutenables.
Le petit brillant à l’oreille lui va furieusement bien. Et la note intense de parfum de mec qui se dégage de sa peau et qui se mélange à l’humidité de sa peau finit de m’achever. J’ai envie de lui à en crever.
Le jeune papa s’essuie longuement les cheveux, me laissant tout aussi longuement admirer la beauté de son torse. Lorsqu’il passe le t-shirt que je lui ai ramené, je me dis que c’est dommage de cacher une plastique pareille. Encore que, en ayant pioché dans la précipitation un t-shirt blanc, involontaire malice, sa sexytude ne s’en trouve que décuplée. Ainsi, ce t-shirt qui est bien de deux tailles trop grandes pour moi, dans lequel je ne ressemble à rien, trouve sa véritable vocation en habillant les pecs, les épaules et les biceps du jeune rugbyman avec une précision redoutable. Ah putain, qu’est-ce qu’il est sexy !
Soudain, le beau pompier réalise qu’en rentrant, il a laissé des traces sur le sol. Et il amorce le mouvement pour se déchausser. Il est vraiment trop mignon. Mais il n’a pas à faire ça, non. Et là, sans vraiment réfléchir, dans un simple réflexe pour l’empêcher de se déchausser, je pose ma main juste en-dessous de la manchette tendue, pile sur l’arrondi de son biceps. Et lorsque je sens dans ma paume la douce chaleur et la puissante fermeté de sa peau, je ressens un puissant frisson d’excitation. Et de malaise. Je quitte instantanément le contact avec cette peau douce, tiède, avec ce muscle ferme, très ferme. Contact de bonheur que seul un mec sait offrir.
Contact bref, et pourtant piquant comme une brûlure, vif comme une décharge électrique, mais délicieux comme le désir. Un contact qui laisse longtemps son empreinte dans ma main et dans mon esprit, contact qui provoque un frisson que je ressens par toutes les fibres de mon corps.
Je croise son regard. Thibault semble amusé de voir à quel point ce simple contact m’a troublé. Il me sourit, et un petit bout de sa langue se glisse entre les dents, là, pendant qu’il sourit. Je trouve ce petit détail à craquer, ça me rend fou. J’ai l’impression qu’il lit dans mes désirs comme dans un livre ouvert, je trouve ça à la fois excitant et gênant.
« Tu veux boire quelque chose ? » je lui demande, pour me sortir de ce malaise.
Mais le beau pompier ne répond pas, son regard a verrouillé le mien et le tient avec insistance. C’est la première fois qu’il me regarde de cette façon, la première fois que je ressens son désir aussi clairement, aussi intensément.
« J’ai du jus de fruit, du café… » je continue, de plus en plus perdu.
Mais le beau pompier ne m’écoute plus. Il avance vers moi, il passe ses gros bras autour de ma taille, tout en me glissant :
« Viens-là, toi… ».
Et il m’embrasse. Ses lèvres se posent sur les miennes et mille frissons se déchaînent dans ma colonne vertébrale. J’ai terriblement envie de lui.
A cet instant, je pense à Jérém, malgré tout ce qui s’est passé. Et je ne peux empêcher d’être submergé par un immense malaise.
J’ai terriblement envie de continuer à embrasser Thibault. Et pourtant, j’ai un mouvement de recul instinctif.
« Désolé… fait Thibault, l’air mortifié. Je n’aurais pas dû… ».
Et là, devant son malaise sincère, je sens en un instant mes réticences s’évaporer une à une, jusqu’à la dernière. Le contact avec ses lèvres me manque déjà. Et je ne peux pas laisser ce gars adorable penser qu’il vient de faire quelque chose de déplacé.
« Si, tu aurais dû ! » je lui réponds, tout en l’embrassant à mon tour.
Nous nous embrassons, nous nous câlinons longuement. Thibault est un garçon très viril, et pourtant il dégage une douceur touchante. Le jeune papa est un véritable puits à câlins. Sa main se glisse dans mes cheveux, descend lentement vers les bas de la nuque. Ses caresses sont si douces qu’elles me donnent envie de pleurer. Par ce simple contact de sa main à cet endroit de ma peau, je suis comme sous hypnose, dans un état second, un état de bonheur pur et bouleversant. Ses baisers sont à la fois tendres et sensuels, ils m’apportent une sorte d’ivresse délicieuse. Je bande comme un fou. J’ai tellement envie de ce garçon !
Thibault me serre très fort contre lui et plonge son visage dans le creux de mon épaule. Je pose ma paume sur son cou, je le caresse doucement. Je l’entends pousser un long soupir. Je continue, tout en guettant les variations de sa respiration, les variations du bonheur que j’arrive à lui offrir avec de simples caresses. Le jeune pompier a l’air de vraiment apprécier, je trouve cela très émouvant.
Les deux fois que j’ai fait l’amour avec Thibault lors de cette folle nuit avec Jérém, je l’avais trouvé incroyablement doux et attentionné. Mais jamais sa tendresse à mon égard n’a été aussi débordante. Jamais ses câlins n’ont été aussi doux et fougueux à la fois. Et jamais je ne l’ai trouvé autant en demande d’affection.
« Ça fait du bien ça… » je l’entends me glisser à l’oreille.
Puis, quelques instants plus tard, le jeune pompier rompt ce contact délicieux. Nos regards se croisent à nouveau. Dans le sien, je vois les mêmes réticences tapies au fond de moi : la peur des conséquences, la peur des remords.
Cela ne dure qu’un instant, qui me paraît pourtant une éternité. Une éternité qui prend fin lorsque nous nous élançons l’un envers l’autre, pile au même instant, comme si on nous avait donné le top départ. Nous nous embrassons à nouveau. Finalement, nous tombons tacitement, physiquement d’accord sur le fait qu’il vaut encore mieux avoir des remords que des regrets.
Peu à peu, la douceur laisse place à la sensualité. Je sens ses mains se glisser dans mon dos, sous mon t-shirt. Je laisse les miennes se glisser sous son t-shirt, je laisse mes doigts effleurer et compter ses abdos.
Les baisers se font de plus en plus audacieux, les caresses de plus en plus érotiques.
Thibault recule d’un pas et attrape le bas de son t-shirt. Je vois se profiler un autre « instant d’avant », encore plus bouleversant que le précèdent. Car celui-ci, n’est pas seulement l’instant d’avant que sa bogossitude m’aveugle, que le parfum de sa peau m’assomme, que le désir s’embrase et échappe à mon contrôle. Cet instant, c’est « l’instant d’avant » de goûter à la virilité de Thibault, de me dévouer avec délice à lui donner le plaisir qu’il mérite.
Alors, cet « instant d’avant », j’ai envie de le faire durer. Aussi, je trouve le coton blanc tendu sur son torse rudement sexy. Je pose mes mains sur les siennes, je l’empêche d’ôter le t-shirt. Je le serre très fort contre moi. Je recommence à l’embrasser et je caresse ses pecs saillants par-dessus le coton. Quel bonheur exquis, que de le sentir frissonner ! Je presse mon bassin contre le sien, et nos queues raides se rencontrent, s’aimantent. Même à travers le quadruple tissu de nos pantalons et de nos boxers, je ressens la douce chaleur de sa virilité.
Ah putain ! Je réalise pleinement à cet instant à quel point le contact avec un corps solide, à la sexualité virile m’a manqué !
Je ne peux plus résister. J’attrape le bas de son t-shirt et je libère enfin son torse. Ça ne fait pas cinq minutes que je l’ai vu. Mais cette nouvelle vision est une claque tout aussi intense que la précédente. Je suis hypnotisé par tant de beauté masculine. Et son parfum, putain, son parfum fait vriller mes narines, mes tripes, mes neurones, mon esprit. Il aimante mon désir.
Quant à ses poils, ils m’inspirent une folle, irrépressible, indécente envie de plonger mon nez, mon visage, entre ses pecs, dans ses poils, de humer sa peau douce, tiède, parfumée. C’est ce que je fais, incapable d’attendre davantage. Je plonge mon nez entre ses pecs et ses poils, je m’enivre de son parfum, de la douce tiédeur da sa peau. Approcher la nudité d’un beau mâle viril, qu’est-ce que ça m’a manqué ! Putain, qu’est-ce que j’ai envie de lui !
A son tour, Thibault attrape mon t-shirt par le bas et le retourne le long de mon torse. Ses doigts frôlent ma peau et ça embrase mes sens un peu plus encore.
Il s’approche de moi, nos torses nus se frôlent. Mes lèvres sont attirées par son cou, par ses pecs. Ma langue brûle d’envie de lécher ses beaux tétons. Je sens le beau rugbyman frissonner, trembler.
Viens, je lui glisse en l’attrapant par la main, incapable de résister plus longtemps au désir qui me ravage.
Un instant plus tard, Thib est allongé sur le lit, sur le dos. Je me glisse entre ses cuisses musclées et je défais sa braguette. La bosse saillante de son boxer noir déformé par son érection décuple mon excitation. Approcher l’intimité sensuelle d’un mâle viril, qu’est-ce que ça m’a manqué !
Je me penche sur son entrejambe et je titille sa queue à travers le coton élastique. D’abord avec mes lèvres, puis avec ma langue humide. Le jeune papa frissonne de plaisir.
Je ne peux attendre davantage pour libérer sa queue frémissante de sa prison de coton. Je ne peux attendre davantage pour la revoir, pour la sentir, pour la prendre en bouche, pour la pomper. Dès l’instant où mes lèvres se posent sur son gland, je réalise combien ça m’a manqué de sentir un beau garçon frémir dans ma bouche. Car c’est l’une des sensations les plus exquises que je connaisse.
Pendant que je m’affaire à son plaisir, je regarde mon bel amant du coin de l’œil. Thib est accoudé sur le lit, et il me regarde faire, il me regarde en train de le sucer. Cet instant me rappelle, certaines révisions dans l’appart de la rue de la Colombette !
C’est un fait. Même le bonheur sensuel de cet instant n’a pas le pouvoir de me faire totalement oublier ma tristesse à l’idée d’avoir perdu Jérém. Mais il a quand-même celui de l’anesthésier provisoirement. Et ça, c’est déjà pas mal.
Thibault se laisse tomber sur le dos. Et alors que ses ahanements augmentent d’intensité, ses doigts caressent mes tétons. Lorsqu’à mon tour je caresse les siens, il pousse un long soupir d’extase.
Et il ne tarde pas à reprendre appui sur ses coudes. Il entreprend alors d’envoyer de petits coups de reins. Je ralentis mes va-et-vient, je le laisse faire, je m’offre totalement à ses envies. Son souffle saccadé m’apporte la preuve de son plaisir. Le jeune pompier se lâche, et c’est terriblement excitant. Et je ne suis pas au bout de mes surprises.
Lèche-moi les… je l’entends soupirer, la voix cassée par l’excitation.
Mais il s’arrête là, comme s’il n’osait pas aller au bout de ses envies, comme s’il avait honte. Mais je n’ai pas besoin de lui demander de terminer sa phrase pour deviner ce dont il a envie. Et je suis bien décidé à le lui offrir.
Je quitte sa queue pour aller m’occuper de ses couilles. Je les lèche en douceur, puis de façon plus appuyée. Les nouveaux soupirs de mon bel amant me confirment que je ne me suis pas trompé, que c’est bien de ça dont il avait envie.
Transporté par son excitation montante, je sens venir en moi l’envie irrépressible de tout donner pour embraser encore un peu plus ses sens. Je laisse mes lèvres et ma langue glisser lentement entre ses fesses. La surprise du jeune pompier se traduit par un ahanement sonore. Son plaisir certain, par un souffle bas et prolongé. Est-ce que quelqu’un lui a déjà fait ça auparavant ?
« Ah putain, qu’est-ce que c’est bon… ce truc ! » je l’entends gémir.
Thibault se lâche de plus en plus, et je kiffe ça ! Cette nuit, comme jamais, j’ai envie de faire exulter son corps, de galvaniser son ego de mec, de lui faire prendre conscience à quel point il est sexy et viril. J’ai terriblement envie de le faire jouir.
Comme ivre, je le reprends dans ma bouche, et je recommence à le pomper.
« Attend, Nico… ».
Mais je n’attends pas. Je sais ce que cela signifie, et je veux le faire jouir.
« Attend, ne me fais pas venir si vite… » il insiste.
Je cesse alors de le pomper.
« Lèche-moi les boules encore un peu ».
Le jeune papa a l’air de vraiment aimer ça, et je m’exécute à satisfaire ses envies avec un bonheur non dissimulé. Du moins jusqu’à ce qu’il manifeste à nouveau d’autres envies :
« Vas-y, pompe-moi, maintenant… ».
Ah, putain, il a décidé de me rendre dingue, en me parlant de cette façon ! Je m’exécute illico, avec un entrain décuplé. Je sens ses mains se poser sur mes épaules, ses doigts se crisper dans ma peau. Ça me donne des frissons inouïs. Là encore, il me rappelle drôlement Jérém. Définitivement, qu’est-ce que j’aime ce Thibault qui se lâche !
« Ça vient… ça vient… putain… Nico ! ».
Un long râle à la fois puissant et contenu s’échappe de son torse, alors que de longues giclées copieuses, puissantes, bouillantes jaillissent dans ma bouche. Leur goût est enivrant, tout aussi enivrant que cette attitude inédite de Thib.
C’est à cet instant que je réalise à quel point faire jouir, sentir jouir un beau mâle dans ma bouche, le voir repu et satisfait après l’orgasme que je viens de lui offrir, ça m’a manqué.
Le temps de se remettre de ses émotions, le jeune rugbyman me prend dans ses gros bras et m’enveloppe avec son torse puissant. Vraiment, le contact avec un corps solide ça m’a manqué.
« Ça va ? » je le questionne.
« Qu’est-ce que j’ai kiffé ! ».
« Moi aussi, j’ai kiffé ».
« Chaque fois que je couche avec toi, tu me fais des trucs de dingue ! ».
« Et Paul, il ne te fait pas des trucs de dingue ? ».
« Entre nous c’est plutôt soft… Je ne dis pas que c’est pas bon, au contraire. Mais jamais il ne m’a fait ce « truc »… tu vois ? ».
« Je vois, je vois ».
« Paul est plutôt actif. Je prends mon pied. Mais certaines choses me manquent ».
« Ce qui te manque c’est qu’on s’occupe de toi comme je viens de le faire… ».
« Voilà ! ».
« A moi aussi certains trucs me manquent ».
« Avec ton mec ? ».
« Oui. Il est passif, et uniquement passif ».
« Et tu es actif avec lui ? ».
« Oui, et je prends mon pied aussi. Mais c’est pas ce que je kiffe le plus ».
« Ça veut dire que si j’ai envie de te sucer, là, maintenant, tu dirais non ? ».
« T’as qu’à essayer pour voir… ».
Ça me fait toujours un sacré effet de voir un mâle comme Thibault ou Jérém me sucer. C’est grisant. Je sens mon excitation monter en flèche. Je sens mon orgasme arriver au grand galop, et je ne veux pas qu’il arrive si vite. Parce que j’ai envie d’autre chose avant.
« J’ai envie de toi, Thibault ! ».
« Moi ça fait toute la soirée que j’ai envie de toi ! ».
« Moi aussi ça fait toute la soirée que j’ai envie de toi ! ».
Le beau pompier vient en moi et me fait l’amour. Je réalise violemment à cet instant combien la sensation d’être possédé par un mâle viril m’a manqué aussi.
L’amour avec Thibault est un mélange subtil et délicieux de douceur et de sensualité. Ses coups de reins sont lents, espacés, et pourtant ils dégagent une puissance inouïe.
Thibault a toujours été un merveilleux amant. Mais force est de constater que cette nuit, quelque chose a changé chez lui. Une fougue inédite anime ses regards, ses caresses, ses attitudes. Cette nuit, j’ai l’impression de découvrir un autre Thibault, un autre amant. Un amant que je vois littéralement vibrer de plaisir. Au point que j’ai l’impression qu’il n’a jamais autant joui auparavant. En tout cas, pas avec moi.
Je ne peux m’empêcher de me demander si c’est Paul qui lui a appris à laisser son corps s’exprimer davantage. Ou bien, si c’est la frustration de ne pas pouvoir jouer le rôle communément appelé « actif » avec Paul qui lui a donné cette fougue, cette envie, ce besoin de se lâcher.
Mais je me demande avant tout si c’est l’absence du regard de Jérém sur lui qui le libère ainsi. Les autres deux fois où il m’a fait l’amour, c’était sur invitation de son meilleur pote. Les autres fois, il faisait l’amour au mec de son pote, sous les yeux de son pote. Et cette nuit, confronté à ce « nouveau Thibault », je me demande si l’« ancien Thibault » ne se bridait pas dans l’expression de ses envies et de son plaisir.
Cette nuit, sans ce regard de Jérém sur lui, ce regard qui pourrait le juger, qui pourrait exprimer de la jalousie, se montrer contrarié, il doit se sentir davantage libre d’exprimer ses envies, ses besoins, ses désirs.
J’imagine que c’est ça. En tout cas, je sais que ça l’est pour moi. Cette nuit, sans le regard de Jérém sur moi, j’ai envie de montrer à cet adorable petit mec à quel point il me touche. J’ai envie de lui donner toute la tendresse dont il a besoin, j’ai envie de lui donner tout le plaisir dont il a envie.
Je le regarde en train de me faire l’amour, le torse droit comme un « I », tous pecs et abdos dehors, les biceps épais, bien rebondis, le cou puissant. Je suis aimanté par cette belle gueule de mec traversée par des frissons. J’adore comment il me manipule avec ses bras puissants, j’adore sentir ses belles paluches sur moi, elles me remuent comme une brindille. J’adore sa façon de me faire sentir à lui, de me posséder.
Cette nuit, le jeune papa ose enfin aller au bout de son plaisir de mec. Et c’est terriblement beau pour mes yeux, c’est terriblement bon pour ma chair. Le sentir prendre autant son pied en moi, ça me rend dingue. Combien m’a manqué cette puissance de bras musclés, ce contact avec la puissance sexuelle d’un garçon solide !
Mais Thibault n’oublie pas non plus de s’allonger sur moi, de venir m’embrasser, de plonger son visage dans le creux de mon épaule. Son souffle excité sur ma peau me rend dingue. Le mélange de virilité et de tendresse qui se dégage de ce garçon musclé est tout simplement explosif. J’ai envie de lui à en crever.
Il n’y a rien de plus beau au monde que regarder un beau garçon en train de vous faire l’amour, ivre de plaisir. Pendant un instant, je ferme les yeux, et j’ai l’impression de revoir Jérém en train de me faire l’amour, lors de nos retrouvailles à Campan, à Paris.
Oui, rendre heureux un gars qui suscite notre désir et qui nous comble de tendresse, est l’un des grands bonheurs de la vie. Et lui montrer à quel point il est bon amant, ça en est une autre. Que je ne veux pas bouder non plus cette nuit.
« Qu’est-ce que c’est bon ! » je lui glisse, dans un long soupir, tout en laissant mes mains parcourir et tâter sa plastique de fou, épaules, biceps, pecs, tétons.
Le jeune rugbyman est secoué par d’intenses frissons. Ses coups de reins cessent alors. Sa queue profondément enfoncée en moi me remplit, me domine, me fait jouir. Son regard plein d’excitation et de désir me fait me sentir complètement à lui. Mais là non plus je ne suis pas au bout de mon bonheur.
« Tu aimes comme je te fais l’amour » je l’entends me glisser.
Thibault a prononcé ces quelques mots sur un ton qui les font ressembler davantage à un constat qu’à une question. Il veut me rendre dingue !
« Oh, putain, oui ! Tu fais ça trop bien Thibault ! ».
« Oh, putain, Nico… » je l’entends lâcher, la voix essoufflée.
« Vas-y, ne te retiens pas ! » je l’encourage.
Thibault pose un dernier bisou sur mes lèvres, ce bisou que je connais bien et qui signifie « nous nous reverrons après mon orgasme ». Puis, il relève son torse et il recommence à me limer lentement. Ses coups de reins sont courts, sa queue toujours bien enfoncée en moi, ses couilles effleurent mes fesses.
« Je viens… ».
« Fais-toi plaisir, beau mec ! ».
Voir et sentir un beau mâle viril atteindre son orgasme, profondément emboîté en moi, le voir débordé par son orgasme, le savoir en train de me remplir de sa semence, c’est la sensation la plus enivrante que je connaisse.
Avant de se déboîter de moi, le jeune pompier me branle et me fait jouir. Lorsque mon orgasme vient, j’ai l’impression que mon ventre est en feu, que ma conscience va s’évaporer à tout jamais. Il n’y a qu’avec Jérém que j’ai ressenti ça auparavant.
Nous nous allongeons sur le lit, tournés l’un vers l’autre. Nos regards se cherchent. Je lui souris, il me sourit en retour. En fait, il n’y a rien de plus beau au monde qu’un garçon qui vous sourit après vous avoir fait l’amour.
Tout est craquant chez ce garçon. Y compris les fait que, tout en étant si déraisonnablement beau, il donne l’impression de ne pas se rendre compte de l’effet qu’il fait autour de lui.
« Ça va ? » je ne trouve pas mieux pour entamer une conversation.
« Je crois que je n’ai jamais pris autant mon pied ! » il me balance, après un long soupir.
J’adore son regard, cette expression de jeune mâle repu et satisfait.
« Et toi ? » il me questionne.
« C’était trop bien ».
« Tu es un merveilleux amant, Thibault » je continue après un instant de silence.
« Toi aussi, Nico, toi aussi… ».
Ça fait du bien de se l’entendre dire.
« J’ai toujours beaucoup aimé faire l’amour avec toi » je lui glisse. « Mais cette nuit je t’ai trouvé différent, comme… libéré… ».
« J’ai ressenti la même chose vis-à-vis de toi ».
« C’est assurément vrai » je considère.
« C’est la première fois que nous ne sommes que tous les deux » il me glisse.
Nous n’avons pas besoin d’aller plus loin dans ces considérations. Je sais que nous pensons à la même chose, à la même personne. Je ressens un malaise insistant m’emparer de moi, à l’évocation de Jérém juste après avoir fait l’amour avec Thibault. Mais je n’arrive pas à regretter. Ça fait des mois que je n’ai pas des nouvelles de Jérém, que je n’ai pas fait l’amour avec lui. Et ça m’a fait un bien fou de faire l’amour avec Thibault.
« C’est celle de Jé, non ? » me questionne le jeune papa, en saisissant doucement ma chaînette.
« Oui, c’est bien la sienne. Il me l’a donnée il y a deux ans, après son accident ».
« Je n’aurais jamais cru qu’il se sépare un jour de cette chaînette ».
« Je sais ce que cette chainette représente pour lui ».
« Tu es conscient que c’est un cadeau d’une grande valeur qu’il t’a fait, là ».
« Oui, je sais. Il m’a dit que tant que je portais cette chaînette, il serait toujours avec moi ».
« Et si tu l’as toujours, c’est parce qu’il le veut bien ».
« C’est-à-dire ? ».
« S’il pensait vraiment que tout était fini entre vous, il t’aurait demandé de la lui rendre. Elle est trop précieuse à ses yeux ».
Soudainement, je me sens submergé par l’émotion suscitée par cette évidence que je ressentais au fond de moi mais que Thibault vient de me rappeler et de rendre encore plus tangible. Le jeune rugbyman doit s’en rendre compte, car il m’enveloppe avec ses bras puissants, avec son corps massif et chaud, avec ses muscles rassurants.
Dans ses bras, comme dans son regard, je me sens protégé. Je me sens aimé, mais sans possessivité. Comme si ce moment de sensualité n’était que le prolongement de notre belle amitié.
Pendant la nuit, nous refaisons l’amour. Son torse glisse sur mon dos avec une douceur inouïe, son souffle chaud chatouille mon cou, embrase mon désir. Ses coups de reins ont une douceur exquise. Lorsque je l’entends souffler son nouvel orgasme, je viens à mon tour. Et je me rendors en tenant ce beau mâle puissant dans mes bras.
Il n’est pas encore 7 heures du matin lorsque nous apprêtons à traverser la petite cour au sol rouge pour aller prendre un petit déj en vitesse. Thibault a décidé de prendre le premier train pour Toulouse. Le jeune papa a envie de passer un peu de temps avec son petit Lucas dans l’après-midi. Il est vraiment, vraiment touchant.
Oui, il n’est même pas 7 heures, un dimanche matin, qui plus est. Et pourtant, mes proprios sont déjà debout et en poste de surveillance. Et nous ne pouvons pas échapper au « contrôle ».
« Bonjour, Nico, me lance Albert. Alors, tu nous présentes ce charmant garçon ? ».
« Voici Thibault, un pote de Toulouse, et voici Albert et Denis, mes propriétaires. Thibault joue au Stade Toulousain ».
« Au Stade ? Attend un peu… mais je te connais, toi ! » lance Denis.
« Il connait tous les beaux garçons de la terre, celui-là ! » plaisante Albert.
« Mais tu ne serais pas… voyons… ah, oui ! Pujol… numéro… 9… demi de mêlée ! ».
« Vous avez tout bon, monsieur ! ».
« Et vous avez joué ici à Bordeaux hier après-midi ! ».
« C’est ça ».
« Et vous avez fait des misères à nos gars ! ».
« C’est le but du jeu » plaisante Thibault.
« Trêve de plaisanteries, j’ai regardé le match à la télé, et vous avez très bien joué. Vous avez une sacrée équipe à Toulouse. Je pense que cette année vous avez toutes vos chances de gagner le TOP ».
« Je l’espère ! ».
« A mon sens, il n’y a qu’une autre équipe qui peut vous faire de l’ombre… ».
« Laquelle ? ».
« L’autre Stade, voyons ! Les parigots ! Ils ont eux aussi une équipe de tonnerre ! ».
« Ah, oui, ça c’est bien vrai ! ».
« Mais je parierais sur les Toulousains quand-même. Enfin, on verra bien dans quatre mois. Il reste pas mal de taf d’ici là, et il peut se passer pas mal de choses. Les voies du rugby sont impénétrables ».
« Il n’y a bien que les voies du rugby qui le sont ! » balance Albert, avec un sourire malicieux.
Thibault et moi prenons le petit déj dans un bar au fond de ma rue. Mon corps frémit encore du plaisir que nous nous sommes donnés, mon esprit des caresses que nous nous sommes échangées. J’ai passé une soirée et une nuit fabuleuses avec ce garçon. Je le regarde en train de boire son café, et je n’ai pas envie qu’il parte. J’ai encore envie de le serrer dans mes bras, de le câliner.
Lorsque je croise son regard, je me sens noyé dans ses yeux vert-marron qui dégagent une douceur et un calme qui sont autant de caresses pour l’esprit. Son regard a gardé la pureté d’un enfant. Et pourtant, il porte le charme d’un homme.
Thibault me sourit. Et dans ce sourire, charmant et plein de douceur, j’ai l’impression que tout est dit. Dans ce sourire, je lis que Thibault a passé un bon moment lui aussi, mais qu’il ne me demande rien de plus. Je sens qu’il ne regrette rien, parce que nous nous sommes juste faits du bien à un moment où nous en avions tous les deux besoin.
J’en ai la confirmation quelques minutes plus tard à la gare, lorsque le jeune pompier qui s’apprête à monter dans le train pour aller rejoindre son petit bout de chou à Toulouse, me serre une dernière fois dans ses bras pour me dire au revoir.
« J’ai passé un très bon moment, Nico » il me glisse.
« Moi aussi, un très bon moment ».
« Il faut pas regretter ce qui s’est passé cette nuit. Je sais que tu es toujours amoureux de Jé. Mais il n’y a pas de mal à se faire du bien. Nous en avions envie tous les deux. Et nous sommes assez grands pour l’assumer ».
« Tu as raison, je pense la même chose ».
« Je t’aime beaucoup, Nico ».
« Moi aussi, Thibault, je t’aime beaucoup », je lui réponds, comme une évidence, le ventre remué par mille émotions.
J’ai envie de l’embrasser. Même si je pense que ce ne serait pas une bonne idée. Mais le jeune rugbyman, quitte notre étreinte, et me lance, avec un sourire qui me fait fondre :
« Quand tu reviens sur Toulouse, passe me voir à l’appart ! ».
« Ce sera avec grand plaisir ! ».
Sa main qui enserre mon épaule, qui effleure mon oreille et qui caresse furtivement ma nuque ce sont les derniers contacts que j’ai avec le jeune papa avant qu’il ne monte dans le train pour aller retrouver le petit Lucas.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Mardi 24 décembre 2002.
Cet après-midi, je retrouve Thibault dans son nouvel appart à Jolimont. Il est situé dans une résidence flambante neuve, et plutôt chic.
« Je viens tout juste d’emménager » m’explique le beau demi de mêlée, tout en me faisant faire le tour du propriétaire.
La dernière pièce que nous visitons est la chambre du petit Lucas.
— Et alors, comment ça se passe pour la garde ? je le questionne.
— Je l’ai une semaine sur deux. Nathalie a été vraiment sympa, et très réglo. Tout s’est fait sereinement.
— Et c’est par trop dur avec les entraînements et les matches ?
— Si, si, ça l’est. La journée je suis obligé de le laisser à une nounou, et je ne le vois que le soir. Et les week-ends, je le laisse à Nath. Je peux aller le voir quand je veux, mais le temps me manque. Et en plus, je n’ai pas envie de débarquer chez elle trop souvent. Elle a le droit à son intimité. Elle a un nouveau mec. Et je ne veux pas qu’il croie qu’il y a toujours quelque chose entre Nath et moi.
— Au final, Lucas tu ne le vois pas si souvent que ça…
— Non. D’ailleurs, ça fait presque une semaine que je ne l’ai pas vu. Il me tarde d’être à demain, je le récupère chez Nathalie et je file chez mes parents. J’ai trop besoin de le revoir ! Il me rend si heureux, ce petit mec !
Thibault a l’air à la fois heureux de retrouver son petit bout de chou et triste de ne pas pouvoir le voir aussi souvent qu’il le voudrait. Il est touchant, attendrissant. Je le prends dans mes bras, et je le serre contre moi. La puissance de son torse me donne des frissons, le parfum léger qui se dégage de sa peau vrille mes neurones. Mais ce sont sa douceur et sa sensibilité qui me touchent le plus. Quel beau adorable petit mec que ce Thibault !
— Et sinon, dis-moi, tu vois toujours ton médecin ?
— Oui ! J’aimerais bien te le présenter un de ces quatre !
— Ah, ça j’aimerais bien aussi ! Et ça se passe comme tu le veux, entre vous ?
— Ça se passe très bien. Le peu de fois qu’il passe la nuit avec moi, je suis vraiment bien.
— Vous êtes ensemble alors…
— On va dire que c’est tout comme. Mais il ne me demande rien, et il ne veut rien me promettre non plus. Il n’est pas certain de rester sur Toulouse. Alors, on profite des bons moments ensemble sans penser au reste.
— Tant que ça te convient…
— Pour l’instant, ça me convient. De toute façon, lui il bosse la nuit en semaine, moi le jour et le week-end. Avec nos horaires en décalage on ne peut pas se voit assez pour être un vrai couple…
— Et toi ? Et Jé ? Tu ne m’as rien dit, il me questionne à son tour.
— Nous sommes encore séparés…
— Encore ?
— Oui. Je crois qu’il est amoureux d’un coéquipier…
— C’est le demi de mêlée, non ? Klein, c’est ça ?
— Comment tu sais ?
— J’ai regardé quelques matches. Et j’ai vu comment Jé le regarde…
— Ulysse est plus âgé. C’est de ça qu’il a besoin, d’un gars sur qui s’appuyer.
— Je comprends. Je crois que je vis un peu la même chose. Paul aussi est plus âgé. C’est un gars qui prend les choses en main, et quand je suis avec lui, tout me parait simple. J’ai l’impression de pouvoir me laisser aller, et qu’il sera là pour me rattraper si je trébuche. Je ne sais pas si je me fais comprendre…
— Tu te fais parfaitement comprendre. En fait, j’ai déjà ressenti cette sensation.
— Avec Jé ?
— Parfois, oui. A chaque fois qu’il revient vers moi, quand il me prend dans ses bras, j’ai l’impression que rien ne peut m’arriver.
— C’est exactement ça. Tu vois, avec Paul, je me sens bien. Sa maturité et son expérience m’impressionnent. Il a l’air tellement bien dans ses baskets, et ça c’est apaisant.
— Depuis que je te connais, je t’ai toujours trouvé très bien dans tes baskets…
— J’ai toujours été là pour mes potes, et pour Jé encore plus que les autres. Mais depuis que j’ai rencontré Paul, j’ai compris que j’avais besoin parfois d’avoir quelqu’un qui soit là pour moi. Je crois qu’on a tous besoin de ça, au fond.
Je réalise qu’on recherche tous la même chose, un repère, un appui, un centre de gravité permanente. Et que même un gars comme Thibault que je croyais fort et inébranlable a besoin un jour d’une épaule sur laquelle s’appuyer, des bras chauds dans lesquels se reposer, un Homme par qui se laisser porter. Comme Jérém avec Ulysse.
— Je suis content pour toi, Thibault. Paul a l’air vraiment super !
— Il l’est. Et en plus il me fait rire.
— Mais parle-moi un peu plus de toi, fait le beau pompier. Tu es donc célibataire ?
— J’ai rencontré un gars…
— C’est vrai?
— Je l’avais déjà rencontré cet été, après la dernière rupture avec Jérém. Mais je l’ai quitté quand Jérém m’a invité à Campan. Et je l’ai retrouvé il y a deux semaines.
— Et tu es bien avec lui ?
— Oui, mais je ne suis pas amoureux.
— Tu ne peux pas être amoureux de lui, parce que tu es toujours amoureux de Jérém.
La sonnerie de l’interphone retentit dans le séjour. Thibault décroche le combiné et le porte à l’oreille. Et le beau sourire qui s’affiche instantanément sur son visage me fait deviner qui est à l’autre bout du fil.
— Quand on parle du loup… il me glisse en raccrochant.
— C’est Paul, c’est ça ?
— Lui-même ! Il m’avait dit qu’il n’aurait pas le temps de passer, mais finalement il a pris le temps de venir faire un petit coucou avant de partir à Montauban.
Ses cheveux châtains négligemment ondulés ont l’air très doux, ses yeux verts donnent une intensité particulière à son regard. Le jeune médecin est vraiment un beau garçon. Du haut de son mètre 70 à peine, et de son physique pas vraiment musclé, il dégage une belle prestance, ainsi qu’une élégance sobre mais certaine. Et un côté intensément viril. Malgré le fait que Thibault soit autrement baraqué que lui, on voit de suite que Paul a une attitude profondément protectrice à son égard. Je le ressens dans ses mots, dans ses gestes, dans ses regards. Et je sens que Thibault est heureux d’avoir quelqu’un qui s’occupe de lui. Ça me fait plaisir de le voir heureux et épanoui, et je trouve émouvant de le voir délaisser son rôle de grand frère bienveillant que je lui ai toujours connu pour ce nouveau rôle qui dévoile son besoin d’affection, de tendresse, de protection. Qu’est-ce qu’ils sont beaux tous les deux !
Avec son regard profond, intense, sa voix calme et posée, Paul est vraiment un garçon charmant et charismatique. La différence d’âge lui confère à mes yeux – si j’en juge par les regards que Thibault lui porte – une aura particulière. J’ai l’impression de voir Jérém avec Ulysse, buvant ses mots, le regard empli d’une profonde admiration.
Comment reprocher à qui que ce soit de tomber sous le charme d’un gars pareil ? Comment ne pas se sentir violemment transportés vers un « Ulysse » ou un « Paul » ?
Paul est parti en posant un bisou plein de tendresse sur les lèvres du jeune rugbyman, alors que sa main glissait délicatement dans ses cheveux.
« Tu as l’air heureux avec lui, je lui glisse.
— Oui, très heureux. La seule chose qui m’inquiète, c’est son départ de Toulouse.
— Tu as une idée de quand ça va être ?
— Dans un an au plus. Il a postulé à Paris.
— Et il n’y a pas moyen qu’il reste sur Toulouse ?
— Pour l’instant, non. Il est brillant, et il a eu une proposition qu’il ne peut pas refuser.
— Il faut profiter du présent, alors.
— C’est ce qu’on essaie de faire. Et tu devrais faire la même chose. Vis ce que tu as à vivre. Je suis sûr que Jérém reviendra vers toi, parce qu’au fond de lui il sait que c’est toi qu’il aime.
— La vie est ainsi faite. Parfois il faut faire de grands détours pour arriver là où on en était destinés à nous rendre. Même si cet endroit est tout près de nous, même s’il est sous nos yeux. Il n’y a rien de mieux que la distance pour avoir envie de revenir. Moi je pense que vous êtes destinés à vous retrouver. Et que quand le moment viendra, il n’y aura pas d’obstacles insurmontables.
Je quitte l’ancien mécano le cœur remué par un mélange d’émotions. Une immense tendresse pour le jeune papa, touchant et amoureux. Je suis impressionné par le parcours accompli par Thibault depuis un an, jour pour jour ! Il y a un an, le jeune pompier se demandait s’il était prêt à assumer l’enfant qui allait arriver. Aussi, il culpabilisait par rapport au fait de ressentir des trucs pour les garçons. Parce qu’il ne voulait pas imposer à son enfant une vie avec des parents séparés, parce qu’il pensait qu’une vie d’homo épanoui était incompatible avec le fait d’avoir un enfant, mais aussi avec une carrière dans le rugby professionnel. Il y a un an, Thibault était au fond du trou après avoir frôlé la mort en portant secours après la catastrophe d’AZF. Il avait du mal à envisager d’aller vers les garçons parce qu’il n’arrivait toujours pas à arrêter de penser à Jérém, et il avait besoin de garder de la distance avec lui pour se protéger.
Le Thibault d’aujourd’hui a bien avancé. Le petit Lucas est arrivé dans sa vie et il l’a remplie de bonheur. Certes, je l’ai senti soucieux et frustré de ne pas pouvoir passer autant de temps avec lui qu’il le souhaiterait. Mais il fait des pieds et des mains pour y arriver. La séparation d’avec Nath s’est bien passée. Et cela n’est pas un obstacle dans le partage de la garde de Lucas, en tout cas bien moins que son emploi du temps de rugbyman.
Par ailleurs, sa carrière de rugbyman se porte à merveille. Aussi, il a su surmonter le blocage que ses sentiments pour Jérém lui avaient imposé pendant longtemps. Il a osé aller vers les garçons. Et il a rencontré Paul. Et qu’est-ce qu’il est beau et sensuel mon Thibault amoureux !
LT0112 Le livre de Thibault – Des retrouvailles en rafales.
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Soirée à Campan, octobre 2002, à l’occasion de l’anniversaire de ton pote Jéjé.
Jérém m’a dit que toutes les personnes qui comptent seraient présentes à cette soirée, alors ça me paraît normal que Thibault soit là. Je trouve juste étonnant qu’il n’ait pas pensé à me l’annoncer. Est-ce qu’il voulait m’en faire la surprise ?
Maxime et Thibault sont à leur tour chaleureusement accueillis par cette bande de joyeux lurons que les apéros à répétitions ont par ailleurs mis de fort bonne humeur.
Ça fait près de six mois que je n’ai pas vu le jeune pompier. Et je trouve qu’il y a eu du changement chez lui aussi. Une nouvelle façon d’arranger les cheveux, pour commencer, un peu plus longs et un peu plus en bataille, portés avec une certaine négligence mais néanmoins maîtrisée avec une touche de gel.
Aussi, je trouve une élégance inédite dans sa façon de s’habiller. Son blouson en cuir marron lui va comme un gant, et il met bien en valeur ses épaules qui me semblent encore plus solides qu’avant. Quant à sa belle chemise à carreaux de couleur rose, blanche et bleue, avec le col qui remonte bien le long de son cou puissant, elle est du meilleur effet. Deux boutons sont laissés ouverts, permettant au regard d’entrevoir la naissance de ses pecs, et quelques poils délicieux. Au gré de ses mouvements, un petit point blanc flotte tout en bas, le soupçon de l’arrondi d’un débardeur, je suppose.
Aussi, un petit brillant vient de faire son apparition dans le lobe de son oreille droite. J’ai toujours trouvé ce genre d’accessoire rudement sexy chez un beau garçon. C’est la marque, j’imagine, d’un garçon qui fait attention à son apparence et qui veut se faire remarquer. Et chez Thibault, chez qui je ne me serai pas attendu à trouver ce genre de goût, ça me fait encore plus d’effet.
Mais au final, le changement le plus marquant semble se situer ailleurs. Au-delà de ces petites évolutions dans son apparence, j’ai comme l’impression de déceler chez le stadiste toulousain comme une envie de se mettre un peu plus en valeur, comme un début de prise de conscience de son charme, de sa sexytude. Mais pas d’une façon criarde pour autant. Plutôt d’une façon discrète. Et pourtant, bien affirmée. Thibault devient un homme, et il commence à s’en rendre compte. Aussi, le savoir papa me fait toujours un drôle d’effet. Tout cela réuni le rend à mes yeux terriblement séduisant.
« Salut frérot ! » fait Jérém, en prenant Maxime dans ses bras et en lui claquant la bise.
Puis, il réserve le même accueil chaleureux à son pote Thibault. Les deux rugbymen se serrent très fort et longuement dans les bras. L’émotion est forte.
Qu’est-ce que tu es content, Jérémie, de revoir ton Thib ! Qu’est-ce que ça t’a manqué de sentir sa présence rassurante, et ce bien être que seul savait t’apporter son amitié ! Car, avec Thib, vous aviez cette complicité unique et si particulière de ceux qui ont grandi ensemble, qui ont tout partagé et qui se connaissent par cœur. Thib savait comme personne apprécier tes qualités et pardonner tes défauts, y compris celles et ceux dont tu ne soupçonnais même pas l’existence.
Ça fait près d’un an que tu ne l’as pas vu, mais tu as suivi son parcours au Stade Toulousain tout au long de la saison précédente. Tu as été heureux que ça se passe bien pour lui. Un peu jaloux, bien sûr, mais heureux pour lui.
Ce soir, tu le retrouves plus en forme que jamais. Et ça te fait tellement plaisir !
Tu t’en es beaucoup voulu pour ce qui s’est passé ce soir-là, sur son clic-clac. Et tu t’en es encore plus voulu d’être parti, de ne pas avoir assumé. Tu t’en es voulu parce que tu sais que tu l’as fait souffrir. Pendant un temps, tu as cru avoir fichu en l’air votre amitié. Puis, tu as commencé à espérer qu’il puisse te pardonner un jour. Et ce soir, dans ces retrouvailles, tu as envie de voir cette réconciliation que tu as appelée de toutes tes forces depuis plus d’un an.
Sinon… entre son nouveau brushing, sa belle chemise, son blouson en cuir – il a encore pris de la masse, non ? – qu’est-ce que tu le trouves beau, ton pote !
« Finalement t’as pu venir ! Je suis tellement content ! finit par lâcher Jérém, en posant les deux mains sur les épaules solides de son pote, l’air heureux et fébrile comme un gosse à Noël ».
« Moi aussi je suis content d’être là ».
« Alors, il va mieux le petit Garcia ? ».
« Beaucoup mieux depuis ce matin, merci. »
Ah, d’accord. Apparemment, Lucas était malade. En fait, si Jérém ne m’a pas parlé de la venue de Thibault, c’est qu’il n’était pas certain qu’il puisse venir.
[Ça fait près d’un an que tu n’as pas vu ton Jéjé, et qu’est-ce que ça te fait plaisir de le retrouver !
Pendant cette année, tu as souvent repensé au « bon vieux temps », à cette saison de votre vie où vous jouiez dans la même équipe de rugby à Toulouse. Tu as repensé aux entraînements, aux matches, aux troisièmes mi-temps, aux sorties entre potes, à la Bodega, au Shangay, au KL, vos repères de jeunes mecs célibataires. Mais, surtout, surtout, ce qui t’a le plus manqué, ce sont tous ces moments passés avec ton pote à partager ce qui fait qu’une amitié est une Amitié.
Après ce qui s’est passé ce soir-là sur ton clic-clac, tu as eu besoin de faire un point sur les sentiments que tu ressentais pour lui. Tu as eu besoin de prendre de la distance. Ça t’a pris un an pour que tout cela s’apaise peu à peu. Du moins, c’est ce que tu croyais.
Car lorsque ton pote t’a appelé pour t’inviter à cette soirée, tu as su que tu n’avais rien oublié. A l’approche de Campan, tu frémissais d’impatience. Tu appréhendais de le revoir. Dès que tu l’as aperçu, tu as su que tes sentiments n’avaient pas changé].
Maxime vient me dire bonjour et Thibault en fait de même dans la foulée.
« Eh, Nico, quel plaisir ! » il me lance en me prenant dans ses bras solides. Ce qui me donne l’occasion de découvrir qu’il a également changé de parfum, le petit coquet.
[Tu admets sans difficulté, Thibault, que Nico est l’autre garçon qui te fait de l’effet. Sa timidité, sa gentillesse, sa douceur t’ont touché depuis la première fois que tu l’as croisé. Et à côté de ça, tu as toujours trouvé qu’il dégageait une intense sensualité. Ce soir, tu ressens encore plus clairement ce que tu avais déjà pressenti lors de votre dernière rencontre, six mois auparavant. Tu as l’impression que Nico est en train de prendre de l’assurance, et tu trouves que ça lui va super bien].
« Je suis content que tu aies pu venir ! » je lui lance.
« J’aurais vraiment regretté de ne pas pouvoir être là ».
« Alors, il paraît que Lucas était malade ? ».
« Hier il avait beaucoup de fièvre. La nuit dernière on a été aux urgences. Mais cet après-midi il allait mieux ».
« Ah, ça me fait plaisir ! ».
« Et Nathalie va bien ? ».
« Elle est un peu débordée, mais ça va… ».
« Mais quelle belle surprise ! Ça fait longtemps qu’on t’a pas vu, Thibault ! » nous interrompt Jean Paul, impatient de dire bonjour au jeune Toulousain.
« C’est vrai, le temps passe vite », considère Thibault, tout en ôtant son blouson en cuir et en dévoilant toute l’élégance de sa belle chemise, ainsi que la perfection avec laquelle sa coupe redessine sa plastique de fou.
« A qui le dis-tu ! Au fait ! Félicitations pour ta saison au Stade Toulousain ! » fait Daniel « tu t’es débrouillé comme un chef la saison dernière ! Et ça a l’air de redémarrer plutôt fort cette année, non ? ».
« Je ne peux pas me plaindre… ».
« Je vais refaire une tournée d’apéros », annonce Daniel.
« Toi non plus tu ne bouges pas d’ici », il s’empresse d’ajouter « toi aussi tu vas avoir droit à un interrogatoire au sujet des coulisses du Stade ! ».
« Ça fait combien d’années que tu n’es pas venu nous voir ? le questionne Martine ».
« Depuis l’été 1999… ».
Ah, quand-même, ça fait plus de trois ans…
« On t’a quitté alors que tu n’étais encore qu’un jeune garçon et là on te retrouve devenu un homme ! » commente JP.
« Alors, ce soir on a deux choses à fêter », constate Daniel « le recrutement de Jérém au Stade à Paris et les exploits de Thibault pendant sa première saison au Stade Toulousain ! ».
« Mais Thib n’a pas que ça à fêter ! » lance Jérém.
« C’est-à-dire ? » fait Carine, curieuse.
Thibault sourit timidement et finit par lâcher :
« Je… je suis devenu… papa… ».
« Quoi ? » fait Martine.
« J’ai eu un petit gars, il y a six mois. Il s’appelle Lucas ».
« Mais c’est formidable ! » fait Satine.
« Tu dois être heureux ! » lâche Ginette.
« Je suis fou de ce petit gars ! » fait le jeune papa, tout en sortant une photo de son portefeuille et en la passant à cette dernière. La photo passe de main en main et les félicitations fusent.
« Un futur stadiste ! » s’exclame Daniel. Allez, fêtons ça !
« Maintenant je peux te le dire », fait Stéphanie, la fille de Charlène, à qui les apéros à répétition ont mis des couleurs sur les joues. « J’espère que tu ne vas pas mal le prendre… de toute façon, je m’en fous… j’ai toujours été amoureuse de toi ! »
Thibault sourit, visiblement mal à l’aise. Et pendant que tout le monde rigole de la sortie inattendue de Stéphanie, j’entends derrière moi une voix masculine glisser discrètement :
« Moi aussi je peux le dire maintenant, j’ai toujours été amoureux de lui. Si seulement il n’avait pas été hétéro… »
Je me retourne, et Fabien me lance un petit clin d’œil. Je crois que je suis le seul à avoir entendu ses mots, car je crois qu’il a voulu que je sois le seul à les entendre. Victor est loin, en train de discuter avec Martine et Nadine. Je lui lance un sourire complice pour lui faire comprendre que je suis complètement d’accord avec lui, que Thibault est un garçon dont on ne peut pas ne pas tomber amoureux. Je voudrais pouvoir lui dire qu’il se trompe, que Thibault n’est pas hétéro, et qu’ils auraient fait un joli couple tous les deux. Mais ce ne serait pas correct. D’abord, parce que Fabien a l’air d’être heureux avec Victor. Aussi, parce que c’est à Thibault de choisir quand, comment et avec qui faire son coming out.
Une nouvelle et dernière tournée d’apéro est servie. L’ambiance au relais est festive. Comme d’habitude, mais plus encore que d’habitude. Les deux rugbymen sont célébrés par les cavaliers avec un enthousiasme et une bienveillance certains. Comme il l’a souhaité, Jérém est entouré de tous les gens qui l’aiment et qu’il aime, ses amis, son Thib, son frérot Maxime. Et moi, d’après ce qu’il m’a dit. Et son bonheur est vraiment beau à voir.
A table, Thibault, Jérém et Maxime s’assoient côte à côte, dans cet ordre. Je m’installe juste en face. Je peux ainsi partager leurs conversations, assister à la complicité émouvante entre les deux frères, voir les deux potes heureux de retrouver leur amitié d’avant. Je suis tellement heureux pour eux.
Je sors mon appareil, et je les prends en photo. J’ai besoin d’immortaliser leur beauté, leur jeunesse, leurs rires, leur bonheur de cet instant.
En regardant cette photo tant d’années plus tard, je me dis qu’à cet instant précis, dans cette phase de leur vie, Jérém, Thibault, et Maxime étaient sur une trajectoire ascendante vers l’accomplissement de leurs mâlitudes. Est-ce qu’ils se rendaient compte à quel point chaque jour qui passait les rendait plus sexy ? Je me pose cette question car à ce moment-là je devais être moi aussi, dans une certaine mesure, dans cette trajectoire. Mais moi, je ne m’en rendais pas vraiment compte.
La potée est enfin servie et c’est un délice.
« Quand plus personne ne parle, c’est que la bouffe est bonne ! » fait JP, en soulignant la soudaine réduction de décibel concomitante au remplissage des assiettes.
« Un grand merci à Ginette et Eric ! ».
« MERCI GINETTE ET ERIC ! » fait la tablée tout entière, en cœur et en rires.
Jérém et Thibault discutent à bâtons rompus. Les deux potes sont si enthousiastes, si pleins d’énergie, si insolemment heureux, qu’ils finissent par attirer les regards.
« J’aimerais bien me souvenir ce que ça fait d’être si jeune, fait Daniel », l’air rêveur.
« On ne peut pas être et avoir été » déclame Martine.
« C’est certain. Mais quand on les regarde, avec toute leur vie devant eux, avec une belle carrière sportive en perspective, ça donne envie de remonter le temps » fait JP.
« Parce qu’on se dit qu’on n’en a pas assez profité quand on avait leur âge » abonde Daniel.
« Mais vous en avez bien profité ! » s’insurge Lola. « Notre génération en a bien profité ! Je vous rappelle que nous avons été jeunes dans les années ’60 et ’70, et à l’époque on s’éclatait vraiment ».
« C’est vrai, fait Charlène. A cette époque, il n’y avait pas de chômage, tout le monde avait de l’argent, et la croissance semblait ne jamais devoir s’arrêter ».
« Tu idéalises un peu, je crois », tempère JP.
« En plus, il y avait de la bonne musique, il y avait ABBA ! » continue Charlène sur sa lancée.
Gimme gimme gimme a man after midnight… entonne Daniel.
« On fumait à bloc, on baisait comme des lapins, et le SIDA n’existait pas ! ».
« Ah, ça c’est vrai. Mais on ne profite jamais assez de la vie. C’est pour cela que j’aimerais avoir à nouveau leur âge, ne serait-ce que pour un jour » insiste Daniel.
« Et tu ferais quoi si tu pouvais avoir à nouveau leur âge ? » le questionne JP sur un ton de défi.
« Je ferais la fête ».
« Je te reconnais bien, là ! » fait Lola, l’air faussement exaspérée.
« Mais pas que », il tempère, l’air plus sérieux. « J’aimerais ressentir à nouveau ce sentiment d’avoir toute la vie devant moi, et de ne pas en voir la fin. J’aimerais retrouver la sensation de pouvoir tout faire, sans que mes articulations me rappellent que je suis vieux. Je voudrais réapprendre à toujours regarder en avant, sans jamais me retourner. J’aimerais retrouver l’assurance, l’insouciance, l’inconscience de ma jeunesse. J’aimerais à nouveau me sentir libre, et immortel ».
« Hier ne reviendra plus », fait JP. « Ce qui compte, c’est aujourd’hui ».
« C’est vrai. Le fait est que plus on vieillit, plus on se met à réfléchir. Et quand on réfléchit trop, on n’a plus le temps d’être heureux », considère Satine.
« Sinon, vous comptez nous saper le moral pendant toute la soirée ? » lance Martine, les décibels à fond la caisse.
« Mais pas du tout ! » fait Daniel. Je vous donne mon mot de la fin : « TOURNEE GENERALE !!! ».
« Profitez bien les gars, profitez à fond ! » fait JP, en saisissant la bouteille de rouge et en servant copieusement les convives.
Le gâteau de Charlène, une tarte aux fruits et à la chantilly faite maison, atterrit sur la table sous les applaudissements des cavaliers.
Entre le gâteau et le café, je pense à ressortir mon appareil jetable. Je fais quelques photos de la tablée, j’essaie d’immortaliser les convives, les sourires, la bonne humeur de cette belle soirée.
Je crois que j’ai réussi. Car je retrouve le souvenir vibrant de ce bonheur, bien que voilé d’une grande nostalgie et d’une certaine tristesse, en regardant ces photos près de vingt ans plus tard, alors que le temps a emporté à tout jamais certains de ces visages et de ces sourires.
Martine m’attrape l’appareil des mains et me prend en photo avec Jérém et Thibault. Elle a toujours de très bonnes initiatives, cette nana.
La soirée se poursuit sur les notes de la guitare de Daniel accompagnant le cœur de cavaliers toujours égal à lui-même. C’est à dire tour à tour dissonant, charmant, entraînant, émouvant.
Vers minuit, la fin de soirée s’annonce. Daniel joue toujours de la guitare, mais plus personne ne chante, mis à part lui-même. Ça me fait penser à l’histoire des musiciens du Titanic qui continuaient de jouer alors que le paquebot était en train de couler.
La plupart des cavaliers sont en train de débarrasser la grande table, de ranger, de nettoyer. Thibault est en train de balayer et Jérém lui facilite la tâche en écartant les bancs sur son passage. Les deux potes font le ménage en équipe, tout en déconnant joyeusement.
Lorsque Daniel finit par arrêter de jouer, je sais que la soirée vit ses derniers instants. Les premières bises d’au revoir sont échangées. En quelques minutes, le relais se vide. Zut, alors, les bons moments passent si vite !
Jérém, Maxime, Thibault, Charlène et moi sommes les derniers à quitter les lieux.
« Maxime et Thibault, vous venez dormir à la maison », fait Charlène, en refermant derrière elle la porte du relais, ainsi que cette belle soirée.
« On avait prévu des sacs de couchage, fait Maxime ».
« N’importe quoi, vous serez mieux dans un lit, quand même ! ».
« C’est pas faux ! » admet Thibault.
« Ça m’a fait vraiment plaisir que tu aies pu venir, Thib », fait Jérém.
« J’aurais aimé avoir plus de temps ».
« Et… pourquoi tu ne viendrais pas à la maison ? rebondit Jérém sur un ton enjoué. On va se boire un dernier coup, fumer un pétard et discuter ».
« Euh… bah… je ne sais pas… ».
« On a un an à rattraper, et plein de choses à se raconter ! ».
« Tu pars à quelle heure demain matin, Maxime ? ».
« J’ai cours à 9 heures, je dois partir à 6h30 ».
« Tu passeras me chercher ? ».
« Pas de problème ».
« C’est d’accord, alors », fait Thibault.
« Tu peux pas prendre une demi-journée ? » revient à la charge mon bobrun. « Je remonte à Toulouse demain avec Nico, et tu pourrais faire le voyage avec nous. Hein, Nico, il pourrait faire le voyage avec nous ? ».
« Mais, oui, bien sûr ! ».
« Bah, alors, pourquoi pas ! Je dirai que ma voiture était en panne », sourit le jeune pompier.
« Maxime, ça t’embête pas de faire le voyage seul demain matin ? ».
« Pas du tout » fait le petit brun, adorable.
Thibault récupère son sac de couchage dans la voiture de Maxime et nous rentrons. Pendant les quelques minutes que dure le trajet entre le relais et la petite maison en pierre, les deux potes discutent de tout et de rien. Et pourtant, je sens que ces échanges à l’apparence anodins, et pourtant incessants, presque fébriles, sont l’expression d’un besoin irrépressible de continuer à « alimenter » cette complicité retrouvée. Comme si chacun des deux potes avait besoin de continuer de s’assurer de la stabilité de ce « pont de l’amitié » qui avait subi d’importants dégâts un an plus tôt et qui vient tout juste d’être remis en service. Je sens que ces mots ordinaires en remplacent d’autres plus difficiles à prononcer.
[Tu as observé ton pote Jéjé pendant toute la soirée. Et ce qui t’a le plus frappé, Thibault, c’est son changement d’attitude, d’état d’esprit. Tu l’as connu impulsif, à fleur de peau, inquiet, perdu, en colère contre la Terre entière, et surtout contre lui-même. Tu l’as connu tendu et agressif lorsqu’il refoulait sa véritable nature. Et là, tu le retrouves beaucoup plus serein, apaisé, bienveillant, en phase avec lui-même.
Tu réalises que ton pote a avancé dans sa vie. Tu ressens un pincement au cœur, tu te dis que tu aurais voulu être là pour assister à tous ces changements. Mais tu es heureux qu’ils se soient produits, que ton Jéjé se débrouille seul et que ça lui réussisse plutôt pas mal.
Ça te fait plaisir de voir que Nico fait toujours partie de sa vie, et qu’ils ont l’air heureux ensemble. Ça te fait plaisir de le voir avec Nico à Campan, de le voir cesser d’avoir honte. Tu as constaté que le regard amoureux de Nico sur Jéjé n’a pas changé. En revanche, ce qui a changé, c’est le regard de Jéjé sur Nico. Il n’y a pas de doute, ces deux-là s’aiment.
En fait, Jéjé avait tout simplement besoin de tomber amoureux. Il en avait besoin pour commencer à faire la paix avec lui-même, pour dompter ses démons, pour grandir].
Depuis le début de la soirée, je ne cesse de me répéter à quel point ça me fait plaisir que Thibault et Jérém se retrouvent enfin. En revanche, à l’approche de la petite maison en pierre, je me dis que je ne suis pas convaincu qu’inviter le jeune pompier à dormir à la petite maison soit une bonne idée.
La simple idée que Jérém et moi allons dormir dans le même lit, alors que Thibault va dormir dans un sac de couchage, me met mal à l’aise. Car ça me paraît indélicat comme situation. Je ne sais pas où en est Thibault de ses sentiments pour Jérém. Mais je ne veux pas lui balancer notre bonheur à la figure. Je ne sais pas si Jérém a pensé à tout ça en invitant Thibault à rentrer avec nous. Vu son état d’ivresse, il est possible qu’il n’ait pas évalué tous les pours et les contres.
A la petite maison, le feu est éteint, et seul quelques timides braises persistent dans la cheminée. Jérém s’empresse de rajouter du bois et de refaire une belle flambée. Puis, il attrape des bières et sort un joint de la poche de sa veste. Il l’allume, en tire une longue taffe et le passe à Thibault. Ce dernier tire dessus à son tour et me le tend. Je le saisis et je tire dessus aussi. La fumée me brûle la gorge, je ne trouve pas ça agréable du tout.
Au fil des taffes, les échanges entre les deux potes glissent vers l’évocation des souvenirs de Toulouse, de leurs potes, de leur enfance. C’est tellement émouvant d’assister à ça, à deux potes en train de rattraper le temps perdu après que leurs chemins se soient séparés pendant un temps.
Le joint vient de tirer sa révérence, lorsqu’un gros morceau de bois glisse dans la cheminée. Jérém se lève pour le ranger. Thibault, toujours aussi serviable, se lève à son tour. Le regard rivé sur le feu, mon bobrun sort mécaniquement le paquet de cigarettes dans sa poche et en attrape une. Il tend ensuite le paquet vers Thibault, qui décline la proposition. La clope dans une main, le briquet dans l’autre, Jérém demeure immobile, comme s’il n’avait en réalité pas envie de fumer et que la cigarette n’avait été qu’une tentative de partager quelque chose encore avec son pote.
Preuve en est qu’un instant plus tard, il la jette dans le feu et range le briquet dans sa poche.
« Qu’est-ce que tu fais, Jé ? demande le jeune pompier, le regard amusé.
Tu m’as manqué, Thib, fait Jérém, visiblement ému.
Toi aussi tu m’as manqué ! »
Les deux potes se prennent dans les bras, se serrent très fort l’un contre l’autre. Dans la pénombre, je sais que les deux garçons ont les larmes aux yeux. Et moi aussi.
Lorsque leur étreinte prend fin, Jérém ôte son blouson d’étudiant.
« Je crève de chaud ! »
Le t-shirt blanc propre qui a remplacé celui qui a fait les frais de notre petit jeu coquin de l’après-midi épouse sa plastique d’une façon scandaleusement sexy.
« Ooooh, s’exclame Thibault, visiblement impressionné par la façon dont le coton immaculé dévoile malicieusement ce qu’il est censé cacher, comment t’es bâtiiiii ! T’as de ces biceps, mon pote ! »
Ses biceps, son torse, son sourire t’ont toujours rendu fou de désir. Et force est de constater qu’il te fait toujours autant d’effet. Et plus encore.
« Toi aussi, t’as pris du muscle, je crois, fait Jérém, en tâtant le biceps du jeune papa par-dessus le blouson.
Je ne sais pas… fait Thibault, l’air un brin gêné.
Montre ! » enjoint Jérém, visiblement désinhibé par le tarpé et l’alcool.
Thibault semble hésiter, mais il finit par tomber son beau blouson en cuir.
« Allez, montre ! » insiste Jérém, visiblement pas satisfait.
Thibault s’attèle alors à l’ouverture de sa belle chemise à petits carreaux. Bouton après bouton, le débardeur blanc dont j’avais deviné la présence se dévoile dans toute sa splendeur, magnifiquement tendu sur ses épaules solides, sur ses pecs saillants, autour du V puissant de son torse. Dans l’arrondi du col, des jolis poils soulignent une intense mâlitude. Quant à ses biceps, ce sont deux œuvres d’art plastique. C’est beau à en pleurer !
Cette vision spectaculaire me rappelle instantanément l’attirance que j’ai ressentie lors de nos dernières rencontres à Toulouse. Je pourrais culpabiliser de ressentir autant d’attirance pour un autre garçon que celui que j’aime. Mais on ne peut pas être insensible à tant de beauté masculine, sauf en se mentant à soi-même. On peut se maîtriser, éviter la tentation, ne pas y céder. Mais il faudrait être de marbre pour ne pas être ému par un gars comme Thibault.
Ceci étant, je dois rester correct et vigilant dans mes regards. Je ne veux pas mettre Thibault mal à l’aise ni rendre Jérém jaloux. Nous nous sommes déjà disputés une fois à ce sujet, je ne veux surtout pas que ça recommence. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de repenser à la nuit à trois que nous avons passé ensemble un an plus tôt.
« Ah, ouais, ouais, je savais bien que ça avait bien changé de ce côté-là », fait Jérém en tâtant à nouveau les biceps de son pote enfin dénudés.
« Pas tant que ça… »
« Si, si, tant que ça ! », je confirme.
« Eh, sinon, ça fait longtemps que tu t’es percé l’oreille ? » enchaîne mon bobrun en portant le bout de ses doigts autour du petit bijou, en caressant le lobe auriculaire du jeune pompier.
« Quelques semaines… ».
Ah ouais… »
[Tes épaules solides semblent aimanter le regard et les doigts de ton Jé. Tout comme ce brillant à l’oreille semble l’exciter grave. Il semble vraiment attiré par toi. Tout comme Nico. Ça te fait rudement plaisir. Mais tu ne veux pas qu’il y ait un nouveau malaise. Tu ne veux pas à nouveau tout gâcher, maintenant que tu as enfin retrouvé tes deux potes. Et pourtant, tu ne peux t’empêcher de repenser à la nuit à trois que vous avez passée ensemble un an plus tôt. Et à celle que vous avez partagée tous les deux, avec Jérém, sur le clic clac de l’appart de la rue de la Colombette…].
« Ça ne me va pas, c’est ça ? ».
« Tu rigoles ? T’es bandant ! ».
« Tu parles ! ».
« C’est vrai », je confirme à nouveau.
« Merci… ».
Jérém s’allume une clope. Puis, il se rassoit contre la cheminée. Thibault en fait de même. Après avoir expiré une longue traînée de fumée, mon bobrun passe le bras derrière le cou de son pote et attire délicatement sa tête contre son épaule.
Les regards sont traînants, voluptueux, caressants. Les gestes sont lents. Ils traduisent la fatigue, l’ivresse, la désinhibition, la primauté, provisoire mais toute-puissante, des sens sur l’esprit.
L’ancien mécano prend une inspiration profonde, et passe à son tour son bras autour du cou de Jérém. Qu’est-ce qu’ils sont beaux, tous les deux !
Le bobrun pointe son regard de braise vers moi, il me vise droit dans les yeux et me lance :
« T’as pas chaud avec ton pull ? ».
« Si ! » j’admets, tout en m’en débarrassant.
« Viens là, Nico, viens avec nous. »
[Qu’est-ce qu’il te fait de l’effet, Thibault, le joli corps élancé de Nico ! Tu ressens pour lui une attirance très différente de celles que tu ressens pour Jéjé, mais pas moins intense.
A chaque fois que tu l’as revu, tu as repensé à cette fameuse nuit à trois. Au plaisir que tu as pris avec lui. Mais aussi, et surtout, à sa tendresse, à son besoin d’affection, au bonheur de le tenir dans tes bras].
Jérém m’invite à m’asseoir entre ses cuisses. Puis, il passe sa main sous mon t-shirt, il plaque sa paume chaude sur mon nombril et me colle contre son torse. Un instant plus tard, je sens son nez décrire des frottements légers à la base de ma nuque. Ce sont des petites caresses à la fois douces et sensuelles, et elles provoquent en moi une tempête de frissons. J’ai terriblement envie de l’embrasser, mais je suis toujours et encore gêné par la présence de Thibault. Je ne veux pas qu’il ait l’impression de tenir la chandelle.
Mais Jérém ne me facilite pas la tâche. Son nez s’aventure jusqu’à ma joue. Ses lèvres s’approchent dangereusement de la commissure des miennes. Je crois qu’il a lui aussi très envie de m’embrasser, mais que, comme moi, il se retient par respect pour Thibault.
Lorsque nos lèvres finissent par se frôler, Jérém a un brusque réflexe de recul.
« Eh, vous pouvez vous embrasser les gars, il n’y a pas de problème ! » fait Thibault.
Et qu’est-ce qu’il est beau le petit sourire, mi-gêné et mi-amusé, que Jérém lui envoie en retour !
Jérém m’embrasse enfin, doucement, longuement. Et lorsque nos lèvres se séparent, une surprise de taille m’attend. Elles atterrissent dare-dare sur celles de Thibault !
L’ancien mécano est pris au dépourvu, et il a l’air complétement perdu.
[Tu as passé un an à te dire que tu ne dois plus interférer avec leur histoire. Que tu dois rester correct avec ton pote Jéjé par respect de Nico, et avec Nico par respect de Jéjé.
Mais il suffit d’une certaine proximité, d’un peu d’intimité, d’un câlin, d’un baiser, et tout reflambe en toi ce soir. Et ce baiser fait voler en éclats toutes tes résolutions. Tu n’aurais pas dû accepter l’invitation de ton pote. Et pourtant, tu es heureux d’être là].
Mais Thibault finit par lâcher prise très vite. Les deux potes s’embrassent, et c’est très beau à voir, et très excitant.
Puis, c’est à mon tour de découvrir la douce sensualité des lèvres du stadiste toulousain, alors que Jérém pose d’incessants baisers dans mon cou. Pendant un long moment, le crépitement du feu se mélange aux doux claquements de nos baisers incessants.
Dans la petite maison au pied de la montagne, le crépitement du feu se mélange aux doux claquements de nos baisers incessants.
Je suis conscient que nous sommes tous les trois en train de nous engager dans une voie dangereuse. Car cet instant où tout est en train de basculer entre nous, me rappelle une autre nuit où tout a basculé. Et je me souviens des conséquences de cette fameuse nuit, de la gueule de bois qui nous attendait le matin suivant. Je ne veux surtout pas commettre les mêmes erreurs, notamment vis-à-vis de Thibault.
Et pourtant, je continue d’embrasser les deux potes, sans pouvoir m’arrêter. Je sens que nous allons très bientôt passer le point de non-retour. A moins que nous l’ayons déjà dépassé.
Jérém est le premier à se retirer de ce jeu délicieux. Thibault arrête à son tour de dispenser des bisous. Est-ce qu’ils regrettent déjà d’être allé trop loin ? Est-ce qu’ils se sont arrêtés juste à temps, avant que ce ne soit trop tard ? Est-ce que nos retrouvailles sensuelles vont s’arrêter là ?
Je me retrouve dans les bras de mon bobrun, et je me sens un peu con. Mais, très vite, il recommence à poser des bisous dans mon cou, et son souffle sur ma peau m’apporte de nouveaux frissons. Des frissons qui montent en puissance, et de façon exponentielle, lorsque je sens un autre souffle sur ma peau, d’autres lèvres, d’autres bisous, dans mon cou, sur ma joue, sur mon oreille.
Mon cœur s’emballe, et mon excitation avec.
Evidemment, je pense à Thibault, et je ne sais pas si c’est une bonne idée de remettre ça.
Et pourtant, je me laisse transporter par l’appel du bonheur qui semble s’annoncer.
Les bras de Jérém enlacent mon torse, ses mains défont lentement ma braguette. Je suis dans un état d’excitation extrême. Le bobrun sort ma queue raide de mon boxer et commence à la branler. La douce pluie de baisers dans mon cou vient de cesser. J’entends dans mon dos les clapotis de lèvres qui se rencontrent, qui se séparent, et qui se cherchent encore.
Je suis emporté par le plaisir que m’offre sa main, mais aussi par l’excitation de savoir les deux potes en train de s’embrasser. Je me laisse dériver dans ce bonheur.
Dans ma tête, mille envies – et mille et un scenarii pour les assouvir – se bousculent. Et lorsque je réalise que l’autre main de Jérém est en train de branler la queue de Thibault, je sens émerger en moi un fantasme fou qui fait grimper mon ivresse à des sommets vertigineux. Tout cela m’approche dangereusement de l’orgasme.
« Doucement, Jérém, je lâche, la voix cassée par l’émotion, en essayant de me retenir.
Allons sur le lit » fait le bobrun, la voix basse.
Puis, il se lève lentement, il traverse la petite pièce et se débarrasse de son t-shirt blanc. Dans la foulée, Thibault se libère de son débardeur. Les deux bas-reliefs sculptés que sont leurs torses respectifs, l’un comme l’autre délicieusement poilus, ne sont que deux variantes d’un bonheur viril divin. Jérém ouvre sa braguette, il envoie son jeans et son boxer dans le décor. Sa belle érection est une tentation gourmande. Thibault dévoile à son tour sa virilité au garde à vous, nouveau et irrésistible délice viril. Les deux potes s’installent côte à côte, s’embrassent fougueusement, se branlent mutuellement. C’est beau, et c’est furieusement excitant.
Je m’approche d’eux et je caresse, j’embrasse leurs plastiques incroyables – épaules, biceps, pecs – débordé de désirs, sans savoir où donner de la tête en premier. Je m’attarde sur leurs tétons saillants, je les fais frissonner. Jérém prend ma bouche et m’embrasse, tout en me branlant avec son autre main. La main de Thibault me caresse, m’attire vers lui. Le jeune pompier m’embrasse à son tour, alors que Jérém me branle toujours.
Je lance mes mains à la rencontre de leurs queues, à l’aveugle. Je les trouve sans effort. Je branle, les deux potes tout en les embrassant à tour de rôle. C’est terriblement bon.
Mes lèvres se dérobent aux baisers pour s’occuper de leurs queues. Ma bouche s’affaire, ma main joue les jokers, mes lèvres et ma langue ne pouvant hélas se prévaloir du bonheur de l’ubiquité.
Très vite, le fantasme qui m’a traversé l’esprit lorsque nous nous câlinions à côté de la cheminée revient me hanter. Il est fort, il est beau, il est extrêmement excitant. Et il est terriblement dangereux. Alors, bien que toutes mes fibres tirent sur mon esprit pour le pousser à lâcher prise, un dernier verrou en moi m’empêche de me lancer. Je n’ose pas. J’ai peur de remuer d’anciens malaises entre les deux potes fraîchement retrouvés, j’ai peur de tout gâcher. Je ne veux surtout pas ça.
Alors, je tente de le chasser, en me plongeant dans le plaisir présent. Dans la petite maison au pied de la montagne, je pompe longuement les deux potes à tour de rôle, je les fais frissonner à l’unisson, comme la première fois dans l’appart de la rue de la Colombette. Les deux rugbymen, quant à eux, s’évertuent à me caresser là où ma peau est la plus sensible, en particulier au niveau de ma nuque et de mes tétons.
Mais la montée d’excitation que cela provoque ne fait que raviver sans cesse le fantasme. Et alors que les deux potes ahanent de plaisir, pendant que chacune de mes mains les branle en parfaite synchronisation, je finis par leur lancer, le regard fixé sur leurs queues frémissantes :
« Montrez-moi ce qui s’est passé entre vous la dernière fois… »
Voilà, c’est sorti, d’un coup. Comme le jet de vapeur sort de la valve d’une cocotte-minute qui laisse s’échapper un trop plein de pression pour éviter l’explosion. Mais à l’instant même où ces mots sont sortis de ma bouche, je les ai regrettés. Le silence qui suit est lourd comme le plomb. Je sens mon cœur taper dans ma poitrine, dans ma gorge, dans ma tête. Je n’ose même pas les regarder.
« Enfin… si ça vous dit… » je tente de rattraper le coup.
Le silence se poursuit et mon malaise grandit encore. De toute façon, je ne peux plus faire marche arrière. Les mots, comme autant de dés jetés à leur destin. Inutile de cacher la main qui les a lancés. Alors, autant découvrir les faces qui sont sorties et en avoir le cœur net. Je décide d’affronter les regards des deux jeunes rugbymen. Je lève la tête, et je rencontre d’abord celui de Jérém. Il est un tantinet alcoolisé, fumé au tarpé, rempli de volupté et de lubricité, illuminé par un petit sourire canaille. Sa langue qui se glisse furtivement entre ses lèvres est d’un érotisme insoutenable.
Quant au regard de Thibault, il est moins fier, moins exubérant, moins assuré que celui de son pote. Malgré l’alcool et le joint, il a l’air un brin désorienté, déstabilisé par ma sortie. Il ne semble pas vraiment à l’aise. Visiblement, ce qui s’est passé entre Jérém et lui est toujours quelque chose de sensible dans son esprit. Je le savais, j’ai tout gâché. J’ai encore perdu une magnifique occasion de la fermer.
Jérém semble se rendre compté lui aussi du malaise de son pote. Il lui passe un bras sur l’épaule, lui caresse le cou avec sa main, doucement. Avec l’autre, il le branle à nouveau. Il lui fait des bisous dans le cou, et Thibault frissonne. Je croise le regard du jeune pompier. C’est un regard rempli à la fois d’ivresse sensuelle et d’incrédulité. Un regard dans lequel une petite étincelle aux nuances voluptueuses vient de s’allumer. Et de commencer à pétiller intensément.
« Cet été j’ai eu quelques aventures, mais n’ai pas pris de gros risques », je commence.
« Moi j’ai passé tout un tas d’analyses il y a un mois avant d’entrer au Stade et j’étais clean » explique Jérém.
« Moi j’ai pas eu d’aventure, alors j’imagine que je suis clean ! ».
Voilà ce qu’inconsciemment je m’attends à entendre Thibault dire. Au lieu de quoi, je l’entends nous glisser :
« Moi aussi je me suis toujours protégé. Et puis on nous fait faire des analyses tout le temps dans l’équipe ».
« Avec des nanas ? » le questionne Jérém sans détours, en ignorant sa dernière phrase.
« Non, pas de nanas… ».
Ah, ça c’est une nouvelle ! Thibault que j’avais laissé il y a six mois en plein doute, aurait finalement osé franchir le pas vers les garçons. Mais avec qui ? Dans quelles circonstances ? Je ne vois pas Thibault avoir des aventures. J’avoue que j’aimerais bien savoir…
C’est idiot, mais le fait de découvrir que ton pote Thib a eu des aventures te laisse interloqué, Jérémie. Tu te dis que c’est bien qu’il ait réussi à tourner la page des sentiments qui l’attiraient vers toi. Et pourtant, tu ressens au fond de toi un étrange mélange de sentiments, entre le soulagement et une déception qui ressemble bien à une forme de jalousie.
Puis, tout s’emballe.
Je regarde l’adorable Thibault en train de se faire plaisir en donnant du plaisir à son Jéjé. C’est beau d’assister à ces retrouvailles sensuelles qui viennent sceller les retrouvailles amicales entre les deux potes. Thibault se sent en confiance, et se laisse aller pleinement à ce bonheur, sans craintes, sans peurs, l’esprit libre. C’est magnifique.
Je m’installe à côté de Jérém et ce dernier m’embrasse illico, avec une animalité inédite. Et le fait de savoir d’où vient l’excitation qui provoque cette ardeur ne fait que décupler la mienne. J’ai envie de contribuer à leur plaisir. Alors, je lèche, je suce les tétons, je tâte, je caresse les épaules, les cous, les pecs, ceux de Jérém, ceux de Thibault. J’ai très envie de faire l’amour avec Jérém. Mais j’ai également très envie de toucher la nudité du jeune pompier, de goûter à sa virilité. Depuis le temps que nos désirs se frôlent sans oser se déclarer !
Si c’est déjà fabuleusement beau de voir Thibault sucer Jérém, c’est encore plus incroyable de voir le beau demi de mêlée s’offrir au bel ailier brun.
Jérém se laisse glisser en lui. Ses mouvements sont lents, doux. Il passe ses bras sous le torse de son pote et le serre très fort contre lui. Il pose des bisous dans son cou, intenses, fébriles. Son bassin produit de ondulations légères.
J’ai maintenant la réponse aux questionnements demeurés sans réponse depuis plus d’un an, depuis que Thibault m’avait parlé de ce qui s’était passé entre Jérém et lui, dans la cafétéria de l’hôpital de Purpan, alors que mon bobrun était dans un état grave suite à une bagarre. Je me doutais que ça s’était passé de cette façon, entre eux, lors de cette fameuse nuit.
Et si sur le coup la jalousie m’avait poignardé dans le dos sans pitié, voilà que très vite, l’idée que Jérém ait pu faire l’amour à Thibault m’avait parue non seulement très probable, mais aussi et surtout très excitante. Mais entre le fait d’imaginer la scène, et celui de savoir qu’elle s’est réellement produite, et encore plus la voir se répliquer sous mes propres yeux, le bonheur sensuel n’est pas du tout le même.
Jérém coulisse entre les fesses du jeune papa prenant appui tour à tour sur ses épaules, sur ses hanches, sur ses cuisses. C’est beau à se damner.
Je croise son regard, assommé de plaisir. Dans la fixité de ce regard, je vois qu’il kiffe que je le mate en train de prendre son pied avec un autre gars. Ça a toujours été le cas dans chacun de nos plans à trois, mais ça ne l’a jamais été aussi intensément qu’aujourd’hui. Parce que Thibault, c’est Thibault. Il l’est pour Jérém, et il l’est pour moi aussi. Thibault n’est pas un amant d’une nuit. Thibault est quelqu’un de spécial, pour lui, et pour moi. Je sais que Jérém ressent plus que de l’attirance pour Thibault et il sait qu’il en est de même pour moi. Ce n’est pas vraiment de l’amour, mais ce n’est pas que de l’amitié. C’est un sentiment complexe où se mêlent l’attirance, le désir, la bienveillance, la complicité, l’affection, l’intimité.
C’est tellement beau de voir deux si beaux garçons se faire du bien ! Et ce qui est sublime par-dessus tout, c’est cette harmonie des corps et des envies, ce plaisir partagé, sans domination, sans réticences, en parfaite bienveillance. Les deux potes sont en train de faire l’amour, il n’y a pas d’autre mot.
Je pourrais être jaloux, mais je ne le suis pas. Je me sens à l’aise. Je sais que ce bon moment que nous sommes en train de nous offrir est une expérience qui fera du bien à chacun, sans qu’il y ait de conséquences fâcheuses comme ça a été le cas la première fois.
Parce qu’il n’y a plus de non-dits entre nous, plus de faux semblants, plus d’inquiétudes. Parce que Thibault a pu exprimer ce qu’il ressent, et aller de l’avant. Parce que Jérém assume enfin sa sexualité. Parce que j’ai confiance en Jérém et Thibault. Et parce que je sais que si j’aime énormément Thibault, et qu’accessoirement il me fait sacrément envie, la place que Jérém occupe dans mon cœur, personne d’autre n’est près de la prendre.
Je caresse sans discontinuer les deux rugbymen emboîtés pour le plaisir, tout en regardant Jérém glisser inexorablement dans la pente qui va l’amener à celui qui promet d’être un très bel orgasme.
Je suis aimanté par cette chaînette qui oscille lentement au gré de ses va-et-vient, miroir des foulées du dernier galop vers l’orgasme. Je suis assommé par la façon dont leurs regards sont verrouillés l’un sur l’autre, par les étincelles qui se dégagent de ce contact.
J’ai envie d’apporter une dernière touche à ce tableau de maître. Je me glisse derrière Jérém, je passe mes bras de part et d’autre de son torse, je caresse ses tétons. Je le sens frissonner intensément.
Mais cela ne dure pas longtemps. Jérém arrête à nouveau ses coups de reins, et me lance sèchement :
« Arrête, Nico !…S’il te plaît… » il se corrige, sur un ton plus doux.
Je retire mes mains et je le regarde. Je le vois fermer ses yeux, expirer lentement et bruyamment. Je sais ce que cela signifie, je sais ce que cela annonce.
« Ça va ? » le questionne Thibault à voix basse.
« Oh, oui ! » fait le beau brun, en s’essuyant le front avec le revers de la main. « Mais si je continue…Je vais jouir… » il lâche, après un court instant d’hésitation, tout en nous regardant, à tour de rôle, Thibault et moi.
Jérém me regarde, et Thibaut aussi, comme si l’un et l’autre cherchaient la même chose dans mon regard, mon aval à l’accomplissement de ce bon câlin entre potes. Je suis touché par leur attitude. Mais bien évidemment, je ne pourrais jamais les priver de cela, je ne pourrais jamais empêcher ce fabuleux feu d’artifice de se produire. J’amorce un léger sourire et je leur fais un signe de la tête pour leur montrer que tout va bien pour moi. Et pour préciser encore ma pensée, je finis par lâcher :
« Faites-vous plaisir, les gars ! ».
« Fais toi plaisir, Jé… » j’entends l’ancien mécano glisser à son pote.
Voir sa belle petite gueule traversée par le frisson ultime, voir tout son être secoué par l’onde de choc de l’orgasme, voilà qui est toujours un spectacle magnifique, même lorsque sa jouissance ne vient pas de moi, ni en moi. Et savoir qu’il est en train de jouir entre les fesses de son meilleur pote, ce pote qui en même temps caresse fébrilement ses tétons pour décupler son plaisir, c’est une expérience incroyable et magique.
Jérém s’affale sur son pote, le visage enfoui dans le creux de son épaule. Thibault glisse ses bras puissants autour de son torse et le serre très fort contre lui. Il enfonce ses doigts dans ses cheveux bruns, l’embrasse dans le cou, fébrilement.
Les deux potes demeurent ainsi, emboîtés et enlacés, pendant un petit moment. Lorsque Jérém se relève, il embrasse le jeune stadiste toulousain. Puis, sans se retirer de lui, il se met à le branler.
Je trouve cela à la fois beau et frustrant. Terriblement frustrant. Intolérablement frustrant. Mille envies se bousculent dans ma tête, mille façons de prendre et de dispenser le plaisir dont cette main va se charger et, de ce fait, me priver. Même si ça part d’un bon sentiment de la part de Jérém, celui de renvoyer l’ascenseur à celui qui lui a tant offert de plaisir, je ne peux pas laisser faire ça.
« Attends ! » je m’entends lui lancer.
Jérém stoppe ses caresses, et me regarde.
« Attends, je répète. Laisse-moi faire » je précise.
Jérém se retire de son pote. Il m’embrasse, il passe une main sur mon épaule, et me sourit. Je sais qu’il a compris ce dont j’ai envie. Et je sais que l’idée lui plaît bien. Ah, putain, qu’est-ce que beau de sentir cette parfaite complicité entre nous trois, cette nuit !
Un instant plus tard, je me glisse entre les cuisses musclées du beau demi de mêlée, et je retrouve avec bonheur le beau gabarit et la douceur de son bel engin. Je le pompe lentement, très lentement. Mais, assez vite, ma bouche dérive. Ma main prend le relais, l’enserre bien au chaud, la caresse très doucement. J’ai envie de faire retomber son envie pressante de jouir à son tour. Je descends lécher ses boules bien rebondies, bien pleines. Et je descends encore, encore, encore. L’excitation a raison de mes réticences les unes après les autres. Ma bouche est irrépressiblement attirée par sa rondelle, par ce trou dans lequel mon Jérém vient de jouir longuement. En glissant ma langue entre les fesses de Thibault, je rencontre le ravissement de faire vibrer le jeune stadiste toulousain d’une façon inattendue, de sentir toutes les fibres de son corps se tendre, et ses poumons lâcher de longs et sonores souffles de bonheur. Mais aussi celui de retrouver l’odeur prégnante et le goût intense du jus de Jérém. Je me plonge avec délectation dans ce bonheur olfactif et gustatif, comme assommé par une drogue puissante.
Je bande comme un âne, j’ai envie de faire l’amour. Le premier garçon avec qui je vais faire l’amour cette nuit, ce sera Thibault. Oui, depuis le temps que nos désirs se frôlent sans oser se concrétiser, ça fait un bien fou de pouvoir se laisser aller enfin. C’est ce à quoi je pense en me mettant à cheval sur Thibault, en me laissant glisser sur son manche raide, lorsque je me laisse envahir par sa virilité.
Je monte et je descends lentement, tout en prenant appui avec mes mains à l’arrière pour seconder mon effort. Thibault semble bien apprécier. Et, en même temps, il a toujours autant envie de me faire plaisir. Il ne cesse de caresser mes tétons, et son doigté est toujours si magistral. Je regarde Jérém en train de fumer à côté de la cheminée. Il nous mate fixement, tout en se caressant. Il n’a pas débandé d’un iota depuis qu’il s’est retiré de son pote.
Puis, à un moment, mon bel amant veut changer de position. Je me laisse faire, et je me retrouve sur le dos, divinement tringlé par ce jeune mâle puissant. Sa beauté est aveuglante, sa virilité débordante. Thibault est un merveilleux amant, à la fois puissant, doux et inventif. Sa façon de chercher sans cesse le contact avec mon corps, que ce soit avec ses mains, ou bien en s’allongeant sur moi et en me couvrant de bisous, sa façon de me caresser tout en me faisant sentir bien à lui, ses attitudes à la fois bien viriles et extrêmement douces donnent une intensité particulière à ces instants de partage de plaisir.
Ça me brûle de rendre hommage à cette beauté, à cette virilité. Ça me brûle de lui montrer à quel point le plaisir qu’il m’offre est intense. Je caresse, j’agace ses tétons, je seconde les va-et-vient de ses coups de reins, je veux le rendre fou. Mais ce sont ses biceps qui aimantent mes doigts. Ils sont tellement puissants, ces biceps. Je ne peux me résoudre à les quitter.
Thibault prend son pied, j’en tiens pour preuve la montée en puissance de ses ahanements. Quant à Jérém, toujours assis à côté de la cheminée en train de fumer et de se branler, tous pecs, abdos, tatouages, peau mate dehors, sa chaînette de mec brillant au reflet des flammes, il est vraiment bandant.
J’ai envie de faire l’amour avec Thibault, mais j’ai tout autant envie de faire jouir mon beau brun. Quand je le vois en train d’astiquer son manche, je me dis qu’il va peut-être se faire jouir tout seul. Il en serait capable, le coquin, comme cet après-midi en voiture au retour du Pont d’Espagne ! Et ce serait vraiment un beau gâchis !
Je voudrais tellement lui offrir du plaisir en même temps que j’en offre à son pote ! J’ai envie de lui dire de nous rejoindre, mais je ne le fais pas. Au fond de moi je me dis que je suis déjà en train de lui offrir du plaisir, en réalisant son fantasme de me regarder en train de faire l’amour avec son pote. Et mon bonheur sensuel se trouve décuplé par son regard insistant et concupiscent.
Mais le bobrun a une autre idée en tête. Après avoir jeté sa cigarette dans le feu, et alors que son pote continue de me pilonner, il vient présenter sa queue devant mon nez. C’est exactement à ça que je pensais. L’odeur intense de sa jouissance récente me rend dingue.
Je laisse son manche raide se glisser entre mes lèvres et coulisser lentement entre celles-ci. Et je laisse les deux potes aller au bout de cette envie qu’ils avaient ressentie la première fois que nous avions couché ensemble, la première fois où je m’étais retrouvé dans cette position, dans cette configuration, envahi par leurs deux virilités bouillonnantes. Je les regarde se pencher l’un vers l’autre, je vois leurs visages s’approcher, leurs lèvres se rencontrer. Je les regarde s’embrasser. Je regarde Jérém agacer les tétons de Thibault. C’est terriblement excitant. D’autant plus que ce dernier s’étant pas mal penché vers son pote, ses abdos frôlent régulièrement et dangereusement mon frein.
Puis, une nouvelle fois, cette mécanique du plaisir s’arrête d’un coup. Thibault, en nage, la respiration bruyante, finit par lâcher :
« Je vais pas tarder à venir… » il nous prévient, il nous regarde, Jérém et moi. Je peux encore sortir, « si tu veux » il enchaîne.
Pour toute réponse, Jérém recommence à caresser ses tétons. Thibault accuse ce nouveau contact par d’intenses frissons. J’interprète ce nouveau contact comme un aval, un encouragement tacite.
« Fais-toi plaisir » je lui glisse alors.
Le jeune pompier y va avec une nouvelle fougue, celle qui n’a plus d’entraves, lancé à toute vitesse vers une jouissance désormais très proche. Et, très vite, il perd pied.
Je me délecte de sa façon d’appréhender l’onde de choc de l’orgasme, avec de longs soupirs, le corps traversé par des spasmes répétés. Ah, putain, qu’est-ce que c’est beau de voir le jeune papa vibrer de plaisir en jouissant en moi !
Thibault me branle pour me finir. Je sais que je ne vais pas tarder à venir. Et pile au moment où je sens mon excitation s’envoler vers des sommets extrêmes, j’entends Jérém souffler, tout en posant sa main sur l’épaule moite de Thibault :
« Attends ! ».
Je suis terriblement frustré, car j’étais vraiment à deux doigts de jouir. Mais en même temps, je crois savoir ce que Jérém a en tête, et rien ne pourrait me rendre plus heureux à cet instant que la manifestation de cette envie soudaine. Ainsi, je me réjouis d’être encore en pleine excitation pour pouvoir l’apprécier pleinement.
Jérém vient en moi, il glisse en moi comme dans du beurre, il trempe sa queue dans le jus que son pote vient de lâcher en moi. Il me remue avec ses gros bras, et il me pilonne avec une ardeur intense. Ses va-et-vient ont quelque chose de sauvage, d’animal. Quant aux ondulations de son torse, ça me donne le tournis tellement c’est beau et sensuel. Je suis happé par les ondulations de sa chaînette, les mêmes que j’avais observées un peu plus tôt, alors qu’il était en train de limer son pote. Ça me rend dingue. Je caresse et j’agace ses tétons, je veux le rendre dingue, lui aussi. Mais, là aussi, ce sont ses biceps qui aimantent mes doigts, tout comme ceux de Thibault. Ils sont tellement puissants, ces biceps. Comme ceux de Thibault.
Et c’est une magnifique perspective de biceps, de pecs, d’épaules solides, de proximité sensuelle entre potes qui se présente à mon regard lorsque Thibault vient se placer derrière mon beau brun, lorsqu’il glisse ses mains sous ses aisselles pour atteindre ses tétons. Jérém sursaute de plaisir. Quelques coups de reins encore, et il mélange son jus à celui de son pote, en moi.
La tempête des sens passée, le bobrun s’allonge sur moi. Il m’embrasse, tout en continuant d’envoyer de petits coups de reins, qui ont pour effet de provoquer de petits frottements de ses abdos contre mon frein. Un contact bien suffisant, dans l’état d’excitation qui est le mien à cet instant précis, pour me faire lâcher de nombreuses giclées sur nos abdos.
Le jus de deux magnifiques rugbymen en moi, l’écho de leurs assauts virils, de la vibration de leurs orgasmes – et du mien, particulièrement intense – retentissant toujours dans ma chair, je récupère pendant quelques instants.
Les deux potes se rejoignent au pied de la cheminée. Jérém fume une clope, Thibault avale quelques gorgées de bière. Je les rejoins, je me glisse entre eux. Installé entre les deux superbes jeunes mâles, entouré par leurs muscles, par leurs virilités, je suis très vite enivré par les parfums de déo et de gel douche qui se dégagent de leurs corps. Mais également par d’autres petites odeurs plus naturelles, plus masculines, et tout aussi délicieuses. Celles de leurs transpirations, et celles de leur jouissance.
Entouré par tant de mâlitude, je ne peux résister au besoin profond de chercher un contact encore plus étroit. Je passe mes bras autour de leurs épaules puissantes, je pose mes mains sur leurs biceps. Ils sont tellement rebondis que je ne peux les enserrer, je peux juste les tâter. Et ça me rend dingue. Vraiment, les biceps, c’est probablement le détail de l’anatomie masculine qui me fait le plus d’effet.
Nous échangeons des bisous, des caresses, nous laissons nos mains et nos lèvres se promener au gré de leurs envies. Nous les laissons nous faire du bien. Nous nous autorisons à nous faire du bien, à volonté, sans nous prendre la tête.
Tous les trois nus devant la cheminée, nous partageons des discussions diverses, des rires complices. Je suis tellement heureux que notre belle entente demeure intacte après ce qui vient de se passer. Je pense qu’elle le demeure justement parce que ce n’était pas que du sexe. C’était de l’amour, de l’amour que nous avons partagé à trois, sans peurs, sans craintes, en toute confiance.
Bien évidemment, je ne peux m’empêcher de comparer cette nuit avec celle que nous avions passée ensemble l’an dernier dans l’appart de la rue de la Colombette. Cette nuit, plus de jalousie, plus d’égo mal placé de la part de Jérém, plus de brutalité. Plus besoin de montrer à Thibault que je n’étais qu’un plan cul parmi d’autres. Cette nuit, Jérém ne cache plus ses sentiments pour moi.
Cette nuit me fait aussi penser à celle que nous avons partagée avec Jonas il y a quelques mois. Elle lui ressemble, mais elle a quelque chose en plus. Et ce plus, c’est le fait que cet adorable Thib, nous l’aimons vraiment beaucoup, Jérém et moi. Jérém n’a pas caché son désir et ses sentiments à son égard, tout comme il ne m’a pas empêché de montrer les miens, sans pour autant se montrer jaloux.
Nous vivons une nuit de plaisir et de tendresse, une nuit de désirs assumés et de confiance. Et c’est ça qui en a fait, jusqu’à cet instant, toute la beauté. Mais ce que j’ignore encore, c’est que cette nuit va être également une nuit de confidences.
« Alors, t’a couché avec des gars ? » j’entends Jérém demander à Thibault.
De toute évidence, cette « bombe » lâchée par Thibault juste avant notre câlin l’intrigue autant qu’elle m’intrigue. Mais à la différence de moi, Jérém ose demander, et sans y aller par quatre chemins.
« Oui… deux gars, en fait ».
« Et tu les as levés dans les bars ? ».
« La première fois c’était dans ta rue… ».
« A la Ciguë ? ».
« Oui, c’est ça ».
« Un plan cul ? ».
« On va dire… ».
« Et l’autre ? ».
« Tu vas rire… c’est un gars que j’ai croisé en pédiatrie. C’est un médecin ».
« Plan cul aussi ? ».
« Non, avec lui c’était autre chose. Ce gars est très sympa… ».
« Vous vous êtes revus ? »
« Quelques fois… »
« Il s’appelle comment ? »
« Paul. »
« Et il a quel âge ? »
« 29. »
« C’est sérieux entre vous ? »
« D’une certaine façon, oui. »
« Vous allez vous revoir ? »
« C’est pas simple, parce qu’il travaille beaucoup. Et moi, entre le rugby et Lucas, je n’ai pas vraiment le temps non plus. Mais on essaie. On ne s’est rien promis, on profite à fond du temps que nous passons ensemble. »
« Fais gaffe quand même… »
« Faire gaffe à quoi ? »
« Si on vous voit ensemble, les rumeurs peuvent vite circuler… »
« On n’a pas écrit « pédé » sur le front ! se marre le demi de mêlée. »
« Oui, mais les gens bavent, et ça peut vite foutre le bordel. Je le dis pour toi, Thib, je ne veux pas que tu aies des emmerdes. »
« Oui, Papa ! »
« Quand as-tu su que tu aimais les mecs ? » enchaîne Jérém, le regard dans le vide, après avoir posée sa bouteille de bière désormais vide sur le plan de la cheminée.
« Je pense que je l’ai su en même temps que toi. Je ne sais pas si tu t’en souviens de cette nuit. On avait 13 ans, on était dans une tente, en camping… »
« Avec tes parents, à Gruissan », complète Jérém.
« Je croyais que tu avais oublié tout ça. »
« Comment veux-tu que j’aie oublié ? »
« Nous n’en avons jamais reparlé. »
« Je sais… »
« Cette nuit-là, j’ai su que j’avais envie de toi. Mais aussi que j’étais amoureux de toi. »
« C’est pour ça que j’ai fait comme s’il ne s’était rien passé. Déjà, je n’assumais pas d’avoir pris mon pied avec un autre mec. Et en plus, c’était avec toi. Et en plus tu avais des sentiments. Ça m’a fait peur. Je ne voulais pas être « pédé ». Je ne voulais pas gâcher notre amitié. »
« Moi non plus je ne voulais pas mettre notre amitié en danger. Et comme tu n’en as jamais reparlé, j’ai fait comme toi, j’ai fait comme si ça ne s’était jamais passé. J’ai mis ça sur le compte des bières de cette nuit-là. Mais en vrai, je n’ai jamais arrêté d’y penser. »
« Même quand nous avons commencé à coucher avec les nanas ? »
« C’est surtout toi qui couchais avec des nanas. Et pendant un temps, je me suis dit que ce qui s’était passé entre nous ce n’était qu’une bêtise, et que tu étais vraiment hétéro. J’ai essayé de me convaincre que je l’étais aussi. »
« Si j’ai couché avec autant de nanas, c’était pour essayer d’oublier que certains gars me faisaient de l’effet, et toi en premier. J’avais honte d’être comme ça. »
« Cette nuit n’a jamais cessé de me hanter. Et encore plus, quand j’ai su pour toi… »
« Et tu as su quand, au juste ? «
« Tu te souviens, il y a deux ans, quand nous sommes partis à Gruissan pour fêter ton permis ? »
« Oui, très bien… «
« Une nuit, je t’ai vu avec ce gars dans le chalet… »
« Ah ! Mais tu ne m’en as jamais parlé ! »
« Et ça aurait servi à quoi ? A part te mettre en rogne et à foutre le bordel entre nous ? Nos potes n’auraient pas compris qu’on se fâche pendant les vacances. »
« Alors t’as gardé ça pour toi, mon Thib… »
« Oui… »
« C’était ma première fois, admet Jérém. »
« Je m’en doutais. »
« Ça a dû être dur pour toi d’assister à ça, alors que tu étais à fond sur moi. »
« Ça l’a été, oui. »
« J’aurais dû être plus discret. »
« Tu as fait ce que tu as pu », considère Thibault, tout en passant doucement les doigts dans les cheveux de son pote.
« Et puis Nico est arrivé », poursuit l’adorable pompier.
« Et puis Nico est arrivé », oui, confirme Jérém.
« Il a bien foutu le bordel, ce petit Nico », il enchaîne, tout en posant un bisou sur ma joue et passant sa main dans mon dos.
« Plains-toi ! » je le cherche.
« J’étais vraiment content pour vous », fait Thibault. « Mais pour moi, ça a été encore plus dur. Parce qu’avec Nico, c’était diffèrent, hein ? »
« Oui, c’est vrai », finit par admettre mon bobrun. « Très différent ».
« Je l’ai su dès la première fois où je vous ai vus ensemble » conclut le jeune pompier.
En réalité, je n’apprends pas grand-chose au sujet de la vie sexuelle et sentimentale de Jérém avant que nous devenions « Jérém et Nico », car je suis au courant de la plupart de ces événements par la bouche de Jérém lui-même. Il n’empêche que cette évocation pique un peu dans mes oreilles et dans ma tête. C’est idiot d’être jaloux du passé, mais je ne peux pas m’en empêcher. Mais dans ces souvenirs-confessions entre potes, je découvre également le vécu de Thibault, et c’est beau et émouvant. Et je redécouvre également la place particulière que j’ai dans le cœur et la vie de Jérém.
« Parce qu’avec Nico, c’était diffèrent ». Thibault l’avait remarqué. Jérém l’a confirmé. Et ça me touche immensément. Et ma jalousie s’évapore au soleil rayonnant de ce moment de bonheur.
« Pourtant, j’ai tout fait pour te faire penser le contraire, fait Jérém, jusqu’à t’entraîner à coucher avec nous pour te montrer que ce n’était qu’un plan cul ! »
« Je pense que c’est surtout à toi que tu voulais montrer ça. »
« Certainement… »
« Cette nuit-là j’ai vu avec mes propres yeux que Nico avait pris la place que je n’aurais jamais dans ta vie. Il me fallait cet électrochoc pour m’aider à tourner la page. »
« Après mon expulsion, je n’aurais pas dû venir m’installer chez toi. »
« Et pourquoi pas ? »
« Si je n’étais pas venu, ça aurait été plus simple pour toi. »
« T’étais en galère, je n’allais pas rester les bras croisés sans rien faire ! »
« T’es un véritable pote, Thib ! Je suis vraiment désolé pour ce qui s’est passé. Et je m’en veux surtout d’être parti comme un voleur, comme un con. »
« Tu n’as pas à être désolé pour ce qui s’est passé, j’en avais autant envie que toi. Je savais que c’était probablement la seule fois que ça arriverait. Je savais que tu étais amoureux de Nico et que vous vous retrouveriez. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est que tu te barres après, comme si tu étais dégouté par ce qui venait de se passer entre nous. »
« Mais non, mais non, je n’étais pas dégouté. C’est juste que je n’ai pas assumé. Je savais que tu étais toujours à fond sur moi, et j’avais tellement peur que tu penses que j’avais profité de toi. J’avais peur de t’avoir fait du mal et que tu ne me le pardonnes jamais. »
« Je crois que ce qui s’est passé était une façon de nous dire au revoir, considère Thibault. Après cette nuit, j’ai su que j’avais vraiment besoin de prendre de la distance pendant un certain temps. »
« Mais après ton départ de mon appart, il continue, j’étais inquiet de te savoir seul avec ton mal-être, et de ne plus rien pouvoir faire pour t’aider. J’ai demandé à Nico de veiller sur toi. Quand j’ai su pour ton accident, j’ai cru que j’allais crever, tellement j’avais mal. »
« Tu es vraiment incroyable, Thib. »
« Et maintenant, je crois que je suis prêt à renouer avec notre amitié et à te voir aimer Nico, explique le jeune pompier. J’ai avancé dans ma vie, et la vie m’a même devancé. Je ne m’attendais pas à être papa, et surtout pas si tôt. Ça a changé pas mal de choses dans ma tête. »
« Tu n’es plus amoureux de moi ? fait Jérém, avec un sourire béat. »
« Je t’aimerais toujours, Mr Tommasi, toujours. Mais je sais que ce ne sera pas toi mon prince charmant. Tu seras toujours quelqu’un de très spécial pour moi. Parce que tu es mon meilleur pote. Et tu le resteras toujours, quoi qu’il arrive. Et aussi parce que tu as été le premier gars dont je suis tombé amoureux. »
« Moi aussi, je t’aimerai toujours, Thib ! »
Les deux potes se prennent dans les bras et se serrent très fort l’un contre l’autre.
« Si on m’avait dit, il y a encore un an, que nous aurions ce genre de conversation, considère Jérém, et que nous finirions tous les deux pédés, je me serais énervé. Trèèèèèèèèèèès énervé, même ! »
« Il faut un temps pour tout. Un temps pour savoir qui on est. Un temps pour assumer qui on est. Un temps pour apprivoiser les obstacles et la pression. Un autre encore pour nous pardonner du fait de ne pas être ceux que nous voudrions être. Et un dernier, le plus important de tous, pour nous dire que nous sommes très bien tels que nous sommes. »
« Ta sagesse m’a toujours sonné » fait Jérém, visiblement admiratif.
Ce que vient de dire Thibault est vraiment beau. Mais une note dissonante vient aussitôt se glisser dans la parfaite symphonie de ces mots.
« T’imagine ce qui se passerait si nos coéquipiers, nos staffs ou nos supporters nous entendaient discuter en ce moment ? lâche Jérém, le regard perdu quelque part dans le feu de la cheminée. Ou pire, s’ils savaient ce qu’on vient de faire ? Ce serait fini pour nous. On serait morts ! »
« Il ne faut pas penser à ça ! » réagit Thibault.
« On se fait du bien et on ne fait de mal à personne », j’abonde dans son sens.
« Exactement ! » s’exclame le jeune stadiste toulousain, « et ça ne regarde que nous. »
« Mais si ça se savait… insiste Jérém. Je n’arrête pas d’y penser et ça me mine. »
« Je pense que tu te fais du mal pour rien, Jérém. »
« Ne me dis pas que ça ne te fait rien quand tu entends « pédé » quand quelqu’un rate un passage, une réception, un essai, un point, ou je ne sais quoi d’autre ! Dans les vestiaires, les gars n’ont que ce mot à la bouche ! »
« Si, et ça me casse les couilles ! Parce que ce mot assimile les gars comme nous à une idée négative, à la faiblesse, à l’incapacité. Comme si être gay c’était être nul. Ça s’appelle de l’homophobie. Et cette homophobie banalisée est une violence infligée à tous les gars comme nous. »
« Pour avoir la paix, il m’arrive de participer aux blagues de pédé et d’en rajouter… »
« Moi je ne peux pas. Je n’ai pas encore le cran de recadrer ceux qui en font trop, parce que je suis encore trop nouveau dans l’équipe. Mais je ne peux pas tolérer des insultes qui me visent, même indirectement. »
« S’il n’y avait que les insultes ! lâche Jérém, sans vraiment prêter attention aux mots de son pote. J’ai entendu dire qu’il y a des mecs en ville qui montent des expéditions pour aller casser du pédé sur les lieux de drague ou à la sortie des boîtes gay ! ».
[En fait, tu as vu ça de tes propres yeux, un soir, où tu te promenais dans un bois parisien pour voir comment se passent les rencontres entre garçons dans ces endroits. Quatre gars avec des battes de baseball, des enculés de première, des minables, des lâches qui s’en sont pris à deux gars comme toi qui s’étaient rencontrés dans la pénombre. Et ça t’a bien refroidi d’y retourner].
« C’est ahurissant qu’il y ait de tels cons. Ces gars ont été bercés trop près du mur, mais pas assez ! » fait Thibault. C’est profondément injuste qu’on soit obligé de vivre cachés pour qu’on nous fiche la paix.
« C’est ce qui m’a détruit l’an dernier, explique Jérém. La peur et la honte. J’avais peur de me mettre tout le monde à dos. Je me suis senti seul. Je pensais tout le temps à ça. Ça me stressait. Ça me bouffait. C’est devenu une obsession. Je ne dormais plus. J’ai décroché, je jouais de plus en plus mal. Plus ça allait, plus je perdais confiance en moi. J’ai fini la saison fatigué, complètement démotivé. J’étais fracassé. J’ai failli me ramasser plus d’une fois. Dieu sait comment j’ai échappé à une blessure grave. »
Ça me touche beaucoup que Jérém s’ouvre de cette façon, car cela me permet de mesurer toute l’ampleur de son malaise.
« Quand l’esprit n’est pas en paix, le corps finit toujours par trinquer », lâche le sage Thibault.
« Avec les gars », fait Jérém, « on est ensemble du matin au soir, aux entraînements et aux matches. On gagne ensemble, on perd ensemble. Bien sûr, il y a des jalousies, parce qu’on nous met tout le temps en compétition les uns avec les autres. Mais on se respecte, et on devient des potes. Et ce secret me donne l’impression de leur mentir en permanence. »
« On ne peut avoir des rapports authentiques qu’en connaissant les autres et en les laissant nous connaître », considère Thibault.
« C’est exactement ça », fait Jérém. « Le plus dur, c’est de mentir sur qui je suis. Parce que ça empêche de se faire de vrais potes. J’ai eu la chance de m’en faire un, qui m’a beaucoup soutenu. Mais ça n’a pas empêché de me sentir toujours comme une pièce rapportée. »
« Nos préférences sexuelles ne concernent personne d’autre que nous. Le vrai problème ce n’est pas nous, le vrai problème c’est l’homophobie », j’avance.
« Dans le sport, personne ne parle de l’homophobie, fait Jérém, ni des gars comme nous, sauf pour s’en moquer. Alors on reste cachés. »
« Et pourquoi en parler, il continue, si c’est pour risquer de tout perdre ? Les clubs n’aiment pas les gars qui foutent le bordel, et le fait d’avoir un pédé dans l’équipe passerait mal. Sortir du placard ce serait signer notre propre arrêt de mort. On nous pousserait direct vers la sortie. »
« Ils renonceraient à des bons joueurs parce qu’ils sont gays ? » je demande, naïf.
« Ils se gênerait, tiens ! Les entraîneurs ont des piles entières de CV de bons joueurs qui n’attendent qu’à être appelés. »
« Tout ça est vrai », confirme Thibault. « Mais moi je n’en peux plus de faire semblant. Ça demande trop d’énergie. Avoir des secrets est une source de peur constante. Je ne veux plus vivre ça. »
« Pour toi c’est plus simple. Tu as une nana et un gosse, personne ne peut te traiter de pédé. »
« Pour l’instant, oui. Mais qu’est-ce qui va se passer si j’ai envie de faire ma vie avec quelqu’un ? »
« Avec ton médecin ? »
« Avec lui, ou avec quelqu’un d’autre. Je ne veux pas avoir à me cacher toute ma vie. Personne n’a le droit de juger quelque chose qui ne le concerne pas. Les gars comme nous existent depuis toujours, et la haine n’y changera rien, elle ne fait que provoquer de grandes souffrances vraiment inutiles. »
« Mais en pratique, nous ne pouvons pas changer les mentalités. Je viens de changer d’équipe, je suis en train de retrouver un bon niveau de jeu, et je gagne jour après jour la confiance de l’entraîneur et le respect de mes coéquipiers. Mais je sais pertinemment que s’ils savaient ce qui vient de se passer entre nous cette nuit, plus rien de tout cela ne compterait, je ne serais plus qu’un sale pédé et je serais mis à l’écart. »
« Alors, non, je n’ai pas le choix, il continue, si je veux être respecté, je dois rester hétéro aux yeux de tout le monde. Il faut qu’ils me voient de temps en temps avec une nana canon. Peu importe que je la baise ou pas, l’important c’est qu’ils le croient. »
« Moi j’ai décidé d’arrêter de me cacher, considère Thibault. Je me concentre sur le rugby, j’essaie d’être à la hauteur de la chance qui m’a été donnée. J’essaie d’être un bon joueur, un bon coéquipier, un bon pote. Je ne vais pas avoir des regards déplacés, ni des mots, et encore moins des gestes. Mais si un jour j’ai envie de me balader en ville avec un gars, je le ferai. Et si on me rejette à cause de ça, je m’en irai avant qu’ils ne me virent. De toute façon, je ne pourrai pas côtoyer des gars par qui je me sentirais trahi. Je reprendrai mon taf de mécano, j’aurai plus de temps pour le SDIS. Si ma place n’est pas dans le rugby, elle sera ailleurs. »
« Tu es un gars solide, Thib, beaucoup plus que moi. »
« Tu te trompes, Jé. Tu es bien plus solide là-dedans que tu ne le penses », fait-il, en pointant son index sur la tempe de son pote. « C’est vrai que nous ne pouvons pas faire tout ce que nous voulons et comme nous le voulons. Mais je pense aussi que l’important c’est ce que nous faisons nous-même avec les contraintes qu’on nous impose. Et puis, tu sais, même si nous sommes loin, ça ne change rien pour moi. Je serai toujours là pour toi. Et je sais que tu seras toujours là pour moi. Si on a un coup de blues, on s’appelle et on essaie d’arranger ça ensemble, comme au bon vieux temps. »
« Maintenant que nous nous sommes retrouvés, on ne se quitte plus, ok ? fait Jérém, en passant le bras autour du cou de son pote. »
« Evidemment », fait Thibault, en se penchant vers le bobrun pour le prendre dans ses bras.
« Ne nous quittons plus », je ne peux me retenir de répéter.
« Plus jamais », font Jérém et Thibault, tout en ouvrant chacun un bras et en m’attirant dans leur étreinte entre garçons.
« Ne nous quittons plus jamais et soyons toujours là les uns pour les autres », lance Jérém.
« Ça me va », fait Thibault.
« Ça me va aussi » je fais à mon tour, ému.
Nous scellons notre promesse dans une longue et tendre accolade à trois.
Les deux jeunes rugbymen, drapés dans leurs nudités sculpturales, me font encore envie. Les voir s’enlacer, m’enlacer avec eux, sentir leurs corps musclés contre le mien, tout cela provoque en moi un émoustillement intense. J’ai envie de refaire l’amour avec chacun d’entre eux, et de les voir faire l’amour.
Et pourtant, il y a un autre sentiment encore plus fort qui m’envahit à cet instant. Ce sentiment est une immense tendresse, si immense qu’elle prend même le pas sur le désir irrépressible que ces deux magnifiques apollons m’inspirent.
Ce soir, ils ont ouvert leurs cœurs, ils ont parlé de leurs doutes, leurs blessures, leurs souffrances. Alors, plus que de recommencer à faire l’amour avec l’un et l’autre, je ressens une immense envie faire durer cette accolade le plus longtemps possible, de m’abandonner dans cette chaude douceur virile.
Cette nuit, le sac de couchage de Thibault ne servira pas. Nous nous installons dans le petit lit, moi dans les bras de Jérém, Thibault dans les miens. Nos trois souffles se mélangent, tout comme nos chaleurs corporelles, et les petites odeurs de nos corps. Il est déjà tard. Les deux potes sont fatigués par leurs matches, et moi par la route. Nous nous endormons enlacés, repus, reconciliés, heureux. En paix l’un avec l’autre et avec nous-même.
Lorsque je me réveille, les deux potes dorment toujours. J’entends leurs respirations légères, je trouve leur présence rassurante. Je ne sais pas quelle heure il est, mais il fait toujours nuit dehors. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, certainement pas longtemps, mais je me sens reposé. Dans la cheminée, le feu est en train de s’éteindre. Je me glisse discrètement hors du lit, en faisant attention à ne pas réveiller les deux rugbymen qui roupillent à poing fermés. Je rajoute du bois dans le foyer, je remue un peu les braises, je fais repartir les flammes.
Le crépitement du bois apaise mon esprit tout autant que le feu réchauffe ma peau nue. Je m’assois sur le bord de la cheminée et je regarde les deux fringants garçons en train de dormir. Dans cette petite maison, devant ce feu, je me sens rudement bien. Je voudrais que cette nuit ne se termine pas. Je voudrais rester ici, avec Jérém et Thibault, je voudrais que nous soyons tous les trois heureux comme cette nuit, et pour toujours. Car je sais que dès l’instant où nous quitterons cette maison, ce bonheur ne sera plus si parfait. Chacun reprendra sa route. Des centaines de bornes nous sépareront physiquement, et nos quotidiens respectifs nous éloigneront.
Nous nous sommes promis que nous ne quitterions plus jamais et que nous serons là l’un pour l’autre, quoi qu’il arrive. Ça me rassure, un peu. Mais au fond de moi, je sais que même avec la meilleure volonté de chacun, ce bonheur, cette plénitude amicale agrémentée de sensualité nous ne la ressentirons pas à travers de simples coups de fil.
Je décide d’arrêter de penser à demain et de profiter au maximum de ces derniers instants de bonheur parfait dans la petite maison. Je retourne au lit, je me faufile entre les deux potes et je m’installe allongé sur le dos. Je frôle au passage le bras de Thibault. Ce dernier se retourne, ouvre les yeux. Son regard est complètement dans les vapes.
« Il est quelle heure ? il me demande, la voix pâteuse.
Je ne sais pas, il fait encore nuit. »
Ma réponse pourtant vague semble lui suffire, car il n’insiste pas et il se contente de se tourner sur le flanc, vers moi, et de poser l’un de ses bras musclés en travers de mon torse. Ce simple contact provoque en moi une intense montée d’ivresse sensuelle. Je bande au quart de tour. J’ai envie de me branler, j’ai envie de jouir à nouveau. J’ai envie de faire l’amour.
Entravé par le bras de Thibault et par la crainte de réveiller les deux rugbymen, je n’ose pourtant bouger une oreille. C’est une situation particulièrement inconfortable que d’être entouré de beaux garçons qui nous font un effet de dingue et de devoir se retenir.
Mais le « salut » arrive par la main de Thibault. Au gré de mouvements plus ou moins involontaires dans son sommeil, son revers effleure mon érection. Je l’entends prendre une profonde inspiration. Puis, sa main vient volontairement caresser mes tétons. Je frissonne. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Thibault se laisse glisser vers le fond du lit et vient me sucer. Il me pompe avec une délicatesse extrême, avec une douceur exquise.
Jérém dort toujours. J’aimerais bien qu’il se réveille et qu’il nous regarde faire. Je pense que je trouverais ça plutôt excitant de sentir son regard lubrique sur moi, sur nous. A contrario, le fait de faire ça pendant qu’il dort, ça me donne presque l’impression de faire ça « dans son dos ».
Mais le plaisir finit par m’accaparer totalement, et à m’ancrer dans l’instant présent. Mais aussi par m’amener assez vite en vue du précipice de l’orgasme.
Mais avant que cela n’arrive, j’invite Thibault à s’allonger sur le dos. Je me faufile entre ses cuisses musclées et je m’applique à pomper sa belle queue bien raide à la lumière mouvante des flammes. Le beau pompier apprécie mes caresses. Il prend de profondes inspirations, intercalées par des ahanements de plus en plus rapprochés.
Du coin de l’œil, je vois Jérém remuer de son côté. Sans cesser de pomper le jeune papa, je glisse aussitôt ma main sur sa queue. Elle n’est pas au garde à vous, pas encore. Mais elle est prometteuse. Je sens son regard engourdi braqué sur moi. Mon bobrun est dans les vapes. Mais elles se dissipent rapidement, au fur et à mesure qu’il réalise ce qui est en train de se passer dans le lit, à quelques centimètres de lui. Très vite, l’émoustillement réveille ses sens. Ses doigts rencontrent les miens, sa main prend rapidement la place de la mienne sur sa queue et il commence à se branler.
« Vas-y, pompe-le bien, comme ça, oui » j’entends Jérém me glisser, avec une voix basse, marquée par sa respiration saccadée, alors que sa main libre atterrit sur mes tétons et provoque en moi un séisme de frissons.
Ses mots, ses caresses, son attitude me rendent fou. Alors, je mets encore plus d’entrain à faire vibrer le jeune pompier.
« Vas-y, fais plaisir à Thibault… suce-le bien, regarde comment il kiffe ce que tu lui fais… »
Jérém caresse désormais le torse, les pecs, les tétons de son pote. Ce dernier frissonne intensément.
Quant à moi, je suis chauffé à bloc par ses mots, par ses encouragements coquins. Et mon seul but à cet instant, c’est de faire jouir le beau Thibault. Avant de faire jouir Jérém, bien évidemment.
« Elle est bonne sa queue, hein ? » il me glisse, alors que je reprends mon souffle.
Mon bobrun profite de cette pause pour saisir la queue de son pote, pour l’enserrer dans sa main. Il la branle doucement, sans la quitter du regard, comme s’il voulait la sucer. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il va le faire. Et puis, non.
« Vas-y, pompe-le, ne le fais pas attendre, il a très envie de jouir » il me lance, tout en se branlant vigoureusement.
Je ne me fais pas prier pour reprendre le beau pompier dans ma bouche et pour le pomper à nouveau, pour le finir. Ce qui ne tarde pas à arriver.
« Je vais jouir… » lâche Thibault, la voix coupée par l’approche de sa jouissance.
« Fais lui plaisir », j’entends Jérém me glisser, tout en caressant les tétons de son pote.
« Fais toi plaisir » je l’entends enchaîner, tout en caressant désormais les miens.
Un ahanement plus long et plus profond est le signal que le jeune pompier vient de perdre pied.
« Vas-y, avale bien » soupire Jérém, happé par l’excitation, tout en posant sa main chaude à la limite de mon cou et de ma nuque.
Il n’y a pas de contrainte dans son geste, mais un dernier délicieux encouragement. C’est bouleversant, enivrant. La main de Thibault atterrit sur mon épaule, son contact est à la fois doux et viril. Chacun de ses muscles se tend comme un arc de violon jouant une sonate de plaisir intense.
Et pendant que les doigts de Jérém se faufilent dans mes cheveux, comme une caresse douce et excitante, de bonnes giclés de son pote percutent mon palais, glissent lentement sur ma langue, puis au plus profond de moi.
Je viens tout juste d’émerger du bonheur de retrouver le goût intense du beau rugbyman toulousain, lorsque je réalise que Jérém, visiblement très excité, est toujours en train de se branler de façon plutôt musclée. Comme s’il voulait se faire jouir seul. Non, je ne peux pas le laisser faire ça, non plus. Je le prends en bouche à son tour et je me mets à le pomper. J’y vais tout en douceur, je tente de ralentir l’arrivée de son orgasme. Mais c’est déjà trop tard.
« Je vais jouir, j’entends le magnifique bobrun m’annoncer.
Vas-y, avale ! » il ajoute, sur un ton monocorde et péremptoire, alors que l’orgasme l’envahit.
D’autres giclées de jeune mâle envahissent ma bouche, un autre goût ravit mes papilles et fait pétiller mon palais de bonheur. Je savoure chaque giclée, avant de l’avaler lentement.
Lorsque je me relève, le « spectacle » qui se présente à moi est renversant. Deux magnifiques garçons, tous pecs et abdos et queues toujours raides dehors, assommés par le plaisir que je viens de leur offrir. C’est un « spectacle » insoutenablement beau.
Mais la vision de ce paysage masculin renversant ne dure pas longtemps. Jérém vient se coller à moi, et se laisse glisser en moi, sa queue me remplit. Il caresse mes tétons d’une main, alors que l’autre saisit ma queue et me branle. Puis, c’est Thibault qui vient me branler, alors que Jérém envoie ses deux mains mettre le feu à mes tétons. Je jouis très fort, et mes giclées atterrissent en partie sur les abdos du jeune stadiste toulousain.
Lorsque j’émerge à nouveau, il fait jour et je suis seul dans le petit lit. Le bruit de l’eau qui coule dans la douche m’informe quant à la position de l’un des garçons. La porte qui s’ouvre et qui laisse rentrer une brouette pleine de bois, m’informe de la position de l’autre.
« Eh, t’es réveillé ? me demande mon bobrun avec un sourire magnifique.
Je ne vous ai pas entendus vous lever…
Tu dormais comme un loir. »
Jérém referme la porte sur la fraîcheur matinale et vient me faire un bisou.
« Bonjour les gars » fait Thibault, en sortant de la douche, les cheveux encore humides, dégageant un délicieux bouquet de frais, de bon, de propre. Il est juste habillé de ce débardeur blanc que je trouve sexy à mourir et d’un boxer bleu dont la poche avant est bien remplie par son équipement viril au repos.
« Salut Thib, fait Jérém, en s’avançant vers son pote pour lui claquer la bise.
« Tu sens vraiment bon ! » s’exclame le bobrun.
Thibault sourit, et son sourire est magnifique.
« Salut, Thibault » je fais, tout en claquant à mon tour la bise au beau pompier.
C’est vrai que le parfum qui se dégage de sa peau, mélange de gel douche et d’un parfum capiteux est intense et délicieux.
« Je passe vite à la douche, et après on va passer chez Charlène. Ça vous dit de monter, les gars ? ».
« Pourquoi pas » je me lance.
« Si j’ai un cheval, oui ! » fait le beau pompier.
« Charlène t’en prêtera un ».
Pendant que Jérém est sous la douche, je discute un peu avec Thibault. Le demi de mêlée me questionne sur ma vie à Bordeaux. Je lui parle de la fac, de ma nouvelle « passion » pour le vélo. Je lui réponds en cachant pas mal de choses. Puis, je le questionne sur la sienne à Toulouse. Il me parle de son nouveau quotidien de papa comblé, de ses matches à venir, de son engagement au SDIS. Mais pas de son médecin, de ce gars qui a quand même dix ans de plus que lui, ni de quel genre de relation est en train de naître entre eux. J’ai envie de lui poser plein de questions, mais je ne veux pas l’embêter. S’il veut m’en parler, il y aura d’autres occasions.
En discutant avec Thibault, je me sens heureux. Je le suis, car ce matin, tout est comme la veille. Ce matin, il n’y a pas de gueule de bois. Thibault n’est pas parti au petit matin, comme après la nuit que nous avions passée ensemble dans l’appart de la rue de la Colombette. Certes, il n’aurait pas pu. Ou plus difficilement. Nous sommes loin de tout et il fait un froid de canard.
Mais le fait est que ce matin je trouve un Thibault bien différent de celui que j’avais entrevu dans un bar ce matin-là, un Thibault pensif et hanté par des sentiments douloureux. Ce matin, Thibault a l’air heureux et apaisé. Tout comme Jérém. Même si nous n’en parlons pas directement, je sens que nous assumons tous les trois ce qui s’est passé cette nuit. Ça nous a fait du bien, et ce matin nous sommes bien.
Jérém revient de la douche alors que le gargouillement de la cafetière nous avertit que nous allons bientôt pouvoir boire notre café.
Nous prenons notre café sans nous presser, comme si nous essayions de retarder au maximum le moment de refermer la petite maison sur le bonheur que nous avons partagé pendant quelques heures. Et c’est avec un bon petit pincement au cœur que je regarde Jérém tourner la clé dans la porte en bois et la glisser dans sa poche. Au revoir, petite maison, j’espère de tout mon cœur de te revoir bientôt.
Au centre équestre, Thibault appelle son entraîneur pour l’avertir qu’il a eu un empêchement et qu’il ne pourra rentrer à Toulouse qu’en fin de journée.
Comme prévu, Charlène lui propose de monter l’un de ses chevaux en pension. Jérém monte son Unico, et je retrouve Téquila. Charlène nous accompagne avec son Little Black.
JP et Carine débarquent alors que nous sommes sur le point de partir et se joignent à nous.
Nous faisons une petite boucle dans la forêt, et je retrouve la magie de mes premières balades un an plus tôt. Jérém et Thibault sont très sexy sur leurs montures respectives. Leur façon de se tenir en selle, le dos bien droit, le regard vers l’horizon, la position de leurs cuisses, écartées par la selle, les ondulations du bassin pour accompagner les mouvements des chevaux, ça leur donne une allure folle. Une allure bien virile.
JP nous enchante avec le récit de son expérience sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Je me sens vraiment bien, je suis heureux comme je l’ai rarement été. En fait, je suis heureux comme je ne peux l’être qu’à Campan.
Nous prenons un déjeuner rapide chez Charlène et nous partons en début d’après-midi.
« Bonne chance à tous les trois, les garçons », nous lance JP en nous serrant à tour de rôle dans ses bras affectueux et rassurants.
« Thibault, toujours au top comme la dernière saison, direction le Brennus… »
« Eh, c’est moi qui vais lever le Brennus au mois de juin ! » s’insurge Jérém.
« Je suis certaine que l’un de vous deux va le soulever dès cette saison », s’avance Charlène.
Elle ne pouvait bien évidemment pas deviner à ce moment-là que même si l’un des deux Stades allait effectivement gagner le championnat quelques mois plus tard, ni Jérém ni Thibault ne soulèverait le fameux bouclier à cette occasion.
« Je vous le souhaite à tous les deux, même si vous ne pourrez pas le faire la même année ! plaisante JP.
Mais je sais que vous allez tout donner, il continue. Alors, que le meilleur gagne ! »
« Et pour Nico, bien du courage pour les études ! » il conclut.
Après ces au revoir pleins de bienveillance, nous prenons la route en direction de Toulouse. Jérém se propose de conduire. Je m’installe à côté de lui, Thibault sur la banquette arrière. Le trajet est ponctué par les conversations entre les deux potes portant principalement sur la saison qui s’ouvre et qui autorise tous les espoirs, toutes les attentes.
Je ne participe pas vraiment à ces échanges, mais je bois leurs mots, leur enthousiasme, leur bonheur. Et leur complicité, leur amitié retrouvées m’enchantent.
Aux Minimes, Thibault nous invite à prendre un café chez lui. Nathalie nous accueille avec le petit Lucas dans les bras. C’est l’occasion pour moi de constater à quel point il a grandi depuis la dernière fois, et pour Jérém, de faire sa connaissance.
« Il est costaud comme son papa », il plaisante, en le tenant dans ses bras.
Au moment de se quitter, les deux potes se serrent fort dans les bras l’un de l’autre.
« Plus jamais on se quitte, ok ? » fait Jérém, la voix étranglée par l’émotion.
« Plus jamais, plus jamais », tente de le rassurer l’adorable Thibault.
« Je suis vraiment content qu’on se soit retrouvés », lâche Jérém, les yeux humides. « Je suis content de voir que tu vas bien ! »
« Moi aussi je suis content de t’avoir retrouvé et de voir que les choses s’arrangent pour toi. Tu as tellement changé, Jé ! Je suis… oui, je suis fier de toi ! »
« Il reste du chemin à faire… »
« Certainement… mais au moins maintenant tu sais qui tu es. Tu ne veux pas que ça se sache, et je le comprends. Mais tu sais qui tu es. Et c’est le principal. C’est par là qu’il faut commencer si on veut espérer être heureux dans la vie. Et puis, tu sais que Nico t’aime et tu l’aimes. N’oublie jamais la chance que tu as ».
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Vendredi 29 mars 2002.
Lorsque mon portable se met à sonner, je regarde le petit écran et je vois « Thibault » s’afficher. Au fond de moi, je sais pourquoi il m’appelle. Je sens que je vais apprendre une bonne nouvelle.
« Thibault, ça va ? je fais en décrochant.
— On ne peut mieux. Nico…
Puis, après un petit moment de flottement, l’adorable pompier finit par lâcher la grande nouvelle :
— Ca y est… je suis papa ! Nathalie a accouché cet après-midi. C’est un beau petit gars, Nico ! Il s’appelle Lucas ! ».
Sa voix est fébrile, transportée par l’émotion. Je le sens tellement heureux que j’en ai les larmes aux yeux.
— Félicitations mon grand, félicitations. Tout le monde va bien ?
— Oui, le gosse, la maman, tout le monde va bien. Ça a été un peu long, mais tout s’est bien passé.
— Et comment va le papa ?
— Le papa a failli tomber dans les pommes, mais il se remet peu à peu de ses émotions !
— Je suis vraiment, vraiment heureux pour toi, Thibault.
Oui, je suis heureux pour Thibault. Même si j’ai encore du mal à imaginer ce petit mec de 20 ans avec un gosse, ce gars avec qui j’ai fait l’amour quelques mois plus tôt alors que sa copine était déjà enceinte – bien que nous l’ignorions encore à ce moment là – je suis certain qu’il fera un papa merveilleux.
— Merci Nico, merci !
— Et tu as annoncé la bonne nouvelle à Jérém ? je ne peux m’empêcher de le questionner.
— Non, pas encore. Je vais le faire.
— Ça lui fera plaisir, il sera heureux pour toi
— Oui, je pense…
Je sens de l’hésitation dans sa voix. Comme s’il n’était pas à l’aise avec la perspective de contacter Jérém.
— Ça fait un moment que nous ne nous sommes pas parlé, il finit par ajouter.
— Tu sais, il me demande souvent des nouvelles de toi. Ce sera l’occasion de lui en donner directement.
— Je me demande ce qu’il va ressentir quand je vais lui annoncer que je viens d’avoir un petit gars…
— Ça va le bouleverser, c’est sûr… mais il va être heureux pour toi.
— Merci Nico.
— Encore félicitations Thibault. Et félicitations à Nathalie. Et à Lucas. Il a de la chance d’avoir un papa comme toi.
— J’espère que je vais être un bon père.
— Je ne me fais pas de souci pour ça, vraiment pas.
— Merci Nico. Il va falloir que tu passes faire sa connaissance quand tu viendras sur Toulouse.
— Je ne manquerai pas.
Dimanche 21 avril 2002.
Je repense à ma promesse faite à Thibault de passer voir son gosse. Aujourd’hui, c’est jour de match. Je ne veux pas le déranger, je lui envoie un message pour lui proposer de passer le voir dans la soirée, s’il est disponible.
Je passe l’après-midi à comater, à penser à Jérém, à avoir envie de ne rien faire, à broyer du noir. La fatigue est un catalyseur de tristesse. Heureusement, un rayon de lumière vient illuminer la fin de journée. En même temps que les infos sportives à la télé annoncent que cet après-midi le Stade Toulousain a remporté la victoire haut la main contre Montferrand, je reçois un message de Thibault qui me propose de passer pour une soirée pizza.
Sur le coup, je suis étonné que Thibault m’invite chez lui un soir après un match victorieux. Quid de la troisième mi-temps ? Mais très vite, je me dis que le jeune papa doit avoir d’autres priorités en ce moment. L’ex-mécano n’a pas précisé si Nathalie sera là ou pas. J’imagine que trois semaines après l’accouchement, elle n’a pas encore dû reprendre le boulot, et que par conséquent elle sera présente. J’espère que ça va bien se passer, j’espère qu’elle ne va pas me regarder de travers. J’espère que je ne vais pas me sentir mal à l’aise. De toute façon, j’ai décidé de ne pas tenir compte de ce dont elle m’a parlé lorsque Thibault était KO après son accident à AZF. Non, je ne vais pas couper les ponts avec Thibault pour ne pas la froisser, pour qu’il puisse rester dans le droit chemin de l’hétérosexualité. Thibault est mon pote. Et même s’il y a de la tendresse entre nous, je ne ferai rien qui puisse le déstabiliser.
Lorsque je débarque à l’appart des Minimes, l’ancien mécano m’accueille avec la chaleur bienveillante que je lui connais. Thibault est un gars très démonstratif, et il sait montrer à quel point la visite d’un pote lui fait plaisir. Il me prend dans ses bras, il me claque la bise. Même devant sa copine.
« Tu connais Nathalie…
— Oui, bien sûr !
— Salut Nico, ça gaze ? » m’accueille cette dernière, en me claquant la bise à son tour. Elle a l’air de bon poil, ça fait plaisir.
« Ça va bien. Mais c’est plutôt à toi qu’il faut le demander… d’ailleurs, félicitation la nouvelle maman !
— Merci, merci !
— Viens, je vais te présenter Lucas ! » fait l’adorable Thibault.
Il a l’air vraiment heureux. Ça me fait un plaisir fou de le voir si joyeux.
« Fais gaffe, il vient de s’endormir, j’ai eu un mal fou à le calmer, glisse la jeune maman.
— Yes ! »
Le jeune rugbyman m’amène dans la chambre, sa chambre, puisque l’appart n’en comporte pas d’autres. A côté d’un grand lit, un berceau est installé. Lucas est là, tout petit, tout fripé comme un nourrisson, dormant à poings fermés, les quatre fers en l’air. La vision de cette petite vie qui commence provoque en moi une intense émotion. Parce que cette petite vie provoque chez son papa un bonheur infini, et son papa mérite vraiment d’être heureux. Mais aussi parce que cette petite vie va bouleverser celle de son papa, pour qui plus rien ne va être comme avant. Parce que j’ai toujours du mal à réaliser que ce gars avec qui j’ai fait l’amour une nuit n’est plus seul, mais qu’il y a désormais un petit être qui dépend de lui. Et c’est une grande responsabilité.
« Ça va, Nico ? s’inquiète le beau pompier.
— Tu ne peux pas savoir comment je suis heureux pour toi, mon grand ! » je lui répète bêtement.
Je ne trouve pas d’autres mots pour exprimer le mélange de sentiments que je ressens en moi.
« Tu es adorable, Nico, fait le jeune papa, tout aussi ému, en me serrant très fort dans ses bras.
— Alors, vous allez les chercher ces pizzas ? » nous lance Nathalie qui vient de nous rejoindre.
Depuis sa petite mise au point quelques mois plus tôt, je pensais que Nath ne me portait pas vraiment dans son cœur, car je représentais à ses yeux un danger pour la stabilité de son couple. Pendant mon trajet vers les Minimes, j’avais craint qu’elle ne m’accueille froidement, que ce soit pénible, et que ça gâche cette soirée de retrouvailles avec mon pote.
Contre toute attente, l’ambiance du repas est bien sympathique, malgré la présence de Nathalie. Je dirais même grâce à la présence de Nathalie. Ce soir, elle me parle comme si on se connaissait depuis toujours, alors que nous ne nous sommes croisés qu’une seule et unique fois, et que notre échange n’a pas été des plus engageants. Ce soir, c’est comme si cet échange n’avait jamais existé. Elle s’intéresse à moi, me met à l’aise. Au final, je découvre une nana plutôt rigolote, avec beaucoup d’humour, de l’autodérision, de l’éducation, et une belle intelligence. Ça me fait plaisir que ça se passe bien et je me laisse embarquer dans ce moment sympa entre potes.
Lors d’une digression dans le thème « Bébé », thème qui monopolise en grande partie la conversation de la soirée – les jeunes parents ont souvent l’impression que, puisque leur rejeton est le centre de leur monde, il doit forcément l’être pour tout leur entourage aussi – j’arrive à féliciter Thibault pour la victoire de l’après-midi et à lui demander des nouvelles de sa blessure au genou.
« Ça va, j’ai bien récupéré, le chirurgien a bien réparé la pièce, il a fait une révision complète, je suis reparti pour 30 000 km » il plaisante.
Je suis sur le point de lui demander s’il a des nouvelles de Jérém, s’il est au courant du fait qu’il traverse une mauvaise passe avec son équipe, mais déjà le petit Lucas attire à nouveau toute l’attention.
« C’est l’heure du bib, fait Nath, qui a l’air épuisée.
— Tu as l’air très fatiguée, je lance.
— J’y vais, fait l’adorable rugbyman.
— Fatiguée, c’est faible comme mot ! Je suis sur les rotules. Je te raconte pas les nuits blanches à essayer de calmer le petit monstre ! Heureusement que tu m’aides, mon chéri ! » elle ajoute à l’intention de Thibault qui vient de se lever de table et qui est déjà en train de préparer le biberon.
Nous le suivons dans la chambre. Et là, je le vois attraper le petit Lucas avec une attention infinie, une délicatesse qui contraste avec la vision de ses grosses paluches. J’ai l’impression que le bébé tiendrait presque entièrement dans une de ses grandes mains. Thibault dépose le petit Être en équilibre entre son avant-bras et son torse, la tête délicatement posée sur son biceps rebondi. Lucas se calme vite, comme s’il se sentait bien, en sécurité, protégé. Je te comprends, petit Lucas, je sais combien il fait bon de se retrouver dans les bras de ton papa. L’image de Thibault donnant le biberon à son gosse est d’une beauté émouvante. Le petit glouton termine vite son repas et lâche un petit rot qui rassure ses jeunes parents.
Le biberon est terminé, mais Thibault ne semble pas pressé de poser Lucas dans son berceau. Le demi de mêlée est vraiment touchant avec ce bébé dans les bras. Il ne le quitte pas des yeux, il lui fait des papouilles, il fait le zouave pour essayer de le faire sourire.
« Tu vas être un papa gâteau… je lance.
— Un papa gaga, oui !
— En tout cas, il est vraiment mignon… »
Et là, Thibault va me faire une proposition qui me trouble. Je la voyais venir, et je la redoutais.
« Tu veux le tenir ? »
Qui, moi, si maladroit, prendre Bébé dans mes bras ? Mais je ne sais pas comment le tenir ! Je n’ai jamais tenu un bébé ! Et si je lui fais mal ? Et puis… est-ce que Nath est d’accord ?
« J’ai peur de ne pas savoir le tenir…
— Mais c’est simple, fait Nathalie, tu l’allonges sur ton bras, la tête un peu relevée ».
Je ne suis toujours pas rassuré, mais déjà l’avant-bras de Thibault frôle le mien pour la passation de « témoin ». Je me retrouve ainsi avec le petit Lucas dans mes bras, ses mains dans le vide, ses yeux écarquillés plantés dans les miens et qui semblent demander : « mais c’est qui cet abruti-là ? Il a l’air d’une poule devant un couteau ! Papa, au secours ! »
« Vas-y, pose-le sur ton bras, contre ta poitrine, fait Nath.
— J’ai peur de lui faire mal…
— Mais il n’est pas en sucre. Il est plutôt en caoutchouc ! » s’amuse Thibault.
Les jeunes parents ne semblent pas inquiets le moindre du monde. Mais moi, je ne suis toujours pas à l’aise. J’ai du mal à tenir ce bébé dans les bras. Il a l’air si fragile ! Et puis, ses grands yeux ne cessent de me dévisager. Comme s’ils me questionnaient. Comme s’ils me demandaient : et toi, tu vas avoir un jour un bébé comme moi avec qui je pourrais jouer ? Peut-être que tu ne m’offriras jamais un pote avec qui jouer parce que tu n’es pas normal. Tu as encore le temps pour changer. Tu ne veux pas rater ta vie, hein ? Te retrouver à 50 piges en te disant que tu t’es trompé ?
J’ai de plus en plus de mal à supporter ce regard à la fois innocent et « accusateur » malgré lui.
Comment un être si minuscule et sans défenses peut-il autant me perturber par sa simple présence ? Peut-être parce que le regard innocent d’un nourrisson est un miroir qui oblige à se regarder en face et à se poser des questions sur soi.
Le petit Lucas commence à s’impatienter, je crois qu’il va bientôt commencer à chialer. Non, pas ça ! Je m’empresse d’écouter les conseils de ses parents et j’arrive enfin à trouver une position rassurante pour lui.
« Tu vois, rien de compliqué ! fait Thibault.
— Mais attends… il enchaîne en approchant son nez de la couche du bébé, je crois qu’il faut le changer.
— Encore ? fait Nath, l’air à bout de forces.
— Si tu nous prépares un café je m’en occupe.
— Si tu t’en occupes je vais t’en faire 10 des cafés ! »
Nathalie disparaît dans le séjour et Thibault récupère le gosse de mes bras, le pose sur une table à langer et commence à défaire la couche avec des gestes assurés. Je le regarde essuyer, soigner, caresser, incapable de quitter son gosse du regard.
Puis à un moment, il se retourne vers moi, les yeux humides et il me lance, la voix cassée par une intense émotion :
« Je n’arrive toujours pas à réaliser que ce beau petit gars est le mien ! »
Son émotion est contagieuse et je ne peux m’empêcher de le prendre dans mes bras et de le serrer très fort contre moi.
« Il a tellement de chance, ce gosse ! »
Ça me fait toujours bizarre de voir Thibault avec un gosse. C’est beau, émouvant et déroutant, tout en même temps. Parce que le jeune rugbyman n’a qu’un an de plus que moi, parce que je l’ai connu faisant partie de la bande de Jérém, une bande de jeunes mecs célibataires qui avaient l’air de vouloir profiter de leur jeunesse, de leur insouciance, et pour qui les priorités dans la vie ne semblaient être autres que le rugby, les potes, les soirées en boîte, les nanas. Tout s’est passé si vite, tout a changé si vite. Trop vite. Je n’ai pas eu le temps de m’y préparer. Est-ce qu’il a eu le temps de s’y préparer ? Parce que je sais que ce gosse, qui est arrivé « par accident » va changer toute sa vie, en dévier le « cours naturel ». Je sais que Thibault vient de découvrir qui il est, et s’engager avec une femme et un gosse va le ralentir dans la quête de son identité et de son épanouissement. Même si le voir si heureux me rend heureux aussi, j’ai peur que cela ne dure. Je sais que Thibault aspire à aller vers les garçons. Comment va-t-il faire pour faire cohabiter en lui ce désir avec l’envie d’être un papa pour Lucas et un compagnon pour Nathalie ?
J’espère qu’il va être heureux, je lui souhaite d’être heureux tous les jours de sa vie comme ce soir. Il le mérite vraiment, ce petit mec.
Après le café, Thibault s’isole quelques minutes pour répondre à un coup de fil d’un co-équipier. Ce qui me laisse en tête à tête avec Nathalie. Le coup de fil s’éternise et je ne suis pas à l’aise. Même si ce soir elle s’est montrée aimable avec moi, je crains qu’elle profite de ce moment pour remettre sur la table le sujet de mon amitié avec Thibault. Je voudrais remplir le vide, mais je ne sais pas de quoi lui parler et le silence s’installe.
« Je voulais te dire, Nico… »
Aïe, aïe, on y est…
« Je voulais m’excuser pour ce que je t’ai dit la dernière fois. »
Ah, si je m’étais attendu à ça…
« Je n’ai pas le droit de gérer la vie de Thib, elle enchaîne. Il a le droit de voir qui il veut. Tu as bien fait de ne pas m’écouter. J’étais un peu sur les nerfs à ce moment-là et c’est tombé sur toi.
— Je ne t’en veux pas.
— Merci.
— Thibault est vraiment un ami pour moi.
— Je sais. Et je sais aussi ce qui s’est passé entre vous.
— Il te l’a dit ?
— Oui. Un soir, il m’a tout dit. Qu’il a couché avec toi et avec Jérém. Et il m’a dit aussi qu’il est toujours attiré par les mecs.
— Ah, ok… et… tu en penses quoi ?
— Je pense que je ne peux rien faire pour changer les choses… tu sais, Nico, Thib, je l’aime, vraiment. Je n’ai jamais rencontré un gars aussi chouette. Je voudrais faire ma vie avec lui, faire d’autres gosses avec lui. Mais je sais qu’il aspire à autre chose. Je sais que son bonheur ne sera pas avec moi. Il sera un excellent papa, mais malgré tous les efforts qu’il pourra produire, il ne sera jamais un homme heureux avec moi. Et s’il n’est pas heureux, je ne le serais pas non plus. Je ne regrette rien, tu sais ? Je ne regrette pas d’avoir fait un gosse avec lui, même si ce n’était pas prévu… ».
Nathalie.
Tu as été touchée et émue par Thibault depuis la première fois que tu lui as parlé en boîte deux ans plus tôt. Tu l’as trouvé sympa, rassurant, touchant. Il faisait déjà tellement « mec » que tu avais du mal à le croire quand il t’a dit qu’il n’avait que 18 ans. Et pourtant, c’était bien le cas. Tu t’es dit qu’il était un peu jeune pour toi, cinq ans d’écart ça commence à faire. D’autant plus que tu as toujours aimé les garçons plus âgés. Tu as toujours trouvé qu’avant 25 ans, un gars c’est juste bon pour le sexe. Car, côté intellectuel et affectif, la plupart du temps, il reste du câblage à faire à cet âge-là. Mais bon, ce petit mec tout en muscles et au regard apaisant avait l’air tellement plus mûr que les gars de son âge. Il t’a surpris par sa droiture, par sa douceur, par son esprit. Tu as fait l’amour avec lui. Il t’a fait l’amour comme aucun gars ne te l’avait fait auparavant. Il avait voulu te donner du plaisir, il avait voulu te faire te sentir bien. Et tu n’as pas pu t’empêcher de tomber amoureuse de lui. Plus que ça, même. Tu t’es rendu compte que tu l’aimais comme tu n’avais jamais aimé personne d’autre.
Mais entre ton travail, son bac, son boulot au garage, le rugby, ses potes, et le fait que vous n’habitiez pas ensemble, ce n’était pas facile d’avoir une relation suivie. Vous vous aimiez, vraiment, mais en pointillés. A chaque fois que tu faisais l’amour avec lui, c’était un pur bonheur. Car il te respectait, il te montrait que tu comptais pour lui, il te faisait te sentir belle, désirable, importante. Et ce gars généreux, bienveillant, fougueux, attentionné, protecteur, tu l’aimais de plus en plus.
Mais au fil du temps, tu as senti que quelque chose se passait en lui. Tu as capté ces regards qu’il posait sur certains mecs. Tu as voulu les ignorer. Mais un doute avait commencé à s’installer en toi. A partir d’un certain moment, tu as commencé à le sentir de plus en plus soucieux, comme si quelque chose le tracassait. Tu lui as demandé ce qui se passait, il t’a dit que ce n’était rien. Tu as fait semblant d’y croire, mais tu savais qu’il y avait autre chose. C’était au printemps précèdent. Tu avais senti que Thibault avait besoin de prendre l’air et tu as accepté d’espacer vos rencontres pour le laisser respirer. Ça a été dur, mais tu as pris sur toi, et tu lui as rendu sa liberté.
Tu l’as revu un soir en boîte, tu es tombée sur lui presque par hasard. Ce soir-là, Thibault avait vraiment l’air d’être à coté de ses pompes. Tu lui as proposé de prendre un verre et il t’a raconté que son pote Jéjé venait de se bagarrer avec un type dans les chiottes de la boîte et qu’il venait de rentrer avec un pote. Il t’a dit qu’il avait envie de rentrer mais qu’aucun de ses potes ne voulait décoller. Tu lui as proposé de rentrer et de le déposer. Mais tu es montée dans son appart et vous avez fait l’amour. C’était toujours aussi bon, mais ce n’était pas comme avant. Tu avais l’impression que pendant qu’il te faisait l’amour, c’était à quelqu’un d’autre qu’il pensait.
Pendant des semaines, tu n’as pas eu de ses nouvelles, à part quelques échanges de SMS. Puis, un jour, c’est ton corps qui t’en a donné. Tes règles n’ont pas été au rendez-vous. Ça t’était déjà arrivé, alors ça ne t’a pas surpris plus que ça. Mais le retard a fini par devenir « suspect » et tu as fini par faire le test. Positif. Aucun doute sur la paternité. Thib était le seul garçon avec qui tu avais couché depuis des mois.
La nouvelle t’avait bouleversée. Pendant un temps, tu avais pensé à Thibault comme au futur papa de tes enfants. Mais plus depuis que tu l’avais senti s’éloigner de toi.
Tu ne savais pas vraiment quoi faire. Peu d’options se présentaient à toi. Avorter aurait été la plus simple. Mais pour toi ça n’en était pas une. Tu t’es imaginé élever ton enfant en mère célibataire, sans impliquer le père. Tu as hésité, et puis tu t’es dit que tu ne pouvais pas lui faire ça. Tu devais le lui dire. Il avait le droit de savoir. Tu as attendu quelques semaines pour être sûre et tu le lui as annoncé.
Après avoir accusé le coup d’une nouvelle à la fois aussi inattendue et bouleversante, Thibault a sauté de joie. Il t’a pris dans ses bras musclés qui t’ont toujours donné tant de bonheur et il a pleuré avec toi.
Et tu as su que tu avais fait le bon choix en décidant de l’impliquer.
C’est à ce moment-là que tu as voulu avoir une conversation avec lui. Tu sentais qu’il en avait envie, qu’il en avait besoin. Toi aussi tu en avais besoin. C’est cette nuit-là qu’il t’a parlé de son attirance pour les garçons, et en particulier pour son pote Jéjé.
Même si tu t’y attendais un peu, ça t’a fait un choc d’entendre cela par le gars dont tu attendais ton enfant.
Il t’a dit qu’il ne pourrait jamais assumer le fait d’être homo. Et surtout, surtout, surtout maintenant qu’il allait être papa. Il t’a dit qu’il renfermerait tout ça dans un coin de sa tête et que tout ce qui comptait c’était cet enfant qui arrivait et qu’il voulait l’assumer, qu’il voulait être à tes côtés. Tu l’as cru, tu as voulu lui faire confiance.
Mais lorsque Nico était venu le voir après son accident dans les décombres d’AZF, lorsque tu avais capté le regard que le futur papa de ton enfant posait sur ce pote, tu t’es sentie trahie. Alors, tu t’es montrée possessive, jalouse, autoritaire, menaçante même.
Chose que tu as vraiment regrettée depuis.
Alors, quelque temps après la venue de Nico, en regardant Thibault immobilisé sur le canapé à cause de ses blessures, tu as ressenti une profonde tendresse s’emparer de toi. Tu t’es assise à côté de lui et tu lui as dit qu’il ne devait pas renoncer à être heureux, que tu l’aimais toujours et que tu savais qu’il t’aimait lui aussi. Tu lui as dit aussi qu’il est ton plus grand amour et peut être l’amour de ta vie. Tu lui as dit que cet enfant était un enfant d’amour, et que tu ne lui empêcheras jamais de le voir grandir, quoi qu’il arrive.
« Ça va pas être facile de gérer tout ça… je considère.
— Non, mais nous allons tout faire pour que les choses se passent bien, fait Nathalie. Pour l’instant, nous n’allons rien changer. Nous sommes tous les trois et nous sommes bien. Je vais bientôt recommencer à travailler, et nous allons nous organiser pour nous occuper de Lucas.
— Et s’il rencontre quelqu’un ? Et si toi tu rencontres quelqu’un ?
— On avisera. Mais même si demain nous ne vivons plus ensemble, je ne l’empêcherai pas de voir son gosse grandir. Je pense à une garde partagée avec beaucoup, beaucoup de souplesse et de bienveillance.
— Je t’avais mal jugé Nath, tu es une bonne personne.
— Il arrive… »
« Désolé, Nico. C’était Loris, un mec du rugby, un véritable moulin à paroles. Nath, ça t’embête pas si je sors prendre un dernier verre avec Nico ?
— Mais pas du tout ! Après avoir changé la couche de Lucas tu peux prendre ta semaine ! elle plaisante.
— Une heure suffira.
— Oui, c’est ça… quand un rugbyman qui sort prendre un verre te dit » je reviens dans une heure « , ça veut dire le lendemain matin. Alors, comme je serai couchée depuis longtemps, Nico, bonne chance pour tes études, et au plaisir de te revoir.
— Merci, bon courage à toi aussi, avec le taf et avec le petit Lucas ! »
En terrasse d’un bar de la rue Péri, Thibault me demande comment ça se passe entre Jérém et moi. Je lui parle de nos rencontres depuis Noël, de ses visites surprises à Bordeaux, de notre nuit à l’hôtel à Poitiers. Et aussi de cette dernière période où il ne trouve plus le temps pour me voir à cause du stress de la fin de saison.
« Il ne te ment pas, tu sais. A la fin de la saison, le management nous met une pression de fou. On est fatigués de tous ces mois de compétition et il faut donner encore plus. C’est dur ! »
— Je le sais, mais c’est dur aussi de ne pas le voir. Mais j’attendrai ce qu’il faut. Ce qu’il faut.
— Et, toi, Thib, tu en es où dans ta vie ? j’enchaîne.
— Je suis papa…
— Ça je sais, mais je te parle du reste.
— J’ai envie d’aller vers les mecs. Mais je n’ose pas sauter le pas.
— Par rapport à Nath ?
— Un peu. Mais pas tellement. Nous venons de mettre les choses à plat entre nous. Tu sais, je lui ai tout dit et elle me soutient. J’ai beaucoup de chance d’être tombé sur une nana comme elle. Non, je suis surtout mal à l’aise par rapport au mon petit bout de chou. Je me demande ce qu’il penserait de moi…
— Je pense qu’il voudrait que son papa soit heureux…
— Je le pense aussi. Mais il y a autre chose qui me tracasse.
— C’est quoi ?
— Le fait même de coucher avec un gars…
— Mais c’est pas ta première fois, non ? Je veux dire, toi, Jérém et moi, cette nuit…
— Avec Jé et toi, ce n’était pas pareil. C’était nous trois, tu vois… nous trois… »
Parce que c’était vous, parce que c’était nous, je paraphrase une célèbre citation dans ma tête.
[Thibault, tu sais désormais que ce sont les garçons qui attirent ton attention et attisent ton désir. Au fond de toi, tu le savais depuis longtemps. Depuis un soir en camping, l’été de tes 13 ans, lorsque tu as fricoté avec Jé, ton meilleur pote. Depuis ce soir-là, et certainement même avant, tu as été amoureux de lui. Mais ton amour était un amour secret, parce que tu as voulu faire passer l’amitié avant l’attirance, avant tes sentiments. L’amitié avant tout. De toute façon, tu ne voulais pas non plus ressentir ces choses-là pour un garçon. Tu as essayé de ne pas y penser, mais ce truc te taraudait sans cesse, sans pitié.
Avec le temps, tu t’étais accommodé tant bien que mal de cette amitié derrière laquelle tu cachais ta souffrance. Mais quand Nico est arrivé dans la vie de ton pote, quelque chose a basculé dans ta tête. Et la nuit que vous avez passée tous les trois ensemble, a réveillé en toi des démons que tu avais essayé d’enfouir depuis des années au plus profond de toi.
Puis, après cet accident où tu as vraiment cru perdre ton pote, tu as décidé de lâcher prise. Ça a été dur, ça a été au prix de mettre une grande barrière entre lui et toi, mais tu as réussi à aller de l’avant. Cette épreuve a eu le mérite de t’ouvrir les yeux sur le fait que toi, Thibault Pujol, tu aimes les garçons et que tu as envie d’aller vers eux.
Ça t’avait fait un bien fou d’acter cet état de choses, même si tu ne savais pas encore comment tu allais l’assumer. Et pile au moment où tu arrivais enfin à voir clair dans ton esprit, ta vie a été une nouvelle fois retournée par un événement inattendu et bouleversant. Nathalie t’a annoncé qu’elle attendait un enfant de toi.
Ça fait deux ans que tu as rencontré Nathalie. Votre relation n’a jamais été vraiment une relation de couple. Vous vous êtes trouvés, vous vous êtes fait du bien, de temps en temps. Vous étiez amis, confidents, amants. Tu ressens une profonde affection pour elle et tu sais que tu comptes beaucoup pour elle. Vous ne vous êtes jamais rien promis, ni rien interdit. Vous aviez chacun une bande de potes, et des aventures chacun de votre côté. Et vous vous retrouviez parfois, pour vous faire du bien.
Mais cette belle relation est devenue plus difficile quand tu as réalisé que les sentiments de Nathalie pour toi avaient changé, et qu’elle était vraiment amoureuse de toi. Ça t’a fait peur, et tu as voulu prendre un peu de recul. Tu sais que tu lui as fait de la peine, et tu t’en veux. Mais tu n’as pas pu faire autrement. Tu as voulu être sincère avec elle, tu lui as dit que tu ne ressentais pas les mêmes sentiments qu’elle ressentait pour toi. Tu avais quelqu’un d’autre en tête, et ce quelqu’un c’était Jé. Et même si tu savais que c’était un amour impossible, tu n’arrivais pas à t’en faire une raison.
Vous êtes restés plusieurs mois sans vous voir, Nathalie et toi. Et tu es retombé sur elle, une nuit, en boîte, où tu avais le moral dans les chaussettes. Tu venais d’apprendre que ton pote Jé venait de se battre dans les toilettes de la boîte avec un autre gars, son t-shirt blanc était souillé de sang. Tu venais de le voir repartir de boîte avec Nico, son camarade de lycée, et tu savais que cette nuit-là ils allaient faire l’amour. Tu étais heureux pour eux, mais au fond de toi, tu étais malheureux comme jamais. Car Nico avait pris la place que tu voulais auprès de ton Jé.
C’est à ce moment-là que tu es retombé sur Nathalie. Tu avais le cœur en miettes et elle a su te réconforter. Ce soir-là, tu es rentré avec elle. Et vous avez fait l’amour. Tu lui as fait l’amour. Mais ce n’était pas comme d’habitude. Ton corps était avec le sien, mais ton esprit était ailleurs. Tu n’arrivais pas à cesser de penser à Jé, à Nico. Nathalie s’est rendu compte que tu n’étais pas vraiment avec elle. Elle t’a questionné. Tu n’as rien voulu lui cacher. Elle a été très chouette avec toi. Elle t’a dit qu’elle t’aimait et qu’elle voulait que tu sois heureux, même si ce n’était pas avec elle.
Trois mois plus tard, elle t’a annoncé que tu allais être papa.
Tu étais super heureux de devenir papa. Mais quelque chose te tracassait. Cette attirance pour les garçons qui t’empêcherait d’être un bon compagnon. Vous avez parlé, et elle t’a dit que tu avais le droit de vivre ta vie comme tu l’entendais, que tu avais le droit d’être heureux. Et qu’elle te laisserait jouer ton rôle de papa sans te poser d’obstacles. Cette discussion t’a enlevé un grand poids du cœur. Depuis, tu te sens mieux. Tu te sens libre. Tu laisses enfin parler tes envies. Et ce sont des envies de sensualité et de plaisir avec un garçon que tu ressens. Ça fait des mois que tu n’as pas touché un garçon, senti un corps masculin contre le tien. Depuis que tu as couché avec ton pote Jé, quelques jours avant son accident. Ça commence à faire un bail. Alors tu as envie de ça, très envie. Mais aller trouver d’autres gars…].
« Mais aller trouver d’autres gars… je n’arrive pas à franchir le pas. J’ai l’impression que si je couchais avec un gars ma vie basculerait, et que je ne pourrais plus jamais revenir en arrière, continue le jeune pompier.
— Ça te fait peur d’être homo, c’est ça ?
— Ouais. Tu sais, autour de moi, dans les vestiaires, sur le terrain, je n’entends que des moqueries et des insultes vis-à-vis des gars comme nous… »
[Oui, Thibault, et tu es quotidiennement confronté à une mentalité machiste et homophobe. « Sale pédé » est une expression utilisée à tort et à travers pendant les entraînements. Tu trouves de plus en plus dérangeant le fait qu’elle remplace un simple « tu as fait une erreur de jeu » ou toute autre invective vis-à-vis de l’autre en cas de désaccord. Tu n’arrives pas à comprendre pourquoi le mot « pédé » est utilisé comme la plus polyvalente et méprisante des insultes. Tu n’arrives pas à comprendre en quoi pédé doit être une insulte. Tu te demandes pourquoi cette haine est enracinée si profondément et comment elle se transmet d’une génération à l’autre.
Tu te souviens avoir été invité par l’un de tes co-équipiers à assister à un match de foot de l’équipe dans laquelle jouait son petit frère de 8 ans. Tous les gamins avaient entre 7 et 10 ans. Dès les premières minutes du match tu as assisté à quelque chose qui t’a frappé.
Tu te souviens avoir vu des petits gars jouer les machos avant l’heure, singer ou répéter bêtement les expressions, les attitudes de leurs frères aînés ou de leurs pères. Il y avait ceux qui veulent être les leaders, ceux qui veulent attirer l’attention, les agressifs, et puis il y avait les souffre-douleurs. C’était plutôt caricatural, et ça t’aurait fait sourire, si seulement tu n’avais pas vu le regard des petits gars qui subissaient ce grossier jeu de rôles. Si seulement tu ne t’étais pas dit que cela annonçait les futurs comportements de certains et les futures souffrances pour d’autres.
Tu te souviens que le petit Alex avait reçu le ballon et tu te souviens de sa démarche hésitante, de son regard apeuré par deux gars plus grands qui fonçaient sur lui et qui n’auraient pas hésité à le bousculer pour récupérer le ballon. La collision était inévitable. Alex avait pris peur. Il s’était débarrassé du ballon juste avant que les deux mecs ne le dégomment. Son coup de pied était faible, le ballon était parti en sucette, et Alex était tombé.
« Tu joues comme un pédé ! » tu avais entendu fuser.
Ce ne sont que des mots, et personne ne les avait relevés. Ni l’entraîneur, ni les parents autour du terrain. Personne ne s’était insurgé contre ces mots stigmatisants. Ce ne sont que des mots, mais ils t’ont profondément touché, comme ils ont touché le petit Alex.
Tu aurais voulu intervenir et dire : « Eh, il a juste raté un coup ! C’est pas ça être pédé ! Être pédé, c’est un gars qui aime un autre gars. Et ce n’est pas une insulte, en aucun cas. Car on a tous le droit d’aimer qui on veut ! » Mais ce n’était ni le lieu ni le moment. Tu n’avais aucune autorité sur ces gamins. Ils étaient à fond dans le match et personne ne t’aurait écouté. Mais si tu avais été leur entraîneur, tu aurais arrêté le jeu sur le champ et tu aurais fait une saine mise au point.
« Tu joues comme un pédé ! »
Oui, ce ne sont que des mots, mais tu sais que ce sont les mots qui enracinent le rejet, la haine et la honte de demain. Un enracinement qui survient très tôt, trop tôt. Tu t’es dit qu’il faut que ce cycle infernal soit cassé. Parce que l’homophobie est ni plus ni moins que du racisme.
Ce rejet, cette haine, cette honte, tu les ressens chaque jour dans les vestiaires. Tu fais genre plutôt hétéro et ça t’arrange bien. Tu as une copine, et maintenant un gosse, tu joues bien le rôle qu’on veut te voir jouer. Mais tu sais que tout ça ce n’est pas toi, que ce n’est pas « tout » toi. Tu es attiré par les gars et tu voudrais faire des rencontres. Mais tu as peur. Ton visage commence à être placardé sur les affiches des matches, et tu as peur qu’on te reconnaisse.
Tu sais qu’il y a une partie de toi que tu dois taire, au risque de tout perdre. Si « ça se savait », tu sais qu’on te pousserait à bout, on te pousserait à partir et à renoncer à ta carrière sportive.
Tu entends des insultes qui t’affectent parce qu’ils laissent entendre qu’un pédé mérite la double peine d’être considéré comme un malade et d’être puni pour sa maladie. La banalisation de la haine contre les gays te révolte, mais tu ne peux pas vraiment t’insurger, sous peine de te faire remarquer et être pris pour cible. Pas une fois, tu as entendu un discours positif sur les homos. Que ce soit de la part d’un coach, d’un président, ou de n’importe qui dans le staff. Personne.
Tu sais qu’il n’y a pas de place pour un homo dans les sports d’équipe. Cacher sa sexualité est une source de peur constante. Faire semblant tout le temps est fatiguant. Ça te prend de l’énergie et ça mine ton mental. Et ça, ce n’est pas bon, pas bon du tout.
Tu as l’impression de jouer ton avenir sportif à chaque entraînement. Cela est source de stress et tu ne dors plus aussi bien qu’avant. C’est difficile de se reposer sans être en paix avec soi-même.
Dans un sport comme le rugby, c’est le mental qui détermine si tu perces ou pas. La performance sportive est avant tout un exploit mental.
Tu as passé les six derniers mois à avoir peur. Et maintenant, depuis que le petit Lucas est arrivé, tu te prives parce que tu veux être un papa « digne ». Mais Nico a raison, Lucas ne voudrait pas savoir que son papa se rend malheureux par peur de son jugement. Lucas voudrait que son papa soit heureux. Car un papa heureux, est un papa meilleur.
Alors, ce soir, assis à cette table avec Nico, tu décides de dire adieu à ta honte et ta peur. Tu as la chance inouïe d’avoir le soutien de la mère de ton enfant. Tu ne veux pas que ton bout de chou te voie malheureux. Quant au rugby, tu l’aimes comme peu d’autres de choses dans la vie, ça t’apporte beaucoup de bonheur. Mais tu sais désormais que tu n’es pas prêt à sacrifier ton bonheur, tes bonheurs, tes autres bonheurs, pour le ballon ovale.
Alors, ce soir, tu décides de vivre ce que tu as à vivre, sans tenir compte du regard des autres. Tu feras tout ce que tu pourras pour être un bon joueur, un bon coéquipier, un bon pote, un gars sur qui on peut compter. Tu seras irréprochable. Tu ne crieras pas sur les toits qui tu es. Mais si on te pose des questions, tu seras franc. Si des ragots circulent, tu mettras les choses au point. Tu diras haut et fort que tu aimes les garçons et que cela ne fait pas de toi un pestiféré. Tu diras à tes coéquipiers que tu ne feras rien pour les mettre mal à l’aise, mais que tu mérites leur respect, et ta place dans l’équipe. Et que tu as le droit de jouer comme eux tous.
Et si malgré tout ils te rejettent, si tes qualités sportives et humaines ne font plus le poids, tu partiras. Tu seras pompier, ou mécano, ou autre chose. Mais tu seras un papa et un homme épanoui. Et ça, c’est non négociable].
« C’est pas facile d’être homo, et encore moins dans un environnement comme celui du sport de haut niveau. Jérém a les mêmes peurs, et je comprends la pression qui pèse sur vous, je considère.
— Jérém a la chance de t’avoir, je suis sûr que ton soutien est précieux pour lui. Et moi j’ai la chance d’avoir Nath, car son soutien est précieux pour moi.
— Au fait, tu as dit à Jérém que tu es papa ? » je lance, sans transition.
Je sais qu’il a appelé Jérém, car ce dernier m’en a parlé vite fait un soir au téléphone. Jérém ne s’étant pas vraiment épanché à ce sujet, j’ai envie de connaître le ressenti de Thibault.
« — Oui, je l’ai appelé.
— J’imagine qu’il était heureux pour toi…
— Il l’était. Mais c’était un peu bizarre.
— Bizarre comment ?
— C’était bizarre de reprendre contact après tous ces mois, de lui annoncer que je venais d’être papa après ce qui s’était passé entre nous, après ce que j’ai ressenti pour lui pendant si longtemps. J’ai eu l’impression qu’il était gêné, et moi aussi je l’étais. J’ai aussi eu l’impression que nous n’étions plus en phase, comme si nous étions maintenant à différents stades de notre vie. Tu comprends ce que je veux dire ?
— Je crois, oui. Tu as désormais des responsabilités qui te font revoir tes priorités alors que ce n’est pas le cas de Jérém.
— C’est ça !
— Il t’a parlé de son équipe ?
— Oui, et ça a été l’autre sujet compliqué à aborder…
— Parce que pour toi et ton équipe ça se passe plutôt bien… je m’avance.
— Et que lui et son équipe galèrent sévère en ce moment… il complète.
— Ça l’affecte beaucoup…
— Il pense qu’il ne sera pas renouvelé pour la saison prochaine… je n’ai même pas osé lui dire que moi, je le suis déjà…
— Tu crois qu’il pourrait trouver une autre équipe ?
— Je ne sais pas, mais je ne l’ai pas senti motivé pour chercher.
— Tu crois qu’il pourrait laisser tomber le rugby ?
— J’ai l’impression qu’il est tellement déçu qu’il pourrait tout envoyer chier sur un coup de tête, oui. Il en est tout à fait capable. Le fait est que s’il sort du circuit maintenant, c’est fichu. Il faut qu’il tienne bon. Jé est un super bon joueur, et ce n’est pas parce qu’il n’a pas trouvé comment s’intégrer dans une équipe qu’il est moins bon. Il n’a peut-être pas rencontré les bonnes personnes, les bons joueurs, les bons entraîneurs. « Bons », dans le sens où ils sauraient mettre en valeur son talent. Parce que du talent, Jé il en a à revendre. Mais il faut qu’il ait en face quelqu’un qui sache le canaliser.
— Et tu lui as dit tout ça ?
— Bien sûr que je le lui ai dit. Mais j’ai l’impression que cette saison et cette équipe ont sapé son moral et sa confiance en lui. Je l’ai connu plus battant que ça. J’ai essayé de le secouer, mais j’ai senti qu’il était moins réceptif qu’avant. Si nous jouions dans la même équipe, si on se voyait chaque jour, si je connaissais en détail les problèmes qu’il a rencontrés, ce serait différent, je pourrais l’aider. Mais là, à l’aveugle, c’est difficile de taper juste.
— Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour arranger les choses.
— Ça fait longtemps que tu ne l’as pas vu ?
— Plus d’un mois. Il n’a pas le temps.
— Je pense qu’il n’a surtout pas la tête à ça. Mais ça lui ferait du bien de te revoir.
— Il faut que je monte à Paris.
— Je pense, oui.
Thibault est un garçon intéressant, avec une conversation agréable et variée, agrémentée d’une bienveillance de chaque instant qui me fait me sentir meilleur et qui me tire vers le haut. Il y a des gens comme ça, qui savent tirer le meilleur de chacun. Et Thibault est de ces personnes-là, des personnes rares et précieuses. Nous parlons longtemps et je ne vois pas le temps passer. Lorsque la fatigue commence à se faire sentir et que je regarde enfin l’heure, il est déjà deux heures du matin passé.
« J’adore discuter avec toi, Thibault, mais là je dois vraiment y aller. Demain je dois rentrer à Bordeaux, et le réveil va sonner de bonne heure.
— Ça marche, Nico. En tout cas, ça m’a fait vraiment plaisir de te revoir. Tu passes quand tu veux, tu es toujours le bienvenu ! ».
Au moment de nous quitter, en bas des allées Jean Jaurès, je sens que nous n’en avons pas envie, ni lui, ni moi. Dans ses regards, dans son attitude, je retrouve cette tension, ces non-dits qui m’ont beaucoup troublé la dernière fois.
« Je le sais, merci, je finis par lui répondre après un instant de flottement. Et toi aussi tu es le bienvenu chez moi à Bordeaux. Si un jour tu passes par là…
— Je passerai avec grand plaisir !
— Prends soin de toi, mon grand ! » fait l’adorable demi de mêlée tout en me prenant dans ses bras et en me plaquant contre son torse musclé.
Cette douce et chaude accolade se prolonge, chaque instant est plus troublant que le précédent et moins que le suivant. C’est plus fort que moi, le contact avec ce gars me fait un effet de dingue. Ses bras puissants sont si rassurants et sa douceur est attendrissante. Beau jeune papa, comme tu es jeune pour avoir tant de responsabilités sur tes épaules ! Elles sont si solides, mais elles sont tellement chargées. Tiendras-tu sur la durée ? Bonne chance, mon pote Thibault.
Dans cette étreinte où se mélangent amitié, émotion, tendresse, sensualité, je me dis, j’en suis certain, que dans une autre vie, sur une autre planète, dans une autre dimension, nos destins et nos cœurs auraient pu marcher ensemble. Et dans les mots que Thibault me glisse tout bas, pendant que notre étreinte se défait doucement, je trouve un écho saisissant à mes pensées.
« Si on s’était rencontrés dans d’autres circonstances, si on n’avait pas été fous du même gars, peut-être que toi et moi… » il souffle tout bas dans mon oreille, alors que ses lèvres effleurent mon lobe provoquant d’intenses frissons en moi.
Je suis à la fois flatté, touché, et gêné par ses propos. Mais je ne peux pas ne pas être aussi sincère avec lui qu’il vient de l’être avec moi.
« Tu sais, Thib, j’y ai pensé aussi.
— Qu’est-ce que j’ai aimé, cette nuit-là !
— Moi aussi j’ai aimé.
— Ça a été un déclic pour moi.
— Je pense que ça l’a été pour tout le monde.
— Bon courage mon grand » il me glisse, tout en me claquant une double bise sonore. Une bise amicale, suivie par deux petits bisous légers dans le cou que je reçois comme une douce notification de ce quelque chose qu’il y a entre nous et qui ne saura pas éclore.
LT0110 Le livre de Thibault – Des questionnements et des doutes.
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Dimanche 23 décembre 2001.
Aujourd’hui, j’ai envie de revoir un pote. Je lui envoie un message le matin.
« Salut, ça va ? Tu as un moment pour prendre un verre ? ».
Bien sûr, j’ai toujours en tête les mots de sa copine Nathalie me demandant de couper le « laisser tranquille » pour ne pas raviver sa « bisexualité ». Mais Thibault est un pote, et j’ai envie d’avoir de ses nouvelles. J’ai envie de savoir comment il va, comment il récupère après ses blessures suite à la catastrophe d’AZF.
L’adorable pompier me rappelle aussitôt.
« Hey, Nico, tu es sur Toulouse ? ».
Le simple fait d’entendre sa voix me fait du bien. J’ai l’impression que l’ancien mécano est en bonne forme et ça me fait vraiment plaisir.
« Oui, depuis vendredi ».
« Bien sûr que j’ai un moment pour prendre un verre, tu peux même venir manger à la maison ce soir. On se fait une soirée pizza si tu veux ».
« Je ne veux pas m’incruster, je connais à peine ta copine ».
« Elle ne sera pas là, elle travaille à 20 heures ».
Voilà des mots capables de provoquer un grand soulagement en moi.
« D’accord, j’apporte les pizzas alors ».
A 20h30 je sonne à la porte de l’appart aux Minimes. Le battant s’ouvre aussitôt. Sourire solaire, regard bienveillant, charmant et touchant, Thibault apparaît dans l’embrasure de la porte. Il est toujours aussi beau. Il est habillé d’un pantalon en tissu molletonné, ainsi que d’un t-shirt gris. Un t-shirt qui me permet de constater que son corps a encore pris du muscle.
« Hey, Nico, ça me fait plaisir de te voir » fait le beau stadiste, tout en me prenant dans ses bras, et en me claquant la bise, l’air vraiment content de me voir. Le contact avec sa barbe de quelques jours est enivrant.
« Moi aussi je suis content de te voir ».
Ça me fait drôlement plaisir de le voir debout, bien portant, si loin du Thibault abattu sur son canapé, le genou bandé, lors de ma précédente visite, juste après la catastrophe d’AZF. J’en suis presque ému.
« Tu vas bien, Nico ? ».
« Je vais bien, merci » je réponds machinalement « Et toi ? ».
« Ça va beaucoup mieux, merci ».
« Je suis content de te voir en forme ».
« Merci, tu es gentil. Alors, raconte, comment se passent tes études à Bordeaux ? Tu t’es fait des potes là-bas ? ».
« Les études ça va, je vais bientôt avoir mes premiers partiels. Oui j’ai quelques amis, surtout des camarades de cours. J’ai aussi sympathisé avec mes voisins et propriétaires, un couple d’hommes âgés qui sont vraiment adorables avec moi ».
« C’est cool que tu trouves tes marques ».
« C’est vrai ».
« Alors, dis-moi » j’enchaîne « Tu as recommencé à jouer ? ».
« Pour l’instant, j’ai repris la musculation. Ça fait trois semaines. Et si tout va bien, je devrais reprendre les entraînements mi-janvier. Il me tarde ! ».
« Ça me soulage d’entendre ça. Finalement tu restes au rugby, alors ».
« Pour l’instant, oui. Je vais faire la saison, après j’aviserai ».
« Et les pompiers ? ».
« Je reste aussi, je ne peux pas renoncer à ça, bien que j’aurai moins de disponibilités pour les astreintes ».
« C’est tout à ton honneur. Définitivement, tu es un bon gars ».
« Au fait, tu as des nouvelles de Jé ? » il change de sujet.
« Vous n’avez pas repris contact ? » je le questionne à mon tour.
« Non, pas vraiment. J’imagine qu’il doit être très occupé, je n’ose pas trop le déranger ».
« Je n’ai pas de ses nouvelles depuis quelques semaines » je réponds enfin à sa question.
« Ah bon ? Vous ne vous voyez pas, vous ne vous appelez pas régulièrement ? ».
« Pas vraiment. Enfin… plus vraiment ».
« Ah… et qu’est-ce qui s’est passé ? ».
« Depuis qu’il est à Paris, Jérém a peur que son entourage découvre notre relation. Alors il ne veut pas que j’aille le voir. Il a même recommencé à coucher avec des nanas pour faire semblant ».
« Tu crois ? ».
« Je le sais parce que l’une d’entre elles s’est pointée à l’appart à Paris lui faire un sketch pendant que j’y étais en novembre ».
« Ah… ».
Il m’a dit qu’il tenait à moi, mais qu’il ne pouvait pas pour l’instant me proposer mieux que de faire chacun notre vie de notre côté et de se retrouver pendant les vacances ».
« Sur le coup, j’ai vu rouge. Mais j’ai fini par comprendre ses raisons, et que ça lui coûtait de me proposer ça. J’étais prêt à accepter ce mode de fonctionnement, mais à condition de le voir plus souvent. Je lui ai dit au téléphone. Et il m’a répondu qu’il avait besoin de temps. J’ai insisté et il a fini par me balancer qu’il voulait prendre une pause. C’était il y a presque trois semaines. Depuis, je n’ai pas de nouvelles ».
« Ah, mince ! Toujours le même mon pote Jé. Quand il se sent dos au mur, il envoie tout balader ».
« Après, je comprends ce qu’il doit ressentir » il continue « si son homosexualité s’ébruite, il court le risque de se faire marginaliser. Dans le monde du rugby, nous les joueurs nous sommes très populaires auprès de nos supporters. Nous partageons avec eux la même ville, les mêmes bars, les mêmes boîtes. Les rumeurs peuvent aller vite et détruire une carrière.
Jérém doit vivre tous les jours dans la peur d’être découvert et que tout s’effondre autour de lui, que son travail et son investissement dans le rugby lui filent entre les mains.
Il sait que s’il se fait rejeter personne ne viendra à son secours. Même pas son club. Si un gars se fait rejeter, si sa carrière est foutue à cause de ça, c’est pas un problème, ils en recruteront un autre. Les bureaux des dirigeants des clubs sont remplis de CV de joueurs avec du potentiel ».
« Sinon, comment ça se passe son intégration dans l’équipe ? » il me questionne.
« Il a eu quelques difficultés, mais depuis quelques semaines ça semble bien démarrer ».
« Je peux me tromper, mais je ne pense pas que le rugby soit la seule raison de son comportement à ton égard ».
« Tu penses à quoi ? ».
« Jé a du mal à gérer ses sentiments. La dernière fois tu m’as parlé de vos retrouvailles à Campan, du fait qu’il était différent, que votre complicité avait pris une nouvelle dimension. Peut-être que sans le vouloir, tu lui as mis la pression, ou qu’il s’est mis la pression tout seul, et que ça lui a fait peur.
Je pense qu’il doit avoir aussi peur de te perdre que toi de le perdre. Jé a été marqué par la souffrance de l’abandon et il s’est construit autour de ça ».
« Tu parles de sa mère ? ».
« Oui, il ne s’est jamais remis du fait qu’elle ait refait sa vie loin de lui et de Maxime. Mais il y aussi souffert de la distance de son père qui a toujours été très dur avec lui, et qui a toujours pensé savoir de quel bonheur avait besoin son fils sans jamais lui avoir posé la question.
Mais il y a aussi autre chose. Jé ne s’attendait pas qu’un gars comme toi viendrait lui révéler sa vraie nature et bouleverse sa vie. Il n’était pas préparé à ça. Et ça ne fait que quelques mois que tu es vraiment rentré dans sa vie. Mais l’espoir d’une évolution est permis, comme le prouvent les pas de géant qu’il a déjà faits vers toi ».
« Il y a des moments où je me dis que cette pause est définitive, et que c’est fini entre nous ».
« Non, je ne le pense pas. Tôt ou tard tu vas lui manquer et il va revenir à la raison. Après, je comprends qu’une pause imposée avec de la détermination peut ressembler à une rupture. Mais tu commences à connaître l’oiseau, d’abord il envoie tout valser, après il réfléchit. Il fonctionne comme ça depuis toujours ».
« Sinon, ça se passe toujours bien avec Nathalie ? » je le questionne pendant que nous mangeons les pizzas.
« Je crois, oui ».
« Et pour votre bébé, tout avance bien ? ».
« Très bien, Nath a passé une écho la semaine dernière, tout est normal ».
« Dans trois mois mon enfant va arriver » il ajoute après quelques instants de silence « et plus ça approche, plus je me demande si je suis prêt à l’assumer ».
« Pourquoi tu dis ça ? ».
Thibault se tait, comme gêné de s’être trop avancé.
« Allez raconte, tu peux tout me dire, tu sais ? » je tente de le mettre à l’aise « De la même façon que moi je sais que je peux tout te dire ».
« Parfois… je pense à des trucs… ».
« Des trucs ? ».
« A des gars… des gars qui me font de l’effet. Et… je culpabilise… tu comprends, Nico ? Je vais avoir un gosse et je n’arrête pas de penser à ça… ».
« Oui, je comprends. Mais tu as déjà… ».
« Non, non ».
« Mais tu en as envie… ».
« Je ne sais pas. De toute façon, je ne veux pas faire des bêtises, je ne veux pas que cet enfant grandisse avec des parents séparés ».
« Tu l’aimes Nath ? ».
« Grande question ».
« Si tu ne réponds pas par un « oui » franc à cette question, c’est peut-être que tu ne l’aimes peut-être pas ».
Il est facile d’être clairvoyant lorsqu’il s’agit des histoires des autres.
« Et tu préfères que cet enfant grandisse avec des parents qui ne s’aiment pas plutôt qu’avec des parents séparés mais heureux parce qu’ils ont refait leur vie ? ».
« Je ne vois pas comment je pourrais refaire ma vie et être heureux ».
« Tu es attiré par les mecs, Thibault, tu ne peux pas te voiler la face ».
« Je ne me voile pas la face. Enfin, plus maintenant. Le fait d’avoir frôlé la mort il y a trois mois m’a obligé à me poser les bonnes questions. Je n’ai eu que ça à faire pendant des semaines.
Mais je suis dans la même situation que Jé. Si je veux mener une carrière dans le rugby, je ne peux pas me permettre d’être moi-même ».
« Tu crois que tu vas tenir le coup ? ».
« Je n’ai pas le choix. J’ai trop à perdre. De toute façon, tout ça est encore trop nouveau pour moi. Et puis, je vais être franc avec toi, je n’ai toujours pas arrêté de penser à Jé. Je sais qu’il n’y aura plus jamais rien entre nous, parce qu’il est amoureux de toi et que tu es amoureux de lui, et je respecte ça. Mais c’est dur à assumer. C’est pour ça que je n’arrive pas à l’appeler. J’ai besoin de prendre de la distance pour tourner la page. Jé doit le sentir, j’imagine que c’est pour ça qu’il respecte mon silence ».
« Mais assez parlé de moi » il coupe court pendant que nous nous déplaçons sur le clic clac devant la télé. « Comment tu comptes t’y prendre pour mettre fin à cette pause avec Jé ? ».
« Je ne sais pas trop. Et je ne sais même pas si je devrais essayer quoi que ce soit ».
« Qu’est ce qui se passe, Nico ? Je t’ai connu plus combattif que ça ».
« Je suis fatigué », je me dérobe, alors que j’ai de plus en plus de mal pas à contrôler les larmes qui se pressent à mes yeux. Je suis à deux doigts de lui parler de l’« accident ». Mais je prends sur moi. je me dis que Thibault a bien assez de soucis de son côté pour que je l’accable avec les miens.
Le jeune rugbyman m’attire contre lui. Je me retrouve demi allongé sur l’assise du clic-clac, installé entre ses cuisses, le dos collé contre son torse chaud, enlacé par ses bras.
« N’aie pas peur de revenir vers Jé, il comprendra, j’en suis sûr, car il tient trop à toi ».
Thibault sait trouver les mots pour me réconforter. Mais plus encore que ses mots, c’est sa présence, sa proximité, son amitié qui me font du bien.
Dans le silence, dans la pénombre, je n’entends que sa respiration, calme, apaisante. Je sens son souffle dans mon cou, les battements lents de son cœur. Nous restons ainsi, enlacés, pendant un long moment. Et ça me fait un bien fou.
Il est presque minuit lorsque je décide de rentrer. Devant la porte d’entrée, nous nous regardons en silence pendant de longs instants, sans arriver à trouver la façon de nous quitter. Il y a tant de choses dans cet échange silencieux, peut-être plus que dans mille mots. Il y a de l’amitié, il y a de la tendresse, il y a de la complicité. Il y a, de ma part, une immense considération, une profonde estime, une affection infinie pour ce garçon si adorable.
Mais il y a également autre chose. Je crois que nos corps se souviennent du plaisir qu’ils se sont donnés pendant une nuit déjà lointaine.
Je sens que Thibault sait que, malgré mon amour pour Jérém, il me fait de l’effet. Et à cet instant précis, j’ai désormais la certitude que, comme je l’avais imaginé, ce gars dont Thibault m’avait parlé la dernière fois, et qui lui aussi lui fait de l’effet, c’est bien moi.
Ça fait du bien de se sentir désiré par un beau gars comme Thibault. Mais en même temps, ça me rend triste. Car je sais que je ne pourrai pas lui apporter l’amour qu’il mérite. Je suis toujours amoureux de Jérém, et je ne sais pas si je cesserai un jour de l’aimer.
« Appelle-moi si ça ne va pas » finit par lâcher l’adorable stadiste.
« Toi aussi tu peux m’appeler, si tu as besoin de quoi que ce soit ».
« Merci d’être passé Nico. Tu es le seul à qui je peux parler ».
« Alors n’hésite pas ».
« Je tiens beaucoup à notre amitié » il ajoute.
« Moi aussi je tiens beaucoup à notre amitié. Tu es un gars génial ».
« Bon courage, Nico ».
« Bon courage à toi, Thibault. Et Joyeux Noël ».
« Joyeux Noël à toi aussi » fait l’ancien mécano en me serrant une dernière fois dans ses bras pleins d’affection. Une accolade et une affection que je lui rends avec émotion, car ce petit gars me touche vraiment beaucoup.
Je passe la porte et je repars seul avec mon fardeau, tout en laissant Thibault seul avec les siens. Dans cette vie, chacun a ses propres fardeaux à porter. Et en fin de compte, nous les portons toujours seuls.
LT0109 Le livre de Thibault – Il n’y a rien de tel que des potes
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Lundi 24 septembre 2001.
« Tu as des nouvelles de Thib ? » me demande Jérém au téléphone.
« Je l’ai vu hier soir ».
« Il va bien ? ».
« Il a été blessé en intervention, il a un genou en vrac ».
« Merde ! ».
« Mais c’est surtout le moral qu’il a en vrac. Ce qu’il a vécu l’a vraiment secoué. Il a le moral dans les chaussettes. Mais il te passe le bonjour ».
« Tu sais quoi, Nico ? ».
« Quoi ? ».
« Je vais passer quelques coups de fil et je vais organiser une petite soirée ».
« A quoi tu penses ? ».
« Je vais voir. Je te tiens au courant ».
Jérém me rappelle en milieu d’après-midi.
« On se retrouve à 18h30 en bas de chez Thib ».
« D’accord, j’y serai ».
« Tu savais qu’il avait une copine, et qu’elle vit chez lui ? » il me questionne.
« Je l’ai rencontrée hier soir ».
Jérém m’explique que Nathalie a été contactée pour savoir si Thibault était assez en forme pour apprécier une petite soirée entre mecs. Elle a répondu que oui, mais qu’elle ne serait pas de la partie puisqu’elle part travailler à l’hôpital à 18 heures pour la garde de nuit. Ce qui tombe plutôt bien, car une soirée entre mecs, c’est une soirée entre mecs ! Je me dis qu’elle doit ignorer que je fais partie de l’expédition. Et puis, de toute façon, je l’emmerde.
A 18h30, en bas de chez Thib, nous sommes quatre. Je me retrouve en compagnie de trois rugbymen, mon Jérém, ainsi que Thierry et Julien, les bras chargés de pizzas et de bières. Ce soir, les « quatre fantastiques », les « quatre inséparables » de l’ancienne équipe de rugby vont à nouveau être réunis. La soirée s’annonce belle et émouvante.
Je regarde les trois potes discuter et déconner entre eux. Julien et Thierry questionnent Jérém sur ses entraînements parisiens, ils le charrient. Leur complicité me fascine toujours autant.
Je suis très fier de l’initiative de Jérém. Y aller tout seul, ça aurait été compliqué. Mais réunir les « quatre fantastiques », je trouve ça une idée de génie. Je suis certain que revoir ses potes va faire du bien au jeune pompier blessé. Je suis tout excité à l’idée de voir sa réaction.
Nous prenons l’ascenseur et dans le petit espace je suis happé par le mélange de parfums de jeunes mecs, par leurs rires, leur bonne humeur, leur joie de vivre. Je me dis que c’est exactement ça dont Thibault a besoin.
C’est Thierry qui se charge de taper à la porte du jeune pompier.
« Qui c’est ? » j’entends Thibault demander depuis le salon.
« Le livreur de pizzas ».
« C’est pas ici, je n’ai rien commandé. Vous faites erreur ».
« Non, il n’y a pas d’erreur. Sur l’adresse il y a marqué « Sacré Thib, pompier valeureux, futur gagnant du Brennus, un pote en or massif ».
« Thierry, c’est toi ? ».
« Tu le sauras quand tu auras ouvert la porte ».
« Il va me falloir un peu de temps, andouille ».
« Je ne suis pas pressé. Ne te casse pas la gueule, papi ».
« Qu’est-ce que tu… » fait Thibault en ouvrant la porte.
« Salut !!! » lancent les gars, en une seule voix, un cœur viril.
« Qu’est-ce que vous… » il tente de se reprendre.
« On s’invite pour une petite soirée. On a tout prévu, la bouffe et surtout la boisson » lâche Thierry, face à un Thibault bouche bée, l’air surpris et touché.
Les retrouvailles démarrent à grands coups de bises viriles.
Nous nous retrouvons ainsi chez le beau pompier à partager des pizzas, des bières (juste une pour moi), des pétards (à peine quelques taffes pour moi) et de la bonne humeur. Beaucoup de bonne humeur. Thierry est vraiment un joyeux luron, je pense qu’il serait capable de faire rire une statue de cire.
Très vite, la complicité des quatre fantastiques renaît à l’évocation des souvenirs des expériences marquantes qu’ils ont partagées. Pendant de longs moments, la conversation porte sur le rugby, sur les matchs, sur les actions de la dernière saison qui ont mené leur équipe à gagner le tournoi.
Très vite, comme la veille pendant la conversation entre Jérém et mon père, je me sens un brin exclu de cette conversation, mais je m’en fiche. C’est une soirée pour Thibault et l’important c’est qu’il se sente bien. Et le beau pompier a l’air heureux et ça fait plaisir à voir. Et ce qui me fait plaisir par-dessus tout, c’est de le voir discuter avec Jérém, rigoler avec, dans une complicité qui ressemble à celle du bon vieux temps. Je serais tellement heureux s’ils pouvaient enfin retrouver leur amitié d’antan !
La soirée avance dans la bonne humeur et la détresse semble peu à peu disparaître du regard du jeune pompier. Je le regarde prendre vigoureusement part à la conversation, rigoler jusqu’à ce que ses blessures ne le rappellent à l’ordre.
« Putain, ça fait mal » fait-il à un moment, en se tenant le cœur.
« T’es bon pour la casse » fait Thierry en passant un bras autour du cou de son pote blessé.
« Je crois, oui… ».
« Allez, à partir de maintenant, on va se raconter des trucs qui ne font pas rire. On va parler de taf et de filles moches. Il faut économiser papi ».
« Mais ta gueule ! ».
Et la conversation repart de plus belle, les rires fusent, alors que Thibault apprend à maîtriser les siens pour ne pas avoir mal.
A aucun moment, il est question de parler de ce que Toulouse a vécu deux jours plus tôt. A aucun moment, il est question de parler de ce que Thibault a vécu deux jours plus tôt.
On le questionne sur ses débuts au Stade Toulousain, on le félicite pour sa chance. Son discours, son attitude me semblent plus optimistes que ceux de la veille. Cette soirée a vraiment l’air de faire du bien à mon pote Thibault.
« Eh les gars, vous savez qui j’ai vu il y a quelques jours ? » fait Julien, le petit blond gaulé comme un Dieu, au cours d’un joint partagé à quatre, alors que minuit a sonné depuis quelques minutes.
« Qui donc, le Pape en culotte ? » déconne Thierry, dont l’humour est en train de virer au stone.
« T’es con… j’ai vu Akim ! ».
« Ah, il est toujours vivant celui-là ? » fait Jérém.
« Oui, il m’a appelé un week-end et j’ai été le voir à Albi ».
« J’ai toujours trouvé dommage qu’il parte en milieu de saison » fait Thierry « c’était un bon joueur ».
« Il a trouvé du taf là-bas » explique Julien.
« Mais il n’a pas vécu la finale. Il n’a pas été champion. Alors qu’il le méritait » considère Thibault.
« Et si on allait lui faire un petit coucou ? » lance Thierry
« N’importe quoi » fait Julien.
« Pourquoi pas, les gars ? » insiste le joyeux luron.
« Là, maintenant ? » fait Jérém, étonné.
« Oui, maintenant, patate ! Je pense que tout le monde a envie de lui faire un petit coucou. C’est l’occasion ou jamais. Depuis quelque temps, on ne se voit plus tous les jours, si tu as remarqué ».
« C’est pas faux ».
« Mais c’est tard » fait Julien.
« Akim a toujours été un couche-tard ».
« Mais on a tous bu et fumé » insiste Julien.
« Pas Nico » fait Thierry « Qui est partant ? ».
L’immeuble des Minimes possède un ascenseur mais Thibault est évacué par les escaliers à bout de bras par ses anciens co-équipiers, ce qui a l’air de bien l’amuser.
Nous voilà à cinq dans la voiture de Thierry, sur la route vers Albi. Je suis au volant, je promène cette joyeuse bande de bogoss déconneurs. Il n’y a presque pas de circulation à cette heure, nous avons la route que pour nous et la nuit étoilée nous appartient, comme cette escapade, tout comme cet instant de folie et de liberté. Enveloppé par la musique à fond la caisse, par une ambiance de camaraderie qui me touche profondément, je suis heureux. J’adore cette drôle de soirée.
« Appuie sur le champignon, papi ! » me charrie Thierry.
« Fiche lui la paix » fait Thibault.
« Si on continue comme ça, il va être reparti au taf quand nous allons arriver ! » persiste le clown de la bande.
Thierry se moque de ma conduite qu’il trouve excessivement prudente. Mais je m’en fous. Car, je le sens, c’est sa façon de m’intégrer à ce petit groupe.
Encore que, sur le fond, il n’a pas tort. Il me faut plus d’une heure pour arriver à Albi. Il est 1h30 quand Thierry sonne (longuement) à l’interphone d’Akim.
Akim, le genre de prénom qui sonne à mon oreille comme une promesse de sexytude masculine d’ailleurs.
« C’est qui ? » fait une voix enrouée.
« Police Nationale » fait Thierry « nous savons que vous détenez des substances illicites chez vous ».
« Quoi, c’est quoi ces conneries ? Vous avez vu l’heure ? » fait la voix masculine dans l’interphone.
« Ouvrez monsieur Akim, magicien de mêlée, ou nous allons envoyer les équipes d’assaut ».
« Thierry, c’est toi ? ».
« Comment tu m’as reconnu ? ».
« Magicien de mêlée ».
« Ah, je me suis trahi… ».
« Tu fais quoi là ? ».
« Je ne suis pas seul ».
« Y a qui avec toi ».
« Ouvre et tu verras ».
« Putain, tu fais chier, je dormais, je travaille demain… ».
« OUVRE !!! ».
Nous retrouvons ledit Akim dans un petit appart. Mon intuition ne m’a pas trompé. Comme prévu, le prénom Akim s’applique à un gars bien sexy. L’ancien co-équipier de Jérém est un charmant reubeu au physique élancé, très brun et au regard de braise. Il nous accueille habillé d’un débardeur blanc qui met bien en valeur la couleur mate de sa peau et d’un survet en tissu molletonné.
Là encore, les retrouvailles sont touchantes. Thibault est ému. Je crois comprendre que lui et Akim étaient très proches lorsqu’ils jouaient ensemble.
« Je trinque à Thibault » fait le beau reubeu après avoir appris la mésaventure du jeune pompier, en entrechoquant sa bière avec celles de ses anciens co-équipiers « un gars comme ça » il continue, tout en levant fièrement le pouce « le gars qui m’a tout appris au rugby ».
« Tu savais déjà jouer » tente de se « dédouaner » Thibault.
« Je savais jouer mais je n’étais pas un joueur. Tu m’as appris l’esprit d’équipe. Tu m’as intégré à l’équipe. Si tu n’avais pas fait des pieds et des mains pour que je joue avec vous, j’aurais recommencé mes conneries de petit dealeur minable. Et les keufs m’auraient embarqué pour de bon. J’étais dans la cité, au chômage et le rugby était tout ce que j’avais. Tu m’as donné la chance de m’en sortir. Alors, oui, tu m’as tout appris au rugby. Et à la vie aussi. Parce que tu m’as appris avant tout comment être un mec bien. Tu m’as obligé à être un mec bien. Je voulais que tu sois mon pote et j’ai vite compris que pour que cela arrive, il fallait que je sois un mec bien, comme toi. Tu es un modèle pour moi et tu le resteras toujours. Ça me fait de la peine de te voir blessé. J’imagine que tu as vu des choses qui t’ont secoué. Mais ne baisse pas les bras, jamais, jamais… ».
Thibault est très ému. Les deux anciens co-équipiers se serrent longuement dans les bras l’un de l’autre. C’est beau et terriblement émouvant.
Soudain, je repense aux mots du beau pompier de la veille. Et je me dis que moi aussi, dans une autre vie, dans un autre monde, dans d’autres circonstances, j’aurais tellement aimé être plus que pote avec cet adorable garçon !
« Arrêtez un peu, les gars, avant de changer de bord » fait Thierry.
C’est lorsque leur accolade virile prend fin que Thibault fait l’annonce que j’ai d’une certaine façon attendue pendant toute la soirée.
« J’ai un truc à vous dire les gars… ».
« De quoi ? Tu vas te faire curé ? » plaisante Thierry.
« Je vais être papa… ».
« Sacré Thibault ! » fait le même Thierry en brisant le petit blanc amené par l’annonce du jeune pompier « félicitations mon grand ! ».
Tout le monde congratule le beau pompier, avec des bises, des accolades. Sur le coup, Jérém a l’air désarçonné par la nouvelle. Comme les autres, mais peut-être davantage encore que les autres. Mais il finit par féliciter Thibault à son tour.
Lorsque nous arrivons à Toulouse, il est près de 4 heures du mat. J’arrête la voiture en bas de chez Thibault et je laisse le volant à Thierry. Jérém, Thibault et moi descendons de la voiture. Thierry repart aussitôt, tout en nous lançant un adorable : « Je vous adore les gars ! Jamais on ne se perd de vue, ok ? ».
« Ok !!! »
Jérém et moi aidons Thibault à regagner son appart.
Plusieurs mois après notre nuit ensemble, nous nous retrouvons enfin tous les trois réunis. J’ai peur que maintenant que nous ne sommes plus que tous les trois il y ait comme une distance entre nous. Alors, je suis heureux d’entendre Thibault nous lancer :
« J’ai envie d’un café. Vous voulez un café les gars ? ».
« Je veux bien » fait Jérém.
« Moi aussi » je suis le mouvement.
Thibault entreprend de préparer la cafetière, mais il galère. Jérém le rejoint aussitôt pour l’aider. Thibault le regarde faire sans le quitter des yeux et finit par lui lancer, l’air ému :
« Je ne parle pas de ça. Thierry m’a dit que c’était toi qui avais eu l’idée de cette soirée et qui avait tout organisé ».
« Ah, ça… c’est rien… ».
« Au contraire, c’est tout. Tu ne peux pas savoir comment ça m’a fait plaisir de vous revoir. Et de te revoir. Tu m’as beaucoup manqué ».
« Je suis désolé de de la façon dont les choses se sont passées » lance alors Jérém « je n’ai jamais voulu te faire du mal »
« Je sais, je sais » admet Thibault, faisant face à son meilleur pote.
« Si tu savais comment tu m’as manqué aussi, frérot » fait mon bobrun, en prenant son pote dans ses bras et en le serrant très fort contre lui.
« Et merde, tu vas encore me faire chialer » fait Thibault.
A ce moment précis, je suis tellement fier de mon Jérém. Ces retrouvailles entre meilleurs potes c’est tellement beau à voir !
« Akim a raison » fait Jérém « tu es un gars génial. A moi aussi tu m’as appris un tas de choses, mais avant tout tu m’as appris comment être un mec bien. Ton amitié compte énormément pour moi. C’est l’une des choses les plus précieuses que je possède. Tu as vécu des choses difficiles, mais tu vas t’en sortir. Je suis à Paris, mais tu pourras toujours compter sur moi. Ne baisse jamais les bras, jamais ».
« Toi aussi tu pourras toujours compter sur moi, mon pote ».
« Je le sais, je le sais ».
« Je suis content pour ce qui t’arrive. Avoir un enfant est une grande responsabilité et tu vas gérer ça comme un chef ».
« Je l’espère ».
« J’en suis convaincu ».
« Et merci à toi aussi, Nico » fait alors Thibault « parce que je suis certain que c’est toi qui as dit à Jé que j’étais pas bien ».
Je me contente de lui sourire, en essayant de retenir mes larmes.
« Toi aussi tu es un bon gars » il continue « et je suis content de vous voir heureux ensemble ».
Avant de quitter Thibault nous nous serrons tous les trois dans une étreinte virile qui fait battre fort mon cœur, de joie et de bonheur.
[Et puis, le lendemain, Nico débarque par surprise à ton appart, avec des potes à toi. Et ton Jéjé est parmi ces potes. Tu es si touché que tu en as les larmes aux yeux.
Une expédition à Albi est lancée pour aller retrouver Akim, un ancien coéquipier du rugby à Albi.
Ça te fait un bien fou de retrouver tes potes.
Et au retour sur Toulouse, le plus beau cadeau de la soirée, enfin les retrouvailles avec ton Jéjé.
Une soirée avec tes potes, les retrouvailles avec ton meilleur pote de toujours. Et tu as enfin retrouvé le moral].
LT0108 Le livre de Thibault – Un jour qui a marqué ta vie.
Avertissement.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Vendredi 21 septembre 2001.
[Et puis il y a eu la catastrophe d’AZF. Et tu as été blessé lors de l’intervention sur place. Ton genou a souffert. Tu vas être immobilisé pendant des mois. Des longs mois pendant lesquels tu ne seras plus pompier, ni rugbyman. Des longs mois pendant lesquels les images d’horreur que tu as vu sur place te hanteront.
Depuis ce terrible vendredi tu vas mal, très mal. Plein d’idées te trottent dans la tête].
Dimanche 23 septembre 2001.
« Salut, Thibault. Je sais que tu m’as dit que tu veux prendre un peu de distance pour l’instant, mais je m’inquiète pour toi, après ce qui s’est passé à Toulouse. J’espère que tu vas bien. Envoie-moi au moins un petit message pour me dire comment ça va ».
J’occupe le reste de la matinée à aider papa à remettre en place les étagères des placards des chambres. En début d’après-midi, je vais retrouver Elodie. Elle garde toujours le sourire, malgré la douleur à l’oreille et un diagnostic qui se confirme comme étant plutôt défavorable pour son tympan touché.
Je passe l’après-midi à attendre les coups de fil de Jérém et de Thibault. Des coups de fil qui ne viennent pas.
Ce n’est que vers 19 heures, alors que nous sommes en train de dîner, que mon portable sonne enfin. Et l’écran affiche : « Thibault ».
« C’est un autre pote qui est pompier » je lance à mes parents, pour justifier le fait de répondre au téléphone alors qu’on est à table, chose qu’ils voient à juste titre comme un manque se savoir vivre.
Papa et maman acquiescent d’un simple geste de la tête.
« Salut Thibault ».
« Salut, Nico, comment ça me fait plaisir de t’entendre. Tu vas bien ? ».
« Moi ça va. Et toi ? ».
« Ça va » il lâche sur un ton qui me paraît abattu.
Ses mots sont suivis d’un long silence.
« T’es sûr que ça va ? ».
« Non, ça ne va pas vraiment ».
« Qu’est-ce qu’il se passe ? ».
« Je me suis blessé pendant l’intervention ».
« Qu’est-ce que tu as ? ».
« Un genou en vrac ».
« Je suis désolé. Mais tu es à l’hôpital ? ».
« Non, je suis chez moi. Je viens de rentrer ».
Je sens à sa voix que le beau pompier a le moral plus bas que ses chaussettes.
« Je peux passer te voir si tu veux… ».
« Mais tu es sur Toulouse ? ».
« Oui, je suis rentré hier soir ».
« Ta famille va bien ? ».
« Oui, à part ma cousine qui a un tympan touché ».
« C’est pas trop grave ? ».
« Elle pense qu’elle va le perdre ».
« C’est horrible, horrible, c’est un désastre ».
Je sens dans ses mots une tristesse et un épuisement qui m’inquiètent. Je voudrais trouver les mots pour le rassurer mais je n’y arrive pas.
« Nico… » je l’entends me lancer après un nouveau lourd silence.
« Oui ? ».
« Passe me voir, ça me fera du bien ».
J’entends dans sa demande comme un appel à l’aide. Appel auquel je ne peux me soustraire.
« J’arrive ».
Une demi-heure plus tard, je sonne à l’interphone du jeune pompier.
« Je t’ouvre » j’entends une voix féminine m’annoncer.
Il doit s’agir de sa copine. Je suis un peu déçu d’apprendre que Thibault n’est pas seul. Mais je me dois quand-même d’être là pour lui, alors qu’il a l’air d’aller vraiment mal.
La porte de l’appart est entrouverte.
« Nico ! » m’accueille chaleureusement le jeune stadiste.
Thibault est installé en position demi-assise sur le clic clac ouvert en mode lit, le dos calé par plusieurs oreillers. Il a un grand pansement autour du genou droit, un autre sur l’arcade sourcilière gauche, son visage présente de nombreuses traces de blessures. Même s’il se force à sourire, je vois qu’il a l’air sonné. Mon Dieu qu’il a l’air mal en point mon adorable pote Thibault !
« Salut Thibault » je lui lance en m’approchant de lui.
« Ne bouge pas » j’ajoute, en voyant le beau pompier essayer de se lever avec grande difficulté.
« Mais qu’est-ce que tu fais, chéri ? Le médecin t’a dit de ne pas bouger ! » lui lance une petite brune déboulant au pas de course depuis la cuisine.
« Je suis foutu » fait Thibault, en essayant de rigoler. Mais je sens qu’il ne rigole qu’à moitié.
« Mais non, t’as juste besoin de repos pour te remettre » fait la petite brune.
Je me penche vers Thibault pour lui faire la bise. Et là, à ma grande surprise, le jeune pompier me serre très fort dans ses bras puissants, tellement fort que je manque de partir vers l’avant. Je dois prendre appui sur le dossier du clic clac pour ne pas tomber sur lui de tout mon poids.
Je suis surpris de ces effusions de Thibault devant sa copine. Mais ça me fait plaisir de retrouver cette intimité amicale. Je suis aussi enivré par le parfum qui se dégage de lui, le même que d’habitude, un délicieux bouquet composé du parfum délicat de lessive et d’une fragrance légère de gel douche et de déo, un mélange de linge propre et de bogoss sexy.
« Je suis content que tu sois venu » il me lance en me regardant droit dans les yeux, son visage à quelques centimètres à peine du mien.
Touchant, adorable, émouvant, beau, doux et viril, puits à câlins au regard vert-marron dans lequel on a envie de se noyer, magnifique Thibault, ange et petit Dieu, généreux, altruiste. Ce sont des gars comme lui qui donnent envie de croire en l’espèce humaine.
Lorsque je me relève, je surprends le regard fixe de Nathalie sur moi.
« Nico, je te présente Nathalie » fait Thibault « ma copine. Mais aussi, mon infirmière à domicile ».
« L’infirmière a un patient difficile à gérer » elle fait sur un ton railleur.
« Mais l’infirmière est très dévouée à la tâche ».
« Elle est fatiguée l’infirmière, elle n’a pas dormi depuis près de 24 heures et elle va encore se taper une garde de nuit ».
Après avoir une nouvelle fois arrangé les oreillers dans le dos du beau pompier, Nathalie vient me faire la bise. Elle n’est pas très grande, et fine. Une petite brune pétillante. Elle est plutôt mignonne. Elle a l’air douce mais avec un caractère bien trempé.
« Comment tu te sens ? » je questionne Thibault.
« Bien, bien, je tiens le coup ».
« Allez, je vous laisse entre mecs. Moi je file à l’hôpital. Tu le surveilles un peu, Nico ? » me branche Nathalie.
« Pas de problème ».
« Je compte sur toi pour l’empêcher de faire des bêtises ».
« Je veille sur lui ».
« A demain matin » elle lance, tout en embrassant longuement son chéri.
Quand je regarde cette petite brune à côté de ce beau mâle, et je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle la puissance du mec et le petit gabarit de la fille, je ne peux m’empêcher de l’imaginer dans les bras puissants du beau pompier, enveloppée par cette étreinte douce, virile et rassurante que je connais bien. Je les imagine peau contre peau, enlacés, en train de faire l’amour. J’imagine surtout Thibault en train de faire l’amour.
Pendant que je lui refais la bise, alors qu’elle s’apprête à partir, j’ai envie de lui dire qu’elle a une chance inouïe d’être avec un mec pareil. Elle a l’air d’une chouette fille, j’espère qu’elle saura lui apporter le bonheur qu’un mec aussi charmant et adorable mérite. Car cette nana porte l’enfant de mon pote, et elle détient la clef de son bonheur.
Nathalie vient tout juste de passer la porte lorsque Thibault pousse un grand soupir. Mais ce n’est pas un soupir de soulagement, c’est clairement un soupir de souffrance.
« Ça va pas ? » je m’inquiète.
« Je souffre le martyre ».
« Au genou ? ».
« Oui, mais aussi au dos, au cou ».
Thibault soulève son t-shirt et dévoile son torse de statue grecque. C’est beau à en pleurer. Mais le frisson sensuel provoqué par la vision de son torse de malade se mélange très vite à la tristesse de voir son dos parsemé d’ecchymoses.
« Oh, Thibault… ».
« J’ai failli y passer, Nico. Ce coup-ci, c’est vraiment pas passé loin ».
« Qu’est-ce qui s’est passé ? ».
« On était sur le site une heure après l’explosion, on cherchait des blessés. On est rentrés dans un hangar et des pièces sont tombées du plafond. Je m’en suis pris une sur la tête et sur le dos. Ça m’a projeté au sol. C’était tellement violent que le casque a été déformé. Je suis tombé sur un autre débris et je l’ai heurté avec le genou. J’ai perdu connaissance, alors que le toit se disloquait. Heureusement un collègue m’a sorti de là, sinon j’y serais passé ».
« Je suis vraiment désolé Thibault ».
« J’ai eu peur, Nico, très peur. Et j’ai toujours peur, je n’arrive pas à oublier cette peur » fait-il, les yeux rougis, en retenant de justesse ses larmes.
Je vois cette peur dans ses yeux. Je m’approche de lui et je le serre dans mes bras. Le jeune pompier se lâche enfin et pleure dans le creux de mon épaule.
« C’est fini, c’est fini ».
« Je suis désolé de t’imposer ça ».
« T’inquiète, tu es mon meilleur pote et je suis content d’être là ».
« Merci d’être venu, Nico, merci ».
« J’ai senti que ça n’allait pas fort ».
« Je n’ai jamais vu un tel désastre, Nico, je n’ai jamais vu de telles horreurs de ma vie. J’ai vu des trucs vraiment horribles. Je n’arrive pas à penser à autre chose, je me passe la scène en boucle ».
« Pourquoi tu caches ta souffrance à Nathalie ? ».
« Elle est enceinte, je ne veux pas qu’elle s’inquiète ».
« Mais tu ne peux pas garder tout ça pour toi ».
« Je n’ai pas envie de lui infliger ça. De toute façon, c’est trop dur. J’en fais des cauchemars. Je n’arrive plus à dormir. J’ai l’impression que je vais devenir fou ».
« C’est encore frais, ça va se calmer avec le temps » je tente de le rassurer.
« Ces blessures vont guérir » il répond, en indiquant son pansement au genou « Mais ces autres » il ajoute, en indiquant sa tête « ne vont pas guérir de sitôt ».
« Si tu veux en parler, tu peux compter sur moi ».
« Je n’y tiens pas Nico ».
« Je comprends. Mais je pense que tu devrais en parler quand-même. Je suis certain que ton médecin pourrait t’orienter vers quelqu’un qui pourrait t’aider ».
Thibault ne répond pas, il a l’air tellement mal. Je le vois mordiller sa lèvre, respirer fort, essayer de retenir ses larmes. Il est tellement touchant, tellement émouvant. Je le prends une nouvelle fois dans mes bras et il éclate à nouveau en sanglots.
Je le serre contre moi pour essayer de le réconforter mais je n’arrive pas à le calmer. Je suis bouleversé par sa souffrance. Son mal être est profond, et tellement injuste. Je sais que pompier est un métier à risque. Mais je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi le sort est si injuste avec un gars aussi merveilleux.
Soudain, je réalise que je suis en train d’enlacer Thibault dans ce clic clac où Jérém et lui ont couché ensemble. Mais cela n’a plus d’importance, je ne sais même pas comment j’ai pu lui en vouloir autant.
Le contact avec le beau pompier me procure d’intenses frissons. La solidité, la puissance, la chaleur de son corps, même meurtri, m’impressionnent. Le contraste entre la puissance du muscle et la douceur de la peau de ses biceps me rappelle les moments d’intense sensualité et de plaisir durant la nuit que nous avions partagée avec Jérém. Son empreinte olfactive de jeune mec m’enivre. Son cou puissant à portée de bisous est si tentant.
« Je suis tellement fatigué » je l’entends soupirer.
« Ça va aller Thibault, tu es un sacré bonhomme, tu vas remonter la pente ».
« Je ne sais pas si j’en ai l’énergie ».
« Tu as une équipe qui t’attend ».
« Avec mon genou en vrac, je ne pourrai pas jouer pendant des mois ».
« Et franchement, je ne sais même plus si j’ai envie » il continue, avec une voix faible « Être payé pour jouer au ballon, ça me parait tellement vide de sens. Passer ma vie à m’occuper de mon corps, de mes performances, de mon alimentation, à tourner autour de moi, juste pour être prêt à courir après un ballon, je sens que je ne pourrai pas faire ça longtemps. Après ce que j’ai vu vendredi, je crois que je ne pourrai plus le faire du tout ».
« Tu veux plaquer le rugby ? ».
« J’y pense de plus en plus ».
« Pour faire quoi ? ».
« Je vais revenir au garage. Mon ancien patron me reprendra ».
« Et les pompiers ? ».
« Je ne peux plus. J’ai vu trop d’horreurs, je ne peux plus ».
« Mais tu ne peux pas renoncer à tous tes rêves ».
« Quelque chose s’est brisé en moi vendredi dernier et je ne crois pas que je vais arriver à le réparer de sitôt. J’ai eu peur et la peur ne me quitte plus. J’ai besoin de me concentrer sur l’essentiel. D’avoir un taf, un salaire, une vie tranquille. J’ai besoin d’être là quand mon gosse va arriver. C’est peut-être égoïste, mais c’est comme ça ».
« Thibault, tu es un gars merveilleux. Je crois, non, je suis sûr que je ne connais personne d’aussi courageux, altruiste et généreux que toi ».
« Ce Thibault-là n’existe plus ».
« Je suis sûr que si. Il se cache parce qu’il a peur. Mais il ne pourra pas rester planqué longtemps. Tu es un pompier dans l’âme et tu le seras toute ta vie. Tu as des valeurs, des merveilleuses valeurs. Tu as besoin de te sentir utile. Non pas parce que ça fait du bien à ton égo, mais parce que tu es quelqu’un de bien, un gars comme il n’en existe pas des légions. Tu es un gars rare, Thibault. Et je suis heureux, à un point que tu n’imagines même pas, de te connaître et d’avoir ton amitié ».
« Ça me touche ce que tu viens de dire ».
« Je le pense vraiment, vraiment. Ne change jamais Thibault, jamais, ne laisse pas la vie t’atteindre au point d’oublier qui tu es. Tu es quelqu’un de trop précieux ».
« Nico » il soupire, en me serrant très fort contre lui et en posant des bisous dans mon cou. Mais un instant plus tard, comme s’il regrettait son geste, il se laisse glisser de côté, la nuque sur mon ventre. Je caresse ses cheveux et son visage meurtri et le jeune pompier semble s’apaiser peu à peu.
Nous restons ainsi, en silence, pendant un bon moment. Des longues minutes pendant lesquelles mon regard est aimanté par ses traits doux et virils à la fois, par son cou puissant, ses épaules charpentées, ses biceps musclés, ses pecs ondulant au rythme de sa respiration.
Ma tête se met à tourner, mon cœur s’emballe. Mon corps est sans cesse parcouru par d’intenses frissons, j’ai du mal à respirer calmement. Sa peau douce, comme un aimant à câlins, est à portée de mes mains, à quelques centimètres de ma bouche.
Je crève d’envie de poser un chapelet de bisous sur son cou, à la base de sa nuque, sur les quelques petits poils sur ses avant-bras, sur cette petite légère tache de naissance sombre derrière le biceps que je n’avais jamais encore remarquée.
Ses bisous m’ont touché. Car il a tant de détresse dans ces baisers. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir dans ces baisers comme une note de sensualité. Je ressens un doux frisson d’excitation parcourir mon corps. Je bande. J’ai envie de lui.
Je sais que je ne devrais pas ressentir ça pour un autre gars que Jérém. Et pourtant, je ne peux pas m’en empêcher. La beauté et la sensualité masculines me font tellement d’effet. Un effet qui est totalement hors de mon contrôle. Et en matière de beauté et de sensualité, Thibault est un sacré morceau.
Le désir est un réflexe, un instinct primaire qui me tombe dessus comme l’appétit, la soif, le sommeil. Et là-dedans, ma volonté n’a aucune voix au chapitre. Je peux maîtriser mes actes, mais en aucun cas mon désir.
Comme je comprends désormais la tentation qui a été celle de Thibault, sur ce même clic clac, en cherchant le contact physique avec son Jé, pour le réconforter, lorsqu’il était en détresse comme lui l’est maintenant.
La tendresse qu’on offre pour réconforter à un gars qui nous attire est comme posée sur un plan incliné sur lequel elle risque à tout moment de glisser vers la sensualité.
L’excitation de mes sens ne trouve de répit que lorsque j’entends la respiration du bomécano s’apaiser et glisser vers un tout petit ronflement, si mignon, qui m’annonce son assoupissement.
Repose-toi, bonhomme, reprends tes forces, tu l’as bien mérité.
Je sens mes muscles se relâcher peu à peu, je sens la fatigue me gagner. Et je finis par m’assoupir à mon tour.
C’est la sonnerie de mon portable qui me fait émerger brusquement. Je le cherche dans ma poche, j’ai du mal à le sortir. Lorsque j’y arrive enfin, j’ai tout juste le temps de voir « MonJérém » s’afficher sur l’écran, que la sonnerie cesse d’un coup.
J’ai le cœur qui bat à mille. Entre autres, parce que la situation me paraît soudainement gênante. Parler avec Jérém alors que je suis dans le clic clac de Thibault, alors qu’il dort la tête posée sur mon torse, même s’il ne s’est rien passé entre nous à part des câlins, me met mal à l’aise. Je me dis que je le rappellerai une fois sur le chemin vers chez moi.
Je regarde Thibault bouger sa tête, émerger à son tour, l’air complètement assommé.
« Il est quelle heure ? » il me questionne, la voix pâteuse.
« Dix heures quarante. Je devrais y aller… ».
J’ai tout juste le temps de terminer ma phrase alors que mon portable sonne à nouveau.
« Excuse-moi, je dois répondre » je lui glisse, en soulevant doucement sa tête pour me lever du clic clac. Je me dirige vers la fenêtre donnant sur le paysage urbain illuminé. Je me fais la réflexion que ma ville est à l’image de Thibault. Qu’est-ce qu’elle belle, même lorsqu’elle est meurtrie !
« Allo ? » je décroche enfin.
« Ourson… ».
« Ça va toi ? ».
« Bien, bien ».
« Et ton frangin ? ».
« Bien aussi, son trauma crânien est toujours en observation. Les médecins ne veulent pas se prononcer pour l’instant. Ecoute, Nico, je n’ai pas beaucoup de batterie, ça risque de couper. Je suis toujours dans le Gers, j’ai dîné chez des voisins. Je vais rester dormir chez mon père cette nuit. Je reviens sur Toulouse demain, je passerai te voir dans la matinée. Bonne nu… ».
Je n’ai pas le temps de lui souhaiter une bonne nuit à mon tour que la communication est coupée.
« C’était Jé, hein ? » me lance Thibault, alors que je range mon téléphone dans ma poche.
« Oui ».
« Il va bien ? ».
« Oui, il va bien, mais il s’inquiète pour son frère ».
« Il va bien Maxime ? ».
« Il a été blessé dans son lycée. Il a un trauma crânien, et les médecins ne savent pas trop comment ça va évoluer ».
« Du coup, Jé est sur Toulouse ».
« Oui, depuis hier. Là il est chez son père ».
« Tu lui passeras le bonjour de ma part » fait le beau pompier, l’air ailleurs.
« Je n’y manquerai pas. Thibault, il se fait tard, je crois que je vais y aller ».
« D’accord, Nico. En tout cas, merci encore d’être venu ».
« T’as besoin de quelque chose ? ».
« Aide moi à me lever, s’il te plaît pour aller à la salle de bain ».
J’attrape la bonne paluche que le beau pompier me tend. Je l’aide dans ses mouvements pour se mettre debout. Je lui passe ses béquilles et je le regarde avancer lentement vers la salle de bain. Ça me rend terriblement triste de le voir si mal en point. Et ce ne sont pas ses blessures visibles qui m’inquiètent le plus.
« Merci Nico ».
« Ça va aller ? » je le questionne, alors qu’il trébuche et se rattrape de justesse à la cloison du couloir pour ne pas tomber.
« Oui, ça va aller. J’ai envie d’un café, tu en voudrais un aussi ? ».
« Pourquoi pas ».
« Tu veux nous en faire chauffer, s’il te plaît ? ».
« Avec plaisir ».
Ainsi, pendant que le beau pompier se soulage, je fais chauffer deux tasses de café.
Thibault revient une minute plus tard et nous buvons nos boissons en silence. Je cherche son regard, en vain. Car son regard semble perdu dans le vide, comme quelqu’un qui est à moitié endormi. Ou très soucieux.
« Tu veux m’accompagner dans la chambre avant de partir ? ».
« Avec plaisir ».
Thibault a bien du mal à se remettre debout. Ses pas sont mal assurés Je l’accompagne en tenant ses épaules massives, je surveille à chaque pas qu’il ne tombe pas. Je l’accompagne ainsi jusqu’à sa chambre.
C’est la première fois que je rentre dans cette pièce qui, d’une certaine façon, représente à mes yeux l’intimité ultime d’un garçon. C’est ici que le beau pompier dort, rêve, fait l’amour. Découvrir cette chambre n’est pas sans me faire un certain effet.
Je l’aide également à s’installer au lit. Je l’aide à enlever son short et son t-shirt. La vision de ses cuisses musclées et de son torse massif, taillé en V, sculpté, de ses pecs légèrement poilus, de ses grands tétons saillants, de la belle bosse que fait son boxer bleu me donne des frissons intenses. Mon Dieu qu’est-ce qu’il est bien foutu ce petit Dieu !
Soudain, le souvenir du plaisir de la nuit chez Jérém remonte violemment à mon esprit. Je revois le beau pompier en train de me faire l’amour, de me donner du plaisir, de prendre du plaisir. Je sens mon esprit vaciller sous l’effet d’un désir dévorant. Une fois de plus, je culpabilise de ressentir autant d’attirance pour Thibault, alors que je suis si bien avec Jérém, alors que la nuit d’avant j’ai fait l’amour avec lui dans ma chambre, chez mes parents. Mon cœur tape très fort dans ma poitrine, ma respiration est tremblante. J’ai besoin de prendre l’air. Il faut que je parte, il faut que j’arrête de penser à ça.
Le beau pompier se glisse sous les draps, son corps de malade disparaît de ma vue. Je profite de ce répit pour prendre congé.
« Ça va aller, Thibault ? ».
« Ça va aller ».
« Je file alors » je fais, en me penchant sur lui pour lui faire la bise.
« Merci encore d’être venu, ça m’a fait du bien ».
« De rien, ça m’a fait plaisir, même si j’aurais préféré te voir plus en forme ».
« Il ne faut pas te faire du souci pour moi. J’ai juste un coup de blues, mais ça va passer ».
Pourtant, malgré ses mots qui se veulent rassurants, j’ai mal au cœur de le laisser. Il a l’air si mal, si angoissé.
« Prends soin de toi, Thibault. Passe une bonne nuit ».
« Bonne nuit, Nico ».
J’ai tout juste le temps d’approcher le battant de la porte de la chambre lorsque j’entends Thibault m’appeler.
« Nico… ».
Je reviens illico dans la chambre.
« Qu’est-ce qui se passe ? ».
« Je ne veux pas rester seul cette nuit. Tu peux rester dormir ? ».
J’ai un peu hésité. Je me suis demandé si c’était bien. Je me suis demandé ce qu’en penserait Jérém. Je me suis demandé à quel point ce serait dur pour moi de passer la nuit à côté d’un si beau garçon, avec qui j’ai déjà couché, et de devoir faire face à un désir violent, à une tentation impitoyable.
Mais devant la détresse de mon ami Thibault, je n’ai pas pu dire non. J’ai envoyé un sms à maman et je me suis glissé sous ses draps. Il est venu se blottir contre moi. Peu à peu, j’ai senti sa respiration s’apaiser. Le beau mécano a fini par s’endormir.
Thibault a besoin de repos. Je l’ai trouvé très fatigué, physiquement et moralement. Il a besoin de dormir longuement.
Pour ma part, j’ai plus de mal à m’endormir. C’est dur de dormir à côté d’un mec aussi sensuel, de le sentir blotti contre moi, sans avoir envie que ça aille plus loin qu’un simple câlin. Le contact avec son corps, de son torse nu, de sa peau chaude (même si j’ai heureusement gardé mon t-shirt), la proximité de son sexe caché par une fine couche de coton, le parfum de sa peau, sa présence virile me donnent des frissons.
Bien sûr, je sais que la demande de Thibault n’a pas d’arrière-pensée. Mon pote ne veut rien tenter de sensuel. De toute façon, il n’est pas vraiment en état pour ça. Ce dont il a besoin cette nuit, pour trouver le sommeil, est d’une présence rassurante à ses côtés. Celle d’un pote avec qui il est à l’aise pour partager ce qu’il cache certainement à son entourage. Son mal être.
Quant à moi, j’essaie de me maîtriser mais je suis excité, je bande à nouveau. La proximité est le terreau de la tentation.
Mais ça me fait plaisir d’être là pour lui, vraiment plaisir.
A un moment, Thibault réémerge et me lance :
« Tu es un bon gars, Nico ».
« Toi aussi, toi aussi ».
Et là, après un petit silence, il me lance une phrase qui va me bouleverser :
« Tu sais, si on s’était rencontrés dans une autre vie, dans un autre monde, dans d’autres circonstances, je pense qu’on pourrait être plus que des potes ».
Depuis notre précédente rencontre, depuis que Thibault m’avait parlé de ce gars qui lui faisait de l’effet mais qui lui était tout aussi inaccessible que Jérém, je me doutais qu’il pouvait peut-être s’agir de moi. Mais je n’avais pas osé, je n’avais pas voulu le croire. Car cette idée me flattait et me faisait peur à la fois.
Lorsque je me réveille, il est près de 9h00. Thibault dort sur le dos, le drap en travers de son torse, dévoilant un téton et cachant l’autre. Son visage est serein, apaisé. Il est terriblement beau. Ma trique matinale rend ma frustration insupportable. J’ai envie de me branler. Je suis sur le point de me lever pour aller me soulager dans la salle de bain.
Soudain, je suis surpris par un bruit venant du séjour. Suivi d’un claquement de porte. Et des bruits de pas sur le carrelage.
Zut alors, Nathalie est rentrée. Soudain, je ressens un immense malaise me submerger. Je suis dans le lit avec Thibault, son mec, le futur père de son enfant. Bien sûr, il ne s’est rien passé entre nous, à part de la tendresse, beaucoup de tendresse. Mais j’ai l’impression d’être pris avec la main dans le pot de Nutella. En plus, je bande comme un fou.
Je bondis hors des draps de mon pote, je ramasse mes fringues, je me glisse dans la salle de bain en vitesse, tout en faisant moins de bruit qu’un félin ayant retracté ses griffes et ne marchant que sur ses coussinets. Je me rhabille en vitesse, j’arrange un brin ma tignasse. Et je ressors dans le couloir, je vais à l’encontre de Nathalie, tout en l’appelant par son prénom, afin de pas la surprendre et de ne pas lui faire peur.
« Oh, Nico, tu as dormi là ? ».
« Oui, on a discuté jusque tard avec Thibault. J’ai dormi sur le clic clac… je viens de me lever ».
« Tu l’as trouvé comment ? » elle me questionne en me faisant la bise.
« Pas bien. Mais il va aller mieux je pense ».
« Je l’espère. Il dort toujours ? ».
« Je crois ».
« Je vais aller le voir ».
« Je vais y aller, moi ».
« Reste pour le petit déj. J’ai rapporté des croissants ».
Nathalie revient quelques secondes plus tard.
« Il dort comme un ange. Tu veux un café, Nico ? ».
« Avec plaisir ».
« J’ai eu très peur pour lui » me lance Nathalie.
« Je comprends ».
« Thibault est un gars unique ».
« Je le sais, c’est mon meilleur pote ».
« Alors tu dois savoir que je suis enceinte et qu’il va être papa ».
« Il me l’a dit, oui ».
« Je suis heureuse que ce soit lui. Il fera un papa extra ».
« Je le crois aussi ».
« Mais il faut le laisser tranquille, Nico » elle me lance, en baissant soudainement le ton de la voix et en me regardant droit dans les yeux.
« Je sais qu’il a besoin de repos » j’imagine aller dans son sens, naïvement.
« Je ne te parle pas de repos. Je vais être claire, Nico. Je pense que Thibault est attiré par toi ».
« Pardon ? ».
« Ça fait un moment que je me demande si Thibault est bi » elle me lance direct sans prêter attention à mon interrogation.
« Et je suis certaine que tu es attiré par lui » elle enchaîne « je me demande même s’il ne s’est pas déjà passé quelque chose entre vous ».
« Mais qu’est ce qui te fait penser ça ? ».
« Une intuition. Certains de vos regards et de vos attitudes l’un envers l’autre. Je me trompe ? ».
Je ne sais plus quoi lui répondre. Sa perspicacité me prend de court.
« Regarde-moi dans les yeux et dis-moi qu’il ne s’est jamais rien passé entre vous… si c’est le cas ».
« Nathalie… »
« Allez, je ne vais pas me fâcher. Je veux juste savoir ».
« Ça ne te regarde pas ».
« C’est vrai, ce qui s’est passé ou pas dans sa vie d’avant ne me regarde pas. En revanche, ce qui va se passer à partir de maintenant, ça me regarde ».
« Mais moi j’ai un mec, et je n’ai aucune intention de le tromper » je tente de la rassurer.
« Tant mieux, je suis heureuse pour toi et je vous souhaite tout le bonheur possible. Mais Thibault, il faut le laisser en dehors de tout ça, d’accord ? Je vais fonder une famille avec lui, tu comprends ça, n’est-ce pas ? Je pense que tu peux comprendre ce que je ressens ».
« Oui, je peux comprendre… » je suis obligé d’admettre.
« je ne vais pas te demander de ne pas le voir, car il a besoin de ses potes pour remonter la pente. Mais il ne faut pas que ça dérape, ok ? ».
« Ça n’arrivera pas, je ne veux pas tromper le gars que j’aime ».
« Merci, Nico. Inutile de parler à Thibault de cette conversation, ça va sans dire ».
« Ça va sans dire » je répète machinalement.
Et je quitte l’appart des Minimes sans avoir dit au revoir à mon pote blessé.
[La visite de Nico te fait vraiment plaisir. Nathalie dit partir au travail, et tu n’as pas envie de rester seul. Nico reste dormir chez toi.
Tu es heureux d’avoir pu renouer avec lui.
Car avec ton pote Jéjé, tu n’y es pas encore arrivé].
Il est presque midi le lendemain lorsque je reçois un coup de fil de Thibault.
« Désolé d’avoir dormi si tard. Je ne t’ai pas entendu partir ».
« Ça t’a fait du bien ? ».
« J’en avais besoin. C’est la première nuit où je dors bien depuis trois jours ».
« Je suis content pour toi ».
« Merci encore d’être resté, Nico ».
« C’était un plaisir ».
« Tu rentres bientôt à Bordeaux ? ».
« Demain, je pense ».
« Fais-moi signe quand tu reviens sur Toulouse ».
« Promis, mais ça risque de ne pas être avant quelque temps ».
« N’oublie pas de passer le bonjour à Jé ».
« C’est comme si c’était fait ».
Pendant le coup de fil, j’ai l’impression de ressentir dans le ton de sa voix la présence persistante de cette détresse qui m’inquiète. Je sens qu’il ne va toujours pas bien et je ne suis pas tranquille. Je passe la matinée à penser à tout ça. Mais aussi à attendre un coup de fil de Jérém. J’essaie de l’appeler plusieurs fois, je tombe toujours sur le répondeur.
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Toulouse, le dimanche 16 septembre 2001.
[Finalement tu ressens le besoin de renouer avec Nico avant qu’il parte à Bordeaux. Parce que, même si sa réaction à la cafeteria de l’hôpital et son silence des semaines qui ont suivi t’ont fait mal, tu sais que ce n’était que la réaction d’un garçon qui avait mal. Parce que son amitié te manque. Finalement, tu le rappelles.
Et tu lui proposes de passer prendre un café chez toi].
« Salut Thibault ».
« Salut Nico, ça va ? ».
« Bien et toi ? ».
« Ça va. Alors, tu te prépares à partir ? ».
Il a retenu que je pars ce soir à Bordeaux. Ce mec est vraiment incroyable.
« Oui, je viens de ranger la dernière valise dans ma voiture ».
« T’as le temps de faire un saut chez moi pour un café ? ».
« Quand ? Vers quelle heure, je veux dire ».
« Maintenant si tu veux ».
« J’arrive ».
« Je suis content que tu m’aies rappelé ».
« Désolé de ne pas l’avoir fait plus tôt, j’ai été très occupé ces derniers temps ».
« Ca ne fait rien ».
« Alors, qu’est-ce que tu deviens ? » il enchaîne.
« Rien de spécial, demain je pars à Bordeaux pour la fac ».
« Tu as trouvé un appart là-bas ? ».
« Oui, mais je n’ai même pas été le voir ».
« Ce soir ça va être la grande surprise, alors » il commente, tout en esquissant un petit sourire.
Et pourtant, malgré ce petit sourire, je sens Thibault distant. Poli, correct, mais distant. J’ai envie de le prendre dans mes bras, j’ai envie qu’il me prenne dans les siens. J’ai envie de retrouver cette complicité, cette magnifique relation qu’on avait avant l’accident de Jérém.
« Et toi, quoi de neuf ? » je le questionne.
« Des entraînements, des entraînements, et des entraînements. C’est épuisant ».
« Ça donne des bons résultats ».
« C’est-à-dire ? ».
« Tu as repris du muscle ».
« Il paraît, oui. Mais j’ai mal partout. Je suis fatigué. Je n’ai même plus le temps pour faire des interventions ».
« Avec les pompiers ? ».
« Oui. Depuis que j’ai commencé les entraînements, je suis sorti tout juste deux fois ».
« Ça te manque ? ».
« Oui, beaucoup ».
« T’es vraiment quelqu’un de bien. Et c’est pour ça que je regrette… ».
« Dis, Nico, tu as des nouvelles de Jé ? » il me coupe, alors que j’allais tenter de rentrer dans le vif du sujet qui m’a conduit à vouloir lui parler.
Soudain, je me fais la réflexion qu’« avant », c’était moi qui lui demandais des infos sur Jérém. Alors que maintenant, c’est lui qui m’en demande. D’une certaine façon, j’ai l’impression de lui avoir volé son pote.
« Il va bien, normalement il a commencé les entraînements ce matin même ».
« Ça me fait plaisir, vraiment ».
Thibault a l’air très ému. Ses yeux sont humides.
« Ça va ? » je le questionne.
« J’ai eu tellement peur qu’ils lui trouvent une couille et qu’ils ne lui signent pas le contrat » il lâche, la voix cassée par les larmes.
Thibault est en train de pleurer. C’est dur de voir un gars comme lui pleurer. Je pleure aussi. Je le prends dans mes bras, je tente de le réconforter.
Thibault m’enveloppe à son tour avec ses bras musclés. Comme un flash, je retrouve la sensation de bonheur que j’ai connue le soir où nous nous sommes donné du plaisir avec Jérém.
« Excuse-moi » je l’entends me lancer quelques secondes plus tard, en quittant notre étreinte.
« Ne t’excuse pas, moi aussi j’ai été soulagé quand j’ai su que tout allait bien ».
« J’espère que ça va bien se passer pour lui. Je suis en train d’en passer par là et je sais que ce n’est pas facile d’arriver dans une équipe et de trouver sa place. C’est dur physiquement et mentalement ».
« Je l’espère aussi. Normalement je devrais avoir des nouvelles ce soir ».
« Vous vous êtes retrouvés, alors ? » fait le jeune rugbyman en essuyant discrètement ses larmes avec le dos des mains.
« Oui».
« Depuis longtemps ? ».
« Dix jours, pas plus. Il m’a appelé le vendredi soir de l’autre semaine et il m’a demandé de le rejoindre à Campan ».
« Je savais qu’il reviendrait vers toi. Il ne peut pas se passer de toi. Alors t’a aimé Campan ? ».
Je me retrouve alors à lui parler de mon escapade. Je suis un peu gêné de lui raconter ces quelques jours en compagnie de Jérém, les balades à cheval, les belles rencontres humaines, les gueuletons, la guitare de Daniel. Je suis un peu gêné de lui raconter mon bonheur.
« Ils vont tous bien ? JP, Charlène, Satine, Martine, Ginette» il me questionne.
« Tous en pleine forme, tous à cheval. Tout le monde a demandé de tes nouvelles ».
« Ils sont adorables ».
« C’est vrai, et ils t’apprécient beaucoup ».
« Moi aussi je les apprécie beaucoup. JP en particulier, j’adore ce mec. C’est un modèle pour moi. Je voudrais avoir ses qualités humaines, un jour ».
« Mais tu les as déjà ! ».
« Je ne sais pas ».
« Je t’assure ». « Ils m’ont tous dit de t’apporter leurs encouragements pour ta carrière au Stade. Ils sont fiers de toi ».
Le beau pompier est visiblement touché. Je suis happé par ses yeux vert marron, par son regard transparent, doux et pourtant tellement viril. Un regard pourtant empreint de mélancolie, et qui se dérobe très vite. C’est un regard qui tranche d’une façon assez violente avec le regard vif mais tranquille, bienveillant, rassurant, réconfortant, qui était le sien il y a quelques semaines encore.
J’ai toujours connu un Thibault qui me regardait droit dans les yeux pendant nos discussions. Comme s’il avait voulu établir une communication plus vraie, un contact par le regard, l’esprit, la considération, en plus de la parole. Désormais, ce regard, cet esprit et cette considération sont aux abonnés absents.
J’ai l’impression que Thibault est à fleur de peau. Ça m’attriste. Et pourtant, il faut bien admettre que ce côté « cabossé-par-la-vie » donne à son allure de mec un je-ne-sais-quoi qui le rend encore plus craquant.
Le silence se prolonge jusqu’à ce que je décide de prendre les choses en main.
« Thibault, je suis vraiment désolé de la façon dont les choses se sont passées ».
« Moi aussi, Nico ».
« Je regrette de ne pas t’avoir écouté à l’hôpital, d’être parti et d’avoir été distant par la suite ».
« Et moi je regrette de t’avoir fait du mal ».
Une question me brûle les lèvres. Je m’autorise à la poser.
« Thibault, tu ressens quoi au juste pour Jérém ? ».
Et là, après avoir pris une longue inspiration, le beau rugbyman finit par lâcher :
« Je vais être franc avec toi, Nico. Je crois que je suis amoureux de lui ».
« Ça dure depuis combien de temps ? ».
« Je ne sais pas te dire. C’est venu sans que je m’en rende compte. Jéjé est mon meilleur pote, depuis toujours. Depuis notre rencontre en CM, j’ai tout partagé avec lui. Je l’ai vu grandir, j’ai vu le gamin timide et gringalet devenir le mec superbe qu’il est aujourd’hui ».
« Je t’ai déjà parlé de cette nuit en camping, l’été de nos 13 ans, et de ce qui s’est passé sous la tente ».
« Oui, tu m’en as parlé à l’hôpital » je confirme.
« Depuis cette nuit-là, ça a été clair dans ma tête. Jéjé me faisait envie. Et pourtant, je m’efforçais de ne pas y penser, j’essayais d’oublier. Je n’ai jamais su ce qu’il en avait pensé, car il a toujours fait comme si rien ne s’était passé. J’ai pensé qu’il l’avait regretté. J’avais très envie de recommencer, mais j’avais peur de tenter quoi que ce soit. J’avais peur de gâcher notre amitié. J’ai essayé de me convaincre que ce qui s’était passé cette nuit-là était juste une bêtise, parce qu’on avait bu. Et que ça ne devait plus jamais arriver ».
« Mais tu n’y es pas arrivé ».
« C’est pas simple d’oublier l’attirance pour quelqu’un qu’on côtoie au quotidien, qu’on voit régulièrement à poil dans un vestiaire, avec qui on prend sa douche, avec qui on se retrouve souvent seul, quelqu’un pour qui on est le confident. J’étais aux premières loges de sa vie, y compris pour ses exploits sexuels ».
« J’imagine bien ».
Je repense aux nombreuses fois où j’ai vu Jérém avec une nana, où je l’ai vu partir avec. J’en avais les tripes retournées. Alors je n’ai aucun mal à imaginer que Thibault ait pu ressentir la même chose, d’autant plus qu’il côtoyait son pote au quotidien, qu’il le voyait à poil dans les vestiaires, qu’il connaissait beaucoup de choses de sa vie sexuelle.
« J’ai longtemps eu peur de regarder en face ce sentiment qui me prenait aux tripes quand je le voyais sous la douche, quand il s’essuyait à côté de moi, quand nos peaux nues se frôlaient dans les vestiaires.
J’ai mis du temps à admettre que je ressentais plus que de l’amitié pour lui. Que j’avais aussi envie de le serrer contre moi, de le toucher, de le caresser, de lui procurer du plaisir.
Mais je n’ai jamais osé tenter quoi que ce soit. De toute façon, très vite, Jérém a été tellement branché nanas ! De plus, je l’entendais souvent tenir des propos homophobes.
Alors, j’ai essayé de cacher ça au plus profond de moi. Mais ça me rongeait. J’avais peur qu’un regard déplacé puisse me trahir, qu’il comprenne, qu’il me jette. Et pourtant, l’amitié ne me suffisait plus. C’était chaque jour un peu plus dur ».
« Je n’arrêtais pas de me dire que je devais revenir à la raison. Que je devais me contenter de l’amitié. Alors, quand on a commencé à tourner avec le rugby, et qu’on se retrouvait parfois à dormir à l’hôtel, presque toujours dans la même chambre, parfois dans le même lit, c’était une torture. J’en ai passé des nuits sans sommeil, à te regarder dormir, à écouter sa respiration. J’avais envie de lui à en crever.
C’était à la fois merveilleux et insupportable. Il me faisait tellement d’effet ! ».
« On passait des heures à discuter, à refaire le match. On rigolait beaucoup. J’adorais la complicité qu’il y avait entre nous. J’étais bien avec lui, parce que je sentais qu’il était bien avec moi, et qu’il appréciait ma compagnie. Il n’y a pas de mots pour décrire ça, il faut l’avoir vécu pour comprendre ».
« Et ce bonheur, il arrivait presque à faire taire mes autres envies. Mais le sexe était très présent dans la vie de Jé et il n’hésitait pas à m’en parler. Je me souviens d’une nuit en particulier, où il m’a parlé d’une nana qu’il s’était tapée la veille et avec laquelle il disait s’être particulièrement amusé. Il m’a raconté ça dans les détails, tu vois, et après, il a voulu que je lui dise à mon tour ce que j’aimais le plus au pieu ».
« C’était dur pour moi de parler de ces choses là avec lui. Parce que lorsque je pensais sexe, j’avais envie de lui. Parce que lui raconter ce que j’aimais avec les nanas, c’était lui faire comprendre que j’étais hétéro et que rien ne pourrait se passer entre nous. Je savais que je ne pourrais rien tenter avec lui, et pourtant, au fond de moi, je gardais un petit espoir ».
« Mais cette nuit-là Jé n’était pas comme d’habitude. Il avait pas mal bu et je ressentais entre nous quelque chose qui me rappelait cette autre nuit sous la tente. Cette nuit-là, j’avais l’impression que quelque chose pouvait se passer.
A un moment, il m’avait parlé de deux gars de l’équipe contre laquelle on avait joué le jour même et qu’il pensait être gay. Il m’a dit qu’il croyait qu’ils étaient ensemble et qu’ils avaient l’air heureux. Ses propos sur le sujet étaient plus apaisés que d’habitude.
Moi aussi j’avais un peu bu. Et je me suis senti pousser des ailes. Je l’écoutais parler, je m’efforçais de lui donner la réplique. Mais mon cœur tapait à mille à l’heure. A un moment, j’étais vraiment à deux doigts de l’embrasser.
Je sentais à sa voix que la fatigue commençait à le gagner. Je me souviens m’être dit que c’était le moment, car une occasion comme celle-ci ne se représenterait plus jamais. J’avais l’impression qu’il se passait un truc, qu’il allait se passer un truc. J’ai essayé de trouver le courage, de prendre le risque, de surmonter ma peur.
Je sentais les secondes s’écouler au fil des battements de mon cœur qui résonnaient dans mes tempes. A chaque instant je me disais que c’était le bon, tout en me disant que le suivant serait meilleur, et que je trouverais enfin le courage de me lancer.
J’ai attendu, tétanisé par la peur de me tromper, de faire une énorme bêtise. Le risque était trop grand. Si j’avais gâché notre amitié, si on ne s’entendait plus avec Jéjé, c’est notre parcours dans le tournoi de rugby qui allait en souffrir.
J’ai trop attendu, j’ai trop cogité. A un moment, je l’ai entendu me souhaiter la bonne nuit. La magie de cette nuit-là était partie, d’un coup. Un instant plus tôt, tout semblait possible. Un instant plus tard, tout était foutu. Deux mots et tout s’était écroulé.
Sur le coup, je me suis senti soulagé que cette tension cesse enfin. Mais en même temps, j’ai ressenti une frustration et une déception terribles. J’ai su qu’il n’y aurait jamais meilleure occasion que celle-ci. Et que même une occasion pareille ne se représenterait sûrement plus jamais. J’ai compris que je n’arriverais jamais à avouer à Jé ce que je ressentais pour lui.
Quand je l’ai entendu glisser dans le sommeil, j’ai eu envie de pleurer. J’ai essayé de me ressaisir en me répétant mille fois que Jé était comme mon petit frère, et que notre amitié, notre complicité étaient plus importantes que tout. Et que jamais je ne devais prendre le risque de gâcher ça ».
« Mais ça n’a pas suffi pour oublier » je considère.
« Non, non ».
Thibault marque une pause. Une question me brûle les lèvres. J’hésite avant de la poser. Mais je décide de me lancer.
« Thibault, tu crois que tu es, ? ».
« Gay ? ».
« Oui».
« Je n’en sais rien. J’ai toujours couché avec des nanas. Et ça s’est toujours bien passé. Après, c’est vrai que j’aime regarder un beau garçon. Au rugby, sous les douches, dans les vestiaires, on côtoie des gars vraiment canons. Mais je n’ai jamais ressenti ce que je ressens pour Jé pour un autre gars.
Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer. Avec Jé, c’est différent. Je ne sais pas comment te dire. C’est juste que quand je le regarde, quand je suis avec lui, je suis bien. Et j’ai envie de lui faire plaisir. Voilà, c’est ça. J’ai envie de le faire rire, de l’aider quand il a besoin de moi, j’ai envie de le rassurer, de le soutenir, de l’aider à avancer. Mais j’ai aussi envie de le serrer dans mes bras. J’ai envie qu’il soit bien. Parce que, quand il est bien, je suis bien aussi. C’est même plus fort que l’attirance ».
Soudain, je réalise que ce que Thibault vient de me donner en quelques mots, ressemble à une inconsciente mais magnifique déclaration d’amour.
« Tu as déjà ressenti ça pour une nana ? »
« Je ne sais pas » il finit par lâcher, pensif « je ne crois pas ».
« De toute façon » il continue « pour Jé ce n’était pas la même chose. Il appréciait mon amitié, mais il ne ressentait pas les mêmes choses que moi. Ça a été dur de le voir aller vers d’autres gars ».
Thibault me parle alors de la nuit où il avait surpris son pote en train de sortir d’un mobil home au camping de Gruissan, en compagnie d’un autre garçon. De son cousin Guillaume qui dormait parfois chez lui l’an dernier et avec lequel il pensait qu’il se passait des choses. Et aussi avec un rugbyman d’une autre équipe avec qui il avait dormi chez lui tout un week-end. Il me parle également de ce plan à quatre avec son pote et les deux nanas quelques mois plus tôt.
Je suis au courant de tous ces moments, Jérém m’en a parlé à Campan. Mais je le laisse parler, je veux connaître sa version de l’histoire, son vécu, son ressenti. Et je sens qu’il a besoin de m’expliquer, de s’expliquer. Il a besoin de parler. Parce que je suis certainement la seule personne avec qui il peut le faire. Combien je regrette de ne pas lui avoir donné cette occasion plus tôt, de ne pas avoir su l’écouter et lui permettre de soulager son cœur.
« Quand il m’a proposé ce plan, il m’a scié. J’ai hésité à accepter, de peur d’être confronté à mes démons. Sur le coup, je me suis demandé pourquoi il voulait partager ça avec moi. Mais Jé semblait tellement emballé que je n’ai pas su lui dire non. Alors, j’ai fini par accepter pour lui faire plaisir.
Je l’ai regardé emballer deux nanas d’un claquement de doigts. Ce mec est incroyable ».
« Je sais, je l’ai vu faire aussi, j’étais là ce soir-là ».
« Après, je te cache pas que si j’ai accepté, c’était aussi pour voir Jé à poil, en train de prendre son pied. Je n’allais pas coucher avec lui, mais j’allais pouvoir le voir en train de coucher. La présence des nanas m’offrait cette occasion. Tant pis pour mes peurs, j’en avais trop envie ».
« Et on s’est retrouvés dans son studio, à poil, en train de baiser les nanas. Je le regardais en train de prendre son pied et je sentais mon excitation monter. La nana avait vraiment l’air de prendre son pied aussi. Elle était folle de lui, elle gémissait de plaisir, ses mains touchaient ses pecs, ses biceps. Elle ne se gênait pas pour lui dire à quel point il la faisait jouir et à quel point elle avait envie d’être à lui. Ca me rendait dingue. Ca me donnait envie, tellement envie de m’occuper de lui à sa place.
Parce que cette nuit-là, j’étais beaucoup plus attiré par son corps, pas son regard, par son plaisir à lui que par ceux des nanas. Cette nuit-là, j’avais envie de lui, bien plus que des nanas.
Nos épaules se touchaient, je sentais son parfum, j’entendais sa respiration et ça me donnait des frissons. Je sentais son regard sur moi. Lui aussi me regardait prendre mon pied. Je me suis demandé si ça l’excitait aussi de me voir prendre mon pied.
Très vite, nos regards ont commencé à se croiser de plus en plus souvent. Je sentais mon orgasme arriver et je guettais l’arrivée de son orgasme à lui, j’avais hâte de le voir venir. Et on a fini par venir presque au même moment ».
Pendant que les nanas étaient là, j’avais eu envie de me retrouver seul avec mon Jéjé. Et dès qu’elles sont parties, je le redoutais. J’avais tellement envie de lui. J’avais peur de ce qui pourrait arriver. J’avais envie de partir à mon tour.
Mais Jéjé m’a demandé de rester dormir. J’ai essayé de trouver un prétexte pour rentrer chez moi, il a insisté. J’ai cédé pour lui faire plaisir, une fois de plus.
Nous nous sommes couchés, et il s’est endormi très vite. Mais moi j’ai eu du mal à trouver le sommeil. Pas facile de dormir dans le même lit qu’un mec qui fait tant d’effet, surtout avec ce qu’il venait de se passer. D’autant plus que la trique m’a gagné, même après deux baises rapprochées. J’ai essayé de me calmer, et j’ai fini par m’endormir aussi. Mais quand je me suis réveillé un peu plus tard dans la nuit, je le tenais dans mes bras. Je ne sais pas comment c’est arrivé, mais c’est arrivé, dans le sommeil. J’ai eu tellement peur qu’il s’en rende compte et qu’il me jette ».
« Je n’ai jamais su s’il s’en est rendu compte, mais je pense que oui ».
« Il s’en est rendu compte, il m’a parlé de cette nuit. Mais il ne t’en a jamais voulu ».
« Ça me fait plaisir de l’entendre. N’empêche que le matin, au réveil, il y avait comme un malaise entre nous. Et même l’après-midi, au rugby j’avais l’impression qu’il m’évitait, qu’il n’était pas dans son assiette. Nous n’avons pas arrêté de foirer des actions sur le terrain. Aux vestiaires, sous les douches, on se parlait à peine. J’avais tellement peur que ce plan ait fait du tort à notre amitié ! ».
« Après cette nuit, c’était le bazar dans ma tête. Encore plus qu’avant. J’avais qu’une envie, c’était de recommencer, de voir Jérém prendre son pied. Mais sans les nanas. J’avais envie de l’embrasser, de le caresser, de faire l’amour avec lui. J’en rêvais presque toutes les nuits. J’avais envie de savoir si je ne m’étais pas trompé, si vraiment lui aussi avait envie de moi. Et, comme toujours, j’avais peur pour notre amitié. Alors, j’ai pris sur moi. J’ai voulu faire comme si de rien n’était. J’ai essayé de me raisonner.
Je me suis forcé à me dire que renoncer à mes désirs pour Jé était nécessaire. Douloureux et difficile, mais nécessaire. Il fallait à tout prix que j’y arrive. Mais je ne voyais pas comment. Plus j’essayais de me raisonner, plus je crevais d’envie de lui. Je n’aurais jamais dû accepter ce plan à quatre. Parce que j’ai trop aimé. Et après, c’était encore plus dur pour moi ».
Thibault marque une pause. Il sort un paquet de cigarettes.
« Ça te gêne si je fume ? » il me questionne.
« Non, tu es chez toi ».
« Mais au club on ne t’a pas dit à toi aussi d’arrêter ça ? » j’enchaîne, pendant qu’il allume sa cigarette.
« Si, bien sûr. Il faut que j’arrête. Je n’aurais pas du reprendre ».
« Excuse-moi, tu as le droit, ce ne sont pas mes oignons ».
« Mais tu as parfaitement raison ».
« Quand j’ai compris ce qui se passait entre Jé et toi » il enchaîne « ça a été un nouveau choc pour moi. Certainement le plus grand de tous ».
« Tu as compris quand ? ».
« Le jour où je t’ai croisé dans les escaliers chez lui, tu te souviens ? ».
« Oui, très bien ».
« Jé venait quasiment de me mettre à la porte parce que tu devais arriver pour le faire réviser. Déjà c’était louche qu’il donne tant d’importance à des révisions, et aussi qu’il insiste autant pour que je parte. Après, quand je t’ai croisé, j’ai vu ton regard. Tu étais tout excité, ton cœur battait la chamade. Vous étiez tellement pressés de vous retrouver, et il n’y a que le sexe et l’amour qui peuvent mettre les gens dans de tels états ».
« Ca a été dur pour moi de te voir débarquer dans la vie de Jé. Parce que tu n’étais pas une simple aventure comme il en avait eu avant avec d’autres mecs. Cette fois-ci, Jé était tombé sur un gars qui était vraiment amoureux de lui. Car j’ai senti que tu l’aimais ».
« Pendant un temps, j’ai cru que Jé couchait avec des gars juste pour le sexe. J’ai cru qu’il était bi. Mais je me suis dit qu’il ne renoncerait jamais aux nanas. Et, surtout, qu’il ne serait jamais amoureux d’un gars. Et puis tu es arrivé. Jé a peu à peu oublié les nanas. Et j’ai compris assez rapidement que, malgré ce qu’il voulait croire et faire croire, tu étais quelqu’un de très important à ses yeux. Et tout est remonté en moi. Donc il aimait bien les mecs. Plus que les nanas. Et il pouvait ressentir des choses pour un gars. Mais pas pour moi. J’ai compris qu’il ne s’intéresserait jamais à moi autrement que comme à un pote. Parce qu’il ne me voyait que comme un pote ».
Je réalise que Thibault a été également aux premières loges pour voir naître ma relation avec son Jé. Combien de fois, coincé derrière ce mur de verre cruel qui l’empêchait d’atteindre son bonheur, Thibault a dû avoir les tripes retournées en voyant son pote coucher avec d’autres ?
« Mais ce n’était pas tout. Quand tu es arrivé dans sa vie, c’est notre amitié qui a changé. Du jour au lendemain, Jé était moins disponible, pour le rugby, pour les sorties, pour moi. D’un côté, ce n’était pas une mauvaise chose. Moins je le voyais, moins ça me faisait mal de devoir accepter une amitié qui ne me suffisait plus. Et pourtant, il me manquait. Notre complicité me manquait. Jé ne se confiait plus à moi, il me cachait toute cette partie de sa vie ».
« Mais ça aurait été dur pour toi de l’entendre te parler de sa relation avec moi ».
« Je le sais, j’étais dans une situation intenable. Ne pas savoir me faisait souffrir. Mais s’il m’avait raconté, je crois que j’aurais souffert encore plus. Et ce qui me faisait du mal aussi, c’était de me rendre compte que si votre relation lui apportait du bonheur, il avait du mal à accepter tout ça, à l’assumer. Si je n’avais pas été amoureux, j’aurais pu le pousser à se confier, et tout aurait été plus simple. Quand un amour à sens unique se mélange à l’amitié, ça produit un mélange explosif ».
« J’avais déjà du mal à oublier ce que j’avais ressenti pendant le plan à quatre, et le fait de vous imaginer en train de vous donner du plaisir, l’idée de l’entendre me le raconter c’était au-dessus de mes forces. De toute façon, il n’était pas prêt à me raconter cette partie de sa vie.
Mais en même temps, je me disais que c’était une bonne chose que tu sois arrivé dans sa vie. J’avais besoin de prendre un peu de distance pour essayer d’oublier ce que je ressentais pour lui. Et je croyais pouvoir compter sur toi pour y arriver ».
« Mais moi je me suis confié à toi ».
« Je t’y ai poussé. J’avais besoin d’être sûr de ce que tu ressentais pour lui pour encourager votre relation ».
« Tu as tout fait pour nous rapprocher ».
« Après coup, tu as du te dire que j’ai joué un drôle de jeu avec toi. Essayer de vous rapprocher alors que j’avais des sentiments pour Jé ».
Je me dis que c’est vrai, lorsqu’on a des sentiments pour quelqu’un, on n’essaie pas en général de faire copain copain avec la personne qui a la place que l’on convoite dans le lit et dans le cœur de ce quelqu’un. Et surtout pas de pousser son « rival » dans les bras de l’être aimé.
Mais je me tais. Et je l’écoute. Là encore, je veux entendre son récit et sa cohérence.
« Et pourtant j’étais sincère. Au fond de moi je savais que je n’avais aucun espoir avec Jé, aucun espoir de bâtir une relation au-delà de l’amitié. Je me suis dit que vous aider à être heureux ensemble me permettrait de tourner la page.
Et comme je savais que ce n’était pas une mince affaire de s’attaquer au cœur de Jé, j’ai voulu t’encourager, te soutenir. J’ai voulu essayer de te donner quelques clefs pour connaître et comprendre un peu mieux ce sacré bonhomme. Mais ça a été plus difficile que prévu ».
« J’imagine ».
« L’un des moments les plus durs, ça a été la nuit où Jéjé s’est battu à l’Esmé, et qu’il n’a pas voulu me dire ce qui s’était passé ».
« Il s’est battu avec un mec saoul qui voulait me taper parce que je l’avais regardé ».
« Je me doutais que c’était un truc comme ça. Je crois que c’est cette nuit-là que j’ai compris clairement que Jé ne faisait pas que coucher avec toi, mais qu’il t’aimait. Sans se l’avouer encore, certes, mais il t’aimait. J’ai compris que tu allais prendre une grande place dans la vie et dans son cœur. Une place qui ne serait jamais la mienne.
Et quand je vous ai regardé partir tous les deux dans la 205, vers son appart, vers son lit, ça a été un déchirement. J’aurais voulu être heureux pour vous, mais je n’y arrivais pas. Je n’y arrivais plus. J’étais trop malheureux ».
« J’avais plus que jamais besoin de prendre de la distance. De ne plus le voir, de ne plus vous voir pendant un temps. Mais on avait un tournoi à gagner. Toujours pareil, on avait des entraînements, on se voyait dans les vestiaires, sous les douches. Après sa blessure à l’épaule, Jé m’a même demandé de rester dormir chez lui. C’était très difficile pour moi ».
Thibault allume une nouvelle cigarette. Il tire une longue taffe et il se retourne pour expirer et ne pas m’envoyer la fumée.
« La nuit qu’on a passé tous les trois ensemble a dû être compliquée pour toi » je considère.
« Ça l’a été ».
« Comment se fait que tu es passé le voir si tard cette nuit-là ? ».
« J’avais besoin de lui parler. Plusieurs fois, avant cette nuit, après des soirées où on avait bu, ça avait failli déraper entre nous. Mais ça n’avait jamais été plus loin qu’une branlette. Et pourtant, ça avait créé un malaise entre nous. J’avais aussi essayé de lui parler de toi, de votre relation, et il m’avait jeté. Je sentais qu’on s’éloignait, on se voyait de moins en moins, au rugby c’était plus comme avant. On était à deux doigts de foirer le tournoi, alors qu’il était tout à fait à notre portée.
Ce soir-là, j’étais à une soirée chez des potes. En rentrant, je suis passé dans la rue de la Colombette, et j’ai vu qu’il y avait de la lumière chez lui. J’avais besoin de lui parler. J’avais besoin de lui dire que son amitié était trop importante pour moi et qu’il ne fallait pas laisser quoi que ce soit lui faire du tort. Je voulais aussi lui reparler de toi, lui dire que ça ne me posait aucun problème. Je voulais lui dire qu’il avait le droit d’être heureux avec toi.
En aucun cas j’étais passé pour qu’il se passe quoi que ce soit avec lui. Bien au contraire, je ne voulais surtout plus qu’il se passe quoi que ce soit. Je pensais qu’il était seul ».
« Mais j’étais là».
« Oui».
« Je venais tout juste d’arriver ».
« Quand Jé a lancé l’idée de ce plan, je me suis demandé à quoi il jouait. Au fond de moi, je me disais que c’était la dernière chose à faire, parce que ça allait encore compliquer les choses. Et pourtant, j’en crevais d’envie. L’idée de retrouver les sensations du plan avec les nanas me faisait vraiment envie. Et l’idée de partager ce moment avec toi, le mec qui faisait du bien à mon pote, me plaisait bien aussi. Je voulais aussi savoir ce que Jé aimait. Et pourquoi il n’arrivait pas à l’accepter. J’étais aussi curieux de découvrir le plaisir entre garçons ».
« Je crois que pendant ce plan il voulait te montrer que j’étais juste son objet sexuel et qu’il ne ressentait rien de plus pour moi ».
« Je le crois aussi. Mais je savais déjà que ce n’était pas vrai ».
« Cette nuit-là, j’ai ressenti tellement de choses » il continue « c’était ma première fois avec un mec, enfin, tu sais, la première fois, jusqu’au bout. Et c’était génial. C’était décomplexé, c’était assumé, c’était bon. Je n’avais jamais pris autant mon pied ».
« Et moi pareil. C’était la première fois que je couchais avec un gars qui voulait vraiment me faire plaisir. Car jusque-là, Jérém ne semblait se soucier que de son plaisir à lui ».
« J’ai toujours regretté de ne pas l’avoir empêché de te traiter comme il l’a fait ».
« Je sais. Mais ça aurait créé des tensions entre vous ».
« Mais j’aurais dû être plus ferme ».
« Tu as fait ce que tu as pu. Et surtout, tu m’as fait l’amour. Devant Jérém. Et ça, ça l’a rendu fou ».
« Tu es un gars touchant, Nico. Tu es doux et sensuel. Et tu m’as aidé à regarder en face cette partie de moi que j’avais enfouie depuis toujours. Et de ça, je t’en suis reconnaissant. Tu m’as montré à quel point l’amour entre garçons est bon. Tellement bon qu’on ne peut pas le mépriser, mais uniquement le respecter. Alors, j’ai voulu montrer à Jé qu’il n’y avait aucun mal à ça, qu’il n’avait pas à avoir cette attitude méprisante vis-à-vis de toi. Je me suis dit que s’il me voyait assumer, ça l’aiderait à assumer. Et puis je l’ai vu jaloux. Et je me suis dit que cette jalousie était saine, et que ça le pousserait à se remettre en question ».
« Mais cette nuit-là, j’ai aussi ressenti autre chose » il continue.
« C’est-à-dire ? ».
« Jamais je n’ai eu autant envie de lui qu’à ce moment-là. J’ai trouvé que Jé était terriblement sexy, bien plus que pendant le plan avec les nanas. Il avait l’air de prendre son pied comme jamais ».
« Tu peux pas savoir à quel point j’avais » il ajoute, avant de marquer une pause, l’air très gêné.
« A quel point ? » je le questionne.
« Laisse tomber ».
« Au point où nous en sommes, tu peux tout me dire. Ça te fera du bien ».
« A quel point j’avais envie d’être à ta place, de lui faire ce que tu lui faisais, de lui laisser faire ce qu’il te faisait. J’avais envie de faire l’amour avec lui ».
« En plus il ne me lâchait pas du regard » il continue « Son attitude était troublante. Ce soir-là, il s’est lâché beaucoup plus qu’avec les deux nanas. Je me suis dit qu’il avait lui aussi envie qu’il se passe quelque chose entre nous deux. Pendant un moment, j’ai même cru que ce serait lui qui prendrait l’initiative ».
« Je l’ai senti, j’ai senti votre attirance. Et j’ai cru que vous alliez le faire ».
« Et ça aurait été mieux que ça se passe là, devant toi, plutôt que plus tard, dans ton dos. C’était la nuit de toutes les folies, et ça se serait arrêté là ».
« A un moment, j’ai même cru que Jérém avait voulu ce plan pour s’approcher de toi » je lance.
« Je ne crois pas. Cette nuit-là on n’a pas vraiment couché ensemble Jé et moi ».
« Mais ça aurait pu » je considère.
« S’il ne s’est rien passé, c’est parce que je savais que c’était toi qu’il aimait. Je savais aussi que tu l’aimais. Cette nuit-là, dans cette intimité j’ai senti toute l’intensité de votre amour. Je ne voulais pas te faire de mal. Je ne voulais pas que tu te sentes trahi. Mais j’en crevais d’envie. De toute façon, à partir du moment où il a commencé à être jaloux, il a oublié tout le reste. Sa tentation envers moi s’est évaporée aussitôt ».
« Cette nuit-là a remué bien de choses dans ma tête » il continue « et je me suis rendu compte que je n’en pouvais plus d’endurer tout cela, que j’avais plus que jamais besoin de prendre de la distance.
Mais je ne pouvais pas m’éloigner de suite. Une fois de plus, j’attendais la fin du tournoi. Jérém serait peut-être parti travailler ou jouer ailleurs. Si je n’avais pas été recruté par le Stade, je me serais investi davantage au SDIS, pour devenir pompier pro. Et je crois bien que j’en aurais profité pour changer de ville. Je me souviens m’être dit qu’il fallait que je tienne bon encore quelques mois, et que j’arriverais enfin à tourner la page.
Mais rien ne s’est passé comme prévu. Après cette nuit, ça a failli à nouveau déraper entre Jé et moi. Et à chaque fois, j’avais le cœur de plus en plus lourd. Je culpabilisais. Je ne voulais pas gâcher notre amitié, et je ne voulais pas non plus trahir ta confiance, je ne voulais pas me mettre entre vous deux. Je savais aussi que s’il avait failli se passer quelque chose entre nous, c’était aussi parce qu’il était mal dans sa peau. Je ne voulais pas compliquer les choses inutilement ».
« Après la fin du tournoi, j’ai cru que ça allait bien se passer pour la suite. Je pouvais enfin prendre de la distance. D’autant plus que Jé était accaparé par son taf à la brasserie et que ses horaires étaient très différents des miens.
C’était dur, mais c’était la seule chose à faire. Ce qui me faisait tenir bon c’était le fait de vous savoir amoureux l’un de l’autre, de vous savoir bien ensemble, de croire que votre bonheur était possible. Je me suis dit que votre bonheur avait le droit de passer avant le mien, qui lui n’avait aucune chance.
J’ai su très vite que tu étais un bon gars et que Jé était bien avec toi. J’ai su que tu pourrais lui offrir tout ce que moi je ne pouvais pas lui offrir. Non seulement le plaisir et l’amour, mais aussi une relation assumée. J’ai vite compris que tu assumais qui tu étais. Et que tu pouvais l’aider à se connaître lui-même, à s’accepter. Tu pouvais l’aider à s’aimer. Ce qui n’a jamais été le cas. Tu sais, derrière sa façade de « petit con qui se la pète », Jé ne s’aime pas vraiment. Pas du tout même. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’il est génial, mais il ne l’a jamais imprimé. Je me suis dit que tu avais des chances de réussir là où j’avais échoué. L’amour peut bien des choses. Je me suis dit que tu pouvais le rendre heureux, sans que l’amitié s’en mêle et vienne compliquer les choses.
D’une certaine façon, j’ai voulu te confier mon Jéjé. Je me suis dit que tu lui apporterais un nouvel équilibre, que tu veillerais sur lui, à ma place. Parce que c’était devenu trop dur pour moi de le faire.
Oui, après la fin du tournoi, j’ai vraiment cru que ça allait bien se passer. Mais il a fallu que Jé se fasse expulser. Et qu’il me demande de crécher quelque temps chez moi ».
« Ca n’a pas dû arranger les choses ».
« Non, pas vraiment. Tu sais, j’ai hésité avant de dire oui. Je ne voulais plus être confronté à la tentation, à cet amour impossible. Mais je ne pouvais pas le laisser dans la rue. Je ne pouvais pas lui dire non, surtout qu’il m’avait dit que ce n’était que pour quelques jours. J’ai même prétexté que j’avais du mal à dormir pour lui laisser le lit et prendre le clic clac. Finalement, c’est lui qui a pris le clic clac. Pendant les quelques semaines où il est resté chez moi, j’ai tout fait pour l’éviter. Je n’étais pas là pendant sa pause de l’après-midi, je me couchais avant qu’il rentre du service du soir. On se voyait très peu. Et ça se passait très bien.
Jusqu’à ce soir du 15 août. Jé a débarqué à l’improviste, en pleine nuit. Il venait de découcher plusieurs nuits d’affilé. Moi j’étais déjà couché, et j’ai été surpris de le voir arriver. Il était complètement paumé. Il était stone. Il était si mal dans sa peau. Et je crois que c’était avant tout parce que tu lui manquais à en crever.
J’ai essayé de lui parler de votre histoire, de le mettre à l’aise, de lui dire qu’il n’y avait rien de mal à aimer un gars. Il m’a jeté. Il voulait ressortir et je ne voulais surtout pas qu’il reparte, si tard dans la nuit, dans cet état. J’ai juste voulu le réconforter. Je l’ai rejoint sur le clic clac et ça a dérapé ».
Je réalise que je suis assis sur le clic clac dans lequel les deux potes se sont donné du plaisir. Je ne peux empêcher une poussé de jalousie parcourir ma colonne vertébrale et me couper le souffle. Mais elle retombe très vite, chassée par l’envie d’entendre et de comprendre le récit de Thibault.
« Jé avait davantage besoin d’affection que de sexe. Si le sexe est venu, c’est parce que nous, les garçons, nous avons besoin de ça pour nous détendre et laisser tomber la carapace. S’il a voulu coucher avec moi, c’est parce qu’il se sentait seul et perdu. Après le sexe, je l’ai pris dans mes bras. J’ai senti qu’il en avait envie, qu’il en avait besoin. Nous n’avons pas parlé. Mais tout était dit. J’étais bien, et je sentais qu’il était bien aussi. C’était si bon de le sentir s’apaiser, partager ce moment de complicité et d’intimité.
C’était tellement bon d’être là pour lui. Mais aussi très dur ».
« Je comprends ce que tu as dû vivre ».
« Je pensais vraiment pouvoir garder le contrôle, mais mes sentiments ont fait surface, et c’était violent. J’ai essayé de résister, mais ça a été plus fort que moi.
Tu sais, Nico, j’ai passé des années à me maîtriser, tout le temps, à arrondir les angles partout, à m’oublier pour faire plaisir aux autres. Cette nuit-là, j’ai perdu pied. C’était une folie et pourtant c’était tellement bon d’écouter enfin mon cœur. Je n’ai pas eu la force de résister. Est-ce que j’ai assez réfléchi aux conséquences ? Je ne crois pas. Non, je ne savais pas comment j’allais gérer ça après, mais j’en avais besoin. En tout cas, je me suis dit que j’assumerais et que je trouverais les mots pour faire comprendre à Jé qu’il devait s’assumer aussi. Mais je n’en ai pas eu l’occasion ».
« Parce qu’il est parti ».
« Pendant quelques heures, j’ai cru qu’il reviendrait. Mais il n’est pas revenu ».
« Tu lui en as voulu ? ».
« Sur le coup, oui, un peu. J’aurais voulu qu’on se réveille ensemble, qu’on prenne le petit déj, qu’il me laisse l’occasion de lui montrer que ce qui s’était passé ne changeait rien entre nous, que je ne lui demandais rien du tout. J’aurais voulu au moins que ce qui s’était passé entre nous lui montre qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien entre mecs.
Mais il a préféré partir. Je sais qu’il n’a pas voulu me faire du mal. Peut-être qu’il a eu peur de m’avoir donné des faux espoirs, de m’avoir blessé. Peut-être qu’il a eu peur de me faire davantage de mal s’il était resté. Mais ça a été dur pour moi de le perdre de cette façon.
En fait, tu l’as compris, c’est ça, bien avant et bien plus que mon recrutement au Stade Toulousain, qui nous a éloignés ».
« Je comprends, oui ».
« Je regrette de ne pas t’avoir tout dit le jour où t’étais venu me voir au garage. Mais j’étais tellement mal à l’aise ! Je ne voyais pas comment je pourrais te raconter ça et comment tu pourrais l’accepter. Jé venait de te quitter, vous vous étiez battus, ça avait dû être horrible pour toi. Comment t’expliquer que quelques jours plus tard il couche avec son meilleur pote, moi, en qui tu avais confiance ? Car tu avais confiance en moi et je l’ai trahie ».
« Après cette nuit, j’ai culpabilisé à fond » il continue « j’avais perdu mon pote de toujours. Je me suis dit que ce qui s’était passé avait été une grosse erreur. Si tu savais comment je m’en suis voulu ! Et encore plus après l’accident ».
« L’accident n’était pas de ta faute ».
« Non, mais si on n’avait pas couché ensemble, il serait resté à l’appart, il ne serait pas parti en vrille, et probablement il ne se serait pas battu avec ce type ».
« Avec les si».
« Je sais bien. Mais sur le coup, je voyais tout en noir ».
« Mais depuis, il enchaîne, j’ai eu le temps de réfléchir. Et j’ai arrêté de voir cette nuit comme une erreur.
Parce que cette nuit-là, on avait besoin l’un de l’autre. D’une certaine façon, je pense qu’il fallait que ça arrive. Car cette nuit nous a permis de nous avouer ce que l’on ressentait l’un pour l’autre. Et elle nous a fait comprendre qu’entre nous ce n’est pas possible. Car Jé est amoureux de toi et moi je ne serais jamais que le bon pote. Cette nuit était une façon de nous dire adieu, alors que le rugby et la vie allaient nous éloigner. Cette nuit a donné la réponse à toutes les questions que nous pouvions nous poser l’un sur l’autre et sur nous-mêmes aussi ».
Thibault marque une pause, le regard dans le vide. Je me sens bizarre. Je viens de comprendre que Thibault est tout aussi amoureux de son Jéjé que je le suis de mon Jérém. Et qu’il l’est depuis beaucoup plus longtemps que moi, en secret. Je réalise à quel point ça a dû être dur pour lui pendant tout ce temps à côtoyer ce pote dont il était amoureux. Tout en essayant de maîtriser ses sentiments, et de me permettre de me rapprocher de son pote. Car il a été sincère dans sa démarche, j’en suis certain.
Oui, Thibault a souffert aussi, et bien plus que moi. Moi, avec Jérém, j’ai eu de la peine mais aussi de la joie, beaucoup de joie. Mais Thibault, à part cette unique nuit d’amour, n’a pratiquement retiré de cette histoire que de la souffrance. Et dans cette histoire, il a perdu plus que tout le monde.
Bien sûr, une partie de moi lui en veut quand même d’avoir couché avec le gars que j’aime. Et pourtant, je comprends désormais son geste. Quand on est amoureux, quand on ressent une attirance, on a beau lutter. Elle finit toujours par nous rattraper.
Finalement, la « faiblesse » révélée du beau pompier est loin de ternir son image. En réalité, ce qui s’est passé avec Jérém, ne fait que dévoiler sa sensibilité, depuis trop longtemps dissimulée derrière le garçon fort et généreux. Et ça le rend on ne peut plus humain. Thibault dévoile ses fêlures, sans pour autant perdre ses qualités.
« Les semaines après l’accident de Jé ont été très difficiles ».
Son regard ému me fait fondre. Il est beau et touchant. Je prends ses mains dans les miennes et je les serre très fort. Ses pouces caressent mes doigts.
« Je n’aurais pas dû réagir comme j’ai réagi, te laisser tomber sans te permettre de t’expliquer. Je suis désolé de ne pas avoir été là pour te soutenir ».
« Tu étais déçu et en colère ».
« Sur le coup, j’étais sonné, comme si j’avais reçu un coup de massue sur la tête ».
« Je le comprends, et je pense qu’à ta place j’aurais peut-être réagi de la même façon ».
« Même si, au fond de moi, je savais déjà que tu étais amoureux de Jérém. Moi aussi j’ai ressenti des trucs la nuit qu’on a couché tous les trois. Après cette nuit, j’ai eu peur que vous puissiez coucher ensemble. Et pourtant, j’ai toujours cru que tu arriverais à gérer. Mais quand tu m’as raconté ça, alors que je vivais la période la plus dure de ma vie, entre la séparation avec Jérém et son accident, je suis tombé de haut ».
« Je suis désolé ».
« Ne le sois pas. L’amour ne se commande pas ».
« J’aurais pu te le cacher, mais j’ai préféré être sincère ».
« Je sais que tu as voulu agir pour le mieux et tu as bien fait ».
« Je savais que vous alliez vous retrouver un jour, et je ne voulais pas non plus laisser le fardeau à Jé de te l’avouer. Et prendre le risque que ça explose à nouveau entre vous à cause de ça. Mais je ne voulais pas l’accabler, au contraire, je voulais t’expliquer pourquoi c’était arrivé ».
« Mais je ne t’en ai pas laissé l’occasion ».
« J’avais aussi besoin de te le dire, pour me soulager de ce poids, surtout après l’accident de Jé ».
« J’avais tellement peur qu’il ne se réveille pas ! Et quand il s’est réveillé, j’ai eu peur que cet accident brise sa future carrière au rugby ».
« Vraiment, je suis désolé de ne pas avoir été là ».
« Je ne t’en veux pas, Nico. Enfin, je ne t’en veux plus. Je comprends que tu aies été blessé par ce qui s’est passé ».
« Mais tu m’en as voulu».
« Si je te disais non, je mentirais. Du moins pendant un temps. J’avais perdu mon meilleur pote, et toi aussi tu me tournais le dos. J’ai essayé de t’expliquer, je t’ai demandé pardon. Je regrettais, vraiment, sincèrement. Quand tu es parti sans un mot, je me suis retrouvé seul. C’est bien connu, il n’y a rien de tel que ce genre d’histoires pour venir à bout des plus belles amitiés. Et moi, dans ce cas, j’avais perdu deux potes d’un seul coup. Il faut le faire ! ».
« Maintenant tout va bien, le plus important c’est qu’il soit en bonne santé et qu’il puisse réaliser son rêve » considère le jeune rugbyman.
« Je peux t’assurer que Jérém a toujours besoin de toi, de ton amitié. Il me l’a dit. Et je crois qu’il regrette aussi d’être parti comme un voleur cette nuit-là ».
« Je l’imagine, je le sais même. Il m’a appelé deux fois, je sentais qu’il voulait me parler, mais je n’ai pas pu. C’est trop dur pour moi. Je n’y arrive pas. Pas encore. Tu sais, Nico, malgré ce qui s’est passé, j’ai toujours des sentiments pour lui. Son départ pour Paris est une bonne chose finalement. Ca va nous permettre de prendre de la distance de tout ça.
Que ce soit clair, je ne fais pas la tête, il ne faut surtout pas qu’il pense ça, hein ? Mais j’ai besoin de temps, tu comprends ? J’espère que tu comprends et que tu sauras le lui expliquer ».
« J’essaierai ».
Je réalise que le Thibault bienveillant, plein d’énergie et de générosité en a pris un coup. Il est las de prendre sur soi. Las de faire passer le bonheur des autres avant le sien. Ce n’est pas qu’il ait changé. Sa nature demeure généreuse au plus haut point. Mais il n’en a plus l’énergie.
« Et je voudrais aussi que tu veilles sur lui à ma place, maintenant que je ne peux plus le faire. Je sais que tu sauras assurer à merveille ».
Je suis touché par ce passage de témoin symbolique, et par la confiance que Thibault m’accorde.
« Et si vraiment un jour il a un problème » il continue « il peut toujours m’appeler. Et s’il n’ose pas, tu peux toujours m’appeler, toi. Tu peux m’appeler même si c’est toi qui as un problème ».
« Merci Thibault. Toi aussi tu peux m’appeler si tu as besoin de quelque chose ».
« De toute façon, maintenant tout ça n’a plus la même importance pour moi. A présent, je dois me concentrer sur le rugby. Et il faut surtout que je m’occupe de ma famille ».
« Pourquoi, tu as des soucis ? ».
« Non, pas de soucis. Que du bonheur. Je vais être papa, Nico ».
« Ah bon ? » je ne trouve rien de mieux à lui répondre, complètement dérouté par la surprise.
« Oui, je vais être papa ».
« Mais tu as une copine ? ».
« Oui, enfin, c’est une nana que je voyais de temps à autre ».
« Mais tu le voulais ? Je veux dire… tu l’avais prévu ? ».
« Non, pas vraiment. Elle m’a appelé il y a quelques semaines, peu de temps après l’accident de Jé ».
« Mais si vous n’étiez pas vraiment ensemble… tu es sûr que cet enfant est bien… ».
« Quand on a couché ensemble, on s’est toujours protégés, sauf deux fois où on n’avait pas de capote. Elle est enceinte de trois mois. Ça correspond bien. Elle est tellement sûre d’elle qu’elle m’a même proposé de faire un test de paternité ».
« Et tu es heureux ? ».
« Oui, très heureux ».
« Garçon ou fille ? ».
« Je ne sais pas, et à vrai dire, ça n’a pas trop d’importance ».
Son regard s’illumine enfin quand il parle de son enfant. Il est vraiment beau.
« Je suis jeune pour devenir père » il enchaîne « et je n’avais pas prévu ça pour si tôt. Mais ce gosse va bientôt être là, et je dois l’assumer ».
« Et la maman ? ».
« Elle a cinq ans de plus que moi, elle est infirmière. On s’entend bien ».
« Mais tu te vois passer ta vie avec elle ? Je veux dire… tu l’aimes assez pour ? ».
« Je… je… je l’aime aussi… je l’aime bien » il finit par lâcher, après un instant d’hésitation.
« Dans tous les cas, j’apprendrai à l’aimer » il enchaîne « elle va être la mère de mon enfant, je ne peux pas la lâcher maintenant. D’ailleurs, nous allons bientôt nous installer ensemble ».
« T’es sûr de toi, Thibault ? T’es vraiment sûr que tu vas te plaire dans cette relation ? Tu t’installerais avec elle s’il n’y avait pas cet enfant ? ».
« Je ne sais pas. Mais de toute façon, je dois assumer. Ce gosse a besoin d’un papa. Ce gosse va donner un sens à ma vie ».
« Mais elle a déjà un sens, tu es un gars génial, et tu vas être un grand joueur au rugby ».
« Tu sais, Nico. Depuis un mois, je me demande ce que je fous à passer toutes mes journées à faire de la muscu et à jouer à la baballe comme un gosse. Je ne me sens pas à ma place ».
« Je croyais que c’était ton rêve ».
« Je le croyais aussi ».
« Tu ne t’y plais pas ? ».
« Être au Stade, c’est génial. Mais de plus en plus souvent, je me dis que ma place n’est pas là. Je me dis que je serais tellement plus utile à apporter de l’aide et du secours. Il n’y a qu’avec l’uniforme de pompier que je me sens bien. Ça rapporte 100 fois moins et on risque sa vie. Mais c’est ce que j’aime ».
« Tu es vraiment un gars fantastique ».
« Depuis mardi dernier, je ne peux plus regarder la télé, ni écouter la radio, ni lire les journaux. Ce qui s’est passé à New York est horrible. Il y a tant d’hommes et de femmes qui ont perdu leur vie sous les décombres. Et tant de collègues pompiers. Si je m’écoutais, je planterais tout et je prendrais le premier avion pour aller donner un coup de main. D’ailleurs, j’y ai pensé très fort la semaine dernière. Mais il n’y avait pas d’avion. Et de toute façon, là-bas je n’aurais pas su comment porter de l’aide dans tout ce bazar. Je ne parle même pas l’anglais ».
Thibault a vraiment l’air très affecté par les attentats. Sa sensibilité, son empathie, son altruisme, sa profonde humanité me touchent tellement. Ça c’est vraiment un bon gars.
« Alors » il continue « avec ce qui arrive dans le monde, ce qui s’est passé avec Jé, ça n’a plus la même importance. Le monde est devenu complètement fou. Et je pense que ça n’est pas fini là ».
« Tu penses vraiment lâcher le Stade ? ».
« Maintenant j’ai signé pour un an et je ne vais pas leur faire faux bon. Dans six mois, mon enfant va être là. J’aurai la responsabilité de le faire grandir. Ce sera une nouvelle vie. Et cette nouvelle vie me fera peut-être passer l’envie de risquer la mienne pour essayer de sauver celle des autres. Et ça m’aidera à tourner la page vis-à-vis de ce qui s’est passé avec Jé ».
« Tu crois que tu ne pourrais pas tomber amoureux d’un autre mec ? ».
« Il y a bien un autre gars qui me fait de l’effet, mais il est tout aussi inaccessible que Jé ».
Je crève d’envie de lui en demander plus, mais Thibault enchaîne sans m’en laisser la possibilité.
« De toute façon, je dois oublier tout ça ».
« Mais tu ne pourras pas. Ce sera trop dur pour toi ».
« Je m’y ferai, il faut que je m’y fasse. Je suis trop content de devenir papa ».
Je ne suis pas vraiment convaincu par ses propos. Je sais qu’on ne peut pas s’obliger à aimer. Mais son engouement pour ce petit être en gestation est si sincère, que je n’ai pas le courage d’insister.
« Alors je te souhaite tout le meilleur, Thibault. D’ailleurs, félicitations… papa ».
« Merci Nico ».
« Merci à toi de m’avoir rappelé ».
« J’ai beaucoup hésité à le faire. Je n’avais pas tellement envie de reparler de tout ça. Mais finalement je te remercie d’avoir insisté, ça m’a fait du bien d’en parler. Pour l’instant, j’ai perdu le contact avec Jé. Mais au moins, avec toi, ça va mieux ».
« A moi aussi ça m’a fait du bien ».
« Ça me fait plaisir ».
« J’imagine que Jé n’est pas au courant de la grande nouvelle » j’ai envie de savoir.
« Non ».
« Je peux lui en parler ? ».
« Je préfère lui annoncer par moi-même ».
« C’est noté ».
« Merci ».
« Je veux qu’on reste amis » je ne peux me retenir de lui lancer.
« On le restera. Laisse-moi juste un peu de temps ».
« D’accord. A bientôt Thibault ».
« Bon courage pour ta rentrée ».
« Bon courage à toi pour tout ».
Nous nous faisons la bise. Et alors que je m’apprête à m’éloigner de lui pour repartir, le jeune rugbyman me prend dans ses bras et me serre fort contre lui. Le parfum frais et propre qui émane de son t-shirt m’enivre avec la même puissance magnétique du déo.
« Merci Nico d’avoir fait le premier pas ».
« Je te le devais ».
[Retrouver Nico et t’ouvrir à lui t’a fait un si grand bien].
Faute de temps pour réécrire les passages, cet épisode de l’histoire de Thibault est racontée du point de vue de Nico (extraits des épisodes originaux de Jérém&Nico).
Seuls certains passages entre parenthèses carrées donnent les sentiments de Thibault.
Dimanche 26 août 2001, 5h41.
[En apprenant au petit matin, par un coup de fil d’un collègue pompier, que ton pote Jé avait été secouru, inconscient, dans une rue du centre-ville, tu avais ressenti une terrible souffrance s’emparer de toi.
Depuis un bon moment, tu savais que ton pote n’allait pas bien. Et tu avais pressenti le risque que quelque chose puisse lui arriver.
Alors, ce matin, tu t’en veux de ne pas avoir pu, de ne pas avoir su empêcher que cela se produise. Tu t’en veux à mort. Tu te sens tenaillé par les regrets de ne pas avoir été capable de soutenir ton meilleur pote dans ce moment délicat, de ne pas avoir su lui rester proche. Mais aussi par les remords d’avoir laissé la sensualité s’immiscer dans votre amitié, ce qui a fini par en miner les fondements mêmes.
Ce matin, tu as le sentiment d’être le seul fautif de ce qui est arrivé à ton pote.
Oui, au petit matin de ce dernier dimanche d’août, tu as le cœur lourd, très lourd].
Toulouse, le dimanche 26 août 2001, 7h01.
« Appel en absence Thibault ».
Soudain, un mauvais pressentiment prend violemment forme en moi ; très vite, l’interpolation des données (sortie au B-Machine la veille, rencontre avec Martin, retour avec Martin, le regard de Jérém lorsque j’étais passé devant la terrasse ou il était attablé avec son frère et deux nanas) aboutit à la seule explication possible.
Mon cœur fait une accélération de 0 à 1000 en un temps record. J’ai les mains qui tremblent, je n’arrive même pas à afficher la liste des appels récents.
Sans encore avoir la moindre idée de ce qui s’est passé, je sens les larmes me monter aux yeux. Car dans ma tête le pressentiment s’est déjà mué en certitude : quelque chose de grave est arrivé à Jérém.
Avant que j’arrive à rappeler, l’icône du message vocal apparaît en haut de l’écran.
Je lance le répondeur.
« Nico, c’est Thibault, rappelle-moi, dès que tu peux, s’il te plaît, Nico ».
Ses mots, ses pauses, ses hésitations, la désolation et l’inquiétude que je perçois dans le ton de sa voix, sa respiration angoissée : tout participe à confirmer mes craintes.
Je rappelle, la mort dans le cœur :
« Nico » fait-il en décrochant. Un « Nico » qui est à la fois :« merci d’avoir appelé », « j’avais besoin de t’avoir au téléphone », « j’ai un truc grave à t’annoncer ».
Un silence suit, un silence que ni lui ni moi n’avons envie de briser, dernier rempart avant la rencontre avec la dure réalité.
« Il est arrivé quelque chose à Jérém ? » je vais droit au but.
« Oui, oui, comment tu sais ? » fait-il, la voix faible et émue.
« Il est vivant ? ».
« Oui, oui ! Mais il est inconscient, depuis trois heures maintenant ».
J’ai la tête qui tourne, je me sens partir. La fatigue, le stress, la peur : je sens la migraine monter à grand pas, j’ai du mal à respirer.
« Il est où ? ».
« A Purpan, en neurologie ».
« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Un accident de voiture ? ».
« Non, il y a eu une bagarre ».
« Une bagarre ? ».
« Apparemment, il était saoul, il s’est pris le bec avec un mec dans la rue, ils se sont battus, il a trébuché, et sa tête a heurté violemment contre un mur, et il a perdu connaissance ».
« Tu es avec lui ? » je tente de me rassurer, comme si la présence de Super Thibault à ses côtés était un gage du fait que les choses ne puissent pas tourner au pire.
« Oui, j’y suis depuis deux heures, depuis qu’un pote pompier m’a appelé ».
« Pourquoi tu ne m’as pas appelé plus tôt ? ».
« Je voulais avoir des infos plus précises avant, je ne voulais pas t’inquiéter pour rien, j’espérais qu’il se réveillerait rapidement ».
« Il est en train de passer un scanner en ce moment même, ils ne peuvent pas se prononcer sans examens ».
Je pleure en silence. Les secondes s’enchaînent, je n’arrive plus à décrocher un mot, j’ai l’impression que le monde s’effondre autour de moi.
« S’il te plait, Nico, viens vite » j’entends Thibault chuchoter en pleurant.
« Tu crois qu’il pourrait ».
« Je n’en sais rien, je me refuse de penser au pire, mais viens, viens, Nico ».
Sentir un mec aussi solide que Thibault complètement anéanti, c’est insoutenable. Même par téléphone interposé.
« J’arrive ».
Lorsque j’arrive en neurologie, Thibault n’est pas seul ; il est avec Maxime, le frère de Jérém et d’un homme d’une quarantaine d’années, brun lui aussi, que je devine être le père de Jérém et de Maxime.
Je sens les larmes me monter aux yeux. Je suis tétanisé, j’ai peur de savoir ; j’ai aussi peur de ne pas avoir ma place dans cette petite réunion de famille et de très proches.
Me voyant arriver en larmes, Thibault se lève, vient à ma rencontre et me serre dans ses bras.
« Ça va aller, ça va aller » il tente de me rassurer.
« Mr Tommasi, Maxime, voilà Nico, un camarade de lycée de Jérémie, Nico, voilà Mr Tommasi et Maxime, le papa et le frère de Jérémie ».
Serrer la main au petit frère et au père de mon Jérém, voilà une étrange sensation : en me laissant me présenter comme « un camarade » de Jérém, j’ai l’impression de les tromper, de mentir.
Cependant, ce n’est ni le lieu ni le moment pour avoir des états d’âme : alors, je me laisse porter par la situation.
« Il y a du nouveau ? » je demande, sans bien savoir à qui m’adresser.
« Non, il est toujours au scanner » fait Mr Tommasi.
« Ils devraient venir nous dire ce qui se passe ! » fait le jeune Tommasi, dont l’angoisse s’exprime sous forme de colère. Comme il me fait penser à son frère, en cela également !
« Patience, ils vont bientôt venir nous parler » fait Thibault, toujours aussi rassurant et adorable.
Nous allons nous asseoir. Thibault me raconte brièvement ce qu’il a appris sur les circonstances de l’accident ; pendant ce temps, mon regard se fige sur le genou de Maxime en train de sautiller nerveusement : le petit mec se fait visiblement violence pour réussir à tenir en place ; ses yeux noirs ont l’air d’avoir versé beaucoup de larmes ; il est mignon et touchant, j’ai envie de le serrer dans mes bras et de le réconforter. Il est aussi beau que son frère, et il sent aussi bon.
Mr Tommasi a un regard très brun, très sombre ; un regard qui, lui aussi, me rappelle celui de Jérém, parfois.
« Mais qu’est-ce qui lui a pris de se battre ? » fait-il, de but en blanc.
« Je pense qu’il avait pas mal bu, des fois il suffit de pas grand-chose pour que ça parte en vrille » tente d’expliquer Thibault.
« Il n’allait pas bien » fait Maxime.
« Pourquoi tu dis ça ? » s’insurge Mr Tommasi « il allait partir à Paris, avec une carrière dans le rugby toute tracée, il est jeune et beau et les nanas se battent pour lui, pourquoi il n’irait pas bien ? ».
« Tu l’as laissé tomber ».
« Arrête, Maxime, ça lui a fait le plus grand bien de commencer à s’assumer ! ».
« Je te jure qu’il n’allait pas bien depuis quelques jours » insiste Maxime « je l’ai vu la semaine dernière et je l’ai trouvé bizarre, il était fatigué, il ne parlait pas, il faisait la tête ».
« C’est peut-être à cause d’une nana » fait Mr Tommasi.
Sur ce, un infirmier approche.
« Comment il va ? » fait Maxime, impatient et inquiet, en bondissant de son siège.
« On vient de terminer le scanner ».
« Il s’est réveillé ? » enchaîne Maxime, sans presque respirer.
« Non, pas encore ».
Je vois les larmes remplir ses beaux yeux bruns, je vois les larmes aux yeux marron-tirant-sur-le vert de Thibault, alors que la main de ce dernier se pose sur l’épaule du premier pour tenter de le calmer ; je vois le front de Mr Tommasi se froncer un peu plus. Et je sens mes larmes monter à nouveau.
« Le médecin veut voir la famille, vous Monsieur Tommasi, qui d’autre est de la famille ? ».
« Moi ! » fait Maxime, impatient.
« Venez avec moi ».
Nous restons là, Thibault et moi, plantés dans le hall, à regarder l’infirmier, Mr Tommasi et Maxime disparaître derrière la porte du service.
Le bomécano s’assoit. Je m’assois à mon tour. Je l’entends pousser un grand soupir. Un instant plus tard, Thibault s’effondre, sa détresse se révèle au grand jour ; ses larmes coulent à flots sur son visage.
« Thibault » j’essaie de le consoler, le serrant contre moi.
Nous pleurons l’un dans les bras de l’autre.
« Merci d’être venu, j’avais besoin que tu sois là ».
« Il n’y a pas de « si jamais », il va être vite remis sur pattes, c’est obligé ».
On se découvre parfois une force insoupçonnée lorsqu’il s’agit de réconforter les autres.
« Je le savais, je savais qu’il allait lui arriver un truc ».
« Tu savais qu’il n’allait pas bien, mais tu ne pouvais pas deviner qu’il allait se battre ».
« Je le connais, quand il n’est pas bien, il cherche la bagarre, comme s’il cherchait le danger, comme s’il cherchait à se foutre en l’air, j’aurais dû être là pour lui, j’y ai pensé toute la nuit en plus, j’avais prévu de l’appeler aujourd’hui ».
Je suis ému de savoir que pour Thibault aussi le temps s’est dérobé sous ses pieds.
« C’est de ma faute aussi, je l’ai croisé cette nuit ».
« Ah oui ? Et il était comment ? ».
« Je ne sais pas. Il était en terrasse avec son frère et des nanas, et moi… j’étais avec un gars ».
« Un gars ? ».
« Oui, un mec que j’ai rencontré en boîte ».
« J’ai vu que ça l’a mis en colère… et j’ai vu que ça l’a rendu triste… j’aurais dû aller le voir, au lieu de tracer avec ce type ! ».
« Je me sens tellement mal » fait Thibault, l’air démuni devant son immense chagrin.
« Ce qui lui est arrivé n’est pas de ta faute ».
« Mais c’est ma faute pour ce qui s’est passé entre nous ».
« Qu’est ce qui s’est passé ? ».
Thibault se tait, le regard perdu, fuyant, rempli d’angoisse : un regard dans lequel je retrouve la même sensation que j’avais ressentie la veille, lorsque j’avais été le voir au garage : la sensation que le bomécano ne m’a pas tout dit au sujet de cette dernière fois où il a vu son Jéjé ; et à cet instant précis, j’ai soudainement peur d’entendre ce qu’il va me raconter.
« Qu’est-ce qui s’est passé, dis-moi ? » je répète, presque mécaniquement.
Maxime et son père sortent des urgences ; ce dernier tient son bras autour du cou de son fils cadet ; Maxime a l’air d’un enfant qui a besoin d’être rassuré ; il est terriblement émouvant.
« Alors ? » fait Thibault soudainement ranimé.
« Il a un traumatisme crânien plutôt grave » explique Mr Tommasi « pour l’instant le médecin ne veut pas s’avancer ».
« Il ne savent même pas s’il va se réveiller ! » fait Maxime, dans un cri de désespoir.
« Si, il va se réveiller » fait le bomécano en endossant à nouveau sa cape de Super Thibault, tout en posant à son tour la main sur l’épaule du jeune loup à la crinière en bataille « il va se réveiller, c’est obligé, il a tellement de Brennus à gagner ! ».
Maxime se dégage et s’éloigne, en pleurs.
« C’est vrai » fait Mr Tommasi en baissant le ton de la voix « ils ne savent ni quand et ni s’il va se réveiller, ni comment, le traumatisme est grave et il pourrait y avoir des séquelles ».
« Du genre ? » je fais.
« Perte de la mémoire, ou pire encore, troubles moteurs, du langage, de l’épilepsie, les 24-48 prochaines heures vont être décisives ».
Un silence chargé d’angoisse s’installe dans le sillage de ses mots.
« Allez prendre un café, les gars, je vais rester là » finit par nous suggérer Mr Tommasi.
« Vous avez besoin de quelque chose ? Vous voulez que je ramène Maxime ? » fait Thibault.
« Non, ma compagne va venir le chercher ».
« Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, alors ? » insiste Thibault, serviable au possible.
« Rien, il n’y a qu’à attendre et espérer, si vous êtes croyants, prier ».
Dans ma tête, une seule prière s’affiche instantanément : je donnerais tout, pourvu qu’il s’en sorte ; tout, y compris renoncer à lui, si c’est ce qu’il souhaite vraiment.
Je repars avec Thibault, nous marchons en silence. Pas après pas, la question que je lui ai posée par deux fois – et qui est restée sans réponse – résonne dans ma tête de façon de plus en plus obsédante.
Dans l’ascenseur, le malaise est palpable. Thibault n’est pas bien : je ne veux pas lui prendre la tête mais j’ai besoin de savoir.
L’ascenseur vient de s’arrêter au rez-de-chaussée, les portes s’ouvrent. C’est là que je me lance :
« Thibault ».
« Viens avec moi, Nico, on va prendre un truc à la cafet’ ».
A la cafet’, nous nous sommes installés dans un coin, l’un face à l’autre.
Je n’ai pas eu besoin de répéter la question qui me brûlait les lèvres ; après avoir avalé une gorgée de café, Thibault m’a tout raconté.
Il m’a parlé de ses tentatives de le réconforter, de le rassurer ; il m’a raconté comment il s’était trouvé allongé sur le clic clac, avec son pote dans les bras ; et il m’a raconté comment la proximité et l’affection avaient dérapé à un moment ; il m’a avoué que cette nuit-là lui et son Jéjé s’étaient donnés du plaisir.
Il m’a raconté que Jérém était parti de chez lui au petit matin, sans un mot.
Il m’a raconté comment ce moment de faiblesse avait mis un grand coup à leur amitié ; il m’a raconté à quel point il le regrettait : par rapport à Jérém, par rapport à moi.
Je l’ai laissé parler, le cœur un peu plus meurtri à chacun de ses mots.
Depuis quelques heures, au gré de récits de ses proches, je découvrais un nouveau Jérém ; et ça continuait avec Thibault ; au point où j’en étais, autant aller au bout des choses et tout savoir, tout connaître de cette énigme qu’est le gars que j’aimais.
Je lui ai demandé si c’était la première fois que cela arrivait.
Thibault m’a alors parlé de cette nuit, sous une tente, en camping, l’été de leurs 13 ans ; il m’a raconté qu’ils s’étaient faits du bien comme le font parfois les ados, mais que ça n’avait été qu’une fois et qu’ils n’en avaient jamais reparlé depuis.
Il m’a aussi raconté qu’ils avaient déjà craqué ensemble la semaine avant la finale du tournoi de rugby.
« C’est pour ça que tu étais si distant quand je suis venu te voir à mon retour de Londres ».
« Je n’étais pas fier, je regrettais ce qui s’était passé, je voulais l’oublier, je voulais faire en sorte que ça ne se reproduise pas ».
Il m’a raconté comment ça avait pourtant à nouveau failli déraper, d’autres fois, par la suite.
Il m’a raconté comment, à chaque fois, il avait eu le cœur lourd, et s’était senti de plus en plus perdu.
Il m’a dit et redit qu’il regrettait ce qui s’était passé avec Jérém ; car il savait que c’était ça, bien plus que la jalousie par rapport à son recrutement par le Stade Toulousain, qui avait éloigné son pote de lui.
Il m’a dit qu’il regrettait de ne pas m’avoir tout dit la veille, quand j’avais été le voir au garage.
J’ai laissé Thibault parler, abasourdi par son récit. J’ai encaissé, encaissé et encaissé, sans vraiment arriver à ressentir grand-chose ; toutes mes émotions semblaient planer sur le brouillard épais de ma fatigue extrême ; ma conscience harassée a traité toutes ces informations avec distance, en mode « auto préservation ».
J’étais juste sonné, comme si je venais de recevoir un coup de massue sur la tête et que tout était devenu noir.
La détresse de Thibault aurait dû me toucher. Ça n’a pas été le cas. J’avais l’impression de ne rien ressentir, de regarder ma vie partir en sucette, mais de la regarder de l’extérieur, comme si j’étais sorti de mon corps et que j’observais la scène depuis le plafond.
Après que Thibault a vidé son sac à la cafétéria de l’hôpital, je me suis levé et je suis parti. Je l’ai entendu me promettre qu’il me tiendrait au courant quand il y aurait du nouveau. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir remercié, je crois que je ne lui ai même pas dit au revoir. Je crois que j’étais en mode zombie, et que je n’avais même pas l’énergie pour réagir.
[Affronter le regard de Nico a été très dur. Son rejet, tu le comprends. Mais ça te fait mal, très mal.
Ce jour-là, tu t’es senti seul comme jamais auparavant.
Car tu sais qu’entre Jérém et toi ce ne sera plus jamais comme auparavant. Tout comme entre Nico et toi.
Tu sais que tu vas morfler, Thibault].
Mercredi 29 août 2001.
Jérém s’était enfin réveillé, et tout semblait normal ; à première vue, il semblait pouvoir bouger chaque partie de son corps, et se souvenir de tout.
La chape de plomb qui pesait sur mon esprit depuis quatre interminables journées s’était enfin dissipée.
Samedi 1er septembre midi, nouveau coup de fil de Thibault pour m’annoncer que Jérém allait quitter l’hôpital dans le week-end. Je crois que j’ai été plutôt distant avec lui. J’ai senti qu’il a senti cette distance. J’ai senti que ça lui faisait mal. D’une certaine façon, dans une certaine mesure, j’ai eu mal pour lui. Mais sur le coup, je n’ai pas su faire autrement. La conversation a tourné court.
Je pense à Thibault. Son amitié me manque. Pourtant, je n’ai pas envie de le revoir non plus. J’ai encore trop mal : aveuglé par ma jalousie et par ma colère, embourbé dans ce sentiment de trahison de la part des deux potes dont je n’arrive pas à me défaire, je ne réalise pas encore, comme je le ferai plus tard, à quel point j’étais dur et injuste avec Thibault. Thibault qui souffrait lui aussi : car, tout comme moi, et bien plus encore, il culpabilisait pour ce qui était arrivé à son pote ; Thibault qui s’en voulait sincèrement pour ce qui s’était passé ce soir-là, sur le clic clac, avec son Jéjé ; Thibault qui, après ce soir-là, avait tant perdu, et son meilleur pote avant toute chose.
Oui, il me faudra encore un peu de temps pour arriver à comprendre que je n’avais pas le droit de laisser le bomécano seul avec ce fardeau, lui qui avait toujours été si adorable avec moi. Car, malgré ce qui s’était passé, il n’avait jamais eu l’intention de me faire du mal.
Le pire, c’est que j’avais été profondément touché par la détresse de Thibault, d’abord au téléphone, puis, lorsque je l’avais retrouvé à l’hôpital, jusqu’à ses « aveux » à la cafétéria.
Je repense à ce moment, à ses mots quand il me raconte ce qui s’était passé avec Jérém, et je revois un Thibault plus que jamais effondré, lui aussi submergé par les remords et les regrets, cherchant désespérément à me faire comprendre qu’il s’en voulait pour ce qui s’était passé, parce que cela avait éloigné son pote de lui, parce qu’il savait qu’il m’avait fait du mal.
C’était un Thibault en détresse, et je n’ai pas su lui tendre une main pour l’aider à se relever. Je m’en veux horriblement.
Je me rends compte que dans cette histoire, Thibault a peut-être encore plus perdu que moi.
Je réalise que, au fond, ma colère est moins dans le fait que les deux potes aient couché ensemble, que dans le celui de ne pas avoir su retenir Jérém, d’avoir capitulé devant la difficulté, d’avoir baissé les bras trop tôt. C’est à moi que j’en veux, et c’est contre Thibault que je reporte ma colère.
Alors, non je ne peux pas lui en vouloir éternellement à cause d’un moment de faiblesse, surtout en sachant ce qu’il a enduré pendant toutes ces années de complicité, de proximité, d’attirance latente, vis-à-vis de Jérém.
D’autant plus que je devine très bien sa frustration, car j’ai connu la même pendant les trois années du lycée, une frustration qui a été encore plus importante que la mienne, car elle s’est étirée sur tant d’années, une frustration encore plus dure à supporter, en raison du fait que Thibault a été amené à côtoyer régulièrement, et dans tant de situations, ce pote dont il était amoureux et à qui il ne pouvait pas avouer ses sentiments.
Thibault est tout simplement un garçon amoureux qui s’est trouvé dans la plus inconfortable des positions : à la fois meilleur pote de celui qu’il a depuis toujours aimé, Jérém, et confident de celui, moi qui partage l’amour physique et le cœur de son meilleur pote.
Oui, ma cousine a raison : qu’est-ce que j’aurais fait, moi, à la place de Thibault ?
Jeudi 6 septembre 2001.
Je dois chercher à contacter Thibault.
Je compose son numéro, ça sonne une, deux, trois, quatre fois : j’ai le cœur qui tape à mille à l’heure, j’ai peur de ne pas trouver les mots…
J’éprouve un certain soulagement en me disant que je vais tomber sur le répondeur, que je vais pouvoir lui laisser un message sans avoir besoin de lui parler directement, sans avoir besoin de connaître son état d’esprit vis-à-vis de moi.
Mais ça finit par décrocher.
« Salut, Nico ».
Le ton est calme, neutre, mais il n’y a pas l’emphase que je lui connais d’habitude.
« Salut Thibault, comment ça va ? ».
« Ca va, ça va, et toi ? ».
« Ca va aussi ».
Thibault n’enchaîne pas tout de suite, je cherche mes mots aussi. Il y a visiblement un malaise.
« Tu as commencé les entraînements au Stade ? » je trouve enfin.
« Oui, il y a deux semaines ».
« Ça se passe bien ? ».
« Nico ».
« Oui, ? ».
« Je ne peux pas te parler là, je pars en mission ».
« Tu es toujours pompier ».
« Oui, bien sûr ».
« Tu es un gars incroyable ».
Silence de sa part.
« Je dois y aller, » il finit par lâcher.
« Thibault ».
« Oui ? ».
« Je suis deso ».
« Non, Nico » il me coupe net « c’est pas toi qui dois l’être ».
« Je peux te rappeler demain ? ».
« Je ne sais pas trop, j’ai plein de trucs à régler, je te rappellerai moi, un de ces quatre ».
« Ok, Thibault ».
« Salut, Nico ».
« Salut, Thibault ».
Je raccroche, les larmes aux yeux. Vraiment, ce mec me touche profondément, j’ai senti de la tristesse dans sa voix, j’ai senti son malaise, j’ai sent la distance qui s’est installée entre nous : et ça m’arrache le cœur.
Thibault a coupé court à mon coup de fil et je ne peux m’empêcher de me demander s’il était juste pressé, ou s’il n’y a pas autre chose à retenir dans sa façon de m’expédier.
Est-ce qu’il essaie de se protéger de tout ce qui le ramène aux événements récents et douloureux, est-ce qu’il essaie de prendre de la distance et d’oublier comme j’ai voulu le faire moi aussi encore il y a quelques heures ?
Ou bien, est-ce qu’il m’en veut ? Est-ce que j’ai vraiment trop attendu longtemps pour revenir vers lui ?
Est-ce qu’il va vraiment me rappeler ? « Un de ces quatre », il a dit : une formule qui est souvent synonyme de « probablement jamais ».
[Tu as bien apprécié le coup de fil de Nico. C’était une tentative de revenir vers toi, de retrouver votre amitié. Mais tu n’étais pas prêt et tu as coupé court. Tu avais encore trop mal. D’avoir perdu l’amitié de ton pote d’enfance. D’avoir renoncé à tes sentiments pour lui.
Mais aussi d’avoir blessé Nico. et d’avoir été blessé par Nico].
Vendredi 7 septembre 2001.
Puis, je repense à Thibault, Thibault qui avait l’air si fuyant lorsque je l’ai eu au téléphone la veille, Thibault que je dois recontacter et essayer d’aller voir dès mon retour sur Toulouse. Je regrette tellement de ne pas être allé le voir plus tôt, pour lui permettre de s’expliquer, pour savoir ce qui s’était vraiment passé, et pour quelles raisons ça s’était passé, entre Jérém et lui. Savoir aussi comment il le vivait, ce qui se passait dans sa tête, dans son cœur.
Pourtant, si quelqu’un est bien placé pour comprendre ce qu’a pu vivre Thibault, c’est bien moi. Probablement j’aurais agi de la même façon à sa place.
Quand je repense à cette nuit que nous avions passée tous les trois chez Jérém, j’y repense souvent comme à une erreur : pendant cette nuit, j’avais cru déceler une sorte d’attirance entre les deux potes, attirance à laquelle eux-mêmes avaient été confrontés peut-être pour la première fois, et qui pourrait réveiller des désirs et des envies jusque-là latents. Dès le lendemain, je m’étais dit que cette nuit pouvait faire des dégâts dans les relations entre nous trois, et dans chacun de nous.
Erreur ou pas, cette nuit a eu des conséquences sur tous les trois.
Sur Jérém, car il a été une fois de plus déstabilisé et jaloux de me voir coucher avec un autre gars, même si c’est lui qui avait provoqué ce plan pour me prouver, pour se prouver qu’il n’en avait rien à faire de moi, jaloux de la même façon que lors du plan avec le bobarbu Romain, jaloux de me voir coucher avec son pote de toujours, alors qu’il l’avait lui-même invité à participer à nos ébats.
Cette nuit a eu des conséquences sur moi, car j’ai découvert la rassurante douceur de Thibault, une découverte qui a contribué à me faire prendre conscience que je ne devais pas tout accepter de Jérém.
Sur Thibault aussi, car cette nuit l’a certainement remué profondément, cette nuit a certainement réveillé en lui des désirs qu’il essayait de maîtriser, non sans peine, cette nuit a été l’étincelle qui les a fait flamber jusqu’à les rendre insupportables.
Dès lors, ces désirs ne l’ont plus quitté, et lui ont échappé des mains : jusqu’à ce fameux soir où il a fini par coucher avec Jérém.
Samedi 8 septembre 2001, à Campan.
Jérém explique à Nico ce qui s’est passé la nuit où ça a dérapé avec Thibault.
« Cette nuit-là, Thibault a senti que je n’allais pas bien, il est venu me prendre dans ses bras, dans le clic clac du salon où je dormais, je ne crois pas qu’il avait prévu qu’il se passe quelque chose, et moi non plus ».
« Et ça vous a fait du bien ? ».
« Sur le moment, oui. Mais après, j’ai paniqué. Alors, j’ai foutu le camp au beau milieu de la nuit, comme un voleur, sans la moindre explication, je n’ai pas été foutu d’assumer ce qu’on venait de faire, alors que j’étais autant d’accord que lui pour le faire.
Après ça, tout a changé entre nous, du jour au lendemain, on s’évitait, surtout moi, je l’évitais, j’avais peur de ses sentiments, comme des tiens, je ne savais pas comment gérer ça, je ne savais pas comment le retrouver, après ça.
Après, il y a eu l’accident, Thib est venu à l’hôpital quand je me suis réveillé, quand il est venu, mon père et Maxime étaient là aussi, Thib a pris sur lui, il a fait comme si de rien n’était, il a déconné avec Maxime, il a discuté avec mon père, il a eu des mots pour me remonter le moral, et pourtant, je sentais un malaise entre lui et moi.
Quand j’ai quitté l’hôpital, je l’ai appelé, je voulais lui proposer de nous voir, je voulais m’excuser d’être parti comme un con cette nuit-là, je voulais lui dire à quel point son amitié comptait pour moi, mais je n’ai pas réussi, à chaque fois qu’il y avait un blanc, et que j’étais sur le point de faire un pas vers lui, il repartait dans une autre direction, comme s’il voulait garder une distance ».
« Il fait la même chose avec moi ».
« Tu as eu de ses nouvelles, toi ? ».
« Je l’ai appelé il y a quelques jours, mais il a coupé court, je pense qu’il m’en veut, je me suis mal comporté avec lui ».
« Pourquoi ça ? ».
« Parce que j’ai été horrible avec lui à l’hôpital, quand il m’a raconté ce qui s’était passé entre vous, j’étais tellement blessé que je suis parti, je l’ai laissé tomber, sans essayer de comprendre, et pourtant, j’ai bien senti à quel point il se sentait mal, vis-à-vis de votre amitié, et aussi vis-à-vis de moi. Il se sentait responsable pour ce qui t’était arrivé ».
« Il se sentait responsable de mon accident ? ».
« Oui, il savait que depuis quelque temps tu n’allais pas bien, et il avait pressenti qu’à un moment ou à un autre tu risquais de partir en vrille, alors, il s’en voulait de ne pas avoir su veiller davantage sur toi, il s’en voulait pour ce qu’il s’était passé avec toi, parce qu’après ça, tu étais parti de chez lui et il n’avait pas pu être là pour toi ».
« Le pauvre Thib, il a morflé encore plus que je l’avais imaginé, et il doit toujours morfler » fait Jérém, dépité, et il continue : « vraiment, il ne faut pas en vouloir à Thib, c’est un gars en or, c’est la gentillesse en personne, je savais qu’il avait des sentiments pour moi, j’aurais dû faire davantage attention à lui, il avait toutes les raisons de craquer, c’est moi qui aurait dû être plus fort, je n’aurais pas dû coucher avec lui ».
Jérém se lève pour aller rajouter du bois dans la cheminée. Puis, il s’allume une clope, il tire une longue taffe et il expire lentement la fumée. Son regard se pose dans le vide, comme perdu, il a l’air tellement ailleurs qu’il en oublie même sa cigarette, coincée entre ses deux doigts, et qui brûle pour rien.
« Je crois qu’entre Thib et moi ça ne sera plus jamais comme avant » il rajoute au bout d’un long silence.
Je ne peux m’empêcher de me lever à mon tour pour aller le prendre dans mes bras et lui faire des bisous.
« Moi je crois que ça va finir par s’arranger, une amitié comme la vôtre ne disparaît pas comme ça, laisse-lui un peu de temps ».
Toulouse, le jeudi 13 septembre 2001.
« Salut Nico ».
C’est un accueil typiquement « thibaudien ». J’ai toujours eu l’impression que sa façon de glisser le prénom de son interlocuteur dans la phrase était une marque de sa considération.
« Salut, tu vas bien ? ».
« Ca va, ça va, et toi ? ».
« Ca va aussi » je lui réponds, avant qu’un silence gêné s’installe entre nous.
Nous n’avons pas échangé dix mots. Et j’ai à nouveau l’impression que le jeune pompier est distant.
« Ça se passe bien les entraînements ? » j’arrive à glisser pour débloquer la situation.
« Oui, très bien, mais je n’ai jamais été aussi fatigué de ma vie ».
Puis, il enchaîne, sans transition.
« Nico, tu as des nouvelles de Jé ? Tu sais s’il est parti à Paris ? ».
« Oui, il est parti hier ».
« Et il a passé ses examens médicaux ? ».
« Je crois qu’il les passe en ce moment même ».
Puis, un nouveau silence nous rattrape. Je décide de forcer les choses.
« Thibault, ça te dirait qu’on prenne un verre ? ».
« Je n’ai pas trop le temps en ce moment ».
« Je vais bientôt partir à Bordeaux pour mes études. Je voudrais vraiment te voir avant. J’ai des trucs à te dire. Je me suis mal comporté avec toi ».
« Laisse tomber ça, Nico. C’est mieux si on oublie tout ça ».
« Juste un moment, s’il te plaît ».
« Je ne sais pas si c’est une bonne idée pour l’instant. S’il te plaît, n’insiste pas ».
Sa détermination me touche et m’impressionne. Elle m’attriste. Et pourtant, elle force le respect.
« Je n’insiste pas, alors ».
« C’est mieux comme ça, je t’assure ».
Depuis quelques jours, à chaque fois que j’ai pensé rappeler Thibault, je me suis demandé si ça n’allait pas être trop tard pour rattraper le coup avec lui. Je crois que je tiens là ma réponse. Je n’ai plus d’arguments à lui opposer. Je culpabilise, j’ai envie de pleurer. Du coup, je ne sais pas comment mettre fin à cette conversation qui vient de me confirmer que j’ai perdu un ami.
Alors, dans un dernier élan d’espoir, je décide de jouer le tout pour tout.
« J’ai énormément d’estime pour toi, Thibault. Tu es un gars en or. Vraiment. Tu es un modèle pour moi. Ton amitié est précieuse pour moi ».
« Nico ».
Pendant une poignée de secondes, un silence interminable me donne la mesure du malaise qui s’est installé entre nous.
« Je, je » je l’entends bafouiller. Je le sens touché, ému par mes mots.
Je touche du doigt le mal que je lui ai fait et qui l’empêche désormais de surmonter la distance créée par la souffrance. Thibault est blessé. Je l’ai blessé. J’ai blessé ce gars qui était mon ami, un ami sincère. Je l’ai blessé parce je n’ai pas su essayer de comprendre que, pour une fois, il ait pu avoir envie de penser à son propre bonheur. Parce que je n’ai pas su comprendre que, sous sa maturité, sa générosité, son altruisme, son abnégation, Thibault est un être sensible, on ne peut plus humain, et amoureux.
Je me sens minable. J’ai envie de pleurer. J’essaie de me maîtriser, non sans mal.
« Moi aussi je t’aime bien » il finit par lâcher.
« Je regrette tellement, si tu savais ».
« On a tous agi d’une façon qui n’était pas la bonne ».
Un nouveau silence s’installe, pesant.
« Thibault ».
« Je dois y aller maintenant ».
« Rappelle-moi, quand tu veux ».
« Tu es toujours sur Toulouse ? ».
« Oui, mais pas pour longtemps. Je pars lundi soir à Bordeaux ».
« Bon courage pour la fac, Nico ».
Là, je suis assommé. Car cette formule ressemble à un adieu. J’ai vraiment du mal à retenir mes larmes.
« Merci, et bon courage à toi pour le Stade. Fais attention à toi, essaie de ne pas te blesser. Ce serait dommage qu’il t’arrive quelque chose ».
« Merci Nico. Adishatz » il me lance.
« Adishatz, je te dirai pour ses examens » j’ai tout juste le temps de lui lancer, avant que la communication ne soit coupée de son côté.
Désormais, j’en ai le cœur net. J’ai perdu l’amitié de Thibault. Je n’ai senti aucun reproche direct dans ses mots, et pourtant j’ai senti qu’il a été affecté par mon comportement. Jérém pense qu’il a besoin de temps pour surmonter tout ça. Mais moi j’ai bien peur que cela soit plus grave que ça. J’ai peur que, pour se protéger, il coupe les ponts pendant un temps tellement long que si un jour on se recroise, on sera à nouveau de parfaits étrangers. Je sais qu’il ne me rappellera pas.
Ce coup de fil m’a sapé le moral. Je m’en veux horriblement.
[Nico a essayé une nouvelle fois de reprendre contact avec toi. Ça t’a touché, tu aurais voulu le laisser revenir vers toi. Mais tu n’as pas pu.].
Un peu plus tôt dans la journée, ton pote t’a envoyé un message pour te dire qu’il rentrerait de Paris dans la soirée. Mais pas un mot sur comment s’est passé son entretien.
Alors, tu attends avec impatience son retour pour en savoir davantage.
Lorsque tu entends la porte de ton appart s’ouvrir, tu ressens un immense bonheur. Parce que ton pote est là. Tu es soulagé. Et heureux.
— Alors, comment ça s’est passé à Paris ?
— Je n’ai pas été à Paris…
— Mais tu m’as dit…
— Je n’y suis pas allé ! il te coupe sèchement.
Tu as l’impression que ton pote est torché, qu’il est énervé, mais aussi abattu.
— Et t’étais passé où ? T’as pas dormi à la rue quand-même !
— J’étais à Toulouse…
— Mais où ?
— Ça n’a pas d’importance…
— Tu fais chier, Jé ! tu t’emportes, en t’approchant de lui.
— J’avais besoin de prendre l’air.
— C’est quoi ce bleu ? tu t’inquiètes, en découvrant la trace du coup que ton pote porte sur son visage et qu’il avait été masqué jusque-là par la pénombre.
— C’est rien, t’inquiète,
— Tu t’s encore battu ?
— C’est rien, je te dis ! il s’agace, en levant sensiblement le ton de la voix et en partant très vite vers le balcon, tout en s’allumant une cigarette.
— Mais qu’est ce qui va pas Jé ? tu lui lances sur un ton ferme et bienveillant, tout en lui taxant une cigarette qui se trouve être la dernière.
— Tout va bien, très bien, il fait, amer.
— On ne dirait pas, tu insistes, tout en allumant ta cigarette et en tirant une première taffe.
— Mais putain, tu as une touche avec le Racing, tu devrais être heureux !
— Fait chier que le Stade n’ait pas voulu de moi ! il lâche sèchement.
— Je sais, je sais, mais il ne faut pas regarder ce que tu n’as pas eu, il faut regarder ce que tu as eu. Il y a plein de gars qui seraient heureux à ta place. Tu as la possibilité de montrer ton talent à tout le petit monde du rugby. Tu vas tout donner, et dans un an le Racing sera dans le Top14. Il le sera grâce à toi, et un jour il sera plus fort que le Stade. Tu vas voir, dans un an, tout le monde va te manger dans la main !
— Je n’ai pas envie d’aller à Paris !
— Ne dis pas de bêtises !
— Je rigole pas !
Tu regardes ton pote en train de fumer en silence. Il a l’air si nerveux, et si triste. Ça te serre le cœur de le voir comme ça.
— C’est ça qui te prend la tête, tu le lances.
— De quoi tu parles ?
— Le fait d’être loin de Nico.
— Tu me saoules, tu dis n’importe quoi !
— Je ne crois pas !
— De toute façon c’est fini, je l’ai largué !
— Tu déconnes…
— Pas du tout !
— Mais pourquoi tu as fait ça ? tu t’étonnes.
— Parce que ça ne rime avec rien, rien du tout ! Parce que c’était une connerie et j’aurais dû arrêter tout ça bien plus tôt, ça n’aurait même jamais dû commencer !
— Pourquoi tu dis ça, Jé ? Nico a besoin de toi, mais toi aussi tu as besoin de lui…
— De toute façon, je ne pourrais jamais être le genre de gars qu’il lui faut. Il veut être avec un pédé comme lui. Et moi je veux pas. A Paris, je vais tout recommencer à zéro. Fini les conneries, je veux redevenir le mec que j’étais avant. A Paris, il n’y aura que des meufs dans mon pieu !
— Tu tiens à lui quand même, ça crève les yeux !
Jérém se tait, le regard dans le vide.
Vous fumez côte à côte, appuyés à la rambarde de la terrasse, en silence. Tu fermes les yeux et tu écoutes les bruits légers de la nuit, la respiration de ton pote, ses inspirations, ses expirations. Le parfum de son déo mélangé à l’odeur de cigarette arrive à tes narines et provoque une petite tempête dans ton cerveau.
Tu as terriblement envie de le prendre dans tes bras et de le rassurer. Mais tu as peur de sa réaction. Alors, tu cherches les bons mots pour lui remonter le moral. Tout en essayant de résister à cette tendresse infinie qui t’attire vers lui.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive, il lâche de but en blanc, la voix cassée par les larmes, tout en se tournant légèrement vers toi.
Immédiatement, tu jettes ta cigarette à moitié fumée et tu le serres fort contre toi. Dans tes bras, ses sanglots silencieux résonnent dans la nuit.
Ça fait bien longtemps que tu n’as pas vu ton pote pleurer. Et ça te déchire les tripes.
— Je ne veux pas devenir pédé !
— Dis pas ça, dis pas ça ! Tu es un sacré bonhomme, et rien ne pourra changer ça !
— Je ne suis rien !
— Si, tu es mon pote, mon plus grand pote, et quoi qu’il arrive, tu seras toujours mon pote Jé !
Tu le serres encore un peu plus fort contre toi. Tu es ému. Mais aussi troublé.
Troublé par le contact du visage de ton pote dans le creux de ton épaule, par l’odeur de sa peau, par le contact de son torse contre le tien, par la proximité de son cou, de cette oreille qui semblent appeler le contact avec tes lèvres, par la proximité de ses cheveux bruns qui semblent implorer la caresse de ta main.
— Si tu savais comment c’est dur, il lâche, en sanglotant nerveusement.
— Il ne faut pas se prendre la tête comme ça. Il faut lâcher prise, accepter les choses telles qu’elles sont. Arrête de te faire du mal, arrête de te punir !
— Ça me dégoûte, je me dégoûte ! Parfois, j’ai envie de me foutre en l’air !
— Regarde-moi, Jé, tu lui claques à la figure immédiatement et fermement.
— Regarde-moi, je te dis ! tu insistes jusqu’à capter le regard de ton pote.
— Ne dis pas ça, ne le dis même pas pour rigoler. Je te le répète, tu es un sacré mec, tu as tout pour toi. Tu es beau, intelligent, adroit, malin, tu as un talent fou pour le rugby et pour tout un tas d’autres choses. Tu peux tout faire, tout réussir !
— Et en plus tu as la chance d’avoir un mec qui est dingue de toi ! Et il est dingue de toi malgré ton caractère de cochon ! Et ça, putain, c’est beau et précieux ! Ne gâche pas ça !
Ton pote se tait, la respiration saccadée, fébrile.
— Et puis, n’oublie pas que tu m’as, moi ! Tu comprends, Jé ? Tu m’as, moi ! Quoi qu’il arrive, je serai toujours là. Tu es comme mon frère et je te soutiendrai toujours ! Toujours !
— Ne pense jamais à te foutre en l’air, mon pote ! Tu gâcherais ton destin, et tu gâcherais ma vie aussi. Je ne pourrais pas vivre dans un monde où tu n’es plus !
— Tu es vraiment un pote en or, Thib !
— Toi aussi tu es un pote en or, Jé !
Une minute plus tard, vous êtes allongés sur le clic clac. Tu te tournes vers ton pote et tu le prends dans tes bras.
La détresse de ton pote te touche, sa proximité te bouleverse.
Rester là, l’un contre l’autre, le corps chaud et musclé de ton pote contre le tien, la douceur familière et apaisante de sa peau contre la tienne, rester là, en silence, en laissant la tendresse exprimer ce que dix-mille mots ne sauraient mieux formuler.
Peu à peu, sa respiration s’apaise, ses muscles se détendent. Et tu ressens en toi un bonheur si intense à appeler ses larmes. Un bonheur qui ressemble à une petite ivresse, une ivresse dans laquelle tu te sens perdre pied.
Tes lèvres frémissent, hésitent. Mais pas longtemps. Un bisou léger, puis deux, puis dix, se posent sur le cou de ton pote.
C’est tellement bon que tu ne peux plus t’arrêter. D’autant plus que ton Jé semble accepter et apprécier cette marque de tendresse et d’affection.
Mais au bout d’un moment, si court et si long à la fois, il se retourne brusquement.
— Je suis désolé, tu tentes de te justifier, le cœur tapant à tout rompre dans ta poitrine.
Ton pote se tait, te regarde droit dans les yeux. Et, contrairement à ce que tu avais craint, ce que tu vois dans son regard te rassure.
Car son regard n’est pas fâché. Au contraire, c’est un regard doux, touchant, un regard qui accroche le tien et qui te fait fondre.
Vous vous fixez pendant un long instant, en silence. Et puis c’est comme une évidence.
Depuis quelque temps, tu avais senti que vis-à-vis de ton pote pas mal de choses étaient en passe de te dépasser. Tu avais bien senti que le risque qu’un accident se produise augmentait de jour en jour.
Tu avais conscience de jouer avec le feu. En tant que pompier, tu es bien placé pour savoir que pour prévenir l’incendie, il faut impérativement éloigner les éléments inflammables des sources de départ de feu potentielles. Tu es réputé pour être redoutablement efficace lors des mises en sécurité des scènes d’accident, et notamment dans la maîtrise des risques. Pourtant, dans ce cas précis, face au risque potentiel, tu as été incapable de prendre les précautions nécessaires pour l’annuler.
Et l’« accident » avait fini par se produire.
Ton pote avance son visage vers le tien. Les fronts se rencontrent, les nez se retrouvent, à nouveau.
Puis, à l’initiative de Jé, les lèvres s’effleurent.
Tu es fou de bonheur, mais des freins d’urgence s’activent en toi.
— On ne peut pas faire ça, Jé, tu lâches, te faisant violence pour résister aux flots impétueux du désir et de l’amour.
— J’ai envie, lâche ton pote alors que sa main se faufile déjà sous ton t-shirt.
Et lorsqu’il pose des bisous tout doux dans ton cou, tu te sens définitivement perdre pied. Les lèvres se cherchent désormais avec une fougue dévorante, les mains découvrent, caressent, excitent.
La nuit avance et les corps musclés s’enlacent, s’aiment, s’offrent mutuellement douceur, tendresse, plaisir. Et les jouissances des deux jeunes mâles se mélangent dans un feu d’artifice sensuel intense et émouvant.
Jeudi 16 août 2001.
Lorsque tu rouvres les yeux, le jour pointe déjà son nez. Tu regardes ta montre. Il n’est que 6h30. Et ton pote Jé est déjà parti.
Quelques heures plus tard, tu vas être contacté par le Stade Toulousain. Excellente nouvelle, pourtant si difficile à lui annoncer.
Tu te demandes s’il sait ce qui s’est passé entre ton pote et toi. Tu redoutes sa réaction, ses mots. Tu es si mal à l’aise que tu n’as même pas le courage de tenter la bise.
Nico n’a pas l’air d’avoir la forme non plus.
— Dis-moi, Nico, tu as des nouvelles de Jéjé ? tu le questionnes, impatient, presque fiévreux.
— Non, ça fait deux semaines que je n’en ai pas…
— Il fait chier ! tu te laisses échapper, mort d’inquiétude.
— Mais il n’est pas chez toi ? il tombe des nues.
— Ça fait plus d’une semaine que je ne l’ai pas vu.
— Et tu n’as aucune nouvelle depuis, une semaine ??? il angoisse.
— J’ai su par des potes communs qu’il crèche chez une nana…
— Une nana ?!?!
— Je crois bien, oui. Mais il ne répond même pas à mes appels.
— Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
Tu ne peux pas lui dire ce qui s’est passé. Ça lui ferait trop mal. Tu t’en veux terriblement.
A cet instant précis, tu n’es pas bien du tout dans tes baskets. Tu sors le paquet de clopes et t’en allumes une.
— Il a commencé à découcher le week-end d’il y a 15 jours, tu finis par lui raconter. Le vendredi soir, il m’a envoyé un SMS pour me dire qu’il partait à Paris pour le week-end pour rencontrer des gars du Racing. Sur le coup, je ne me suis pas inquiété, j’ai cru que c’était lié à ses essais d’embauche.
— Il n’est revenu qu’en milieu de semaine dernière. Mais il n’avait pas été à Paris…
— Ah bon ?
— Il m’a dit qu’il était resté à Toulouse et qu’il avait juste eu besoin de prendre l’air.
— Et il a dormi où, alors ?
— Ça, je ne sais pas, il n’a pas voulu me le dire non plus. Et en plus il avait un gros bleu sur la figure. Evidemment, il n’a pas voulu me dire ce qui lui était arrivé.
— Non, il ne m’en a pas parlé. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— C’est avec moi qu’il s’est battu.
— Avec toi ? Et c’est toi qui l’as cogné ?
— C’était le vendredi d’il y a deux semaines, justement, le premier soir où il a découché de chez toi. Cet après-midi-là, il est venu chez moi, on s’est disputés et il m’a fait sortir de mes gonds. Mais je le regrette, si tu savais comment je le regrette !
— T’as pas à te justifier, Nico
— J’ai cru que tu savais ce qui s’était passé et que tu m’en voulais de l’avoir frappé.
— Mais non, jamais de la vie, Nico. Je ne savais même pas que c’était avec toi qu’il s’était battu. Après, je sais aussi à quel point Jé peut être une tête de con quand il est en colère et combien il sait pousser les gens à bout.
— Je suis soulagé qu’il n’y a pas de malaise entre nous. J’ai cru que ton silence c’était à cause de ça.
Non, ton silence ne vient pas de ça. Il vient de la mauvaise conscience, de la culpabilité.
— Non, non, je t’assure ! Ça faisait un moment que je voulais t’appeler, mais les derniers jours ont été intenses. Le taf, la caserne, et tout le reste…
— Je comprends, t’en fais pas. J’aurais dû t’appeler. Mais dis-moi, du coup il est parti à Paris pour les sélections ou pas ?
— Si, si, il y a été lundi dernier et il est revenu avant-hier.
— Et il a été retenu ?
— Oui, ils l’ont pris.
Un mélange de joie sincère pour sa réussite, mais également de tristesse pour la distance géographique et sociale que cela va installer entre eux, voilà l’état d’esprit qui semble s’emparer de Nico à cet instant.
— Mais tu lui as parlé, alors !
— Pas vraiment. Jeudi soir j’ai essayé de l’appeler plusieurs fois pour savoir comment s’était passé à Paris. Il m’a répondu par SMS à trois heures du mat, en disant juste que c’était signé et qu’il allait démarrer les entraînements lundi prochain.
Nico semble recevoir cette nouvelle comme une baffe en pleine figure.
— Dans deux jours il repart à Paris et je ne sais même pas si je vais le voir d’ici là, tu considères tristement.
— Et moi, donc…
— Je sais, excuse-moi Nico !
— C’est rien, t’inquiète. Mais pourquoi il se comporte de cette façon avec toi ? il te questionne.
Tu écrases ton mégot, tu marques une pause, tu prends une grande inspiration. Tu hésites, tant sur la direction à donner à ta réponse que sur le choix des mots à utiliser.
— La semaine dernière j’ai été contacté par le Stade Toulousain, tu lâches.
— Le Stade Toulousain ? Et alors, ça s’est passé comment ?
— Ils m’ont engagé
— C’est vrai ?? Félicitations !
— Merci !
— Mais c’est génial !
— Je sais. Mais je n’arrive pas à m’en féliciter autant que je l’aurais imaginé…
— Et pourquoi ça ?
— La proposition du Racing est une belle opportunité pour Jé. Mais son rêve de toujours était de jouer au Stade. C’était notre rêve à tous les deux. On rêvait d’y jouer ensemble, comme depuis toujours. Et maintenant qu’ils m’ont recruté, et pas lui, ça lui a fichu un grand coup au moral. En plus, le Stade c’est le Top14, le Racing, c’est la Pro D2. Nous n’allons même pas pouvoir jouer en tant qu’adversaires !
— Mais pourquoi le Stade Toulousain n’a pas recruté Jérém, alors qu’il est l’un des meilleurs joueurs de votre équipe ?
— Jé n’est pas l’un des meilleurs joueurs, Jé est de loin le meilleur ailier que je connaisse. Un gars comme ça, ça te change une équipe. Je pense que s’il a été laissé sur la touche, c’est à cause de son petit caractère…
— Comment ça ?
— Jé est un gars qui s’emporte vite, surtout pendant le jeu. Il est sanguin, impulsif, râleur. Il s’est souvent pris la tête avec l’entraîneur, avec les arbitres, avec des co-équipiers et même avec l’équipe dirigeante. Jé est un champion sur le terrain, mais pas du tout dans la diplomatie. Quand il a un truc à dire, il n’y va pas par les quatre chemins.
— Mais il faut reconnaitre qu’il sait jouer et qu’il sait analyser le jeu en profondeur. Et quand il n’était pas d’accord sur certaines stratégies ou sur l’attitude de certains joueurs, il l’a bien fait savoir.
— Il y a eu des accrochages ?
— Oui. Et ça a foutu un sacré bordel. Mais le fait est qu’il avait souvent raison. On a commencé à bien jouer à la mi saison, quand il y a eu des changements tactiques suite à plusieurs défaites. Jé appelait précisément ces changements, depuis longtemps. Au final, c’est pas seulement grâce à ses qualités de joueur que nous avons gagné le tournoi. Mais aussi grâce à ses coups de gueule. Des coups de gueule qui lui ont couté parfois des matches sur le banc de touche. Et qui lui ont vraisemblablement coûté son recrutement au Stade. Si tu savais comment ça me fait chier pour lui !
Tu ’allume une nouvelle cigarette, ton geste est machinal, nerveux.
— Quand le Stade m’a contacté, j’ai de suite su que ça allait créer un gros malaise avec Jé. J’ai même hésité à accepter…
— Mais tu ne pouvais pas renoncer à cette opportunité ! Tu l’aurais regretté toute ta vie !
— Non, bien sûr, je ne pouvais pas refuser. Mais je ne veux pas devoir choisir entre une carrière pro et mon meilleur pote !
Tu regrettes de ne pas avoir le courage de dire à Nico l’autre cause de votre éloignement. Mais tu as trop peur de lui faire de la peine. Tu te sens tellement mal !
— Jé ne va pas bien en ce moment, tu ajoutes, j’ai peur qu’il fasse des conneries. J’ai peur qu’il lui arrive quelque chose.
Tu marques un moment de silence, tu cherches tes mots.
— Nico, maintenant il n’y a plus que toi qui peut veiller sur lui…
— Mais pourquoi tu dis ça ? Vous êtes toujours potes quand même !
— Je ne sais plus où nous en sommes avec Jé, tu lui glisses, de plus en plus affecté par toute cette affaire.
— Le rugby nous a rendu comme des frères. Et maintenant, il nous éloigne. Je n’aurais jamais cru que ça arriverait. Et pourtant, Il va falloir du temps pour que les choses se tassent. C’est pour ça que, pour l’instant, il n’y a plus que toi qui peut garder un œil sur lui.
— Qu’est-ce que je vais pouvoir faire, moi ? Il m’a largué comme une merde !
— Il t’a largué en tant que petit ami comme il m’a largué en tant que pote. Le départ de Toulouse l’affecte beaucoup. Et quand il ne va pas bien, tu le connais un peu maintenant, il envoie tout balader. Il me fait penser à un animal blessé qui réagit par la violence contre quiconque veut l’approcher.
— Mais tu connais Jéré mieux que moi, et tu sais mieux que moi comment l’approcher, comment lui parler.
— Pour l’instant, je ne suis pas la personne la plus à même de l’aider à aller mieux.
— Si je l’appelle, je vais encore me faire jeter. Et, s’il le faut, il ne va même pas me répondre !
Au fond, tu sais que Nico a raison. Tu te sens de plus en plus abattu et désarçonné. Les larmes montent à tes yeux. Tu les essuies du revers de la main.
Nico prend tes mains entre les siennes, comme tu l’avais fait lors de votre premier apéro, lors de son coming out.
— Je te promets que je vais essayer de l’appeler…
Soudain, la sonnerie de ton portable retentit bruyamment. La caserne t’appelle pour une intervention.
Au moment de dire au revoir à Nico, vous vous prenez dans les bras et vous pleurez ensemble, en silence.
Dimanche 26 aout 2001, 4h31.
Seul sur ta terrasse, tu remontes le temps, de souvenir en souvenir, à la recherche d’un bonheur perdu.
Tu repenses au bonheur immense que tu avais ressenti lors d’une soirée de confidences d’adolescents, une nuit où ton Jé t’avait dit : « Tu es vraiment mon meilleur pote ». Des mots qui t’avaient touché comme aucun autre. Des mots auxquels tu t’étais empressé de répondre ce que tu ressentais si fort au fond de toi : « Toi aussi tu es mon meilleur pote ».
Tu repenses à la joie immense du jour où vous aviez gagné votre premier tournoi de rugby. Tu repenses au bonheur de l’avoir gagné ensemble.
Tu repenses aux innombrables moments, aux rires partagés en dix ans d’amitié. Mais aussi aux embrouilles, aux prises de tête, à chaque fois réglées autour d’une bière, ou sur le terrain de rugby.
Tu as toujours considéré Jé comme ton petit frère, et tu ressens depuis toujours une affection infinie pour lui.
Tu voudrais que ce soit si simple aujourd’hui encore. Mais tu sais que ce n’est pas le cas. Et que ça ne le sera plus jamais. Surtout après ce qui s’est passé entre vous.
Et tu ressens une immense tristesse en pensant que cette époque est désormais bel et bien révolue.
Dimanche 26 aout 2001, 5h03, le vent d’Autan souffle toujours aussi fort.
Depuis une semaine, il ne s’est pas écoulé une heure sans que tu penses à vos recrutements respectifs dans le monde du rugby professionnel.
Son engagement par l’équipe du Racing est une bonne chose, certes. Ça a conjuré le pire. L’éventualité que ton Jé, joueur très prometteur, bien qu’un peu turbulent, soit laissé sur la touche, que personne ne lui donne sa chance dans le rugby professionnel. Une chance qu’au vu de ses exploits sportifs de la dernière saison, il mérite amplement.
Mais tu le sais très bien, ton pote visait plus haut, le Top14, et, surtout, il visait son terroir. Toulouse est sa ville, et son rêve de toujours était d’intégrer le prestigieux Stade en rouge et noir.
Hélas, ça n’a pas été le cas. Pas pour l’instant, du moins.
Mais ça l’a été pour toi, Thibault. Toi, tu as été recruté par les rouges et noirs. C’était ton rêve aussi. Mais tu n’as même pas pu t’en réjouir. Car ça a fichu un sacré bazar entre ton pote et toi.
Lorsque tu lui avais annoncé la nouvelle, Jé n’avait rien dit de particulier, mais tu avais senti son malaise. Il t’avait néanmoins félicité, mais tu avais bien senti que le cœur n’y était pas.
Non, il n’avait rien dit. Mais tu avais bien senti que dans sa tête il ne pouvait pas ne pas comparer ton recrutement au sien, autrement plus prestigieux. Tu savais qu’il se sentait sous-estimé, frustré, humilié. Lui qui avait été l’auteur des point décisifs pour la victoire du championnat, se sentait, d’une certaine manière, laissé sur la touche. Il partait jouer en Pro D2, alors que toi tu démarrais ta carrière de joueur dans l’une des plus grandes équipes de France, qui était votre équipe de cœur qui plus est.
Jamais tu n’aurais cru que cela puisse arriver un jour, que le rugby qui vous avait rapprochés, Jé et toi enfants, finisse par s’interposer entre vous, au point de donner un coup à votre amitié de dix ans.
Tu n’auras pas l’occasion de le lui annoncer de vive voix. Car, le jour même, il viendra chercher ses affaires sans te prévenir, a sa pause, alors que tu es encore au garage, et il laissera le double des clés de l’appart que tu lui avais confié dans ta boite aux lettres. Il partira sans te donner plus d’explications, te laissant dans un état d’inquiétude intolérable.
Mais, au fond de toi, Thibault, tu sais très bien que le rugby n’est pas la seule raison de votre éloignement. Depuis une semaine, il ne s’est pas passé une minute sans que tu repenses à ce qui s’est passé la dernière fois où tu as vu ton Jé, la dernière fois où il a dormi chez toi. Et il ne s’est pas passé une minute sans que tu le regrettes.
Dimanche 26 août 2001, 5h41.
Le vent d’Autan souffle toujours.
Depuis quelque temps, tu ne te reconnais plus. Ne pas oser dire les choses, ne pas oser regarder la réalité en face, ne pas savoir l’affronter. Tout ça, ce n’est tellement pas toi !
Et même si ton intention n’était que de préserver, de ne pas faire souffrir, tu culpabilises d’avoir caché des choses à Nico, des choses qui n’auraient jamais dû se produire.
Depuis une semaine, tu as le cœur lourd, très lourd. Et il s’est alourdi un peu plus encore quelques heures plus tôt, lorsque Nico est allé te parler. Il a été alourdi de la honte de lui avoir menti.
Car tu ressens une profonde tendresse pour ce petit Nico qui a su chambouler la vie de ton pote, lui apporter quelque chose dont il avait besoin, quelque chose que personne d’autre n’a su lui apporter jusque-là.
Ça avait été très dur pour toi de voir ce petit mec débarquer dans la vie de ton Jé. Car, en plus d’être attiré par lui, il en était vraiment amoureux. Et tu sais désormais que, malgré ce que ton pote voulait croire lui-même et te faire croire, Nico avait réussi l’exploit d’arriver à représenter quelque chose d’important à ses yeux.
Et force est de constater que tu trouves ce Nico charmant et attachant. Mais aussi, sensible et attentif.
Pas grand monde autour de toi ne sait regarder dans ton cœur, estimant que tu es un gars solide qui ne flanche jamais. Assurément pas ton pote Jé, trop occupé à affronter ses propres démons. Mais Nico semble savoir regarder au-delà du Thibault solide, toujours disponible pour les autres, et d’humeur toujours égale. Il semble comprendre que toi aussi tu as parfois besoin d’une oreille attentive et d’être rassuré.
Parce qu’au fond de toi, tu as aussi besoin d’être rassuré. Hélas, ça, peu de gens savent le voir.
En général, on trouve que tu es un garçon rassurant, sur qui on peut compter. Tes collègues pompiers, tes collègues de travail, tes potes, et ton pote Jé tout particulièrement. Tu as toujours joué ce rôle, tu as toujours aimé rendre service. Parce que faire plaisir te fait plaisir. Et ce n’est pas pour te faire bien voir, pour attirer la sympathie. Aider l’autre est depuis toujours une seconde nature chez toi.
Mais très rares sont les personnes qui savent regarder au-delà du Thibault serviable, solide et rassurant. Très peu sont ceux ou celles qui ont vu que toi aussi tu as besoin parfois d’une épaule sur laquelle t’appuyer. Que toi aussi tu as parfois des doutes, et que tu as besoin d’être rassuré.
Les sentiments que tu ressens pour Nico sont complexes. Il faut l’admettre, tu ressens une forme de frustration vis-à-vis de ce qui se passe entre son pote et lui. Une frustration et un malaise qui ressemblent presque à de la jalousie.
Tu repenses à la façon dont son regard s’illumine quand il regarde son Jérém. C’est le genre de regard qui te fait sentir important pour quelqu’un, vraiment important. Tu as le sentiment qu’il n’y aurait rien de plus doux que de sentir un tel regard sur soi. Tu te dis que tu serais heureux si un jour quelqu’un pouvait poser sur toi le regard plein d’admiration et d’amour que Nico porte sur son Jérém.
Tu comprends désormais comment sa douceur, son côté attachant ont pu toucher ton pote. Car, à cette douceur et à ce côté attachant, tu y es tout autant sensible. Nico est un garçon spontané, à fleur de peau, il est touchant, très touchant. C’est un garçon qu’on a envie de protéger, de câliner, d’aimer. Sans compter que c’est aussi un garçon très sensuel. Et qu’au lit, c’est un feu d’artifice.
Tu sais désormais que le cœur de ton pote est pris. Car, même s’il se comporte mal avec Nico, c’est bien lui qu’il aime, et il l’aime vraiment. S’il n’a pas envie de partir à Paris, c’est parce qu’il souffre de s’éloigner de lui. Tout comme il souffre de ne pas être capable de l’aimer.
Tu te sens confiant quant au fait qu’un jour tes deux potes vont se retrouver. Et tu ne veux plus être un obstacle entre eux, un obstacle pour leur bonheur.
Mais tu ne veux plus continuer à souffrir non plus. Jusque-là, tu as essayé d’oublier tes envies et tes besoins, tu avais poussé tes deux potes l’un dans les bras de l’autre. Ça t’a pris toute ton énergie et tu as échoué.
Tu t’es toujours dit qu’à force, tu finirais par y arriver. Mais tu n’y arrives pas, tu n’y arrives plus. Tu n’arrives plus à prendre sur toi, tu as trop mal.
Tu n’en peux plus de lutter contre toi-même. Tu as besoin de décrocher. Tu as besoin de prendre de la distance pour oublier tout ça, pour tourner la page. Et tu te dis que finalement le départ de ton pote Jé à Paris est une bonne chose. C’est l’occasion de prendre de la distance avec tout ça, l’occasion pour oublier, comme si ça n’avait jamais existé.
D’ailleurs, tu te dis que tout irait mieux si tu n’avais jamais ressenti ce « truc » pour ton pote Jé.
Mais « ça » ça ne se commande pas. Lorsque l’amour nous tombe dessus, c’est par surprise, toujours par surprise. Il débarque de nulle part et il bouleverse l’horizon de notre cœur. Il est imprévisible, insaisissable, incontrôlable. Et c’est justement ça qui le rend unique, cette beauté simple et intense qui est l’essence même du bonheur.
Tu avais cru pouvoir faire un transfert de ce que tu ressentais pour ton pote en encourageant Nico à se confier à toi, en encourageant sincèrement cette relation, en le sachant heureux avec un autre, avec ce petit Nico qui t’inspirait confiance, car tu le trouvais sincère et touchant. Tu as cru pouvoir y arriver, tu as essayé de toutes tes forces. Mais tu as échoué.
Les sentiments que Nico t’avait avoué ressentir pour ton pote, avaient fait écho à tes propres sentiments, les rendant encore plus vifs et brûlants. En devenant le confident de Nico, tu t’étais retrouvé témoin privilégié d’un bonheur qui t’était interdit.
Aussi, en plus de devoir cacher tes sentiments à ton pote, tu t’étais également retrouvé à devoir les cacher à Nico.
Parfois, tu te dis que tu n’es pas vraiment honnête avec ton pote Jé, que tu n’es pas l’ami que tu prétends être. Et, désormais, tu lui caches également que tu sais des choses sur lui que tu es censé ignorer.
Avec Nico non plus tu n’es pas totalement honnête.
Une situation intenable pour toi, de nature droite et loyale.
Amour, désir, frustration, jalousie. Voilà les ingrédients du cocktail explosif qui s’agitent dans ta tête et dans ton cœur. Un cocktail qui était devenu de plus en plus instable au cours des dernières semaines, lorsque la sensualité s’était peu à peu invitée entre ton pote et toi.
Puis, entre Nico et toi. En couchant avec Nico, tu as découvert que tu n’es pas seulement attiré par ton pote Jé comme tu l’avais pensé jusque-là. Tu es attiré par Nico aussi. Parce que tu es attiré par les garçons.
Mais face à cet amour impossible pour ton pote d’enfance, tu n’as plus la force de te battre. Alors, cette nuit tu « déposes les armes » car tu as besoin de toute ton énergie pour te consacrer corps et âme dans ton projet sportif. Tu as besoin de jouer pour oublier. Et tu as besoin d’oublier pour bien jouer.
Cette nuit, sur ta terrasse, tu es en train de lâcher prise. Et en lâchant prise, tout devient plus clair dans sa tête.
Peut-être qu’« Aimer » c’est aussi arriver à souhaiter le bonheur de l’autre, même si de ce bonheur nous n’en faisons plus partie. Peut-être qu’« Aimer » c’est aussi accepter qu’il puisse être heureux sans nous.
Nico, t’a « pris » ton Jé, mais tu ne lui en veux pas. Un garçon amoureux, ça se respecte. Tu sais qu’il va bien prendre soin de lui. Ton plus grand souhait, c’est qu’il retrouve ce sourire, cette joie de vivre, ce bonheur intense et beau qu’il a eu parfois grâce à votre amitié.
Tu serais heureux de le savoir bien avec lui, même si parfois il te manquera. Son amitié te manque déjà. Votre complicité te manque.
Mais ce qui te rassurerait vraiment, maintenant que ton Jé va être éloigné de toi, c’est de le savoir heureux dans ses bras, que tu gardes un œil sur lui, comme tu l’as fait jusque-là, comme tu ne pourrais plus le faire.
Tu fais confiance à Nico, parce qu’il est sincèrement amoureux, et que tu sais qu’il mettra tout en œuvre pour le rendre heureux.
Tu as envie d’appeler ton pote, et de lui dire :
Vas-y, mon grand, prends ton envol, fais tes preuves, amuse-toi, et vis ce que tu as à vivre.
Tu es en colère pour ne pas avoir été retenu par le rugby toulousain. Mais j’en suis sûr, tu vas très vite te révéler en tant qu’immense joueur. Et tu vas prendre ta revanche sur la vie et ses injustices.
Et peut-être qu’un jour tu auras envie de revenir me voir. Même après ce qui s’est passé la dernière nuit où tu as dormi chez moi. J’ai adoré ce qui s’est passé. Mais je sais que ce n’était qu’un accident.
Parce que c’est Nico qui a pris la place que j’aurais voulu dans ton cœur. Et cette place ne sera jamais la mienne.
Nous nous retrouverons un jour, qui sait.
En attendant, veillez l’un sur l’autre les gars, car ce que vous avez est précieux.
A cet instant, tu te sens prêt et déterminé à rappeler ton pote au plus vite, dans quelques heures, en fin de matinée. Tu te sens assuré de parvenir à trouver les bons mots pour désamorcer sa colère, son mal-être. Les mots justes pour tout arranger, pour apaiser ton pote, pour lui dire au revoir. Avant de le « confier » à Nico.
À cet instant précis, le lendemain te semble encore plein de promesses.
C’est reposant de se dire qu’il y aura toujours un demain pour trouver les mots que nous n’avons pas su prononcer hier, pour nous réconcilier avec un proche avec qui nous sommes en froid.
Hélas, parfois le temps nous fait défaut.
Dimanche 26 août 2001, 6h11.
La nuit va bientôt se terminer et le vent d’Autan n’a rien perdu de sa vigueur. Il caresse ton torse dénudé, fait écho à ta mélancolie, ravive ta nostalgie, appuie sur tes regrets et sur tes remords, tout en encourageant tes résolutions, si dures à assumer.
C’est le même vent d’Autan qui souffle auprès de Nico sur le balcon de l’appart de Martin, qui s’engouffre dans ses cheveux, essuie ses larmes, encourage ses bonnes résolutions.
C’est encore le vent d’Autan qui balaie la place du Capitole, la place Wilson, le boulevard Carnot, la rue de la Colombette, jusqu’à cette rue du centre-ville où une petite foule s’est amassée autour d’un gars à terre, inconscient, à la suite d’une bagarre entre mecs bourrés.
Un peu plus tôt dans la nuit, ce gars était assis avec son frère et deux nanas à une terrasse de café.
Lorsque les deux couples s’étaient séparés, il était rentré chez sa copine. Et il s’était pris la tête avec.
Il était ressorti pour prendre l’air et boire un dernier coup. Et il avait enchaîné les coups. Pour oublier sa détresse, son malaise, et cette image de deux garçons marchant côte à côte dans la rue qui l’a tant bouleversé.
Le gars était sur les nerfs. Et il avait suffi qu’un inconnu lui parle sur un ton un peu agressif, pour que ça parte en vrille. La bagarre avait éclaté. Les coups étaient tombés. Le gars était tombé. Sa tête avait heurté violemment le sol. Le gars avait perdu connaissance.
Et ce t-shirt qui avait été blanc porte désormais de nombreuses taches de couleur rouge vif.
LT0104 Le livre de Thibault – Une nuit entre potes. Et ses conséquences.
Samedi 21 juillet 2001.
Après ce qui s’était passé avec ton pote la nuit après la finale du tournoi, il s’en était suivi une semaine de silence de sa part, un silence que tu avais très mal vécu. Bien entendu, tu aurais pu l’appeler. Mais tu avais besoin de lui parler face à face. Ce qui n’était pas une mince affaire. Ton pote travaillait tard chaque soir, et tu ne pouvais pas l’attendre en semaine, car tu embauches de bonne heure. Le samedi soir était le seul moment où tu pouvais veiller jusqu’à ce que ton pote termine son service.
Voilà pourquoi cette nuit, tu avais eu besoin de voir ton pote à cette heure tardive. Tu avais espéré le trouver seul. Il ne l’était pas. Nico était là. Nico qui devait être justement l’un des sujets de cette explication que tu espérais avoir avec lui.
Tu ressentais déjà un certain malaise vis-à-vis du fait d’avoir trouvé Nico à l’appart. Tu avais eu l’impression d’avoir interrompu quelque chose.
Et pour arranger le tout, Jé t’avait balancé cette proposition de coucher avec eux. Sur le coup, ça t’avait bien déstabilisé. Car ça t’amènerait à coucher avec Nico, que tu considères désormais comme un vrai pote. Un pote qui était, en plus, le mec de ton Jé. Tu avais hésité face à la perspective de faire ça avec ton pote également, avec toutes les tentations que cela allait éveiller.
Tu avais hésité. Tu étais parti chercher du « courage » dans le pétard que ton pote faisait circuler.
Au final, tes réticences avaient cessé de faire le poids face à la perspective de découvrir le plaisir entre garçons, ce « truc » qui s’était réveillé en toi et qui te hantait depuis que tu avais réalisé que ton pote Jé aimait les garçons.
L’envie de découvrir le corps de ce Nico, ce Nico qui te touchait pas mal dans son genre, avait également pesé dans la balance. Tu avais envie de savoir ce qu’il savait offrir à ton pote, ce qui rendait ce dernier si accroc.
Et ce qui avait définitivement fait basculer ton jugement, c’était la tentation de retrouver une fois encore à proximité de la virilité de ton pote Jé, comme lors du plan avec les nanas.
Oui, au final, la tentation avait été trop forte. Plus forte que ta petite voix intérieure qui te disait : Pars, c’est le mieux que t’aies à faire !
Non, tu ne pouvais pas refuser la proposition de ton pote. Tu venais de le retrouver après une semaine de silence, après que le soir de la finale vous vous étiez engueulés parce qu’il t’avait demandé de le sucer, et que tu n’avais pas voulu. Ce n’était pas l’envie qui te manquait. Mais tu n’avais pas voulu le faire de cette façon, dans ce contexte, alors qu’il était rond comme une bille, et que c’était l’alcool qui guidait ses mots et ses envies.
Alors, dans la proposition de Jé de partager un nouveau moment sensuel, malgré la présence de son Nico, tu avais voulu voir une sorte de « réconciliation ».
Tu t’étais également demandé si dans cette proposition de ton pote il n’avait pas aussi une autre intention, une autre envie, tout comme dans la proposition du plan avec les deux nanas, une envie comme la tienne, l’envie inavouée de partager ce moment sensuel avec toi.
Et la perspective que cette fois-ci ça se passe juste « entre mecs » te paraissait tout particulièrement excitante. Car elle semblait receler la promesse d’un plus grand rapprochement sensuel avec ton pote d’enfance. Avait-il imaginé la même chose ?
Au début, tu avais été déboussolé par cette sexualité directe entre mecs. Il avait fallu que tu continues à chercher longuement du « courage » dans le pétard que Jé faisait circuler.
Finalement, Nico avait réussi à te mettre à l’aise. Il avait très bien su s’y prendre, il avait su t’aider à faire tomber tes inhibitions les unes après les autres. Il t’avait fait découvrir un bouquet de nouveaux plaisirs sensuels. Grâce à Nico, l’interdit était devenu soudainement possible, puis plaisant, puis addictif. Tu avais senti ton corps vibrer de plaisir comme jamais encore auparavant. Et tu avais connu des orgasmes d’une intensité jamais connue.
Tu as été surpris et bouleversé par cet entrain, cette énergie, cette volonté évidente, sans réticences, en y mettant tout son corps et son âme, pour te faire plaisir. Nico t’avait offert un bonheur sensuel total. Son dévouement à te faire plaisir était quelque chose d’inédit pour toi. Aucune des nanas avec qui tu avais couché jusque-là ne t’avait montré cela.
Cette nuit, tu t’es senti aspiré dans un tourbillon sensuel par lequel tu n’as pu que te laisser porter. Le plaisir s’était mélangé de la douceur et de la tendresse. Et ton corps avait exulté comme jamais auparavant. Car il avait exulté à l’unisson avec ton esprit.
Mais tu n’ignores pas pour autant que ce plaisir inouï a été encore décuplé par la présence de ton pote Jé.
Tu ne t’y étais pas trompé. La configuration « entre mecs » avait donné une toute autre ambiance que celle avec les nanas. Elle autorisait plus de proximité, de complicité, de promiscuité, plus d’audace vis-à-vis de ton pote.
Non seulement tu avais retrouvé le bonheur de voir ton pote prendre son pied, d’approcher son intimité, sa virilité. Il y avait plus de proximité, de regards plus décomplexés, des caresses plus appuyées. Tu avais eu envie de le branler, et tu avais trouvé le moyen d’assouvir cette envie. Ça avait été moins difficile dans ce contexte « entre mecs » que dans le contexte « entre potes » de la nuit avant la finale. Et ça avait été encore plus excitant.
Tu n’ignores pas non plus que c’était la première fois que tu te faisais sucer et avaler par un garçon, la première fois que tu le pénétrais, la première fois que tu jouissais en lui.
Tout cet ensemble de petites choses avait précipité ta jouissance, décuplé ta jouissace. Accordé vos jouissances.
Dimanche 22 juillet 2001, 8h15, après la nuit passée avec tes potes Jé et Nico.
Tu viens de quitter l’appart de la rue de la Colombette, alors que tes potes dorment toujours. Tu es parti sur la pointe des pieds, tu n’avais pas envie de découvrir leurs regards au réveil. Tu ne sais pas comment tes potes vont vivre l’après de cette nuit. Surtout Jé.
Tu n’as pas eu le courage de rentrer tout de suite chez toi. Tu es allé dans un bar en haut de la rue de la Colombette. Assiégé par un mal au crâne insistant, ralenti par une fatigue tenace, par un manque de sommeil flagrant, tu avais besoin d’une pause. Et d’un café.
Pour amortir le contrecoup d’une nuit vraiment trop courte, une nuit où l’on a abusé de bonnes choses, l’alcool, la fumette, le sexe, il n’y a rien de tel qu’un un bon café, un croissant chaud, et les pages sport de la Dépêche du Midi.
Le café réveille, le croissant est une sorte de caresse sucrée. Les pages sport distraient, font rêver le passionné de ballon ovale, elles feraient presque oublier ce trop-plein d’images et de sensations qui remontent et débordent de tout côté dans ton esprit embrumé.
Oui, presque, car les séquelles que cette nuit a laissées derrière elle, ne sont pas du genre à se laisser gommer si facilement. Déjà, ta peau est hypersensible ce matin. Comme si le corps, plus intensément encore que l’esprit, gardait dans chaque cellule l’écho du plaisir récent. Souvenirs, sensations qui se présentent en vrac à l’esprit, se succédant à un rythme imprévisible, comme des rafales de vent violentes.
Des petits frissons qui te ramènent aux souvenir de plaisirs, de caresses, de baisers. Des souvenirs qui entraînent l’excitation, elle qui, malgré la fatigue, rôde dans le corps et provoque un début d’érection.
Oui, côté sexe, cette nuit avait été un feu d’artifice. Mais tout ne s’était pas passé comme tu l’avais imaginé. Au fil du plaisir, les événements t’avaient échappées.
Cette nuit-là, tu avais ressenti l’amour que Nico portait à Jérém. Cet amour que tu connaissais de par ses confidences, tu l’avais désormais vu de tes propres yeux, vibrant, touchant.
Et tu avais ressenti un gros malaise vis-à-vis de l’attitude méprisante et irrespectueuse de ton pote à l’égard de Nico, de la façon dont il s’est montré humiliant, méprisant, et même violent avec lui. Tu regrettes de ne pas avoir réagi plus fermement. Mais comment s’immiscer ou prendre parti dans une relation qui n’est pas la tienne sans risquer de faire plus de mal que de bien ?
Ton pote avait voulu te montrer que Nico ne représentait rien à ses yeux à part un plan cul. Mais en voyant que tu n’adhérais pas à sa vision, confronté à ta complicité sexuelle et sensuelle avec Nico, il s’était fait prendre à son propre jeu. Il s’était montré méprisant et violent. Un mépris qui cachait une jalousie certaine. Tu avais deviné que cette jalousie était en quelque sorte sa façon d’aimer Nico. Une façon inavouée, totalement contradictoire, maladroite, certes, mais bien réelle.
Un amour qu’il ne sait pas assumer. Pas encore. En voulant se cacher derrière le mépris, ton pote a laissé sa jalousie le mettre à nu. Lui aussi, cette nuit avait été dépassé par les événements.
Car cette nuit-là, Thibault avait ressenti bien de choses vis-à-vis de Nico. L’envie de le protéger, de le rassurer, de le soutenir.
C’est troublant, l’amplitude de la gamme des sensations et des émotions que tu avais ressenties en une seule nuit.
Ce moment de plaisir partagé avec tes potes avait remué bien des choses dans ta tête et dans ton cœur.
Au cours de cette nuit, tes anciens désirs, tes anciens démons vis-à-vis de ton pote sont revenus en force, et se sont imposés à toi.
Dans le feu de l’action, tu aurais voulu aller encore plus loin avec ton Jé. Tu avais eu envie de le prendre en bouche. D’autant plus après avoir vu Nico le faire sans réticence, et ton pote Jé en retirer un plaisir si intense. Mais Nico t’avait offert ce même plaisir, et t’avait détourné de cette envie. Il t’avait offert le même plaisir qu’à son Jérém, t’installant dans un certain rôle, le même rôle que celui de ton pote. Et puis, ton pote avait déjà refusé une fois que tu le suces, et tu ne voulais pas encourir un nouveau refus, son rejet. Ça t’aurait fait trop mal, surtout devant Nico.
Tu avais même eu envie de t’offrir à ton pote comme Nico le faisait, de laisser ton Jé venir en toi, qu’il te possède, de découvrir le bonheur pour lui offrir ce plaisir ultime. Mais tu savais que cela n’aurait pas été possible.
Parce que c’est ton pote qui t’avait installé dans un certain rôle, même avant qu’il connaisse Nico. Ses mots et ses attitudes avaient convergé vers cela, t’obliger à prendre ton pied d’une certaine façon, en laissant Nico célébrer ta virilité, et en te décourageant de trop approcher de la sienne. La sensualité, la promiscuité, l’ambiguïté, une branlette, c’est tout ce qu’il t’autorisait à lui offrir.
Il y avait plein de choses que tu n’avais pas osé cette nuit-là. Parce que c’était ta première fois avec des mecs, parce que certains de tes tabous t’avaient bridé. Parce que cette première expérience se déroulait avec ses deux meilleurs potes, deux potes qui n’étaient pas que de simples amants. Parce que tu ne connaissais pas les limites de l’un et de l’autre. Alors, tout s’est déroulé selon les règles de Jérém. Et, dans une certaine mesure, selon celles de Nico aussi.
Tu avais voulu savoir ce que Nico savait offrir à ton pote, comment il s’y prenait pour le rendre accroc au sexe entre garçons. Cette nuit, tu l’avais vu, tu l’avais connu, tu l’avais vécu, tu l’avais ressenti en toi. Nico s’était offert à toi exactement comme il s’était offert à ton pote. Il avait célébré ta virilité de la même façon qu’il avait célébré celle de ton Jé.
Tu sais désormais. Et tu ressens au fond de toi une frustration déchirante. Car tu sais désormais ce que ton pote ressent lorsqu’il couche avec Nico. Tu sais à quel point il aime ça. Et tu sais aussi à quel point tu aurais envie de lui faire autant plaisir. Mais tu sais aussi qu’il ne te laissera jamais lui offrir toi-même ce plaisir.
Tu es conscient que si cette nuit tu as pu jouer un rôle dans un épisode de leur histoire, tu n’as pu le faire qu’en qualité d’invité spécial, dans un certain contexte, parce que tu es tombé au bon moment, ou au mauvais moment, et que ton pote a sauté sur l’occasion pour tenter de te convaincre qu’il n’est pas pédé. Tu sais que cette nuit n’a été bâtie que sur un heureux hasard, sur un malentendu.
Tu sais que cette histoire leur appartient. Tu sais que tu n’auras pas droit à un rappel.
Et pourtant, ce rappel, tu le voudrais. Tu voudrais même un rôle récurrent. Et même un rôle principal. Si tu t’écoutais, tu voudrais le rôle de Nico. Ou celui de Jé. Car l’un comme l’autre te font chacun à sa manière
de l’effet.
Depuis cette nuit, non seulement tes anciens fantômes, mais aussi tes anciens fantasmes vis-à-vis de ton pote ont été exacerbés. D’autres sont venus s’y ajouter. Des fantasmes vis-à-vis de Nico. Le souvenir de son corps, de sa douceur, de sa tendresse, de sa sensualité, du plaisir partagé, te hantent. Désormais, le désir pour Nico te trouble tout autant que le désir pour ton pote Jé.
Mais tu sais pertinemment que tu pourras difficilement assouvir ces désirs sans qu’ils entraînent des dégâts importants dans vos relations. Tu ne peux pas risquer de gâcher ce qu’il y a entre eux.
Tu es bien conscient que, même si vos relations survivent à cette nuit, rien ne pourra plus être comme avant, ni avec Jé, ni avec Nico. Tu te demandes si tu auras la force de prendre sur toi et ne pas montrer ce que tu ressens depuis tant de temps pour ton pote Jé, tout comme ce que tu ressens depuis peu pour Nico.
Tu es perdu, Thibault, tu es fatigué de prendre sur toi, de faire toujours passer le bonheur des autres avant le tien. Mais tu ne sais pas faire autrement, car cela est dans ta nature.
L’arôme corsé du café chaud, se mélangeant dans ton palais au goût sucré du croissant, te procure une intense sensation de plaisir gustatif. Une sensation qui n’arrive pas pour autant à calmer ton mal de tête lancinant.
Tu ne le sais pas, Thibault, mais si à l’instant précis où tu buvais ta dernière gorgée de café tu avais jeté un regard à travers la vitrine, tu aurais vu ton pote Nico de l’autre côté de la rue, hésitant à venir te parler.
Si tu l’avais vu, tu lui aurais certainement fait signe de venir te rejoindre, tu lui aurais proposé de prendre le petit déj avec toi. Et même s’il était pressé de rentrer, il n’aurait pas su refuser ton invitation. Car lui comme toi, avait besoin de parler de ce qui s’était passé cette nuit, lui comme toi avait besoin d’être rassuré sur votre amitié.
Mais tu ne t’es pas retourné au bon moment, et Nico est parti. Ainsi, le réconfort que vous auriez pu vous apporter mutuellement à cet instant où vous en aviez le plus besoin a été perdu.
La porte du café s’ouvre, un client rentre. Un petit courant d’air s’engouffre dans la salle. Le coton frotte contre le t-shirt et tu es surpris par un début d’érection. C’était vraiment bien, cette nuit.
Si seulement le sexe n’était pas si difficile à mélanger avec l’amitié.
Tu te dis que tu devrais être heureux de leur bonheur. Même si ce bonheur exclut le tien. Et tu l’es, heureux pour eux. Mais tu ne te sens pas le courage d’assister à ce bonheur.
Alors, oui, tu vas encore devoir prendre sur toi. Mais tu vas aussi essayer de te protéger.
Tu vas veiller à que tes deux potes parviennent à se retrouver, à se comprendre, à s’apprivoiser. Et lorsqu’ils y seront parvenus, tu vas prendre de la distance. Ça va être difficile, mais il le faudra pourtant.
Au final, ce sera une bonne chose que l’un et l’autre partent loin de Toulouse. Ils vont te manquer, bien sûr. Mais ça va te permettre de souffler, de faire le deuil de tes sentiments. Et de passer à autre chose.
Il faudra du temps pour cela.
C’est sur cette décision que tu quittes enfin le café, tandis que ton mal de crâne commence enfin à s’estomper. On est de suite soulagés lorsqu’on arrive enfin à prendre une décision difficile. Même si on ne sait pas toujours si on parviendra à la tenir.
Jeudi 26 juillet 2001.
C’est ce jour-là que Nico revient te voir à la sortie de ton taf. Un frisson parcourt ton dos en l’apercevant sur le trottoir de l’autre côté de la route. Tu te demandes comment va être votre relation après ce qui s’est passé samedi dernier chez ton pote. Tu es surpris de le voir débarquer, mais aussi heureux. Au fond de toi tu as envie de lever le malaise engendré par cette nuit. Et tu te dis que ce sera plus facile de commencer à le faire avec Nico qu’avec ton pote.
Mais pas si facile que ça non plus. Son regard te trouble. Tu sais que tu lui plais. Et tu sais aussi qu’il te plaît. Surtout maintenant que la sensualité et le plaisir se sont invités dans votre relation.
Mais tu sais qu’il risque d’y avoir un malaise. Tu le vois dans son regard, tu le ressens en toi. Et tu as besoin de le dissiper au plus vite. C’est pour cela que tu l’invites prendre à un verre chez toi, pour être plus tranquilles.
— Tu fais quoi ces jours-ci ? tu questionnes Nico.
— Je viens de commencer mes cours de conduite.
— Ça se passe bien ?
— Je n’ai fait qu’un cours, ce mardi
— C’est cool !
— Le fait est que je n’ai jamais touché à un volant, je ne suis même pas sûr que je vais l’avoir du premier coup…
— Mais si, ça va venir, il faut pas stresser.
— Facile à dire !
— Et si tu ne l’as pas du premier coup, c’est pas grave. Tu sais que Jé a dû le passer trois fois pour l’avoir ?
— Le code ou la conduite ?
— Les deux !
— Jérém ? C’est pas possible !
— Si, la conduite parce qu’il faisait le con à l’examen…
— Et le code c’est parce qu’il ne révisait pas assez ?
— Non, le code c’est à cause de son problème.
— Quel problème ?
— Tu sais pas ?
— Non, tu sais, ce n’est pas le mec le plus bavard de la terre, surtout avec moi !
— Jé est dyslexique.
— C’est quoi, ça ?
— En gros, il a du mal à lire et à écrire, ce qui rend chez lui plus difficile tout apprentissage qui passe par l’écrit. Ça l’a beaucoup handicapé jusqu’au collège, au lycée ça avait l’air de mieux se passer. Mais pendant le code son problème lui a à nouveau joué des tours. Il n’arrivait pas à se concentrer. C’était sans doute à cause du stress, je crois que je ne l’ai jamais vu autant stressé de sa vie. Du moins jusqu’à la finale de l’autre dimanche. Là aussi il était au bout de sa vie…
Nico a l’air touché d’apprendre cela au sujet du garçon qu’il aime. Tu ressens une soudaine envie de le serrer dans tes bras.
— Tu as des nouvelles de Jé depuis le week-end ? tu l’entends te demander.
Tu ne savais pas comment aborder le sujet. Finalement, c’est lui qui s’en charge.
— Non, et toi ?
— Non plus.
A l’appart, tu as ressenti le besoin de mettre les choses à plat avec Nico.
— Tu sais, il ne faut pas qu’il y ait de malaise par rapport à ce qui s’est passé l’autre nuit. Je ne veux pas que tu te sentes gêné vis-à-vis de moi. Si tu es gêné, je vais l’être aussi. Et entre potes on n’a pas à être gênés, sinon c’est la fin de l’amitié.
— Tu as raison.
— Ça ne va rien changer entre toi et moi. Je te considère comme un pote, un très bon pote. Et ça, ça ne changera jamais, je te le promets.
— Moi aussi je te considère comme un très bon pote.
— Alors dis-moi ce qui te tracasse, Nico.
— Je sais pas, j’ai l’impression que cette nuit on a peut-être été trop loin. Enfin, surtout moi j’ai été trop loin.
— Si toi t’as été trop loin, on y a été tous les trois.
— Comment ça se fait que tu es venu à l’appart samedi dernier au milieu de la nuit ?
La question est directe, et la réponse délicate. Tu as envie de tout lui dire, de tout lui expliquer. Mais tu ne veux pas le blesser. Alors, tu lui dis la vérité, mais pas toute la vérité.
— Je suis passé parce que je n’avais pas de nouvelles de Jé depuis une semaine.
— Depuis la finale ?
— C’est ça. Après le barbec chez l’entraîneur, Jé était rond comme une bille, alors je l’ai raccompagné à l’appart. Il n’avait pas l’air très bien, et je suis resté un peu avec lui. Je sentais qu’il avait un truc sur le cœur depuis un moment, et que ça le perturbait, alors j’ai essayé de lui faire dire ce qui n’allait pas. Non pas que je voulais m’occuper de ses affaires, mais je me suis dit qu’il fallait que ça sorte, j’ai dû forcer un peu les choses et il a fini par m’avouer qu’il couchait avec toi.
— Il t’a annoncé ça comment ?
Tu cherches les mots, tu essaies de préserver Nico.
— Il a essayé de me faire croire qu’entre toi et lui ce n’est qu’une histoire de sexe, il me soutenait qu’il n’était pas pédé, que c’est toi qui l’as entraîné dans ces « délires », mais qu’il pourrait arrêter quand il le voudrait. J’ai essayé de le mettre à l’aise, de lui dire que tu es un gars bien et qu’il n’y a rien de mal à ce que vous faites. Mais il s’est énervé et il m’a envoyé chier. Alors, je suis parti.
— Evidemment, après ça, tu connais Jé, je n’ai pas de ses nouvelles de la semaine, il ne répondait même pas à mes appels. C’est pour ça que j’ai voulu passer le voir samedi. Je sais qu’il finit à peu près à 2 heures, et c’est le seul soir de la semaine où je peux veiller si tard. J’avais besoin de le voir pour mettre les choses à plat, cette histoire m’a foutu le bourdon pendant toute la semaine.
— J’avais remarqué que tu n’étais pas dans ton assiette quand on s’est vus la semaine dernière.
— Tu connais la raison, à présent…
— Samedi dernier je pensais qu’il serait seul à l’appart, c’est pour ça que j’ai voulu passer. Mais tu étais là…
— C’était pas prévu, rien n’est jamais prévu avec Jérém. Avec lui, c’est quand lui il en a envie. Il m’a envoyé un message quand il a débauché.
— Tu sais, j’ai vraiment hésité quand Jérém m’a demandé de rester avec vous, tu te lances.
— J’ai vu.
— J’ai hésité parce que je ne voulais pas rentrer dans son jeu.
— Quel jeu ?
— Le jeu de me montrer, et de se prouver à lui-même avant tout, que tu ne représentes rien d’autre à ses yeux qu’un plan cul qu’il peut partager avec son pote…
— C’est ça que je suis à ses yeux, juste un plan cul disponible à la demande.
— Tu sais, Jé joue au macho, mais il tient à toi. Tu n’es pas qu’un plan cul pour lui, quoi qu’il en dise.
Ses regards et sa colère ne trompent pas. Quand il est contrarié, Jé réagit de cette façon, en se mettant en pétard. Et sa contrariété de l’autre soir était de la jalousie.
— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis, alors, qu’est-ce qui t’a fait rester ?
— Je ne sais pas, pas vraiment.
Tu te sens soudainement gêné, ton regard part à nouveau le vide.
— La curiosité, certainement…
— Oui, j’aurais pu partir pour ne pas rentrer dans son jeu, tu continues après une courte réflexion. Mais j’étais heureux de le retrouver après cette semaine de froid entre nous.
— Je comprends…
— Malgré tout, j’hésitais encore, même quand tu as commencé à t’occuper de lui. J’avais l’impression que je n’avais rien à faire là. Mais quand tu as commencé à t’occuper de moi, je me suis laissé porter. Ne m’en veux pas, Nico.
— Je ne t’en veux pas, je me suis laissé porter aussi.
— T’as dû être déçu de mon attitude, je lui glisse dans la foulée.
— Pourquoi, donc ?
— Du fait que je… je… je laisse Jérém me traiter… de cette façon.
— Bah, écoute, si je devais être déçu, ce serait plutôt de lui !
— Jé n’a pas à avoir cette attitude humiliante à ton égard…
— Il n’est pas tout le temps comme ça…
— Je n’en doute pas. Mais il n’a pas à te traiter de cette façon. Je n’ai pas trop osé intervenir, je ne savais pas trop comment m’y prendre, je ne connais pas votre relation intime. Mais tu vois, je m’en veux de ne pas l’avoir remis à sa place avec plus de fermeté.
— Tu as fait beaucoup Thibault.
— Mais tu ne dois pas te laisser faire, Nico, tu dois t’imposer.
— C’est pas simple… j’essaie de le ménager pour éviter ses sauts d’humeur…
— Le ménager c’est pas lui rendre service, et à toi non plus. Tu devrais peut-être lui balancer ce que tu as sur le cœur une fois pour toutes. Jé est une tête de mule, parfois il lui faut un électrochoc salutaire pour lui faire comprendre les choses qu’il refuse de regarder en face.
— Je n’ose pas.
— Je t’assure, Nico, je le connais un peu pour savoir qu’il faut parfois le brusquer pour qu’il voit enfin ce qu’il refuse de voir. Combien de fois il est parti d’un entraînement en claquant la porte, mais il est toujours revenu. Ne crois pas que parce qu’on est potes, on ne s’est jamais pris la tête. J’ai vécu ça un million de fois depuis que je le connais, Jé a un sacré caractère, je ne t’apprends rien. Il est impulsif, colérique.
— Je peux te dire que dans d’autres circonstances, je ne me serais pas gêné pas pour aller à l’affrontement. Mais si j’étais intervenu l’autre nuit, il aurait été capable de m’envoyer chier. Parce qu’il se serait senti trahi, humilié devant toi. Il a toujours mieux accepté ce que j’avais à lui dire à conditions que je le lui dise entre quatre yeux.
— Vous êtes beaux tous les deux. Tu es fou de Jé, et lui aussi est fou de toi, même si parfois il se comporte avec toi comme le roi des crétins.
Tu vois les yeux de Nico humides de larmes et ça t’émeut profondément. Tu ressens une émotion t’envahir, une immense tendresse. Tu poses ton bras sur son épaule, et tu le prends dans tes bras. Vous restez ainsi enlacés, pendant un bon petit moment. Tu as envie de le rassurer. Et cette étreinte te fait un bien fou aussi. Tu sens les larmes monter à tes yeux.
Mais tu ne veux pas te laisser déborder par l’émotion. Tu ne veux pas laisser cette tendresse déborder en sensualité. Tu sais qu’il suffirait de si peu pour que cela arrive. Alors, tu cherches une issue.
— Je vais te montrer quelque chose, tu lui glisses, alors que tes bras relâchent leur étreinte.
Tu viens d’avoir l’idée de lui montrer tes souvenirs avec ton pote.
Nico est très enthousiaste à l’idée de découvrir cela.
— Là on était en CM1, c’est la première photo que j’ai de lui. Alors, tu l’as trouvé ?
— Je cherche.
— Pas facile, hein ?
— Toi je t’ai repéré, tu es là, tout à fait à gauche de la photo.
— Si tu m’as repéré, tu as repéré Jé, on était inséparables.
Oui, vous étiez inséparables. Ton pote te parlait avec ses mots d’enfant. Peu de mots au début, car il était très timide. Mais peu à peu tu as su le mettre à l’aise. Il était si fin, si vulnérable. Tu l’avais trouvé attachant. Tu étais jeune, mais tu avais ressenti le besoin de l’aider, de le soutenir, de le défendre.
— C’est lui, à côté de toi ? Naaan, c’est pas lui !
— Si, si !
— Il n’était pas épais à l’époque !
— C’est clair, pas épais du tout. En plus, il était très timide, il ne parlait pas beaucoup, c’était un petit gars qui se faisait malmener. Mais quand on était ensemble, personne ne le faisait chier, c’est pour ça qu’il était tout le temps avec moi.
— Tu as dû être un vrai pote pour lui.
— J’ai essayé. Tiens, le voilà dans son premier maillot de rugby. Regarde le comment il est fier, regarde son sourire, je crois que c’était la première fois que je le voyais sourire de cette façon, regarde comme il tient son ballon sur cette photo ! Ça devait faire tout juste un mois qu’il venait aux entraînements.
Feuilleter cet album photo est un voyage plein d’émotions pour Nico, lui qui découvre des images et des anecdotes du garçon qu’il aime. Pour toi aussi c’est un voyage plein d’émotions, mais aussi de nostalgie. Tant de souvenirs remontent en toi, avec la sensation que ton amitié avec Jé ne sera plus jamais la même. Maintenant que Nico est entré dans la vie de ton pote, maintenant que vous prenez des directions professionnelles différentes, maintenant que ton pote va partir de Toulouse, votre amitié va changer, et qu’il n’y aura plus de photos pour immortaliser des moments de bonheur entre potes, tout simplement parce que ces moments vont se faire plus rares, ou ne vont plus avoir lieu. Pour Nico, ce voyage est une découverte, un commencement. Alors que pour toi, c’est de la nostalgie, presque un achèvement. Tu sais que tu ne connaitras plus jamais de tels moments d’insouciance avec ton pote.
— Ici on est en quatrième, il doit avoir 13 ans, tu commentes devant une autre photo quelques pages plus loin, regarde comme il a grandi ! Le rugby lui a permis de trouver une passion, de se découvrir doué pour quelque chose. Ça lui a fait prendre confiance en lui, ça lui a fait gagner le respect des autres gars. Le rugby a développé son corps, l’a rendu populaire au collège, puis au lycée, les filles ont commencé à s’intéresser à lui.
— Là c’est l’été suivant, on était parti en camping à Gruissan avec mes parents et j’avais proposé à Jé de venir avec nous.
Tu ressens un frisson en repensant à cette fameuse nuit sous la tente. Et t’empresses de passer à autre chose.
— Tiens, ici c’était après un match en plein hiver. On avait galéré ce jour-là, il faisait un froid terrible, il pleuvait, on était trempés comme des canards.
Sur la photo, Jérém, toi et Thierry, couvert de boue de la tête aux pieds. Jérém et Thierry en train de faire les pitres. Jérém tire la langue, avec un petit sourire canaille. Tu te souviens parfaitement de cet instant, de la troisième mi-temps organisée dans les locaux du terrain de sport, du bonheur de partager cette victoire avec ton pote. Tu lui avais passé le ballon, il avait marqué des points. Et vous aviez gagné. C’était beau. Ton pote était heureux, euphorique. Et tu l’étais pour lui.
Photo suivante, dans les vestiaires, après un autre match. Une autre victoire. Tu n’as que des photos après des match gagnés. L’entraîneur sortait l’appareil pour immortaliser vos sourires après un bon match, jamais pour prendre vos gueules déconfites après une défaite. Et le sourire de ton pote après une victoire, qu’est-ce que c’est beau !
Et au milieu de la photo, ton pote de face, torse nu, en boxer blanc, le buste plié en avant, en train d’enfiler son jeans, la tête relevée vers l’objectif, la chaînette qui pendouille dans le vide, les cheveux encore humides qui tombent sur les yeux, il est tellement beau. Cette photo, c’est toi qui l’as prise. Tu avais commencé à acheter des appareils jetables pour avoir plus de photo du rugby, de tes camarades, de ton pote.
Page suivante, nouvelles photos.
— Là c’était chez l’entraîneur, on devait avoir 15 ans, c’est le soir où…
Soudain, le souvenir t’envahit. Et le malaise de ce soir-là remonte à ton esprit. Depuis ce qui s’était passé sous la tente deux ans plus tôt, tu avais toujours espéré que cela arriverait à nouveau. Mais désormais, ton pote venait de connaitre le sexe avec une nana. Tu avais eu l’impression qu’une page de tournait.
— C’est le soir où Jé s’est fait dépuceler, tu continues, par la fille de l’entraîneur, dans la cabane au fond du jardin. Je crois que cette photo a été prise juste après que ça se soit passé…
— Là c’est une autre soirée, une troisième mi-temps, on avait vraiment trop picolé. Je crois que c’est Thierry qui avait pris la photo.
Jérém avec une chemisette à carreaux, trois boutons ouverts sur le relief de ses pecs, un pan dans le jeans, l’autre dehors, la chaînette de mec bien en vue, un gobelet à la main, le regard figé. Ce soir-là aussi il avait disparu un moment avec une nana. A son retour, il t’avait raconté qu’elle l’avait sucé jusqu’à le faire jouir dans sa bouche. Et qu’elle avait tout avalé. C’était la première fois qu’on lui faisait ça. Et il en était fou.
— T’imagines ? Elle a tout pris, tout !
Pourtant, sur cette photo, son regard semble empreint d’une intense mélancolie. Tu as remarqué que ton pote était euphorique après avoir couché avec une nana. Ce qui te rendait jaloux. Mais très vite, au gré d’un verre ou d’un joint de plus, il devenait très souvent mélancolique, comme si le retour de bâton après l’orgasme était particulièrement difficile à vivre pour lui. Ce qui te donnait envie de le prendre dans tes bras et de le rassurer. Dans son regard figé par cette image, tu lis cette envie, et la frustration de ne pas pouvoir l’assouvir. Même en regardant cette photo tu as envie de le prendre dans tes bras et de le rassurer.
— Ici c’est à Hossegor, il y a deux ans, qu’est-ce qu’on s’est marré ce jour-là.
Une fois de plus, ton pote torse nu sur la plage, les cheveux en bataille, le corps ruisselant d’eau, brillant au soleil, tout comme toi. Visiblement, vous sortiez tout juste de l’eau. Une fois de plus, le bras de l’un est posé sur l’épaule de l’autre, vos sourires sont si lumineux, vous avez l’air de vous amuser un max.
Et vous vous étiez bien amusés en effet. Vous aviez joué au volley dans l’eau, ça avait été un moment inoubliable. Oui, vous vous étiez bien marrés ce jour-là.
— Ici c’est à Gruissan, l’été de l’année dernière.
Jérém et Thibault et Thomas, les trois mousquetaires, torse nu, au bord de l’eau. Le quatrième, Thierry, étant derrière l’objectif. Jérém au milieu de la photo, et ses deux potes font semblant de l’embrasser sur la joue.
— On s’était tapé un délire, comme c’est lui qui conduisait et qu’il avait le permis depuis quelques jours et que sa 205 n’était pas de première fraîcheur, on avait parié qu’elle nous ne ramènerait pas à Toulouse… mais elle a fait l’aller-retour sans problème.
— Jérém n’a pas encore son tatouage.
Tu as entendu le son de la voix de Nico, mais tu n’as pas entendu ses mots. car ton esprit est totalement happé par cette photo.
De ces vacances, tu gardes surtout le souvenir d’une image « volée » le dernier soir, l’image de ton pote sortant d’un mobil home du camping en plein milieu de la nuit, rejoint par un autre gars venu lui rendre sa montre, la montre que tu lui avais offert pour son anniversaire, la montre qu’il avait dû enlever avant de coucher avec ce gars. C’était la première fois que tu avais su que ton pote avait couché avec un autre garçon. Tu t’étais demandé si c’était la première fois. Ça t’avait fait mal de découvrir cela. Et encore plus mal que ton pote n’ait pas pensé à toi si vraiment il avait envie de découvrir le plaisir entre garçons. Au fond, vous aviez commencé quelque chose en cette fameuse nuit sous la tente l’été de vos 13 ans… pourquoi ne pas continuer cela ? Est-ce qu’il ne te trouvait pas assez attirant ? Ou bien, est-ce que c’était le fait que vous soyez potes qui l’avait empêché d’envisager de coucher avec toi ?
C’est un souvenir douloureux pour toi, une blessure dont tu n’as jamais parlé à personne. Pendant un instant, tu as envie de partager ceci avec Nico. Mais tu te dis que ce n’est pas utile de partager ce souvenir avec Nico, ni cette possible première expérience de Jérém avec les garçons, c’est à lui de le lui raconter s’il le souhaite, et encore moins ton ressenti face à cette découverte, la douleur que tu avais ressentie à cet instant.
Soudain, tu ressens sur toi le regard interrogatif de Nico. Tu réalises qu’il vient de te dire quelque chose et que tu as complètement zappé. Vite, ressaisis-toi !
— Tu disais, Nico ?
— Je disais que sur cette photo Jérém n’a pas encore son tatouage.
— Je crois que la photo a été prise le jour de notre arrivée, il a dû le faire le lendemain, je pense.
La photo suivante a été prise dans la voiture lors du trajet de retour vers Toulouse. Ton pote est endormi sur ton épaule. De cet instant, tu gardes un souvenir d’intense bonheur. Tu aurais voulu ne jamais arriver à Toulouse, ne jamais devoir le réveiller, ne jamais perdre le contact de sa joue sur ton épaule.
Une autre page est tournée et ton pote apparaît dans un t-shirt rouge.
— Tiens, ça c’est la soirée de son anniversaire l’an dernier.
Le souvenir remonte en toi de cette soirée qui s’était passée chez toi. Ton pote avait beaucoup bu. Après que tout le monde soit parti, il était sorti fumer sur le balcon. Tu étais parti le rejoindre. Tu l’avais trouvé particulièrement mélancolique. Tu voyais qu’il était tendu, au bord des larmes. Tu avais voulu savoir ce qui le tracassait. Il t’avait dit que tout allait bien. Mais tu savais que ce n’était pas le cas. Mais tu n’as pas insisté. Tu l’as pris dans tes bras et tu lui a proposé de rester dormir chez toi. Il n’avait pas voulu. C’était la première fois qu’il ne se confiait pas à toi, et aussi la première fois où il déclinait ton invitation a rester dormir chez toi.
Tu te demandais pourquoi. Tu te demandais si cette mélancolie, si cette distance qu’il était en train de mettre entre vous n’avait pas un lien avec cette partie de la vie de ton pote que tu avais aperçu le dernier soir au camping de Gruissan quelques semaines plus tôt. Tu te souviens de t’être dit à cet instant que tout cela risquait de vous éloigner de plus en plus.
— C’est quand son anniversaire ? te demande Nico, comme un cri du cœur.
— Tu sais pas ?
— Non, il ne l’a jamais fêté en classe.
— Je peux te dire qu’il l’a toujours fêté au rugby, et comme il faut.
— Il y a plein de choses que j’ignore de lui.
— Son anniversaire c’est le 16 octobre.
La découverte de sa date d’anniversaire a l’air de le rendre si heureux.
— Dans moins de trois mois, il va fêter ses 20 ans, et j’ai prévu de lui faire une surprise.
— C’est quoi ?
— J’ai prévu de l’amener au Mas d’Azil pour lui faire faire un saut à l’élastique par surprise, je sais qu’il va kiffer.
— T’as de la chance…
— J’ai la chance de l’avoir comme pote.
— Je parle de la chance de le connaître si bien, depuis si longtemps, la chance d’avoir partagé tant de choses avec lui.
Les mots de Nico te touchent. Tu sais que tu as cette chance. Mais tu sais aussi qu’elle est à double tranchant. Le côtoyer a été un immense bonheur. Mais aussi un beau calvaire.
— Tu as des photos de lui ?
— Juste une que j’ai découpé de la Dépêche la semaine dernière.
— Vas-y, choisis-en une, ou même deux.
— Mais je ne peux pas, ce sont tes souvenirs.
— Des photos, j’en ai plein. Et puis, les meilleurs souvenirs sont là-dedans, tu insistes, en posant sa main à plat sur son cœur.
— Tiens, tu lui lances, choisis-en quelques-unes.
Tu regardes Nico feuilleter longuement l’album photo, avec une fascination presque religieuse.
— J’aime bien celle-ci, il finit par lancer.
Jérém assis sur la pelouse de la prairie des Filtres, on voit une arcade du Pont Neuf tout à gauche de l’image, ses bras tendus et ses mains posées à plat sur le sol derrière son dos.
C’était un 14 juillet, et vous étiez là pour le feu d’artifice.
— Vas-y, décolle-la, elle est à toi.
— Merci infiniment, Thibault.
Il la décolle lentement, et puis une autre, et une autre encore. Tu contemples le vide laissé dans les pages de l’album, comme un écho au vide que tu ressens en repensant à ces souvenirs.
Soudain, l’album photo lui échappe des mains, il se referme tout seul et glisse entre ses genoux. Il essaie de le rattraper avant qu’il ne touche le sol, il a un mouvement brusque, ses genoux frôlent les tien.
Vos regards se croisent. Son regard doux te touche infiniment. Définitivement, ce Nico te fait craquer. Il est beau, il est charmant, il est adorable. Et tu ressens une soudaine envie de l’embrasser, de le déshabiller, de sentir son corps nu contre le tien, comme la dernière fois. Tu as envie de refaire l’amour avec lui.
Tu esquisses un petit sourire doux, tu portes une main sur son épaule. C’est ta façon de désamorcer cette tension érotique insoutenable. Tu noies le désir dans la tendresse.
— Tu sais, je t’aime beaucoup, Nico.
— Moi aussi, je t’adore.
— J’ai vraiment aimé cette nuit.
— Moi aussi, moi aussi.
— Je suis content que Jé soit tombé sur quelqu’un comme toi.
Tu vois Nico ému, tu l’es aussi. Tu as envie de le prendre dans tes bras, de l’embrasser.
Et là, ton portable se met à sonner.
— Quand on parle du loup… c’est Jé, tu lui annonces avant de décrocher.
— Hey, mec, ça va ?
Ton pote t’explique qu’il est obligé de débarrasser l’appart de la rue de la Colombette au plus tard le 31, dans 5 jours. Tu lui as demandé ce qui se passe. Il t’a répondu qu’il a quelques mois de loyer en retard et que son proprio n’a rien voulu savoir. Il t’a demandé s’il pouvait s’installer chez toi pendant un temps. Evidemment, tu as dit oui. Tu as été pris de court, et tu as dit oui. Tu ne peux pas laisser ton meilleur pote dans la panade. Bien que, après tout ce qui s’était passé dernièrement, tu ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée. La cohabitation va entraîner une proximité, une promiscuité. Tu as envie de lui, et comment résister au désir ?
— Qu’est-ce qu’il se passe ? te questionne Nico. Tu dois avoir l’air troublé.
— Jé vient de m’annoncer qu’il n’a pas payé son loyer depuis des mois, et il s’est fait foutre dehors. Il doit quitter l’appart à la fin du mois.
— Mais c’est dans quelques jours à peine !
— Je suis sur le cul aussi, il vient de me l’annoncer à l’instant. S’il m’en avait parlé quand il a commencé à avoir des problèmes, j’aurais pu l’aider, mais il n’a rien dit, et là, on ne peut plus rien faire.
— Mais ses parents ne l’aident pas ?
— Je ne sais pas vraiment, c’est tendu entre eux.
— Bref, il m’a demandé si je pouvais l’héberger, il continue, le temps de se retourner.
— Evidemment, j’ai dit oui. Il va commencer à amener des affaires dès demain soir.
Nico a l’air tout aussi troublé que toi par cette nouvelle. Il sait, comme toi, qu’il ne remettra plus jamais les pieds dans cet appart, à ce lieu magique au beau milieu de la rue de la Colombette, ce lieu hors du temps et de l’espace associé à ce garçon magique que vous aimez tous les deux.
La nuit passée avec tes deux potes était donc la dernière fois où tu mettrais les pieds à l’appart rue de la Colombette.
— Nico, je t’aurais bien gardé manger une pizza mais il faut que je passe à la caserne.
— Je vais y aller.
— Tout va bien, Nico ?
— Oui, ça va. C’est juste que la nouvelle du déménagement de Jérém m’a un peu secoué. Il a de la chance d’avoir un pote comme toi.
— Même s’il vient s’installer ici, je sais qu’il ne restera pas longtemps. Jé a besoin de son indépendance.
— J’ai besoin que tu me promettes quelque chose, Nico…
— Dis-moi…
— Je ne sais pas de quoi l’avenir de Jérém sera fait. Mais quoi qu’il fasse, qu’il trouve un autre boulot, un autre appart, qu’il reste sur Toulouse ou qu’il parte je ne sais où, il ne pourra pas se passer de toi…
— J’aimerais que ce soit vrai…
— J’aimerais que tu gardes un œil sur lui…
— J’aimerais bien… mais est-ce qu’il va seulement m’en donner l’occasion ?
Tu sais qu’il ne t’en donnera pas l’occasion non plus. Et tu es certain au fond de toi que Nico est le plus à même de reprendre le flambeau.
— Je te promets que je ferai de mon mieux, il arrive à te répondre, la voix cassée par l’émotion.
Il vient chercher du réconfort dans tes bras, tu en trouves dans les siens.
— Porte toi bien, Nico, et si ça ne va pas, tu sais que ma porte est toujours ouverte. Et mon téléphone toujours allumé, toujours.
Tu essaies de donner le change, mais tu as mal, Thibault. Tu viens de passer des années à tenter d’étouffer tes véritables sentiments à l’égard de ton Jé, mais ils ont soudainement refait surface et pris une nouvelle dimension après ces quelques moments de sensualité partagés après de la finale du tournoi de rugby. Puis, la nuit que tu as partagé avec ton pote et avec Nico a fait monter dangereusement le niveau dans un vase déjà bien plein. Le vase de tes désirs, de ton abnégation, de tes frustrations.
La venue de Nico a fait trembler ce vase et crée des vagues. A plusieurs reprises, le regardant sur le canapé en train de découvrir les photos de ton pote, tu as eu envie de le prendre dans tes bras. Mais il n’y a pas que ça. Tu as repensé au plaisir que vous avez partagé quatre jours plus tôt. Tu as eu envie de l’embrasser, de le déshabiller, de retrouver son beau petit corps, et le plaisir de l’autre nuit. La tentation était forte, viscérale, et tu as dû te faire violence pour t’y opposer. Et tu sais que c’était la même chose pour Nico. Tu sais qu’il aurait suffi d’un rien pour que ça dérape, pour que vos désirs s’embrasent. Tu as ressenti que vous étiez l’un pour l’autre l’allumette et la meule de paille.
Oui, tu as dû te faire violence pour résister. Et si tu y es parvenu, c’est par respect de ton pote Jé, par respect de Nico, par respect de leur histoire et de leur amour.
Mais ça a été tout sauf simple. Surtout à un moment quand vos genoux se sont frôlés, et que vos regards se sont aimantés. Le désir que tu as ressenti était d’une rare violence. Il y a quatre jours encore, tu ne connaissais pas l’amour entre garçons, tu ne pouvais que l’imaginer et ta frustration n’était qu’à la hauteur de ton imagination. Maintenant que tu as connu cela, tu sais que le bonheur de cette nuit est allé bien au-delà de ton imagination et de tes attentes. Et ta frustration de ne pas pouvoir recommencer est d’autant plus grande.
Tu sais que Nico aussi a dû se faire violence pour ne pas céder au désir. S’il ne l’a pas fait, ce n’est que par respect de son Jérém. Et de votre amitié.
L’amitié, encore l’amitié. Cette amitié que tu as toujours donnée sans compter, devient un obstacle au bonheur.
Oui, le vase est plein, et il tangue à la moindre secousse.
Et tu sais pertinemment que l’emménagement de ton pote chez toi risque d’être la goutte qui va le faire déborder pour de bon.
Mardi 07 août 2001, 1h55.
Ça fait une semaine que ton pote a emménagé chez toi. Et ça ne s’est pas trop mal passé. Vos horaires décalés font que vous n’avez pas trop te temps de vous côtoyer.
Dès son arrivée, ton pote a décrété qu’il valait mieux qu’il dorme sur le canapé pour ne pas te réveiller à son retour tard dans la nuit. L’argument se tient. Mais tu n’as pas pu t’empêcher de te demander s’il n’y avait pas une autre raison derrière cet argument. Est-ce que ton pote ne veut plus partager le lit avec toi, comme ça a été régulièrement le cas par le passé ? Est-ce à cause des dérapages autour de la finale du tournoi de rugby, puis de cette nuit avec Nico ? Est-ce qu’il veut éviter que ça dérape à nouveau ?
Quand ton pote t’a demandé de s’installer chez toi, tu as redouté de partager ton lit avec lui. Tu as eu peur comme lui de ne pas pouvoir contrôler la situation. Alors, quand il a demandé le canapé « pour ne pas te déranger avec ses horaires à la con », tu as ressenti à la fois un grand soulagement et une immense déception. Mais c’est un mal pour un bien, autant éviter toute tentation et les gueules de bois.
N’empêche que ton pote est là, chez toi, et que la promiscuité s’installe. Ses affaires sont partout autour du canapé et dans la salle de bain. Tu l’entends parfois rentrer la nuit, et tu te branles en pensant à lui juste de l’autre côté de la cloison. Quand tu te lèves, tu le regardes dormir sur le canapé et tu as envie de lui.
Cette nuit, tu l’as attendu malgré l’heure tardive. En début de soirée, ton pote t’a appelé pour t’annoncer une grande nouvelle. Cette nuit, vous avez quelque chose à fêter.
Lorsque ton pote franchit la porte de ton appart, après avoir traversé la chaude nuit toulousaine, la chemise complètement ouverte, la cravate défaite pendouillant de chaque côté de son cou, un bout de joint entre les doigts, tu le prends direct dans tes bras et tu le serres très fort contre toi.
— Si tu savais comment je suis content pour toi !
— Il fallait pas m’attendre, fait Jérém, la voix basse et lente, en écrasant le bout du joint entre ses doigts.
— Il fallait bien fêter ça ! tu lui réponds, en lui tendant une bière, simple geste de partage.
Même si, d’après l’haleine alcoolisée de ton pote, tu devines que ton Jéjé a déjà bu plus que son dû.
— J’étais fou depuis ton coup de fil !
— C’est gentil, mais ça pouvait attendre… tu te lèves tôt demain…
— On s’en tape de ça… tu lui lances, tout excité.
— Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit exactement l’entraîneur au téléphone ?
— Apparemment, un type m’a vu jouer plusieurs matchs cette année et il en a parlé aux dirigeants du Racing. Ils veulent me rencontrer lundi de la semaine prochaine.
— Ah, putain, j’en étais sûr, ça devait arriver, c’était obligé. Tu es un vrai artiste du ballon ovale et il fallait que quelqu’un s’en rende compte tôt ou tard !
— Doucement, mec ! Ils vont d’abord me faire passer des tests…
— Tu vas les passer haut la main !
— J’espère…
— Je suis fier de toi, Jé ! Tu vas passer pro, tu te rends compte ? C’est génial, vraiment génial !
— Merci… fait Jérém, en se dirigeant vers la fenêtre, le regard fuyant.
— Mais t’as pas l’air si emballé que ça.
— Je suis fatigué de ma journée…
— On dirait que quelque chose te tracasse, Jé.
— Est-ce que je vais être à la hauteur, Thib ?
Quand il est comme ça, quand il doute de lui, ton Jé te fait fondre.
— Bien sûr que si !
— Si je me vautre, j’aurai l’air d’un con…
— Mais tu ne vas pas te vautrer, tu vas faire un malheur !
— Ça va être dur… fait Jérém, en allumant nerveusement une cigarette.
— Mais tu vas y arriver, je n’en doute pas une seule seconde !
— Ça va me faire drôle de ne plus te voir tous les jours… tu ne peux t’empêcher de lui glisser.
— M’en parle pas… qui va être là pour m’empêcher de faire des conneries ? fait Jérém.
A cet instant, tu as tellement envie de le prendre dans tes bras !
— C’est bien ce qui me tracasse le plus… tu rigoles pour désamorcer l’émotion que ses mots ont fait monter en toi.
— Mais tu viendras me voir à Paris… enfin… s’ils me gardent…
— Bien sûr qu’ils vont te garder, et bien sûr que je viendrai te voir, je viendrai pour te remonter les bretelles ! ».
— Tu m’as tout appris au rugby… fait Jérém, avec une pointe de mélancolie.
On dirait que ton pote a vraiment décidé de te faire chialer cette nuit.
— Je vous ai juste fait vous rencontrer, le rugby et toi. Mais tout ce que tu sais faire aujourd’hui, tu ne le dois qu’à toi-même, et à tout le travail que tu as fourni pendant toutes ces années.
Jérém sourit, mais son sourire parait forcé, teinté de tristesse. Tu penses savoir de quoi il s’agit.
— J’en connais un à qui tout ça, ça va faire drôle… tu tentes le coup.
— Qui donc ?
— Bah, Nico.
— Tu parles !
— Tu vas lui annoncer quand ?
— Je ne sais pas. Je n’ai pas de compte à lui rendre.
— Ne fais pas le con, Jé, Nico tient vraiment à toi.
— Je vais rien lui dire, il va m’oublier.
— Tu peux pas faire ça !
— Si, je peux.
— Mais putain, Jé, tu lui dois au moins une explication !
— Je ne lui dois rien du tout, il n’est rien pour moi !
— Arrête, Jé, sois un peu honnête avec toi-même. Je ne t’ai jamais vu aussi bien que depuis que vous êtes…
— On est rien du tout, je te dis ! il te coupe net.
— Tu vas vachement mieux depuis que vous vous voyez…
— Moi j’ai surtout l’impression que tout est plus compliqué !
— Ton départ va lui mettre une sacrée claque.
— De toute façon, lui aussi s’en va de Toulouse…
— Quand on veut, on trouve toujours le moyen de se retrouver…
— Pffffff ! De toute façon, ça a trop duré, il est grand temps qu’on arrête tout ça !
— Je ne te crois pas une seule seconde quand tu dis que Nico n’est rien pour toi ! tu t’emportes devant tant de mauvaise foi.
— Arrête avec ça, Thib ! Je te jure, arrête avec ça ! Arrête de me casser les couilles avec ce mec. Je vais partir et je vais couper les ponts. J’aurais dû le faire il y a longtemps !
— Tu vas le détruire !
— T’inquiète pas pour lui, il va vite trouver un autre mec pour se faire sauter !
— Mais c’est toi qu’il aime ! Et toi aussi tu es bien avec lui. Si tu le largues comme ça, tu vas le regretter.
— Allons, tu me connais, Thib… j’ai toujours fait ça avec les gonzesses…
— Mais est-ce que tu vas pouvoir le faire avec Nico ?
— Pourquoi je ne pourrais pas ?
— Peut-être que Nico est plus important pour toi que tu ne veux l’admettre… plus que toutes les nanas que tu t’es tapé…
— Je te dis d’arrêter avec ça, Thib ! Je ne suis pas pédé !!! se braque ton pote, en montant brusquement le ton de la voix.
— Mais on s’en fiche de ça ! tu lui lances, comme un cri du cœur.
Tu regardes ton pote et tu vois un garçon fatigué, étourdi par le tarpé qu’il a fumé en chemin, par l’alcool qu’il a bu à la fin de son service. Tu es interloqué par son attitude, par la virulence de ses réactions. Tu es attristé par le déni dont il fait preuve vis-à-vis de ses sentiments pour Nico, par la violence qu’il emploie contre soi-même pour assumer qui il est.
— Tu crois que c’est moi qui suis allé le chercher ? il te lance de but en blanc, très énervé.
— Ca n’a pas d’importance, Jé !
— C’est lui qui a voulu qu’on « révise », il continue sans faire cas de tes mots, de plus en plus emporté.
— Il m’a proposé de réviser juste pour se faire baiser ! J’aurais jamais dû le laisser venir chez moi !
— Arrête Jéjé, dis pas n’importe quoi !
— Il n’y a que la queue qui l’intéresse… t’as bien vu qu’il voulait autant de la tienne que de la mienne !
— C’est toi qui a voulu qu’on baise tous les trois ! Oui, j’ai couché avec lui. Moi, ce que j’ai vu, c’est un gars adorable, qui est vraiment amoureux de toi. Et toi aussi tu en pinces pour lui… sinon tu n’aurais pas été jaloux de le voir prendre son pied avec moi.
— Tu me gonfles, vraiment ! fait ton pote en montant encore le ton.
— Arrête un peu, Jé, calme-toi !
— Je me calme si je veux !
— Tu sais, quoi qu’il se passe dans ta vie, que tu sois avec une nana ou avec Nico, je serai toujours ton pote ! tu lui lances en saisissant son biceps.
— Tu m’as saoulé ! il s’emporte, tout en se dégageant brusquement du contact de ta main. Il écrase sa cigarette à moitié fumée sur le rebord de la fenêtre. Il traverse la pièce et se dirige vers la porte de l’appart.
— Tu vas où ? tu t’inquiètes.
— Je vais prendre l’air !
— Attends… tu tentes de le retenir, en le saisissant pas l’épaule.
— Mais lâche-moi, putain !!! il se rebelle, te repoussant violemment.
Tu te rues sur la porte d’entrée pour l’empêcher de partir.
— Tu vas me laisser passer ! fait ton pote, menaçant, le regard noir fulminant de colère.
— Sinon ?
— Sinon tu vas prendre mon poing dans la gueule !
— Tu ne ferais pas ça !
— Je ne rigole pas !
— Tu n’es vraiment qu’un petit con, Jé ! Qu’est-ce que tu peux être buté ! A force de ne pas assumer qui tu es, tu fais du mal à quelqu’un qui t’aime vraiment. Et que tu aimes aussi. Mais le pire, c’est que tu te fais du mal à toi-même, tu t’empêches d’être heureux, et tu t’en empêches tout seul ! tu lui balances à la figure en perdant ton sang-froid.
Lorsque Jérém te charge, il a la violence d’un fauve enragé. Tu arrives à le repousser, puis à le maîtriser. Vous vous retrouvez réciproquement entravés, les mains de l’un saisissant fermement les biceps de l’autre, les fronts et les nez collés, le souffle de l’un sur le visage de l’autre.
— Lâche-moi, connard !
— Arrête Jéjé, tu es fatigué ! On va arrêter de parler de tout ça et on va se coucher. Demain ce sera oublié.
— J’ai envie d’aller faire un tour et je vais aller faire un tour !
— Ce n’est pas une bonne idée, à cette heure-ci, en plus tu es rond comme une bille !
— Tu ne vas pas me donner des ordres !
Tu vois que ton pote est épuisé, il respire fort. Petit à petit, ses biceps cessent d’opposer résistance aux tiens.
— Je suis désolé, Jé. Tu as raison, je n’ai pas à me mêler de ta vie, tu tentes de le raisonner.
— C’est juste que depuis quelques temps j’ai l’impression que nous nous éloignons. Et maintenant que tu vas partir à Paris, ça ne va pas s’arranger. Tu vas me manquer, Jé. Nos matches, nos troisièmes mi-temps, nos sorties, nos rigolades vont me manquer. Tu vas me manquer, Jé !
Tu attends en vain un mot gentil de sa part. Tu sais que tu vas lui manquer aussi. Mais tu sais aussi qu’il est trop en colère pour l’admettre à cet instant précis.
— Alors, je veux juste que tu saches que je serai toujours là pour toi, quoi qu’il arrive, tu continues, au bord des larmes. Même quand tu seras à Paris, tu peux m’appeler n’importe quand. Tu sais ça, hein ?
C’est par les mots, par le ton de ta voix, par tes bras qui enlacent désormais son torse, par des caresses légères, douces, pleines s’affection que tu dispenses dans son dos, que tu tentes d’apaiser ton Jéjé.
Petit à petit, il semble s’abandonner à ton accolade, t’enserrant à son tour dans ses bras, plongeant son visage dans le creux de ton épaule.
Il y a quelque chose de profondément apaisant dans le contact avec la peau chaude de l’autre, dans cette étreinte, dans cette complicité entre potes.
Puis, à un moment, ton pote relevé la tête. Vos regards se croisent, se figent d’un dans l’autre. Vos déglutitions se font nerveuses, les respirations de plus en plus profondes. A nouveau, les fronts humides de transpiration se rencontrent, les souffles se mélangent, les nez se collent, glissent l’un sur l’autre.
Puis, à un moment, tout doucement, les lèvres approchent.
Et là, soudain, Jérém a un brusque mouvement de recul.
— Je vais faire un tour, il annonce avec une voix très basse, le regard fuyant, avec un ton qui est sans appel.
Ton pote vient de refermer la porte derrière lui et déjà tu te demandes si ça a été une bonne idée d’accepter qu’il s’installe chez toi. Certes, tu ne pouvais pas laisser tomber ton meilleur pote au moment où il se retrouvait dans la panade. Mais ce que tu redoutais a failli arriver. Les choses ont à nouveau failli déraper entre vous. Et c’est une nouvelle fois ton Jé qui a freiné juste avant que vous commettiez l’irréparable.
Car l’envie est bel et bien là, et elle grandit chaque jour depuis que tu partages ton appart avec ton pote. Partager l’appart, c’est affronter la promiscuité du quotidien. C’est regarder ton pote dormir sur le canapé, tout en le sachant nu sous la couette. C’est l’entendre prendre sa douche et le voir sortir de la salle de bain juste en boxer, la peau dégageant mille odeurs de propre et de bon. C’est avoir envie de lui. C’est risquer que ça dérape à tout moment entre vous.
Et ça, ça ne doit jamais arriver.
Tu te dis que c’est une bonne chose que le recrutement de ton pote arrive maintenant. Car tu te dis que lorsqu’il sera parti à Paris, la distance l’aidera à surmonter tout ça, et à empêcher le désir sensuel de venir troubler votre belle amitié.
Tu es content d’avoir pu lui parler de Nico, et de lui avoir dit que tu serais toujours là pour lui, quoi qu’il arrive.
Tu es confiant d’avoir mis les choses au clair avec ton pote. Et tu te dis qu’une fois évacué sa colère, il reviendra vers toi.
Mais les jours ont passé, et ton pote n’est pas revenu vers toi. Vous vous êtes croisés, mais tu avais l’impression qu’il t’évitait. Puis, le lundi suivant, il était parti à Paris rencontrer l’équipe dirigeante du Racing.
LT0103 Le livre de Thibault – Amitié et sensualité
Jeudi 12 juillet 2001, trois jours avant la finale du tournoi.
23 heures.
Tu as eu ton pote au tel un peu plus tôt dans la soirée et tu as bien senti qu’il n’avait pas le moral. Alors, tu as décidé d’aller le voir.
Lorsque tu débarques à l’appart, ton pote est affalé sur le canapé, torse nu, l’épaule cachée sous un bandage blanc.
Tu essaies de lui faire la causette mais tu constates vite que ce soir il n’est pas très réactif. Il n’a pas envie de parler, il fixe la télé sans la regarder, il enchaîne les clopes et les bières.
Jéjé n’a vraiment pas le moral. Tu sais que sa blessure l’inquiète beaucoup et qu’il angoisse à l’idée de ne pas pouvoir jouer dimanche prochain pour la finale. Tu sais qu’il angoisse à l’idée que votre équipe puisse rater le dernier coche, comme ce fut déjà le cas l’année dernière.
Tu tentes de le rassurer, tu lui rappelles qu’il lui reste encore de deux jours pour se reposer avant la finale. Et que même s’il rate l’entraînement du lendemain, personne ne lui en voudra.
Pourtant rien ne semble l’apaiser. Ni ta présence, ni tes mots. Avant, tu savais comment l’apaiser. Mais cela a changé. Jérém ne se confie plus à toi comme avant, et du coup tu n’arrives plus à le rassurer.
Tu sais bien que la blessure n’est pas la seule cause du malaise et des inquiétudes de ton pote. Quelque chose d’autre le tracasse, mais il ne veut pas t’en parler.
Alors, pour essayer de lui remonter le moral, tu décides de faire appel à la recette qui ne rate jamais. Le bouillon de bons vieux souvenirs entre mecs.
Tu attaques en lui parlant de ce match en début de saison que vous aviez gagné de justesse alors que tout semblait se liguer contre votre équipe. Tu lui parles de la troisième mi-temps entre potes bien méritée qui avait suivi. Tu lui parles des vacances à Gruissan deux ans plus tôt, du jour où il avait voulu se faire faire à tout prix ce tatouage en dessous du biceps, juste parce qu’une meuf sur la plage lui avait promis qu’elle coucherait avec lui s’il avait le cran de le faire.
Au fil des souvenirs, ton pote semble un peu surmonter sa morosité. Il commence à rigoler, à donner le change, à faire le lien avec d’autres souvenirs. La sauce du bonheur entre potes semble enfin prendre. Et qu’est-ce que tu es heureux de le voir sourire enfin ! Qu’est-ce que son sourire te manque depuis quelques temps !
Parce que ton pote est si craquant quand ce beau sourire illumine son visage.
Une heure du matin.
Tu es fatigué. En plus, tu bosses demain matin. Mais tu n’as pas envie de rentrer, car le sourire de ton pote vaut bien un peu de sommeil perdu.
Deux heures, tu as encore envie de le voir sourire. Tu ne peux pas se résoudre à mettre un terme à cette complicité retrouvée.
Deux heures trente.
Jéjé part fumer en terrasse. Tu ne fumes pas d’habitude, mais cette nuit tu partages une clope avec ton pote, juste pour être avec lui.
Le mégot écrasé, Jéjé rentre dans l’appart et disparaît dans la salle de bain. Une minute plus tard, il revient avec une brosse à dents dans la bouche et une autre dans la main.
C’est sa façon à lui de te proposer de rester dormir. Peut-être qu’il a encore envie de parler ou juste qu’il n’a pas envie de rester seul.
Tu hésites. Tu repenses à ce qui s’était passé la fois où tu étais resté dormir dans cet appart après le plan avec les deux nanas, lorsque tu t’étais réveillé en tenant ton pote dans tes bras. Tu repenses à l’angoisse de ce moment, à ta peur que Jéjé se réveille et qu’il réagisse mal.
Mais tu repenses aussi au bonheur de sentir son corps contre le tien. Un bonheur que tu n’as pas oublié. Et si ça se reproduisait cette nuit ? Et si ça se reproduisait dans ce lit, dans ces draps où ton pote a couché avec Nico ?
L’idée de te retrouver sous la couette, dans le noir, avec ton pote Jéjé, est à la fois tentante, excitante, troublante, angoissante.
Oui, tu hésites. Et pourtant, tu sais qu’au final tu vas prendre sur toi et rester. Jéjé ne comprendrait pas que tu refuses. Vous avez dormi tant de fois ensemble, jusqu’à il y a peu. Jusqu’à ce plan avec les nanas. Depuis, il ne t’avait plus proposé de rester dormir. Est-ce qu’il s’était rendu compte de ce qui s’était passé ce fameux soir ?
Quoi qu’il en soit, cette nuit tout semble redevenu comme avant. Cette nuit, ton pote t’a proposé de rester dormir, comme avant. Comme avant le plan avec les nanas. Comme avant Nico.
Tu ne peux pas refuser. Cette nuit, ton pote a besoin de toi. Non, tu ne peux pas te dérober, tu ne peux pas écouter ta peur. Parce que tu as besoin d’écouter ton envie.
Tu te dis que ce n’est pas parce qu’une nuit tu t’es retrouvé enlacé à ton pote que cela va forcément se reproduire. Ce n’est pas parce que tu as kiffé que tu ne vas pas savoir te contrôler.
Et puis, tu es sûr que cette nuit ton Jéjé a encore besoin de parler, d’être rassuré.
Tu ne te trompes pas, tu le connais par cœur.
« Dimanche dernier j’étais vraiment pas au point. Je m’en veux, si tu savais, il te lance dans le noir, en remontant un peu la couette.
— Tu n’as pas à t’en vouloir, ça peut arriver à tout le monde, tu tentes de le rassurer.
— J’avais très mal dormi la nuit d’avant.
— Pourtant vous n’êtes pas rentrés tard, Nico et toi…
— Ouais, mais j’ai mal dormi.
— Au fait, je l’ai croisé lundi soir. Il était très inquiet pour ta blessure…
— Et comment il a su ?
— Il m’a appelé parce qu’il s’inquiétait de ne pas avoir de tes nouvelles depuis l’autre nuit.
Tu évites de préciser à ton pote que c’est à la brasserie que Nico a appris pour sa blessure, car il s’y était rendu pour le voir, après son silence prolongé. Tu ne veux pas prendre le risque de contrarier ton pote et de mettre Nico en porte-à-faux. Il est parfois des détails qu’il n’est pas utile d’apporter aux faits.
— Ce ne sont pas ses oignons ! Et il n’a pas à t’appeler pour avoir de mes nouvelles ! il lâche sèchement.
— Il ne pensait pas à mal. Ce gars est super gentil !
— Il m’emmerde !
— Pourquoi tu dis ça ? J’avais l’impression que vous vous entendiez bien.
— Ouais, c’est ça !
Ton pote a l’air vraiment contrarié.
— Ça a été chouette de sa part de t’aider pour le bac.
— Ouais, mais maintenant le bac c’est fini, alors il n’a plus de raison de me coller !
— Je pensais que vous étiez devenus amis.
— Tu parles ! C’est lui qui ne me lâche plus parce que personne ne veut de lui. Il s’imagine que parce qu’il m’a un peu aidé pour le bac on est devenus potes. Mais t’inquiète, je vais vite m’en débarrasser !
Tu te demandes pourquoi ton pote est si injuste avec Nico. Pourquoi se force-t-il à être si virulent, si ce n’est pour essayer de lui montrer qu’il n’y a rien entre Nico et lui ?
— Je te trouve dur. Je suis sûr que Nico est un bon gars et que son amitié est réelle. Et il tient beaucoup à toi.
— Il t’a raconté quoi ce petit pédé ?
Tu retrouves bien là ton pote, pour qui l’attaque est la meilleure défense. Le fait est que lorsqu’on attaque, on est obligé de sortir un peu à découvert. Et l’hostilité de Jéjé est trop nette, trop surfaite, pour ne pas être « louche ».
— Il ne m’a rien raconté de spécial. Il se fait du souci pour ta blessure, c’est tout, d’autant plus que tu ne réponds pas à ses messages. Je pense qu’il t’aime vraiment bien ce petit mec.
— Quoi qu’il t’ait raconté, il se fait des films ! ! ! Il prend ses rêves pour des réalités. S’il me kiffe, c’est son affaire, mais moi, moi je ne suis pas pédé ! ! !
— Je n’ai jamais dit ça, tu tentes de désamorcer sa colère.
Mais l’emportement de Jéjé, amplifié par l’alcool, le ton sans appel de ses mots, coupe court à la discussion. Tu ne veux surtout pas le braquer, car tu sais que dans l’état de colère où il s’est mis, il serait même capable de t’envoyer chier. Tu ne veux pas perdre le contact avec ton pote. Cette nuit, tu n’iras pas plus loin dans tes questionnements.
Tu l’aurais pourtant voulu. Tu aurais voulu savoir lui donner envie de se confier à toi. Mais un petit pas est fait, le sujet « Nico » a été mis sur la table. Ce sera peut-être plus facile d’y revenir plus tard.
— Bonne nuit, Thib !
— Bonne nuit, Jé !
Ton pote s’endort rapidement. Tu le suis de près, terrassé par la fatigue et bercé par la douce chaleur de la proximité de son pote.
Un peu plus tard, la même nuit.
C’est une vibration qui se propage dans les draps, jusqu’à toi. C’est ça qui vient de te réveiller. La pièce est plongée dans l’obscurité, dehors il fait encore nuit. Tu émerges de ton sommeil et tu réalises que Jéjé est en train de se caresser. Est-ce qu’il est réveillé ? Est-ce qu’il réalise que tu es juste à côté ?
Moment inattendu, troublant. Tu écoutes la respiration de ton pote, te laisses bercer par cette vibration. Tu évites tout mouvement. Tu ne veux pas que ton pote se rende compte que tu es réveillé. Tu ne veux pas le mettre mal à l’aise. Tu ne veux pas qu’il arrête.
Le sentir se branler à côté de toi, ça te fait bander aussi. Soudain, tu te sens transporté des années en arrière, jusqu’à cet été, celui de vos 13 ans, dans ce camping, jusqu’à cette nuit, sous cette tante, où déjà tu avais senti ton pote en train de se branler dans le noir. Jusqu’à cette branlette que vous vous étiez échangés à l’abri des regards. Tu retrouves les mêmes sensations qu’à ce moment déjà lointain. Ta respiration coupée, ton cœur qui bat à tout rompre, la peur et l’excitation de cet instant unique, de cet unique instant où il avait pris du plaisir avec son pote.
L’excitation te gagne, et tu commences à te branler à ton tour.
Tu te dis que c’est juste une branlette, chacun de son côté, et que ton Jéjé ne le prendrait pas mal. Au fond, vous avez déjà fait un plan à quatre ensemble. Alors, se branler côte à côte, ça ne te paraît pas si déconnant. Au contraire, tu te dis que si tu te branles aussi, il se laissera aller davantage.
Et c’est en effet ce qui se produit. Dès que tu commences à te branler, la vibration venant du côté de ton pote augmente d’intensité.
L’excitation monte vite. Comme lors du plan avec les nanas, la montée du plaisir provoque une sorte d’ivresse qui aimante vos épaules, vos avant-bras, vos mollets, vos cuisses. Les contacts sont de plus en plus intenses, les frissons de plus en plus bouleversants. Jusqu’à ce que tes doigts osent aller effleurer la cuisse musclée de ton pote.
Soudain, la vibration venant du côté de Jéjé s’arrête net. Tu arrêtes aussitôt de te branler. De longues secondes s’écoulent, des instants chargés d’un silence lourd et oppressant, de respirations étouffées.
Tu as l’impression que Jéjé peut entendre les battements violents de ton cœur. Tu n’oses plus bouger.
Tu finis par prendre une profonde inspiration et par rappeler tes doigts, par couper le contact avec la cuisse de ton pote. Tu amorces ensuite le mouvement pour te tourner sur le côté, tu essaies de te dérober à ce malaise.
C’est là que tu sens la main de ton pote se poser sur la tienne, t’empêchant de changer de position.
Puis, avec un geste lent mais assuré, il t’attire vers lui. Tu es troublé, et tu te laisses faire, le cœur qui bat à mille. Tu te laisses porter, comme dans un rêve, impatient de découvrir les intentions de Jéjé.
Un instant plus tard, tes doigts effleurent sa queue tendue, alors que sa main s’éclipse.
Jéjé a donc envie de ça, il a envie d’une branlette. Comme cette fameuse nuit sous la tente. Alors, finalement, il se souvient aussi de cette nuit en camping, cette nuit dont vous n’avez jamais reparlé depuis, cette unique nuit où vous vous étiez donné du plaisir.
Les frissons qui parcourent ton corps et ton esprit à cet instant te donnent des ailes. Tu saisis doucement la queue raide et chaude de son pote, cette queue qui remplit bien ta main. Et tu commences d’envoyer ce lent mouvement de va-et-vient qui plaît aux garçons.
Tu redécouvres avec un bonheur intact le plaisir de sentir ton pote frissonner sous l’effet de tes caresses. Mais le plaisir ne s’arrête pas là. Il atteint des nouveaux sommets lorsque la main de ton pote se pose sur ta queue et entreprend de te branler à son tour.
Le contact avec sa main est délicieux, ses va-et-vient fabuleux. L’excitation monte, monte, monte, comme une ivresse incontrôlable. Et dans ton esprit de plus en plus ivre, ce double contact de mains appelle vite d’autres envies, d’autres plaisirs. Tu as soudain envie de faire autrement plaisir à ton pote, autrement qu’avec simplement la caresse de ta main.
Tu amorces le mouvement pour glisser sous les draps. Mais tu n’as pas le temps d’aller bien loin.
— Non ! tu entends ton pote lancer, comme un cri étouffé, comme paniqué, pendant que sa main saisit très fermement ton avant-bras, t’empêchant d’aller au bout de ton intention. Sa prise est ferme et musclée. Tu ressens une douleur dans ta chair. Tu ressens également une autre douleur, plus intense encore, un malaise vertigineux. Comment te sortir de cette situation ? Comment retrouver ton pote, après ça ?
Mais quelques instants plus tard, la main de ton pote relâche un peu son emprise et reconduit la tienne là d’où il estime qu’elle n’aurait jamais dû partir.
Tu as bien saisi le message. Une branlette, ça passe, mais pas plus. Il n’y a que Nico qui a droit à ce bonheur.
Tu recommences à branler ton pote, et ton pote recommence à te branler. Quelques instants plus tard, tu entends le bruit étouffé des giclées, les tiennes, celles de ton pote, qui atterrissent sur vos torses respectifs, et même sur les draps. Tandis que l’odeur si caractéristique du plaisir de mec s’insinue dans tes narines.
Ton pote se tourne aussitôt de l’autre côté, sans un mot. Un instant plus tard, il dort.
Le cœur qui bat à mille, tu restes immobile pendant de longs instants, comme figé, alors qu’une question te tenaille désormais.
« Et maintenant ? »
Vendredi 13 juillet 2001.
Certes, ce n’était qu’une innocente branlette. Pourtant, ça avait été dur de « retrouver » ton pote après ça.
Aux entraînements, le stress de la finale qui approchait à grand pas avait vite balayé tout le reste. Et le malaise que tu avais redouté, n’avait pas existé. D’autant plus que Jé faisait comme si rien ne s’était passé.
Comme cette fois sous la tente, au camping à la mer, lorsqu’ils avaient 13 ans.
Pourtant, ça s’était bien passé. Hier, tout comme aujourd’hui.
La première fois en camping, tu avais pris sur toi pour seconder le comportement de ton pote et faire comme si. Ça avait été dur, très dur. Car tu n’arrêtais pas d’y penser, et avait envie de recommencer. Puis, très vite après cet été-là, ton pote était parti du côté des filles. Et tu avais suivi le même chemin.
Pendant des années, tu t’étais demandé ce que ton pote avait ressenti à ce moment précis, ce qu’il en avait pensé par la suite, quelle importance il avait accordé à cette expérience. Est-ce qu’il y pensait parfois ? S’en rappelait-il seulement ?
Tu avais même imaginé qu’il n’avait pas aimé ce qui s’était passé entre vous, et que ça l’avait justement conforté dans son hétérosexualité. Et au fil du temps, tu avais appris à considérer cet épisode comme un simple « accident ».
Mais cette fois-ci, ce n’est pas pareil. Car vous n’avez plus 13 ans. Ce qui s’est passé ce n’est plus une « bêtise d’ados ». Vous allez avoir 20 ans. L’un comme l’autre vous saviez ce que vous faisiez. Pourtant, pour toi, l’envie était la même qu’à 13 ans. Et Jé avait accepté que ta main lui fasse plaisir sous la couette, comme à 13 ans.
Puis, une force débordante, vertigineuse, incontrôlable t’avait poussé à tenter de t’aventurer sous la couette pour faire encore plus plaisir à ton pote. Mais il t’en avait empêché. Sur ce coup, Jé avait été plus lucide que toi. Ça avait été une sage décision de sa part.
Mais désormais, il sait. Il sait de quoi tu as envie avec lui. Qu’est-ce qu’il doit penser de toi ?
Après avoir refusé ta proposition silencieuse, Jé s’était fini tout seul et s’était aussitôt rendormi.
Tu avais essayé de dormir, en vain. Le lendemain matin, tu étais parti tellement vite que tu avais oublié ta montre sur la table de chevet.
Cette fois-ci, tu ne pourras pas te contenter de faire comme s’il ne s’était rien passé. Cette fois-ci, tu as besoin de parler à ton pote. Mais de quelle façon ? En lui avouant ton attirance pour lui ? Comment prendrait-il un tel aveu ? Ou alors, lui en parler en choisissant de garder les apparences, lui en parler en minimisant ce qui s’était passé, en mettant cela sur le dos du joint et de la fatigue ?
Dimanche 15 juillet 2001, après la finale du tournoi de rugby.
Le barbec chez l’entraîneur avait été l’un de ces moments de convivialité où l’on se retrouve pour faire la fête après un match. Et pourtant, une certaine mélancolie planait déjà au-dessus des verres et des déconnades.
Bien sûr, tout le monde était heureux d’avoir gagné. Et de se retrouver chez le coach pour fêter ça, tous ensemble, troisième mi-temps digne d’une victoire de tournoi toulousain.
Difficile pourtant d’oublier, même en cette soirée de liesse, que dès la rentrée, l’équipe qui avait remporté cette victoire perdrait plusieurs de ses joueurs. Et, avec eux, une partie de son âme.
Il y avait les départs annoncés. Quentin et Illan, pilier et talonneur. Le premier trop pris par son taf et par sa meuf, le deuxième trop abîmé par une mauvaise blessure au genou.
Thierry partait faire ses études à Paris. Thomas partait travailler au pays Basque. Quant à Jé, lui c’était la grande inconnue.
Longtemps, tu avais espéré que l’un des mecs du Stade Toulousain, souvent présents aux matchs, remarquerait les exploits de ton pote, lui proposant d’intégrer les Reichel. Tu étais persuadé qu’il le méritait vraiment. Tu pensais que ce genre de reconnaissance et de consécration lui ferait le plus grand bien, en ce moment de doute et de changement. En plus de lui ouvrir très probablement les portes d’une belle carrière pro.
Mais le tournoi était fini et personne ne s’était manifesté.
Alors, tout en faisant la fête chez l’entraîneur, chacun savait qu’à la rentrée, l’équipe ne serait plus la même. Certes, il y avait les nouveaux. Et avec eux, de nouvelles amitiés à sceller, de nouvelles histoires de rugby à écrire. Mais le fait de perdre quasiment tous les joueurs les plus emblématiques de l’équipe, juste après cette belle victoire, était difficile à digérer.
Tout le monde faisait la fête pour oublier que cette victoire, cette soirée étaient à la fois l’aboutissement d’un rêve partagé, d’un effort d’équipe, mais également la fin d’une époque.
Une page se tournait. Et cette soirée serait probablement la dernière où cette équipe gagnante serait réunie.
Alors ils avaient bu et rigolé, beaucoup bu et beaucoup rigolé, parcouru les souvenirs communs. Comme quand on sait qu’on doit se dire adieu et qu’on veut retenir le temps.
Tout le monde ressentait cela, et toi même un peu plus que les autres. Car, avec le départ probable de ton Jé à la rentrée, tu savais que tu ne perdais pas qu’un simple coéquipier, mais ce pote qui a été presque ton frère. Ce pote que tu connais si bien et dont tu ressens toutes les émotions – le bonheur, la tristesse, le doute, les blessures – comme si c’étaient les tiennes.
Lorsque ton Jé marquait un but, tu ressentais sa joie comme si c’était la tienne. Lorsqu’il était inquiet, triste ou déçu, tu ressentais en lui la même inquiétude, la même tristesse, la même déception. Ta connexion avec ton Jé était totale. Ça va beaucoup, beaucoup, beaucoup te manquer de ne plus partager le rugby avec lui.
La soirée s’était étirée tard dans la nuit, et Jé avait bu et fumé bien plus que de raison. Et toi, fidèle au poste de meilleur pote, tu avais insisté pour prendre le volant et le raccompagner chez lui.
Et ce, malgré les réticences bien présentes dans ta tête à te retrouver seul avec Jé dans cet appart, après ce qui s’était passé trois nuits plus tôt.
Ton pote ne t’avait pas rendu la tâche facile. Il faisait chaud, très chaud, et dans la voiture il avait ôté son t-shirt, dévoilant son torse spectaculaire, sa peau dégageant un bouquet olfactif à la fraîcheur entêtante.
Jé avait fumé tout le long du trajet. Et tu avais « senti » ton pote tout le long du trajet.
— C’était une bonne soirée, tu avais glissé pour casser le silence.
— Il ne manque qu’une nana pour une pipe et ce serait parfait, avait balancé ce petit con de Jé, tout en posant sur toi son regard fixe, lourd, planant, alcoolisé, insistant.
Tu t’étais contenté de lui sourire, frémissant à l’intérieur. Mais comment il pouvait te balancer ça, alors que trois jours plus tôt il t’avait empêché de lui apporter ce plaisir ? Pourquoi il faisait ça ? L’alcool, le joint, la mélancholie de fin de soirée, sans doute.
Tu avais fait tout ton possible pour tenter de garder la tête froide. Tu te sentais mal à l’aise, et tu avais envie d’arriver le plus vite possible rue de la Colombette. Pour quitter Jé et rentrer chez toi pour de prendre une douche froide et tenter de dormir.
Pourtant, devant la porte de l’immeuble, tu avais ressenti le besoin d’accompagner ton pote jusqu’à l’appart. Tu le sentais trop mal en point, et tu préférais le voir bien à l’abri entre ses murs, être certain que l’appel du lit l’empêcherait d’aller rôder à la recherche d’un dernier verre et de cette pipe qui lui faisait défaut.
Mais tu avais également besoin de passer un moment avec ton pote. Tu savais que tu n’aurais pas le courage de lui parler de ce que tu avais sur le cœur. Ce n’était vraiment pas le bon moment, Jé était trop torché. De toute façon, ce ne serait jamais le bon moment pour parler de ça.
Jé t’avait proposé une dernière bière. Tu n’en avais franchement pas envie. Mais tu avais accepté pour lui montrer, pour te montrer que vous étiez toujours potes. Et tu t’étais dit qu’au final, au nom de votre amitié, tu irais une fois de plus dans le sens de Jé, que tu ferais comme si trois jours plus tôt il ne s’était rien passé.
Pendant que ton pote fouillait dans son frigo à la recherche des bières, tu avais récupéré ta montre sur la petite table de chevet, là où tu l’avais oubliée trois jours auparavant.
Aussitôt la montre fixée sur ton poignet, tu t’étais senti plus à l’aise pour te mentir, pour te dire qu’effectivement, trois jours plus tôt il ne s’était rien passé dans ce lit défait.
Bière en terrasse, fumette et discussions anodines, voilà le lot d’échanges avec ton pote dont tu te contentais, en lieu et place d’affronter les véritables questions qui troublaient ton esprit.
Il faisait très chaud, et ton Jé était toujours torse nu. Tout chez ce mec appelait au sexe. Dans ta tête et dans ton corps, la tension érotique était palpable. Le vent tiède glissait sur ta peau et te filait des frissons, et les frissons donnaient des envies. Envie d’ôter à ton tour ton débardeur, de coller ton torse nu à celui de ton pote. Envie irrépressible de lui proposer à nouveau ce qu’il avait refusé quelques nuits plus tôt, avec la peur de prendre un nouveau râteau.
Et, en même temps, le sentiment de culpabilité te cernait de toute part. « Je ne peux pas ressentir ça pour mon pote », tu n’avais cessé de te répéter. Et pourtant, tu le ressentais.
« Ça gâcherait notre amitié ». Et pourtant, tu ne pouvais pas ignorer ce frisson qui parcourait ton corps en regardant la demi nudité de ton pote.
« Je ne peux pas faire ça à Nico ». Et pourtant, tu n’aurais pas été contre une nouvelle branlette à ton pote.
Tu as imaginé ton Jé en train de coucher avec Nico dans cet appart. Tu as essayé d’imaginer le plaisir que tes deux potes se donnent dans ce lit. Tu as essayé d’imaginer ce plaisir qui t’es interdit.
Tu as eu envie que ton pote te demande de rester, comme il l’avait fait tant de fois auparavant, lorsqu’il était bien torché, malgré ce qui s’était passé trois jours plus tôt. Et, en même temps, tu as eu peur qu’il ne le fasse pas, à cause justement de ce qui s’était passé trois jours plus tôt.
— Il va falloir qu’on se refasse un week-end à Gruissan, c’était top l’an dernier ! t’avait balancé ton pote à un moment.
A la simple évocation de Gruissan, une foulée de souvenirs étaient remontés en toi. Tu avais revu ton pote sortir torse nu de ce mobil home, en pleine nuit, rejoint par ce petit mec bien foutu avec le tatouage aux grandes ailes bien en vue dans son dos.
Après la surprise, tu avais tenté d’imaginer le plaisir que ces deux mecs avaient pu se donner dans ce mobil-home.
Sur le coup, tu t’étais demandé si cet épisode resterait un épisode isolé pour ton pote, un— hors-série de vacances. Ou bien, s’il y aurait une suite, et quelle suite ? Un simple spin-off, ou bien un changement radical ?
Puis, quelques mois plus tard, tu avais croisé Nico sur le palier de l’appart de la rue de la Colombette, alors qu’il venait réviser avec ton pote.
Et tu avais compris que ton pote avait bien des penchants qu’il n’oserait pas t’avouer.
— Putain, on l’a fait, Thib. On l’a fait ! On est champions !!! avait exulte Jé lors de l’un de ces soubresauts émotionnels caractéristiques d’un état d’alcoolémie et de fumette anormalement élevé.
Son exubérance soudaine et débordante t’avait tiré illico de tes pensées.
— C’est grâce à toi, Jé ! tu lui avais glissé, ému.
— Et à toi aussi, Thib ! Tu as été top ! Cette dernière passe que tu m’as balancée, un truc de ouf !
— Ça ne va pas être pareil l’année prochaine, si tout le monde fiche le camp, tu avais réagi, désormais incapable de cacher ta tristesse.
— Il y aura d’autres joueurs, avait tenté de relativiser Jé, avec un détachement certain, presque avec indifférence.
— Mais aucun pote comme toi !
Après tes mots, Jé s’était limité à sourire. Qui sait ce que traduisait ce sourire alcoolisé ? Est-ce qu’il avait été touché par tes mots ? Ou gêné ? Est-ce qu’il se rendait seulement compte à quel point son pote tenait à lui ?
Mais tu avais besoin de dire à ton Jé ce que tu ressentais en tant que pote, faute de pouvoir lui avouer tes sentiments véritables.
— Tu es mon meilleur pote. Et tu le seras toujours, et je serai toujours là pour toi…
— Tu sais que je risque de partir dans pas longtemps…
— Même si on habite à 1000 bornes, tu pourras toujours compter sur moi.
— Mais tu vas me manquer, tu lui avais glissé, déjà bien ému.
— Dans cette ville j’étouffe, j’ai besoin de changer de décor !
— Pourquoi tu dis ça ?
— J’ai envie de partir, de voir d’autres endroits, peut-être d’autres pays. Et si je ne pars pas maintenant, je ne partirai jamais,
— Tu dois faire ce dont tu as envie.
— Merci Thib.
Mais tu as du mal à cacher ton émotion.
— T’as une cigarette ? tu lui avais demandé pour créer une diversion.
Une taffe, deux taffes.
— Vous voulez tous me retenir ici…
— Vous, qui ? tu l’avais questionné en entrevoyant enfin une ouverture pour parler de sujets délicats.
— Toi et Thierry, Thomas, et Nico aussi…
Tu as l’impression que ton Jé aurait peut-être envie de s’ouvrir, mais qu’il a du mal. Quelque chose le retient encore. Tu te dis qu’il faudrait déjà qu’il sache que, quoi qu’il arrive, ça ne change rien à votre amitié, que tu soutiendras et qu’il pourra toujours compter sur toi.
Tu connais ton pote, tu le connais au-delà des apparences, tu sais que derrière son assurance apparente de petit mec un peu macho, un brin frimeur, se cache un garçon de 19 ans qui doute de lui. Il a toujours douté, et il doit douter d’autant plus depuis qu’il est confronté à ce qui se révèle en lui au contact de Nico.
Alors, tu avais décidé de forcer un peu les choses.
— Oui, je pense que si tu pars tu vas beaucoup manquer à Nico aussi…
— Il trouvera un autre pote pour lui coller aux baskets !
— Mais ce n’est pas d’un pote dont il a besoin…
— Je ne sais pas de quoi il a besoin, mais il faut qu’il arrête de me pomper l’air ! il s’était soudainement emporté.
Tu avais l’intuition que c’était l’alcool qui faisait parler ton pote, tu l’entendais et le sentais au ton altéré de sa voix, à son irritabilité à fleur de peau, à son regard perdu.
La conversation étant engagée, tu avais décidé malgré tout de poursuivre.
— En tout cas c’est vraiment un gars sympa. Et il tient beaucoup à toi. Vraiment beaucoup.
— Oui, même trop !
— Il est vraiment fou de toi, et c’est beau, ça, tu avais lancé, dans la tentative de mettre ton pote à l’aise.
C’est un coup de poker, c’est risqué, c’est quitte ou double.
— Mais de quoi tu parles ? avait brusquement réagi ce dernier.
— De toi, de Nico. Tu me connais, Jé, tu sais que tu peux tout me dire, parce que je peux tout entendre.
— Mais je n’ai rien à te dire ! il s’était emporté.
— Tu sais que ça ne changera rien entre nous… ce qui se passe…
— Mais il ne se passe rien, je te dis !
— Tu seras toujours mon pote…
— Tu me fais quoi là, Thib ?
Ton pote commençait à se faire menaçant.
— Jé, il n’y a rien de mal à ça.
— Mais putain, de quoi est-ce que tu me parles, mec ?
— De toi, de Nico…
— Mais PUTAIN ! Tu veux me faire dire quoi, au juste ? Que je le baise ? Qu’il adore ma queue ?
— Tu veux vraiment savoir ??? il était monté dans les tours en franchissant un palier de colère à chaque interrogation.
— Si tu veux tout savoir, oui, il me suce, il avale mon foutre et je lui démonte le cul. T’es content maintenant ?
— Ne te mets pas en colère Jé…
Mais il avait continué comme un bulldozer sans chauffeur.
— Quand il est venu réviser, il avait tellement envie de se faire démonter qu’il n’arrivait même pas à aligner deux mots. J’ai eu pitié de ce puceau minable !
— Jé, t’as pas besoin de lui manquer de respect de cette façon. Nico est un bon gars, et je te trouve vraiment injuste avec lui.
— Ce mec est juste une bonne petite salope que je défonce pour me vider les couilles quand j’en ai envie. Dès qu’il sent l’odeur de ma queue, il rapplique sans demander son compte !
— Tu es trop injuste avec lui.
— Tiens, tu veux voir à quel point il aime la queue ? Tu paries combien que si je lui envoie un message même à trois heures du mat il rapplique en courant et il va nous vider les couilles a tous les deux ?
Ce disant, il sort son tel de sa poche.
— Range ça et arrête de jouer au con, Jé !
— Moi j’ai envie de me faire vider les couilles, pas toi ?
— Tu ne peux pas le traiter comme ça. Nico a des sentiments pour toi.
— Tu le connais, toi ?
— Assez pour savoir que c’est un gars bien.
— Ne te laisse pas avoir par ce petit pédé. Nico s’est rapproché de toi parce que t’es mon pote, et qu’il veut te tirer les vers du nez. Il doit bien te kiffer toi aussi, c’est pour ça qu’il essaie de faire ami ami avec toi…
— T’exagères, Jé ! Tu ne devrais pas être si dur avec lui. Il ne demande pas la Lune, juste un peu de considération…
— Il demande surtout de se faire démonter !
— Arrête ça, je te dis, Jé, tu commences à m’énerver !
Tu as de plus en plus de mal à rester calme.
— Tiens, tu veux savoir ? était revenu à la charge ton pote, je l’ai baisé pas plus tard que cet après-midi, après le match…
— De quoi ?
— Tu crois que j’étais en retard au barbec pour quelle raison ? Quand vous avez tous été partis, je l’ai sifflé, il a fait demi-tour et il m’a offert son fion. Et il en a eu pour son grade !
Tu avais senti tes joues chauffer, ta colère monter. Tu aurais voulu rester calme, mais tu ne pouvais plus.
— Arrête Jé. T’as pas besoin de me balancer tout ça. Tout ce que je voulais te dire est qu’il n’y a rien de mal à ce qui se passe entre vous deux, et que ça te ferait du bien de ne pas te prendre autant la tête…
— Je t’ai dit que ne suis pas pédé !!!
— On est en 2001, on s’en fiche des étiquettes. Tant qu’on est heureux, qu’importe avec qui nous le sommes ! L’important est que tout le monde trouve son compte et que personne ne souffre…
— Qu’est-ce qu’il est venu te raconter, cette tafiole ?
— Je n’aime pas que tu l’appelles comme ça. Et il ne m’a rien appris que je ne savais pas déjà…
Tu avais réalisé que le ton de ta voix était de plus en plus emporté. Cette discussion te prenait aux tripes, ça te faisait chier que ton pote soit à ce point dans le déni. Le déni, cette attitude qui le rend malade et qui fait souffrir Nico.
— Je sais bien, mais même si tu l’étais, je m’en ficherais, tu serais toujours mon pote…
— Mais je ne le suis pas !!!
Ces derniers mots, Jé les avait crachés dans un cri étouffé, tandis que son attitude s’étant soudainement faite très agressive. Tu l’avais rarement vu sortir aussi vite de ses gonds, et aussi loin.
Ton pote était désormais très remonté et tu savais qu’il n’y aurait plus de discussion possible cette nuit-là.
— Je vais y aller, Jé, je me décidais alors à annoncer à contre-cœur.
Tu aurais eu envie de voir ton pote un peu plus calme avant de partir, mais tu réalisais que ta présence l’empêchait justement de se calmer. Tu touchais du doigt les limites de ton amitié, ton impuissance à faire quoique ce soit de plus pour ton pote à cet instant précis. Tout ce que tu pourrais dire ou faire, ça ne ferait qu’empirer les choses.
Une seconde plus tard, tu te préparais à quitter l’appart. Ta main s’était déjà posée sur la poignée de la porte d’entrée lorsque, soudain, tu avais senti la sienne se poser sur ton épaule. Tu t’étais retourné. Ton pote affichait désormais un regard comme vidé de toute énergie, perdu, paumé.
Un instant plus tard, il se jetait dans tes bras. Une étreinte sans mots, qui avait duré une poignée de secondes.
Intense bonheur que de sentir le torse musclé de Jé contre le tien, ses biceps contre les tiens, sa joue contre la tienne. Et de sentir sa respiration ralentir, ses angoisses se calmer, sa colère refluer. Comme avant. Comme le garçon au sac à dos que j’avais connu avant.
Intense bonheur et brûlante torture que de sentir le parfum de sa peau, la chaleur de son corps.
Tu t’étais senti bander. Tu aurais voulu mettre fin à cette accolade, mais ton pote t’avait retenu. Il t’avait même serré un peu plus contre lui. Tu avais senti son érection. Et son front contre ton front, son nez contre ton nez, sa peau contre ta peau, ses pecs contre tes pecs. Et son souffle contre ton souffle, deux respirations haletantes, deux attirances brûlantes, deux désirs qui se rencontrent.
À cet instant, tant d’interrogations se bousculaient dans la tête. Que cherche-t-il à la fin ? De quoi a-t-il vraiment envie ? Quel rôle jouent l’alcool, la fumette, sa tristesse, le manque de son Nico dans ce que ton pote t’a refusé trois nuits plus tôt et qu’il semble envisager à cet instant ? Est-il bien raisonnable de se laisser aller ? Et après ? Va-t-il le regretter ? Comment vas-tu vivre ça, si ça dérape et que, une fois de plus, tu sois obligé de faire comme si rien ne s’était passé ? Arriveras-tu à faire face ?
Mais le nez de ton pote effleurait déjà le tien. Et ses lèvres cherchaient tes lèvres. Les corps s’enlaçaient avec fougue, les désirs se libéraient. Les braguettes se défaisaient.
Ton visage était déjà devant la bosse saillante de ton pote, si près que tu pouvais sentir la chaleur dégagée de sa queue à travers le coton fin du boxer.
Mais à la toute dernière seconde, tu n’avais pas pu.
— Je ne peux pas. Je suis désolé, Jé…
— Tu fais quoi là ?
— Je suis désolé !
— T’en avais envie l’autre nuit…
— Tu as eu raison de m’arrêter.
— Viens me sucer, putain !
— Je ne peux pas… pas comme ça, pas parce que tu es saoul et que je suis le seul mec que tu as sous la main… et pas dans le dos de Nico…
— Tu fais chier !
— Passe une bonne nuit, Jé, fait Thibault en passant la porte, fuyant le regard de son pote.
— Va te faire voir, connard ! avait été le dernier mot de Jé pendant que tu quittais l’appart quelques instants plus tard, le cœur empli de tristesse et de désolation.
Mardi 17 juillet 2001.
— Salut, comment ça va depuis dimanche ? Remis de la 3è mi-temps ?
Sans nouvelles de ton pote depuis dimanche, tu n’es pas tranquille. Le SMS de Nico remue le couteau dans la plaie de tes inquiétudes. Tu n’as pas envie de parler de ce qui s’est passé avec Jérém, et surtout pas avec Nico. Car tu te sens fautif vis-à-vis de lui. Alors, ta réponse se fait attendre.
Jeudi 19 juillet 2001
Tu ne sais pas quoi répondre à Nico. Mais tu sais qu’il ne se contentera pas de ton silence. C’est pourquoi tu n’es pas du tout surpris de le voir débarquer une nouvelle fois dans les parages du garage peu avant la fermeture.
Tu le vois faire les cents pas sur le trottoir d’en face. Tu vois illico qu’il est inquiet, et tu devines qu’il est venu te demander des nouvelles de Jérém. Hélas, tu n’en as pas, toujours pas. En revanche, tu as des choses à lui cacher. Tu te sens le cœur lourd.
— Ça va ? il te demande.
— Oui, ça va, ça va….
Tu voudrais donner le change, mais tu n’en as pas l’énergie.
— Sale semaine ? il enchaîne, comme pour trouver une explication à ton comportement qu’il doit trouver bizarre.
— Ouais, assez, oui, les garages commencent à fermer pour les congés, il y a du taf en pagaille…
— Tu es en congés quand ?
— J’ai trois semaines fin août, début septembre…
— Je t’ai envoyé un sms l’autre jour, tu l’as eu ?
— Ah, oui, désolé, je n’ai pas répondu, j’ai pas trop l’habitude des messages.
Quelle belle époque, 2001, l’époque bénie où l’on pouvait encore entendre ce genre de phrase de la bouche d’un bomec de 19 ans.
— C’est pas grave, il coupe court. Sinon, tu t’es remis du match ? il te questionne.
— Oui, ça va…
Tu as envie de t’épancher davantage. Mais quelque chose te retient.
— Vous avez fait la fête tard dimanche soir ? il tente d’en savoir un peu plus.
— Oui, assez tard…
— Jérém, ça allait ?
— Il était super heureux d’avoir remporté le tournoi, tu lâches en évitant sciemment le regard de Nico.
— Ça a dû être sympa le barbec, il commente.
Soudain, tu es rattrapé par une violente envie de fumer.
— Et après vous êtes sortis ? il enchaîne.
— Oui, enfin, mais pas tous, on était nazes.
— Nico, il va falloir que j’y aille, tu coupes court.
Tu te sens mal à l’aise vis-à-vis de Nico, tu n’as pas envie de parler de cette nuit, parce que tu n’as pas envie de lui mentir.
— Dommage, j’aurais bien pris un apéro comme la dernière fois…
— Pas ce soir, Nico, on remet ça à un de ces quatre, ok ? tu avais lâché, en alignant tes mots sans conviction et en joignant un sourire forcé.
— D’accord, il capitule.
— Je file, tu lâches sans autre forme d’explication, sans même prendre le temps de refaire la bise à Nico.
Dans le regard de Nico, tu vois de l’incompréhension. Il est venu chercher du réconfort, tu as été incapable de le lui apporter.
Nico a dû remarquer ton changement d’attitude depuis dimanche dernier, sur la pelouse, après la victoire. Tu l’avais encouragé à aller féliciter Jérém pour ses exploits, tu l’avais trainé à la buvette pour le rapprocher de ton pote, tu lui avais montré une bonne complicité.
Et là, quelques jours plus tard, tu te montres distant, fuyant, comme s’il y avait un malaise entre vous.
Le fait est que ce qui s’est passé avec ton pote te met vraiment très mal à l’aise par rapport à Nico. Tu as le sentiment de l’avoir trahi.
Bien évidemment, il n’a pas compris le pourquoi de ton changement d’attitude. Comment le pourrait-il ? Et tu as l’impression qu’il se pose des questions. Quand on se sent fautif, on a toujours l’impression que les autres savent, ou se doutent.
LT0102 Le livre de Thibault – Le garçon au sac à dos
Toulouse, le vendredi 25 mai 2001.
Ce soir-là, en débauchant, tu étais passé prendre une bière chez ton pote. Comme tu le faisais parfois les soirs où vous n’aviez pas entraînement. Mais alors qu’il était toujours heureux de te retrouver, jamais pressé de te voir repartir – ce genre d’apéro en semaine se terminant souvent par une commande de pizza, d’interminables partie de FIFA, et de tout aussi interminables discussions autour du rugby – ce soir-là tu l’avais trouvé bizarre, comme surpris de te voir débarquer. Et, surtout, pressé de te voir repartir.
Il avait fini par te foutre carrément à la porte parce qu’il devait « réviser » avec son camarade Nico. Un comportement qui, d’une part, te rassurait vis-à-vis de son BAC à venir, mais qui ne lui ressemblait tellement pas. Ce qui avait éveillé ta curiosité.
Puis, en partant, tu avais croisé le garçon au sac à dos sur le palier. Et là, c’était flagrant. Ce petit gars semblait si heureux de retrouver son camarade, ton pote ! C’était beau à voir.
Son visage ne t’était pas totalement inconnu. Tu ne lui avais jamais parlé auparavant. Mais ce n’était pas la première fois que tu le voyais. Tu l’avais déjà aperçu en boîte de nuit, et parfois sur le bord du terrain lors de certains matches du tournoi.
— Salut, moi c’est Thibault.
— Salut, moi c’est Nico.
Nico a un sourire timide qui le rend touchant. Dans son regard, tu avais vu le bonheur de rejoindre ton pote. Mais également un certain malaise, le malaise de t’avoir trouvé sur son chemin vers le bonheur.
— Tu viens réviser avec Jé ? tentant de le mettre à l’aise.
— Oui, on fait des maths…
— Révisez bien, alors ! C’est gentil de l’aider, tu lui avais glissé.
Malgré la brièveté de l’échange, tu avais ressenti une profonde empathie pour ce garçon. Car, d’emblée tu as su que vous partagiez quelque chose de très précieux, de très intime. Une attirance, un désir, des sentiments.
Mais tu avais également ressenti autre chose. Une forme de jalousie vis-à-vis de ce garçon qui pouvait, chaque jour, côtoyer ton pote au lycée avec ses regards, son attirance, ses sentiments. Tu n’as pas de mal à imaginer que si un jour ton pote était partant, Nico « ne dirait pas non ».
Et si un jour ce Nico osait ce que tu n’as jamais osé ? Comme draguer ton pote ouvertement.
Au fond, le fait de n’être qu’un camarade de classe, est un avantage pour lui. Tu devines qu’entre Jé et Nico, il n’y a pas de véritable amitié, pas comme avec ton pote et toi. Et on ne peut pas porter atteinte à quelque chose qui n’existe pas.
Ce jour-là, tu aurais voulu échanger un peu plus avec Nico, faire un peu plus connaissance avec lui. Mais tu avais bien compris que ce n’était pas le moment. Tu t’étais dit que ce moment viendra un jour.
Et le bon moment s’est présenté pas plus tard que le lendemain, au Shangaï.
Samedi 26 mai 2001, une nuit au Shangaï.
En vrai, ce moment a failli ne pas se présenter. Car, à la base, c’était prévu que tes potes et toi finissiez votre soirée au KL. C’était ton pote Jé qui avait insisté pour changer de destination pour vous rendre au Shangaï.
Ça ne t’avait étonné qu’à moitié. Tu l’avais vu discuter avec Nico à la Bodega. Est-ce que Nico lui avait dit qu’il partait au Shangaï ? Est-ce pour cette raison que Jé avait tant insisté pour s’y rendre aussi, tout en restant parfaitement sourd aux remontrances de Thierry, Thierry qui pestait parce que ce changement de plan l’empêchait de retrouver une certaine nana au KL ?
Dès votre arrivée au Shangaï, tu l’avais repéré. Ça n’avait pas été difficile. Dès que son regard se posait sur ton pote, il brillait plus fort que toutes les lumières de la boîte.
Mais tu avais remarqué qu’il s’était éteint lorsque ton pote s’était éclipsé avec une blonde. Tu ne connaissais que très bien cette sensation. A chaque fois que ton pote s’éclipsait avec une nana en soirée, ce qui arrivait bien trop souvent à ton goût, tu faisais semblant de t’en amuser. Mais au fond de toi, ça te remuait les tripes.
Dans le regard de Nico, tu avais lu la même déchirante frustration qui te tenaillait, douloureuse comme une morsure. Et tu t’étais dit que tu pourrais lui apporter un peu de réconfort, et qu’il pourrait peut-être t’en apporter en retour.
Alors, profitant de l’absence de ton pote, tu lui avais parlé.
— Tu vas bien, Nico ?
— Pas mal, et toi ?
— Un peu cassé par le match, mais ça peut aller.
— Vous avez eu match cet aprèm ?
— Oui, c’était à Montauban.
— Ça s’est bien passé ?
— Oui, même si le jeu était un peu musclé.
— Vous êtes quand même une bonne équipe.
— Tu es déjà venu nous voir jouer, il me semble…
Nico a semblé surpris que tu te rappelles de lui.
— Oui, une fois.
— Tu t’intéresses au rugby ?
— Oui, un peu…
— T’en as jamais fait ?
— Non, je ne suis pas très sportif. J’aime courir sur le Canal, mais les sports co, c’est pas vraiment mon truc.
Son regard, le ton de sa voix, son attitude. Tu te dis que ce Nico a vraiment l’air d’un garçon aimable.
— Alors, ça se passe bien les révisions ?
Nico semble sur la défensive. Ta question lui a peut-être donné l’impression que tu te doutes de quelque chose, et que tu veux lui tirer les vers du nez.
— Oui… pas mal, il finit par répondre.
— Tu crois que Jérém va l’avoir, son bac ?
Tu essayes de lui montrer qu’il n’y a que de la bienveillance dans tes questions.
— Je pense, oui…
— En tout cas, c’est gentil de l’aider.
— C’est normal, il a besoin de réviser et je suis content de le faire…
— Tu sais, des fois il est un peu dur avec les gens, mais au fond c’est un mec bien.
— Je crois que c’est ça…
Tu voudrais rester discuter avec Nico plus longtemps. Mais un pote à toi te fait signe de le rejoindre à un autre bout de la salle.
Ce n’est que la deuxième fois que vous échangez quelques mots, vite fait, mais Nico t’a donné d’emblée l’impression d’un chouette type.
Samedi 9 juin 2001, une nuit à l’Esmeralda.
Cette nuit-là, il s’était passé quelque chose qui t’avait beaucoup marqué.
Ton pote Jé était parti aux toilettes. Et quand il en était revenu, son t-shirt blanc portait des traces rouges, des traces de sang. Visiblement, ce n’était pas le sien. Il s’était battu. Mais il n’avait pas voulu te donner d’explications. Il t’avait simplement annoncé qu’il rentrait. Mais aussi qu’il ramenait Nico.
Tu avais retrouvé ce dernier à la sortie de la boîte.
— Tu es sûr que tu n’as rien ? tu avais insisté auprès de ton pote, pendant que vous marchiez tous trois en direction de la 205 rouge.
— Naaan, ça va !
— Mais c’était qui ce con ?
— Un type qui cherchait la merde. Il était torché. Mais t’inquiète, il a eu son compte !
— Fais gaffe à toi, Jé…
— Mais oui ! il t’avait glissé, en lâchant un petit sourire complice et un brin taquin.
Et, ce disant, il avait fait un écart inattendu, faisant mine de te bousculer. Tu avais fait mine de te rebiffer, de le charger à ton tour. Il avait fait un bond pour t’éviter. Mais tu l’avais rattrapé, et tu lui avais passé un bras autour du cou, pour le retenir. Jé avait fait semblant de vouloir se dégager à tout prix, alors qu’un immense sourire s’affichait sur son visage. Comment tu aimes quand il est souriant, amusé, joueur !
— Salaud ! s’était marré Jérém, alors qu’il était enfin parvenu à se dégager de la prise de ton bras.
En arrivant à sa voiture, ton pote avait ouvert la porte côté passager, s’était penché au-dessus du siège, il t’avait tendu ton portefeuille.
— Tu es sûr que ça va aller ? T’as pas trop bu ? tu étais revenu à la charge, comme pour le retenir quelques instants encore.
Au fond de toi, tu n’avais qu’une envie, prendre le volant, conduire jusqu’à la rue de la Colombette et t’assurer qu’il rentre chez lui sain et sauf. Ou peut-être deux envies. La seconde étant de rentrer avec eux.
— Naaan, ça va, t’inquiète !
— Tu fais gaffe, ok ?
— On se voit demain au match ! il avait coupé court.
— Ça ne va pas être une partie de plaisir !
— Les derniers matches de la saison sont toujours gratinés.
— Mais on ne va rien lâcher ! tu lui avais lancé.
— Parce que cette année on n’est vraiment pas loin du but !
— Demain on va les cramer ! avait conclu ton pote.
— C’est pour cela que notre ailier doit rester entier.
— Oui, papa !
Oui, papa. Ça t’a toujours à la fois flatté et agacé qu’il te dise ces deux mots quand tu essayais de le mettre en garde contre un danger.
— Dégage ou c’est moi qui vais te taper sur la gueule !
— T’as des capotes ? t’avait demandé ton pote.
— De quoi ?
— Pour la petite brune de tout à l’heure.
— Nathalie ?
— Elle-même !
— Mais elle m’a largué il y a un moment !
— Peut-être… mais cette nuit elle ne demande qu’à se faire à nouveau baiser par toi, mon pote.
— Arrête !
— Fais-moi confiance, je m’y connais !
— Des conneries, oui !
— Tiens ! il t’avait lancé, tout en te balançant la petite boîte en carton.
— Tu vas la voir, tu lui fais un sourire, et tu la remets dans ton pieu !
— Tire-toi !
— Baise un bon coup et tu joueras mieux demain ! avait conclu ton pote, taquin, en démarrant la 205 rouge.
— Tu fais gaffe à ce petit con ! tu avais lancé à Nico, comme une bouteille à la mer.
Au fond de toi, un mélange de contrariété, d’envie, d’inquiétude, de doute, de crainte, de soupçon. Un sentiment indéfinissable, mais tellement lourd à porter.
Juste avant de quitter le parking, ton pote avait mis un petit coup de klaxon en guise d’au revoir. Tu avais levé la main et dégainé un sourire. Un sourire qui t’avait énormément coûté, parce qu’au fond de toi, tu n’avais vraiment pas envie de sourire. Mais tu ne voulais rien laisser transparaitre.
Tu ne voulais pas que ton pote comprenne que tu te doutais de ce qui se passait avec ce Nico et surtout pas à quel point cela t’affectait, et encore moins pourquoi. Tu n’avais pas envie d’avoir à affronter des discussions désagréables autant pour lui que pour toi. Car tu savais qu’il y avait des chances qu’il n’aimerait pas les questions que tu avais envie de lui poser. Tout comme il était fort probable que tu n’aimerais pas les réponses qu’il pourrait te donner, si tant est qu’il ait eu envie de te les donner. En fait, tu redoutais surtout sa réaction. Tu ne voulais surtout pas de malaise entre vous.
Et tu ne voulais pas qu’il se doute combien de le voir partir avec Nico te faisait mal, plus encore que de le voir partir avec une nana. Tu ne voulais pas qu’il comprenne que les regarder partir tous les deux dans cette 205 rouge, voir Nico prendre cette place de passager qui a souvent été la tienne, ça te remuait de fond en comble.
Tu t’étais demandé comment ils allaient terminer cette soirée. Car tu savais qu’ils allaient la terminer ensemble, dans l’appart de la rue de Colombette où tu avais si souvent été invité, dans le lit de ton pote dans lequel tu avais parfois dormi.
Tu avais regardé la voiture sortir du parking, et s’éloigner vers la Rocade. Tu l’avais suivie du regard jusqu’à ce qu’elle sorte de ton champ de vision.
Et tu avais ressenti une immense frustration au fond de toi. Tu avais mal.
Après que la 205 rouge eut disparu dans la nuit, tu avais marché pendant un petit moment dans le parking. Tu t’étais senti seul. Tu n’avais pas envie de retourner dans la boîte, tu avais besoin de silence et de calme.
Mais tu avais des potes à ramener, et tu avais fini par y revenir. Tu avais recroisé Nathalie. Ton pote avait raison, cette nuit, elle cherchait à nouveau ta compagnie. Pendant un instant, tu t’étais dit que tu pourrais lui parler, te confier à elle. Lui confier ce que tu n’as encore jamais eu le courage de confier à qui que ce soit.
Cette nuit, tu avais besoin de parler de ce que tu avais sur le cœur. Et tu t’étais dit qu’elle pourrait comprendre. Que tu pourrais avec elle trouver cette écoute que tu n’avais encore trouvée nulle part et dont tu avais de plus en plus besoin.
Elle avait su voir ton malaise. Et elle t’avait apporté sa tendresse, et son regard attentionné. Mais la tendresse avait débordé dans la sensualité, comme lorsque vous sortiez ensemble, empêchant définitivement tes mots de sortir, ton cœur de s’ouvrir.
Tu avais pu penser que le sexe était une bonne façon de faire taire tes démons.
Mais non, ce n’était pas la bonne façon. Même pendant l’acte, tu n’avais cessé de penser à cette 205 rouge disparaissant dans la nuit.
Après l’amour, Nathalie s’était endormie. Mais toi, tu n’étais pas arrivé à trouver le sommeil.
Tu avais repensé à ton pote, à son t-shirt blanc taché de sang. Tu avais repensé à son départ un peu précipité de la boîte, en compagnie de Nico.
Tu te demandais quelle était leur relation. Comment leurs désirs s’étaient rencontrés, comment ils s’étaient combinés. Nico avait l’air d’un garçon doux et amoureux. Mais ton pote ? Comment se comportait-t-il avec lui ? Jouait-t-il au con comme avec les nanas ? Se comportait-t-il comme tu l’avais vu se comporter avec le mec du camping, acceptant de partager le plaisir mais refusant violemment toute forme de tendresse ?
Ce qui était nouveau, c’est que cette relation semblait durer. Ton pote qui n’avait jamais voulu faire durer une relation, ne fusse-t-elle que purement sexuelle, avec une nana, semblait s’être laissé embarquer dans une relation régulière avec un gars, ce gars, avec Nico. Comment vivait-il cette expérience, nouvelle pour lui à plus d’un titre ?
Tu n’avais pas de mal à imaginer à quel point ce qui se passait avec Nico représentait un énorme bouleversement dans la vie de ton pote. Surtout si, comme tu l’imaginais, il ne s’agissait pas que d’une simple coucherie. Car tu étais persuadé que la présence de Nico lui faisait du bien.
Mais en même temps, tu te doutais que cette relation devait le perturber. Depuis quelque temps, tu le sentais sur les nerfs, prêt à démarrer au quart de tour. Tu devinais qu’il n’arrivait pas à assumer ce qui se passait dans sa vie et que cela provoquait de grandes tensions chez lui.
Tu avais ressenti l’envie de lui offrir une véritable occasion de se confier à toi.
Tu n’avais pas l’intention de lui demander des comptes, tu voulais juste savoir comment il vivait tout ça. Car tu sentais que ton Jéjé a besoin d’être rassuré, de se sentir compris, accepté. Et il fallait à tout prix qu’il puisse entendre que toi, Thibault, tu étais là pour lui, et que tu le seras toujours, quoi qu’il arrive. Et que ce qui était en train de se passer dans sa vie ne changerait rien à votre amitié.
Mais tu appréhendais sa réaction.
Dimanche 10 juin 2001, 13h36.
Mais tout s’était précipité dès le lendemain, lorsque ton pote avait débarqué avant le match avec la mine des mauvais jours, l’air nerveux, le regard fuyant. Une mauvaise humeur qui avait eu des répercussions sur sa prestation sportive. Certes, votre équipe avait gagné mais ton pote n’avait pas joué aussi bien que d’habitude. Ton pote n’était pas vraiment dans ses baskets ce jour-là. Tu avais l’impression qu’il était ailleurs. Car, visiblement, un truc le tracassait.
Alors, tu avais pris sur toi et tu avais tenté de lui parler. Après la fin du match, après les douches, tu l’avais rejoint, alors qu’il fumait, seul, dans un coin du terrain de jeu.
— Alors, ça s’est bien passé le retour hier soir ? tu l’avais questionné.
Il n’avait pas répondu tout de suite, se cachant derrière deux longues expirations de fumée, le regard fuyant.
— Ça a été… j’étais fatigué… il faut que j’arrête de boire autant… il avait fini par lâcher, comme pour s’excuser de sa petite performance dans le match.
— En tout cas, il a l’air bien sympa, ce Nico… tu tenter d’amener la discussion.
— Il est collant, il me casse les couilles !
— J’ai un peu discuté avec lui et je le trouve bien comme gars… en plus, c’est gentil de sa part de t’aider à réviser.
— Vivement le bac, et après, tchao !
— Viens, on va retrouver les autres, il avait coupé court sur un ton sec et presque agacé, tout en jetant sa cigarette, pourtant fumée qu’à moitié.
Un instant plus tard, il s’éloignait de façon précipitée, se dérobant ainsi à d’autres questionnements.
En posant quelques simples questions, cet après-midi-là tu avais eu confirmation du fait que ton pote était pas mal perturbé par cette relation. Et tu avais également compris que cette fois-ci, il ne te laisserait pas jouer le rôle de confident qui avait toujours été le tien.
C’est dur d’admettre qu’une partie de la vie de ton meilleur pote t’es désormais inaccessible, dur de voir que ton Jéjé essaie de te cacher des choses. Comme s’il avait peur de ta réaction, peur que tu ne comprennes pas, que tu le juges, que tu ne l’acceptes pas, comme s’il ne te faisait pas assez confiance.
Tu essaies de te rassurer en te disant que c’est peut-être simplement trop tôt, que dans la tête de ton pote il y a encore trop de bazar, qu’il n’est pas prêt à en parler, parce qu’il ne sait pas lui-même où il en est. Peut-être qu’avant de t’en parler, il a juste besoin de savoir où il va. Peut-être que c’est juste une question de temps.
Tu essaies de relativiser, de garder la tête froide. Pourtant, tu n’arrives pas à faire taire cette petite voix qui depuis un certain temps te martèle que l’amitié avec ton pote va être profondément bousculée. Et qu’elle va probablement l’être à tout jamais.
Lundi 25 juin 2001.
Aujourd’hui, entre midi et deux, tu as voulu aller voir ton pote Jé à la brasserie à Esquirol où il fait son premier jour. Sur le trajet, dans la rue d’Alsace-Lorraine, tu es tombé sur Nico et sa cousine.
Tu as voulu le mettre à l’aise, tu lui as demandé comment ça s’était passé son bac.
— Pas trop mal, on verra bien lundi à la publication des résultats.
— Et pour ce branleur de Jérém, ça va être bon aussi ?
— Je pense. Enfin, j’espère.
— Vous avez pas mal révisé, alors ça doit pouvoir le faire.
Un frisson parcourt ton dos à l’évocation de ses révisions avec Jé.
— Je ne sais pas trop comment ça s’est passé pour lui. Depuis le début des épreuves je ne l’ai pas trop vu.
Ses mots t’étonnent. Que s’est-il passé ?
— Vous faites quoi ce week-end ? tu as envie de savoir.
— Je ne sais pas trop. Et vous ?
— Je pense qu’on va aller au KL, comme d’hab.
— Tiens, ce samedi on pourrait se faire une soirée en boîte, fait Nico à sa cousine.
Elle n’a pas vraiment l’air ravie.
— Ça fait un petit moment que je ne suis pas sorti en boîte, depuis la soirée au Shangaï, il insiste pourtant.
Tu te souviens bien de cette soirée d’il y a deux semaines. C’est la fois où ton pote s’est battu. Tu te souviens très bien de son t-shirt blanc taché de sang. Mais il n’a jamais voulu te raconter ce qui s’était passé. Il t’a raconté, mais tu sais qu’il ne t’a pas tout dit. Tu as envie de demander des explications à Nico, mais tu te dis que ce n’est pas le bon moment. Tu lui en parleras une autre fois, quand vous ne serez que tous les deux.
— En tout cas, samedi soir Jéjé et moi nous serons au KL. Peut-être que nous verrons là-bas, tu lui glisses.
Tu ne sais pas trop pourquoi tu lui lances cette perche. Pourquoi lui dire où vous allez, pourquoi provoquer sciemment le « risque » qu’il s’y rende aussi, pourquoi t’exposer à revivre la même chose, les voir repartir une nouvelle fois dans la 205 rouge, pour finir la nuit ensemble ? Pourquoi t’infliges-tu cela, Thibault ?
Peut-être parce que tu sais que cela ferait plaisir à ton pote. Et à Nico. Faire plaisir à ceux que tu aimes est une seconde nature chez toi.
Tu sais que ton pote prend du bon temps avec Nico. Et tu ne veux que son bien-être. Mais ce bien-être, celui que Nico peut lui apporter, tu ne peux pas le lui offrir. L’amitié t’en empêche.
— Tu sais ce qu’il fait en ce moment ? il te demande.
Et là, tu lui apprends que ton pote vient d’être embauché dans une brasserie à Esquirol en tant que serveur.
Nico a l’ait très étonné.
— Jérém travaille ?
Jérém : c’est ainsi que Nico appelle ton pote Jé. Ce petit surnom t’émeut car il te parle de leur complicité, de leur intimité, de leur vécu commun. Jéjé est le petit nom avec lequel tu appelles ton meilleur pote depuis votre enfance. Mais tu sais que ses nouveaux camarades du lycée l’appellent Jérém. Nico doit l’appeler ainsi, après l’amour. Oui, « Jérém » est « son » Jéjé à lui. Ces petits surnoms sont des raccourcis qui vous rapprochent, chacun à votre façon, de lui.
— Il a commencé ce midi. J’allais justement le voir là-bas, conclut le beau mécano.
Tu n’as pas été étonné de voir Nico approcher de la brasserie un peu plus tard dans l’après-midi.
Tu le vois approcher d’un pas hésitant, comme s’il n’osait pas se montrer. Comme s’il avait peur de la réaction de ton pote. C’est sans doute le cas. Et il a sans doute ses raisons pour craindre cela. Tu sais à quel point il peut être chatouilleux dans des situations qui peuvent le mettre mal à l’aise.
Et vu comment il cloisonne cette partie de sa vie, tu te doutes bien que voir débarquer son amant sur son lieu de travail doit rentrer dans cette catégorie de situations.
Mais tu te dis aussi que ton pote n’osera pas le jeter devant toi. Aussi, ta présence donne à la venue de Nico une certaine « couverture ». Tu te dis que ton pote se sentira moins menacé par un verre entre « potes » que par la venue de Nico tout seul. Et puis, si ça devait commencer à chauffer, tu serais là pour jouer les rôles de modérateur. Ça, tu sais bien faire. Alors, tu lances un grand sourire à Nico et tu lui fais signe de te rejoindre.
Il semble hésiter. Mais il finit par approcher. Ta présence doit le rassurer.
« Re ! tu lui lances.
— Oui, re…
— Allez, vas-y, assieds-toi, Jéjé va être content de te voir !
Il n’a pas l’air rassuré.
— Tu veux boire quoi ?
— Un mojito.
— Je t’invite. Il faut juste attendre que le serveur se libère.
Nico est venu te rejoindre, mais il a toujours l’air très tendu. Il semble tétanisé par la peur de la réaction de ton pote. Il a l’air de paniquer. En attendant que le serveur revienne, tu essaies de le mettre à l’aise. Tu sais que faire parler l’autre est un super moyen pour le mettre à l’aise. Alors, tu le questionnes au sujet de ses vacances, de son été, de ses études à venir. Parler avec toi semble lui faire du bien.
Jé finit par débouler en terrasse avec un nouveau plateau chargé de verres, de boissons et de biscuits apéro. Il vient tout juste de commencer ce taf, et tu es impressionné de le trouver autant dans son élément. Aussi, dans sa tenue, tu le trouves très beau.
Le regard de Nico est verrouillé sur son Jérém, il ne le lâche pas un instant. Il le kiffe vraiment.
Ton pote disparait à nouveau à l’intérieur de la brasserie. Il revient une minute plus tard avec un nouveau plateau, beaucoup moins chargé. Et pendant qu’il traverse une nouvelle fois la terrasse en diagonale, il capte la présence de Nico.
En vrai, toi aussi tu redoutais un peu la réaction de ton pote. Et là tu es soulagé de voir qu’il semble content de voir Nico en terrasse. Ce dernier semble rassuré. Tu te dis que ça ne doit avoir rien d’évident pour Nico de côtoyer de ton pote, alors que ce dernier n’assume pas ses envies. Tu es bien placé pour savoir à quel point ton Jé peut se montrer parfois impulsif, sanguin, et même injuste.
— Eh, ben, pendant que certains travaillent, il y en a qui se la coulent douce !
Tu ne l’as pas vu approcher, mais tu reconnais immédiatement la voix de ton pote.
— Cause toujours, va ! Pour une fois que tu en branles une, il faut que tu te la pètes !
— Tête de con, il te balance, taquin.
— Branleur ! tu lui réponds du tac au tac.
Tu adores déconner avec ton pote.
— Et toi tu fais quoi là, tu bades des mouches comme Thibault ?
— Je passais par-là…
Malgré tout, Nico semble toujours un brin mal à l’aise.
— Alors, tu bois quoi ? finit par lui demander ton pote.
Nico a l’air impressionné par son Jérém, par sa tenue, par cette situation nouvelle. Il l’a connu en tant que camarade de lycée. Et là, de but en blanc, il le retrouve serveur. Le changement de registre doit le chambouler. Il t’a chamboulé toi aussi. Ton branleur de pote grandit, il devient un homme. Et cela n’a pas échappé à Nico.
— Une bière blanche, s’il te plaît ! il finit par répondre.
— Ça vient !
— Je le taquine. Jéjé n’est pas du tout un branleur. Ça faisait longtemps qu’il voulait bosser, tu expliques à Nico, alors que ton pote vient de s’éloigner.
— Ça lui tardait vraiment, tu ajoutes.
— A ce point ?
— Jéjé est pressé de gagner sa vie pour ne plus rien avoir à demander à son père.
— Il ne s’entend pas avec ses parents ?
Tu lui expliques alors que ses parents, c’est juste son père. Car sa mère est partie il y a dix ans et elle n’a quasiment pas donné de nouvelles depuis. Il lui en veut énormément de les avoir abandonnés, lui et son petit frère Maxime, après la séparation. Il en veut à son père aussi, car il le tient pour responsable d’avoir rendu sa mère malheureuse et de l’avoir poussée à partir. Et il lui en veut aussi d’avoir ramené trop vite sa nouvelle copine à la maison. Ça fait des années que Jéjé n’a presque pas mis le pied dans le domaine viticole de son père.
— Son père est vigneron ?
Nico semble une nouvelle fois impressionné. Visiblement, il ne connait pas grand-chose de la vie de son Jérém. La façon dont il boit tes mots, avec la curiosité la plus insatiable, celle de l’amour, te touche beaucoup.
— Oui, dans de Gers. Jé fuit cette maison où il a été très malheureux. Et la copine de son père a tout fait pour le pousser à partir.
— Elle ne l’aime pas ?
— Non, pas du tout même. Mais je suis certain que le problème doit en partie venir de Jéjé. Il peut être une véritable tête de con quand il l’a décidé. Je pense qu’il ne lui a laissé aucune chance pour que les choses se passent bien. Mais il avait ses raisons, il était très en colère.
— Il veut vraiment couper les ponts avec son père ?
— Je crois, oui. En tout cas ça en prend bien le chemin. Le seul avec qui il veut garder contact, c’est son petit frère, qui est tout pour lui. Quand il a pris son appart à Toulouse, il y a trois ans, au moment où il a redoublé sa seconde, Jéjé se faisait du souci pour lui. Il avait peur que cette femme lui rende la vie impossible, comme elle l’avait fait avec lui. Mais apparemment, ça s’est mieux passé avec Maxime qu’avec lui.
Jéjé est quelqu’un de têtu, qui ne compose pas quand il y a un conflit. Maxime est beaucoup plus diplomate. Maxime, c’est une tronche. Il a eu son bac l’an dernier, à 16 ans, et il va faire des études d’ingénieur aéronautique. Jéjé l’adore.
L’affection de ton pote pour son petit frère t’a toujours immensément touché.
— Ça faisait des semaines que Jéjé postulait un peu partout, tu enchaînes. Il voulait commencer de suite après le bac, alors il a pris le premier job qu’il a trouvé. C’est une bonne chose qu’il bosse. Ça va lui faire du bien d’occuper ses journées.
— Je comprends.
— J’espère vraiment qu’il va avoir son bac, car j’ai peur que s’il ne l’a pas du premier coup, il va laisser tomber. En tout cas, ça a été très sympa de ta part de l’aider à se remettre à niveau.
Ton pote revient à votre table avec non pas une, mais deux bières et un petit bol de noix de pécan.
— Vous n’êtes pas en train de baver sur moi, hein ? fait ton pote, visiblement intrigué par votre conversation.
— On parle rugby, tu arranges la réalité.
— Mouais…
Ton pote est vite rappelé à l’intérieur pour prendre une autre commande.
Avant de quitter Nico, tu lui proposer d’échanger vos numéros de portable.
Samedi 30 juin 2001.
Cette nuit-là, tu es allé au KL avec tes potes. Jé est bien évidemment de la partie. Tu essaies de garder les apparences, mais tu n’as pas vraiment la tête à faire la fête. Cette nuit-là, tu as le cœur lourd. Car ton pote vient de t’annoncer quelque chose qui t’a vraiment chamboulé.
Heureusement, Nico est là aussi. Tes mots de l’autre jour ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd.
— C’est cool que vous ayez pu venir ! tu lui glisses.
— Je commençais à croire que vous aviez changé de programme, il te lance.
— On vient tout juste d’arriver. Jéjé a bossé jusqu’à une heure et demie.
— Ah, ok, je comprends mieux !
— Tu veux boire un truc ? tu lui proposes.
— Une bière.
— Vous avez un match, demain ? il te questionne.
— Oui, nous jouons demain, et si ça se passe bien, on joue la demi-finale dimanche prochain et la finale dans deux semaines. On va être frais demain après-midi !
— Ca a l’air de plutôt bien se passer, non ?
— On a de bonnes chances de le gagner, mais il faut que le capitaine soit en forme !
— Ça ne va pas être simple avec son boulot…
— Non, c’est vrai, mais il a de la ressource, je ne m’inquiète pas pour lui. Il va sécher quelques entraînements, mais ça va aller.
— Il a l’air de bien se débrouiller à la brasserie…
— Ouais, mais il est juste en extra pour juillet et août. En attendant de trouver un vrai boulot.
— Il va chercher dans quoi ?
— Dans la vente.
— Dans un magasin, une grande surface ?
— Non, plutôt en tant que commercial.
— Ah bon…
— Oui, l’un de nos potes bosse pour une grosse boîte qui fait de l’outillage professionnel et il semblerait qu’il va y avoir une opportunité à saisir à la rentrée début septembre.
— C’est dans la région ? il s’inquiète.
Tu hésites à lui répondre, car tu ne veux pas lui faire mal. Car tu sais qu’il va avoir mal, comme tu as mal depuis que tu as appris la nouvelle quelques heures plus tôt par la bouche de ton pote.
Tu te dis que ce n’est pas à toi de le faire. Mais visiblement ton pote n’a pas pris la peine de lui en parler. Tu sais qu’il est capable de ne rien lui dire. Et ça lui ferait encore plus de mal.
Alors, tu vas lui dire.
— Pas vraiment. La boîte est basée à Nice.
Oui, tu viens de lui dire. Car, d’une part, tu as besoin de partager cela avec quelqu’un. Aussi, confier cela à Nico est pour toi une façon de lancer une bouteille à la mer, de nourrir un espoir, l’espoir désespéré qu’il puisse réussir ce que tu n’oseras même pas tenter, retenir ton pote sur Toulouse. Ou du moins le faire revenir plus souvent que s’il n’avait pas d’attaches.
Tu viens de lui dire et Nico a l’air déconfit. C’est dur d’apprendre que le gars qu’il aime se barre à 600 bornes de Toulouse.
— J’ai toujours été convaincu que les recruteurs du Stade Toulousain le remarqueraient, et qu’ils l’engageraient, car c’est un super joueur. Mais ça n’a pas été le cas, hélas, tu lui expliques.
Nico a l’air tellement désemparé ! Tu es touché par son émotion, car c’est la même qui te fait souffrir depuis quelques heures, depuis que ton pote t’a appris la nouvelle. Tu partages son désarroi. Tu es attendri par ses larmes retenues de justesse, et tu as envie de le serrer dans tes bras et de pleurer avec lui. Mais tu ne peux pas te laisser aller. Pas devant tout le monde. Tu cherches un contact plus discret, tu enserres ses avant-bras pour essayer de l’apaiser.
Et ce simple partage te fait du bien, l’apaiser te fait du bien.
Mais il ne dure pas longtemps. Il te faut vite te ressaisir. Ton pote approche. Après avoir lancé un bonjour rapide à Nico, il se penche à ton oreille. Il te montre une nana, et il te dit : « Elle, je vais la baiser ce soir ». Tu sais qu’il en est capable.
Soudain, tu ressens comme une morsure. Comme à chaque fois que ton pote lève une nana. Mais là, cette morsure s’ajoute à la douleur sourde de son annonce de quitter Toulouse. Aussi, tu as mal pour Nico aussi. Car ce sont ses sentiments que ton pote est en train de piétiner sans scrupules. Qu’il piétine les tiens, qu’il est censé ignorer, soit. Mais il ne peut pas ignorer les sentiments de Nico. Alors, tu trouves que lever une nana sous ses yeux, c’est cruel de sa part. Ce faisant, il piétine non seulement ses sentiments, mais aussi tout ce qui s’est passé entre eux, les moments de plaisir et de partage. Il se comporte comme si tout cela n’avait aucune valeur à ses yeux. Comme si Nico n’avait aucune valeur à ses yeux. Ainsi, la souffrance de Nico s’ajoute à la tienne.
Mais un petit espoir renait en toi lorsque tu vois ton pote discuter avec Nico. Tu les regardes échanger, et tu te demandes ce qu’ils peuvent bien se raconter. A en juger par leurs regards et leurs sourires, tu as l’impression qu’ils sont en train de se chauffer mutuellement.
Et tu commencer à caresser l’espoir que ton pote puisse changer ses plans, laisser tomber cette nana et rentrer avec Nico.
Au fond de toi, tu préfères savoir ton pote dans les bras d’un gars qui l’aime plutôt que dans le lit d’une nana qui n’en veut qu’à son corps et à sa queue. Non pas qu’il n’y ait pas de nanas qui seraient bien pour ton pote. Le fait est qu’il ne choisit toujours que des nanas superficielles qui ne sauraient pas l’aimer, et qu’il ne saurait pas aimer, comme s’il refusait de se laisser aimer, et de s’autoriser lui-même à aimer.
Oui, tu te dis que finalement ton pote va rentrer une fois de plus avec Nico. Et pourtant, à un moment, tu vois la nana de tout à l’heure approcher de ton pote. Et tu regardes, dépité, ce dernier planter Nico et partir avec elle.
Nico a l’air démoli, et tu l’es toi aussi. Pourquoi ton pote agit de la sorte ? Pourquoi choisit-il de partir avec cette nana, alors que tout ce qu’elle a à lui offrir ce n’est qu’une aventure de plus, un plaisir passager ? Pourquoi choisir d’humilier Nico de cette façon ? Pourquoi choisit-il le regard de cette nana, empli de pur désir, plutôt que le regard plein d’amour de Nico ?
Tu sais que ton pote a besoin d’être compris, soutenu. Et tu sais que ce n’est pas cette nana qui va lui apporter ce dont il a besoin. Mais est-ce qu’il a envie de ce dont il a besoin ? Est-ce qu’il a envie qu’on l’aime vraiment ? Est-ce qu’il a peur d’aimer ? Aimer est pour ton pote une position de faiblesse.
S’il part avec cette nana, s’il le fait sous les yeux de Nico, c’est pour lui montrer qu’il peut se passer de lui. Choisir une nana plutôt que Nico, c’est une façon de démontrer qu’il n’est pas gay. Et choisir le sexe plutôt que l’amour, c’est une façon de prouver qu’il n’a besoin de personne. Mais c’est surtout à lui-même qu’il a besoin de prouver tout cela. Car ton pote n’assume toujours pas qui il est.
Au passage, il est très dur avec Nico et se comporte avec lui comme gros con macho, insupportablement arrogant. Il joue le chaud et le froid en permanence. Et là, il va très loin, il l’humilie sciemment.
Son regard dépité, abasourdi, dégoûté, te fait mal au cœur. Dans son regard, tu vois de la colère, de la frustration, de l’incompréhension.
Vendredi 6 juillet 2001.
« Thibault ! ».
Tu ne l’avais pas vu arriver, mais tu reconnais sa voix. Tu le cherches du regard, et tu le captes. Nico est revenu te voir à la sortie de ton boulot. Nico est le garçon qui couche avec ton meilleur pote. Ce même pote, Jé, pour qui tu ne peux t’empêcher de ressentir de la tendresse et du désir. Nico a pris la place dans le cœur et dans le pieu de ton pote Jé que tu aurais voulu pour toi.
Tu devrais être jaloux de lui, le détester. Mais tu n’y arrives pas. Au contraire, ce garçon te touche. Tu sais ce qu’il ressent, parce qu’il aime le même garçon que toi. Tu sais ce qu’il aime chez son Jérém, tu sais pourquoi il l’aime. Tu sais qu’on ne peut pas ne pas aimer Jé, quand on le connait un peu. Alors, tu as envie de lui offrir les clés pour bien le connaître.
Ça te fait plaisir de le voir, de parler de ton pote avec lui. De l’aider. Tu sais que ton pote peut se montrer caractériel, impulsif, injuste. Et tu as envie de faire en sorte que ça se passe bien entre eux. Parce que tu sais que, malgré sa difficulté à accepter tout cela, cette relation fait du bien à ton pote, elle lui offre un certain équilibre. Cet équilibre dont il a besoin pour ne pas être tenté de faire des bêtises. Tu t’inquiètes tout le temps pour ton pote. Parce que tu sais qu’en dépit de ses airs de petit dur qu’il se donne, au fond de lui, il est fragile.
Ça fait près d’une semaine que tu ne l’as pas vu. Tu devines que s’il est revenu te voir, c’est qu’il se passe quelque chose avec son Jérém et qu’il a besoin de tes conseils. Tu es content qu’il vienne te voir.
— Salut, toi ! tu lui lances après avoir traversé la rue.
Mais il y a autre chose qui te rend les rencontres avec Nico bien plaisantes. C’est le regard qu’il pose sur toi.
C’est un regard qui s’attarde sur toi, sur ton corps, un regard qui cherche ton regard. C’est un regard de garçon qui aime les garçons. Tu sais que tu lui plais. Et ça te fait plaisir, ça te flatte. Tu sais comment c’est bon de regarder un garçon. Et dans son regard tu lis ce plaisir, le plaisir qu’il a à te regarder.
Tu sais que tu plais aux nanas, et tu sais que tu plais aux garçons aussi. Ce n’est pas la première fois que tu ressens sur toi le regard d’un garçon. C’est arrivé parfois en boîte de nuit, parfois dans la rue.
Tu avais donc invité Nico à prendre un verre en terrasse d’un bistrot, et il t’avait demandé si tu avais des nouvelles de Jé, si tu lui avais parlé dernièrement.
— Oui, lundi en début d’après-midi. Il était super content d’avoir le bac. Je crois qu’il n’y croyait pas vraiment !
— C’est un peu grâce à toi qu’il l’a eu, tu appuies.
— Oui, un tout petit peu grâce à moi…
Tu sens que Nico a besoin de s’ouvrir à toi, mais il n’ose pas. Il ne sait pas par où commencer, et comment amener les confidences. Tu te charges donc de le mettre à l’aise.
— Ça a été ta soirée au KL samedi dernier ?
Tu sais très bien que ça n’a pas été. Ton connard de pote l’a bien chauffé avant de partir avec une nana sous ses yeux. Nico doit remuer la scène sans cesse depuis une semaine.
— Ouais, ça a été, il te répond à l’évocation de ce souvenir, l’air tout aussi dégouté que le soir-même.
— Quand je t’ai vu discuter avec Jéjé, j’ai cru que vous rentreriez ensemble.
— Moi aussi… mais il avait mieux à faire, il lâche, le regard ailleurs.
— Tu parles de cette nana ?
— Oui.
— Cette nana ce n’est rien pour lui, juste un coup. Une façon pour maintenir sa réputation.
Soudain, Nico semble gêné par cette conversation. Son regard est de plus en plus fuyant.
— Nico, tu n’as pas à être gêné avec moi. Tu, sais, je peux tout entendre, je ne juge personne, tu lui glisses doucement, tout en saisissant ses mains.
Il a l’air de bien aimer ce contact. Son regard cherche enfin le tien. Nico a de beaux yeux noisette, un regard clair, on y lit chacune de ses émotions.
— Je comprends ce que tu as pu ressentir, tu lui glisses.
Oui, tu le comprends. Parce que tu as ressenti la même sensation d’abandon, de solitude, de manque, de frustration depuis des années, à chaque fois que tu l’as vu partir avec une nana.
Tes mots semblent ouvrir un boulevard pour accueillir ses confidences. Il a l’air soulagé.
— C’est pas facile, tu sais, il finit par lâcher.
Et là, soudain, dès ces mots expulsés, tu as l’impression qu’il respire à nouveau.
— Je sais que c’est pas facile.
Tu vois que Nico hésite encore, qu’il est débordé par l’émotion. Tu sais, tu vois qu’il a envie de te mettre dans la confidence, mais qu’il ne sait pas jusqu’où aller pour ne pas mettre son Jérém en porte-à-faux vis-à-vis de toi. Il doit bien se douter que ce dernier ne t’a rien dit au sujet de ce qu’il y a entre eux, et que ton pote n’aimerait pas que ce soit lui qui t’en parle.
— Ce qu’il y a entre Jéjé et toi, ça ne regarde que vous. L’important, c’est que vous soyez heureux.
Tu le regardes droit dans les yeux et tu te perds dans son regard à la fois doux, ému, amoureux, craintif, perdu.
Tu as envie de le prendre dans tes bras.
— Alors, tu sais… il finit par lâcher.
— Je l’ai su la première fois que je t’ai croisé sur son palier, un soir où tu allais réviser chez lui.
— Je me souviens, oui.
— J’étais passé chez lui pour prendre un verre comme je le faisais souvent. Mais ce soir-là j’avais eu l’impression que ça lui tardait que je parte. Et quand je t’ai vu, j’ai compris qu’en réalité il était impatient que tu arrives. Il ne voulait pas que nous nous croisions, je pense.
— Mais c’est arrivé…
— Oui. Et tu avais l’air si heureux d’aller le voir. Je me suis dit que toute cette impatience chez lui et chez toi ne pouvait pas être provoquée par l’envie de réviser.
— J’imagine que Jérém ne t’a rien dit…
— Non, bien sûr. A part le fait que vous révisiez ensemble. Mais j’ai quand même eu l’impression que ta présence apportait quelque chose de positif dans sa vie.
— Déjà, c’était bien la première fois que je voyais Jéjé réviser autant. Ensuite j’ai commencé à te voir apparaître en boîte lors de nos sorties. Je t’ai vu parfois partir seul avec lui. Je me souviens tout particulièrement de cette soirée au Shangaï où il s’était battu avec un type dans les chiottes. Mais il n’a jamais voulu me dire ce qui s’était vraiment passé. On a toujours été comme des frères, et il m’a toujours parlé de ses galères. Et là, le fait qu’il ne veuille pas m’en parler m’a fait me poser plein de questions.
— Je ne sais pas trop non plus ce qui s’est passé… je suis parti aux chiottes et j’ai croisé un mec saoul. Je sais pas, j’ai dû le regarder un peu trop, et il s’est mis en pétard. Heureusement, Jérém est arrivé pile à ce moment-là, et il m’a défendu. Le sang qu’il avait sur le t-shirt venait du nez du mec qui avait vu une cloison d’un peu trop près.
La réponse de Nico remue pas mal des choses dans ta tête. Ainsi, ton pote s’est battu pour le défendre. C’est un beau geste de sa part. Mais pourquoi ne pas avoir voulu t’en parler ? Pourquoi ces cachotteries ? De quoi a-t-il peur ? Pourquoi t’éloigne-t-il de ses confidences ?
Visiblement, il se passe quelque chose entre ton pote et Nico.
— Ah, d’accord, je comprends mieux.
Ta pensée déborde de tes lèvres. Et puis, une autre encore.
— Je crois vraiment qu’il t’aime bien, tu sais…
— Moi aussi je l’aime… bien… tu l’entends te glisser, touché.
— Après cette soirée, il continue, j’ai eu l’occasion de te côtoyer un peu. Et j’ai senti à quel point Jéjé compte pour toi. J’ai trouvé super mignon que tu viennes à la brasserie juste après que je t’avais appris pour son nouveau taf.
— Je devais avoir l’air con !
— Non, pas du tout. J’imagine que tu craignais sa réaction…
— Oui, exactement !
— Mais ça s’est bien passé, t’as vu ? Jéjé avait l’air heureux de te voir débarquer.
Nico a enfin l’air soulagé d’avoir abordé le sujet avec toi. Tu le sens davantage à l’aise. Tu sens qu’il envie de se confier à toi. Et tu l’y encourage.
— Depuis que vous… tu cherches pourtant tes mots. Tu hésites. Tu sais qu’il faut y aller avec tact.
— Depuis que nous révisons, il finit par trancher.
— Oui, depuis vos révisions, Jé a changé. Disons que sa vie est un peu plus rangée. J’aime autant le voir rentrer avec toi que le voir picoler toute la nuit. Mais à côté de ça, je vois bien qu’il a du mal à assumer votre relation. Je crois que ce qui se passe entre vous, il ne l’a pas vu venir. Ça lui est tombé sur la tête et il en est encore un peu assommé.
— Mais c’est lui qui a voulu que ça se passe !
— Je te crois, Nico. Mais c’est pas parce qu’il l’a voulu que c’est facile à assumer. J’imagine bien qu’il l’a voulu, car je le connais assez pour savoir qu’on ne peut lui imposer quoi que ce soit. Mais je pense que ça lui a échappé des mains. Je ne pense pas qu’il imaginait que votre relation allait à ce point changer sa vie.
— Quand je le voir repartir du KL avec une nana, je me dis que ça n’a rien changé…
— Si, au contraire. Ça a changé beaucoup de choses. Je te le répète, cette nana n’a aucune importance. Je pense que votre relation l’a révélé à lui-même. Et le fait qu’il n’ait jamais eu envie de m’en parler, alors qu’il m’a toujours tout dit, me laisse penser qu’il doit vraiment avoir du mal avec tout ça.
Nico a l’air ravi d’entendre tes mots.
— Je voudrais vraiment pouvoir penser que je représente quelque chose pour lui…
— J’en suis certain, Nico. Je pense juste qu’il a du mal à l’admettre.
— J’en sais rien. Moi, tout ce que je vois, c’est qu’il me sonne quand ça l’arrange et qu’il me jette quand il a eu ce qu’il veut.
— Tu ressens quoi pour lui ? tu veux savoir.
— Je… je… il hésite.
— Je suis fou de lui, il finit par glisser, comme un cri du coeur.
Une question simple appelle une réponse simple. C’est lâché. Je suis fou de lui. Tu l’as bien entendu. Nico est fou de ton pote. Fou d’amour. Comment aurait-il pu en être autrement ? Au fond de toi, tu le savais. Mais tu avais besoin de l’entendre de sa voix. Ça te rassure. Et ça te fait mal. Il a de la chance, ce Nico. La chance de pouvoir dire « je suis fou de lui ». De le dire devant toi, et certainement à sa cousine, avec qui il a l’air si complice. Et de le montrer à son Jérém. Toi aussi, tu es fou de lui. Mais jamais tu oseras en parler à qui que ce soit. Et encore moins le montrer à ton pote.
Ça te manque, ça, n’est-ce pas Thibault ?
Ça te manque d’avoir un confident pour parler de ce qui te trouble, de ces sentiments que tu sens poindre en toi.
Es-tu prêt à assumer que tu n’es probablement pas celui que tout le monde attend que tu sois ? Es-tu prêt à assumer ce que tu ressens pour ton Jéjé ? Es-tu prêt à assumer les conséquences que cela pourrait avoir sur votre amitié ? Sur vos potes, sur le rugby ?
Tu as le cœur lourd, tu as besoin de parler. Mais à qui aller raconter ça ?
Ces mots de Nico t’obligent à regarder la vérité en face. Jérém&Nico ce sont des mots qui vont très bien ensemble. Jérém&Thibault, aussi. Mais tu sais qu’il n’y aura jamais de Jérém&Thibault.
Nico semble très secoué. Il n’est pas simple d’aimer un garçon comme ton pote. L’aimer, c’est s’offrir un immense bonheur. Mais aussi se condamner à des grandes déceptions, à de profondes blessures.
Tu décèles son malaise. Tu resserres un peu plus tes mains autour des siennes, tu veux vraiment le rassurer.
— C’est ton premier mec ? tu le questionnes.
— Oui, mon premier, il admet, touché et ému.
— Et tu es heureux, Nico ?
— Je n’en sais rien… quand je suis avec lui, je suis bien. Mais lui il veut juste coucher.
— Et toi tu voudrais plus.
— Je ne veux pas me marier avec lui. Mais je ne serais pas contre un peu de tendresse, une peu de considération. Et j’ai rien de tout ça. Quand je rentre chez moi, je me sens mal. Tu comprends ?
— Oui, très bien. Mais malgré tout, tu sais, je crois vraiment que tu es plus qu’un amant pour Jérém.
— Bah, il devrait le montrer un peu plus alors, car moi je ne vois qu’un mec qui a envie de tirer son coup et qui me jette juste après.
— Je comprends, ça ne doit pas être facile à vivre pour toi.
— Non, pas facile du tout. Et puis, de toute façon il va partir, alors c’est pas la peine de continuer à me faire du mal.
— Comme je te l’ai dit, moi aussi j’appréhende son départ. Jérém est comme un frère pour moi, un jeune frère, même si on a le même âge. Nous avons tout vécu ensemble, depuis l’enfance jusqu’à aujourd’hui. Jéjé a beaucoup de qualités, et beaucoup de défaut aussi, à partir de son sale caractère. Mais c’est mon pote depuis toujours, et je l’adore. Jéjé est vraiment mon meilleur pote et il compte énormément pour moi.
Tu bois une gorgé de bière et tu continues :
— Je sais que Jérém est un homme désormais. Un homme qui n’a besoin de personne pour vivre sa vie. Mais je sais aussi que ce petit bout d’homme a parfois besoin d’être canalisé. Quand il sera loin, je ne pourrai plus l’empêcher de boire le verre de trop, ou l’empêcher de conduire ou de se bagarrer quand ce verre il l’aura quand même bu. Je sais bien que Jéjé peut se comporter comme un parfait petit con. Mais au fond c’est un bon gars.
— Je le pense aussi. Mais c’est dur, trop dur de l’aimer. Je n’ai même pas le droit de lui montrer que je l’aime. Si je le fais, je me fais jeter ! Et ça me fait un mal de chien !
— Je sais qu’il peut être très dur, même méchant, qu’il fait souvent n’importe quoi quand il se sent dos au mur. Jérém a beaucoup souffert quand sa mère est partie, et aujourd’hui encore je crois qu’il a peur de s’attacher aux gens, car il a peur qu’on le laisse tomber à nouveau. Et puis, j’imagine que pour un mec aussi populaire que lui, s’attacher à un mec, ce n’est vraiment pas simple à assumer. Il doit avoir peur du regard des autres, et peur de perdre sa popularité, si ça venait à se savoir.
— Je vois, oui, il admet.
— Mais si ça peut t’aider, je ne l’ai jamais vu amoureux d’une nana. Et jamais une de ses relations n’a duré autant que la vôtre, si houleuse soit-elle. Je pense qu’il est perdu en ce moment, qu’il se cherche. Et qu’il a vraiment besoin de toi.
— Je l’ai vraiment dans la peau, mais il me fait trop mal !
— Je te promet que ce gars en vaut la peine.
— Je sais plus quoi penser, il fait, complètement perdu.
— Si tu l’aimes vraiment, tu ne dois pas baisser les bras. C’est vrai qu’il va peut-être partir à la rentrée, et toi aussi, d’ailleurs. Mais il vous reste deux mois pour être ensemble. Ce serait dommage de gâcher ce temps.
Vos regards s’accrochent, s’aimantent l’espace d’un instant. Définitivement, il émane du regard de ce petit mec un amour débordant. Tu sais qu’il est sincère quand il dit « je suis fou de lui ».
Tu aimerais rester encore, continuer à parler avec Nico, lui poser plein de questions sur comment il vit le fait d’aimer les garçons, mais tu dois y aller.
Le beau mécano relâche l’étreinte autour de mes mains, il finit la dernière gorgée de sa bière et me lance :
— Ça me fait plaisir que tu sois venu me parler. Je te trouve sympa comme mec !
— Le plaisir est pour moi. Moi aussi je te trouve très sympa !
Tu te lèves. Il se lève à son tour. Tu lui tends la main. Puis, tu enserres son épaule, fermement, chaleureusement, amicalement. Tu as envie de lui transmettre toute ta bienveillance et l’encourager à venir te parler à nouveau, quand il en ressentira le besoin. Tu l’attires vers toi, tu te penches vers lui, tu approches ton visage du sien, et tu lui claques une bise.
Nico semble surpris.
— On est potes maintenant, tu lui glisses à l’oreille.
Une phrase qui semble lui aller droit au cœur.
— Ça me fait plaisir, vraiment…
— Ne le lâche pas, Nico, tu lui lances en partant.
En partant en direction de la gare Matabiau, tu es traversé par des sentiments contrastés. Tu es content d’avoir pu parler avec Nico, d’être désormais dans la confidence de son histoire avec ton pote Jé. Et tu sais que ça lui a fait du bien de s’ouvrir à toi.
Mais au fond de toi, tu sais que le coming out de Nico t’a bien remué. A qui peux-tu parler, de ce garçon qui te trouble, qui fait battre ton cœur ? Pas à ce garçon, ni à Nico, ni à personne d’autre.
Les regards des garçons.
Oui, Thibault, tu sais que tu plais aux nanas, et tu sais que tu plais aux garçons aussi.
Tu repenses parfois à Jordan, un gars de ton lycée. Tu l’avais repéré en première. Il n’était pas dans ta classe, mais tu le voyais à chaque récréation. Il était grand, mince, brun, avec de beaux cheveux. Il traînait souvent avec des filles, ou bien il était seul dans son coin avec un journal sportif. Et il ne manquait jamais de te regarder. C’était comme s’il te cherchait. En fait toi aussi tu le cherchais. Quand il n’était pas là, son regard te manquait. Car il y avait dans ce regard une tendresse, le plaisir de te regarder, ainsi qu’une certaine insolence. Son regard te faisait te sentir bien. Déjà, parce dans ce regard tu te sentais désiré. Et puis, parce que dans ce regard tu sentais la force de son caractère, le caractère d’un garçon qui ose regarder un autre garçon et qui assume le plaisir qu’il ressent en le regardant.
Un jour, peu avant les vacances, tu es allé lui parler. Tu l’as trouvé sympathique et tu as continué à lui parler de temps à autre. Il te questionnait sur tes matches, et ça te faisait plaisir qu’il s’intéresse à toi. Ce qui l’intéressait à lui, c’était l’informatique. Et puis, il y a eu les vacances d’été.
Pendant l’été, tu avais souvent pensé à Jordan, à son regard, et tu avais regretté de ne pas lui avoir proposé d’aller prendre un verre pour mieux le connaitre. Tu avais regretté de ne pas lui avoir donné ton téléphone et de ne pas lui avoir demandé le sien. Il te tardait de le retrouver en septembre.
Hélas, à la rentrée de terminale, tu ne l’as plus vu. Tu l’as cherché partout, pendant des jours et des jours. Tu as fini par questionner les nanas avec qui tu le voyais traîner parfois, on t’a appris qu’il avait déménagé. Ça t’a rendu triste. Tu as ressenti en toi un grand sentiment de solitude.
Plus tard, il y a eu des regards dans les vestiaires, sous les douches, des regards sur ta nudité. Tu sais bien que les garçons aiment regarder pour se comparer, mais certains regards comparent plus souvent et plus longtemps que d’autres. Et, après avoir bien « comparé », certains regards sont plus réguliers, plus récurrents, plus insistants, plus gênés, plus troublés ou bien plus audacieux que d’autres. Tout comme le tien doit l’être vis-à-vis de certains garçons. Et, en particulier, vis-à-vis de ton pote Jé.
Tu t’es longtemps demandé s’il ne s’était pas rendu compte de tes regards. Et tu as fini par te dire que c’était bien le cas. D’ailleurs, lorsque tu cherchais son regard dans les vestiaires, sous les douches, il était toujours au rendez-vous. Tu avis même l’impression que ça lui faisait plaisir que tu le regardes. Il cherchait ton regard et quand il le croisait il avait ce petit sourire malicieux qui le rend craquant. Tu avais même l’impression qu’il faisait le pitre pour attirer ton attention et croiser ton regard. Pour le sentir sur lui, comme une caresse. Comme une flatterie.
D’ailleurs, son regard te flattait aussi.
Et puis il y a eu les regards à ton travail, en boîte de nuit, dans la rue. Tu sais que tu as un physique qui attire l’attention, mais tu ne t’es jamais autorisé à t’imaginer comme étant beau. Et tu ne t’es jamais autorisé à tenter de découvrir ce qui se cachait vraiment derrière ces regards, à aller au bout de tes intuitions et de tes envies.
Une fois, à l’occasion de l’une de ces soirées où ton pote Jé t’avais fait faux bond pour rentrer avec Nico, tu étais rentré avec Thomas, l’un de vos camarades du rugby. Il était bien torché, et il était très tactile, plus que d’habitude. Pendant tout le trajet, il n’avait pas arrêté de tâter ton biceps, tes pecs, tes abdos.
— Tu es vraiment bien foutu, mec, j’adorerais avoir un physique comme le tien !
Tu sais comment est foutu Thomas, et tu sais qu’il n’a rien à t’envier, à aucun niveau.
— Mais tu es bien foutu aussi…
— C’est vrai, je suis bien foutu ! il avait admis, en ôtant son t-shirt.
Cette nuit-là, tu l’avais trouvé particulièrement beau. Tu l’avais accompagné chez lui et il t’avait pris dans ses bras, il t’avait fait des bisous dans le cou, des caresses dans le dos. Des gestes de mec saoul, et pourtant des gestes qui t’avaient immensément troublé. Tu avais bandé. Pendant un instant, tu y avais cru. Tu avais failli. Est-ce que Thomas aussi avait failli ?
Mais il était vraiment trop saoul. Alors, comment savoir si ses gestes et ses attitudes n’étaient inspirés que par son degré d’alcoolémie extrême ? Comment savoir ce qui se serait passé « après », si jamais il s’était passé quelque chose « avant » ?
De toute façon, Thomas était KO. Même s’il en avait vraiment eu l’intention, il n’aurait pas eu pas les moyens de ses ambitions. Aussitôt assis sur le canapé, il avait aussitôt pioncé. Tu l’avais regardé pendant un moment, endormi, avachi sur le canapé, torse nu, et tu l’avais trouvé particulièrement attirant.
Tu t’étais demandé ce que ça fait d’offrir du plaisir à un garçon. Lorsque tu t’imagines découvrir le plaisir entre garçons, lorsque tu t’offres un petit plaisir solitaire dans ton lit, lorsque tu contemples Thomas endormi sur le canapé, tu t’imagines leur offrir du plaisir. Oui, tu t’es branlé en regardant ton camarade endormi sur le canapé. L’envie était trop forte, tu n’as pas pu la contenir. Tu as joui très fort, et tu es parti sans faire de bruit, le ventre retourné par la frustration de ne pas avoir pu aller plus loin avec lui.
Au fond de toi, tu n’as rien contre l’idée d’essayer avec un garçon. Mais ça te fait peur d’emprunter cette voie, tu as peur de ne pas pouvoir faire demi-tour. La peur de l’inconnu et du définitif te bloque.
Tu sais qu’il y a des bars et des boîtes en ville où il fait bon d’être entre garçon. Tu connais les noms de certaines, l’adresse même. La Cigue et le ON OFF, l’un rue de la Colombette, l’autre sur le Canal. Le B-Machine, aux Carmes. Mais tu n’as jamais osé. Tes soirées sont consacrées à tes potes, et tu sais qu’ils ne comprendraient pas que tu leur fasses faux bond. Ton pote Jé, en particulier, ne le comprendrait pas. Même si lui, il te fait souvent faux fond, dernièrement, avec Nico.
Alors, l’univers du plaisir au masculin, de l’intimité entre garçons était resté pour toi un univers inconnu.
Samedi 7 juillet à la Bodega.
Après le bac, ton pote Jé et ses camarades de lycée ont voulu se faire une nouvelle sortie. Tu les as retrouvés après le resto, lorsqu’ils ont tous débarqué à la Bodega. Après avoir fait la bise à ton meilleur pote, tu as été saluer son mec. Ça te fait une drôle de sensation de penser à Nico comme au mec de ton meilleur pote. Et pourtant, tu sais désormais que c’est bien le cas.
— Tout va bien ? tu le questionnes.
— Oui, ça va…
— Et Jérém ?
— Je ne sais pas trop…
Nico a l’air un peu perdu.
— Laisse faire, sois toi-même. Il va venir à toi tout seul. Allez, je vais y aller, sinon quelqu’un va prendre ma place au billard ! A tout’ ! tu lui lances, avec un clin d’œil charmant.
Tu as passé un long moment à jouer au billard avec ton Jé et d’autres potes. Puis, Jé a dit en avoir marre et a passé sa queue de billard à un autre gars et est parti faire un tour. Un tour qui a duré fort longtemps.
Un tour pendant lequel Nico a disparu lui aussi des radars. Tu cherches les deux du regard, mais il n’y a pas de trace ni de l’un ni de l’autre. Tu te dis qu’ils sont ensemble. Ils sont peut-être partis ensemble. Ils sont peut-être déjà en train de coucher ensemble.
Il se passe un assez long moment avant que ton pote refasse surface. Et lorsqu’il revient, tu repères dans son brushing, dans ses fringues, dans son attitude, ces petites différences que tu connais si bien. Tu reconnais sur son visage cette petite rougeur, cette petite ivresse, cet air un brin hébété, ce je-ne-sais-quoi qui te fait dire qu’il vient de se faire sucer et de jouir. Tu l’as vu tant de fois partir aux chiottes ou dans un parking avec une nana et revenir un peu plus tard avec ce regard. Mais ce soir, tu sais que ce n’est pas avec une nana qu’il s’est isolé. Et alors que vos potes le charrient dans ce sens, tu te tais, car tu connais la vérité.
— On se retrouve au KL ? tu glisses à Nico alors que la bande de bacheliers est en train de quitter la Bodega.
— Je ne sais pas trop, je n’ai pas trop envie, je crois que je vais rentrer…
— Allez, viens faire la fête !
Un peu plus tard, le même soir, au KL.
Devant ton invitation chaleureuse, Nico a changé d’avis. Il est bien venu au KL.
Mais en boîte, ton pote Jé fait son numéro. Une fois de plus, il s’éclipse avec une nana. Nico est hors de lui. Ton pote est vraiment salaud de lui imposer ça, surtout s’il s’est passé quelque chose avec lui dans les chiottes de la Bodega un peu plus tôt dans la soirée.
Tu voudrais aller le réconforter, mais tu es retenu par d’autres potes.
Tu le retrouves, avec Jé, un peu plus tard dans la soirée. Et ils sont en train de se prendre la tête sévère.
— C’est quoi l’option que tu as à me proposer ? t’entends Nico lui demander.
— Tu fais chier !
— Pourquoi, tu es jaloux ?
— Ferme ta gueule !
— Je ne te permet pas de…
— Ferme-là je te dis !
Ton pote t’a vu arriver et il stoppe net l’accrochage avec Nico. Ce que tu as compris, c’est que ton pote est jaloux de Nico. Que s’est-il passé ? Est-ce que ce gars bien sapé qui observe la scène un peu à l’écart y est-il pour quelque chose dans la jalousie de ton pote ?
— Ça va, les gars ? tu tentes d’apaiser les esprits.
— Ouais ! fait ton pote sèchement !
— Thierry te cherche, tu lui glisses, pour tenter de détendre l’ambiance.
— Il veut quoi ?
— Il voudrait que tu le ramènes chez lui… lui et une nana.
— Maintenant ?
— Je peux les ramener, si tu veux, mais il te faudra ramener les autres plus tard.
— Non, c’est bon, j’y vais maintenant.
— T’es sûr ?
— Oui !
— T’as pas trop bu ?
— Je te dis que ça va aller ! Je vais rentrer. J’ai besoin de dormir avant le match de demain.
— Tu me ramènes ? tu entends Nico le questionner.
— Ouais…
— Ok, rentrez bien alors, tu leur lances.
— On se voit demain aprèm, te glisse ton pote, tout en passant un bras derrière ton épaule et en y allant franco de la bise, alors que vos pectoraux, tout juste séparés par deux fines couches de coton, se frôlent. Ça te donne des frissons.
Tu es tellement heureux pour ton pote et pour Nico. Et pourtant, tu ne peux faire taire ce pincement au cœur qui ne t’a pas lâché de toute la soirée.
Lundi 9 juillet 2001.
— Salut, c’est Nico, tu vas bien ?
Le coup de fil de Nico ne t’a pas vraiment surpris. Tu t’y attendais, après l’accident de ton pote lors du match de dimanche dernier.
— Oui ça va, et toi ?
— Moi ça va.
— J’ai appris que Jérém s’est blessé, hier, pendant le match.
— Oui, c’est vrai.
— Et c’est grave comment ?
— C’est l’épaule qui est touchée. Apparemment il n’y a rien de cassé, mais il a pris un sacré pet’ !
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Ecoute, Nico, si tu veux, je vais débaucher dans pas longtemps. Si tu veux passer au garage, on ira prendre un verre et on pourra parler plus tranquillement.
Après avoir raccroché, tu attends avec impatience l’heure de débaucher et l’arrivée de Nico. Il arrive au garage pile au moment où tu en sors.
En lui faisant la bise, tu es touché par la douceur de sa peau. Tu te dis que ce Nico est vraiment un beau petit mec.
— Tu l’as eu depuis hier ? tu le questionnes, dès que vous êtes installés dans la terrasse du même bistrot que la dernière fois.
— Non.
— Et comment tu as su pour sa blessure ?
— Comme il ne répond pas à mes messages, tout à l’heure je suis passé à la brasserie. Et j’ai entendu son patron dire à un employé qu’il serait en arrêt maladie jusqu’à jeudi. Je l’ai appelé en partant de la brasserie, mais je suis tombé sur son répondeur. Je suis passé le voir, mais il n’était pas chez lui.
— Je sais qu’il devait revoir un médecin aujourd’hui.
— Qu’est ce qui est arrivé, alors ?
— Au milieu de la deuxième mi-temps, un joueur de Cugnaux l’a plaqué violemment au sol. Et Jéjé est mal tombé.
— Merde…
— Le match a été dur.
— Toi non plus tu n’as pas l’air en forme, il considère en fixant les marques sur ton visage.
— Ça va, ce ne sont que des égratignures.
— Et comment ça s’est fini le match ? Vous avez gagné ?
— Oui, mais vraiment de justesse. Sans Jéjé pour marquer, ce n’est pas la même équipe.
— Je ne sais pas ce qui s’est passé, hier après-midi. Jéjé était complètement ailleurs, tu enchaînes, après avoir bu une bonne gorgée de bière.
— Ailleurs… comment ?
— Déjà, il est arrivé en retard. Et puis, il avait l’air complètement à côté de ses pompes.
— Il est arrivé à quelle heure ?
— Vers 14 heures, tout juste avant le début du match. Et ça ne lui ressemble pas du tout.
— Ah, bon… il s’étonne.
— Il était de mauvais poil, il a tout juste dit bonjour. Et pendant le match on aurait dit qu’il tournait au ralenti. Il a multiplié les erreurs, il a raté pas mal d’occasions de marquer.
— Quand l’autre équipe a commencé de prendre l’avantage, Jéjé a commencé à s’énerver. Il était tendu comme un string, et il a été insultant avec certains joueurs. Il a même failli provoquer une bagarre et se faire expulser du terrain.
— Je ne l’ai jamais vu jouer aussi mal. Et surtout, je ne l’ai jamais vu s’énerver de cette façon dans un match, surtout si près de la finale. L’entraîneur était fou !
— Je ne l’ai jamais vu dans cet état, tu continues, Jérém est le capitaine de l’équipe, et l’équipe a besoin de son capitaine. Mais notre capitaine était aux abonnés absents. Nous avons été dominés pendant presque tout le match. Et nous avons eu un bol fou de pouvoir remonter vers la fin, grâce notamment à des erreurs de l’équipe adverse.
— Nico, est-ce qu’il s’est passé quelque chose l’autre nuit ? Est-ce que vous vous êtes disputés ?
Tu as besoin de savoir, tu as besoin de comprendre
— Non, non, il ne s’est rien passé de spécial. Mais on s’est couché tard, et il était peut-être juste fatigué.
— Tu as passé la nuit chez lui ?
— Oui.
— Et il était comment hier matin ?
— Quand je me suis réveillé, il était déjà parti.
— Et tu t’es réveillé à quelle heure ?
— Un peu après midi, mais je pense qu’il était parti depuis un moment.
— Mais qu’est-ce qu’il a foutu entre midi et deux ?
— Je me le demande aussi.
— Son prétexte d’avoir eu un problème de voiture ne tient pas la route, tu considères.
— Au fait, qu’est-ce qui s’est passé quand vous êtes repartis du KL ? Il avait l’air contrarié, tu reviens à la charge.
— Il s’est passé que j’ai failli partir avec un autre gars.
— Un gars… comme toi ?
— Oui. En fait, j’ai vu Jérém partir avec une nana et j’ai cru qu’il rentrerait avec elle.
— C’était pas du tout ça…
— Je sais, il m’a expliqué. Mais sur le coup, ça lui ressemblait. Et ça m’a foutu en l’air. Un peu plus tard, j’ai croisé ce gars qui m’a dragué et m’a proposé de rentrer avec lui. Je n’aurais pas dû accepter son invitation…
— Tu n’as pas à te justifier, Nico. Je sais que Jéjé ne te rend pas les choses faciles.
— Jérém m’a vu partir avec le gars et il m’a fait une scène.
— Sacré Jéjé !
Tu es à la fois impressionné et amusé.
— Tu sais, c’est pas facile de suivre avec Jérém.
— Je le sais, je le sais. Même être pote avec un gars comme Jérém, ce n’est jamais de tout repos. Et encore moins de jouer avec lui, surtout quand il y a un raté comme hier et qu’il ne veut rien expliquer.
— Et il va comment, sinon ? Niveau moral, je veux dire…
— Pas terrible. Il s’en veut énormément d’avoir foiré son match. Il était tellement déçu de devoir quitter le terrain !
— J’espère vraiment qu’il pourra jouer dimanche prochain !
— Pour l’instant, on n’en sait rien. Ça dépend de comment son épaule va évoluer.
— Et s’il ne peut pas jouer ?
— S’il ne peut pas jouer, ça va bien compliquer les choses. Déjà, nos chances de gagner vont être réduites. Et puis, si Jéjé se retrouve sur le banc de touche, ça ne va vraiment pas lui plaire. Surtout après tout ce qu’il a donné pour arriver en finale…
— Il s’est beaucoup investi ?
— Enormément ! Ce tournoi devait être notre revanche sur la malchance de l’an dernier !
— Qu’est-ce qui s’est passé l’an dernier ?
— Nous avons été éliminés en demi-finale, si près du but. Nous étions tous déçus, mais Jérém était en miettes. Alors, cette année il a redoublé d’efforts, comme nous tous, mais lui plus encore que les autres. Il tient vraiment à gagner ce tournoi, et à le gagner avec l’équipe. Surtout maintenant, alors qu’il y a de fortes chances qu’il ne fasse plus partie de l’équipe à la rentrée. S’il ne peut pas jouer, même si on gagne – et je ne te parle même pas si on perd – je sais que Jéjé va péter un câble !
— J’espère vraiment qu’il va être en forme pour dimanche prochain !
Nico a l’air vraiment inquiet.
— Moi aussi !
— J’imagine.
— Ce qui m’embête, c’est que je sens qu’il y a quelque chose qui le tracasse, mais qu’il ne veut rien me dire. J’ai toujours cru qu’il me considérait comme son meilleur pote…
— Mais c’est le cas. Je pense que pour Jérém ton amitié compte plus que tout au monde, plus que le rugby, même. Quand je l’entends parler de toi, je sens qu’il a énormément d’estime et d’affection pour toi. Il sait qu’il a la chance de t’avoir, car tu es vraiment un chouette gars !
Tu l’écoutes attentivement, et tu es touché par l’émotion que ses mots ont fait monter en toi.
Tu te sens « mis à nu » sur l’un des aspects les plus intimes de ta vie, ton amitié avec ton pote Jéjé.
Définitivement, derrière ton apparence de mec solide, tu n’en demeures pas moins un garçon excessivement sensible et avec des vrais besoins affectifs, comme tout un chacun. Même les super héros ont un cœur sensible.
Un sourire pudique vient essayer de contenir une émotion pourtant manifeste. Nico est lui aussi au bord des larmes. Tu ressens soudain l’envie de le serrer très fort contre toi, de le câliner, le réconforter.
Oui, de tout temps si protecteur, si rassurant, en permanence en train de veiller sur ton pote et de faire attention aux autres, tu mériterais toi aussi de connaître de temps à autre le bonheur de pouvoir te laisser aller, de te sentir réconforté.
Mais qui veille sur toi, Thibault ? Qui te prend dans ses bras quand tu as besoin d’être réconforté ?
La sonnerie de ton portable se met à retentir.
— Désolé, je dois répondre, c’est important.
— Désolé, Nico, je dois y aller.
— Rien de grave, j’espère…
— Non, enfin… je ne sais pas trop encore. Apparemment il y aurait un feu dans un immeuble aux Sept Deniers. Je suis d’astreinte, là, je dois me rendre à la caserne au plus vite.
— Je ne savais pas que tu étais pompier…
— Je suis juste volontaire. Désolé, je dois vraiment y aller, Nico. On se recapte un de ces quatre si tu veux, et je te tiens au courant pour Jéjé. T’en fais pas, ça va aller, j’y veille, tu tentes de le rassurer en partant.
Lundi 9 juillet 2001, au soir.
Allongé dans ton lit, les draps propres posés sur ta peau fraîche tout juste douchée, tu attends le sommeil.
Tu repenses à ta journée. Au garage, ça a encore été une journée bien remplie. Tu aimes ton métier. Depuis un an, tu sais que tu as beaucoup appris. Tu sais que ton patron t’apprécie beaucoup. Et tu te donnes à fond. Les gars avec qui tu bosses sont sympas, et il y a une bonne ambiance. Et pour ta part, tu fais tout ton possible pour qu’elle le reste. Tu es toujours prêt à donner un coup de main quand on te le demande, tu discutes avec tout le monde, et avec le sourire en prime.
Être pompier volontaire, ça aussi, tu aimes. L’intervention de l’après-midi s’est bien passée. Plus de peur que de mal. Juste un feu de poubelle. Encore des mômes désœuvrés. C’est moche de ne pas avoir un but dans la vie, de ne pas avoir mieux à faire de ses journées que de mettre le feu à des poubelles. C’est triste, car un simple feu de poubelle peut faire d’importants dégâts et mettre des vies en danger. Et puis, c’est con et injuste de faire déplacer des pompiers pour des bêtises comme ça. Car ils ont mieux à faire.
Mais il vaut encore mieux des interventions de ce style que de devoir se rendre sur un accident de la route.
Tu n’as pas oublié ce que tu as vécu dans l’une de tes toutes premières missions, lorsque tu avais tout juste 18 ans. Tu n’oublieras pas cette sensation d’impuissance, cette angoisse qui t’avait pris aux tripes et qui t’avait paralysé pendant un temps, ce désespoir, cette désolation qui s’étaient emparés de toi face à une voiture encastrée sous un camion.
Tu te souviens du sang, des chairs meurtries, de la souffrance, de la vie en danger qui se révèle dans toute sa fragilité.
Tu étais parti dans un coin et tu avais pleuré. Tu étais en miettes. Tu t’étais demandé si tu pourrais tenir, si tu pourrais assumer tout ça, si tu pourrais rester pompier.
Un collègue était venu te trouver. Joris était un peu plus âgé, et il avait su trouver les mots pour te calmer. Il t’avait rappelé le devoir de secourir ceux qui se trouvent en danger et qui ont besoin d’aide, le devoir d’être fort, de faire face à la souffrance et de tenter de la contenir.
Il t’avait dit qu’on ne peut pas toujours tout sauver et tout le monde, mais qu’il est du devoir d’un pompier d’essayer encore et encore, de tout tenter et de ne jamais baisser les bras. Il t’avait expliqué qu’un bon pompier doit savoir prendre sur lui et ne pas laisser son empathie, son humanité l’empêcher de faire son taf. Mais qu’en même temps, il ne doit jamais laisser cette empathie et cette humanité lui échapper, même après les chocs les plus durs. Car ce sont bien ces deux qualités, en plus du courage, qui font qu’un pompier est un bon pompier.
Depuis ce jour, Thibault se dit que Joris, un mec gersois fils de vigneron, est vraiment un bon gars, un exemple pour toi.
Tu as toujours voulu être pompier. C’est une vocation qui s’était déclarée en toi lorsque tu n’avais que sept ans, lorsque les hommes du feu t’avaient secouru, avec ton père, lors d’un accident de la route.
Ce jour-là, tu avais été tellement impressionné par ces hommes, des héros à tes yeux d’enfant, que tu t’étais dit que tu devais en être un toi aussi. Tu étais tellement reconnaissant pour tout ce que ton père et toi aviez reçu, du secours, des soins, la vie sauve, que tu te sentais en devoir de rendre la pareille. Rendre service était déjà dans tes gènes.
Aider et soulager, ça allait devenir ta devise. Dès que tu avais eu l’âge de rentrer dans le corps des pompiers volontaires, tu n’avais pas hésité. Et tu avais trouvé une nouvelle famille dans laquelle tu avais rencontré des gars exceptionnels, comme Joris, le collègue pompier qui t’avait guidé depuis tes premiers pas.
Ce soir, tu es fatigué, mais tu te sens bien.
Entre le taf et l’intervention, il y a eu cette rencontre avec Nico, une rencontre intéressante. Tu regrettes juste d’avoir dû l’interrompre un peu brusquement à cause de l’intervention.
Certains mots de Nico t’ont vraiment touché. Tu sais depuis longtemps que l’amitié qui te lie à ton pote de toujours est profonde, sincère, irremplaçable, et tu sais aussi qu’elle l’est dans les deux sens. Et même si Jérém n’a jamais été trop bavard à ce sujet, il t’a bien montré cela au quotidien. C’est dans votre complicité, votre entente, votre confiance mutuelle que tu as ressenti la force de votre amitié.
Oui, ça fait longtemps que tu sais que tu as une place importante dans la vie de ton Jéjé. Mais entre ressentir les choses et les entendre verbalisées, il y a un trop-plein d’émotion que tu as failli ne pas arriver à contenir. Et ce, Même si cela ne t’a pas été confié par ton Jéjé, mais par Nico, c’est par quelqu’un que tu sais proche de la « source », et en qui tu peux faire confiance.
Il est si loin le temps où Jérém enfant t’avait dit « Tu es important pour moi ». En grandissant, les garçons se font souvent plus réservés sur leurs sentiments et leurs ressentis. C’était le cas pour ton pote.
Alors, les mots de Nico t’ont fait un bien fou. Tu en avais vraiment besoin. Car tu sens qu’au fur et à mesure que la relation entre Jéjé et Nico avance, la complicité avec ton pote t’échappe peu à peu.
Si tu as envie de te rapprocher de Nico, ce n’est pas pour essayer d’obtenir les confidences que tu n’as pas eues de ton pote. C’est plutôt pour garder un œil bienveillant sur ce dernier, à travers Nico, justement.
C’est très dur pour toi de te sentir tenu à l’écart de la vie de ton pote. Et c’est encore plus dur de sentir les non-dits, de plus en plus nombreux, de plus en plus encombrants, bâtir un mur invisible entre vous deux.
Et à ces « non-dits », ainsi qu’à leurs conséquences néfastes, tu as justement l’impression de t’y être cogné de plein fouet pendant le match de la veille.
Dans cette chronique d’une défaite, une image te hante plus que toute autre. Un regard, le regard de ton Jéjé à bout de forces, perdu, un regard dans lequel tu as su lire le désespoir de ton pote, l’humiliation cuisante de son incapacité à assurer le match. Un regard que tu n’arrives pas à oublier. Car c’est celui d’un mec, ton meilleur pote, défait par la honte de ne pas y arriver. Et par la peur de le décevoir, toi, l’ami de toujours.
Le regard de Jéjé pendant le match t’a vraiment marqué et attristé. Car jamais encore tu n’avais vu cette panique dans ses yeux.
Bien sûr, tu l’avais déjà vu déçu, énervé, secoué. Mais jamais à ce point dépité. Et surtout, depuis toujours, lorsqu’un match se passait mal, vous en auriez parlé, sans faute. Autour d’une bière ou d’un joint, pendant la troisième mi-temps, ton Jéjé aurait fini par te confier ce qui le tracassait. Et toi, Thibault, tu aurais joué ton rôle de grand frère, tu serais parvenu à l’apaiser, à le rassurer.
Mais pas cette fois-ci. Déjà il n’y avait pas eu de troisième mi-temps, car ton pote était parti aux urgences à Purpan avant la fin du match. Tu étais parti le rejoindre juste après la fin de la deuxième période. Lorsque tu avais débarqué à l’hôpital, Jéjé était encore en salle d’attente. Et il s’était écoulé un long moment avant qu’un médecin vienne le prendre en charge.
Ton pote était tendu, défait. Tu avais tout tenté pour essayer de le détendre, de le déculpabiliser, de relativiser, de le rassurer, notamment en appuyant sur le fait que le médecin de l’équipe était optimiste quant à sa blessure, qu’il ne l’avait envoyé aux Urgences que par pure formalité, et que malgré tout le match avait été sauvé.
Mais rien ne semblait pouvoir remonter le moral de ton pote. Et cela t’inquiétait. Car tu avais toujours su comment lui remonter le moral. Tu as depuis très longtemps été la première personne que Jéjé venait voir quand un truc important, bon ou mauvais, se passait dans sa vie ; le premier à qui il demandait conseil. Tes mots avaient pour lui une valeur. Mais ce n’était plus le cas.
Jéjé était fermé comme une huître et il s’était même montré agacé par tes tentatives de lui faire la conversation.
Tu avais été surpris et déçu, et tu avais fini par te taire. Tu avais attrapé une vieille revue auto sur la table basse juste à côté et tu t’étais plongé dedans. Ce silence pesant te blessait et faisait la distance avec ton pote s’agrandir encore un peu plus.
Tu as bien remarqué que, depuis quelques temps, ton Jéjé a bien changé. Et il ne t’a pas échappé aussi que ce « depuis quelques temps », correspond bien au début des révisions avec Nico.
Pour commencer, tu ne l’avais jamais vu réviser autant, au point de manquer des entraînements, au point de renoncer à des soirées entre potes. Certes, le bac approchait, mais tu avais connu ton pote bien plus insouciant et désinvolte que ça.
« Depuis quelques temps », tu as également remarqué que ton incorrigible queutard de pote s’intéressait moins aux gonzesses, beaucoup moins. « Depuis quelques temps », les nanas se faisaient rares dans son lit.
Et si par le passé tu avais ressenti un pincement au cœur en l’imaginant en train de prendre son pied loin de toi, cela était resté supportable tant que tu avais été persuadé que ton pote t’était inaccessible parce qu’il n’aimait que les nanas, et tant qu’il ne faisait que coucher, sans implication affective.
Mais depuis l’arrivée de Nico, tu t’es retrouvé confronté à une situation d’un tout autre genre. Ton pote désormais « engagé » dans une sorte de relation suivie, même si conflictuelle, avec un garçon qui plus est, le genre de relation qu’il n’avait jamais eue avec une nana. Avec la possibilité que ton Jé éprouve des sentiments à son tour.
Ta frustration était devenue insupportable lorsque tu avais réalisé que, malgré son penchant pour les garçons, ton Jé ne s’intéresserait jamais pour autant à toi autrement que comme à son pote. L’arrivée de Nico dans la vie de ton pote scellait définitivement l’impossibilité pour toi d’aller plus loin avec lui. Cette prise de conscience douloureuse de te heurter à tout jamais à la « barrière » de votre amitié t’avait percuté avec toute sa brutalité.
« Depuis quelques temps », après un joint et quelques verres, ton Jéjé te parlait parfois de « ce petit pédé » « qui me kiffe », « qui n’arrête pas de me mater », « qui m’aide à réviser, car il doit espérer des trucs qu’il va attendre longtemps… ».
Pourtant, en dépit de sa façon de faire mine d’être agacé par les attentions du « petit pédé », et en dépit de son attitude méprisante, le sujet « Nico » revenait de plus en plus souvent sur le tapis. Et au-delà des railleries de ton pote, tu avais vraiment l’impression que ce dernier était plutôt flatté que ce « petit pédé » s’intéresse à lui.
Oui, tu avais deviné que, « depuis quelque temps », ton Jéjé couchait avec ce Nico. Et tu avais également deviné que pour ton pote, cela devait être source de questionnements, de doutes, de craintes.
Tu es persuadé que ce n’est pas la première fois que ton pote couche avec un autre garçon. Mais tu es également convaincu que c’est la première fois où cela semble durer, et devenir « sérieux ».
Si ton pote te parle parfois de Nico, c’est en apparence pour le « casser », avec mépris. Mais tu sens que son attitude cache autre chose. Tu sens qu’il essaie maladroitement d’éloigner tes soupçons. Ton pote te ment, se cache de toi. Définitivement, l’arrivée de ce petit Nico avait remué bien des choses.
Et le jour est venu où votre complicité a rencontré des limites infranchissables. Ce qui se passe avec Nico, c’est classé confidentiel. Sur ce sujet, Jéjé ne s’ouvre pas à toi, son pote de toujours. Est-ce qu’il a honte ? Est-ce qu’il croit que tu ne pourrais pas comprendre ?
Ou bien, est-ce qu’il sait que toi aussi tu as des sentiments pour lui ? Dans le fait de te tenir à distance, y-a-t-il aussi une volonté, maladroite mais bienveillante, de ne pas te blesser, de te préserver ?
Mais dans ce cas, pourquoi avoir voulu ce plan à quatre avec ces nanas, ce plan qui t’avait tant secoué ?
Comment l’avait-il vécu ? Est-ce que ça avait été aussi bon pour lui que pour toi ? Est-ce que ta présence avait été aussi importante que la sienne l’avait été pour toi, est-ce qu’elle avait participé à son plaisir de la même façon que la sienne avait participé au tien ?
Ce récit, bien qu’il se veuille réaliste, n’en demeure pas moins une fiction. En aucun cas les agissements des personnages ne doivent constituer un exemple de conduite. Tout rapport sexuel entre garçons doit être protégé, à moins d’avoir pleine confiance en l’autre. En aucun cas, on ne peut se contenter de déclarations de l’autre pour s’exposer à des risques. Y compris lorsqu’il s’agit de quelqu’un qu’on connaît, qu’on apprécie, qu’on kiffe, qu’on aime.
1987.
Jérémie et Thibault, Jé pour l’un, Thib pour l’autre. Deux garçons aux caractères bien différents et pourtant si proches l’un de l’autre, les meilleurs potes du monde.
Votre première rencontre remonte au CP. C’était l’année 1987.
A six ans, Jé était un petit garçon timide, frêle et maigrichon. Depuis les premiers jours d’école, il s’était fait bousculer par les « grands » de CM2.
Oui, le premier souvenir de Jé qui se présente à toi, c’est l’image d’un garçonnet effacé, complexé et malmené, qui souffrait en silence, à la récré, dans la cour du collège.
Touché par ce petit bonhomme, tu prenais sa défense, n’hésitant pas à affronter les « grands » et à te faire taper par les « grands ».
Une amitié était née.
A sept ans, tu avais été impliqué dans un grave accident de la route. Ton père s’en était tiré avec quelques éraflures. Toi, Thibault, tu avais eu une épaule cassée.
Lorsque ton pote avait appris pour l’accident, il s’était beaucoup inquiété. Il n’avait été rassuré que lorsqu’il avait pu aller te voir à Rangueil où tu étais resté en observation pendant quelques jours.
Vous aviez huit ans, lorsque tu avais perdu ton Filou adoré, un petit chien croisé Beagle. C’était un jour de pluie et Jé t’avait aidé à faire le trou au fond du jardin, il avait déposé la dépouille dedans. Et avec la sagesse que seuls possèdent les enfants, il t’avait expliqué qu’il avait entendu dire qu’il existait un Paradis pour les gentils toutous et que Filou y était, c’était sûr. Et, toi, petit Thib en larmes, tu avais senti ses bras t’enserrer, et ça t’avait fait un bien fou.
Cette même année-là, le rugby était rentré dans votre vie, et il n’en était jamais sorti depuis.
Vous aviez dix ans lorsque les parents de Jé avaient divorcé. Sa mère s’était barrée à l’autre bout de la France avec un autre gars. Depuis, elle avait presque totalement disparu de la vie de ton pote et son petit frère Maxime.
Quant à son père, il n’avait pas tardé à ramener une nouvelle femme à la maison. Et très vite, entre cette nana et ton pote Jé, ça avait mal tourné.
Jé ne supportait pas sa belle-mère. La première raison à cela étant qu’il n’acceptait pas qu’elle puisse prendre si rapidement la place de sa véritable mère.
Très remonté contre cette dernière, incapable de comprendre son attitude qu’il considérait comme un abandon pur et simple, en conflit ouvert et permanent avec sa belle-mère qui ne tolérait pas son hostilité, à dix ans, Jé était un garçonnet profondément en colère.
Heureusement, il y avait le rugby. Heureusement, tu étais là pour le soutenir et pour le faire rire. Tu étais le seul qui arrivait à le faire rire en cette période difficile de sa vie. Et ça te rendait si heureux de le voir rire.
Vous aviez douze ans lorsque toi, Thibault, tu avais perdu ta grand-mère que tu adorais par-dessus tout.
Ton pote Jé ne t’avait pas lâché d’une semelle pendant des mois, passant d’innombrables après-midis avec toi, collés à la console de jeux ou en selle sur vos vélos.
C’est bon d’avoir un copain dans les moments difficiles, c’est bon à tout âge de la vie, mais a fortiori pour un enfant qui se construit.
Jour après jour, votre amitié avait grandi jusqu’à devenir irremplaçable.
Puis, l’adolescence était arrivée. Elle était arrivée sans crier gare.
A quatorze ans, Jé était toujours très en colère contre sa famille, de plus en plus en colère. Il attendait avec impatience ses seize ans, avec la ferme intention de se faire émanciper et pouvoir quitter le domicile familial dans la seconde.
Et même si le rugby avait commencé à muscler son corps, même s’il ne se faisait plus bousculer, il se voyait toujours comme le garçon maigrelet qui se faisait moquer et molester dans la cour de récré.
C’est pour cela qu’il avait voulu faire de la muscu « parce que je veux devenir fort », comme il te l’avait annoncé un jour. Des mots que tu avais trouvé particulièrement émouvants.
Le rugby était devenu à la fois le fil conducteur et le pilier central de sa vie et de la tienne.
Dès les premières compétitions, vous aviez connu la tension dans les vestiaires avant le début du jeu, vous aviez été confrontés à l’effort collectif pendant deux fois quarante minutes, vous aviez appris à mouiller le maillot pour gagner, pour gagner tous ensemble.
Vous aviez connu la joie et l’excitation de marquer un essai, la déception d’en rater, le désarroi d’en encaisser. Vous aviez connu l’euphorie de la victoire et le blues de la défaite. Vous aviez pris des coups, mais vous vous étiez fait des potes.
Et vous aviez connu la troisième mi-temps, ce temps partagé avec les copains qui sont des copains parce qu’ils savent ce que chacun a vécu, et parce qu’ils l’ont vécu ensemble. La troisième mi-temps, c’est le temps du réconfort après l’effort, le moment de refaire le match, le moment de la camaraderie, de la bonne humeur, c’est une fête de famille sans la famille.
Au rugby, encore plus qu’avant, vous aviez connu la sensation réconfortante de pouvoir compter l’un sur l’autre, la sensation de vous capter au quart de tour pour faire avancer le jeu, de vous comprendre sans un mot en chaque circonstance.
Et au fur et à mesure que ton pote devenait bon sur le terrain, le rugby devenait pour lui une façon de prendre sa revanche sur la vie.
A quinze ans, les nanas avaient commencé à s’intéresser à lui, et lui à s’intéresser à elles. Le lycée était devenu alors la dernière de ses priorités, loin derrière les potes, le rugby et les meufs.
Malgré cela, au fond de lui, Jé était toujours un garçon en pleine phase de rébellion. Cette colère avait même failli avoir raison de votre amitié. Et si cela n’a pas été le cas, ce fut grâce à ta patience, à ta fermeté et à ton tact.
Ton pote l’avait voulu, et il avait réussi. En l’espace de deux ans, son corps avait été métamorphosé, sa musculature s’était développée. Tout comme sa technique au rugby, notamment dans le rôle d’ailier.
A 16 ans, il était assez baraqué et bon joueur pour imposer le respect. Personne ne se moquait plus de lui depuis un bon moment déjà. Et, de plus en plus, il suscitait l’admiration et la jalousie. Quant aux nanas, elles se battaient pour pécho le beau rugbyman brun.
En parallèle au rugby, vous aviez fait toute votre scolarité ensemble. Du moins jusqu’à ce que Jé se fasse exclure du lycée au dernier trimestre de la première année.
C’était à cause de ses absences répétées, injustifiées, stratégiques. Mais aussi de son je-m’en-foutisme porté à son plus haut niveau, de son tempérament allergique à toute forme d’autorité, de son attitude irrespectueuse vis-à-vis des profs, et de son comportement trop facilement bagarreur vis-à-vis de ses camarades.
Qu’à cela ne tienne, votre amitié avait survécu au changement de lycée de Jé. A cette époque, vous avez fait les 400 coups ensemble. Premières sorties en boîte de nuit, l’alcool, le pétard, la bagarre entre mecs, les premières copines, les premières fois, le sexe, le permis, la bagnole.
Toujours présent à ses côtés, tu avais évité à Jérém de faire pas mal de bêtises. Combien de fois tu l’avais empêché de prendre la voiture ou de se battre lorsqu’il était saoul !
1994
Un souvenir précis remonte à ta conscience. Un instant gravé dans ta mémoire. Le souvenir d’un vestiaire d’après match, vers l’âge de 13 ans. Ce jour-là, en regardant ton pote se doucher, tu t’étais surpris à t’attarder sur lui.
Dès lors, match après match, vestiaire après vestiaire, douche après douche, tu n’avais jamais plus renoncé à regarder ton pote. Tu t’arrangeais presque toujours pour te doucher en même temps que lui. Parfois, il t’était arrivé de croiser son regard, souvent accompagné d’un petit sourire, un sourire que tu n’avais jamais su interpréter.
Tu avais de plus en plus « besoin » de regarder ton pote. Car, le regarder, te faisait te sentir bien.
Parfois, tu faisais même exprès de le chercher, de le narguer, de provoquer une réaction de sa part. Un jour, tu l’avais éclaboussé jusqu’à ce qu’il te bouscule, te pousse contre la faïence. Le simple contact de ses mains, de ses cuisses, la proximité de son visage, de ses cheveux dégoulinants d’eau, de sa nudité t’avait troublé.
Un autre jour, attirés par vos petites chamailleries sous l’eau, d’autres gars étaient venus vous rejoindre sous les douches, tels des labradors voyant d’autres labradors nager dans une rivière. Au bout de quelques minutes, le sol du vestiaire était recouvert d’une épaisse couche d’eau et de mousse, bêtise qui vous avait valu un bon savon de la part de l’entraîneur.
A chaque fois, tu étais heureux que ton pote fasse semblant de te bousculer, qu’il t’attrape par les bras, les épaules, par le cou. Et à chaque fois, tu étais heureux de sentir le contact avec son corps, avec cette peau mate et douce qui te faisait de plus en plus envie.
Et puis, il y avait et cette nuit sous la tente. C’était l’été 1994.
Cet été-là, tu avais demandé à tes parents d’inviter ton pote à venir en camping avec vous près de la mer. Et tes parents avaient accepté. Vous, les garçons, vous dormiez dans la même tente.
Tu repenses au dernier soir avant le retour à la maison, à ces bières que vous aviez achetées en cachette à la superette du camping et que vous aviez descendues sous la tente, en discutant jusqu’à tard.
Tu te rappelles de cette sensation d’euphorie, d’allégresse et d’étourdissement que t’avait apporté la bière. Tu n’en avais jamais bu auparavant.
Et, surtout, tu te souviens du moment où tu t’étais rendu compte que, peu après t’avoir souhaité une bonne nuit, ton pote était en train de se taper une queue juste à côté de toi.
Ce n’était pas la première fois tu te rendais compte que ton pote se branlait avant de dormir. Ni la première fois que tu en avais envie. Et pourtant, c’était la première fois où, les bières aidant assurément, tu avais senti le cran d’oser.
Ta main avait glissé sur le sexe de ton pote. Et ce dernier ne l’avait pas repoussée. Tu l’avais branlé jusqu’à le faire jouir. Puis, il t’avait renvoyé l’ascenseur, il t’avait branlé et fait jouir à son tour.
Le matin suivant, vous vous étiez dit bonjour comme d’habitude, comme s’il ne s’était rien passé. Ni ce jour-là, ni à aucun moment par la suite, vous n’aviez parlé de ce qui s’était passé. Et l’occasion ne s’était pas présentée de recommencer.
Pourtant, tu n’étais jamais parvenu à effacer le souvenir de ce qui s’était passé pendant cette fameuse nuit. Le souvenir remontait en toi à chaque fois que, au gré des actions de rugby ou de la complicité entre potes, il t’arrivait d’avoir un contact physique avec ton Jéjé. Et cela arrivait assez régulièrement, car Jé était assez tactile avec toi, notamment dans les vestiaires.
Souvent, avant un match important, ou après une victoire, il te serrait fort contre lui, tout en glissant ses mains entre ton t-shirt et ton dos. Sous les douches, si ce n’était pas toi qui le cherchais, c’était lui qui te cherchait. Il t’attrapait par les bras, par l’épaule, par le cou, il faisait semblant de te bousculer. C’était devenu un jeu entre vous. Vos petites chamailleries sous la douche étaient devenues récurrentes. C’était marrant.
Parfois, lorsque nous regardiez un match seuls tous les deux sur le canapé, il passait un bras autour de ton cou. Il arrivait aussi, lors de fins de soirée très alcoolisées et très « fumées », que ton pote se laisse aller à certaines familiarités inconcevables « à jeun ». Il passait une main dans tes cheveux, les caressait. Parfois, il appuyait sa tête contre ton épaule.
Chaque fois tu acceptais ces gestes, parce que tu aimais ce contact avec ton pote. Tu les acceptais sans chercher à creuser plus loin, sans tenter d’aller plus loin, tout en ressentant à chaque fois de doux frissons. Mais aussi une grande frustration.
Parfois, lors des déplacements pour les matchs de rugby, tu t’étais parfois retrouvé à dormir dans la même chambre, et parfois dans le même lit que ton pote. C’était à la fois un bonheur et une torture.
Le bonheur de retrouver la proximité avec ton pote, et la torture de devoir maîtriser à chaque fois la brûlante envie de retrouver la complicité des esprits, des corps et des plaisirs que tu avais connue en cette fameuse nuit sous la tente.
Depuis cette dernière nuit au camping, Jérém ne s’était plus jamais branlé à côté de toi. Tu avais fini par te dire que ce qui s’était passé sous la tente n’était qu’une bêtise d’ados, une bêtise qu’il fallait oublier, tout comme semblait l’avoir fait ton pote.
Pourtant, il t’arrivait parfois de te demander si ton Jé repensait parfois à cette nuit, et s’il lui arrivait d’avoir lui aussi envie de retrouver le bonheur de ce moment magique.
Après cet été-là, très vite, ton pote Jé avait été accaparé par les nanas. Toi aussi tu avais commencé à en fréquenter. Mais vous n’aviez pas du tout la même approche.
Ton pote cherchait les filles bien roulées et voyantes, du genre qui rendent les potes jaloux. Ton genre à toi c’était les filles naturelles et fortes, avec de la conversation. Ton pote multipliait les aventures sans lendemain. Tu avais eu quelques aventures d’un soir, mais pas très nombreuses. Tu aurais pu en avoir davantage, les nanas ne manquaient pas de te montrer qu’elles te trouvaient attirant. Mais, contrairement à ton pote, ça ne t’avait jamais vraiment intéressé d’étoffer un « tableau de chasse ». Tu aspirais à des relations plus suivies.
Comme avec Lorie, une nana rencontrée chez les pompiers. Tu aimais bien Lorie, tu appréciais son engagement, son intelligence, son humour, son ouverture d’esprit et sa générosité. Ça s’était terminé lorsqu’elle était partie à Toulon après la fin de ses études. Vos conversations, vos partages, votre complicité, sa façon de te comprendre et de te soutenir t’avaient beaucoup marqué. Et t’avaient beaucoup manqué lorsqu’elle était partie. Beaucoup plus que le sexe.
Tu étais resté seul plus d’un an. Et puis, peu avant tes dix-huit ans, lors d’une soirée en boîte de nuit, tu avais rencontré Nathalie, une infirmière de quelques années ton ainée. Chez elle aussi tu as aimé son engagement, son intelligence, son humour, son ouverture d’esprit et sa générosité. Car tu trouves ces qualités morales rassurantes chez l’autre. Que ce soit une nana ou un pote, d’ailleurs.
Mais Nathalie, très accaparée par son travail et par ses études, ne voulait pas d’une relation suivie. Vous avez passé quelques bons moments ensemble, mais elle a mis de la distance quand elle a vu que tu commençais à trop t’attacher.
Oui, depuis le début du lycée, tu as toujours fréquenté des nanas.
Mais à côté de ça, tu n’as jamais cessé de penser à ce qui s’était passé sous la tente avec ton pote Jé.
Tu ne sais pas vraiment comment l’expliquer. Avec ton pote Jé, c’est différent, un point c’est tout. Tu n’as jamais ressenti ce « truc » pour un autre gars. Cette implication affective, cette envie de l’aider avant même qu’il le demande, l’envie de le rassurer quand il en a besoin. L’envie de le faire rire, de le serrer dans tes bras quand il n’est pas bien, l’envie de le protéger. Tu ressens pour lui une empathie totale, une connexion qui fait que tu n’es bien que lorsqu’il est bien lui aussi.
Ton pote t’inspire une immense tendresse. Car tu sais à quel point, derrière son apparente assurance, derrière sa fierté qui prend parfois des airs d’insolence et d’arrogance, se cachent d’anciennes blessures qui n’ont jamais cicatrisé. Et tu sais que derrière le joueur de rugby très doué, derrière le tombeur de nanas, derrière son côté macho se cache un p’tit mec qui a par-dessus tout besoin d’être rassuré et aimé.
Car tu sais bien que, malgré son émancipation, malgré sa réussite au rugby, son succès insolent auprès des nanas, sa colère ne l’a pas quitté depuis la fin de son enfance, depuis le jour où sa mère est partie près de dix ans plus tôt. C’est-cette colère, résultat d’une souffrance profonde, qui a forgé sa personnalité et qui régit toujours ses attitudes et ses comportements.
Oui, c’est-cette colère, et le désir annexe de se sentir aimé, jalousé, qui le pousse à être si charmeur. Pour avoir souffert de s’être senti longtemps impuissant face à l’abandon, il ressent un besoin jamais rassasié de s’imposer partout.
Voilà pourquoi ton pote t’inspire autant de tendresse.
Mais tu sais bien que ce n’est pas tout. Aucun gars ne t’a jamais fait l’effet qui te fait ton Jé. Pour aucun autre gars tu n’as ressenti ce « truc » qui te vrille les tripes lorsque tu le regardes sous la douche. Aucun autre gars ne t’a inspiré cette envie irrépressible de chercher le contact physique. Aucun autre gars ne t’a jamais donné envie de le branler sous une tente.
Tu as tout fait pour essayer de maîtriser cette envie, de l’étouffer, de l’oublier. Mais tu n’as jamais réussi complètement. Et elle t’est revenue à la figure comme un boomerang à chacun des exploits sexuels de ton pote.
Fête foraine à Fenouillet.
Juin 2000.
Ce soir-là, après le repas au resto, quelqu’un avait lancé l’idée d’aller faire un tour à la fête à Fenouillet.
Avec ton pote Jé et d’autres gars, vous aviez fait étape au punching-ball, puis au stand de tir, pour échouer enfin à la buvette.
A un moment de la soirée, ton pote s’était éclipsé avec une nana qui avait flashé sur lui lors de l’étape au punching-ball. Et ça t’avait fait quelque chose.
Ton pote était revenu une demi-heure plus tard, la cigarette au bec, un petit sourire bien coquin sur son visage.
Il avait été accueilli de la même façon qu’il avait été salué tout à l’heure, lorsqu’il est parti s’éclipser avec cette nana, affectueusement raillé par vos camarades. Des mots comme « serial baiseur » lui avaient été lancés.
Sans ciller, il avait repris sa place sur la chaise haute qu’il avait quitté une demi-heure plus tôt et qu’on lui avait gardée.
Le regard fier et taquin, il avait redemandé une bière, l’air plutôt fier d’entendre ses potes « célébrer » son exploit avec des moqueries transpirant un subtil mélange de jalousie et d’admiration.
Et là, l’air du mec plutôt fier de lui, il avait commencé à raconter son exploit. Tu n’avais pas vraiment envie d’entendre ça. Vraiment pas. Et pourtant, tu y étais en quelque sorte « obligé », en tant que meilleur pote.
Tu avais du mal à endurer ce récit d’une pipe mal faite, récit qui faisait se marrer tout le monde, mais pas toi.
Tu avais remarqué une trace de rouge à lèvres dans le cou de ton pote. Tu le lui avais fait remarquer, tu avais fait semblant de trouver ça drôle, alors que ça t’avait fait mal.
Malgré tout, tu étais conscient que ton pote était un très beau garçon, et que c’était normal qu’il ait du succès auprès des nanas.
Mais le jour ne tarderait pas à venir où tu réaliserais qu’il n’y avait pas que les nanas qui s’intéressaient à ton pote.
Songe étrange d’une nuit d’été.
Août 2000.
En ce début du mois d’août, Jérémie vient d’avoir son permis. Et sa voiture. Une vieille 205 rouge de quatrième main, mais qu’importe. C’est sa toute première voiture, celle pour laquelle il a bossé depuis un an, pendant toutes ses vacances.
Le permis, la voiture, l’été, il faut fêter tout ça avec les potes du rugby. Alors, c’est parti pour une semaine au bord de la mer, avec toi Thibault, son meilleur pote, et deux autres coéquipiers, Julien et Thierry.
Il est deux heures de l’après-midi lorsque vous débarquez au camping de Gruissan. Le soleil cogne fort. Le temps de planter les tentes, d’avaler un sandwich, de passer un short de bain et la joyeuse bande quitte le camping direction la plage.
Les enceintes de la réception diffusent le tube viral de l’été :
La plage, le sable, la mer, le soleil, les serviettes, les parasols, l’odeur de la crème solaire, voilà le parfum des vacances.
Les potes plongent lourdement dans l’eau, éclaboussent, font des vagues à tout va. Et lorsqu’ils réémergent de l’eau, la peau ruisselante, les brushings défaits, sur les visages se dessinent des sourires de gosses. Tu aimes tellement voir tes potes heureux. Et ton Jé, plus que tous les autres.
Il y a dans ces instants quelque chose qui s’approche de la contemplation de l’œuvre d’art. L’émotion profonde que ces garçons savent inspirer tout en étant simplement « eux-mêmes », en vivant leur vie avec cette fougue, avec cette insouciance, avec cette plénitude.
Tu pourrais passer des heures à les regarder faire les cons entre eux, à te mélanger à leurs jeux, touché et ému par toute cette énergie débordante, par leur côté « jeunes chiens fous ». Et là encore, c’est avec ton Jé que tu cherches le contact physique, à qui tu passes la balle que vous avez amenée dans l’eau. C’est avec lui que tu veux être en équipe quand vous improvisez un petit match de foot sur la place. C’est avec lui que tu veux partager ta tente. Comme depuis l’été de vos 13 ans.
Le lendemain soir, la petite bande est de sortie. Ton pote Jé débarque dans la boîte de nuit avec un t-shirt blanc bien près de son torse et de ses biceps, contraste parfait avec sa peau bronzée, il avance avec un sourire ravageur aux lèvres, fer de lance d’une attitude conquérante qui semble annoncer « personne ne peut me résister ».
Et effet les nanas le dévorent du regard. Et elles attaquent sur tous les fronts. Il y a celles qui chargent frontalement, qui viennent se mélanger à la meute, qui viennent lui parler. Et puis il y a des regards plus subtils, qui jouent un match de séduction tout en finesse.
Mais il y a un regard en particulier, un regard que Jérémie trouve particulièrement culotté. La nana sait bien mener son jeu, elle fait du charme à ton pote tout au long de la soirée. Elle y va par petites touches, elle cherche son regard, puis l’ignore, elle se montre intéressée, puis distante.
Un jeu de séduction qui se solde par une bonne partie de jambes en l’air dans un chalet sur la plage.
Au petit matin, Jérémie marche sur le sable fin en fumant une clope, alors que la brise marine ramène le son étouffé d’une radio :
Et tu chantes, chantes, chantes ce refrain qui te plaît
Et tu tapes, tapes, tapes, c’est ta façon d’aimer
Ce rythme qui t’entraîne jusqu’au bout de la nuit
Réveille en toi le tourbillon d’un vent de folie
Il est deux heures de l’après-midi lorsque ton pote émerge de son sommeil décalé.
Le soleil, la mer, les vacances. Quatre potes avec un ballon sur la plage, ça attire du monde. Un ballon, c’est le volley, le foot, le rugby. Chaque jour, il y a davantage de monde que la veille.
Tout ce raffut de jeunes mecs sur la plage finit par attirer des nanas. Dès lors, la petite bande de rugbymen toulousains n’aura pas de mal à conclure. Même toi, Thibault, le plus pudique et réservé des quatre, tu finiras par craquer un soir sur une petite brune.
Jérémie, quant à lui, après un premier but marqué au chalet de Mélanie, avait transformé des essais presque chaque soir. Et presque chaque fois avec une nouvelle nana.
Les jours filent. Ton pote trouve le temps de se faire tatouer un brassard aux motifs tribaux qui lui va sacrement bien.
Et le dernier soir arrive. Ton pote s’est éclipsé avec Stéphanie, une petite rousse.
Tu as désormais l’habitude de t’endormir seul dans la tente, car ton pote découche presque chaque soir. Mais ce soir, tu n’arrives pas à dormir. Ton pote te manque. Au fond de toi, tu as chaque fois pensé à cette nuit sous la tente l’été de vos treize ans. Chaque soir, au fond de toi, tu t’es dit que, peut-être… Mais ça n’a jamais été le cas. Ton pote n’a plus besoin de se taper des queues, il a bien assez de nanas pour se faire plaisir !
Mais quand le dernier soir est arrivé, tu t’es à nouveau dit que, peut-être, comme cet été-là, le dernier soir… En fait, tu avais surtout espéré pouvoir partager quelques heures avec ton Jé, même sans aucun contact physique. Tu avais espéré passer un peu de temps avec lui.
Et quand ton pote t’avait annoncé que ce dernier soir aussi il partirait « farcir de la moule », tu avais ressenti une immense frustration que tu avais eu le plus grand mal à cacher.
Non, ce dernier soir avant votre retour à Toulouse, tu n’arrives pas à dormir. Il est deux heures passées lorsque tu décides d’aller faire un tour. Tu marches déjà depuis quelques minutes lorsque tu reconnais à quelques mètres de toi, dans la pénombre, l’allure familière de ton pote, sortant d’un mobil-home. Ce dernier est torse nu, son débardeur posé sur l’épaule, la cigarette entre les lèvres, et il semble fouiller dans les poches de son short, certainement à la recherche de son briquet.
Tu te dis que ton pote est vraiment incroyable, il s’est tapé une nana chaque soir, et le dernier soir ne se prive pas d’emballer cette jolie rousse qui fait de l’effet à tout le monde.
Tu attends patiemment qu’il s’éloigne de quelques pas pour aller le rejoindre, lui passer l’avant-bras autour du cou et te moquer gentiment de ses exploits.
Mais une deuxième silhouette apparaît aussitôt sur le seuil du mobil-home, dans le noir.
« Pssssssst ! ».
Ton pote s’arrête net, se retourne, alors qu’il se trouve désormais dans une zone un peu plus éclairée. La deuxième silhouette avance jusqu’à le rejoindre.
Et là, tu as du mal à réaliser ce qui se présente à tes yeux. Car cette deuxième silhouette n’est pas celle de la jolie rousse. Pas du tout.
Tu as besoin de marcher un peu, tu as besoin de prendre l’air. Tu as besoin de remettre de l’ordre dans ta tête.
Lorsque tu rentres enfin à la tente, ton pote est déjà dans son sac de couchage. Mais il ne dort pas pour autant.
— T’étais parti où ? il te questionne.
— J’ai fait un tour à la plage… tu lui glisses.
— C’était bien ta soirée ? tu veux savoir.
— Pas mal…
La 205 rouge roule à vive allure sur l’autoroute des Deux Mers. Au bout d’une longue montée, la citadelle de Carcassonne apparaît sur la droite, majestueuse.
Tout en conduisant, Jérémie porte une cigarette entre les lèvres, et l’allume.
Ton regard se fixe sur ce briquet que tu lui as offert pour ses 18 ans.
— Tu regardes quoi ? fait ton pote, surpris par ton regard figé.
— Rien, tu lui souris, tout en posant la main sur son épaule, rien du tout.
Soudain, tu repenses à ce que tu as vu la nuit d’avant.
Lorsque la deuxième silhouette était sortie du mobil-home, et alors que tu t’attendais à voir une jolie rousse se dévoiler, c’était quelqu’un d’autre qui s’était présenté à tes yeux.
Tu avais parfois surpris d’autres regards se poser sur ton pote, autres que ceux des nanas. Et tu t’étais parfois demandé s’il faisait cas de ces regards. Désormais, tu as ta réponse.
La 205 rouge roule à vive allure sur l’autoroute à hauteur de Villefranche de Lauragais. Une toute nouvelle chanson vient de résonner sur les ondes radio :
Music… makes the people come together/La musique… rapproche les gens…
En arrivant au péage de Toulouse, tu n’arrives toujours pas à effacer de ta mémoire l’image de ce garçon musclé, l’image de ce petit gabarit très bien proportionné, de ce petit footeux qui n’avait pas arrêté de mater ton pote depuis qu’ils avaient débarqué au camping. Et qui avait finalement réussi à l’attirer dans son mobil-home, te privant ainsi de sa compagnie, le dernier soir avant votre départ.
Le mec s’était approche de Jérém pour lui rendre son briquet. Et pendant que ce dernier allumait sa clope, le mec en avait profité pour poser un baiser furtif dans son cou. La réaction de ton pote t’avait surpris. Il l’avait repoussé, sans ménagement.
Tu avais parfois entendu ton pote Jé avoir des propos très mauvais au sujet des « pédés ». Et tu t’étais parfois dit que si l’un d’entre eux lui avait montré trop d’attention, il aurait réagi de façon violente, verbalement et même physiquement, de façon à décourager ces attentions. Mais aussi, et surtout, à montrer « qu’il n’était pas une tafiole ».
Et là, toutes tes certitudes avaient basculé en un instant. Visiblement, il s’était passé un truc entre ton pote et ce garçon. Mais s’il avait bien voulu partager le plaisir, ton pote refusait la tendresse.
Cette nuit-là, ton cœur en avait pris un gros coup. Car tu venais de réaliser que ton pote avait les mêmes envies que toi, des envies que tu n’avais pas su voir, malgré tout le temps passé ensemble. Ou bien, justement « à cause » de tout le temps passé ensemble, « à cause » de votre amitié, cette amitié qui avait empêché vos désirs similaires de se reconnaître et de se rencontrer.
Tu as pris cette découverte comme une claque en pleine figure, une claque qui t’a mis KO.
Et ça t’a fait un mal de chien.
Novembre 2000.
Le match vient de se terminer. Il faisait froid dehors, et la deuxième mi-temps s’est déroulée sous une pluie battante et sur un terrain bien gadouilleux. Ça a été dur, éprouvant. Pour gagner, il a vraiment fallu mouiller le maillot. Et même souiller le maillot. Les gars sont heureux de leur victoire, mais aussi de se retrouver dans les vestiaires, bien au chaud, entre potes, heureux de quitter leurs maillots boueux et de passer sous les douches.
C’est bon cette odeur de vestiaire, de potes. Même l’odeur de la gadoue a son charme, celui de l’effort commun, de la camaraderie.
Jéjé se déshabille très vite. Il est très à l’aise avec sa nudité. Te le regardes se diriger vers les douches de son pas assuré. Tu le trouves vraiment très beau.
Un épais brouillard chaud sature l’air et diffuse une intense odeur d’humidité chargée de fragrances de gel douche. Jéjé s’installe à la seule place vide, à côté de deux autres joueurs, Thomas et Thierry, eux aussi plutôt bien foutus. Mais tu te dis que Jéjé est le plus beau d’entre eux. Tu te dis que ton pote est vraiment le plus beau mec de l’équipe.
Jéjé ouvre le robinet et le jet d’eau chaude commence de tomber sur ses cheveux bruns. Sublime image.
Une douche vient de se libérer et tu te retrouves juste à côté de ton Jéjé en train de se savonner. Tu es troublé par cette proximité, par cette promiscuité. Tu ouvres le robinet. Tu essaies de te concentrer sur les bienfaits de l’eau chaude, tu prends garde de ne pas trop laisser traîner son regard de son côté.
Mais les épaules mouillées finissent par se frôler, et les regards par se croiser aussitôt. Ton pote te regarde, il semble fixer ton torse.
— Attend, il te lance, tout en enserrant ton biceps dans sa main.
— C’est pas vrai, ça ! ! ! tu l’entends pester.
Tu sais où il veut en venir. Et ça te fait marrer. Tu aimes beaucoup l’impressionner.
— Je me casse le cul à la muscu, deux fois plus que toi, et je n’aurais jamais des biceps comme les tiens, fait chier !
— Arrête un peu de te plaindre. T’es super bien foutu !
— Pas comme toi ! Je veux être plus baraqué !
— Mais pour quoi faire ? tu veux savoir.
— Les nanas aiment les gars bien foutus !
— Mais qu’est-ce que tu veux de plus ? Tu ne sais même plus où donner de la queue ! plaisante Thierry.
— Il a raison ! tu confirmes.
— C’est vrai, il admet.
— T’es mieux foutu que moi mais moi je me tape plus de gonzesses que toi, il te glisse, taquin.
— Tu n’es qu’un sale petit con ! tu lui lances en rigolant.
Et là, pour toute réponse, il te balance de l’eau à la figure, le regard empli de cette étincelle de chien foufou que tu adores. Tu adores quand ton pote est d’humeur joyeuse et joueuse comme à cet instant.
« Il veut jouer, alors on va jouer ! » tu te dis, ravi de ce petit moment de complicité qui se dessine.
Tu attrapes ton pote par les épaules, tu le plaques contre le mur pour l’empêcher de bouger. Il se démène, en vain. Jéjé fait plusieurs centimètres de plus que toi, mais tu parviens toujours à le maîtriser.
Tu ressens de bien agréables sensations dans ce corps à corps inattendu. Tu sens tous ses muscles se bander dans la tentative d’échapper à ta prise.
Mais très vite, tu dois quitter ce contact, avant que ton corps ne te trahisse. Tu sens que si tu ne désamorces pas ce corps à corps, tu vas bander.
Tu profites d’un sursaut de Jéjé pour relâcher un peu ta prise, lui permettant ainsi de se dégager, tout en lui laissant l’impression qu’il y est parvenu tout seul.
Jéjé se retourne, il rigole. L’eau ruisselle sur tout son corps, ses cheveux bruns retombent en bataille sur son front. Dans son regard se loge un petit air de fripouille. Oui, il est vraiment très beau.
Guillaume.
Automne 2020.
Si en voyant ton pote revenir aux filles dès le retour sur Toulouse tu avais pu te convaincre que l’épisode du mobil home de Gruissan n’était qu’un « accident » dans sa vie sexuelle, un autre épisode était venu te troubler un peu plus tard dans l’année. C’était l’épisode « Guillaume ».
Pendant une période, ton pote avait amené son cousin dans votre bande de potes le week-end. Tu avais ainsi eu l’occasion de remarquer les regards insistants que ce garçon posait sur lui.
Il était arrivé que Guillaume reste dormir à l’appart rue de la Colombette. Et au fond de toi, tu avais toujours pensé qu’il se passait des choses entre eux.
C’était pendant l’épisode « Guillaume », que tu avais commencé à ressentir un sentiment inattendu poindre dans ton esprit. Un sentiment qui s’était d’abord emparé de toi de façon sournoise, avant de t’éclater à la figure d’une façon extrêmement violente en une autre occasion, vers la fin de l’année.
Ce sentiment, c’était de la jalousie.
Patxi
Hiver 2000
C’était un week-end de décembre, lors du dernier match avant la pause du tournoi à l’occasion des fêtes de fin d’année. Votre équipe avait remporté ce match de justesse face à une Section Paloise plutôt aguerrie.
Parmi les joueurs de cette équipe, il y avait ce Patxi, un demi de mêlée originaire de Saint-Jean de Luz. Un demi de mêlée, tout comme toi, Thibault.
Patxi n’était pas très grand, mais bien musclé. Il était brun, les cheveux assez courts et frisés, plutôt typé basque, avec des petits yeux très noirs, très vifs, un regard très brun, profond, pénétrant. Il portait un petit piercing à l’arcade sourcilière qui relevait un peu plus encore sa mignonnerie naturelle.
Son sourire était lumineux, tour à tour doux, fripon, charmant et charmeur. Son rire était sonore, franc, spontanée, généreux, contagieux, avec un je-ne-sais-quoi d’enfantin ci et là. Patxi était le genre de garçon qui dégage une joie de vivre exubérante. Un garçon vraiment craquant.
Malgré la défaite, l’équipe paloise était restée sur Toulouse pour faire la fête.
Au cours de la soirée, numéro de maillot partagé oblige, Patxi avait très vite et très bien sympathisé avec toi, Thibault. Mais aussi avec ton pote Jé. Et vous aviez fini par vous retrouver, tous les trois, tard dans la nuit, à boire une dernière bière dans l’appart de la rue de la Colombette.
C’est à ce moment-là que tu avais ressenti ce sentiment étrange monter en toi, te serrer la gorge et te vriller les tripes. C’était lorsque tu avais été frappé par la nette impression que ce Patxi s’employait à flatter l’égo de ton Jé, qu’il tentait de l’impressionner, presque de le « draguer ». Et que ton pote, porté par la progression de son degré d’alcoolémie, semblait de plus en plus sensible aux flatteries du petit basque.
Plus les minutes passaient, plus tu avais l’impression que ton pote était conquis par les mots et par la présence de ce tchatcheur intarissable. Mais, il fallait bien l’admettre, intéressant, sympathique, fûté et plutôt drôle. Plus ça allait, plus tu avais l’impression que ton pote buvait les mots de ce Patxi, qu’il posait sur lui ce regard attentif et admiratif que tu ne lui avais pas souvent vu. Ce regard qu’il avait assez souvent posé sur toi par le passé.
Comment ça te manquait, ce regard, depuis quelques temps !
Cette nuit-là, tu sentais qu’entre ton pote et ce gars, en l’espace d’à peine quelques heures, s’était créé une complicité aussi forte, voire plus forte encore, que celle que vous aviez eu tous les deux depuis tant d’années. Une complicité dans laquelle tu avais l’impression de déceler une forme de sensualité, et de désir réciproque.
— Là, j’ai du respect, mec ! avait lâché Jé, lorsque le petit basco-béarnais avait sorti un joint de sa poche. Sa voix était chargée de cette allégresse, fille d’ivresse. Son regard dégageait ce sourire un peu « hébété » que tu avais toujours trouvé adorables et touchants chez ton pote lorsqu’il était saoul ou stone.
Après avoir partagé le joint à tous les trois, Jé avait proposé à Patxi de rester dormir chez lui.
— On se voit demain, tu avais alors pris congé, la mort dans l’âme, en regardant ton Jé et ce Patxi en train de se dessaper.
Tu étais rentré chez toi le cœur lourd, très lourd.
Tu n’as jamais su s’il s’était passé quelque chose entre ton pote et le demi de mêlée palois. Pourtant, plus encore que l’épisode « Gruissan », plus encore que l’épisode « Guillaume », l’épisode « Patxi » t’avait fait prendre conscience de l’existence et de l’importance de ta jalousie.
Car, contrairement à l’inconnu de Gruissan ou à Guillaume, que tu ne connaissais pas, Patxi était un gars « comme vous », un rugbyman, un mec dont on n’aurait jamais pu imaginer être de ceux « qui s’intéressent à d’autres gars ». Et pourtant, Patxi, « un gars comme vous », semblait vraiment s’intéresser à ton pote.
Trois « épisodes » de la vie de ton pote, trois claques qui t’avaient mis KO. Et pourtant, tu avais continué à faire comme si tu ne savais rien. Comme si l’amitié te suffisait. C’était de plus de plus dur pour toi.
Et puis, il y avait eu le plan à quatre.
Mars 2001.
Ce soir-là, ton pote et toi étiez de sortie au KL, avec d’autres coéquipiers. Il y avait beaucoup de monde au KL, beaucoup de vos potes du rugby. Tout se passait normalement, jusqu’à ce que ton pote lance cette idée saugrenue.
— On parie combien que je vais lever deux nanas canon ?
— Je ne parie pas, tu avais tenté de calmer ses ardeurs.
— Si j’y arrive, on va les baiser chez moi, ok ?
Tu avais hésité, car l’idée de ce plan avait fait surgir en toi un certain malaise. Et si tu avais fini par accepter, c’était plus pour faire plaisir à ton pote, pour ne pas casser son plan (il t’avait dit avoir envie d’essayer un plan à quatre) que parce que tu en avais réellement envie.
Tu l’avais regardé emballer une nana, puis une autre. Tu t’étais dit que ton pote était un véritable magicien. Son pouvoir magique, c’était cette aura sexuelle qui attirait à lui toutes les nanas, comme des trombones vers un aimant. Et ce soir, il s’était surpassé.
Tu t’étais ainsi retrouvé sur le lit dans l’appart de rue de la Colombette, à côté de ton pote, en train de coucher avec une nana dont tu avais du mal à te rappeler le prénom.
Et alors que tu t’étais senti un tantinet mal à l’aise dans cette situation pour toi inédite, tu avais été fasciné par l’aisance de ton pote. Ce dernier avait l’air de prendre son pied le plus naturellement du monde, sans se laisser impressionner ni par ce plan, nouveau pour lui aussi, ni par les regards des deux nanas, ni par ta présence.
Sur le lit étroit, dans le feu de l’action, tu avais senti son l’épaule frôler la tienne. Vos têtes s’étaient retournées au même moment, les regards s’étaient rencontrés.
Au fil des coups de reins, vos épaules s’étaient frôlées encore, encore et encore, ainsi vos hanches, vos cuisses, vos genoux. Et vos regards. Tous ces contacts répétés avaient grandement participé à l’excitation du moment. Tu avais fini par trouver tes marques et par prendre du plaisir. Peu à peu, la cadence de tes va-et-vient s’était réglée sur celle de ton pote, dessinant avec elle comme un seul et unique mouvement.
Et lorsque l’orgasme de Jéjé arrive, le tien avait suivi de très près. Vous aviez joui au même moment, ensemble.
Et c’est encore ensemble, avec des gestes presque identiques que, peu après, vous vous étiez retirés de vos partenaires d’un soir.
Sans un mot, Jéjé avait ôté sa capote, passé un boxer. Il s’était dirigé vers le frigo, il en avait sorti des bières, les avait décapsulés, il en avait gardé une, il t’avait passé les autres. Tu t’étais chargé de les faire suivre aux nanas.
Sur la terrasse, dans la pénombre, il avait roulé une cigarette magique, l’avait allumée, il en avait tiré une longue taffe et te l’avait passée.
En récupérant le tarpé d’entre les doigts de ton pote, tu n’avais pas pu t’empêcher de laisser traîner ton regard sur le tissu fin et élastique cachant ses attributs, ainsi que sur son torse ondulant sous la vague d’une respiration encore accélérée par l’effort sexuel.
Ça faisait déjà un moment que tu trouvais que ton pote Jéjé était vraiment un beau garçon. Mais à cet instant précis, après l’orgasme, tu avais réalisé à quel point il l’était.
Les filles vous avaient rejoints en terrasse. Dans le silence de la nuit de printemps, le tarpé était passé de main en main, de lèvre en lèvre, jusqu’à ce que les corps et les regards manifestent de nouvelles envies.
Tu te souviens très précisément de la suite de cette soirée.
Les reins appuyés à la rambarde de la terrasse, Jéjé avait posé son joint et sa bière sur le rebord. Il avait porté ses mains sur les hanches, il avait laissé glisser les pouces entre sa peau et le boxer. Le tissu léger était descendu lentement, sa queue presque raide était apparue dans la pénombre.
Un instant plus tard, la nana que tu venais de sauter était à genoux en train de le sucer dans la fraîcheur de la nuit. L’autre en avait fait de même avec toi, Thibault. Jéjé avait repris son joint, il avait tiré dessus. Puis, il te l’avait passé.
Quelques minutes plus tard, vous étiez en train de limer les deux nanas, par derrière. C’est ton pote qui a eu l’idée. Et toi, Thibault, tu n’avais fait que suivre le mouvement, une fois de plus.
Et tu avais assez vite réalisé que cette position possédait un atout considérable. Elle vous permettait, à ton pote et à toi, de vous affranchir du contact visuel avec vos partenaires, et de pouvoir vous sentir plus libres dans vos regards, dans le contact de vos corps.
Ainsi, dès les premiers coups de reins, vos épaules s’étaient frôlées avec plus de facilité, tout comme les hanches, les cuisses, les genoux. Vos regards se cherchaient, se croisaient fébrilement. Très vite, vos va-et-vient s’étaient à nouveau réglés sur un même rythme. Le plaisir montait, la jouissance approchait.
Mais ce qui avait fait précipiter la venue de ton orgasme, avait été autre chose. Sa main qui s’était posée sur son cou, ses doigts qui s’étaient enfoncés doucement dans tes cheveux, son regard qui avait cherché le tien avec insistance. Et lorsque, dans ce regard, tu avais vu ton pote perdre pied, tu n’avais pas pu résister à la tentation de poser à ton tour ta main sur son cou.
Les regards s’étaient comme aspirés l’un l’autre, vos excitations s’étaient embrasées. Une nouvelle fois, vous aviez joui au même moment. Et ton orgasme avait été parmi les plus puissants que tu n’avais jamais connu.
Mais la descente avait été rude. Dès l’orgasme passé, les regards qui se cherchaient un instant avant étaient devenus fuyants, les corps qui se frôlaient cherchaient désormais à s’éloigner.
Une fois de plus, vous vous étiez retiré rapidement, vous vous étiez débarrassés des capotes, vous aviez enfilé vos boxers. Les nanas avaient disparu dans la salle de bain, Jéjé était parti en terrasse. Après un instant d’hésitation, tu l’y avais rejoint. Tu avais repris ta bière entamée, tu t’étais installé non loin de lui, dans la pénombre.
Ton pote t’avait proposé de rester dormir. Tu sentais en effet la fatigue te gagner et l’idée te plaisait bien.
Quelques minutes plus tard, les deux nanas parties, tu t’étais retrouvé au lit avec ton pote, dans le noir. Jéjé s’était tourné sur un flanc, vers l’extérieur du lit.
— Bonne nuit, il t’avait lancé.
— Bonne nuit, tu lui avais répondu, un brin déçu qu’il veuille dormir de suite.
Tu aurais bien partagé une bière de plus, et quelques échanges. Tu aurais voulu parler de ce qui s’était passé avec ces deux nanas. Tu aurais voulu savoir si ça avait été aussi bon pour lui que pour toi. Et si ta présence avait été aussi importante, que la sienne l’avait été pour toi, si elle avait participé à son plaisir de la même façon que la sienne avait participé au tien.
Epuisés par l’heure tardive et par deux baises coup sur coup, Jéjé avait vite trouvé le sommeil.
Ça n’avait pas été ton cas. Car tu avais repensé à ce plan, et au plaisir que tu avais pris.
Tu avais d’abord été surpris, désarçonne par la proposition de ton pote. Mais, très vite, tu y avais vu une occasion inespérée de partager un moment de promiscuité sensuelle avec lui, la présence des nanas n’étant au fond que le prétexte pour y parvenir.
C’était comme un test pour toi, un test pour comprendre et appréhender tes sentiments à son égard.
Tu avais aimé cette nuit avec les deux nanas. Et ce que tu avais aimé par-dessus tout, c’était cette super complicité avec ton pote. Une complicité faite de regards, des contacts de peau trop nombreux pour être toujours involontaires, ressemblant parfois à des caresses qui ne s’avouent pas.
Tu sais que si tu as autant pris ton pied, c’est aussi grâce au fait que ton pote était là, à côté de toi, en train de prendre son pied en même temps que toi.
Et le truc qui t’avait le plus secoué, c’était bien ce geste inattendu de ton Jéjé, cette caresse dans ton cou qui avait précipité ton orgasme.
Tu avais fini par t’endormir, mais ton repos n’avait pas été de longue durée. Tu t’étais réveillé brusquement. L’esprit embrumé, tu t’étais rappelé de la soirée au KL, des deux nanas, du retour avec ton pote, de la double baise coup sur coup.
Mais une seconde plus tard, la panique s’était soudain emparée de ton esprit, lorsque tu avais réalisé que tes bras, ton torse, tes jambes enlaçaient le corps chaud de ton pote, que l’agréable et douce chaleur que tu ressentais dans son ventre venait du contact avec son dos, et que la sensation de douceur que tu ressentais sur ta joue venait du contact avec ses cheveux.
Tu t’étais demandé comment cela avait pu arriver, comment tu t’étais débrouillé, dans le sommeil, pour enlacer ton pote, pour glisser ses bras autour de son torse.
Dans ta tête, c’était l’état d’alerte maximal. Tu ne voulais surtout pas que ton pote se rende compte de ce qui se passait. Il fallait que tu te dégages, vite. Mais la manœuvre que cela impliquait était des plus délicates. Il fallait retirer tes bras et t’éloigner de ton pote sans le réveiller.
La manœuvre s’était révélée encore plus compliquée que prévu. Tu avais beau essayer de tirer pour ramener ton bras gauche, ça ne venait pas. Tu t’y étais pris autrement. Tu avais exercé une légère pression sur l’épaule de ton pote pour le faire pivoter légèrement sur le flanc.
Un instant plus tard, Jéjé s’était retourné complètement, s’était calé à plat ventre sur le matelas, le visage toujours tourné vers le bord du lit. Tu t’étais senti soulagé. Le changement de position de ton pote t’avait offert l’occasion inespérée de retirer ton bras tout en douceur.
Tu avais écouté la respiration de ton pote. Tu avais été rassuré de constater qu’il dormait toujours. Ce n’est qu’à ce moment-là que tu avais enfin repris ton souffle.
Et pourtant, au-delà de la panique que ce petit « accident » avait provoqué en toi, tu avais été obligé de t’avouer que tu avais adoré ressentir la chaleur du corps de ton pote contre le tien.
Aussi, tu t’étais demandé si ton pote s’était rendu compte de ce qui s’était passé cette nuit-là.
Tout comme ça t’arrive, parfois, depuis des années, de te demander s’il arrive à ton Jéjé de repenser à cette fameuse nuit sous la tente, en camping, l’été de vos 13 ans.
Oui, ce plan avec les nanas avait été comme un test pour toi. Et le résultat était sans appel.
Après cette nuit, tu n’avais qu’une envie, celle de remettre ça. Oui, « remettre ça », mais seul à seul avec ton pote.
Par une chaude journée du mois d’août, je me balade en bord de mer. Sur une plage naturiste, je cherche de l’eau, je cherche du soleil. J’aime les plages naturistes parce que j’aime être à poil. Non pas pour me faire mater, mais parce que j’aime cette sensation de liberté que l’absence de tout tissu sur la peau est capable de m’offrir.
Oui, ce qui me plait le plus dans une plage naturiste, c’est de pouvoir me balader à poil en extérieur. Parce que, pour le reste, je ne trouve pas particulièrement sexy un mec se baladant à poil. Moins que s’il porte un short de bain. Quand tout se dévoile d’un coup, il n’y a plus de place pour l’imagination et la séduction. Alors, je préfère imaginer sa virilité. Et ne la découvrir que si j’y ai éventuellement accès. De toute façon, depuis toujours, ce qui m’attire dans un mec, c’est avant tout la tête, puis le torse, les épaules, le cou, les biceps. Et en dernier les fesses ou le sexe. Mais bien entendu, puisque c’est open bar visuel, je ne me prive pas de mater.
Oui, en cette chaude journée du mois d’août, je cherche le soleil. Mais je cherche de l’ombre également. Il y en a derrière la plage, au-delà de la dune, là où les mecs se baladent, se croisent, se toisent, se matent. Et parfois, cachés par les herbes hautes, se donnent du plaisir.
Moi aussi, comme eux, je cherche des rencontres, du sexe. Partout, sur la plage, règne une ambiance de vacances, d’envie de se lâcher, de sexe débridé. La chaleur et l’oisiveté adoucissent les mœurs.
Cet après-midi, j’ai eu de l’eau, du soleil, de l’ombre. Il ne me manque que la rencontre. En attendant, j’ai pris quelques râteaux. De la part de mecs qui ne voulaient pas de moi. J’en ai mis aussi, à des mecs qui voulaient de moi mais dont je n’avais pas envie. Les râteaux dans ce cas se limitent à des regards portés ou reçus, mais pas partagés. Le monde de la drague exprès en vue d’un plaisir rapide est cruel est sans appel. Binaire. On kiffe, ou on ne kiffe pas. Et quand on ne kiffe pas, c’est NEXT ! Direct. Point à la ligne.
Ça peut vite devenir démoralisant. Heureusement, j’ai fini par croiser un mec qui me plaisait et qui a accroché mon regard.
Brun, pas très grand, un peu enrobé, mais plutôt sexy. Un petit collier de barbe bien taillé donne un charme supplémentaire à son visage aux traits doux et masculins à la fois. La peau nue, bronzée, chaude sur la plage est une invitation au plaisir. La pilosité de son torse est un aphrodisiaque visuel. On s’est toisé, on s’est approchés, on s’est (brièvement) parlés.
« Salut » je lui ai lancé.
« Salut ».
« Moi c’est Nico ».
« Moi c’est Thomas ».
Notre conversation n’a guère été plus loin. Nous savions pourquoi nous étions là. Nous savions ce que nous voulions l’un de l’autre. Nous avons cherché un coin discret caché derrière la végétation et nous sommes donnés du plaisir sous le soleil du mois d’août. J’avais des capotes, il en avait aussi. Tout s’est très bien passé. Un mec nous a vus, il s’est arrêté et il a commencé à se branler. Nous lui avons dit de partir et il est parti. C’était plutôt pas mal, malgré le sable qui s’invite partout. Thomas était fougueux et doux à la fois.
Nous avons joui tous les deux. Un instant plus tard, Thomas s’est levé, le regard déjà lointain et il m’a lancé :
« Bonne continuation ».
Je l’ai trouvé charmant. Beau et charmant.
« A toi aussi ».
Je l’ai regardé partir, j’ai regardé impuissant le générique de fin de cette rencontre fugace pour un instant de plaisir.
Qui es-tu beau Thomas, tu viens d’où, tu fais quoi dans la vie, tu aimes quoi ?
Pendant un instant, j’ai eu envie de le retenir. J’ai eu envie de lui proposer d’aller boire un verre. De nous échanger les numéros de portable. L’amour physique crée des liens.
Mais je n’ai rien fait de tel. Je l’ai regardé traverser la dune pour regagner la plage. Pendant qu’une certaine tristesse m’envahissait.
Soudain, je trouve l’endroit tout aussi glauque que je l’avais trouvé excitant auparavant. Avant et après l’orgasme, le monde ne s’affiche pas avec les mêmes couleurs.
J’ai trop tardé à me lever, et je me sens envahir par le doux étourdissement amené par l’orgasme. Je m’allonge sur le sable, en plein soleil. Le vent caresse ma peau et excite mes tétons et mon sexe. Lorsque le vent se calme, je commence à transpirer.
Je me lève alors de cette alcôve improvisée dans le sable, et je vais retrouver ma serviette et mon parasol. En balayant la plage du regard, je reconnais au loin le beau Thomas en train de ramasser ses affaires. Une nouvelle fois, j’ai envie de le rattraper, de connaître un peu plus sa vie, d’échanger nos portables. Mais il est loin, et l’idée de forcer la marche sur le sable pour le rattraper sous un soleil encore chaud me semble un effort inatteignable. L’orgasme m’a vraiment fatigué.
Je le regarde s’éloigner et je prends un dernier bain pour me rafraichir. Le temps de sécher, je m’achemine vers ma voiture garée à une bonne demi-heure de marche de là, à travers sable.
Je marche depuis un bon quart d’heure, je suis à la jonction entre la plage naturiste gay et la plage naturiste tout court, lorsque je remarque quelques mètres devant moi quelque chose qui brille au soleil. En m’approchant, je réalise qu’il s’agit d’un portable, à moitié enfoui dans le sable.
Je le ramasse et j’essaie de le déverrouiller. Par chance, il n’y a pas de code. Et il a de la charge. L’écran s’allume. Mon premier réflexe est de tenter de retrouver le propriétaire pour le lui rendre. Perdre un portable, et surtout son répertoire, n’est jamais agréable.
Je feuillète le répertoire à la recherche d’un contact qui s’appellerait « Maison » ou « Chez moi » ou « Parents » ou « Boulot ». Je ne trouve rien de cela. Beaucoup de contacts, avec le nom d’inconnus et d’entreprises, souvent avec des mails. C’est probablement un tel professionnel.
Je fais défiler la longue liste jusqu’à ce que je tombe sur un numéro qui me fait ciller.
« Ma femme ».
Un homme marié était sur cette plage à la recherche d’un plaisir différent.
Je pense que ce tel va lui manquer. Je décide d’appeler « Ma femme » pour tenter de joindre le propriétaire. Je vais devoir la jouer finement, en toute discrétion. Je ne veux pas trahir un secret. Je ne veux pas gâcher un ménage.
Ça sonne. J’ai le cœur qui tape à mille à l’heure.
« Allo ? » fait une voix de femme à l’autre bout des ondes.
« Bonjour, je m’appelle Nicolas, j’ai trouvé un téléphone sur la… enfin, à côté de la boulangerie et j’ai trouvé votre numéro dedans ».
« C’est le portable de mon mari. Vous êtes où ? ».
« A Gruissan, sur la route qui longe la plage, devant le restaurant La Rotonde ».
« Nous ne sommes pas loin. Dans 5 minutes nous pouvons être là ».
« Je vous attends ».
Pendant l’attente, je me surprends à imaginer la vie d’un mec marié qui trompe sa femme avec des mecs sur une plage de rencontres fugaces. Quelle est leur vie ? Pourquoi il s’est marié ? Pourquoi il reste avec elle ?
Quelques minutes plus tard, je vois arriver une BMW bleu métal, avec au volant une nana blonde. Sur le siège passager, un mec brun, pas très grand, un peu enrobé, mais plutôt sexy. Et charmant, comme je l’avais trouvé charmant après l’amour, deux heures plus tôt.
Habillé avec un polo et d’un jeans de marque, l’allure virile, accompagné de cette belle nana, le mec a vraiment l’air « insoupçonnable ».
« Bonjour, merci de nous avoir prévenus » me glisse la femme.
« Oui, merci » fait le mec, l’air un peu gêné.
« Vous avez trouvé où le portable ? » elle me questionne.
« Par ici, sur la route ».
Elle a l’air dubitative. Il a l’air tendu.
« Il était sur le bord du trottoir devant la boulangerie sur la place, je l’ai percuté avec le pied, et il a failli se faire écraser par une voiture ».
Je mens pour faire plus vrai.
« Ah, oui » rebondit le mec « je voulais acheter du pain mais je me suis rendu compte que je n’avais pas d’argent et j’ai fait demi-tour ».
Lui aussi ment pour faire plus vrai.
« Tu es toujours la même tête en l’air, Thomas ! ».
Le sexy Thomas me tend vingt euros pour me remercier.
« Ce n’est pas la peine ».
« J’insiste ».
Mes doigts frôlent les siens et je retrouve le frisson du contact avec sa peau pendant l’amour.
A cet instant, le téléphone de la nana sonne. Apparemment ça ne capte pas bien, et elle s’éloigne un peu pour chercher à mieux capter.
« Merci de n’avoir rien dit » me lance le mec, en me tendant vingt euros de plus, discrètement.
« De rien. C’est normal. Je ne suis pas un connard » je lui lance, tout en refusant ce nouveau billet.
« Encore merci ».
« Tu es marié depuis longtemps ? » je le questionne.
« Six ans ».
« Et tu viens ici, enfin, là-bas, souvent ? ».
« Parfois. Mais je devrais arrêter. Elle me piste. Un jour elle va me gauler ».
« Mais qu’est-ce que tu fous avec elle si tu aimes les mecs ? ».
« C’est compliqué… j’ai… ».
Thomas se tait, car sa femme revient.
« Allez, il faut y aller, on doit récupérer les enfants chez maman. Illan a voulu jouer à Captain América et Anaïs est tombée et s’est blessée à la main ».
« Comment ça ? C’est grave ? Il faut l’amener aux urgences ! »
Je regarde ce jeune papa dont je connais le torse nu, le sexe, le plaisir. J’assiste à son inquiétude, à sa panique soudaine. J’ai ma réponse. Il veut continuer à voir ses gosses chaque jour, voilà pourquoi il reste avec elle. Parce qu’il aime ses gosses. Parce qu’il aime sa vie bourgeoise.
« Elle a dit que ce n’est pas grave ».
« Pour ta mère ce n’est jamais grave ».
« On va y aller, on verra bien ».
« Merci et au revoir » me lance la nana.
Elle a l’air agacée, je suis persuadé qu’elle se doute de quelque chose.
« Merci encore pour le téléphone » fait le mec, tout en ajoutant un clin d’œil et un petit sourire discrets.
Je le regarde rentrer dans la voiture. Je regarde la voiture repartir, je regarde Thomas repartir vers sa vie, avec sa femme, vers ses enfants.
Fruit d’une IA ou œuvre humaine, il se dégage de cette image un érotisme inouï. Tout y est tellement réaliste, les sujets, les visages, les attitudes, les regards.
Mais le plus saisissant, c’est qu’en regardant cette image, on déroule toute une histoire d’un seul regard.
La scène se passe visiblement dans un local pour garçons, comme en témoigne la présence et l’attitude des deux sujets au premier plan, ainsi que celles des deux autres petits mâles en blanc, et d’autres silhouettes masculines en arrière-plan. Ça se passe visiblement un soir, ou une nuit, dans un bar gay.
On y voit un très beau mâle trentenaire discuter avec un garçon plus jeune, un sublime petit con. Les deux garçons sont proches, le mâle tient une main sur l’épaule du petit con, les regards sont aimantés l’un à l’autre. Ils sont réciproquement verrouillés. Le jeu de séduction est engagé, car le désir est là aussi. La séduction et le désir transpirent de cette image comme une arôme intense, ils sont presque palpables. Ils nous éclaboussent, nous aveuglent. Ça crève les yeux que ces deux-là ont envie l’un de l’autre.
On devine que le bomâle est en train d’apprivoiser le petit con, de le mettre à l’aise, de le séduire. Et que ce dernier se laisse faire, enchanté d’avoir attiré l’attention d’un tel spécimen.
Le beau mâle se tient debout, il a franchi la ligne de la sphère de « l’espace intime », cette limite distancielle en deçà de laquelle on perçoit l’autre comme étant trop proche, à moins qu’on ait envie d’un rapprochent très intime. Dans cet espace intime, le petit con semble avoir laissé rentrer le beau mâle avec un plaisir non dissimulé.
Parlons-en, du beau mâle. Il porte un t-shirt bien ajusté à sa musculature puissante, à ses biceps épais, à ses épaules solides, à son torse vertigineux. Il porte également un short blanc, assez court, qui permet d’apprécier la vigueur de ses cuisses et de ses mollets solides. Visiblement, le Mâle fait du sport.
Un brushing simple et très mec, ainsi que des tatouages sur les bras (il n’en faut pas plus !), rehaussent la virilité de son allure.
Sa façon de s’habiller et son attitude, sa façon de se tenir, tout laisse transparaître l’assurance de ce superbe Mâle.
Il faut être assez satisfait de son corps pour oser un t-shirt aussi ajusté. Un t-shirt parfaitement coupé, épousant parfaitement le haut du torse et flottant légèrement vers le bas, retombant juste au-dessus du bord du short. Ce qui, on le devine, pourrait ouvrir la possibilité, au grès des mouvements du gars, de découvrir furtivement une petite portion de peau et de pilosité entre le nombril et le pubis. Sublime vision.
Il faut également être assez sûr de ses atouts pour porter un short aussi ajusté. Et blanc qui plus est.
Il faut être bien conscient de son charme pour s’approcher autant de l’autre et pour le regarder de cette façon, avec un regard à ce point charmeur, un regard qui déshabille, qui projette un désir brûlant, qui baise carrément.
Oui, c’est un mâle bien conscient de ses atouts, et bien décidé à les laisser s’exprimer. Mais sans affectation. Au contraire, avec une simplicité d’une efficacité redoutable.
On devine que c’est un mâle qui sait ce qu’il veut, et qui sait comment prendre son pied, tout en faisant plaisir à l’autre.
Et le Mâle est visiblement est sous le charme du petit con. Il est attiré par sa jeunesse, par son da fraîcheur. Mais aussi par sa jeune virilité, par son inexpérience, par sa timidité. Et par ses désirs qu’il devine être complémentaires aux siens. Il est curieux de voir ce dont le petit con a envie, et jusqu’où il a envie d’aller. Peut-être que cela l’intrigue par-dessus tout.
Quant au petit con brun, il semble avoir une vingtaine d’années. Il est habillé d’une chemise blanche généreusement ouverte sur son torse élancé, les manches retroussées, laissant imaginer que lui aussi il est déjà conscient de son charme. Laissant transparaître une insolence consciente ou pas, mais une insolence certaine. La jeunesse n’est pas à elle seule, la plus effrontée des insolences ?
Un simple jeans complète sa tenue. Brushing de petit con qui va bien, et petit sourire plutôt charmant. Chez lui aussi, la simplicité de l’allure contribue à amplifier la beauté aveuglante de sa virilité. Il semblerait qu’on soit en présence d’un petit con en quête d’expériences et de découvertes. Est-ce que c’est sa première fois dans ce genre de local, avec à la clé des rencontres avec d’autres garçons ?
Il semblerait que le petit con soit sous le charme du beau mâle blond, qu’il soit bien content que ce dernier se soit levé et qu’il soit venu lui parler. Car visiblement le petit con n’a pas bougé de sa place. C’est le mâle qui s’est déplacé et qui est venu l’aborder. En s’approchant de lui, il lui a peut-être souri. En arrivant près de lui, il lui a certainement dit « Salut », et il lui a peut-être sorti un truc drôle. Le petit con l’a vu approcher, partagé entre bonheur, excitation, et appréhension. Il s’est peut-être demandé « Comment ça va se passer avec ce mec ? ».
Il lui a peut-être répondu « Salut », tout en dégainant son beau sourire, un petit sourire un peu plus timide, ou alors déjà coquin. Un sourire désarmant, qui a peut-être touché et attendri le beau mâle blond bien au déjà de l’attirance.
C’est à ce moment précis, après ce tout premier contact, avant-même de connaître leurs prénoms respectifs, que les deux garçons ont cessé d’être des inconnus, et sont instantanément devenus de futurs amants.
On imagine le mâle se présenter, et le petit con en faire de même. On imagine bien le premier proposer un coup à boire. Et le second accepter. En attendant d’être servis, ils ont commencé à parler, et le courant est passé plein pot. Le courant était déjà passé, en fait. Il était passé à l’instant même où leurs regards s’étaient croisés, alors que la diagonale de la salle les séparait encore, et qu’ils ne connaissaient pas encore la voix de l’autre, le parfum de l’autre, l’intensité du regard et de la présence de l’autre à distance rapprochée.
On imagine aisément la scène d’avant, les deux garçons assis chacun à un bout du zinc, ou bien le mâle assis peut être à une table, seul ou avec des potes.
On imagine les premiers regards échangés, encore à distance, mais déjà pleins de promesses.
Qui a capté l’autre en premier ? Qui a maté l’autre en premier ? Lequel des deux a été « surpris » et ému par le regard de l’autre ? A quel moment ils ont compris le désir de l’autre ?
Et après les premiers regards, on imagine le mâle quitter sa table, se lever et s’approcher du jeune inconnu, confiant de lui plaire, mais aussi intrigué par ses regards insistants, pétillants, aimantés, curieux de connaître le garçon qui se cache derrière cette belle petite gueule et ce corps de petit con qui l’excitent tant.
Mais à cet instant précis, dans cette instantanée de séduction, de quoi parlent-ils ?
A quoi pensent ils en parlant, l’un et l’autre ?
A quel moment et avec quels mots vais-je lui faire comprendre que j’ai envie de conclure ?
A quel moment va-t-il me proposer de nous offrir du plaisir ?
Est-ce que ce petit con va dire oui ?
De quoi ce beau mâle blond a-t-il envie ?
Ce petit mec est beau comme un Dieu, beau comme sa jeunesse et sa naïveté… j’ai envie de le prendre dans mes bras…
Ce mâle est super beau, il a un corps de fou, il a de l’expérience, il va savoir comment me rendre dingue, d’ailleurs, il me rend déjà dingue… j’ai envie d’être dans ses bras…
J’ai envie de découvrir son corps, sa queue, de lui offrir du plaisir…
J’ai envie de découvrir son corps, sa queue, de lui offrir du plaisir…
J’ai envie de me faire sucer…
J’ai envie de le sucer…
J’ai envie de le baiser…
J’ai envie qu’il me baise…
Je bande…
Je bande…
Cette image est un concentré puissant de pur érotisme. Un érotisme si palpable qu’on a l’impression de pouvoir le toucher comme si c’était quelque chose de matériel. Elle est plus bandante que cent heures de porno.
Car cette image est une histoire à elle seule, qui raconte bien plus de choses que ce qui est montré, elle raconte un avant et un après.
Pour l’« avant », on a envie de remonter un peu plus le temps, de les imaginer en train de se préparer pour se rendre dans ce bar, avec l’intention de faire une rencontre, de pouvoir séduire, et de finir la soirée à baiser avec un beau mec embrasant leurs désirs.
Pour l’« après », on imagine bien l’embrasement des désirs et des sens, les baisers enflammés, les vêtements qui sautent, les peaux qui se touchent, les corps qui se mélangent, les sexes qui se tendent, les corps brûlants qui se mélangent, les mains, les bouches, les queues impatientes et avides de faire connaissance avec l’autre.
On imagine le P’tit Con se donnant sans tabou au Bomâle, un mâle viril et sûr de lui, à la fois doux et tendre. On imagine son orgasme puissant remplissant son jeune amant. Et on imagine ce dernier comblé d’être possédé et rempli par la virilité du premier.
Et après le sexe ?
Le mâle blond sera-t-il tendre avec le petit con, le prendra-t-il dans ses bras puissants, lui montrera-t-il qu’il a été touché et ému bien au-delà du plaisir ?
Le petit con aura-t-il envie et besoin de cette tendresse ?
Vont-ils parler après le sexe ?
Ou, au contraire, vont-ils se sentir gênés par un silence que ni l’un ni l’autre ne savent braver ?
Vont-ils partager une cigarette ? Prendre une douche ? Séparément, ensemble ?
Vont-ils recommencer à faire l’amour cette même nuit ?
Comment vont-ils se quitter, le matin venu ?
Avec quels gestes, quels regards, quels égards ?
Cette séparation sera-t-elle aussi difficile pour l’un que pour l’autre ?
Le beau mâle s’avouera-t-il touché par le petit con bien plus qu’il ne l’aurait imaginé ?
Et le petit con, s’avouera-t-il déjà amoureux du beau mâle ?
Vont-ils se retrouver ?
La vie leur fera-t-elle ce cadeau ? Le cadeau du bonheur ?
« Tout me rend envieux dans cette photo, même si je ne sais pas lequel des deux j’envie le plus, lequel des deux je voudrais être, lequel des deux j’aurais voulu être, le BoMâle fier et sûr de sa virilité, ou le Ptit Con qui croque sa vie… ».
Il est des films, qu’on appelle pornographiques, qui montrent le sexe et qui sont censés être « excitants ». Ils le sont pour certains, mais certainement pas pour moi. Car, à mes yeux, ces films n’ont d’obscène que le fait de montrer une réalité déformée, qui ne correspond en rien à ce qui se passe dans la vraie vie. Ces films montrent des corps et des « outils » que, souvent, on n’a clairement pas à la maison. Ils montrent une réalité scénarisée. Une réalité laide car simulée, justement. Pour moi, il n’est d’érotisme qua dans la spontanéité. Dès que je subodore la mise en scène, cela perd toute valeur.
Celle du porno est une réalité propice à la comparaison, au complexe. Propice à idéaliser et façonner une certaine idée de la beauté, de la recherche de plaisir et des relations intimes. Dans le porno, tout est domination ou soumission. Le porno devient dangereux quand il sert d’éducation sexuelle à des regards trop jeunes. Hélas, c’est massivement le cas aujourd’hui à l’époque d’Internet
Le porno agit comme une drogue. Au début, il suffit de peu pour s’exciter. Le temps allant, il en faut de plus en plus, de plus en plus cru, de plus en plus violent. Le porno est né en imitant le sexe, désormais, c’est le sexe qui suit les diktats du porno. C’est navrant. C’est le monde à l’envers. On ne peut pas laisser une fiction grossière façonner notre rapport au sexe, et encore moins notre rapport à l’autre.
Et il existe des romans qui, pendant de centaines de pages, tentent de décrire le désir, et même le sexe, l’érotisme, la sensualité. Parfois, ils s’en sortent plutôt pas mal, en tout cas beaucoup mieux que le porno.
Et puis, il y a des images comme celle-ci qui disent tout, en un instant.
Un instant de bonheur dans la vie de deux garçons.
Quant aux deux mecs en blanc en arrière-plan, deux petits mâles d’une vingtaine d’année, eux non plus ne semblent pas partis pour rentrer seuls.
Il y a en fait une autre histoire qui se déroule en arrière-plan, une histoire tout aussi intéressante et sur laquelle on aurait aussi beaucoup à dire.
Si tu aimes mes histoires, tu peux m’aider de différentes façons.
Première façon :
Avec un don, qui servira pour dégager du temps de mon activité principale pour pouvoir me consacrer à l’écriture.
Deux méthodes possibles :
OU
Deuxième façon
Avec tes compétences !
Je cherche du conseil pour la promotion/réseaux sociaux/wattpad afin de promouvoir mes histoires.
J’ai un travail prenant, et l’écriture me prend également beaucoup de temps.
Je n’ai pas le temps ni les compétences pour m’occuper de la promotion de mon oeuvre.
Pourrais tu m’aider?
As-tu ces connaissances? Viens me parler, pour en discuter!
Merci aux lecteurs qui ont donné de leur temps pour cette aventure, et je pense tout particulièrement à FanB et à Yann, et merci à ceux qui m’aideront à l’avenir.
Merci aux tipeurs qui m’ont aidé par le passé, à ce qui m’aident encore, je pense en particulier à Cyril et à Florent, et merci à ceux qui m’aideront à l’avenir.
Merci à tous ceux qui ont laissé des commentaires qui m’ont beaucoup aidé à progresser dans l’écriture.
je suis tenté de lancer un pavé dans la mare. En partant de quelques constats simples. Depuis de nombreux années, Internet habitue à la facilité d’accès et à la gratuité. De ce fait, on aurait presque tendance à ignorer le volume immense de travail que représente la production de contenus, l’écriture dans mon cas. Environ 15.000 lecteurs ont suivi chaque épisode de Jérém&Nico, alors que très peu de lecteurs et lectrices (que je remercie infiniment au passage) m’ont donné un coup de main pour m’aider à financer le temps que je consacre à l’écriture. Est-ce que mon travail vaut donc zéro? Si des lecteurs sont revenus à chaque épisode, et jusqu’au dernier, je serais tenté de dire que ce n’est pas le cas. Quel serait donc la juste contribution ou le bon moyen pour permettre de pérenniser cette aventure littéraire ? Je ne le sais pas. Ce dont je suis certain, c’est que la réponse ne peut pas être zéro.
« La toute première rémunération de mon travail d’écriture, c’est vous, les lecteurs, votre présence, votre fidélité. Mais sans le temps pour écrire, Jérém&Nico n’existerait pas, n’existerait plus.
Ce temps pour écrire, tu peux me l’offrir, à hauteur de tes moyens. Pour faire continuer ce partage qui dure depuis trois ans déjà. TIPEE.COM/jerem-nico-s1. Simple, rapide, sans engagement. Ou avec Paypal, encore plus simple. Je peux activer d’autres moyens de paiement au besoin. Il suffit de me dire.
Vous êtes nombreux à avoir demandé une version papier de l’histoire de Jérém&Nico.
Le premier volume, avec les 30 premiers épisodes, retravaillés et enrichis, va paraître en juin 2018 au prix de 30 euros en format papier ou 15 euros en format pdf.
Acheter ce livre, est une autre façon de financer mes futurs projets.
Merci d’avance. Fabien.
Aujourd’hui, je lance une campagne Tipeee afin de pérenniser mon travail d’écriture en me dégageant du temps de mon activité professionnelle principale.
En effet, jusqu’à présent, j’ai écrit le soir, le week-end, profitant de chaque moment disponible de mon temps libre.
Mais désormais, l’écriture me prend de plus en plus de temps et je pense qu’à l’avenir j’aurais du mal à tenir ce rythme sans une aide extérieure.
Pourtant, cette histoire a besoin d’avancer plus vite pour garder sa cohérence et un bon rythme.
C’est pourquoi, j’appelle ceux qui apprécient mon histoire à me soutenir par le biais de ce financement participatif.
Le financement Tipeee me permettra donc, dans un premier temps, de réaliser mon objectif d’un épisode par semaine, et d’augmenter la cadence jusqu’à 6 parutions par mois, suivant l’importance des collectes mensuelles.
Vous l’imaginez bien, pour pouvoir publier mon histoire à un rythme régulier, il faut évidemment d’abord que je l’écrive. Pour chaque épisode, entre 20 et 25 heures de rédaction sont nécessaires.
Pour publier quatre à six épisodes par mois, ça demande de disposer de plus de temps que je n’en ai actuellement.
Du coup, il faut que je trouve plus de disponibilité.
Et comme, aux dernières nouvelles, il vous est impossible de m’offrir du temps en bouteille, l’idée est que je puisse dégager du temps sur mes obligations professionnelles actuelles.
Mais pourquoi un financement participatif
pour quelque chose qui est actuellement gratuit ??
Depuis le départ, mon histoire est publiée par épisodes hebdomadaires (quand je peux !) sur le site « Histoires de sexe » et sur mon blog :
Le lien avec les lecteurs est très important pour moi et le fait de savoir que des milliers de lecteurs attendent « la suite » chaque semaine, m’aide à avancer.
C’est dans ce sens là que cette histoire est aussi l’histoire de ceux qui la lisent et dont la présence aide à son avancement.
Grâce au financement, l’histoire pourra avancer plus vite, et aller plus loin.
Grâce à vous.
Oui, cette collecte est avant tout une collecte de TEMPS.
On entend souvent que le temps c’est de l’argent, mais l’inverse est vrai aussi.
Maintenant :
Pendant la collecte :
Et pour commencer, j’ai besoin de changer mon ordi, de financer le site Internet, de faire imprimer des t-shirts.
Dans l’idéal, dans un deuxième temps, et en fonction du budget dégagé, l’idée la plus folle serait de faire de l’écriture une activité à temps plein, du moins le temps de terminer cette histoire.
Et pourquoi pas, m’attaquer à d’autres projets plus tard.
si tu as aimé mes écrits, tu peux soutenir mon travail d’écriture, m’aider à dégager du temps pour que de nouveaux projets puissent aboutir. A hauteur de tes moyens, bien entendu.
Par un simple don, en une fois ou mensuel, via Paypal ou Tipeee, voir liens un peu plus bas.
Aussi, il est toujours possible de commander le premier tome de Jérém&Nico. Ça existe en version papier (merci d’indiquer votre adresse en MP fabien75fabien@yahoo.fr), au prix de 25 euros, ou en version epub (merci d’indiquer votre mail en MP), au prix de 12 euros.
Voilà, l’aventure Jérém&Nico est arrivée à son terme. Le dernier épisode a été publié le 16 mai 2024.
Jérém&Nico a été une aventure qui a duré près de dix années, une aventure que j’ai partagée avec vous. Je remercie chacun d’entre vous pour avoir été là à chaque épisode, je vous remercie pour m’avoir soutenu et aidé, par le biais de votre fidélité, à mener ce projet au bout.
Une soirée de chat a clôturé cette aventure le 21 mai. Il est possible de retrouver les échanges de cette soirée en cliquant sur ce lien :
Jérém&Nico, c’est l’histoire d’un (nouveau) site internet.
Toulouse, décembre 2024
D’abord, bonjour à vous, bonjour à toi, et merci de l’intérêt que tu portes à mon projet.
Vous êtes ici sur jerem-nico.fr, le nouveau site de Jérém&Nico.
Il fut un temps où le nom du site était jerem-nico.com.
Mais suite à une négligence de l’ancien hébergeur, négligence mettant à mal l’ancienne version du site, j’ai dû changer, d’hébergeur et de nom de domaine.
J’en ai profité pour concevoir une toute nouvelle plateforme d’hébergement de mon histoire, avec l’aide de Yann, pour y publier de nouvelles versions des épisodes de la saison 1 et des 20 premiers épisodes de la saison 2, ainsi que des versions réécrites entre 2020 et 2025.
Ces nouvelles versions ne dérogent pas au scénario d’origine, mais ont été remises au goût du jour. Mon goût du jour.
En effet, au fil du temps, mon écriture a évolué.
Et je ne me reconnaissais plus dans la syntaxe et certaines tournures des premiers épisodes. Je me sens beaucoup plus à l’aise avec ces nouvelles versions.
En ce jour d’août 2014 où j’ai commencé à écrire l’histoire de Jérém & Nico, je n’aurais jamais pensé que, dix ans plus tard, j’en arriverais là : dix années d’écriture, des heures prises sur mon temps « perdu », le soir, la nuit, le matin de très bonne heure, les week-ends, les quelques moments volés à mon métier principal. Cinq saisons, plus de 230 épisodes, un site internet dédié, des millions de vues, des milliers de commentaires. Et quelques belles rencontres humaines.
En effet, l’histoire devait faire au départ moins de 10 épisodes !
Mais l’écriture s’est imposée à moi toute seule. L’histoire est venue à moi, avec ses personnages, ses développements, et avec l’envie de raconter la beauté masculine.
Au fil des textes, j’ai eu envie de rendre hommage à tous ces garçons, la plupart du temps des anonymes, des garçons observés au quotidien et à leur insu, l’espace d’un instant fugace et précieux, d’autres croisés avec un peu plus de régularité au hasard de la vie.
Des garçons qui, de par leur façon d’être, avec un simple geste, un mot, une simple attitude inconsciente, sont pour moi une source d’inspiration inépuisable. Des garçons qui me font vibrer, qui me font me sentir vivant.
La beauté, le charme masculin, le désir et l’amour entre garçons : voilà les quatre piliers de mon récit. Sans eux, la vie serait bien moins douce.
Mon histoire c’est l’histoire d’un mec qui a toujours aimé écrire, une passion à laquelle la vie l’a empêché de s’appliquer pendant 15 ans.
Et puis, un jour de l’été 2014, tout cela a commencé à sortir, comme de la lave en fusion. Cette histoire était en moi, ou plutôt elle s’est accumulée en moi jour après jour. Peut-être que tout simplement j’avais besoin de temps pour vivre, imaginer, rêver ou rater ce que j’écrirai plus tard.
Jérém & Nico ce n’est pas mon histoire. C’est une histoire imaginée, mais une histoire qui contient, le plus souvent entre les lignes, pas mal de mon histoire.
Mon histoire, c’est l’histoire d’un mec qui ne voit pas le temps passer quand il est devant son clavier, qui oublie tout et vit avec ses personnages. Un mec qui voudrait avoir à disposition un peu plus de temps pour écrire, sans s’empêcher de vivre à côté de sa passion nouvelle.
C’est l’histoire d’un mec qui a envie de se lancer dans un projet ambitieux. Un projet un peu fou, audacieux, passionnant.
Nico, c’est moi. J’ai 18 ans, 19 dans peu de temps. J’habite Toulouse et, en ce mois de juillet 2001, je viens de passer mon bac et j’attends les résultats.
En attendant de partir à Bordeaux à la rentrée pour poursuivre mes études, je vis toujours avec mes parents dans le quartier de Saint-Michel.
Jérém est le garçon dont je suis fou amoureux depuis le premier jour du lycée. Brun, gaulé comme un dieu, avec une petite gueule bien sexy à faire jouir d’urgence. Rugbyman et coureur de nanas, depuis trois ans il occupe toutes mes pensées, tous mes fantasmes, et toutes mes branlettes.
C’est par une belle journée de printemps, et après qu’il a ramassé une énième mauvaise note en maths, que j’ai trouvé le courage de lui proposer de réviser chez lui, en vue du bac. Et à ma grande surprise, il a dit oui.
Mais au lieu de réviser, il a voulu que je le suce. Sa proposition était sans détours. Alors, je l’ai sucé. Il a aussi voulu me baiser. Là non plus, je n’ai pas dit non. Je n’ai pas pu dire non. J’en avais tellement envie.
Depuis ce jour, nous n’avons pas arrêté de coucher ensemble : chez lui, dans les chiottes du lycée, dans les vestiaires de la piscine, ou ceux du terrain de rugby.
Le sexe avec Jérém, c’est explosif. Il fait ça comme un Dieu. Jérém est le genre de gars macho qui sait ce qu’il veut au pieu. Et il me fait bien comprendre que je ne suis pour lui rien de plus qu’un objet sexuel.
« Je baise, je ne fais pas de câlins » il m’a balancé un jour, alors que je cherchais un peu de tendresse auprès de lui après le sexe.
Le sexe, c’est le moteur de notre « relation », et Jérém, n’en demande pas plus. Mais pour moi, c’est différent : car moi, je suis amoureux de lui.
Pendant des semaines, avant le bac, notre relation a connu des hauts et des bas, principalement à cause du fait qu’il n’assume pas nos coucheries et le plaisir qu’il prend avec moi.
Bref, on ne peut pas dire que ma relation avec le bobrun soit de tout repos. Heureusement, je peux compter sur le soutien de ma cousine Elodie. Elle a quelques années de plus que moi et elle est pétrie de bon sens et d’humour. C’est la première personne auprès de laquelle j’ai fait mon coming out. Et elle a toujours été là quand j’avais besoin d’elle.
Pendant le bac, c’est devenu de plus en plus tendu entre Jérém et moi. Jérém m’a jeté plusieurs fois et je me suis retrouvé un jour, entre deux épreuves, à faire la sieste à l’ombre sur la pelouse de la Cathédrale Saint Etienne. C’est là qu’un labrador noir est venu me tirer de mon sommeil. Le labrador était accompagné d’un charmant garçon nommé Stéphane.
Stéphane est un gars comme moi, un garçon qui aime les garçons et qui assume qui il est et ce dont il a envie. Stéphane est un gars vraiment adorable. Nous avons sympathisé, et nous avons même couché ensemble. Avec Stéphane, j’ai découvert que l’amour entre garçons peut être doux, tendre, passionné mais respectueux de l’autre. Qu’il peut être partage et non seulement domination et soumission. Et qu’il n’y a pas que le sexe sans âme, comme c’était le cas avec Jérém. Ce garçon, Stéphane, m’a fait me sentir bien.
J’aimerais bien le revoir, devenir son ami, et pourquoi pas son amant, et pourquoi pas… et pourquoi pas plus.
Hélas, Stéphane va bientôt déménager en Suisse à cause de son taf.
Après la fin du bac, je suis parti une semaine à Gruissan avec ma cousine. Sur la plage de la Mateille, je me suis consacré à mes activités préférées, ressasser ma relation impossible avec le beau brun, me baigner, rigoler avec ma cousine, me baigner à nouveau. Et mater les bogoss.
La météo mauvaise a été à l’origine de notre retour anticipé sur Toulouse. Retour qu’Elodie a proposé d’égayer avec une escapade à la piscine Nakache. Sur le bord du grand bassin, j’ai recroisé Jérémie. Dans une cabine des vestiaires, je me suis tapé Jérémie.
Deux jours plus tard, j’avais recroisé Stéphane en ville. Jérém nous a vus, et il a continué son chemin. Mais il nous a toisés avec un regard noir, très noir. Y avait-il de la jalousie mal placée dans ce regard ? De la jalousie de la part d’un gars qui me prend quand il veut et me jette quand ça l’arrange, un gars « qui n’a pas de comptes à me rendre » comme il me l’a bien signifié lorsque j’ai essayé de lui dire à quel point ça me fait mal de savoir qu’il ne se prive pas de continuer à coucher avec des nanas entre nos révisions.
« Le bac est passé, les révisions c’est fini » m’avait balancé Jérém une fois lorsque je lui avais demandé si nous pouvions continuer à nous voir pendant l’été.
Alors, j’ai accepté l’invitation de Stéphane de nous revoir le lendemain soir.
Mais alors que je suis en train de me préparer pour me rendre à mon rendez-vous avec le Gars au labrador, un SMS me tombe dessus comme un coup de massue :
D’abord, bonjour à vous, bonjour à toi, et merci de l’intérêt que tu portes à mon projet, si tu es arrivé à lire jusqu’ici.
Mon histoire c’est l’histoire d’un mec qui a toujours aimé écrire, une passion à laquelle la vie l’a empêché de s’appliquer pendant 15 ans.
Et puis, un jour de l’été 2014, tout cela a commencé à sortir, comme de la lave en fusion. Cette histoire était en moi, ou plutôt elle s’est accumulée en moi jour après jour. Peut-être que tout simplement j’avais besoin de temps pour vivre, imaginer, rêver ou rater ce que j’écrirai plus tard.
Jérém & Nico ce n’est pas mon histoire. C’est une histoire imaginée, mais une histoire qui contient, le plus souvent entre les lignes, pas mal de mon histoire.
Mon histoire, c’est l’histoire d’un mec qui ne voit pas le temps passer quand il est devant son clavier, qui oublie tout et vit avec ses personnages ; un mec qui voudrait avoir à disposition un peu plus de temps pour écrire, sans s’empêcher de vivre à côté.
C’est l’histoire d’un mec qui a envie de se lancer dans un projet ambitieux. Un projet un peu fou, audacieux, passionnant.
Ce matin, tu n’es pas là non plus. Tu as carrément découché. Ce matin est donc un triste matin. Je suis en manque, en manque de toi. Chaque instant de ma journée tend alors vers toi, dans l’attente interminable de ton arrivée la nuit venue, dans l’attente d’une dose de ta bogossitude. Car je suis désormais clairement en manque. J’espère vraiment que tu vas rentrer. Je ne vais pas tenir deux nuits d’affilé sans te voir. D’autant plus que le compte à rebours de mon départ hante désormais chacun des instants où je pense à toi. C’est-à-dire, chaque instant de mon temps d’éveil.
Cette nuit, tu rentres enfin. Une fois de plus, tu portes un t-shirt blanc qui te va comme un gant, et qui crée un délicieux contraste avec ta peau mate. Tu es sexy en diable. Je suis allongé sur l’une des chaises longues du jardin. Et, à ma grande surprise, tu prends place sur la deuxième, à tout juste un mètre de moi. Nous buvons une bière dans le jardin en profitant de la douce fraîcheur nocturne, l’incessant chant des cigales en fond sonore. Au fil des gorgées, tu te lâches. D’ailleurs, tu me sembles déjà un peu éméché. Et ça délie ta langue. Tu me racontes que tu as bu des coups avec tes potes. Mais tu me parles aussi d’une nana que tu aurais eu envie de serrer, une serveuse, une nana de ton âge, mais qui ne s’intéresse pas à toi. Tu me racontes à quel point elle te fait fantasmer. Tu me racontes les envies que cette nana t’inspire, tu me les racontes dans les moindres détails, je bous de l’intérieur, je bande à en avoir mal. Tu es désormais parfaitement conscient qu’il suffirait de si peu pour que ça bascule. Tu me chauffes, tu me nargues comme on ferait avec un bidon d’essence avec un briquet, mais tu te tiens toujours à une distance suffisante, tout juste suffisante pour que l’incendie ne démarre pas. C’est un jeu d’équilibriste que tu maitrises à la perfection. Tu joues avec mes nerfs, avec mon désir. Tu me pièges avec mon désir. Tu es là, si près de moi, allongé sur cette chaise longue, les cuisses légèrement écartées, position suggestive s’il en est, et il suffirait que j’allonge mon bras pour te toucher. Définitivement, ça t’amuse de jouer avec moi. Mais pourquoi te contenter de jouer, alors qu’il suffirait d’un geste, d’un seul, pour que je te fasse jouir ? Une seule voyelle diffère, et un tout autre monde s’offrirait à toi, à nous. Peut-être que toi aussi tu as envie qu’il se passe un truc entre nous, que tu as envie d’essayer avec un mec, de comprendre qui tu es. Un mec qui est là, à tes pieds, et à qui, tu le sais désormais, tu pourrais demander tout ce que tu veux. Un mec qui ne te refuserait rien. As-tu vraiment envie d’essayer avec un garçon, ou bien est-ce que c’est avant tout le fait de voir dans quel état tu es capable de me mettre qui te plaît, que tu kiffes avant tout ? Est-ce que ce kif te suffit, et tu n’envisages nullement de passer à l’acte avec un mec, et surtout pas avec moi ? Est-ce que tu découvres avec moi l’effet que tu pourras exercer plus tard avec d’autres mecs ? Des garçons de ton âge, des garçons « de ton espèce », des garçons aussi beaux que toi. Je te désire comme un fou. Et le dernier rempart contre la folie n’est autre que la peur. La peur de me méprendre sur tes intentions. La peur de ta réaction, si j’osais quelque chose. Et aussi la peur la plus grande de toutes, celle de m’attacher excessivement à toi, a fortiori s’il se passait quelque chose. Appelons un chat un chat, c’est la peur de tomber amoureux de toi, de plus pouvoir me passer de toi, alors que tu as ta vie, ta jeunesse à vivre, et que tu n’es pas prêt à aimer comme j’en aurais besoin. Tomber amoureux de toi ce serait me condamner à être terriblement malheureux. D’ailleurs, je me demande si je ne le suis déjà un peu, amoureux et malheureux à cause de toi. Je sens monter ça en moi, ce manque de chaque instant, je sens la tendresse se mélanger avec le désir. Je sens ce mélange explosif chauffer en moi, et ça me fait peur. Par moment, un éclair de lucidité me suggère de partir sans tarder, de partir sur le champ. Pour couper net à ce sentiment naissant avant que ce ne soit trop tard, avant que l’addition ne s’installe pour de bon, pour m’éviter un sevrage brutal et douloureux du jour de mon départ. Hélas, lorsqu’on commence à se dire qu’il faut se préserver d’une addiction, c’est que cette addiction nous cerne déjà. L’addiction à toi fait des ravages en moi, beau Valentin. Tu es trop tentant, et si proche. Mais quoi faire de cette addiction, alors que je n’ose rien à part te contempler, te désirer, et me torturer l’esprit ? Quoi en faire, de cette addiction, à part me laisser dévorer ?
Ton monologue interminable d’hétéro de base fantasmant sur les nanas à gros seins n’a pas de fin, ça tourne en boucle et ça commencée sérieusement à me saouler. Noyant par la même occasion les promesses que cette conversation semblait porter au départ dans un océan de frustration sans fin. Je m’en fous de t’entendre raconter tes fantasmes, moi j’ai envie de réaliser les miens, et les tiens par la même occasion, même ceux dont tu n’as mes pas encore conscience ! Mais aucun signe clair ne vient de ta part. Je dois me rendre à l’évidence, un mur de verre infranchissable sépare ma vie de la tienne, mon plaisir du tien. Chaque instant qui passe est une petite mort pour moi. Non, je n’oserai rien tenter, et tu ne feras pas ce petit pas vers moi qui ferait tout basculer. Non, ce soir non plus je ne connaitrai pas le bonheur de te faire jouir. C’est foutu, une fois de plus, et c’est foutu tout court. Le jour de mon départ va arriver, et il ne se sera rien passé entre nous, beau Valentin. L’heure tourne, la fatigue me saisit, rendant ma frustration de plus en plus cuisante. Te voir à la fois si proche et si inaccessible, tout comme t’entendre raconter tes fantasmes en bouche est désormais au-dessus de mes forces. Je me lève de la chaise longue, je m’approche de ma porte. Tu me suis, tu t’approches de moi, vraiment très près, tu continues à me parler, tu es intarissable cette nuit. On dirait que tu veux me retenir. Pour quoi faire ? Te voir de si près me fait bouillir. Ton parfum, les détails de ta peau mate, le grain de ta peau, le petit grain de beauté au creux de ton cou. Je craque ! Je suis excité au possible. Je bande comme un âne. Ma frustration m’étouffe, me terrasse. Je cherche à fuir, à te fuir. J’ai besoin de me refugier dans ma tanière, j’ai besoin de me protéger de toi, de me couper de toi. Mais tu dérives désormais vers ta porte, tu ne me lâches pas. Ta voix est comme le son du pipeau magique, ça me charme, je te suis. Je te suivrai au bout du monde, je me noierais dans la rivière pour te suivre. Surtout si tu me permettais d’accéder à ce pipeau que tu ne réserves qu’aux nanas ! Tu te déplaces petit pas par petit pas, sans jamais arrêter de me parler, ton regard planté dans le mien. On dirait vraiment que tu veux m’attirer vers toi. Tu es désormais sur le pas de ta porte, et j’ai furieusement envie de me mettre à genoux et de te sucer. Ton regard est de plus en plus caressant et sensuel. Tu continues à me parler, tu passes le seuil de dans ton gîte, je te suis, je passe à mon tour le seuil de ta porte. Pénétrer enfin dans ta tanière décuple mon excitation, mes narines sont saisies par un mélange olfactif composé de l’odeur froid de cigarette et ton parfum, une empreinte olfactive qui imprègne l’air et qui me rappelle instantanément à ton intimité et, par ricochet, à ta virilité. J’ai envie de toi, putaaaaaaaaaaaaaaiiiiiiiiiiin !!!! — J’ai envie de la faire couiner pendant toute une nuit ! tu lances, vantard, au sujet de cette nana sur qui tu fantasmes. Moi aussi j’ai envie que tu me fasses couiner pendant toute une nuit, putain de bogoss ! J’aimerais tellement avoir le cran de te le dire haut et fort ! — Et toi, c’est qui que tu as envie de faire couiner ? tu enchaînes à brûle pourpoint. — De… de quoi ? je me trouve déstabilisé. — A moins que t’aies plutôt envie qu’on te fasse couiner… tu insinues. — Ça dépend du gars avec qui je suis… — Tu es versa ? — Tu connais ce mot, toi… — Oui, Monsieur ! — On peut dire que je suis versa, oui, si on veut… — Et avec un gars comme moi, tu serais quoi ? — Je… je… je ne sais pas… — Tu me kiffes, hein ? — Tu es beau mec, c’est certain. — Je pense que si j’étais partant, tu ne dirais pas non… — Il y a des chances… — Mais je suis hétéro, alors, pas de chances ! A cet instant, je réalise que je n’en peux plus. Je sens monter en moi un épuisement moral et physique. J’ai besoin que ça cesse. — Je te souhaite la bonne nuit, je m’entends lâcher, la voix basse, épuisée. La pression du désir et le déchirement de la frustration ont fini par provoquer un black-out cérébral. Cette « Bonne nuit », est ma façon de me délivrer de tout cela, le bouton « Arrêt de sécurité ». Je sais que, ce faisant, je nique toute possibilité qu’il se passe quoi que ce soit avec toi. Mais cette « Bonne nuit » est avant tout un instinct de survie. — Déjà tu te couches ? tu me lances, l’air étonné. Est-ce que tu voudrais que je reste encore ? Mais à quoi bon, au final ? De toute façon, je ne vais oser rentrer dans ton jeu. De toute façon, comme tu l’as dit, tu es hétéro. De toute façon, il ne se passera rien entre nous. — Je tombe de sommeil, je confirme mon forfait. — Alors bonne nuit, papi ! tu te moques. N’oublie pas ta tisane ! Je n’ai la présence d’esprit ni l’énergie d’ajouter quoi que ce soit à ta réplique de sale petit con. Mon cœur bat à tout rompre, et j’ai la tête qui tourne. Je me lève, j’avance jusqu’à la porte de mon gîte et je m’enferme dedans. Pendant il long moment, je reste immobile derrière ma porte, comme un animal tapi dans sa tanière. Je me déteste pour ce forfait. Je voudrais pouvoir remonter le temps, trouver les bonnes répliques pour savoir te séduire. Mais c’est bien au-dessus de mes forces. Un instant plus tard, j’entends le grincement bien connu des gonds de ta porte. Je me déteste à un point que j’ai envie de me jeter d’un pont. Pourquoi, pourquoi j’ai fait ça ? Pourquoi j’ai fui de cette façon idiote ? Qu’est-ce que tu dois désormais penser de moi, qui a passé des semaines à te mater et qui ne suis même pas foutu d’assumer mon désir ? Je passe toute une nuit blanche à me dire qu’il aurait suffi de peu pour que ça bascule entre nous. Et que j’ai encore laissé passer une occasion qui ne se représentera pas. Je me sens idiot, honteux. Je suis tellement mal que n’ai même pas envie de me branler. Après ce qui vient de se passer, je sais que je vais être très mal à la l’aise vis-à-vis de toi. Vivement que mon séjour arrive à la fin. Je me dis que je ferais bien de partir dès le lendemain, avant de te croiser, avant que tu racontes à ta grand-mère que j’ai essayé de coucher avec toi.
Matin J-2 avant mon départ.
Il fait gris aujourd’hui. Il y a beaucoup de vent, et il fait frais. Après avoir pris le petit déj avec ta grand-mère, je me refugie dans mes appartements. En attendant de décider quand je vais partir, je t’évite. Pour ne plus être confronté à ta beauté, à ta jeunesse, à la tentation, à ce désir qui me ronge depuis des semaines et qui habite désormais toutes mes journées, pour ne plus être confronté à la frustration. Je t’évite par-dessus tout pour ne pas croiser ton regard dans lequel j’ai peur d’y lire de l’hostilité, du dégoût. Pour ne pas être confronté à la honte. Je ferme la porte, les rideaux, je me refugie dans ma forteresse faite de mots et de ponctuation. Le matin avance, je t’entends sortir de ta tanière, aller prendre le petit déj, échanger quelques mots avec ta grand-mère. Je t’entends rire, tu as l’air joyeux ce matin. Est-ce que tu te souviens de ce qui a failli se passer la nuit dernière ? Est-ce que tu es content de ne pas me trouver sur ton chemin ce matin, dans ton champ de vision ? Même avec la porte fermée, j’entends tes pas sur les gravillons, je t’entends approcher. Pendant un instant, je m’imagine que tu vas venir toquer à ma porte et me demander pourquoi je me barricade chez moi. Mais tu traces tout droit vers ton gîte, bien évidemment. Malgré la porte fermée, un peu de la fumée de ta cigarette parvient quand même à mes narines, à me parler de ta présence inaccessible. Ce matin, je ne t’ai pas vu, je t’ai juste entendu, juste senti. Et j’ai toujours autant envie de toi, p’tit con ! Tes nouveaux pas sur les gravillons, une heure plus tard, me notifient ton départ au travail. Et mon esprit retrouve enfin le calme nécessaire pour envisager de faire autre chose de ma journée que de penser à toi obsessionnellement. Je pars à la plage, et la journée file à toute vitesse. Lorsque l’après-midi touche à sa fin, je n’ai plus envie de partir. Apparemment, tu n’as rien dit à ta grand-mère de ce qui s’est passé la nuit dernière. Elle est toujours aussi avenante avec moi. Alors, je me dis qu’une nuit de plus ça ne peut pas me tuer. Au pire, je partirai demain. Aussi, et surtout, j’ai envie de te revoir une dernière fois, et de savoir si tu es vexé par ma réaction de la veille. Si tu l’es, j’ai envie de m’excuser. Tu ne seras jamais attiré par moi, mais je ne veux pas qu’en plus tu sois fâché avec moi.
Nuit suivante le matin J-2 avant mon départ.
Cette nuit, l’attente est assommante. Une heure du matin arrive, puis deux heures, et tu n’es toujours pas là. Je n’ai la tête à rien, sauf à t’attendre et à essayer l’impossible. Je me répète des dizaines de fois les mots que je voudrais te dire. Je t’attends dans le jardin, je ne veux pas te rater. Je t’attends la boule au ventre, comme en apnée, redoutant ta réaction, perdant un peu plus mes moyens et ma motivation à chaque minute qui passe. Je commence à désespérer de te voir rentrer. Je me dis qu’après ce qui s’est passé la nuit dernière, tu vas découcher pour éviter de me croiser.
Mais tu finis par rentrer. Il est presque deux heures trente. Et tu es beau comme un Dieu. Tes cheveux insolents vers l’avant, en bataille, rebondissent à chacun de tes pas. Tu portes un t-shirt vert militaire bandant à souhait. J’attends avec impatience de croiser ton regard, de découvrir sa teneur à mon égard. Tu as l’air de m’ignorer, ça démarre mal. Visiblement, tu te souviens très bien de ce qui s’est passé la nuit dernière, et tu m’en veux. Mais je dois en avoir le cœur net. — Salut ! je te lance, pas très assuré. — Salut ! tu me réponds. Et tu t’arrêtes net, tu me regardes, tu souris. — Ça va ? — Bien, bien… — Tant mieux alors… — Tu me proposes une bière ? tu enchaînes.
Apparemment, tu n’es pas vexé pour un sou. Je me suis fait mille films pour rien. Soudain, ma honte s’évapore, laissant la place à un espoir qui vient de renaitre de ses cendres. Je suis curieux de voir comment cette nuit, l’avant-dernière de mon séjour, va se ficeler. Installés à la table du jardin, autour d’une bière et d’une cigarette, en cette douce nuit estivale bercé par un fond sonore de cigales, tu as moins envie de parler que d’écouter. Tu me demandes comment j’ai su que j’étais pédé, comment je m’y suis pris pour rencontrer des gars comme moi, comment j’ai pu assumer qui j’étais et si ça n’a pas été trop dur. Tes questions ressemblent à celles que j’aurais moi-même posées à ton âge à un garçon homo de mon âge, si seulement j’avais eu la chance d’en croiser un. J’aurais eu tellement besoin d’avoir des réponses et d’être rassuré à cette époque ! Est-ce que toi, beau Valentin, t’as ce même besoin d’être rassuré, et pour les mêmes raisons que moi ? Si c’est le cas, je veux bien te faire profiter de mon expérience. Elle vaut ce qu’elle vaut, il y a certainement bien plus à jeter qu’à garder – je suis le roi des mauvais choix, l’artiste des regrets et des remords – mais elle a le mérite d’être authentique. J’ai bien compris que tu ne me permettras pas de te faire découvrir le plaisir entre garçons. Mais si je peux t’aider ne serait-ce qu’à faire un pas, si petit soit-il, dans le plus grand et dangereux voyage de chaque vie, celui amenant à la connaissance de soi-même, soit. J’en serai fier. Je te parle de mes douze ans, l’époque où j’ai vraiment réalisé que les garçons attiraient mon regard. Je te parle du harcèlement dont j’ai été victime, de cette boule au ventre qui m’a suivi pendant tout le collège et le lycée. Je te parle de la première fois où j’ai vu Jérém dans la cour du lycée, et de comment j’ai été fou de lui au premier regard. Je te parle de mes révisions de math avec lui, de la façon dont je suis arrivé à l’apprivoiser, lui qui au début voulait juste me baiser, tout en considérant qu’il « n’était pas pédé », lui non plus. Je te parle de ma jalousie, des jours et des nuits passés à me torturer à cause de cette relation. Je te parle de notre belle histoire d’amour, de ses hauts, de ses bas, de nos bonheurs, de nos malheurs, de notre agression homophobe à Paris, de notre séparation. Je te raconte de comment, en m’assumant peu à peu, le regard des autres a perdu d’importance à mes yeux. Et je te parle de ma chance d’avoir été entouré d’une famille et d’amis qui ont tous accepté, ou presque, qui j’étais et qui ne m’on pas rejeté. Je te parle de mon éloignement avec mon père, pendant des mois, après mon coming out. Et de notre rabibochage. Je te parle de quelques-uns des garçons que j’ai rencontré après Jérém, de cette vaste fumisterie pourtant incontournable que sont les sites et application de rencontres. Je te dis qu’on ne choisit pas d’être gay, que ce n’est pas une tare, qu’il n’y a que le temps qui peut aider à savoir qui l’on est. Je t’assure qu’on peut très bien vivre en aimant les garçons, et être heureux. Je te raconte que le voyage pour s’assumer est long, que le coming out est difficile, mais qu’on finit par y arriver. Et qu’à ce moment-là, quand on sait enfin qui l’on est et ce que l’on veut et ce que ne l’on veut pas, c’est là que la vie comment vraiment. Tu écoutes attentivement, sans discontinues de fumer. J’ai l’impression que dans ta tête tu découvres, tu réfléchis, tu compares. Mais je me trompe peut-être. S’il le faut, tu es juste curieux de découvrir la vie et les œuvres d’un pédé, comme si tu regardais un documentaire animalier. J’aimerais tellement que tu me dises ce que tu ressens, si mes mots ont une résonnance en toi. Mais il n’en est rien. Je parle longuement, et tu ne fais qu’écouter. Puis, au bout d’une heure, tu te lèves et tu prends congé de moi. — Ah, au fait, désolé si je t’ai trop chauffé, je n’aurais pas dû. Mais je kiffe trop sentir qu’on a envie de moi. — C’est pas grave, c’est pas grave. T’es vraiment un beau garçon, ce n’est surement pas la dernière fois que tu attires le regard d’un mec… — Je pense pas. En tout cas, ce n’est pas la première… — Comment ça ? — Parfois, il y a des gars qui me matent au camping… — Et ça t’a fait quoi de te faire mater par des gars ? — C’est flatteur… — Bonne nuit, tu ajoutes sans transition. Et tu disparais dans ton gîte. Et moi j’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps.
Quelques heures avant mon départ.
Ce soir, ça sent vraiment la fin des vacances, et ça me fait un drôle d’effet. Plus que quelques heures et je ne te verrai plus, beau Valentin. Je me suis tellement habitué à ta présence, à ton absence, à l’attente de ton retour, que j’ai du mal à me dire que dès demain toute cette merveilleuse routine sera terminée. Tu m’as donné tellement d’émotions que j’ai peur de m’ennuyer, sans toi. Tu vas terriblement me manquer, beau Valentin. Oui, cette nuit est la dernière nuit au mas. C’est la dernière attente de ton retour, la dernière fois où je te verrai apparaître après une longue attente. La dernière fois où nous serons que tous les deux dans la nuit chaude et silencieuse. Je sais désormais qu’il ne se passera rien entre toi et moi, sublime p’tit Dieu. Quelque part, la discussion que nous avons eu hier soir m’a apaisé. Je trouve une certaine consolation dans le fait d’avoir pu partager mon expérience avec toi, faute d’avoir pu partager nos plaisirs.
Cette nuit, tu rentres plus tôt que d’habitude. Lorsque j’entends tes pas approcher sur les gravillons, mon cœur a des ratés. Je suis encore à l’ordinateur, totalement accaparé par une séquence narrative. Je ne veux pas que tu saches ce que j’écris, je ne tiens pas à ce que tu me poses des questions sur ce jardin secret qu’est pour moi l’écriture. Mais, le temps que je termine ma phrase et que je gratte quelques derniers mots à la va vite afin de ne rien oublier lorsque je reprendrai le travail plus tard, tu es déjà arrivé à hauteur du seuil de mon gîte. — Salut, tu me lances. Je suis surpris par ton apparition soudaine dans l’embrasure de ma porte, je suis comme désarçonné. Ce soir, tes beaux cheveux sont vraiment en bataille, plus insolents que jamais, et tu portes un petit t-shirt noir col en V presque trop petit, moulant de très près ton torse dessiné, les manchettes bien serrées autour des biceps. Tu es sexy à faire se damner un Saint. Ton regard pétillant réussirait à émoustiller un bloc de granit. Je dois avoir l’air d’un gosse surpris avec la main dans le pot de confiture. Je suis mal à l’aise, je transpire. Tu as dû remarquer mon malaise et ça te fait marrer. — Salut, je finis par te répondre. Et là, tout ce que je voulais éviter se produit. — Tu écris quoi dans Word, tout le temps ? — Une histoire… je tente de gagner du temps. — Quel genre d’histoire ? — Une histoire entre garçons… — Ton histoire à toi ? — Non, une histoire… inventée… je mens. — Inventée de toute pièce ? tu insistes. — Oui, enfin, non. C’est une histoire, mais il y a quand même beaucoup de moi dans cette histoire. Tu ne demandes pas à en savoir plus. J’imagine que pour un garçon de ton âge, dont les seules passions se résument en quatre mots sport/potes/baise/portable, la lecture est une activité qui appartient aux coutumes du moyen âge. Je te propose une bière, nous la buvons à la table du jardin. — Alors, c’est demain que tu te casses ? tu me balances sur un ton railleur. — Cache ta joie ! je te balance à mon tour. Tu souris, impitoyable. — Tu aurais aimé que je reste plus longtemps ? je te cherche. — Je m’en branle ! J’aimerais penser qu’il y ait un second degré dans tes propos… — Je serais bien resté un peu plus, mais ta grand-mère a loué le gîte à quelqu’un d’autre. A présent, tu me regardes droit dans les yeux. Tu sais que je te désire comme un fou, et tu savoures à fond ton triomphe, sale p’tit con ! Le vent caresse ma peau, le chant des cigales enivre mes oreilles, ton parfum et ta fraîcheur vrillent mon esprit. Le désir désespéré que tu m’inspires, ton sourire à la fois charmeur et lubrique se mélangent au « tic-tac » du compte à rebours assourdissant et incessant dans ma tête. Et ça me met dans un état de fébrilité extrême. Ce soir, malgré le ton cassant de tes mots, il me semble que tu m’envoies des signaux assez clairs. Toi aussi tu réalises que c’est la dernière chance pour qu’il se passe quelque chose entre nous, et tu en as peut-être envie aussi. Tes mots et ton attitude ne racontent pas la même histoire. Alors, je ne sais pas sur quel pied danser. Je tente d’apaiser ma frustration et ma tristesse en cherchant des arguments. A quoi bon, au final, qu’il se passe quelque chose ? Certes, j’adorerais que cela arrive, mais je sais que ça n’étanchera pas ma soif et mon envie de toi. Et puis, s’il se passait quelque chose entre nous cette nuit, je ne pourrais pas l’oublier, ça me suivrait et ça me hanterait pendant très longtemps, avec le corollaire d’une frustration insupportable causée par le fait de ne pas pouvoir remettre ça. Je t’ai trop désiré, beau Valentin. T’avoir maintenant ce serait me condamner aux affres du manque et du malheur. J’essaie d’étouffer la partie de moi qui dit que le plus grand des malheurs, la plus grande des frustrations, ce sera le regret de n’avoir réussi à approcher à ta jeune virilité ne serait-ce qu’une seule fois. Tu finis en même temps ta bière et ta cigarette. Et l’instant magique où tout m’a à nouveau paru possible s’envole avec la dernière gorgée avalée, avec la dernière taffe expulsée. — Alors, c’est là qu’on se dit au revoir, tu me lances. J’ai comme l’impression de déceler une sorte de regret dans le ton de ta voix. Mais pas si fort, pas suffisant pour te faire franchir le dernier pas qui sépare nos bonheurs respectifs. — Je crois bien que oui, je te réponds, la mort dans le cœur. Tu me tends la main, je te tends la mienne. Ta poignée de main est forte et chaude. Comme celle d’un homme. — Merci de m’avoir écouté, tu me glisses. Quel bonheur de t’entendre me remercier ! Même si c’est pour si peu de chose. — Ça a été un plaisir ! — Et merci d’avoir accepté de me répondre à mes questions… — Si ça peut t’aider, je m’avance. — M’aider ? tu sembles t’offusquer. — Je me suis mal exprimé. Je voulais dire, « si ça peut t’intéresser » je me reprends. — Maintenant, tu sais comment fonctionne un pédé. C’est pour ta culture générale, je plaisante. Tu souris, charmant et charmeur au possible. — Je vais me coucher, je te glisse, comme une perche. — Moi aussi. Bonne nuit ! J’encaisse cette « bonne nuit » comme une dernière cuisante défaite. — Bonne nuit, je te glisse à mon tour, la défaite amère. — Je te dis à une prochaine, parce que demain matin je pars à 9 h, et tu ne seras pas levé… — Il y a peu de chances… — T’est pas du matin, toi ! — Non, pas du tout ! — A l’un de ces quatre, mec, tu me lances, avec un sourire à la fois touchant et complice. — Bonne chance pour tes études, bogoss ! Voilà la pire des façons de prendre congé à tout jamais d’un p’tit mâle comme toi qui m’a inspiré un désir si fort, si insupportable, si douloureux. Je suis vraiment trop con !
Un instant plus tard, la porte de ton gîte se referme derrière toi et tu disparais de ma vue. Le léger grincement des gonds sonne le glas de notre dernière nuit, et du petit bout de chemin pendant lequel nos existences se sont côtoyées avant de diverger à nouveau, et de façon définitive. Ta porte se referme sur mes tout derniers espoirs de partager un moment de sensualité avec toi, beau Valentin. Je me trouve tellement nul que j’ai envie de me taper la tête contre les murs.
Le matin de mon départ.
Ce matin, je me réveille de bonne heure. Il n’est que six heures, et il fait tout juste jour. Aujourd’hui, il y a du vent, et il fait un temps d’automne. Un temps qui souligne le fait que le mois d’août touche à sa fin. Que l’été touche à sa fin. Ce matin, je me sens comme fiévreux, hanté par les regrets, rongé par la frustration. Ce matin, il fait gris sur la garrigue comme il fait gris dans mon cœur. Je n’ai pas envie de partir d’ici, de rentrer à Toulouse. Je n’ai pas envie de partir loin de toi, beau Valentin. J’ai envie de rester, j’ai envie de partir vite, et loin, sans me retourner. Peut-être que, quand je serai loin, ce malaise qui m’écrase comme une chape de plomb se dissipera. Peut-être qu’une fois que je serai loin d’ici je trouverai un apaisement. Peut-être que retrouver ma maison et mon Galaakou d’amour va me rendre un semblant de sérénité. Au petit déj, ta grand-mère est de bonne humeur comme toujours. Elle a envie de discuter. Je me fais violence pour lui donner la réplique, alors que j’ai le cœur lourd, et que les larmes de massent dangereusement au seuil de mes paupières. Après m’avoir proposé un dernier café, elle part étendre du linge sur le fil. Et dans ce qu’elle étend, je reconnais tes affaires, et uniquement tes affaires. Il y a des shorts, des chaussettes. Mais aussi des boxers. Et des t-shirts, marron, noir, vert militaire. Les émotions visuelles de nos dernières nuits remontent à ma conscience au gré de l’apparition de tes t-shirts sur le fil, au gré de leurs ondulations dans le vent.
I panni stesi al vento mi parlano di te Le linge sur le fil me dit bien de choses à propos de toi
Comme je prévois de partir vers 9 heures, ta grand-mère me dit au revoir avant d’aller aux courses. Lorsqu’elle disparaît de ma vue, lorsque j’entends le moteur de sa voiture démarrer de l’autre côté de la maison, je sais que je ne la reverrai pas, car je serai parti quand elle rentrera. Il n’est que 8h30, je rassemble mes affaires, je m’apprête à partir à mon tour. Une partie de moi n’arrive pas à se résigner de ne pas avoir su tenter plus pour t’apprivoiser. Et à partir sans t’avoir revu une toute dernière fois. Au fond de moi, j’espère toujours que ta porte va s’ouvrir avant mon départ, que tu vas avoir envie de me dire une nouvelle fois « au revoir », tout comme j’en ai envie. Car, même s’il ne s’est rien passé entre nous, nous avons quand-même beaucoup échangé. Je pense que tu m’as dit bien plus de choses qu’à tes parents, qu’à ta grand-mère, qu’à tes potes, ou qui que ce soit d’autre. Entre nous s’est créé une complicité, une sorte d’« intimité ». Il me semble que tout cela mérite bien un dernier « au revoir », un dernier souvenir, un petit cadeau, quelques derniers instants de ta présence. Je reste de longues minutes assis à la table du jardin à fixer la porte de ton gîte. Neuf heures, neuf heures trente. Elle demeure obstinément fermée, hostilement silencieuse. Il ne me reste qu’à accepter ce dernier camouflet. Il est là, je ne peux plus l’ignorer. Il ne me reste qu’à baisser la tête, et tenter de faire avec. Mais mon cœur est tellement lourd que mes membres épuisés ont du mal à se mettre en branle pour m’amener loin de là. Une fois encore un beau garçon m’a laissé le goût d’une immense frustration, un regret d’une ampleur, d’une profondeur rarement atteinte. J’ai souvent désiré des garçons que je n’ai pas pu avoir. Mais jamais un garçon que j’ai désiré m’a autant chauffé, sans qu’au final il ne se passe quoi que ce soit. J’espère que tu t’es bien amusé, beau Valentin. J’aimerais savoir ce que tu vas faire, ce que tu vas devenir dans les semaines, les mois, les années à venir. J’aimerais savoir si et quand tu vas franchir le pas avec un garçon. J’aurais aimé être ce garçon. Mais, à défaut de l’être, j’aimerais être ton confident. Je sais qu’il n’en sera rien, je n’ai même pas pensé à te donner mon numéro de portable. Quel idiot je fais ! On aurait pu s’appeler, tu aurais pu te confier à moi. Oui, mais non. Avoir ton 06 aurait été complétement inutile. Car notre petite complicité ne survivra pas à la distance. Tu vas vite m’oublier. Tu m’as déjà oublié. Si j’essayais de t’appeler dans une semaine ou dans un mois, tu me rirais au né. Et ça me ferait plus de mal que de bien. Alors, c’est bien ainsi, une séparation sera nette et propre. Je me lève d’un coup, bien décidé à marcher jusqu’à ma voiture, à partir d’ici, et à rouler sans me retourner, sans m’arrêter, à m’éloigner au plus vite de ce lieu où je viens de subir l’une des plus Toulouse débâcles de ma vie. Mais j’ai beau me faire violence pour dételer au plus vite. Mes mouvements, mes jambes, ma force physique et mentale ne peuvent rien contre l’épaisse araignée de désir et d’attachement que tu as tissé autour de moi au fil des semaines. J’ai beau essayer d’écouter ma volonté qui me dit de partir sur le champ, mon esprit est captif. Et il tend irrépressiblement vers toi, beau Valentin. Alors je cesse d’opposer volonté et esprit, et je laisse ce dernier prendre le contrôle de mes actes. Je lâche prise, et je me laisse faire. Quelques secondes plus tard, je suis devant la porte de ton gîte, le cœur qui tape à tout rompre dans ma poitrine. Mon bras se lève, mon poing se prépare à cogner sur le battant verrouillé. Je ne veux pas t’importuner, j’ai très peur de t’importuner, mais je ne peux pas partir sans te revoir une dernière fois. Je ne peux m’en passer, ce serait trop dur à supporter ! Alors, je tape. D’abord discrètement. Je tends l’oreille, mais je n’entends aucun bruit de l’autre côté de la porte. Je tape plus fort, j’attends un peu, toujours pas de signe de vie. Je tape plus fort, plus longtemps, je tape comme un fou, comme un fou amoureux. — Quoi ?!?! je t’entends enfin râler du fond de ton lit. — Valentin ! je t’appelle. — Mais qu’est-ce qu’il y a ? — Tu es réveillé ? — Je dors ! — Désolé ! — Tu me casses les couilles ! — Je ne ferais jamais ça ! je plaisante. Je tends une nouvelle fois l’oreille, et j’entends des bruits provenant de l’intérieur de ton gîte. Visiblement, tu es en train de te lever. Je suis heureux, je vais te voir une dernière fois. Mais en même temps, j’ai peur que tu sois vexé, que tu m’en veuilles de t’avoir tiré de ton sommeil. Lorsque le battant de ta porte s’ouvre enfin, j’ai l’impression que mon cœur cesse de battre. Tu es là, devant moi, torse nu et boxer noir, les cheveux en bataille, les traces du sommeil sur ta belle petite gueule. Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que je ressens à cet instant précis. Ta nudité matinale me saisit comme une puissante claque dans la figure. Tu fais la gueule, ton regard est noir et orageux, et ça aussi te rend particulièrement bandant ! Et cette cigarette entre les lèvres, c’est pas furieusement bandant, ça ? Je donnerais n’importe quoi pour te sucer sur le champ ou pour te laisser me baiser. A défaut de pouvoir accéder à ta virilité, et même si tu fais la gueule, je profite de cet instant pour te scanner de la tête aux pieds, pour essayer de m’imprégner le plus possible de ta beauté, de ta jeunesse, de ta petitconitude. Je sais que je n’y parviendrai pas, je sais que je ne garderais de toi qu’un souvenir très partiel. Et pourtant bien suffisant à hanter mes jours et mes mois à venir. — Qu’est-ce que tu veux, putain, t’as vu l’heure ? tu me hurles dessus, tout en allumant ta clope. Tu me grondes comme on gronderait un gosse qui aurait fait une bêtise. Et je me sens comme un gosse qui aurait fait une bêtise. Mais une bêtise qu’il ne regrette pas une seule seconde. — Excuse-moi de t’avoir réveillé… je pensais que tu étais déjà débout, je mens. — Mais t’as vu l’heure ? Tu m’as déjà vu me lever à 9 heures ? — Non, mais j’ai cru entendre du bruit de ton côté, je mens de façon de plus en plus effrontée. — Qu’est-ce que tu veux à la fin ? tu me redemandes, en te frottant les yeux. — Je voulais te dire au revoir… — On s’est déjà dit au revoir cette nuit ! tu me coupes net, très agacé. — En fait, j’avais besoin de te revoir une dernière fois, j’avoue finalement, comme un cri du cœur. — Et voilà, tu m’as vu ! Je peux retourner pioncer, à présent ? — Tu peux… et encore bonne chance pour tes études… et pour tout le reste ! — Bye ! tu me lances sèchement avant de refermer ta porte avec un geste sec et rapide ayant pour résultat de décupler le grincement sur les gonds. — J’ai été content de faire ta connaissance, j’arrive à te lancer, alors que le claquement sonore du battant frappe mes oreilles comme une claque, comme une accusation, comme une punition. Je regarde impuissant la porte désormais barricadée et muette. Ma dernière chance s’est envolée. Car, au fond de moi, j’espérais encore te faire craquer ce matin. Mais je n’ai réussi qu’à te mettre en pétard. Ça y est, je t’ai revu une dernière fois, je suis content, même si c’est au prix de t’avoir contrarié. Tu garderas de moi le souvenir d’un parfait casse-couilles, d’un lourdeau qui t’a réveillé « aux aurores » sans raison valable. Ça ne fait pas dix secondes que tu as disparu de ma vue que déjà tu me manques horriblement. Te revoir une dernière fois n’a pas étanché mon envie de toi. Mais je sais que c’est tout ce que j’aurai de toi. Je n’aurai pas de souvenir de toi, à part quelques rares photos trouvées sur des réseaux sociaux sur lesquels tu n’es d’ailleurs pas très assidu. Je dois me rendre à l’évidence. Valentin, c’est fini. Encore une occasion manquée. Je me déteste. Il ne me reste à présent qu’à partir.
Je vérifie une dernière fois de ne rien avoir oublié dans mon gîte, je ferme la porte derrière moi. Je jette un dernier regard déjà nostalgique à ce jardin, à cette table, à ces pins parasol qui ont été le plateau et le décor de mes vacances, un plateau et un décor dans lesquels, beau Valentin, tu as magistralement joué ton rôle de jeune premier. Je tends l’oreille pour écouter une dernière fois ce chant de cigales qui a été la bande son de mes matins et de mes nuits à désirer un superbe jeune garçon de dix-huit ans. Je regrette de ne pas avoir su écrire le scenario qui lui convenait, et surtout de ne pas avoir su le convaincre à le jouer. Et je pars, le cœur très lourd. Je trimballe avec moi un sac de voyage, ainsi qu’un poids de mille tonnes dans mon ventre, le poids assommant d’un échec cuisant. Je tente tant bien que mal de rejoindre ma voiture tout en retenant mes larmes.
Sur la route vers Toulouse.
Les collines du Lauragais avec leurs champs immenses de tournesols défilent déjà sous mon regard absent. J’approche de Toulouse et je repense au bonheur de t’attendre, te côtoyer, te mater pendant toutes ces journées. Je n’arrive pas à croire que tout ça s’est fini. Des images, des sons, des sensations olfactives remontent à ma conscience comme des éclairs aveuglants. Je me déteste pour t’avoir mis en pétard en voulant à tout prix te dire une dernière fois au revoir. Car, si les chances de te revoir étaient minces jusque-là, elles sont désormais en dessous de zéro. J’ai tout gâché. En fait, j’ai tout gâché le soir où tu m’as fait dire que je te kiffais. Ce soir-là, tu m’avais tendu une perche grosse comme une maison. Il aurait suffi de la saisir. Il aurait suffi que je te dise clair et net que j’avais envie de te sucer. Car tu en avais envie, je suis certain que tu en avais envie. Au lieu de quoi, je me suis censuré, je me suis puni, je me suis interdit. Je me déteste.
Automne et hiver 2019.
Pendant les jours, les semaines, les mois qui ont suivi, j’ai souvent repensé au jardin aux pins parasol, à la table où nous avons partagé des bières, aux nuits chaudes de cet été, au chant incessant des cigales. A ta beauté bouleversante, à ta jeunesse insolente, à la fraîcheur irrésistible de te petitconitude étincelante, à ton sourire de b(r)aise, à tes regards malicieux et lubriques, à toutes ces nuits à jouer au chat et à la souris, à l’attente, à la déception, à la frustration. Je n’ai cessé de penser à toi, d’imaginer ta vie, tes études en STAPS, loin de moi. Je t’imagine bien, mon petit Valentin, en train de t’amuser avec tes nouveaux potes, sortir le soir, lever une nana en boîte, ou, pourquoi pas, un soir un peu alcoolisé, lorsque le besoin de tendresse et de sensualité se fait sentir avec insistance, découvrir l’intimité, mélanger ton corps et ton plaisir avec ceux de ton camarade de cours. Je t’imagine prendre le temps de découvrir avec lui toute l’étendue du domaine des possibles de la sensualité entre garçons. J’aurais tellement voulu être celui qui te ferait découvrir ce genre de plaisir, mais je n’étais tout simplement pas le bon. J’en étais tout simplement incapable.
Depuis des mois, je n’ai pas cessé de penser à toi, beau Valentin. A toi, étrange et merveilleuse créature en équilibre délicieusement instable entre un gosse et un homme. Car tu es à toi seul tous les garçons qui m’ont rendu fou depuis toujours, que je n’ai jamais eus et que je n’aurai jamais. Voilà pourquoi ta rencontre m’a aussi profondément marqué. Et pourquoi elle m’a lié à toi avec une force que je n’arrive pas à contrôler.
As-tu seulement pensé une fois à moi depuis un an, alors que tu hantes toujours mes branlettes ?
Un an plus tard.
En début d’été, j’appelle ta grand-mère pour vérifier ses disponibilités des gîtes. Mais aussi pour la questionner discrètement à ton sujet. J’envisage de revenir au mas, mais seulement à condition que tu sois là. J’envisage carrément d’adapter mes congés en fonction de ton éventuelle présence. Je crève d’envie de te revoir et de t’entendre raconter cette année qui vient de s’écouler, tes études, tes potes, tes aventures. Et, bien évidemment, au fond de moi je rêve toujours de t’offrir le plaisir que je n’ai pas su t’offrir il y a un an. Ta grand-mère m’apprend que ton année en STAPS s’est très bien passée, que tu aimes tes études, que tu t’es fait de nouveaux potes. Elle me parle de Tristan, ce camarade que tu as déjà ramené chez elle à plusieurs reprises. Elle me parle de votre belle amitié. Elle insiste sur cette amitié, si soudaine, si fusionnelle. — Ils ne se quittent jamais ces deux-là ! Ta grand-mère ne le dit pas explicitement, mais je crois bien qu’elle pense que ce Tristan est plus qu’un pote pour toi. Elle vous a vus quelques fois ensemble, et elle a compris. Ta grand-mère est une femme intelligente, et il faut se lever de bonne heure pour la tromper. D’ailleurs, je me demande si elle n’avait pas compris pour moi aussi. Que je suis pédé, et que je te kiffais comme un fou. Tu as peut-être fait exprès d’amener Tristan chez elle. Au fond de toi, tu voulais qu’elle sache, qu’elle comprenne qui tu es. Et elle a compris. De toute façon, même si tu l’ignores peut-être encore, les corps qui partagent la sensualité ne peuvent pas le cacher. Ils ont beau faire attention, être discrets, les corps et les regards liés par le bonheur partagé ne savent pas mentir. Peut-être qu’au fond d’elle ta grand-mère espère se tromper, ou que ce ne soit qu’une passade, et que tu reviennes bientôt à ce qu’elle doit considérer « le bon côté de la force ». Elle se pose assurément beaucoup de questions, elle s’inquiète pour toi, pour ton avenir, pour ton bonheur. Elle voudrait que tu lui parles de tout ça, car elle n’ose pas le faire. Elle t’aime trop, elle ne veut pas te mettre mal à l’aise. Elle attend que tu sois prêt. Et elle voudrait que tu lui fasses assez confiance pour t’ouvrir à elle. Elle est peut-être blessée que ce ne soit pas encore le cas. — Et cet été il ne viendra même pas me voir, car ils partent tous les deux pour plusieurs semaines en Australie ! elle finir par m’annoncer. Je ressens de la déception et de la tristesse dans sa voix. — Il va adorer ! Et ça lui fera du bien de découvrir d’autres horizons ! — Il a grandi tellement vite ! Il n’a même pas vingt ans. Je m’inquiète un peu pour lui… — Valentin est un garçon intelligent, il sait ce qui est bien pour lui. — Je sais, je sais. Enfin, je l’espère ! — Vous lui passerez le bonjour de ma part à l’occasion. — Je n’y manquerai pas, ça lui fera plaisir. Je crois que ça lui a fait plaisir de faire votre connaissance l’année dernière… — J’ai été ravi de faire sa connaissance aussi. Valentin est un garçon très touchant… — Oui, mais il est aussi très beau, non ? — Oui, il est aussi très très beau, je souris, finalement démasqué.
Bon voyage en Australie, beau Valentin ! J’espère que tu es amoureux, et heureux. Car il n’y a rien de plus beau que d’être amoureux à vingt ans. Et si tu passes à Bells Beach, et si d’aventure tu croises un beau gars brun de mon âge avec une planche de surf sous le bras, un tatouage en forme de brassard et un autre au motif végétal remontant de son épaule jusqu’à son oreille, n’oublie pas de lui passer le bonjour de ma part.
I feel it/Je le ressens It’s coming/Ça arrive (…) Feel it on my finger tips, hear it on my window pane/ Je la sens sur le bout de mes doigts, je l’entends sur ma vitre (…) Wash away my sorrow, take away my pain/Lave mon chagrin, enlève ma douleur Rain/La pluie
L’orage.
Un soir, un orage éclate. Ce qui m’oblige à déserter ma place sur la chaise longue du jardin, mon observatoire de ta Mâlitude du Soir. Les éclairs sont impressionnants, les coups de tonnerre fracassants. Je laisse ma porte fenêtre ouverte pour profiter de la fraîcheur et je me laisse bercer par le bruit apaisant de la pluie. C’est là que tu débarques. Soudain, alors que je suis en train de regarder un film dans mon gîte, j’entends un bruit sec à proximité immédiate. J’ai tout juste le temps de me retourner et de t’apercevoir du coin de l’œil. Apparition inattendue et rapide comme l’éclair, ta silhouette trace sous l’avancée du toit pour se protéger de la pluie. Le bruit sec ayant certainement été provoqué par ton sac à dos frottant contre le battant de ma porte restée ouverte. Tu passes vite, mais je ne manque pas d’être foudroyé par le parfum de ton déo, me tombant dessus comme un coup de fouet. Apparition soudaine, faisant bondir mon cœur, passage précipité par la furie des éléments, me privant de ce « Bonsoir » qui est la base de nos échanges. Un instant plus tard, j’entends le double grincement des gonds de ta porte d’entrée, et je sais que ce soir je ne te reverrai pas. Je te sais désormais à quelques mètres de moi seulement, je t’imagine tout trempé, en train de poser tes fringues et de passer à la douche. Et en effet, je ne tarde pas à entendre le bruit étouffé de l’eau qui coule juste de l’autre côté de la cloison – j’imagine que les deux salles de bain sont mitoyennes. Je me prends à rêvasser de cette eau qui coule sur ta peau, qui caresse des régions de ton anatomie que je ne pourrai jamais caresser, ne serait-ce que du regard. Le désir que tu m’inspires est tellement corrosif que j’ai l’impression que ça me brûle de l’intérieur. C’est de plus en plus douloureux, de plus en plus insoutenable. Mon cœur bat à tout rompre, l’envie de taper à ta porte et te proposer cette pipe dont j’ai désespérément envie me ravage comme jamais. Et pourtant, je sais que je n’en ferai rien, que cette nouvelle défaite ira entacher un peu plus mon esprit de la noirceur de la frustration. Je suis sur le point de fermer mes volets, de me mettre au lit et de m’offrir le maigre lot de consolation qu’est un plaisir solitaire, lorsque j’entends la porte de ton gîte grincer à nouveau. Tu dois ressortir pour fumer une dernière clope. Comment j’ai pu penser que tu renoncerais à cela ? Soudain, après avoir aperçu les affres d’une énième capitulation, j’ai l’impression qu’une nouvelle chance m’est offerte. Et cette chance inattendue, je ne veux la rater sous aucun prétexte ! Pourtant, je n’arrive pas à me décider à sortir de mon gîte, je n’arrive pas à affronter ma peur de connaître un autre échec cuisant, celui de te regarder disparaître après la fin de ta clope sans que notre « relation » n’ait évolué d’un iota.
Mais ça, c’est sans compter avec toi. Tu apparais dans l’embrasure de ma porte, le torse moulé dans un petit débardeur blanc à fines rayures, les cheveux encore humides, totalement en bataille, ajoutant un je ne sais quoi de sauvage, d’indompté, de rebelle à ton allure. Tu sens bon le gel douche ou ton déo à la fragrance délicieuse. Ton regard est plus pétillant que jamais, le grain de beauté au creux de ton cou attire irrépressiblement mon regard et mes lèvres. Et ton boxer noir met en valeur une belle bosse de façon passablement affolante. — Bonsoir, tu me lances d’une voix étonnamment basse, résolument sensuelle, tenant ta cigarette d’une main vers l’extérieur, prenant nonchalamment appui avec l’autre contre le montant du cadre de ma porte. Je n’ai pas de mots pour dire à quel point tu es beau à cet instant. En fait, je crois qu’il n’existe pas de mot rendant justice à ta beauté surnaturelle. Car, à cet instant, tu es l’alpha et l’oméga de mon désir, rien ni personne d’autre n’existe à mes yeux. — Oui, bonsoir ! je te réponds, tout en réalisant que je te fixe depuis assez longtemps pour que tu me le signales avec un sourire des plus malicieux. Exposé de si près à une telle bogossitude affolante, mis en joue par ta virilité radioactive, je perds tous mes moyens. Je cherche quelque chose à te dire, je bégaie. Ton sourire insolent me rend dingue. Parce que je sais parfaitement que cette insolence nait désormais de la pleine conscience du désir que tu suscites en moi. Après avoir capté mes regards de plus en plus appuyés au fil des jours, voilà que cette nuit, le malaise soudain provoqué par ton apparition t’a donné la mesure de ce que tu suscites en moi. Et maintenant ? Comment me sortir de ce malaise, de ce pétrin ? A ma grande surprise, c’est toi qui t’en charges. — Dites, vous n’auriez pas une bière ? Bien sûr, une bière ! Comment ai-je pu ne pas y penser tout seul ? Que je suis con ! J’en ai pourtant dans mon frigo ! Pourquoi je n’ai pas pensé plus tôt à lui en proposer une ? Parfois, je me mettrais des baffes ! — Oui, j’en ai… je m’empresse de te répondre, comme en apnée. Et là, je te vois appuyer un peu plus ton petit sourire coquin et triomphant. — Vous me permettez de rentrer ? tu me glisses, question purement rhétorique si j’en juge à ton sourire amusé. Ton vouvoiement m’agace depuis le premier jour, me heurte, me blesse. Je t’ai dit à plusieurs reprises de me tutoyer, mais tu sembles prendre un malin plaisir à continuer de me vouvoyer, de souligner par ce biais la distance insurmontable entre toi et moi. Je suis dans un étant second, je n’ai même pas le courage d’exiger que cela cesse. Je suis désarçonné, je ne sais quoi te répondre pour relancer la conversation. — Bien sûr, rentre… Sans plus attendre, tu passer pour la première fois le seuil de mon gîte. Et moi, j’ai l’impression que je viens de franchir un portail spatio-temporel. Comme si je basculais dans une autre dimension. Pour la première fois, je t’approche à moins d’un mètre, pour la première fois j’ai toute ton attention, sans écran, sans casque qui nous sépare. Pour la première fois, je ressens ton regard sur moi, lourd, insistant, interrogateur, intrigué. J’ai l’impression que je ne vais pas tenir, que je vais faire un malaise. C’est complétement fou l’effet que tu me fais. Insane, on dirait en anglais. Oui, insane. Autour d’une bière, nous discutons une nouvelle fois, et plus longuement, de tes études à venir, de ta passion pour les sports. Je n’arrive pas à croire que tu es chez moi et que nous sommes en train de partager une bière, comme des potes. Depuis que tu me parles, je dois rassembler toutes mes forces pour seulement soutenir ton regard, tour à tout attachant, sensuel, pétillant, charmeur. Je reçois quelques beaux sourires à bout portant, ce qui me rapproche dangereusement du malaise cardiaque et menace sérieusement ma santé mentale. Je me demande si seulement tu arrives à imaginer la violence que je dois me faire pour résister à l’attraction qu’exerce sur moi ton corps bien bâti, ce débardeur moulant, cette fraîcheur virile qui se dégage de toi. Non, tu n’as pas la moindre idée de l’effort que je dois produire pour ne pas te sauter dessus. Malgré le fait que mes sens et mon esprit soient happés par ta beauté, je découvre au fil de nos échanges qu’en plus d’être beau et charmant, tu es vif d’esprit, et même plutôt drôle. Tu es un véritable rayon de soleil qui ferait passer cette nuit de pluie pour un matin ensoleillé de printemps. Lorsque tu termines ta bière, je t’en propose une deuxième. A ma grande surprise, tu acceptes. Je te regarde, nonchalamment affalé dans le fauteuil en face de moi, ton déo vrillant mes neurones. Mon regard est happé par ton torse dessiné et imberbe à peine dissimulé par le débardeur blanc, par tes cuisses musclées, par cette bosse de ton boxer noir qui me nargue, par tes mollets puissants et déjà poilus. Je m’enivre de ton physique si frais, de ta peau que je n’ai jamais effleurée mais qui a l’air si douce. Est-ce que tu te réalises à quel point je crève d’envie de me glisser entre tes cuisses, de descendre ce beau boxer noir, de faire jaillir ta queue, et ton jus, pour l’avaler jusqu’à la dernière goutte ? Ce soir j’ai plus que jamais envie de te caresser, de te câliner, de te faire découvrir de nouveaux plaisirs, de te faire jouir. Je me demande quel genre d’amant tu serais. Je t’imagine fougueux, cherchant le bonheur des sens avec impatience, je t’imagine précipiter les « choses » pour aller droit au but. — Alors, tu viens me sucer ? je t’imagine me balancer pour mettre un terme à ma contemplation, qui aurait trop duré à ton goût. — Mais avec grand plaisir ! serait ma réponse. Un instant plus tard, je serais à genoux devant toi. Je te prendrais en bouche et je prendrais le temps de te faire découvrir bien des choses, je te regarderais prendre de l’assurance au fil de ma fellation, je te regarderais aimer tout ça, et en redemander. Et puis je te laisserais te lâcher, prendre ton pied et lâcher ton jus partout où tu le voudrais. Je te regarderais après nos ébats, assommé de plaisir, l’air étonné d’avoir pris autant ton pied avec un autre garçon. Je garderais un souvenir presque irréel de cette nuit, et toi aussi. Si seulement j’osais. Mais évidemment, je n’ose pas. Si seulement j’avais ne serait-ce que quinze ans de moins, un autre corps, une autre gueule. Mais, surtout, ce courage d’aller vers les garçons qui me plaisent, et cette confiance en moi qui me fait cruellement défaut depuis toujours ! Si seulement je savais lire ce qui se passe dans ton regard, ce beau regard brun qui par moment se pose fixement dans le mien, me mettant terriblement mal à l’aise. Oui, je suis de plus en plus impressionné par toi, beau Valentin, qui me toises avec un regard coquin du haut de tes 18 ans. Alors, je me contente de t’écouter parler, jusqu’à ce que nous n’ayons plus rien à nous dire. Jusqu’à ce que le silence anéantisse cette occasion unique. Jusqu’à ce que tu te lèves et que tu quittes mon gîte pour regagner le tien. Jusqu’à essuyer la plus brûlante des déroutes.
Le matin après l’orage.
Le lendemain matin je me réveille envahi par un terrible sentiment de malaise. Je réalise que la dernière semaine de mon séjour approche, et le compte à rebours se fait de plus en plus pressant dans ma tête. Tic-tac, tic-tac, tic-tac… Plus que quelques jours, et ce sera fini. Je ne te reverrai plus. Aujourd’hui, ta grand-mère m’annonce qu’elle part voir des amis, et qu’elle ne rentrera que demain après-midi. Elle me laisse les clés du réduit où elle prépare le petit déjeuner pour que je puisse me débrouiller tout seul demain matin. Elle est déjà partie lorsque tu apparais enfin, beau comme un Dieu, baignant dans la lumière intense du matin. Mais tu n’es pas vraiment avenant. Tu me dis à peine bonjour, et mes timides tentatives de renouer avec la complicité de cette nuit s’écrasent lamentablement sur tes réactions monosyllabiques. Tu prends juste un café, le petit déj complet devenant moins indispensable lorsqu’on doit le préparer soi-même, tu fumes ta clope et tu retournes dans ta tanière en attendant l’heure de partir au boulot. Je te sais seul, allongé sur ton lit. Je te vois, même. Tu as laissé la porte ouverte. Et nous sommes seuls, rien que tous les deux. Ce serait l’occasion idéale pour tenter quelque chose. Ça me brûle horriblement de tenter quelque chose. Mais, une fois encore, je laisse les minutes, les heures s’écouler, sans oser. Je ne fais rien d’autre pendant ce temps, rien d’autre que te désirer, regarder le temps s’écouler, ne pas oser, me détester. Souffrir. Ce matin, il fait super chaud, le soleil est aveuglant. Lorsque tu ressors enfin pour aller travailler, ta tenue me rend dingue. Grandes lunettes de soleil, casquette à l’envers, t-shirt noir plutôt ajusté, l’air de te la péter un brin, drapé de cette impertinence intrinsèque aux P’tits Cons de ton espèce, cette insolence naturelle, assumée avec évidence, avec tellement de facilité. Une attitude qui me fascine. J’ai encore envie de me branler. Ou, mieux, de baiser. Ce matin, l’un de mes contacts sur l’appli de rencontres me propose de nous rencontrer. Au bout de quelques messages, j’arrive à fixer un plan avec Tiago, un vacancier « qui ne reçoit pas ». Je n’ai jamais vraiment aimé le principe des rencontres sur application. Certes, leur évènement ce fut une grande avancée pour la communauté gay. Avant leur apparition, les rencontres dans le monde gay étaient aléatoires, difficiles, dangereuses. Les applications ont rendu les rencontres aisées. Mais ont emporté avec elles la magie de la rencontre fortuite. Il y a une grande différence entre rencontrer un garçon au hasard du quotidien et la rencontre trop formalisée, formatée résultante des applications de rencontre. On choisit comme sur un catalogue, sur des critères, sur image, on rejoue un scénario d’approche codifié et répétitif : un peu de bla bla, tu aimes quoi, on se voit quand, on se voit où, on baise et surtout pas au revoir. Et on est choisis de la même façon. C’est comme se choisir soi-même le cadeau qu’on trouvera sous le sapin le matin de Noël. A la sortie, il n’y a plus de surprise, plus de magie. La rencontre n’a plus rien de magique. Je rêve de faire une rencontre magique dans la vie de tous les jours. Je rêve de rencontrer un garçon magique, d’être foudroyés par la surprise, par l’attraction, par l’amour. Mais en attendant, je fais comme tout le monde, je fais comme je peux. J’alimente le système qui a tué l’amour, les relations stables, et qui est même en train de tuer le désir. Le rendez-vous est fixé à 21 heures, mais le gars est en retard. Lorsqu’il se pointe enfin, il est presque 22 heures. Le temps d’un verre, de quelques échanges, et de terminer notre affaire, il est près de minuit. Je n’ai pas envie que le gars soit toujours là au moment où tu vas débarquer, beau Valentin. C’est idiot, mais je préfère être discret sur ma vie sexuelle. Et puis, je ne voudrais pas que la présence de ce gars change quoi que ce soit entre toi et moi. D’un côté, je crains qu’en apprenant que je suis gay, tu changes d’attitude vis-à-vis de moi, que tu prennes tes distances. J’ignore ce que tu penses sur le sujet. Tu aimes te sentir désiré, certes, peut-être même par un garçon. Et tu dois même te douter que je dois avoir une vie sexuelle. Mais l’idée que tu sois d’une certaine façon spectateur de cette vie sexuelle, en voyant un gars sortir de chez moi, cela me met mal à l’aise. Et puis, je ne voudrais pas que cela puisse compromettre mes chances de « conclure » avec toi. Car, pour stupide que cela puisse paraître, au fond de moi je nourris toujours l’espoir, certes surréaliste, qu’il se passe quelque chose entre nous. Je crains que si tu apprends que j’ai couché avec un autre gars, cela puisse te refroidir et réduire mes déjà faibles chances en poussière. Je n’ose rien tenter avec toi, mais j’ai peur que tu saches qui je suis. Ce soir, je couche avec un gars, mais je pense à toi, Valentin. Je pense à toi pendant que je couche avec un autre. Ça, depuis que je t’ai « rencontré », tu occupes tous mes désirs et tous mes fantasmes. J’ai tellement envie de toi, beau p’tit mec ! De toi, et pas d’un autre.
Oui, je préfère que Tiago soit parti quand tu vas débarquer. Il est déjà minuit, mais je me sens « large », car tu ne te pointes jamais avant une heure du matin. Evidemment, ce n’est pas le cas ce soir. Tiago vient tout juste de sortir de chez moi, lorsque j’entends tes pas sur les gravillons. Un instant plus tard tu apparais, torse nu, comme d’habitude, le t-shirt blanc sur ton épaule, beau comme un Dieu. Je suis ébloui par ton apparition. Tout comme Tiago, d’ailleurs. Tu as l’air surpris et décontenancé de voir un inconnu dans le jardin de ta grand-mère, tu te figes pendant un instant, le regard interrogateur et un brin sur la défensive, avant de réaliser que l’inconnu est certainement mon invité. Ton regard fait alors quelques allers-retours rapides de moi à Tiago et de Tiago à moi. C’est un regard qui cherche à comprendre, à découvrir, à creuser. C’est un regard qui déshabille. Je sens que tu passes du questionnement à la compréhension en une fraction de seconde. Et là, j’ai l’impression de me faire surprendre avec les mains dans le pot de confiture, de faire quelque chose de « mal ». C’est idiot, mais j’ai comme l’impression de te « tromper ». J’ai peur qu’en apprenant que je viens de me taper un gars, tu t’imagines que mon attention s’est détournée de toi, alors que tu es mille fois plus attirant que ce gars. Il y a quoi exactement dans ton regard ? Du dégoût ? Ou bien, de la jalousie ? Aurais-tu aimé être à la place de ce gars ? Mais mon inquiétude ne dure pas très longtemps. Car, lorsque ton regard se détend enfin, ton air surpris et inquiet laisse la place à un petit sourire, un petit sourire plutôt amusé. Tu lâches même un « Bonsoir » des plus charmants à l’intention de mon amant d’un soir. Tiago te salue à son tour, avant de continuer dans sa direction. Et toi, tu continues dans la tienne, déverrouilles ta porte et tu disparais dans ton gîte, sans un mot. Quant à moi, je rentre chez moi et je me laisse choir sur le fauteuil. Mille émotions s’agitent dans mon esprit à cet instant. Je ne sais pas très bien comment me comporter maintenant. Je me sens toujours un peu honteux de m’être fait surprendre avec mon amant d’un soir, et surtout de m’être fait surprendre par toi, p’tit con, que je désire par-dessus tout. Mais, en même temps, je t’emmerde ! Je suis chez ta grand-mère, et tant que mon séjour court, je suis chez moi, et chez moi je fais ce que je veux, j’invite qui je veux. Y compris pour baiser ! Et si ça te pose problème, et si tu es jaloux, t’as qu’à me faire signe, tu peux à tout moment prendre la place de n’importe quel profil sur l’application. J’ai envie de sortir, de venir te voir, j’ai envie de savoir ce qui t’inspire ce que tu viens de découvrir. Mais tu me devances. J’entends le bruit de la pierre de ton briquet, j’entend ta première expiration, et tu viens carrément me trouver sur le pas de ma porte, un sourire des plus malicieux au bord de tes lèvres et au fond de tes yeux. — Alors, c’était bien ? tu me balances de but en blanc. — Quoi donc ? je feins de m’étonner, incrédule que tu oses m’interpeller de façon si cash. — Avec le barbu. J’imagine que tu ne l’as pas fait entrer chez toi juste pour lui offrir une bière, LUI ! Mais quel sacré p’tit con ! Je suis désarçonné par ton franc parler, par ton intrusivité effrontée, par tes mots directs, et en même temps fasciné par ce bond d’intimité que cela promet de nous offrir. En plus, je note que tu me tutoies, enfin. Alors, je décide de jouer un peu avec toi. — J’en ai connu des meilleurs, je lâche prise. — Et tu as fait le mec ou la meuf ? Plus cash, on meurt. — Tu crois que je vais répondre à ça ? je te lance, complètement déstabilisé, alors qu’au fond de moi je brûle justement d’envie de te répondre. Et de préciser que je peux faire les deux, que Tiago a eu envie que je fasse le mec, mais qu’avec toi, je serais au petit soin de ta jeune virilité. — Tu fais comme tu veux. Salut, tu conclus sèchement. Et tu disparais, comme vexé.
Le matin suivant, tu me sembles distant. Tu me dis à peine bonjour, et je n’arrive pas à croiser ton regard une seule fois. Ta grand-mère n’est toujours pas revenue, une fois de plus ton petit déjeuner ne sera pas servi sur un plateau d’argent, tu as surement la flemme de t’en charger, et tu te tires après ta première clope. Tu sembles pressé, et je ne tente rien pour comprendre ton attitude. J’entends le bruit de ta voiture qui démarre, et qui s’éloigne. J’appréhende un peu que tu parles à ta grand-mère de ce que tu as vu, ou pire, de ce regard empli de désir que je pose sur toi de façon de plus en plus insistante. J’appréhende que, ayant finalement compris la véritable raison de mon intérêt à ton sujet, elle me regarde autrement que comme elle m’a regardé jusqu’à maintenant, un hôte charmant avec qui elle s’est sentie assez en sécurité pour pas mal s’épancher au sujet de son petit-fils. J’appréhende qu’elle en soit dégoutée, qu’elle se sente trompée et trahie. Ma journée est un brin gâchée par ces pensées moroses. Mais la nuit venue, j’attends ton retour de pied ferme, en priant pour que tu ne découches pas. Dans ma tête, je me fais mille films. Je me dis que tu es vexé contre moi parce que je n’ai pas voulu répondre à tes questions, parce que je n’ai pas voulu te faire confiance. Je me dis que maintenant que tu sais que j’ai des aventures, tu vas te « venger » en en ayant toi aussi, que cette nuit tu vas baiser jusqu’à ce que la queue t’en tombe et que tu ne vas pas rentrer. Au fond de moi, je me mettrais des baffes. Pour une fois que tu t’intéressais à ma vie, et à ma vie sexuelle qui plus es, je n’ai pas su saisir l’occasion pour titiller un peu plus ta curiosité. Et pourtant, c’était l’occasion rêvée pour te « sonder » un peu plus, pour voir quelle aurait été ton attitude face à un récit « détaillé » d’un plan entre garçons. C’était l’occasion rêvée de te pousser à sortir « à découvert », et de pouvoir te poser en retour des questions, de sonder tes éventuelles envies de tenter quelque chose avec un garçon. C’était l’occasion rêvée de te dire à quel point je te trouve bandant et à quel point je te ferais tout, vraiment tout ce dont tu aurais envie. L’occasion rêvée de te proposer de te faire tout, vraiment tout, ce dont tu as envie, de te faire découvrir un tout nouveau monde de plaisir. C’était l’occasion rêvée de te proposer de te sucer. Je me déteste de ne pas avoir su saisir cette occasion la nuit dernière. Peut-être la seule, de créer une véritable complicité entre toi et moi. Ce soir, je t’attends jusque tard, très tard. Une heure, deux heures, trois heures. Mais cette nuit, tu ne rentres pas. Tu me laisses seul avec mes questions, avec mes désirs brûlants, avec mes remords de ne pas avoir su te faire confiance lorsque tu me l’as demandé. Je me languis de toi, de ta présence, de ta bogossitude. Il est près de quatre heures lorsque je me retire dans mon gîte et je suis tellement fatigué et déçu que je n’ai même pas l’énergie de me taper une branlette.
Le lendemain matin, je ne me lève pas de bonne heure. Je sors de ma tanière juste à temps pour te voir partir au boulot, vers 11 heures. Finalement, tu es rentré. Je ne t’ai pas entendu. Je t’ai raté. Tu t’es levé avant moi, et je t’ai encore raté. Me voilà reparti pour une nouvelle journée d’attente et de questionnements.
La nuit suivante j’attends ton retour avec une impatience nouvelle. J’ai envie de te dire tout ce que tu veux savoir, de répondre à toutes tes questions. Oui, je te dirai ce qui s’est passé avec Tiago. Il est deux heures du mat’ lorsque tu te pointes avec un petit polo bleu et blanc qui te va comme un gant, le col relevé qui te donne un petit supplément de canaillerie tout bonnement insoutenable. Je te propose une bière, et nous la partageons dans le jardin, dans la chaude nuit estivale. Tu me parles de ta journée au camping, rien de vraiment intéressant. Je te laisse parler, tout en cherchant le bon moment pour dévier la conversation et te reparler de Tiago. Mais avant que je n’aie trouvé l’occasion, tu m’assènes un coup d’une violence inouïe. — Je pue, tu considères à un moment, en te sentant les aisselles. — Tu t’es pas douché, ce matin ? je te cherche. — Si, mais je pue toujours après avoir baisé ! tu lâches, comme une bombe. Je sens ton regard sur moi scrutant ma réaction, jubilant de l’effet que cette révélation a sur moi, celui d’une bombe justement. Tu as bien étudié ton coup, hein, p’tit con ? Tu sais que je crève d’envie de toi, et tu cherches peut-être à te « venger » du fait que je n’ai pas répondu à tes questions l’autre soir. Ou, tout simplement, tu dis la première chose qui te passe par la tête, comme tu en parlerais à un pote, sans penser un seul instant à comment ton interlocuteur va recevoir cette « bombe », aux dégâts que tes mots vont provoquer chez lui. — Tu as baisé ? je t’interroge, totalement désarçonné. J’ai du mal à encaisser la nouvelle. — Oui, tu me glisses, alors qu’un petit sourire terriblement canaille embrase ton regard. — Avec une nana ? je veux savoir. — Évidemment ! — Une nana du camping ? — Ouais… — C’est pas très pro tout ça… je lâche, dépité. L’imaginer en train de baiser est déjà difficile. Savoir qu’il vient de baiser, pour de vrai, c’est tout bonnement insoutenable. — Pas du tout, mais elle voulait ma queue… je n’allais pas lui dire non ! — Bien sûr que non… je soupire, alors que je suis en train de me liquéfier sur place. — En plus, elle a pris tarif. Et elle a même eu droit à un rappel, tu ajoutes, visiblement très fier de toi et de ton exploit. — Et tu as mis une capote, j’espère ? je réagis, après un moment de silence qui me parait long comme l’éternité, en reprenant enfin le souffle après l’apnée mentale dans laquelle tes mots m’ont plongé. — Non, elle m’a dit qu’elle prend la pilule… Ah putain ! En plus elle a eu la chance d’être remplie de ton jus de petit mâle. J’ose tout juste t’imaginer en train de jouir, de te vider les couilles en elle. J’ose tout juste imaginer le bonheur que ça doit être de se faire sauter et remplir par un petit mec de ton espèce. J’espère juste qu’elle a apprécié le cadeau que tu lui as fait à sa juste valeur. Et qu’elle ne t’a pas filé une saloperie ! — Tu sais, la pilule ne te protège pas des MST… je tente de te mettre en garde. — Elle était fraîche… — Fraîche ne veut pas dire forcément clean… — Ouais… Je ne suis pas très étonné de la façon avec laquelle tu reçois cette mise en garde, avec cette « distance » et cette désinvolture, l’air de dire « ouais, ouais, t’inquiète, il ne m’arrivera rien, pas à moi, pas à dix-huit ans, alors, cause toujours, ça m’intéresse ». Tu es trop jeune pour comprendre. Trop jeune pour mesurer les risques, et trop jeune par rapport à l’époque où les MST étaient très médiatisées. Elles ne le sont plus de nos jours, hélas. — Je ne blague pas, j’insiste. On peut choper des maladies graves, et on ne guérit toujours pas du SIDA. On vit avec, mais on est obligé de gober des médocs toute sa vie ! Tu ne dis rien, tu as l’air de te foutre au plus haut point des propos rabat-joie d’un vieux con comme moi. Bien sûr, tu n’as pas été jeune dans les années 80 et 90, quand l’Epidémie a décimé toute une génération. Le SIDA ne fait plus la une de nos jours, et je me demande si tu en as seulement entendu parler. Si ça se trouve, tu dois penser que ce n’est pas plus grave qu’une grippe. Ce n’est pas le cas. Ta légèreté sur le sujet me sidère. Mais je sais que je n’arriverai pas à te faire comprendre tout cela. Tu es si jeune, si beau, tu pètes la forme. Et quand on est si jeune, et quand on pète autant la forme, quand on a l’impression que le monde est à nos pieds, on se croit invincibles, et immortels. Alors, faute de pouvoir te convaincre de faire davantage attention, j’essaie de te faire comprendre à quel point ce serait dommage qu’il t’arrive quelque chose. — Tu es si jeune, tu es si beau. Ce serait tellement dommage qu’il t’arrive quelque chose aussi connement, je te glisse, en guise de conclusion de cette conversation. Je voudrais que tu saches lire entre les lignes, je voudrais que tu ressentes la bienveillance, la tendresse et l’attachement que j’ai voulu insuffler dans ces quelques mots. Mais je ne pense pas que tu aies les codes pour déceler mes intentions. — Vraiment, ce serait dommage, j’insiste. — Ouais… — Tu sais, tu n’es peut-être pas le seul gars à qui cette nana a expliqué qu’elle prend la pilule, je reviens à la charge quelques instants plus tard. Soudain, ton regard change. Je crois que j’ai trouvé l’entrée pour me faire entendre. Tu as l’air surpris, tu n’avais peut-être pas envisagé cette possibilité. Est-ce que tu prends désormais davantage au sérieux mes mises en garde, ou bien est-ce la blessure à l’ego qui te défrise ? Quant à moi, c’est ce que tu viens de m’apprendre de ta vie sexuelle qui me défrise. Je trouve cela à la fois fascinant et sidérant. J’apprends donc que tu n’as aucun mal à trouver des nanas pour baiser. Et, par déduction, que si un jour tu as envie d’essayer avec un mec, tu n’auras aucun mal à en trouver un plus « frais » que moi. — Allez, je pars à la douche ! tu coupes net. Et tu disparais de ma vue. Me laissant seul avec cette image de serial baiseur. La simple idée de te savoir nu sous l’eau me fait un effet de dingue. J’ai envie de te suivre, de te rejoindre, de te regarder en train de prendre ta douche. Je bande. J’ai envie de toi. Follement envie de toi. Une envie à en déchirer les tripes. J’ai envie de te sucer même si ta queue a trempé dans une chatte. Définitivement, tu me rends dingue. Mais je n’en fais rien. J’attends aussi sagement qu’impatiemment ton retour de ta douche. Je me fais violence pour résister à cette insupportable envie de me branler pour tenter de soulager la tension érotique que tu as provoquée en moi en me racontant tes exploits. Et le fait de penser qu’une heure plus tôt tu étais en train de baiser, de jouer au petit mâle, de jouir, me rend dingue, dingue, dingue. Comment joues-tu au petit mâle, d’ailleurs ? Tu pourrais me demander ce que tu voudrais, je le ferais. Mon royaume pour te faire jouir dans ma bouche. Si jeune, et tant de pouvoir de séduction concentré dans tes mains ! Ça me donne carrément le vertige.
L’attente de ton retour de la douche n’est pas si longue, et pourtant elle me paraît interminable. Tu reviens quelques minutes plus tard, tu reviens dans une tenue qui manque de peu d’avoir raison de ma Raison. Tu réapparais les cheveux encore humides, presque mouillés, en bataille, inspirant un désir totalement déraisonnable. Un désir d’une violence inouïe. Tu réapparais torse poil, affichant ta demi-nudité avec toujours la même aisance déroutante, avec une insolence totalement décomplexée. Je ne me lasse pas de contempler et de désirer cette plastique solide, ces quelques minuscules grains de beauté dans ton cou, ces pecs délicatement dessinés, ces tétons qui semblent conçus expressément pour être léchés, mordillés pour faire exploser ton excitation, et la mienne avec. Je me demande si tu es sensible des tétons comme je le suis, j’imagine comme ce serait bon de les travailler longuement, de te faire abondamment languir avant de te faire jouir comme un malade. Tu n’as même pas pris la peine de remettre un short. Non, non, non. Tu te pointes très succinctement vêtu d’un simple boxer blanc, l’élastique porté bien bas, laissant dépasser la naissance des plis de l’aine, ainsi qu’une douce pilosité annonçant de façon très marquée ta jeune virilité. Laissant l’imagination travailler à plein régime pour tenter de compléter ce que le regard ne peut pas contempler. Si tant est qu’il y ait quelque chose à compléter. Car, si on se fie au paraître et disparaître de certains reliefs au gré de tes mouvements, de tes pas, ce beau boxer épouse à la perfection un paquet qui s’annonce très honorablement fourni. Et ce n’est pas tout. Non seulement tu es beau et presque à poil, mais tu sens terriblement bon. Définitivement, cette nuit, tu as décidé de me mettre KO. Définitivement, tu n’as que la gueule d’un ange. En vrai, tu es un petit démon qui veut me perdre, m’amener à la damnation. Pendant un instant, l’émotion est si forte que je crois que je vais faire un malaise. Tu réalises parfaitement que l’effet que tu recherchais avec cette entrée en scène spectaculaire a été obtenu, même au-delà de tes attentes. Parce que je ne peux imaginer une seule seconde que cette tenue ne soit que le fruit du hasard, d’un besoin de te mettre à l’aise dans cette nuit encore chaude. Non, je ne peux imaginer une seule seconde que tu n’aies pas fait exprès le coup du boxer blanc pour m’en mettre plein la vue, pour tester une fois de plus l’effet que tu as sur moi, pour pousser un peu plus loin encore ta provocation, pour me pousser un peu plus loin encore dans mes retranchements, vers le précipice de la folie. Et le résultat est là, je ne peux te quitter des yeux, je ne peux quitter ton paquet des yeux. Je suis comme hypnotisé par ta beauté, ta jeunesse, ta petitconitude flamboyante. Je te désire comme j’ai rarement désiré un garçon dans ma vie. Et Dieu sait que j’en ai désirés, jusqu’à me consumer de désir. Je te désire comme je n’ai désiré qu’une seule autre fois dans ma vie, qu’un seul autre garçon, il y a bien longtemps déjà. Je sens ton regard sur moi. Et c’est un regard triomphant. Ça te plaît que je te mate comme un fou, hein ? Que je brûle d’une envie carrément douloureuse d’accéder à ta virilité ? Ça te fait kiffer de me chauffer à blanc et de me laisser sur ma faim de toi ? Mon cerveau vrille dangereusement. Je craque ! Tu fumes une dernière cigarette, et tu me souhaites la bonne nuit. J’ai envie de trouver quelque chose pour te retenir, j’ai envie de franchir le pas, cette nuit. Je suis tellement excité ! Et puis, je te sens tellement dans la séduction et dans la provocation, que je me dis que tu ne refuseras pas ma proposition de te sucer, que tu ne peux pas refuser ça à un garçon que tu as chauffé de la sorte. Un garçon que, tu le sais désormais, n’a que de bonnes intentions à ton égard, et qui ne veut que ton plaisir. — Il est très beau ton boxer… je te glisse la première chose qui m’est passée par la tête. — Merci… — Et tu le portes très bien… — Je vais l’enlever pour dormir. Ton regard de b(r)aise devient carrément incendiaire. Tu as l’air bien fier de ton triomphe écrasant, étouffant, total sur moi. — Alors… bonne nuit, tu me glisses. — Bonne nuit, oui. Et tu disparais de ma vue, tu disparais une énième fois derrière le grincement des gonds de ta porte. Pourquoi je n’ose pas me lever, aller taper à ta porte, te faire revenir, et te proposer simplement de te sucer ? Pourquoi, au lieu de tout ça, je me cantonne à écouter mon cœur taper à tout rompre dans ma poitrine, résonner dans mes tempes, jusque dans ma queue ? Je t’imagine en train de baiser, je t’imagine en train de jouir, j’imagine tes giclées en train de fuser, chaudes, puissantes, parfumées, et je jouis sur ma chaise, la porte de mon gite toujours ouverte sur le jardin.
Matin J-4 avant mon départ.
Le lendemain matin, je me réveille envahi de tristesse. Je retrouve ma frustration, cette frustration de plus en plus cuisante de ne pas oser tenter quelque chose avec toi. Et je retrouve le compte à rebours. Le jour de mon départ approche. Dans quatre jours, je retournerai à Lourdes, je retournerai à ma vie. Et toi tu reprendras le cours de la tienne, sans moi. Rien que trois heures de route vont nous séparer géographiquement, mais des années lumières vont s’interposer entre nos vies. L’été va bientôt se terminer, et tu vas partir à Aix pour tes études. D’autres bornes se glisseront entre nous, et tant d’autres obstacles. Ta vie de p’tit con de STAPS, avec des potes, du sport, des nanas, et d’infinies opportunités devant toi, une vie toute à construire, une vie qui ne recroisera plus jamais la mienne. Ce compte à rebours rend ma frustration encore plus insupportable. Je dois me faire violence pour me lever et rejoindre ta grand-mère pour le petit déjeuner. Heureusement, elle est toujours souriante et de bonne humeur, sa conversation toujours aussi agréable. Si elle savait à quel point j’ai envie de toi, et à quel point ce désir est en train de me ravager ! Chaque matin, depuis que tu es « rentré » dans ma vie, je brûle d’envie de te revoir. Mais ce matin, après que cette nuit je t’ai vu pratiquement à poil, mon envie est décuplée. Mais ce matin tu te fais attendre. Et quand enfin tu te manifestes, tu es sexy comme d’habitude, le torse gainé dans un t-shirt noir. Mais tu as l’air distant. Exit les regards de b(r)aise de la nuit, ce matin je suis transparent à tes yeux. Ou même encombrant. Tu me dis à peine bonjour, et tu ne me regardes même pas. Oui, chaque matin, et ce matin en particulier, la distance que tu mets entre nous au petit déjeuner contraste de façon criante avec la complicité et l’intimité grandissantes de nos nuits. Tu n’es pas le même quand ta grand-mère est là que lorsque nous ne sommes que tous les deux. Tu es donc bien conscient du fait que tu joues un jeu un peu particulier avec moi, un jeu que tu n’assumes pas à la lumière du jour. Ce matin, tu pars de suite après le petit déjeuner. Et je passe toute ma journée à penser à toi, à ton boxer blanc, à ta bosse, à la forme de ton gland que j’ai cru deviner pendant une fraction de seconde moulée par le coton élastique. Je passe ma journée à me branler, tout autant mentalement que physiquement. J’attends avec impatience ton retour la nuit suivante.
Mais cette nuit tu ne rentres pas. Tu me laisses seul avec mes questions, mes désirs brûlants, le manque dévastateur de ta présence, le son assourdissant de ton absence. Et un épuisement infini, après trop de branlettes.
Après mon retour d’Australie, j’ai eu besoin de temps pour remettre de l’ordre dans mon cœur. Et je savais aussi que « remettre de l’ordre dans mon cœur » passerait forcément par de longues séances d’écriture. Je savais que ça viendrait, mais je ne savais pas quand ce serait le moment. J’ignorais quand j’aurais la force de me poser pour raconter le dernier chapitre de mon histoire avec Jérém, ce chapitre que je suis allé chercher à Bells Beach, à vingt mille bornes de Toulouse. Il m’a fallu du temps pour laisser tout ça se décanter. Cette force s’est manifestée plusieurs mois plus tard, à la veille de mes vacances d’été. Soudain, l’envie d’écrire s’est présentée à moi. Imposée à moi, plutôt. Un jour, j’ai ressenti une irrépressible envie de renouer avec l’écriture, cette maîtresse exigeante qui réclame une attention toute particulière. Dès lors, ça avait été comme une évidence. Il fallait que je me remette devant mon clavier. Mais pour ce faire, il me fallait deux ingrédients magiques : le calme et la solitude. Il me fallait un cadre capable de me les offrir. D’emblée, j’ai pensé à Gruissan. Je me sens bien à Gruissan. J’ai plein de bons souvenirs à Gruissan. Des souvenirs de vacances avec ma cousine Elodie, de nos discussions interminables, de notre complicité parfaite d’antan. Des souvenirs de quelques garçons qui m’ont fait vibrer de désir à la plage. Et des souvenirs de vacances avec Jérém, juste avant notre fabuleux voyage en Italie. Gruissan est pour moi le temps des souvenirs des jours heureux. Je connais bien Gruissan et Gruissan me connaît bien. Gruissan me manque. Alors, c’était décidé, je devais y retourner. Mais ça ne pouvait pas être à l’appart des parents d’Elodie. Car cette année, mes oncles avaient choisi de le louer pendant la saison. Mon lieu de chute historique désormais inaccessible, je me suis souvenu d’un gîte en lisière du massif de la Clape sur lequel j’étais tombé une année au gré d’une balade. Je me suis souvenu du grand jardin ombragé par de grands pins parasol, de la charmante bâtisse en pierre, du chant des cigales, de cette ambiance de garrigue et de langueur estivale dans laquelle baignait le site. Une ambiance qui m’avait apaisé l’esprit. Je me suis souvenu du nom du gîte. J’ai appelé. Et, par chance, l’un des logements était libre pendant la période de mes vacances. Au final, l’indisponibilité de l’appart d’Elodie, c’était un mal pour un bien. Ce gite était l’endroit idéal pour se poser au calme. Situé à l’écart de l’agitation du monde des vacanciers, j’allais être loin des distractions du Masculin. Là-bas, j’allais pouvoir passer de longues journées à avancer sur mon histoire sans être perturbé par le Désir. Tout en sachant que la plage (et les beaux garçons en short de bain qui la rendent si belle) n’était qu’à quelques minutes de voiture et que je pourrais m’y rendre lorsque j’en aurai envie.
Jour 1, arrivée à la Clape.
En quittant la route pour emprunter le petit chemin qui mène au mas, on a l’impression de pénétrer dans un lieu situé hors du temps et de l’espace. Le gîte est un ancien mas reconverti en accueil touristique, composé d’une grande bâtisse en pierre jaune avec un toit en tuiles rose. Il est entouré d’un grand jardin bordé de pins parasols, délimitant un espace clos qui ressemblerait presque à un cocon. Il règne ici un calme presque palpable, et le temps semble s’écouler au ralenti. Ici, on a envie de se poser et de se laisser porter. Marie-Line, la propriétaire des lieux, est une femme d’un certain âge, accueillante et avenante. Elle m’explique que j’aurai le gîte « La Clape » et que je serai tranquille car le deuxième gîte « La Plage » est occupé par Valentin, son petit-fils. Valentin, elle continue, vient de passer son bac et travaille comme animateur dans un camping à Gruissan. Il fait la saison pour se faire un peu d’argent, argent dont il a besoin pour préparer ses études à venir. Et elle s’empresse d’ajouter que son petit-fils n’est pas souvent là. Car, soit il rentre à pas d’heure, soit il découche. Heureusement qu’il ne travaille que l’après-midi et le soir ! Ma première rencontre avec toi, Valentin, je la fais donc à travers des mots de ta grand-mère. Et rien que ces quelques premiers éléments qu’elle m’apprend à ton sujet attisent furieusement ma curiosité. Déjà, « Valentin » est un beau petit prénom de mec. « Il vient de passer son bac », ça donne une indication, comme un vertige, au sujet de l’insolence de ta jeunesse. Tu dois donc avoir 18 ou 19 ans. C’est l’âge de l’insouciance, l’âge de tous les possibles, de toutes les découvertes, de toutes les impertinences. « Animateur de camping », ça laisse imaginer un garçon extraverti, marrant, avec un certain bagout. Mais aussi un petit mec exposé à d’infinis regards, un garçon désiré, convoité, et, très probablement, pas mal sollicité. « Il rentre à pas d’heure », ça suggère un garçon qui aime faire la fête avec ses potes, un « couche-tard », « un fêtard ». Quant à la dernière indication, « il découche », ça pourrait même indiquer un « petit queutard ». Il ne m’en faut pas plus pour me faire de toi l’image d’un magnifique exemplaire de p’tit con, possiblement bien foutu, charmant par destin et charmeur par choix délibéré. Ma curiosité piquée à vif, je suis très impatient de faire ta connaissance en vrai, p’tit Valentin. En attendant, après m’être installé dans mon gîte, je sors faire quelques courses et je rentre pour dîner. Je lis un bouquin. Ce n’est qu’à la nuit tombée que je me cale enfin devant mon ordinateur. Je m’installe à la table située juste à côté de ma porte d’entrée, que la chaleur de cette chaude soirée m’impose de laisser ouverte.
Jour 1, la nuit.
Pendant toute la soirée, le chant incessant des cigales se mêle au tapotement discret des touches de mon clavier et au très léger ronronnement du refroidissement de mon ordinateur, doux accompagnement de mes heures d’introspection et d’évasion dans le monde de mes souvenirs et de mes plus belles années. Oui, je crois qu’ici je vais être bien pour achever mon histoire. Au fur et a mesure que des pages se remplissent, tu « disparais » de ma mémoire, p’tit Valentin. Car, si je te fantasme déjà, je ne te connais pas encore. De ce fait, ta présence n’a pas encore impressionné mon esprit de façon indélébile comme une image aurait impressionné la pellicule d’un appareil argentique. Mais tu ne vas pas tarder à faire ton apparition dans ma vie. Une entrée marquante, fracassante même.
Il est environ deux heures du matin lorsque ton arrivée m’est annoncée par le bruit d’un moteur de voiture, d’un claquement de porte dans l’allée de la maison, puis par le crissement de baskets sur les gravillons de la cour. C’est un pas rapide, cadencé, lourd. Pas de doute, c’est un pas de jeune mec. Je détourne le regard de mon écran pour le glisser dans l’embrasure de la porte d’entrée de mon gîte. Je ne veux surtout pas rater ton arrivée. Les pas approchent encore et je vois enfin une silhouette se dessiner au fond du jardin. Et lorsque tu sors de la pénombre, lorsque tu arrives dans le champ d’action des lumières du jardin, j’ai envie de hurler de toutes mes forces : « Oh, p-u-t-a-i-n, Valentin, mais qu’est-ce que tu es beaaaaaaaauuuuuuuuuu ! ». Tu n’es ni petit ni très grand, je dirais un mètre soixante-dix environ. Tu arbores une belle petite gueule aux traits à la fois quelque peu enfantins et déjà masculins, un brushing de bogoss – les cheveux bruns coupés à blanc autour de la tête, insolemment plus longs au-dessus, coiffés de façon instable vers l’avant, t’obligeant à les rajuster régulièrement avec ta main, geste que tu fais en traversant le jardin – l’ensemble te donnant un air canaille à craquer ! Et puis, il y a la tenue. Ce soir, tu portes un t-shirt assez ajusté pour mettre en valeur ton torse en V, tes pecs déjà bien dessinés, pour coller à tes biceps. Le t-shirt est noir comme pour bien insister sur ta brunitude. Tu es déjà sacrement bien foutu pour ton jeune âge. Tu portes également un short en jeans avec les lisières plus claires, des baskets blanches, ainsi qu’un sac à dos rouge sur les épaules. Une tenue très « p’tit mâle sexy ». Tu es pile le genre de mec que j’appelle « un petit format très bien proportionné ». Et, pour achever le tableau, il y a l’attitude. Tu traverses le jardin d’un pas assuré et nonchalant, de la même façon dont tu dois traverser ta jeunesse, en regardant tout droit devant toi, sans trop te poser des questions, sans remords, sans regrets. C’est beau l’insouciance. Je crois que c’est l’une des définitions de la jeunesse. Soudain, les couplets d’une chanson résonnent dans ma tête.
Il venait d’avoir 18 ans Il était beau comme un enfant Fort comme un homme
Tu approches de la bâtisse, tu t’approches de moi, alors que mon regard est toujours rivé sur toi. Comment pourrait-il en être autrement ? Le mélange de la beauté et de la jeunesse est une drogue dure et violente, elle crée une addiction instantanée. J’ai désormais besoin de m’abreuver de ta présence, sans discontinuer. Tu m’aperçois enfin, nos regards se croisent. Ça ne dure qu’une fraction de seconde, le temps que je réalise à quel point le mien peut sembler déplacé. Mais dans le reflet du tien, j’ai le temps de percevoir une certaine douceur. Soudain, mon corps et mon esprit sont traversés par un frisson inouï. — Bonsoir, tu me lances sur un ton anodin, sans doute par politesse vis-à-vis d’un client de ta grand-mère. Je ne suis sans doute à tes yeux qu’un client comme un autre. Alors que toi, tu es déjà tout pour moi, mon Alpha et mon Omega et ce, dès l’instant où je t’ai aperçu. L’échange est infime, mais suffisant à me faire découvrir le son de ta voix, une voix de petit mec pas tout à fait mûre, mais avec déjà de belles intonations viriles. — Bonsoir, je te salue, avec un temps de retard nécessaire à retrouver une portion de mes esprits, définitivement chamboulés par ton arrivée. Comme une comète, ta trajectoire t’amène à t’approcher de moi, à environ deux mètres. Puis à t’éloigner à nouveau, tout droit vers ton logement situé juste à côté du mien.
Contact fugace, mais intriguant. Je n’en ai pas assez, j’ai besoin de te regarder, encore et encore, mais de plus près. J’ai besoin de m’imprégner de ta beauté, de ta jeune mais déjà affolante virilité. Mais tu ne t’arrêtes pas. De toute façon, tu n’as aucune raison de t’arrêter. Tu ne me connais pas, je ne suis qu’un « type » de passage, et pas non plus du genre causant ou avenant, et surtout pas du genre à savoir faire la conversation à un beau garçon comme toi. Car, face à un beau garçon comme toi, je perds tous mes moyens. Face à un beau garçon comme toi, je me sens comme un hobbit devant un Elfe. M’adresser à un beau garçon comme toi est pour moi mission impossible. Mais alors que je m’attends à t’entendre rentrer dans ton logement, j’entends le bruit du sac qui tombe au sol sans trop d’égard, puis celui du frottement de la pierre d’un briquet. Tu fumes, petit mec. Je tends l’oreille et j’entends le bruit léger de tes expirations. Des volutes de fumée passent devant l’embrasure de ma porte, et l’odeur de ta cigarette arrive jusqu’à mes narines. Je crève d’envie de sortir, de poser une nouvelle fois mon regard sur toi, de te mater en train de fumer. Je suis certain que la cigarette doit te rendre encore plus sexy. Mais je n’ose pas. Mes jambes n’obéissent pas à mon désir. Les secondes passent, une minute, deux minutes. Je t’entends pousser une expiration un peu plus appuyée que les autres, que je devine être la dernière. Je t’entends ramasser ton sac à dos. J’entends le bruit de la clé dans la serrure, de la porte qui s’ouvre, qui se referme derrière toi, accompagné d’un petit grincement des gonds. Un petit grincement qui, je l’ignore encore à cet instant, va vite devenir la signature sonore de l’achèvement de ces nuits d’été. Tu viens de disparaître dans ta nuit solitaire, me laissant seul dans la mienne, avec en prime mille questions à ton sujet. Est-ce que tu rentres directement du taf ? Ou bien, as-tu passé du temps avec tes potes ? Ou alors, est-ce que tu étais avec une nana ? Je tombe de fatigue, et je sais pertinemment que je n’ai plus rien à attendre de cette nuit chaude. Je sauvegarde mon fichier, je ferme mon ordinateur, ainsi que la porte de mon gîte. Je me glisse dans le lit, j’éteins la lumière. Et dans le noir, je me branle en pensant à toi, beau Valentin, juste de l’autre côté de la cloison. Je me branle, mon excitation décuplée par les bruits venant de « ton côté », qui me parlent de ta présence. Celui de la literie qui grince sous ton poids, celui des notifications de ton téléphone qui m’intriguent un peu plus à chaque fois. Avec qui échanges-tu, beau Valentin ? Qui a la chance de partager ta jeunesse, ton amitié, tes nuits ? Et je jouis en pensant à toi, beau jeune mâle de près de vingt ans mon cadet, et néanmoins capable, en une poignée de secondes, d’éveiller en moi un désir brûlant. Le temps de redescendre de mon orgasme, une pensée s’impose à moi. Il est désormais évident que pour le calme et la tranquillité que j’avais recherchées en venant ici, c’est raté. Car ta présence va me hanter pendant tout mon séjour. Rien ne sert de vouloir fuir les tentations du Masculin, car elles savent nous suivre et nous poursuivre où que l’on aille.
Jour 2, le matin.
Ce matin, je me réveille à 7 heures. Et je me réveille en pensant à toi, beau Valentin, qui es certainement encore en train de dormir juste de l’autre côté de la cloison. Je me réveille en pensant à ta belle petite gueule, à ton corps. Mais aussi en imaginant ta queue, ainsi que cette trique qu’un p’tit mec de ton âge ne doit pas manquer d’avoir au réveil. Et je suis saisi d’une irrépressible envie de m’en occuper, de t’offrir un petit plaisir matinal, de te réveiller en te faisant une pipe aussi magistrale et solennelle que ta beauté l’impose. Je ne peux renoncer à me branler une nouvelle fois pour calmer ce feu que tu as démarré en moi avec ta courte mais intense apparition nocturne. Je jouis en t’imaginant en train de me baiser et de jouir en moi. C’est le tarif pour me décider enfin à me lever. Après être passé à la douche, je vais prendre le petit déj que ta grand-mère a préparé sur la table du jardin. Si seulement tu pouvais te joindre à nous, beau Valentin ! J’ai tellement envie de te voir de plus près, et à la lumière du jour ! Je suis certain que j’ai encore tant à découvrir de ta bogossitude, le grain de ta peau, son degré de mâlitude, d’éventuels petits grains de beauté que la pénombre m’aurait « cachés », et que sais-je d’autre. Je raconte à ta grand-mère que je t’ai croisé cette nuit, elle me confie qu’elle trouve que tu rentres toujours trop tard, que tu devrais dormir davantage, qu’elle s’inquiète parfois, tout en concluant qu’« il faut bien que jeunesse se fasse ». Je lui demande quelles études tu envisages de faire. Elle m’apprend ainsi que l’année prochaine tu vas intégrer une formation en STAPS. Ahhhhh ! STAPS, The formation de bogoss ! STAPS, ce lieu fantasmé et inaccessible, le repère de Petits Dieux dans la fleur de leur âge, de leur beauté, et de leur vigueur, un endroit que mon pote Stéphane a appelé un jour, avec une formule exquise, « L’Olympe ». Dans ce lieu, tu seras entouré de tes pairs, d’autres bogoss de ton espèce. Vos bogossitudes ne ferons pas que s’additionner, ni même se multiplier entre elles. Non, ce serait plutôt une exponentiation. Rien que d’y penser, ça me donne le vertige. Des images viennent à moi de Petits Dieux partageant de longues séances de sport, de vestiaires, de douches. C’est comme essayer d’appréhender l’infinitude de l’Univers, c’est tout bonnement insoutenable, ça dépasse l’entendement. Tu as déjà un beau petit physique, mais je suis certain que la pratique sportive va ajouter de très belles choses à ta plastique de p’tit con. Ta grand-mère m’apprend qu’elle est ravie de t’avoir près d’elle pendant tout l’été, elle qui ne te voit pas assez souvent, elle qui a l’air de regretter que le temps passe si vite. — J’ai l’impression que c’est hier que ma fille, sa mère, lui donnait le sein, et le voilà déjà transformé en beau jeune homme. Ah, oui, c’est clair, je confirme très fort dans ma tête, tu es un très beau jeune homme, Valentin ! Si elle savait à quel point tu me fais envie, ta grand-mère en serait certainement outrée. — Et depuis deux ans il fait de la musculation, il s’est vraiment bien développé, elle enchaîne. Oui, oui, tu es vraiment très bien développé ! — Alors, les nénettes lui courent après… Ça, je n’ai pas de mal à l’imaginer. Et à imaginer que certains garçons doivent en faire de même ! — Et il se laisse trop distraire… — Il a une copine ? je l’interroge, « l’air de rien ». — Une copine ? Une copine chaque soir, oui ! Ah, je le savais, bogoss et bon petit queutard ! Mon envie de toi atteint des sommets. Je ressens une nouvelle fois dans mon ventre cette chaleur qui annonce un intense envie de branlette. — Il est beau garçon, c’est normal, je considère. — J’espère seulement qu’il se protège, ce serait vraiment dommage qu’il chope une saloperie ou qu’il mette une fille une en cloque ! J’adore le franc parler de Marie-Line, et tout particulièrement sa générosité lorsqu’il s’agit de parler de son petit-fils. Elle a vraiment l’air de l’adorer, c’est très touchant. Elle est très fière du jeune homme que tu es devenu, tout en étant nostalgique de l’enfant que tu étais encore il n’y a pas si longtemps que ça. — Au fait, il ne vient pas prendre le petit déj ? j’ai envie de savoir. — Oh, pas de suite, non. Il n’émerge jamais avant 10h30.
Après que ta grand-mère a douché l’espoir de te voir débarquer pendant mon petit déj, je termine mon café et je reviens à mon gîte. Le matin est frais, tout comme l’esprit devrait l’être après une bonne nuit de sommeil. Ce sont les heures les plus agréables pour écrire. Oui, le matin est frais. Mais pas mon esprit, pas aujourd’hui. J’ouvre l’ordinateur, mais je réalise très vite que je n’ai pas envie d’écrire. En fait, si, j’en ai envie. Le fait est que je n’ai pas la tête à ça. Car mon esprit est ailleurs. Mon esprit tout entier est avec toi. J’attends impatiemment que tu sortes de ton gîte, j’attends de te revoir. Suite à la conversation matinale avec ta grand-mère mon désir pour toi s’est fait encore plus intense, encore plus brûlant. Je m’installe au jardin, sur un transat qui présente l’avantage d’être posé pile en face de ta porte, je m’installe un livre à la main. Mais même lire m’est pénible. Je fixe mon portable, guettant l’heure annoncée de ton réveil. Je fixe ta porte, guettant le moindre mouvement, le moindre bruit. Mais les cigales chantent toujours, et perturbent mon écoute. J’aimerais avoir le réglage du son pour pouvoir les faire taire jusqu’à ton « apparition ».
L’heure avancée par ta grand-mère arrive, mais ta porte demeure verrouillée. Il me faut attendre presque une demi-heure de plus pour que tu apparaisses enfin. Tu te pointes avec un bon retard, à l’instar d’une popstar qui fait attendre ses fans pour bien faire monter l’excitation. Et tu soignes ton entrée en scène. Ton apparition est une claque inouïe. Après le t-shirt noir de la veille, tu m’offres un voyage express à l’autre bout du spectre visible. Aujourd’hui, tu portes un t-shirt blanc délicieusement ajusté à tes épaules, la candeur du coton faisant ressortir encore plus la couleur mate de ta peau. Parce que, oui, évidemment, je ne m’y étais pas trompé, un beau petit brun comme toi a la peau mate. Bien mate. Ton t-shirt est comme une deuxième peau qui semble taillée sur mesure tant elle met en valeur les lignes de ton torse, un petit torse en V solide, de toute beauté. Un torse qui, si j’en crois au petit bout de peau visible dans l’échancrure du t-shirt, serait parfaitement imberbe. Oui, en ce matin ensoleillé, je peux effectivement apprécier des détails que je n’ai pas pu apprécier cette nuit, rencontre trop fugace dans une lumière insuffisante, et recenser toutes les nuances de ta beauté bouleversante. Je décèle ainsi un délicieux grain de beauté incrusté dans le creux de ton cou. Comme mon Jérém. Tu portes également un short en jeans d’où dépassent des cuisses et des mollets solides et déjà un brin poilus. Cela laisse imaginer une pratique de sport régulière, couplée à une fréquentation tout aussi régulière de la salle de musculation. Quel sport pratiques tu, futur étudiant en STAPS ? Au vu de ton gabarit, je ne sais pas si tu es taillé pour le rugby. Ou alors, au poste de demi de mêlée, comme mon pote Thibault. Un poste à petit format très bien proportionné, quoi. Ou alors, tu es un footeux. Quoi qu’il en soit, je t’imagine avec tes camarades, sur un terrain, dans un vestiaire, sous les douches. Ah, putain ! Ce matin, tu as la gueule enfarinée, l’air plutôt à l’ouest. Le P’tit con, en tant qu’espèce, n’est pas du matin. Tes cheveux sont encore humides, tu dois sortir de la douche. Aussi, tu tiens une clope entre les lèvres. Tu mates déjà ton portable, tu tapotes sur l’écran. Tu n’as toujours pas capté ma présence. Est-ce que tu es en train de lire un message envoyé par la nana que tu as baisée hier soir, ou bien es-tu en train de préparer la baise de ce soir ? Comment fais-tu tes rencontres ? Sur un réseau ou dans la vie réelle ? Ta grand-mère m’a parlé des pouffes qui te tournent autour, je les déteste déjà. Sinon, comment te comportes tu dans un pieu ? Qu’est-ce qui te fait kiffer ? Tu allumes ta clope, tu tires ta première taffe. Tu retiens brièvement la fumée, tu l’expulses lentement. Bien évidemment, je ne m’y étais pas trompé, ta façon de fumer est hyper sexy. Je suis cueilli par une folle envie de me mettre à genoux devant toi et de te sucer pour bien te réveiller. — Bonjour Tintin ! te lance ta grand-mère qui vient de réaliser que tu es levé. — Bonjour Mamie ! tu lui lances en retour, sans pour autant lever les yeux de ton écran. « Tintin », ce petit nom tout mignon venant de ta grand-mère, ainsi que ce mot enfantin « mamie » venant d’un garçon aussi sexy, ça me donne d’infinis frissons.
Tu finis ta clope, tu écrases ton mégot et tu fonces droit devant toi, complètement dans ta bulle, les yeux toujours rivés sur ton portable. Et tu ne captes ma présence que lorsque tu es tout proche de moi. Pendant un instant, j’ai l’impression que tu vas te prendre les pieds dans ma chaise longue, et tomber sur moi de tout ton poids. Si seulement ça pouvait être le cas ! Qu’est-ce que tu es beau de si près ! J’ai envie de toi à en crever !
Quand il s’est approché de moi J’aurais donné n’importe quoi Pour le séduire
— Bonjour ! je te salue de façon enjouée, à la fois pour t’avertir de ma présence, pour éviter l’accident de chaise longue, et pour te signifier ma joie de te revoir. — Bonjour, tu me lances à la va vite, comme pour me signaler ton indifférence vis-à-vis de ma présence. Ce matin, je n’arrive même pas à croiser ton regard. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Tu n’as vraiment pas l’air d’être du matin. Ni de t’intéresser aux regards des garçons. Je sens que ça ne va pas être une mince affaire d’attirer ton attention.
Tu t’installes à la table du jardin, et ta grand-mère lance un deuxième service de petit déj pour s’adapter à tes horaires décalés. Un intense rayon de soleil arrive à se frayer un chemin à travers les cimes des pins parasols et se pose pile sur toi, tel un phare de théâtre qui mettrait en lumière l’acteur principal sur la scène. Le soleil ne se trompe pas. Car, ce matin, tu es l’acteur principal de ma scène, de mon théâtre. Dans la lumière du matin, tes cheveux insolemment bruns en bataille, encore humides, brillent de mille reflets. Et le contraste entre ton visage d’ange et ton corps de petit Dieu me frappe de façon encore plus saisissante que la veille. Dans la lumière du matin, ta jeunesse pétille comme la robe d’un Beaujolais nouveau. Les Italiens disent que « il sole bacia i belli », que le soleil « aime embrasser la beauté ». Ce matin non plus il ne s’est pas trompé.
— Tu as bien dormi, Tintin ? j’entends Marie-Line te demander. Il y a tant d’amour dans cette simple question. Tu es son petit-fils adoré. — Oui, très bien dormi, tu lui glisses en lui claquant la bise, sans même penser à lui poser la même question en retour. P’tit conitude rime souvent avec ingratitude. C’est touchant ces échanges pleins d’affection entre grand-mère et petit fils. — Tu as faim ? — Oui, très faim ! Marie-Line disparaît alors dans sa cuisine et réapparait une minute plus tard avec un plateau rempli de toute sorte de victuailles. — Tu as trop préparé, mamie ! — Tu n’es jamais là, alors quand tu es là, j’ai envie de te faire plaisir ! — Merci ! Tu dévores ton petit déj, visiblement tu avais très faim. Je ne me lasse pas de te regarder avaler l’une après l’autre les tartines que Marie-Line a beurrées pour toi. On dirait un gosse en train de prendre son goûter sous les yeux émerveillés et émus de sa grand-mère. Et au fond de moi, je suis émoustillé par le contraste entre cette image de toi au p’tit déj et une autre l’idée qui me traverse l’esprit – une idée de pure spéculation, alimentée par les mots de ta grand-mère, et néanmoins insistante – l’idée que tu es probablement en train de « recharger tes batteries » après les « efforts » de la nuit dernière en compagnie d’une nana.
Une fois terminé ton petit déj, tu grilles une clope vite fait et tu disparais à nouveau dans ton gîte. Comment j’ai envie de te suivre et de te sucer ! Le spectacle terminé, je reviens à mon ordinateur et je tente une nouvelle fois de me mettre à écrire. Mais ce n’est pas la peine, je ne fais que penser à toi. Je ne fais que guetter ta sortie, à l’affût du moindre mouvement, du moindre bruit venant de ton gîte. Définitivement, pour le calme et la concentration et l’écriture, c’est raté. Je pourrais peut-être me concentrer lorsque tu seras parti pour ta journée, et que je n’attendrais plus de te voir réapparaître d’un instant à l’autre. En attendant ton départ, je retourne dans le jardin pour faire semblant de lire. Et pour ne pas rater ton « rappel », ta dernière apparition. J’essaie également de ne pas trop regarder mon portable, je me fais violence pour ne pas réinstaller l’application de rencontre. Mais tu m’as trop émoustillé, beau p’tit Tintin. Je sais très bien que je ne t’aurais pas, mais tu m’as donné une terrible envie de baiser. J’ai envie de baiser ce soir, ou cet après-midi. J’ai envie de baiser pour essayer de calmer le feu que tu as allumé en moi. Je me dis qu’après une bonne baise, je pourrais peut-être retrouver le calme devant mon clavier.
Tu ressors vers midi, la clope entre les lèvres, un gros casque bleu électrique sur les oreilles. Il fait déjà chaud, alors tu me fais le cadeau que j’attendais impatiemment depuis la veille. Le voilà ce délicieux petit torse, il se présente enfin devant mes yeux. Il se dévoile dans toute sa splendeur, complètement imberbe, comme je l’avais deviné. Il affiche des pecs délicatement dessinés qui ne semblent demander qu’à être tâtés pour prendre la mesure de leur fermeté, de beaux tétons qui ne semblent réclamer qu’à être léchés et mordillés pour prendre la mesure de leur sensibilité, des abdos finement ciselés qui appellent les baisers et les caresses les plus brûlantes. Et une sublime ligne de petits poils disparaissant sous l’élastique du short, délicate pilosité de p’tit mâle qui semble avoir été posée là dans le seul but d’être effleurée, humée, parcourue jusqu’à son bout le plus mystérieux. Cerise sur le gâteau, pas un seul tatouage ne vient troubler la beauté naturelle, la simple et vertigineuse perfection de ce sublime corps de p’tit con. Tu es juste une idée de la perfection telle que le Créateur doit l’avoir imaginée. De la même façon qu’il existe un nombre d’or qui semble régir de nombreux équilibres naturels, j’ai le sentiment qu’il en existe un régissant la beauté plastique des garçons. Il s’agirait d’un ratio entre la taille et la masse musculaire, entre le galbe des pecs et la saillance des abdos, entre la puissance du cou et celle des biceps. En tout cas, ce « nombre d’or du Masculin » existe bien dans ma tête. Et de ce nombre d’or, mon p’tit Valentin, tu m’apparais à cet instant comme étant la plus parfaite incarnation. Et devant ce torse si parfaitement dessiné, mon impression d’allure enfantine de la veille s’évapore définitivement. Car tu es tout simplement bandant. Tu fumes ta clope en exhibant ta fabuleuse demi-nudité avec une aisance déconcertante, sans faire cas de la présence d’un parfait inconnu tel que je le suis. Je voudrais oser te parler, ne serait-ce que pour me présenter. Ça te donnerait probablement l’envie, ou simplement l’occasion, d’en faire de même. Je voudrais que nous cessions d’être de parfaits étrangers. Mais évidemment je n’ose pas. Je ne sais pas comment m’adresser à toi, petit mec. Du haut de la moitié de mon âge, tu m’impressionnes. J’ai le sentiment que quoique je fasse, quoi que je dise, je n’arriverais pas à attirer ton attention, que je pourrais au mieux rencontrer ton indifférence, au pire ton agacement. Tu as l’air tellement absorbé par ton téléphone, par tes messages, par ta vie de jeune p’tit con. Mon existence n’a aucune chance de représenter le moindre intérêt à tes yeux. Les deux rivages de nos destins me paraissent si éloignées que je ne saurai imaginer un moyen de les relier. Mais j’ai besoin de te contempler un peu plus, et de plus près. Et ça, je sais comment faire. Comme tu n’approches pas de moi, c’est moi qui m’approche de toi. Je quitte la chaise longue pour regagner mon gîte, mouvement qui va me permettre, pendant une fraction de seconde, de t’approcher à moins de deux mètres Je suis d’abord fauché par ta simple présence. J’ai l’impression d’en ressentir le rayonnement grandissant à chacun de mes pas, dans chaque cellule de mon corps, comme quand on s’approche d’une intense source de chaleur. Le rayonnement devient carrément brûlure lorsque je capte le regard que tu m’adresses alors que je suis au plus près de toi, juste avant de passer le seuil de mon gîte. Un regard « tiré à bout portant » et qui me fait chavirer. Et la brûlure devient carrément insupportable lorsque je suis confronté à ton parfum, d’une fraîcheur inouïe, mélangé à l’odeur de la fumée de ta cigarette, une sacrée signature olfactive des bogoss qui me frappe de plein fouet. Aussi, tes cheveux sont désormais secs, ton brushing est achevé. Ah putain, comment elle est belle cette insolente crinière de jeune mâle ! Une fortune pour voir cet équilibre capillaire instable complètement défait par une baise intense ! Je viens de rentrer dans mon gîte, je m’enferme dans la salle de bain, et je me branle une nouvelle fois. Oui, encore. Je ne peux faire autrement. Je m’imagine à genoux devant toi, je t’imagine en train de jouir dans ma bouche, je m’imagine en train d’avaler ton jus de petit mec. Il a quel goût, ton jus de p’tit mâle ? Certainement, un goût qui doit ressembler à celui du bonheur. Je viens tout juste de me finir lorsque je t’entends dire au revoir à ta grand-mère. Tes pas de plus en plus étouffés sur les gravillons me confirment ton départ. Tu t’éloignes de moi et ça me soulage, ça m’apaise. Je me dis que ton absence, ainsi que le calme apporté par cette troisième branlette en l’espace de quelques heures vont enfin créer des bonnes conditions pour retrouver le calme que je suis venu chercher ici et pour me remettre à écrire. C’est ce que je fais, tout en me surprenant à rêvasser régulièrement à toi, beau Valentin. Je tapote mon clavier jusqu’au milieu de l’après-midi, lorsque mon corps et mon esprit réclament une pause que je ne peux leur refuser. En prenant le café avec Marie-Line, je l’interroge à nouveau discrètement à ton sujet. Je voudrais savoir prendre les infos directement à la source, je voudrais savoir te parler, te faire parler, ce serait délicieux de t’entendre me raconter un peu de ta vie. Mais c’est au-dessus de mes forces. Alors, pour en savoir un peu plus à ton sujet, je profite de l’amour que ta grand-mère te porte. J’apprends alors que tu ne joues pas un rugby, mais au foot, et que tu es un grand passionné de ce sport. Que tu pratiques également la natation et, comme je l’avais deviné, de la musculation à la salle. Parce que, elle te cite, « tu veux prendre de la masse ». De la masse, ce sont des muscles. Hummmmm… Pendant que j’écoute ta grand-mère, de nouvelles images de vestiaires, de douches, de proximité, de promiscuité entre jeunes mâles de ton espèce envahissent mon esprit et me donnent le tournis.
Jour 2, première nuit d’attente.
Le soir arrive, et le compte à rebours démarre. J’ai envie de me dire que ce soir tu termineras peut-être plus tôt, que tu n’auras pas l’occasion de lever une nana (je considère toujours pour acquis que ça a été le cas la nuit dernière, ma certitude se fondant par ailleurs sur le néant), que par conséquent tu rentreras également plus tôt, et que je trouverai le moyen de démarrer la conversation avec toi. D’autant plus que j’ai désormais quelques tuyaux pour le faire, ta future formation à STAPS, le foot, etc, etc ! J’ai envie de croire ce qui me fait plaisir. Le jour décline, et je me dis que je n’ai plus que deux heures à attendre. A minuit, je commence à bailler. A une heure, tu n’es toujours pas là. Evidemment, ma spéculation était foireuse, tout comme celle de la veille certainement, et rien ne permettait de dire que tu rentrerais plus tôt que hier soir. Je me fais violence pour lutter contre le sommeil qui me guette. Deux heures du mat’ arrive, et je commence à me dire que c’est foutu, que je ne vais pas tenir. Que, si ça se trouve, tu ne rentreras pas du tout. D’autant plus que, si j’en crois sa grand-mère, ce ne serait pas la première fois. Je commence sérieusement à croire que je ne te reverrai pas ce soir. Je suis très déçu. Je suis en train de fermer la porte de mon gîte avant d’aller me coucher, lorsque j’entends le crissement de tes pas sur les gravillons de la cour. Je rouvre illico le battant, et je m’installe dare dare sur le pas de ma porte, avec l’intention précise de te revoir, tout en essayant de prendre la posture d’un gars qui cherche la fraîcheur du soir, sans arrière-pensées aucune au sujet de son p’tit voisin sexy. Le hasard fait bien les choses, l’agencement des lieux fait qu’en allant ou en rentrant de ton travail, tu es à chaque fois obligé de passer devant ma porte fenêtre. Malheureusement, la cour est assez large pour que tu puisses rejoindre ton gîte en marchant à plusieurs mètres de distance de ma porte. Il n’en demeure pas moins que tu es quand même obligé de te « montrer », de « défiler devant mes yeux », et ceci pour leur plus grand bonheur. Je remarque que tu portes un autre t-shirt que celui de ce matin. Tes cheveux ont changé aussi. Si bien mis ce matin, ils sont désormais laissés en bataille. Est-ce que tu t’es douché ? Et si oui, pourquoi ? Est-ce que tu as baisé ? Tu portes toujours ton grand casque bleu bien voyant sur tes oreilles, et tu écoutes de la musique à un niveau sonore défiant toutes les lois de la physique. Un casque qui, en plus de l’écran de ton téléphone, te coupe carrément du monde. Ce qui fait que lorsque tu passes à hauteur de ma porte fenêtre ouverte, tu ne te captes même pas ma présence. Cette nuit, je n’ai même pas droit à un échange de « Bonsoir », tout aussi délicieux que frustrant. Mais je ne peux me résigner à ce raté. Je sors carrément dans le jardin, en essayant là aussi de prendre la posture d’un gars « qui cherche la fraîcheur du soir sans arrière-pensées au sujet de son p’tit voisin sexy ». Tu es en train de fumer devant ta porte. Ta vision périphérique a dû capter le mouvement, et tu me vois enfin. Tu me salues. Bonsoir. Je te salue. Bonsoir. Et là, surprise, tu ôtes le casque de tes oreilles, le laissant glisser autour de ton cou. C’est fou à quel point je trouve ce simple geste sexy à mort. Tu ne lâches pour autant pas l’écran de ton téléphone des yeux. Mais l’occasion est trop belle et trop rare, alors je dois en profiter coûte que coûte. — Ta grand-mère m’a dit que tu travailles dans un camping… je tente de démarrer une conversation. — Oui, c’est ça, tu me réponds. Le ton de ta voix est distrait, un peu sec, distant, peu engageant. D’emblée, j’ai l’impression de te déranger, de forcer les choses. Je le savais. Je me sens mal à l’aise. Mais je me force à continuer à chercher de bâtir un pont entre nos deux mondes. — Ta journée s’est bien passée ? — Pas trop mal. — Tu as fini tard… — J’ai traîné avec des potes… Et là, avant que j’aie le temps de trouver une nouvelle réplique, peut-être une façon de me dire de la fermer, tu me lances : — T’en veux une ? tout en me tendant ton paquet de cigarettes. Comme je me déteste, à cet instant, de devoir t’annoncer : — Non, merci, je ne fume pas. Une pause cigarette partagée aurait pu créer des liens. Je rate le coche. Comment je préfèrerais qu’il me tende autre chose que son paquet de clopes ! — D’accord, bonne nuit ! tu me glisses, en écrasant ton mégot. Ça y est, au bout de même pas une dizaine d’échanges, tu dois déjà me trouver chiant.
Jour 3, le matin.
Ce matin, je me réveille de bonne heure. Ta grand-mère n’est pas encore levée, les battants de sa porte sont encore verrouillés. Tout comme ceux de la tienne. Je ressens en moi une terrible envie de taper à ta porte, de te réveiller, et de te proposer une bonne pipe pour calmer ta trique matinale. Le vent frais caresse ma peau, fait glisser le coton de mon t-shirt sur mes tétons. Je bande. J’ai envie de me branler. Je choisis plutôt d’aller marcher. L’autocollant « A » posé sur la vitre arrière de ta petite voiture me parle de ton âge insolent. Car tu es jeune, terriblement jeune. Et pourtant, il se dégage quelque chose d’éminemment sexuel de toi. Tu mets encore des céréales dans ton lait du matin, mais tu pues déjà le sexe. Je te désire, je brûle d’envie de te faire découvrir le plaisir entre garçons, de me soumettre à toutes tes envies, de t’en faire découvrir des nouvelles et que tu ne soupçonnes même pas. Je ne demande qu’à t’offrir l’orgasme de ta vie. Mais tu es bien trop jeune pour moi. Tu as l’âge que j’avais lors des premières révisions dans l’appart de la rue de la Colombette. Et moi, j’ai deux fois cet âge. Mais en même temps, un adage bien judicieux estime que quand on est en âge de conduire, on est également en âge de baiser sans contraintes. Je me dis que ce serait juste te rendre service que de te faire découvrir « autre chose », l’amour entre garçons, en plus que celui avec une femme, que tu connais déjà a priori. Oui, ce serait juste te rendre service que de t’apporter les éléments pour pouvoir choisir ce que tu aimes vraiment. Car, si d’aventure il s’avérait que tu aimes les garçons, un jour tu serais à l’étroit dans une vie d’hétéro. Autant savoir qu’il existe d’autres vies possibles. Mais notre différence d’âge représente à mes yeux un obstacle insurmontable entre mon intimité et la tienne.
C’était l’été évidemment Et j’ai compté en te voyant Mes nuits d’automne
Et puis, qui suis-je pour prendre le risque et la responsabilité de te faire dévier d’une vie d’hétéro qui serait certainement plus simple à assumer que d’autres ?
Des matins, des journées et des nuits immuables.
Par la suite, « nos » matins se déroulent toujours de la même façon, sur un même rythme, suivant une même routine. Je me réveille de bonne heure, je me lève, je profite de la tranquillité et de la fraîcheur des premières heures de la journée, et de mes pensées pour écrire. Et dès que ta grand-mère se lève, je prends le petit déjà avec elle. Puis, je m’installe dans le jardin avec un bouquin. En réalité, je guette ton apparition. Et lorsque ta porte s’ouvre enfin, je me laisse à chaque fois surprendre et émoustiller par la façon dont un nouveau t-shirt – dans l’ordre, blanc, noir, gris, marron, vert militaire, les couleurs les plus bandantes qui soient – fait pétiller ta plastique de bogoss. Je guette ton allure, ta tête du matin, je compte sur ta belle petite gueule enfarinée les heures de sommeil que tu as sacrifiées à tes plaisirs nocturnes. Je me demande avec qui tu as pris ton pied, je me demande si seulement cette personne a conscience de la chance qu’elle a de goûter à la virilité d’un p’tit mâle comme toi. Je te mate en train de fumer ta première clope du matin, les traces de l’oreiller encore imprimées en 3D sur ta belle petite gueule. J’aimerais les voir de près ces traces, les couvrir de caresses et de bisous. Bonjour/bonjour, ce sont toujours nos seuls échanges à ton réveil. Définitivement, tu n’es pas du matin, et ton regard n’est vraiment pas engageant à ce moment de la journée, encore moins que d’habitude. Du moins vis-à-vis de moi. Car ta grand-mère arrive parfaitement à te décrisper, elle. Elle arrive même à te faire sourire. Elle y arrive de par son amour sans conditions et totalement désintéressé. Elle y arrive de par sa gentillesse profonde, qui ne peut qu’attirer la reconnaissance, et de l’amour en retour. Aaaahhh, qu’il est beau ce putain de sourire qui fait pétiller tes yeux, ta bouche, tes belles dents de jeune loup ! Lorsque tu t’installes à la table du jardin pour prendre ton petit déj, je guette les rayons de soleil qui filtrent des cimes des pins parasol, et qui trouvent le chemin pour se poser sur toi. Frappées par la lumière claire et intense du matin, ta brunitude insolente et ta jeunesse impertinente brillent de mille feux. Tes cheveux apparaissent soyeux et brillants comme le poil d’un chiot, d’un jeune animal au sommet de sa beauté. Je voudrais savoir oser. Oser me lever, m’approcher de toi, non pas pour te draguer, mais pour te demander si tu as seulement conscience de ta beauté bouleversante. Faute de mieux, je te mate en train de dévorer ton petit déj, je t’écoute discuter avec ta grand-mère, je te regarde redevenir gosse, le temps de quelques tartines et d’un café au lait qu’elle a préparés pour toi. En te matant, j’essaie à la fois d’être discret, mais aussi de croiser ton regard. J’ai besoin de croiser ton regard, d’être foudroyé par ta jeune mâlitude. Mais il m’est extrêmement difficile d’attirer ton attention. Tu ne quittes que rarement l’écran de ton portable des yeux, et même dans ces instants exceptionnels tu ne regardes pas dans ma direction. Tu es ailleurs, tu es dans ta vie à mille à l’heure, et tu n’as pas de temps à consacrer à un type chiant comme moi. Je me demande si tu t’es seulement rendu compte à quel point mes regards sont aimantés par ta beauté. Probablement pas. Le fait est que je n’existe pas pour toi. A tes yeux, je fais simplement partie du décor. Lorsque tu disparais à nouveau dans ton gîte, je passe une autre bonne heure à attendre de te voir ressortir, à guetter l’instant où tu traverseras la cour pour amener ta bogossitude au camping, pour taper dans l’œil de tout un tas de pouffes, et certainement de quelques mecs comme moi que tu croises sur le chemin de ton existence, sans même en avoir conscience.
Dans la journée, j’écris pendant le plus clair de mon temps. Et, parfois, je m’autorise une pause. Je descends alors à la plage, je me baigne pendant de longues heures. Je me balade sur le sable chaud, je contemple la Création dans ce qu’elle sait offrir de plus beau, la vision de nombreux beaux garçons torse nu en bord de mer. Cela me distrait un peu du désir que tu fais flamber en moi un peu plus chaque jour. Un peu, jamais tout à fait. Car quoi que je fasse, où que j’aille, ce désir ne me quitte jamais vraiment. Le soir, à partir de 23 heures, je piste ton retour. C’est un compte à rebours des plus pénibles, dans la mesure où je n’en connais pas la durée exacte, durée qui peut tout aussi bien s’étirer jusqu’au lendemain. J’ai cru comprendre que les soirs où tu découches tu envoies un message à ta grand-mère. Mais moi je n’ai pas de message. Alors j’attends ton retour, parfois jusqu’à trois heures du matin, tout en gaspillant ces heures, car ma fébrilité de te revoir me prive de la concentration nécessaire pour produire quoi que ce soit sur mon clavier. Parfois tu ne rentres pas, et ma déception est immense. Je vis cela comme une claque violente. Mais lorsque tu rentres, j’oublie les affres de l’attente. Lorsque j’entends le moteur de ta voiture approcher, puis tes pas sur les gravillons, des frissons délicieux traversent mon corps comme une énergie de bonheur. Tu n’es pas encore apparu devant moi, et déjà je me sens bien. Et déjà j’ai terriblement envie de toi. Réflexe pavlovien. Hélas, si ton arrivée est à chaque fois un bonheur inouï pour mes yeux, ma frustration grandit de soir en soir. Car nos interactions n’évoluent guère. Après l’immuable « Bonsoir/Bonsoir », nos échanges ne vont pas bien loin. Tu n’es pas vraiment du genre causant. Et à mes questions au sujet de ta journée, qui me demandent pourtant une énergie folle pour seulement oser te les poser, tu réponds de façon tellement succincte que ça me décourage de t’en poser d’autres. En réalité, au fond de moi, j’ai surtout l’impression de t’agacer à chaque fois que je t’adresse la parole. En fait, je crois que tu n’as aucunement envie d’échanger avec moi. D’ailleurs, tu ne m’as jamais posé la moindre question. Visiblement mon existence t’est complètement indifférente. Je suis en dehors de ton Univers. Le grincement des gonds de ta porte sonne pour moi le glas d’une nouvelle défaite.
Changement de stratégie.
Un soir, j’ai une idée pour mieux apprécier ton arrivée nocturne. Dès que j’entendrai le bruit de ta voiture approcher, au lieu d’attendre ton « apparition » sagement assis dans mon gîte, je fermerai mon ordi et je filerai dare dare m’installer sur la chaise longue du jardin, un bouquin à la main, essayant d’avoir l’air de quelqu’un qui y est depuis un moment, et non pas de quelqu’un qui guette l’arrivé de son voisin bogoss. Je pourrai ainsi te voir défiler sur toute la longueur du jardin, et t’observer pendant toute la durée de ta clope. Et peut-être trouver enfin la façon de te parler. Ce soir, tu as l’air fatigué. La journée a dû être longue, et la soirée aussi. Il ne faut pas l’oublier, malgré ce sublime corps d’homme, tu n’es encore qu’un gosse. Un gosse dont je voudrais arriver à attirer l’attention afin de créer un lien. Le fait est que je ne supporte plus ce « sur place » de notre « relation ». J’ai besoin que ça évolue, ne serait-ce qu’un petit peu. Le temps presse. Dans quelques jours je vais partir, et je ne te reverrai vraisemblablement jamais. J’ai besoin de me rapprocher de toi. Ne serait-ce qu’un petit peu. Hélas, ce soir encore, après ton « Bonsoir », certes accompagné d’un regard un brin surpris de me retrouver dans cette position inédite, ce maudit portable et ton satané casque bleu absorbent ton regard, ton attention. Le grésillement de ton casque, ainsi que tes inspirations et tes expirations autour de la clope se mélangent au fond sonore tissé par les cigales. Je te regarde, le torse légèrement courbé vers l’avant, la tête penchée vers la lumière bleue du petit écran. Le rideau de tes cheveux mi longs retombe devant ton visage, et c’est fabuleusement beau ! Comment j’aimerais passer ma main dans ces cheveux, les ébouriffer et de caresser toute la nuit ! Mais je n’ose même pas m’adresser à toi, t’arracher à ta musique, à ton monde si prenant. J’aurais l’impression de t’importuner. Je n’ai surtout pas envie que tu me trouver encore plus chiant. Certes, mon changement de stratégie n’a pas eu l’effet escompté sur notre « relation ». Mais ça m’a quand même permis de respirer ta bogossitude nocturne d’un peu plus près. C’est déjà pas mal. Car tu es juste beau à se damner.
Le soir suivant, je t’attends une nouvelle fois dans le jardin. Cette fois-ci, tu portes un beau t-shirt marron et blanc super bien coupé, les manchettes parfaitement ajustées à tes biceps, le coton bien collé à ton torse de p’tit con bien solide, à tes pecs saillants, et tes magnifiques cheveux partent dans tous les sens. Et ce geste régulier, répété, insisté, de passer la main dedans pour les rajuster, pour les remettre en place, pour les rabattre vers l’arrière, pour dompter leur indomptable longueur défiant la gravité, tout aussi indomptable que ta jeunesse défiant la Vie, ah, qu’il est beau et méga sexy ce geste ! Ce soir, tu es sur ton 31. Visiblement, tu étais de sortie. Visiblement, tu voulais mettre tes atouts en valeur. Tu voulais en mettre plein la vue. Et c’est formidablement bien réussi. Avec une petite gueule comme la tienne, un corps comme le tien, et un t-shirt pareil, qui pourrait bien te résister ? Tu pourrais baiser la Terre entière, tu ferais encore des envieux. Sur qui as-tu jeté ton dévolu ce soir ? Quelle nana a eu la chance de t’offrir du plaisir ? Est-ce qu’elle a été à la hauteur de tes attentes ? Est-ce qu’elle a su être à la hauteur de la chance d’avoir accès à la virilité d’un si beau garçon ? La cigarette entre les lèvres, les mots me manquent pour dire à quel point tu es bandant. Mais le meilleur reste à venir. Tu allumes ta clope, tu tires une taffe. Puis, tu la poses sur le rebord de la fenêtre. Et là, tu oses l’impensable. Tes bras se lèvent, tes doigts attrapent le col du t-shirt derrière ton cou, le geste est rapide, parfaitement maîtrisé, le coton glisse sur ta peau, les abdos apparaissent, puis, les pecs, les tétons, tes épaules, ton torse tout entier. La séquence est fascinante. Ta demi-nudité se dévoile devant mon regard ébahi, surpris et ému par cette vision inattendue. Puis, comme pour m’achever, avec un geste assuré et nonchalant, tu balances le bout de coton sur ton épaule. Et tu cherches appui contre le mur, tu plies un genou et tu poses la plante de ton pied juste à côté du cadre de la porte. — Il fait chaud, tu me lances, en surprenant une nouvelle fois mon regard sur toi, un regard qui doit trahir toute ma surprise, mon besoin de contemplation et mon désir. Cette nuit, plus que jamais, ton regard et ton petit sourire pétillent comme les étoiles dans une nuit très claire. Tu ne sais pas à quel point il fait chaud, depuis que tu as ôté ton t-shirt ! Tu viens d’ajouter bien quelques dizaines de degrés à cette déjà chaude nuit estivale. J’ai l’impression d’être dans un hammam ! Et la température a d’autant plus grimpé en moi que, dans cette posture, tu fais remonter en moi un souvenir vieux de vingt ans. C’est le souvenir d’un autre garçon, le souvenir d’un jour lointain, un garçon que je croyais à l’époque tout aussi inaccessible que tu l’es pour moi à cet instant, un garçon très brun, dans une vigne, les épaules appuyées contre un chêne, le dos légèrement cambré, le bassin vers l’avant, le genou plié, le pied posé contre le tronc, en train de fumer devant moi. Il ne manquerait plus que tu ouvres le premier bouton de ton short, parce que tu as « vraiment trop chaud », comme il l’avait fait à cette même occasion, pour que la confusion soit totale. Depuis Jérém, mon regard et mon désir est très souvent attiré par le même genre de mec. Ainsi, le désir pour un beau garçon se mélange souvent à la nostalgie et à la mélancolie. Beau Valentin, ce soir, dans cette posture, tu me fais terriblement penser à lui le jour de notre retour du voyage scolaire en Italie, lors de notre pause dans un vignoble dans le Rhône. Alors, comment ne pas me demander si ton geste d’ôter le t-shirt est seulement une façon de soulager ton torse de la chaleur de cette nuit, ou bien s’il n’y a pas également, comme ça avait été le cas chez lui, ce jour-là, la volonté de me chercher, de me provoquer, de me tester ? Est-ce que tu guettes mes regards pour mesurer l’effet que ton geste provoqué en moi ? Cette nuit, passé et présent se mélangent, l’image de deux garçons se superposent.
Quand les souvenirs s’en mêlent Les larmes me viennent Et le chant des sirènes Me replonge en hiver.
A cet instant précis, Valentin, devient Jérém. A distance de vingt ans, les deux bogoss ont en commun l’âge, 18 ans, celui de toutes les promesses et de tous les possibles, une beauté à peine croyable, un regard brun et charmeur, un corps qui inspirent un désir brûlant, incandescent, assommant. Mais aussi un parfum enivrant, une attitude, la façon de tenir la cigarette entre le pouce et l’index, ou de la poser nonchalamment entre les lèvres. Cette nuit, nous n’échangeons pas plus que d’habitude. Même presque pas du tout. Mais c’est dans le non verbal qu’il me semble déceler une évolution de ton côté. J’arrive de plus en plus souvent à croiser ton regard. Parfois, lorsque tu me prends en flagrant délit de matage, j’ai comme l’impression qu’un léger sourire charmeur fait son apparition sur tes lèvres. Oui, tu as capté que ton geste a provoqué pas mal d’émotions chez moi. Et tu as l’air d’être fier de toi. Tu sais désormais que je te kiffe. Et a priori ça ne te vexe pas. Ça ne t’offusque pas. Ça n’entraîne pas de réaction violente ou de dégoût. C’est déjà ça. Au contraire, ça a même plutôt l’air de t’amuser et de flatter ton égo. Mais que vais-tu faire de cette info ? Est-ce qu’elle te suffit et tu ne chercher rien de plus ?
Après cette nuit, et alors que j’arrive à la moitié de mon séjour, alors que je commençais à désespérer de pouvoir attirer ton attention, parce qu’il n’y avait eu jusque-là aucune « ouverture » de ta part, et que ma peur de te déplaire me tétanise, voilà qu’à ma grande surprise, « nos » nuits semblent enfin « évoluer ».
Le lendemain, je t’attends une nouvelle fois dans la chaise longue du jardin. Lorsque tu débarques, tu traverses l’espace sous mes yeux comme un mannequin sur le catwalk, tu avances d’un pas assuré. Tu sembler me considérer un peu mieux du regard en me lançant ton « Bonsoir ». Tu sembles plutôt satisfait de l’effet que tu me fais. Tu sembles même guetter et rechercher cet effet. Tu termines ton « défilé » à hauteur de la porte de ton gîte. Comme la veille, tu allumes ta clope, tu tires une première taffe, tu la poses dur le rebord de la fenêtre. Puis, tu ôtes ton t-shirt, et tu le poses nonchalamment sur ton épaule. Tu as l’air satisfait de toi, flatté par mon regard. Et cette simple impression me donne des frissons inouïs. Le troisième soir de cette nouvelle ère « Torse Nu », tu pousses le bouchon un peu plus loin. Tu innoves le « rituel » en te pointant déjà carrément torse nu, le t-shirt sur l’épaule. Passé le premier choc, je te contemple sans discontinuer. De temps à autre, entre deux taffes, tu lèves les yeux de ton écran et tu me surprends en flagrant « délit » de matage. Peu à peu, et de plus en plus je me laisse surprendre « la main dans le sac », ou plutôt, « le regard sur ton corps ». Désormais, j’ai l’impression de capter dans ton regard une certaine satisfaction, une certaine fierté dans le fait de te sentir regardé, désiré. Une impression qui se mue peu à peu en certitude. Dis-moi, sublime p’tit con, est-ce vraiment seulement la chaleur nocturne qui te pousse à te foutre torse poil pour fumer ta dernière clope avant d’aller te coucher ? Réalises tu l’effet que ta demi-nudité provoque en moi, mesures tu la brusque montée du désir qu’elle entraîne ? Tu cherches quoi, petit allumeur que tu es ? A jouer avec moi, à me rendre dingue de toi, sans par ailleurs avoir aucunement l’intention de passer à l’acte ? Ça t’amuse bien, ce petit jeu, n’est-ce pas ? Est-ce que tu apprécies que je te mate ? Est-ce que ça t’intrigue de savoir qu’un garçon s’intéresse à toi ? Est-ce la première fois que tu réalises qu’un garçon en pince pour toi, ou bien tu t’es déjà rendu compte d’autres mecs se sont intéressés à toi ? Est-ce que l’idée que ta jeune virilité provoque autant d’effet, même si c’est chez un garçon qui a le double de ton âge, ne te ferait pas bander ? Est-ce que mon attirance te donne des idées ? Est-ce que tu te poses des questions sur comment ça se passe au lit entre garçons ? Est-ce que tu as déjà tenté quelque chose avec un pote ? Est-ce que tu ne ressens pas en toi une petite envie de franchir le pas ? Tu as peut-être compris que tu as une touche avec moi, que je te kiffe au point que tu pourrais me demander n’importe quoi, mon regard flatte peut-être ton égo, mais ce n’est pas forcément avec moi que tu aurais envie de franchir le pas. Pour tout un tas de raisons. Déjà, parce que tu es trop beau pour envisager un mec comme moi. Et puis, il y a la différence d’âge. Je n’ai jamais su être jeune, parler aux jeunes, même lorsque j’avais leur âge. Alors, comment l’être maintenant, comment leur parler maintenant, alors que j’approche la quarantaine ?
Chaque nuit, je regarde ce corps parfait qui se montre devant moi, je le désire plus que toute autre chose. Pendant quelques instants magiques, hors du temps, tu es le centre de mon monde, rien n’existe pour moi en dehors de toi, de ta beauté, de ta jeunesse, de ta virilité, de ce désir qui brûle en moi, qui me consume peu à peu. Je voudrais oser parcourir ce chemin, franchir ce mur invisible qui nous sépare. Mais devant un sublime p’tit con de ton espèce, je suis comme pris de vertige. Du haut de tes 18 ans, tu possèdes désormais un immense pouvoir sur moi. Tu l’as bien compris. Et tu ne te gènes pas de l’exercer, nuit après nuit, torse nu après torse nu. La première fois que je t’ai aperçu, je me suis dit que tu avais le visage et le regard d’un ange. Mais à mieux regarder, je dois me rendre à l’évidence. Derrière ces airs angéliques se cache un petit démon qui sait très bien comment s’y prendre pour me rendre dingue de lui et qui prend un malin plaisir à torturer mon esprit.
Il venait d’avoir 18 ans C’était le plus bel argument de sa victoire
J’adore ces instants magiques, les deux ou trois minutes que dure ta dernière cigarette nocturne, pendant lequel je contemple ta magnifique demi-nudité, délicieux préalable à l’intense branlette que je vais me taper une fois que tu auras disparu de ma vue. La vision de la beauté masculine est un fruit dont je ne me lasse pas, bien au contraire. Je deviens addict à ta demi-nudité, il m’en faut des doses de plus en plus importantes. Alors, j’essaie par tous les moyens de prolonger nos « rencontres » nocturnes. Je me fais violence, je lutte contre la peur de t’agacer. Je tente l’impossible, détourner l’attention d’un garçon de 18 ans de l’écran de son téléphone. J’ai l’idée de te questionner au sujet de tes études à venir, de tes passions sportives, du foot. Questionner un beau garçon au sujet de ses passions est un bon moyen de le mettre à l’aise. A ma grande surprise, tu te laisses « détourner » assez facilement. En fait, contrairement à « nos débuts », tu as envie de parler. Quelque chose a l’air d’avoir changé depuis que tu sais que je te kiffe à mort. Tu m’apprends que tu as joué dans une équipe de foot régionale, et que tu aimes vraiment ça. Tu ajoutes que tu fais également de la natation et de la musculation. Je sais déjà tout ça, grâce à la loquacité de ta grand-mère à ton sujet, mais ça me fait plaisir de te l’entendre raconter de vive voix. — Ça se voit, tu es bien musclé pour ton âge, je profite pour te glisser. Tu ne réagis pas, du moins pas verbalement, à mon compliment, mais tu as l’air plutôt flatté. Et ça me suffit, ça me fait chaud au cœur. Je pense à tes potes, à tes coéquipiers de foot, à tes camarades de natation ou de musculation. Je suis jaloux de votre amitié et de votre proximité que j’imagine, du fait qu’ils peuvent te côtoyer sans réticences, te voir sourire, te voir torse nu, parler avec toi sans être gêné comme je le suis. Oui, je suis jaloux de ces garçons inconnus qui peuvent même te voir à poil dans les vestiaires ou sous la douche, chose qui m’est définitivement interdite. Je jalouse leur libre accès au monde pour moi interdit de ton existence.
J’ai espéré, et presque tenu pour acquis, que nous trouverions d’autres sujets de conversation la nuit suivante, que notre complicité naissante continuerait de grandir. Mais avant cela, j’ai tenu pour acquis que tu rentrerais la nuit suivante. Hélas, ce n’est pas le cas. J’ai toujours très mal vécu les nuits où tu ne rentrais pas. J’ai à chaque fois ressenti ton absence comme une immense gifle. Comme la preuve tangible que j’étais définitivement exclu de ta vie. Mais cette nuit, après ce début de « rapprochement », ton absence m’est encore plus intolérable que jamais. Une fortune pour avoir ton portable et pouvoir te joindre. Même si je sais que je n’en ferais rien. Une fortune pour être une mouche, ou pour avoir la cape d’invisibilité de Potter, pour partir à ta recherche, pour savoir où tu es, avec qui tu es, et ce que tu es en train de faire. Cette nuit, en me branlant presque désespérément, je me dis qu’il faut absolument que je te fasse du rentre dedans à la première occasion. Des occasions pour tenter de t’approcher il pourrait y en avoir une chaque nuit, ou presque. Lorsque tu rentres, nous ne sommes que tous les deux, l’heure tardive complice. Je me dis que si tu as capté mon désir pour toi, tu ne serais pas surpris qu’une nuit je verbalise ce désir par une proposition de t’offrir du plaisir. Il faudrait que je trouve le moyen de te faire comprendre que je ne te veux que du bien, que je ne te ferais que ce dont tu aurais envie, que ton plaisir serait mon plaisir à moi. Comme à chacune de mes branlettes, j’essaie d’imaginer la façon d’approcher ta virilité. J’esquisse des scenarii pour t’aborder, je répète des dialogues pour te faire comprendre à quel point je pourrais te faire du bien, je tente d’imaginer tes réactions. Et pourquoi me prendre la tête au fond, pourquoi ne pas faire au plus simple, au plus direct ? Pourquoi ne pas te proposer une pipe, tout simplement ? Une pipe ça ne se refuse pas, qu’elle soit dispensée par une nana ou par un mec, surtout à ton âge, l’âge où les hormones bouillonnantes et la curiosité permettent une certaine désinvolture vis-à-vis de la sexualité. Mais une fois « revenu sur Terre », je chasse vite de ma tête ces pensées soudainement redevenues surréalistes. Si j’osais faire un truc pareil, tu me rirais au nez. Et il n’est pas exclu que ça arrive aux oreilles de ta grand-mère. J’ai peur de me taper la honte de ma vie. Oui, des occasions pour tenter de t’approcher il pourrait y en avoir une chaque nuit. Mais je ne sais pas les provoquer, ces occasions. D’autres le sauraient probablement, mais pas moi.
Plus le temps passe, plus tous les ingrédients sont réunis pour l’addiction. Un beau gosse au physique avantageux et au regard et à l’attitude désormais résolument charmeurs. Les attentes interminables de l’instant magique où tu vas débarquer, sans même savoir si cet instant va avoir lieu. Le supplice de Tantale que de te voir apparaître enfin, le torse redessiné par un petit t-shirt à chaque fois bien ajusté, ou, pire, de te voir balader ta demi-nudité avec une aisance affolante. Te voir débarquer, si insolemment beau, si jeune, si insaisissable, et te contempler, à la fois si près et si inaccessible, c’est à chaque fois un déchirement de plus en plus lancinant. Nombreux sont les mecs croisés un jour qui m’ont fait cet effet, qui m’ont inspiré cette attirance furieuse et presque douloureuse. Mais la plupart du temps ça n’a été que la question d’un instant, d’une rencontre fortuite, d’une occasion rendue impossible par la configuration des événements. Un mec croisé dans la rue, dans un transport en commun, dans une salle d’attente, au supermarché, lors d’un rendez-vous professionnel. Des mecs croisés l’espace d’un instant, d’une minute, d’une heure. Des mecs que j’ai désirés, certes, mais que j’ai oubliés aussitôt que j’ai été éloigné d’eux. L’attirance ne survivant pas à la cessation du contact visuel, s’évanouissant aussi vite qu’elle est venue. Avec toi, Valentin, le plus dur à endurer c’est de t’attendre nuit après nuit, tout en sachant qu’il ne se passera rien entre nous. C’est cette succession infinie de désir, d’espoirs sans fondement, et de déceptions cuisantes qui me terrasse. C’est te voir débouler dans la cour et sentir le cœur bondir et s’arracher de ma poitrine a l’idée d’une occasion que je sais manquée d’avance. C’est l’angoisse des jours qui avancent, et de la fin de mes vacances qui approche. Le plus dur, c’est ce compte à rebours que je regarde défiler, impuissant, m’approchant inexorablement de l’instant où je devrai quitter les lieux, l’instant qui me rendra définitivement inaccessible ce qui avait peut-être été à ma portée pendant un temps assez long. L’instant où tu sortiras de ma vie. Beau Valentin, tu es à la fois le bonheur le plus exquis, et la frustration la plus lancinante de ces jours et de ces nuits d’été.
Voici les notes et schémas des deux derniers épisodes, un aperçu de ma façon de travailler.
Fabien
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Yann
22/05/2024 20:12
J’ai adoré dans ce dernier épisode le découpage sur « le temps de… » qui représente tous les moments forts de l’histoire. Ces notes et schémas illustrent tout le travail en amont pour produire les épisodes et qu’on n’imagine pas.
Un mois après le concert d’Amsterdam, me voilà installé dans un vignoble en plein cœur du Gers. L’année de mes 42 ans s’ouvre sur un horizon dégagé et lumineux comme jamais auparavant.
Le Temps des choix (trois mois plus tôt).
Le Temps des choix (trois mois plus tôt).
Paris, octobre 2023.
Ça n’a pas été facile d’annoncer à Anthony que Jérém était revenu dans ma vie. Et que les sentiments, des sentiments que j’avais cru apaisés par le temps, ne l’étaient pas vraiment. Car sous les cendres, il restait toujours de la braise. Et il a suffi que Jérém y souffle dessus pour que le feu sacré reprenne de plus belle.
J’ai vu le mal que je faisais à Anthony et ça m’a fendu le cœur. Comme pour Ruben en son temps, je m’en suis voulu terriblement de blesser ses sentiments, de trahir mes promesses, d’être à l’origine de sa souffrance. Comme pour Ruben, mais plus encore pour Anthony. Parce qu’Anthony, il a vraiment compté. Parce qu’Anthony, je l’ai vraiment aimé.
Je n’ai pas voulu lui annoncer cela par visio. J’ai pris sur moi, j’ai fait le déplacement à New York. Le moment le plus dur a été de repartir, de le quitter physiquement.
Salut, je lui avais glissé, comme un soupir coupable.
Salut, il m’avait glissé tout bas.
Je te souhaite tout le meilleur, Anthony. Tu es un garçon en or.
Pars, Nico !
Ça a été terriblement difficile de prendre la porte, de laisser ce garçon, ce bonheur derrière moi. Parce qu’en ce bonheur, j’y ai vraiment cru.
Ce garçon m’a touché comme peu d’autres garçons m’ont touché dans ma vie. Il a su me rendre heureux, et me donner envie de le rendre heureux.
Oui, Anthony, je l’ai aimé. Certainement comme je n’ai aimé aucun autre garçon, après Jérém. Je me suis senti bien dans ses bras, je me suis senti bien dans ma vie, dans ma vie avec lui à mes côtés. J’ai vraiment cru qu’on aurait un avenir ensemble. J’ai vraiment souhaité qu’on vieillisse ensemble.
Si Jérém n’était pas revenu, je crois vraiment qu’il aurait été le bon, celui qui aurait pu m’offrir tout ce dont j’avais besoin. Celui que j’aurais pu aimer comme on n’aime qu’une ou deux fois dans une vie.
Mais Jérém est revenu. Et Jérém, c’est Jérém. Et Jérém&Nico, c’est une alchimie, une évidence, un destin. Jérém, je l’ai dans la peau.
J’aurais pu renoncer à lui s’il était resté en Australie. J’aurais même pu y renoncer s’il était revenu avec Ewan. Et même tout simplement s’il n’avait plus voulu de moi.
Mais je n’ai rien pu faire pour m’opposer au baiser de Campan. Je n’ai rien pu faire contre l’amour que l’homme de ma vie m’a offert, je n’ai pu tourner le dos à l’horizon nouveau et lumineux que son retour ouvrait dans ma vie. Je n’ai pas pu renoncer au Bonheur.
Comme l’a dit le sage Jean-Paul, peu importe les détours, tous les chemins de Jérém mènent à Nico et tous les chemins de Nico mènent à Jérém. Parce que Jérém&Nico, c’est une évidence. Mieux que ça, Jérém&Nico, c’est un lot.
Parce que c’est lui, parce que c’est moi.
Le Temps d’assumer.
Au temps du lycée, Jérém et les livres ça faisait deux, voire trois ou quatre. Mais j’ai appris qu’il avait commencé à lire, et à beaucoup lire, lorsqu’il était en Australie. Des romans, des biographies, de tout. Lorsque je lui ai parlé de mon histoire, il a voulu la lire sur le champ. Jamais je n’ai eu autant envie, et en même temps terriblement appréhendé, de partager mes pages. Car, bien que « Jérém&Nico » soit devenu « Julien&Nathan », bien que le contexte sportif ait été changé, bien que certains détails, les plus intimes, aient été passés sous silence, l’histoire demeure la même. Celle de deux garçons qui se sont apprivoisés autour du bac, qui se sont aimés, que la vie a séparés, mais qui n’ont jamais cessé de s’aimer. Cette histoire, c’est notre histoire à tous les deux. Raconter tout cela a été ma façon de surmonter la peine qu’avait été son absence, de tenter de me guérir de ma souffrance. Mais aussi une façon de ne pas oublier, de me souvenir que ce bonheur a existé un jour dans ma vie, que j’ai été amoureux, que j’ai aimé, que j’ai connu des joies immenses et des peines terribles. Et qu’il a été un temps où je me suis senti furieusement vivant. Mais toutes ces pages sont aussi une sorte de bouteille à la mer, un cri silencieux et désespéré lancé par-delà le Temps et l’Espace, un soupir qui dit : « Reviens ! ». Ces pages, je les ai écrites pour Jérém, à Jérém. Même si j’ai toujours cru qu’il ne les lira jamais. Tout en caressant l’espoir secret qu’il les lise. Et maintenant que cet espoir devient réalité, j’ai peur. J’ai l’impression de me sentir mis à nu comme jamais auparavant. J’ai peur de sa réaction, peur qu’il m’en veuille d’avoir exposé notre histoire aux yeux d’un public. J’appréhende que ce soit trop pour Jérém. Ou qu’il trouve ça pathétique et déplacé. Ou faux. Au fond, cette histoire, c’est ma version de l’histoire. Et Jérém est le seul lecteur au monde à avoir « l’autre » version. Est-ce que ce qu’il va lire va correspondre à ses souvenirs, à « sa » propre version ? Jérém a passé tout un dimanche à lire le premier tome, celui centré sur les révisions pour le bac. J’ai appréhendé que cette lecture ne gâche la magie de nos retrouvailles. Que ça gâche quelque chose entre nous. Mais ça n’a pas été le cas. Bien au contraire. Jérém a été très touché par ma démarche, par mes mots, par mon travail. Ce soir-là, nous avons fait l’amour avec une fougue décuplée. Et après l’amour, nous avons passé des heures à nous remémorer ces jours d’un printemps déjà lointain. Quand on est heureux, on a l’impression que tout est possible. Y compris arrêter la course, des jours, des années. J’ai été heureux. Mais le Temps a continué de filer.
Le Temps de l’épanouissement.
Aujourd’hui, Jérém a 45 ans. Depuis trois ans, depuis son retour d’Australie, il a su trouver sa place dans le domaine aux côtés de son frère Maxime et de son père. C’est beau de voir les deux frérots Tommasi travailler en bonne entente pour faire évoluer l’affaire familiale. En quelques années seulement, grâce à la rigueur de son travail, à sa détermination et à sa droiture, il a su gagner la confiance et l’estime du petit monde de la vigne et de ses personnages. Un monde qui, au premier abord, ne semble pas tellement ouvert aux nouveaux venus. Un monde avec ses personnages, ses gars fiers de leur métier, de leur terroir, de leur histoire, attachés à la terre et au travail bien fait. Des gars à la parole rare mais chargée de sens et de valeur, et pour qui une poignée de main vaut engagement et loyauté. Un petit monde attaché à ses traditions, et qui pourtant a accueilli l’ancien rugbyman malgré son coming out médiatique et ce copain qu’il a installé au domaine. Ça a dû jaser dans la campagne, certes. Mais ces bruits ne sont jamais parvenus à nos oreilles et ne nous ont pas porté préjudice. Et ils ont certainement fini par se taire, mouchés par les qualités professionnelles et humaines du personnage. Jérém a l’air de beaucoup se plaire dans ce monde de rigueur. Il travaille beaucoup et s’épanouit dans ce qu’il fait. L’ancien rugbyman international est désormais un manager avisé aux projets multiples. Après la modernisation du chai et de la cave, il est désormais en train de mener à bien une diversification de l’activité avec la création d’un restaurant gastronomique et d’un accueil hôtelier haut de gamme. Son engagement pour les jeunes sportifs lui prend du temps aussi, car un centre d’accueil et de soutien est en train de se créer à Toulouse. Tout en reprenant un travail à l’extérieur, et en continuant à me consacrer à l’écriture, j’ai eu envie de participer à son action, de soutenir son engagement et de donner de mon temps pour aider des jeunes qui en ont besoin.
La quarantaine de Jérém est une période magique. Une période pendant laquelle j’assiste à une nouvelle métamorphose de l’homme que j’aime. D’un côté, il y a le directeur opérationnel du domaine Tommasi, un quadra épanoui et assuré dont l’action force l’admiration de ses proches et inspire le respect de la profession. Un homme, un mâle accompli dont la sensualité m’inspire de furieuses envies d’arracher ses belles chemises, de défaire ses ceintures et la braguette de ses pantalons bien coupés, de faire exulter sa virilité sur son grand bureau – ou dans le chai, ou au milieu des tonneaux – à toute heure du jour et de la nuit. Ce qui finit par arriver, parfois. Je ne peux décemment pas refuser une petite gâterie pour détendre le boss avant un rendez-vous important. Et puis, il y a le Jérém que la vie a malmené, le Jérém qui porte des cicatrices, autant physiques que morales. Le Jérém que les années ont fait mûrir. Je l’avais déjà remarqué lorsque j’étais allé le retrouver à Bells Beach. Et encore un peu plus lorsque je l’avais vu à la télé. Puis, lors nos dernières retrouvailles à Campan. J’ai remarqué qu’une certaine douceur s’est installée dans son regard brun. Une sorte de fragilité, lui conférant un côté terriblement attachant. Son attitude tout entière – le ton de sa voix, sa façon de s’exprimer, et même de penser, d’agir – est désormais marqué par cette humilité que portent en eux ceux qui ont connu toutes les guerres de la vie. Une sorte de retenue qui n’entache en rien sa détermination, mais qui le met dans l’écoute, dans le respect, dans l’empathie vis-à-vis de l’autre. Le Jérém de vingt ans était sanguin, impulsif, bagarreur. Passablement autocentré. Le monde tournait autour de lui et de ses envies. Ce qui avait un côté furieusement sexy, il faut bien l’admettre. Mais aussi des inconvénients. Il était parfois invivable. Le Jérém de quarante ans est déterminé, mais également réfléchi, prudent, conciliant. Il semble avoir acquis une formidable capacité à prendre du recul, à relativiser, et à mettre les choses en perspective. Le Jérém de vingt ans était très facilement déstabilisé, et il n’acceptait pas de l’être, et encore moins de l’admettre. Celui de quarante donne l’impression qu’il sait faire face, qu’il assume, qu’il gère en toute circonstance. Il n’a pas peur d’admettre ses erreurs, ou de chercher de l’aide quand il se sent dépassé. Son approche est toujours positive, même face aux problèmes. En le regardant, on a l’impression qu’il n’y a jamais de problème, qu’il n’y a que des solutions. Son regard est rassurant et bienveillant. Parfois, quand je le regarde, j’ai l’impression de voir Thibault. Le Jérém de quarante ans a le regard pétillant, et transparent. On y lit ses émotions comme dans un livre ouvert. Il ne se cache plus derrière des faux semblants. La vie s’est depuis longtemps chargée de faire voler en éclats son armure d’antan. Et il n’en a pas rebâti de nouvelle. Avec toutes ses fêlures et ses cicatrices, il est enfin en phase avec lui-même. Il n’est pas rare de le voir, de le sentir ému, les yeux voilés de larmes, la voix cassée en évoquant un souvenir, un instant passé, qu’il soit bon ou mauvais. Il n’est pas rare de le sentir nostalgique. Il n’est pas rare non plus de voir son regard s’emplir de tristesse devant des images de souffrance presque banalisées dans un JT, ou d’émotion devant un paysage, un chiot, un témoignage d’estime ou d’affection. Le Jérém d’aujourd’hui me fascine autant qu’il m’inspire une infinie tendresse. J’ai à la fois envie de me blottir dans ses bras, sûr qu’ils me protégeront, me rassureront, m’apaiseront. Et de le serrer dans les miens, pour le protéger, le rassurer, l’apaiser. Sa nouvelle virilité, une virilité qui assume désormais toutes les facettes de sa personnalité, est enivrante.
Jérém a 45 ans.
[Tu as affronté tes démons. Tu as accepté tes défauts, tes faiblesses. Tu as assumé tes erreurs. Tu as fait la paix avec toi-même. Tu as appris l’indulgence, vis-à-vis de toi, vis-à-vis des autres. Tu es rentré chez toi. Et tu y es bien. Enfin. Tu as appris à t’aimer, un peu. Et à accepter l’amour des autres. Et à accepter l’amour de Nico].
Et puis le Temps a continué de filer. Et de plus en plus vite.
Le Temps de la nostalgie.
Et puis, un jour, je réalise que ma quarantaine touche bientôt à sa fin. Et que mon regard sur pas mal de chose a changé.
Aujourd’hui, j’ai dû me rendre au centre-ville de Toulouse pour y faire une course. En ce début de printemps, trente ans après ma première révision dans l’appart de la rue de la Colombette, le vent d’Autan souffle à nouveau, souffle toujours. Sans vraiment le vouloir, mais sans m’opposer pour autant à cette force subconsciente qui guide mes pas, je me retrouve devant l’entrée de mon ancien lycée. J’ai envie de revoir l’endroit où mon existence et celle de Jérém se sont croisées. Comme lors de ma dernière visite il y a plus de vingt ans, j’aimerais passer dire bonjour à mon ancienne prof de français, Mme Talon. Mais Mme Talon n’est plus dans ce lycée, ni même de ce monde, depuis fort longtemps. Mais j’avance quand-même, guidé par une force intérieure à laquelle je ne sais pas m’opposer. Dès l’instant où je pénètre dans la cour du lycée que j’ai fréquenté il y a près de trente ans, j’ai un sentiment de vertige en contemplant le Temps qui s’est écoulé depuis. Cela a filé à une telle vitesse ! Dans la cour qui a peu changé, je cherche le vieux chêne sous lequel se tenait Jérém en ce fameux matin de septembre 1998. Et même plus trente ans après, je le revois toujours, en train de discuter avec ses potes, je revois son t-shirt noir, sa casquette noire à l’envers, son insolence, sa beauté surnaturelle, son sourire ravageur, et je ressens à nouveau les papillons dans le ventre que j’avais ressentis ce jour-là. Mon cœur se serre, mes larmes coulent sur mon cœur, montent à mes yeux, et je les arrête de justesse pour qu’elles ne débordent pas sur mes joues. J’essaie de me calmer en posant mon regard sur ce que la vie peut offrir de plus beau, de plus rafraîchissant, de plus réconfortant, le spectacle de la jeunesse, la jeunesse masculine en ce qui me concerne. Partout dans cette cour qui « fut un temps mon terrain de jeu », pour citer le titre d’une très belle ballade madonnienne sortie en 1992,
Oui, partout dans cette cour qui fut le « terrain » de mon premier amour, des lycéens répartis ici et là dans l’espace verdoyant offrent un spectacle saisissant. En les regardant, je réalise qu’ils peuvent aisément être les enfants de mes camarades de l’époque. Leur insouciance me fascine, tout comme leur position dans la vie, juste avant le bac, c’est-à-dire à l’aube de leur âge adulte, avec tant de possibilités devant eux, avec tant de futurs possibles pour chacun d’entre eux. Eux, que la vie n’a pas encore abîmés, meurtris. Eux qui sont si jeunes, car ils se croient toujours invincibles. Car ils n’ont pas encore la conscience du Temps qui passe. Il règne dans cette cour, tout comme dans les couloirs du lycée, un air de nonchalance de fin d’année, comme un avant-goût de vacances. Je me souviens de cette ambiance des derniers jours avant le bac où tout le monde était pressé d’en finir avec le lycée. Je me souviens de la tristesse que cela provoquait en moi, car cela semblait annoncer la disparition de Jérém de ma vie. Je me souviens du déchirement qu’était l’arrivée de cet été qui sonnait la fin des jours où je pouvais le côtoyer au quotidien. Et ça, je ne pouvais pas l’accepter. C’est dans ce déchirement que j’avais puisé la force de lui proposer de réviser ensemble. La suite est une histoire connue. Avant de quitter la cour, je caresse une nouvelle fois du regard ces délicieux petits mâles en fleurs qui ne sauront jamais qu’il y a eu un jour Jérém&Nico dans ce lycée, dans cette cour, leur enviant la magnifique page de vie vierge qui se dresse devant eux. J’envie tellement leur jeunesse, et leur insouciance, cette inconscience du Temps qui passe, comme s’ils se croyaient immortels. Je me demande combien d’entre eux ont déjà connu l’amour. L’amour physique, l’amour du cœur. Combien d’entre eux ont aimé ou aiment secrètement un autre garçon. Je me demande s’il y en a qui ont osé proposer à ce gars qui les troublait depuis le premier jour du lycée de réviser pour le bac. Je me demande, parmi ces lycéens, combien de « Jérém » enfermés dans leur rôle d’hétéro, combien de « Nico » soupirant secrètement se cherchent et vont se trouver un jour, ou pas. A tous les Nico, j’ai envie de dire, de crier : soyez patients, persévérants. A tous les Jérém, j’ai envie de hurler : laissez-vous aller ! A tous, j’ai envie de brailler : N’ayez pas peur d’aimer ni de vous laisser aimer, jamais ! Car il n’y a que lorsqu’on aime, et que l’on se sent aimé en retour, qu’on est vraiment et pleinement heureux.
Le Temps du lâcher prise.
On est jeunes et insouciants tant que l’on se croit invincibles et immortels. Et tant qu’on n’a pas la conscience de la course du Temps. Tout risque de basculer le jour où l’on découvre que les deux premières ne sont que des illusions, et que l’on prend conscience de la dernière. Oui, avec l’âge, nous apprenons la finitude de l’existence. D’abord, celle des autres. Nous voyons les gens vieillir autour de nous, puis partir. Puis, celle de toute chose. Nous voyons le monde changer. Nous nous sentons dépassés. Nous nous surprenons à repenser de plus en plus souvent à cette jeunesse qui est de plus en plus loin derrière nous, et qui ne reviendra pas. Nous commençons à ressentir de la nostalgie. Des angoisses inconnues nous saisissent, particulièrement le soir, ou la nuit, lorsque les occupations du jour ont cessé et que notre esprit se met à voguer. Parfois le sommeil est difficile à trouver. On se laisser submerger. Le fait est que plus on laisse la mélancolie s’infiltrer loin dans notre esprit, plus il sera difficile de la chasser. Avec l’âge, notre regard sur la vie change. Une citation que j’ai entendue dans un film m’a beaucoup marqué : « La vie est comme une broderie. On passe la première partie du côté extérieur, là où c’est très joli. On passe la seconde moitié de l’autre côté. C’est moins beau, mais on voit comment sont placés les fils ». Une phrase de mon ami cavalier Jean-Paul, m’a immensément parlé aussi : « J’ai toujours aimé penser que l’âge est comme la température de l’air annoncée par la météo. Il y en a une qui est réelle, une autre qui est ressentie. Suivant notre posture face à la vie. Tant qu’il y a des projets, et tant qu’on aime, l’âge ressenti restera toujours loin derrière l’âge réel ». Avec l’âge, les priorités changent. Ce qui était important avant, l’est moins désormais. On relativise. On comprend ce qui est important pour nous, ce qui est important dans la vie. On finit par comprendre qu’il faut jouir du présent, plutôt que redouter l’avenir. On finit par accepter que notre Temps n’est qu’une infime parcelle empruntée à l’Éternité. Que tout passe, et nous avec. Et qu’au fond, si notre vie est belle, ce n’est pas si grave. De toute façon, on n’a pas le choix. Et plus tôt on parvient à lâcher prise, plus tôt on retrouve la sérénité.
Le Temps de faire la paix avec soi-même.
Sur la route qui amène au bonheur, j’ai rencontré mon lot de difficultés. Du harcèlement à école, en passant par le coming out difficile auprès de mon père, par l’homophobie du monde sportif, jusqu’à l’agression à Paris. En fait, tous ces événements ne sont au fond que des déclinaisons de l’intolérance qui nous pourrit la vie. Cette intolérance vis-à-vis de la différence, de cette insignifiante différence, cette intolérance vis-à-vis de l’autre tout simplement, cette intolérance qui m’a empêché de vivre ma vie avec Jérém comme je l’aurais voulu. Certains de nos problèmes, certaines de nos séparations n’auraient pas eu lieu sans cette hostilité. Jérém n’aurait pas eu se cacher pendant toute sa jeunesse, ni faire semblant d’être celui qu’il n’était pas. Il n’aurait pas dû fuir à Londres après notre agression à Paris, puis en Australie après la publication des photos avec Rodney. Il n’aurait pas dû passer la moitié de sa vie à fuir la peur, la honte, le mépris, le rejet. Oui, sur la route qui amène au bonheur, j’ai rencontré mon lot de difficultés. Mais je sais que j’ai également eu de la chance. Car j’ai été bien entouré. J’ai eu la chance, qui n’est pas donnée à tout le monde, d’avoir une maman aimante, une cousine exceptionnelle, des amis bienveillants, je pense à l’adorable Thibault, à Julien, le moniteur d’auto-école, à Stéphane. J’ai eu des « alliés », je pense à Maxime, le frère de Jérém, ou Ulysse, son coéquipier parisien. J’ai pu côtoyer des piliers de sagesse, comme Denis et Albert, mes propriétaires à l’époque où j’étais étudiant à Bordeaux. J’ai pu profiter de l’amour, du soutien, de l’aide, de toutes ces personnes. Et de leurs conseils, souvent avisés. Est-ce que je les ai écoutés ? Pas toujours. Enfin, pas souvent, si je dois être honnête. Il est probable, fort probable, qu’en écoutant un peu plus, en mettant un peu à profit ma chance d’être bien entouré, j’aurais pu éviter de faire certaines erreurs qui m’ont coûté cher. Car, des erreurs, j’en ai commis dans ma vie, notamment dans ma vie amoureuse. Avec Jérém en particulier. Mais au fond, quand on y pense, qu’est-ce donc une erreur, sinon le résultat d’une action à laquelle on était impréparés ? J’ai pu faire une erreur à un instant T, parce que j’avais mal évalué une situation qui s’était présentée à moi à ce même instant. Je l’ai mal évaluée parce que je n’avais pas tous les éléments pour l’évaluer. En amour, en particulier, nous n’avons jamais tous les éléments pour évaluer la situation. Car la situation implique une autre personne qui possède sa façon propre de penser et d’agir et sur laquelle nous n’avons aucune prise. Une façon de penser et d’agir qui, de surcroît, peut changer dans le temps et dans l’espace. Dès lors, toute tentative d’évaluer une situation amoureuse est une aventure périlleuse menée sur des sables mouvants. Et si on ajoute le fait de notre implication affective qui brouille nos perceptions et nos réflexions, on se rend compte que l’erreur n’est pas seulement possible, mais même assez probable. Dans le feu de l’action, sous le coup de l’émotion, conditionnés par la peur, nos réactions peuvent être épidermiques. Et la peur, est toujours mauvaise conseillère. Hélas, ses conseils sont souvent plus marquants que ceux de nos proches. Ils le sont, car, contrairement à ces derniers, la peur est en nous et elle ne nous quitte jamais. Et nous a à l’usure, et elle a souvent le dernier mot. Il est facile, a posteriori, avec la connaissance des événements, de se dire « j’aurais dû faire autrement », j’aurais dû écouter un tel ou un tel autre. Quand on est jeune et amoureux, on a une telle soif de vivre et d’aimer qu’elle remplit tout notre cœur et notre esprit. On n’a pas le temps pour écouter les autres. Alors, on fait avec ses propres ressources émotionnelles, qui sont limitées, on fait avec les moyens de bord, avec notre expérience, ou plutôt avec notre manque d’expérience du moment. J’ai passé une grande partie de ma vie à me sous-estimer, à ne pas croire en moi. Je n’ai jamais cru en mes capacités, malgré mes études réussies, et un emploi qui me correspond. Je n’ai jamais cru non plus en ma capacité à plaire, malgré Jérém, et les quelques autres beaux garçons que j’ai pu approcher au fil des années. J’ai passé une grande partie de ma vie à me dire que je n’avais rien à offrir aux autres, à tenter de cacher mes peurs de l’abandon et de la solitude. A tenter de les maîtriser, en vain. J’ai toujours eu besoin d’être rassuré. J’ai toujours eu besoin des autres pour me sentir apaisé.
J’ai toujours eu peur de perdre Jérém, et de rester seul. Dès lors, tous mes agissements ont été mus par cette peur, ma mauvaise conseillère. La peur était mon tyran. Oui, j’ai fait des erreurs que j’aurais pu éviter. Mais dans la vie, on doit faire nos propres expériences, et nos propres erreurs. C’est la seule façon d’apprendre. C’est sur notre peau, dans notre cœur qu’on doit apprendre, quitte à en retirer des cicatrices. J’ai fait un paquet d’erreurs, mais j’ai fait aussi des choses bien. Aller retrouver Jérém en Australie a été quelque chose de bien. Le contacter après son passage télé ça l’a été encore plus. Je me suis battu pour Jérém. Et la vie m’a récompensé. Aujourd’hui, ma vie est belle avec Jérém.
Avec le temps, j’ai appris. J’ai appris qui je suis, et que je n’ai pas à avoir honte de qui je suis. Jamais. J’ai appris à croire en moi et en ce que je fais, et à ne jamais cesser d’y croire. J’ai appris qu’on a le droit d’exister, indépendamment de nos préférences, tant que nos actes sont guidés par le respect de l’autre. J’ai appris que j’ai droit au bonheur, et que personne n’a à me dire par quel chemin l’atteindre. J’ai appris qu’il ne faut pas hésiter à dire « merde » à ceux qui nous méprisent juste parce que nous sommes différents. J’ai appris à ne pas me laisser décourager par l’échec, et que l’action et la persévérance finissent toujours par porter leurs fruits. J’ai appris que même les moments les plus sombres de mon existence ont été utiles. Car ils ont fait de moi celui que je suis aujourd’hui, avec son bagage, son expérience, ses cicatrices. Et son regard plus ouvert sur la Vie. J’ai appris qu’il faut regarder vers l’avenir même quand la tentation est forte de se laisser emporter par la fatigue, le désarroi et la nostalgie. J’ai appris que les regrets, les remords, appartiennent au passé, et que je n’ai plus de prise dessus. J’ai appris que je n’ai de prise que sur le présent, ici et maintenant et que chaque instant compte. J’ai appris à m’accepter tel que je suis, j’ai appris à me pardonner.
Ça va sans dire, mais depuis que Jérém est revenu, il m’est plus facile de faire la paix avec moi-même. Et avec le Temps.
Le Temps des changements.
Et puis, un jour, je réalise que le regard que je porte sur les garçons a quelque peu changé aussi.
Aujourd’hui encore, j’ai dû me rendre au centre-ville de Toulouse pour y faire une course. Est-ce parce qu’enfin, après une assez longue période de grisaille et de froid, les températures et le soleil printaniers ont brusquement fait leur apparition ? Est-ce la raison de ce déferlement de beautés mâles dans la rue d’Alsace-Lorraine, la rue commerçante et piétonne principale de la ville ? Du choupinou aimant à câlins, du p’tit con sexy à casquette (à l’endroit, ou bien à l’envers), du p’tit reubeu en jogging satiné, des bruns virils et barbus. Des jeunes mâles aux sourires ravageurs, visiblement heureux de pouvoir enfin exhiber à nouveau leurs bras nus, leurs biceps et leurs pecs serrés dans des t-shirts moulants aveuglants de blanc ou de toutes ces couleurs qui déclinent si bien leur vibrante sexytude, en jeans taille basse ou en bermuda, aux brushings soignés ou aux coupes de cheveux volontairement en pétard, quand ce n’est pas la coupe cheveux ras style militaire. Des potes par groupe de deux, trois ou plus, se tenant parfois par le cou de façon complice, filant à toute vitesse dans leur vie que je ne fait que croiser pendant une infime fraction de temps. Une suite presque ininterrompue de beautés mâles, de bonheurs visuels. Et parfois olfactifs, lorsque la fragrance d’un déo largement utilisé sur l’un de ces torses douchés du matin vient enivrer mes narines. Cet après-midi, en ville, il y avait du bogoss en veux-tu en voilà, j’ai été balayé par une multitude de petits cons à ne plus savoir où donner de la tête. Cependant, malgré l’effet que la beauté des garçons a toujours sur moi, je constate un changement de plus en plus flagrant dans ma relation au Masculin. Il fut un temps où la simple vision d’un beau garçon suscitait en moi un désir violent d’approcher, de découvrir et de faire exulter sa virilité. Aujourd’hui, la fulguration devant le Masculin est toujours présente. Le désir aussi. Mais son urgence est moindre. Elle est désormais canalisée dans une sorte de contemplation apaisée et émue. Comme devant une œuvre d’art, une œuvre d’art d’autant plus précieuse qu’on la sait, hélas, éphémère. De plus en plus, je sens le désir physique se muer en tendresse. Aujourd’hui, face à un beau garçon, je suis moins frustré de ne pas oser l’aborder pour découvrir sa virilité que de ne pas oser l’approcher pour simplement lui demander s’il est conscient d’à quel point il est beau. Et pour lui dire de bien profiter de sa beauté, de sa jeunesse, de sa liberté, car ces cadeaux de la vie ne durent pas. Je n’ose pas, car cela pourrait être mal interprété, tout autant que des avances. Oui, mon regard sur le Masculin a changé. Mais pas seulement avec l’âge. Je crois que l’écriture a également joué un rôle dans ce changement, et pas des moindres. L’écriture m’a aidé à canaliser mes émotions, à calmer mes frustrations, à dompter ma mélancolie. J’ai le sentiment qu’elle m’a rendu plus fort, plus indépendant, plus solide. Je crois qu’elle m’a aidé à grandir. Dans l’écriture, j’assouvis autrement mon désir de célébrer le Masculin. Avec mes modestes moyens, j’écris au sujet des garçons et de l’amour entre garçons. Tout ce que j’aime, tout ce qui me parle. Au fil de mes pages, j’ai essayé de montrer qu’aimer les garçons, en étant soi-même un garçon, ce n’est pas un choix, juste un état de fait. Que c’est une façon d’aimer parmi d’autres. Et qu’il n’y a aucune raison de souffrir, de se faire insulter, discriminer, ou tabasser à cause de ça. Dans mes histoires, j’ai voulu parler de tolérance, d’acceptation de soi, de droit au bonheur. J’ai voulu affirmer haut et fort qu’aimer ce n’est jamais un crime. Et qu’en dépit de nos différences, nous sommes tous dans le même bateau, celui de l’existence, celui de la finitude de nos destins. Qu’être hétérosexuel ou homosexuel, ce n’est qu’un détail. Car, au fond, gays ou hétéros, nous cherchons tous la même chose, à être heureux comme on l’entend. Et que, par conséquent, il serait de bonne intelligence de nous respecter et de nous soutenir un peu plus les uns les autres, au lieu de nous chamailler pour des mauvaises raisons.
Regardons nous dans un miroir, et faisons le, ce changement :
If you wanna make the world a better place/Si tu veux rendre le monde meilleur Take a look at yourself and then make that/Jette un œil à toi-même et fais-le ce Change/Changement
Le Temps du déni.
Hélas, du côté de Jérém, l’équilibre acquis pendant la quarantaine vole peu à peu en éclat à l’approche de la cinquantaine. Le Jérém apaisé et épanoui, ayant réglé son compte à ses fantômes du passé, laisse la place à un Jérém à nouveau plus inquiet, faisant face à de nouveaux démons. Au fil du temps, Jérém est de moins en moins à l’aise avec son corps. Il n’est pas à l’aise avec ses cheveux, avec sa barbe, avec sa pilosité de plus en plus grisonnantes. Il n’est pas à l’aise non plus avec sa musculature, de plus en plus difficile à entretenir, avec la disparition progressive et inexorable de ses abdos. Il n’est pas non plus à l’aise avec son énergie, qui n’est plus celle de ses vingt ans. J’ai beau tenter de le rassurer, lui dire que si les changements sont bel et bien là, il y a de très beaux restes quand même. J’ai beau lui parler de mon cheminement, de comment j’ai commencé à faire la paix avec moi-même. Rien n’y fait. Son moral est en berne. Sa libido est en berne elle-aussi. Le sexe semble ne plus vraiment l’intéresser. Lorsque nous essayons de faire l’amour, il y a parfois des « ratés ». J’ai beau essayer de dédramatiser, de lui dire qu’on se rattrapera plus tard. Je vois bien que cela contribue à affecter son moral, à entretenir son sentiment de déclin physique et à l’entraîner dans un cycle vicieux. Plus il déprime, plus sa virilité a du mal à s’exprimer. Plus il y a des « ratés », plus il déprime. Jérém n’est pas bien dans ses baskets, et se réfugie dans le travail pour tenter d’échapper à ses nouveaux démons. Il devient taciturne, irritable. Je le sens dériver inexorablement. J’ai l’impression qu’il s’éloigne de moi. J’ai le sentiment que le travail devient une excuse pour réduire nos interactions au strict minimum. Le peu de fois qu’il est avec moi, j’ai l’impression qu’il est ailleurs, dans sa bulle. Une bulle dans laquelle il est enfermé avec ses nouvelles angoisses. Et puis, un jour, nous cessons de faire l’amour pour de bon. Les semaines, les mois s’enchaînent sans que Jérém ne manifeste le moindre désir. Sans qu’il accepte la moindre proposition dans ce sens venant de moi. Je commence à penser qu’il s’est lassé de moi. Qu’il s’est lassé d’un partenaire dont l’évolution physique le renvoie inexorablement à la sienne. Je me demande s’il n’aurait pas envie d’aller voir ailleurs. Je me demande si ça ne lui ferait pas du bien d’aller voir ailleurs. Pour toucher du doigt le fait qu’en dépit de l’âge, il est toujours très séduisant, et qu’il peut encore plaire à beaucoup de garçons. Je me demande s’il n’est pas allé voir ailleurs, d’ailleurs. Je lui ai soupçonné une liaison avec Kevin, un garçon plus jeune, la trentaine, un beau petit brun aux yeux verts, le responsable du centre d’accueil de Toulouse. J’ai toujours trouvé que Kevin était sous le charme de Jérém. Jérém affirmait n’avoir rien remarqué, mais je suis persuadé qu’il disait ça pour me rassurer. Bien sûr qu’il avait remarqué que ce garçon avait des étoiles dans les yeux quand il le regardait. Je n’ai pas la preuve qu’il se soit passé quelque chose entre eux. A vrai dire, je n’ai pas vraiment cherché à savoir.
Le Temps de voler de ses propres ailes.
Moi aussi j’ai eu envie d’aller voir ailleurs. Et j’ai parfois eu l’occasion de satisfaire cette envie. Et je l’ai saisie. J’aime Jérém par-dessus tout. Mes sentiments ne changeront pas. Ils lui sont acquis à tout jamais. Mais j’ai eu moi aussi besoin d’être rassuré sur ma capacité à plaire encore à l’approche de ma cinquantaine. Surtout au moment où je me suis senti délaissé, et que cela m’a fait me poser tout un tas de questions. Alors, j’ai eu envie de profiter des derniers cadeaux, des derniers garçons, que la vie avait à m’offrir. De profiter d’un instant, de prendre du bon temps, tout ce qui est salutaire pour l’esprit. Avec l’âge, j’ai réalisé que dans la vie il est plus facile de porter des remords que des regrets. Renoncer à assouvir un désir est une défaite qu’on s’inflige à soi-même. Et à force de subir des défaites, à force d’être le bourreau de soi-même, cela nous rend malades.
Pendant cette période difficile, je me réfugie dans l’écriture. Elle est mon asile, ma confidente, mon bol d’air frais. L’écriture occupe mes heures de mélancolie, mes nuits d’insomnie. Elle occupe mon esprit, l’empêchant de cogiter, de broyer du noir, de se faire du mal. Sans sa présence dans ma vie, celle-ci serait bien vide, et bien rude, à certains moments. Après le dernier volume de la saga de « Julien&Nathan » sorti fin 2026, j’ai été approché par un producteur pour un projet totalement inespéré. La web série « Julien&Nathan » a pu exister en grande partie grâce au financement participatif souscrit par les lecteurs. La production m’a beaucoup impliqué dans toutes les phases de réalisation, à partir de l’élaboration du script jusqu’au montage, en passant par les castings, l’une des tâches les plus difficiles à mener à bien. J’ai vraiment galéré pour trouver les comédiens pour incarner mes personnages, et celui de Julien en particulier. J’ai fini par dénicher Jonathan, un petit mâle de vingt ans qui avait l’insolence et la brunitude de mon Jérém à son âge, à l’époque des révisions rue de la Colombette. En parallèle de ce projet, j’ai continué à écrire des histoires de garçons qui aiment les garçons. Je crois que je vais continuer toute ma vie.
Le Temps du déclic.
Aujourd’hui, Jérém a 50 ans. Pour l’occasion, j’ai organisé une grande fête au domaine à laquelle j’ai convié tous nos proches. Mais l’ancien rugbyman n’a pas l’air heureux.
Après le départ des invités, vers minuit, Jérém m’annonce qu’il part faire un tour dans la vigne. Cela arrive régulièrement, car il a parfois besoin d’être seul, et ces balades nocturnes semblent l’apaiser. Et ce soir, à ma grande surprise, il me propose de l’accompagner. Je suis fatigué, et en plus le vent est un peu frais. Mais j’accepte son invitation, bien décidé à profiter de cette occasion offerte de partager un moment avec lui, occasion si rare depuis quelques temps. Je marche pendant de longues minutes entre les rangées de vigne à côté de l’homme que j’aime. Nous avançons en silence, jusqu’à ce que Jérém s’arrête à la limite du domaine, à cet endroit où le point de vue sur la vallée est le plus impressionnant. Même la nuit. Jérém reste planté là, en silence, pendant de longues minutes. Puis, il finit par me parler.
— Tu te souviens de quand on était au lycée ?
Je me souviens, et comment je me souviens ! Je me souviens de toi au tout premier jour du lycée, je me souviens de ton t-shirt noir, de ta casquette à l’envers, je me souviens de ton sourire. Je me souviens de toutes ces heures de cours pendant lesquelles j’étais fou de toi. Je me souviens de toutes ces heures, de ces jours, de ces week-ends et de toutes ces vacances loin de toi et pendant lesquelles je ne faisais que penser à toi. Je me souviens du fabuleux petit con que tu étais à cette époque, je me souviens de toi nu sous la douche, après les cours de sport. Je me souviens du voyage en Espagne, et de ce jour où tu m’avais débarrassé de ce gros con qui me harcelait. Je me souviens du voyage en Italie, et de ce jour de soleil dans la vigne où tu avais ôté ton t-shirt et ouvert ta braguette. Je me souviens de notre première révision, de la découverte de ton corps, de ton plaisir, de l’amour physique. Je me souviens du désir brûlant que tu m’inspirais. Je me souviens de toutes nos autres révisions. Je me souviens de ce besoin tout aussi violent de tendresse et de câlins que je ressentais après l’amour. Je me souviens des sentiments que tu faisais pétiller en moi. Je me souviens de la fois où tu t’étais battu dans les chiottes d’une boîte de nuit pour me défendre d’un gros bourrin. Je me souviens de la peur de te perdre. Je me souviens de l’angoisse que m’inspirait le bac, l’angoisse de ne plus jamais te revoir.
— Je me souviens du lycée, je finis par lui répondre, une fois que j’ai pu m’extirper du tourbillon de souvenirs que sa question a fait remonter en moi. Je m’en souviens très bien, même, j’insiste. Et toi ?
— On était si jeunes, il considère après un long silence. Et on ne se rendait même pas compte à quel point on était heureux. — C’est vrai. Mais aujourd’hui aussi, je suis heureux. Et même plus heureux que jamais. — Vraiment ? — Vraiment ! Et tu sais pourquoi ? — Je ne sais pas… — Parce que tu es là avec moi ! — Et pourtant, je n’ai pas été un cadeau dernièrement… — Je vois que tu ne vas pas bien. Je vois que quelque chose de tracasse. Parle-moi, Jérém. Fais-moi confiance. Et là, après avoir pris une profonde inspiration, il finit par lâcher : — Je ne supporte pas l’idée de vieillir. Je n’aime pas celui que je suis devenu. — Tu es toujours un très beau mec. Et de toute façon, je t’aime comme tu es ! — Pour l’instant… mais est-ce que tu m’aimeras toujours dans quelques années ? Quand je ne ressemblerai plus à rien ? — Tu ne ressembleras jamais « à rien », pas pour moi en tout cas. La beauté et la jeunesse passent. Mais je m’en fous. Ce que je ressens pour toi ne changera jamais. Je n’ai pas le pouvoir d’arrêter le Temps, je continue. La seule chose que je peux te proposer est de vieillir avec toi, de vieillir ensemble. — Ça te fait pas peur de vieillir ? — Ça ne me fait pas peur. Ça ne me fait pas peur pour la même raison que je suis heureux aujourd’hui. Parce que tu es là à mes côtés. Depuis que je t’ai retrouvé, le Temps ne me fait plus peur.
Et puis, le Temps a continué de filer.
Le Temps des épreuves.
Et puis un jour, il y a eu la maladie. Il y a eu la peur, la panique, le vertige. Il y a eu sa réaction à chaud, le refus catégorique des traitements. Et puis, l’acceptation, de la maladie, des soins. Il y a eu les stigmates des effets secondaires. Il y a eu l’opération. Il y a eu les longues heures passées à arpenter les couloirs d’hôpital, à squatter les salles d’attente, à côtoyer le personnel soignant, à attendre de parler à un médecin. Il y a eu la convalescence, la lente récupération. Il y a eu le corps fatigué, longtemps.
Et puis, après tout ça, après un an d’angoisses, il y a eu le soulagement, la guérison. Et il y a eu les mots de Jérém.
— C’est passé si vite, toi et moi, je l’entends me glisser, un jour. — C’est parce que nous avons été heureux, je considère. — Nous l’avons été, c’est vrai. — Et nous allons l’être encore pendant longtemps. Je serai toujours là, Jérém, quoi qu’il arrive. — Moi aussi, je serai toujours là. Je lui tiens la main, il tient la mienne. Je sais qu’il sait que je lui tiendrai la main jusqu’à son dernier souffle. Il sait que je sais qu’il me tiendra la main jusqu’à mon dernier souffle.
[Tu as affronté tes peurs, Jérémie. Tu as accepté le Temps qui passe. Tu as accepté de voir vieillir ceux que tu aimes. Tu as accepté de vieillir. Tu as appris à toujours regarder en avant, et à voir ce que la vie peut apporter de positif à tout âge. Et tu es bien, à nouveau. Mieux que jamais. Car tu as enfin appris à faire confiance à l’amour de Nico. Il a toujours été là quand tu avais besoin de lui, et malgré le fait que tu aies été parfois horrible avec lui. Son amour a perduré toute une vie, malgré les éloignements et les séparations. Tu es chanceux, Jérémie. Car tu sais qu’il sera toujours là. Tu sais désormais que cet amour n’a pas de prix. Et que tu te dois de le soigner, de le choyer, de le chérir].
— Pour que le bonheur arrive, il faut que la peur s’en aille. — Quand on se sent aimé, on n’a plus peur. Et on découvre le bonheur. — Merci, Nico, d’avoir toujours été là.
Il n’y a que lorsqu’on laisse parler notre cœur qu’on peut espérer atteindre celui de l’autre. Je crois que ce sont les plus beaux mots d’amour qu’on puisse entendre. A cet instant précis, je me sens en connexion totale avec l’homme que j’aime. Je sens que nous sommes l’un pour l’autre ce « Bridge over trouble waters » dont parle cette sublime chanson.
When you’re weary/Lorsque tu seras las Feeling small/Mélancolique When tears are in your eyes/Lorsque les larmes viendront à tes yeux I will dry them all/Je les sècherai toutes I’m on your side/Je serai près de toi When times get rough/Quand les heures deviendront rudes And friends just can’t be found/Et que les amis demeureront simplement introuvables Like a bridge over troubled water/Tel un pont enjambant l’eau trouble I will lay me down/Je m’allongerai Like a bridge over troubled water/Tel un pont enjambant l’eau trouble I will lay me down/Je m’allongerai (…) I will comfort you/Je te réconforterai I’ll take your part/Je prendrai ta défense When darkness comes/Lorsque les ténèbres apparaîtront And pain is all around/Et que la souffrance sera omniprésente Like a bridge over troubled water/Tel un pont enjambant l’eau trouble I will lay me down/Je m’allongerai (…) Like a bridge over troubled water/Tel un pont enjambant l’eau trouble I will ease your mind/J’apaiserai ton esprit
Le Temps de la maturité.
Au lycée, je suis tombé raide amoureux d’un magnifique petit con qui m’enivrait de sa beauté, de la fougue de sa jeunesse impertinente. Il était un beaujolais pétillant, il est désormais un superbe cru que le temps ne fait qu’améliorer, qui ne cesse de bien vieillir. Chaque année ajoute des arômes à un bouquet viril de plus en plus riche. J’aime désormais l’homme qu’il est devenu, sensible, viril dans le sens de mûr, équilibré. Sa voix participe grandement à ce ressenti. Elle est devenue plus grave, plus chaude. Le débit de parole est plus lent, ses propos plus réfléchis. Sa voix est comme une caresse. Tour à tour apaisante, rassurante, sensuelle. Derrière sa belle barbe poivre et sel, Jérém est un homme qui impose le respect. Mais aussi un homme séduisant et attachant comme jamais.
Le sexe est revenu entre Jérém et moi. C’est l’occasion de constater qu’avec l’âge, l’importance et la place du plaisir physique change. Le corps change, ses besoins avec. Jérém n’est plus le petit mâle de vingt ans qui bandait au quart de tour, à qui il suffisait d’une pause cigarette pour remettre ça, capable de me faire l’amour trois ou quatre fois par nuit. Désormais, le rythme ralentit, la cadence aussi. Les ardeurs se calment, la fougue est moindre. Le temps de l’amour s’étire, s’habille d’indulgence et de tendresse. Nous prenons peu à peu conscience de quelque chose de très apaisant. Que le jour où il n’y aura plus d’amour physique entre nous, il y aura toujours de la tendresse.
Le Temps des souvenirs.
Avec le temps, les souvenirs s’accumulent. Et ils remontent de plus en plus souvent à l’esprit.
Je me souviens de nos retrouvailles sous la halle de Campan. Je me souviens de ton baiser. Je me souviens de ton premier « Je t’aime » un 31 décembre dans la petite maison au pied de la montagne bloquée par la neige. Je me souviens de tes années rugby, de tes maillots fièrement portés sur ton corps musclé, je me souviens de ta superbe, de ta puissance, de ta beauté, de ta virilité, de ta jeunesse. Je me souviens de tout ce que nous avons dû endurer parce que le monde n’est toujours pas prêt à accepter l’amour entre deux garçons. Je me souviens qu’on avait fini par s’apprivoiser et par être heureux. Je me souviens de notre agression à Paris le soir de tes 25 ans. Je me souviens que tu n’as pas hésité un seul instant à te mettre en danger pour tenter de me protéger. Je me souviens de notre dernier soir à Toulouse après ton retour d’Australie. Je me souviens de toutes ces années que nous avons passées loin l’un de l’autre, je me souviens d’à quel point tu m’as manqué. Et je me souviens de toutes ces pages que j’ai écrites pour tenter de donner un sens à ton absence. Je me souviens de mes larmes, de tes larmes quand nos regards se sont croisés à Bells Beach. Je me souviens de nos adieux, après Bells Beach. Et je me souviens de toi à la télé, parlant de ton expérience et de ton projet en faveur des jeunes sportifs. Je me souviens de cet instant, comme du premier instant de ma nouvelle vie.
Les souvenirs sont pour moi désormais une façon de revivre le bonheur passé, mais sans regrets ni remords.
Je repense parfois aux mots du pauvre Mr Charles, le concierge de l’hôtel de Biarritz où j’étais venu te rejoindre, alors que tu y séjournais avec ton équipe à l’occasion d’un match du Top14. « Il ne faut pas se laisser happer par le quotidien, par la course du Temps. Il faut savoir discerner quelles sont les choses importantes de la vie, celles qui nous rendent heureux. Il faut vivre et aimer sans attendre, ne pas se laisser envahir par tout ce qui est superflu. Il faut aussi un peu de chance. La chance, il faut parfois savoir la provoquer. Et il faut surtout la reconnaître et la saisir dès qu’elle pointe le bout de son nez. Le bonheur c’est ne pas traverser cette vie tout seul. Le bonheur, c’est aimer. Le bonheur, c’est savoir qu’on est l’Elu du cœur de quelqu’un ».
Je crois que si je devais partir demain, je n’aurais pas de regrets. J’ai le sentiment que j’ai vécu une belle vie, car je t’ai aimé et tu m’as aimé. Alors, j’ai le sentiment que j’ai été heureux.
Il m’arrive également de repenser aux mots du pauvre Albert, le proprio de l’appart que je louais à Bordeaux du temps de mes études. « Rappelle-toi ce que te dit un vieux croulant. Être un homme ne veut pas dire épouser une femme, avoir des gosses, s’imposer avec la force, comme on veut nous faire croire. Être un homme, c’est avant toute chose être droit et responsable, se bâtir un avenir tout en respectant son prochain, s’assumer pleinement et protéger les siens, ceux qu’on aime, et qui nous aiment ».
Je crois que la vie nous a imposé d’être des Hommes. Et que nous avons répondu présent l’un pour l’autre.
Je repense souvent à ce jour à Gavarnie, à cet instant où je t’ai tenu dans mes bras sur la butte devant la grande cascade. Et à chaque fois, j’ai envie de réécouter cette belle chanson :
Sat on a roof/Assis sur un toit Named every star and/Tu as nommé chaque étoile et Showed me a place/Tu m’as montré un endroit Where you can be who you are/Où on peut être qui l’on est And I asked every book/Et j’ai demandé à chaque livre Poetry and chime/Poésie et carillon « Can there be breaks »/Peut-il y avoir des pauses In the chaos of times? »/Dans le chaos du Temps? » Oh, thanks God/Oh merci Dieu You must’ve heard when I prayed/Tu as dû entendre lorsque je priais Because now I always/Parce qu’à présent Want to feel this way/Je voudrais toujours me sentir ainsi
Et comme le dit l’un des commentaires sur Youtube,
« Ladies and gentlemen, find someone who makes you feel how this song makes you feel ». Messieurs dames, trouvez quelqu’un qui vous fait vous sentir comme cette chanson vous fait vous sentir.
C’est ce qu’on peut souhaiter de plus beau à quelqu’un.
Je repense à ce jour de décembre 2023, il y a si longtemps déjà, et à ce concert de Madonna que nous avons partagé juste après nos retrouvailles. Et à cette chanson qui, depuis, me parle de toi :
Rien n’a vraiment d’importance/Nothing really matters L’amour est tout ce dont nous avons besoin/Love is all we need Tout ce que je te donne/Everything I give you Tout me revient/All comes back to me Rien n’a vraiment d’importance/Nothing really matters L’amour est tout ce dont nous avons besoin/Love is all we need
Et après toutes ces années d’écriture, il est désormais Temps d’écrire le mot de la fin.
Tu as beau avancer dans l’âge et changer, mon Jérém. Dans mon regard, tu resteras à tout jamais le brun incendiaire, le sublime petit con insolent et craquant de tes 19 ans.
Je sais que je t’aimerai jusqu’à mon dernier souffle. Je n’ai pas peur de ce dernier souffle. Parce que je sais que juste après, je te retrouverai et nous serons unis à nouveau, et pour toujours.
Peu importe les détours, tous les chemins de Jérém ont mené à Nico, et tous les chemins de Nico ont mené à Jérém. Et ils continueront de le faire, quoi qu’il arrive.
L’Amour, cette « denrée » inépuisable venant de notre humanité la plus profonde, qui nous rend plus riches et plus heureux à chaque fois qu’on en dispense.
L’amour qui n’a pas de couleur, de sexe, d’âge, d’orientation attitrée.
L’Amour qui est le seul rempart contre le Temps.
L’Amour, qui est la seule contribution que l’Homme, avec ses humbles moyens, peut espérer apporter à la beauté de l’Univers.
Seul l’Amour a donné un sens à ma vie.
Tout ce dont nous avons besoin, c’est l’Amour.
J’ai été heureux parce que je t’ai aimé, mon Jérém.
Au Temps, qui n’est qu’un prêt et que rien n’arrête,
et à qui seul l’Amour donne du sens.
F I N
Chères lectrices, chers lecteurs,
Nous y sommes, ceci est le tout dernier épisode de Jérém&Nico.
Ceci est la dernière occasion qui vous est offerte de donner votre avis sur cette histoire. Alors, saisissez-la ! J’attends vos impressions avec impatience.
Une fois encore, je tiens à profiter de cette occasion pour remercier toutes celles et tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont participé à cette aventure de près de 10 ans. A FanB, qui depuis toutes ces années a corrigé mes manuscrits et m’a aidé à garder la cohérence de mon récit. A Yann, qui depuis de nombreuses années, a été d’un grand soutien. A tous les tipeurs et mécènes, en particulier Cyril et Virginie, dont la contribution a duré jusqu’à présent. A tous ceux qui ont laissé des commentaires, sur le site ou en message privé, à tous vos encouragements qui m’ont aidé à avancer pendant les moments de doutes et de fatigue. Aux critiques que j’ai parfois reçues et qui m’ont elles aussi aidé à mener ce projet à bien. A tous ceux qui ont fait tourner les compteurs des vues, en répondant présent à chaque épisode publié. Votre fidélité à tous, votre considération pour mon travail, votre simple présence me touche immensément.
Un chat est prévu le 21 mai à 21 heures sur Discord pour échanger autour de ces dix années d’écriture et de son aboutissement.
Message du 05 novembre 2024. Bonjour GEBL,nous n’avons jamais échangé, mais je tenais à te remercier pour les commentaires que tu as laissé dernièrement au fond de mes derniers textes Jérém&Nico.Merci pour ton temoignage, pour ton partage émotionnel.Ca me fait du bien de savoir que mes personnages sont capables de susciter autant d’émotions.Merci encore Tu peux m’écrire en MP si tu le souhaites : fabien75fabien@yahoo.frFabien
Seb-Paris
21/05/2024 15:03
Hello Fabien, De mon côté, je n’ai pas vécu le supplice de l’attente de la publication des épisodes (sauf les trois derniers) car je suis tombé sur cette histoire il y a seulement quelques mois et j’ai tout dévoré d’un coup… Superbe histoire qui m’a beaucoup touchée pour différentes raisons qui tiennent aussi bien à la psychologie de Nico que celle de Jerem et qui ont fait écho chez moi. Je me suis beaucoup attaché à eux, ils vont sacrément me manquer ces deux loulous ! Je suis heureux d’avoir partagé ces tranches de vie de nos héros et surtout heureux de cette fin apaisée. Quant à toi, Fabien, 10 ans de ta vie consacrés à cette construction narrative… il va vite falloir que tu passes à autre chose pour nous régaler à nouveau avec tes récits. Je te souhaite de vite rebondir sur de nouvelles aventures. Merci encore pour ca et bravo pour ce partage et cette sensibilité
Etienne
21/05/2024 11:06
10 ans, ah oui, 10 ans… !
Je me souviens d’être « tombé par hasard » (?) sur l’un des premiers épisodes de J&N, d’avoir attendu avec impatience la publication du suivant, d’avoir pleuré devant certaines situations et à l’évocation des sentiments de nos héros, d’avoir eu envie de gifler Jérem, d’avoir encouragé Nico, d’avoir encaissé les contre-pieds émotionnels distillés par Fabien, de m’être reconnu dans des situations similaires à ce qu’ils ont vécu…
Au début, le sexe était un élément central de chaque épisode (ou presque), probable besoin de nos jeunes héros de dépenser leur énergie vitale, puis l’évocation des sentiments a peu à peu pris le dessus, peut-être le reflet de leur avancée en age…
Je me souviens aussi d’une séance photo dans les rues de Toulouse avec Fabien, autour des lieux emblématiques de la série : rue de la Colombette évidemment, Grand-Rond, bords de Garonne, et autres… et je ne peux m’empêcher de penser à J&N en passant devant la cathédrale Saint-Etienne…
Être « de Toulouse » m’a rendu Jérémie et Nicolas d’autant plus attachants…
Aussi, la trajectoire de nos héros ces 10 dernières années me semble faire écho à la mienne. J’ai commencé à suivre Jérem & Nico un peu déprimé (pas mal, en fait!) suite à une double rupture (amoureuse, mais aussi d’un tendon d’Achille), puis après quelques années de basses eaux et d’utilisation très peu fructueuse des applis de rencontre, j’ai rencontré mon compagnon, devenu concubin juste avant les confinements, et maintenant futur-mari (ça vient de se décider !).
Fabien, pendant ces 10 ans j’ai été bluffé par la qualité de ton écriture et ta capacité à traduire les nuances des sentiments, l’amour – en particulier homosexuel – et ses tourments parfois inévitables.
J’espère qu’un jour un éditeur acceptera de publier tout ou partie de ton travail. Et pourquoi pas une série TV ?
Quoiqu’il en soit, je te souhaite Fabien, ainsi qu’à tou.te.s tes lecteur.trice.s le meilleur pour la suite !
…Mais, mais… comment je vais faire sans Jérem & Nico ????
Tonio
19/05/2024 00:34
C’est tellement émouvant, en lisant les autres commentaires, de ressentir que nous sommes si nombreux à avoir été touchés par ton histoire. J’ai l’impression, moi aussi, que tu m’as fait bouger, que tu m’as aidé Merci
Veve
18/05/2024 11:15
Depuis 7 ans que je lis cette histoire, c’est la première (et aussi la dernière) fois que je laisse un commentaire. Qd j’ai commencé cette histoire, j’étais perdue ds ma vie. Attendre les nouvelles épisodes étaient un véritable plaisir. Et aujourd hui c’est la fin. Mais ce n’est pas grave, parce que l histoire a une très belle fin, et moi je me suis retrouvée. C’était un plaisir de vous lire, un souvenir du début de ma vie d’adulte. Cette histoire a grandement faconné ma perception de l’amour. Pour ça je vous remercie. Au plaisir de vous lire encore à l’avenir
Quel bonheur de vous lire, et de constater que le message que j’ai cherché à faire passer dans mon histoire, et dans son final, a été si bien reçu, compris, apprécié. Merci à vous tous de prendre le temps de manifester vos ressentis. Jérém&Nico m’a pris beaucoup de temps, mais m’a apporté beaucoup de bonheur.
poiluhds
17/05/2024 19:04
L’humanité se divise entre ceux qui ont connu le grand amour et les autres, et ensuite, parmi les premiers, ceux pour qui cet amour aura été la source d’un bonheur immense et définitif ou au contraire une souffrance plus grande que le bonheur des premiers instants. C’est de cette nature de l’amour à laquelle on ne résiste pas et qui construit nos existences que tu nous as parlé au fil de ces épisodes pleins de sensibilité et de vérité. La littérature sert à raconter l’humain dans sa complexité et à nous faire réfléchir à ce qui est important . Ta générosité en tant qu’auteur a servi cette cause avec beaucoup de justesse, sans effets faciles. Tes personnages sont à notre image ou à celle de ceux que nous devrions être, amoureux des hommes sans arrière-pensées ni culpabilité, cherchant le juste équilibre entre le jeu des corps et des sentiments. Je ne sais pas comment tu vis cette fin mais il demeurera pour nous lecteurs le sentiment d’avoir partagé quelque chose de beau et de très humain. Merci pour cela Fabien.
Patrick
17/05/2024 15:01
Merci Fabien. Merci pour ce dernier texte et ce message de tolérance et de bienveillance. Tu peux vraiment être fier du travail que tu as fait depuis 10 ans. Tu arrives par ces écrits à nous envoyer tellement d’émotions. Merci de nous avoir permis de faire partie de cette belle histoire et de nous donner vraiment le sentiment qu’il est possible de vivre ensemble dans un espace de tolérance et de respect si nous sommes plusieurs à y croire et à le vouloir. Merci pour l’éthique et les valeurs humanistes que tu nous offres gratuitement, sans retenu. Portes-toi bien. Patrick
Yann
17/05/2024 14:46
Mes mots ne seront jamais suffisants pour exprimer tout ce que j’aimerais dire sur cette histoire et ton talent Fabien. Il y a au moins une chose, c’est que cette histoire est belle et bouleversante. Comme ses personnages, elle m’a fait ressentir avec eux mille émotions toutes les joies et les peines que la vie leur a réservées. Je suis tombé amoureux de Jérém et Nico et de tous ceux qui les entourent au point qu’ils sont devenus une part de moi. Ces personnages sont à la fois touchants et tellement criant de vérité. Il m’est difficile d’exprimer à quel point je m’y suis attaché depuis 10 ans. À quel point je les aime. Et combien ils vont aussi me manquer. Je lis beaucoup et il m’arrive d’avoir des coups de cœur pour des romans que j’aime, que j’adore, des personnages auxquels je m’attache. Mais je dois dire que je ne ressens pas souvent ce que j’ai ressenti avec cette histoire. Pourquoi j’ai autant vécu cette lecture, pourquoi j’ai autant été marquée par ces personnages ? Ton écriture Fabien y est pour beaucoup par le rythme, la fluidité, le réalisme et c’est ta réussite en tant qu’auteur d’un premier roman. Tu as un réel talent et ce dernier épisode par son lyrisme, l’exaltation des souvenirs et des sentiments le prouve une fois encore. Ton récit est d’une sensibilité troublante, il raconte l’amour homosexuel, la morsure du sentiment amoureux, le manque, l’attente, le dénuement provoqué par la privation insupportable de l’autre. Dans ton récit les sentiments entre deux garçons ne sont pas moins nobles. Tout au contraire. Il y a la découverte de la sexualité, de la différence, le travail d’acceptation de celle-ci. Le sujet difficile de l’amour entre garçons est abordé avec délicatesse et justesse sans oublier l’érotisme et le besoin de tendresse et de sécurité affective. Et puis J&N traversent les grands moments de la vie de l’adolescence jusqu’à un âge avancé. Dans ce dernier épisode on retrouve la fragilité de Jérém face à l’âge et les transformations du corps mais l’amour, lui, reste intact. Un très grand merci Fabien pour toutes ces années de bonheur à te lire et à rêver avec toi. Je souhaite que ce roman ne soit que le premier d’une longue série pour le plus grand bonheur de tous ceux qui te suivent et qui t’aiment.
Bdr 13
17/05/2024 09:11
Une fin qui est un véritable feu d’artifices de sentiments. De l’amour beaucoup d’amour, de la tendresse beaucoup de tendresse, de la mélancolie beaucoup de mélancolie. C’est la leçon que la vie nous donne, les déceptions et les blessures font ressortir, mettent en exergue les temps ou l’amour et la tendresse règnent dans nos cœurs. Jerem-nico ont beaucoup aimé et ont beaucoup souffert. Leur amour a su surmonter tous les obstacles de la vie. Le temps qui s’écoule sépare l’essentiel du secondaire qui nous paraît si important dans nos jeunes années. Fabien sait très bien d’écrire le temps qui passe et ses effets sur la vie de jerem-nico mais aussi sur nos vies. A la fin de celle ci seul compte l’amour que nous avons reçu et donné. Jerem-nico ont transcendé leur amour et la tendresse compagne des anciens couples fait son apparition et tous les deux savent que désormais ils ne sont plus qu’un face à la vieillesse. Une décennie s’est écoulé depuis l’apparition du premier épisode, dix ans de bonheur que fabien a apporté à tous ses lecteurs et ce dernier épisode ne fait que confirmer les valeurs positives et solaires de celui-ci. Fabien fait l’éloge d’une humanité débarrassé de toutes les anciennes scories de haine, de jugements actifs, de rejet pour laisser place à une humanité plus sereine, plus tolérante mais surtout plus aimante. J’aimerais savoir si la fin de cette magnifique histoire d’amour de jerem-nico est un adieu ou un simple au revoir ? Dans tous les cas merci fabien pour ton talent d’écrivain et à ta créativité car tes deux héros sont si réaliste que tous tes lecteurs ont vibre aux péripéties de leur histoire d’amour. De plus ce dernier épisode est un véritable guide pour toute la communauté homosexuelle, la vie est un beau cadeau, il faut juste savoir garder l’esprit ouvert et lumineux comme celui de nico et jeremy.
Merci pour vos premiers commentaires ! Ça me touche beaucoup. Fabien
Tds31
16/05/2024 22:28
C est triste de se dire que cette histoire est terminée, même si pour moi elle finit bien. J ai depuis des années l impression d être de leur famille Bonne continuation à vous
Tonio
16/05/2024 22:14
Je viens de terminer la lecture de ce dernier épisode : un texte magnifique qui vient couronner une histoire magnifique. Dans cet épisode, je sens poindre la conception de la vie de Fabien, généreuse et optimiste tout en restant pleine de réalisme. MERCI Fabien d’avoir écrit cette fiction qui est d’une grande aide pour nous autres lecteurs dans nos vies bien réelles. Tu as des choses à dire et tu sais les dire avec beaucoup de talent dans l’écriture. Tu t’es fait confiance il y a dix ans en entreprenant cette histoire et tu as été persévérant pendant toutes ces années : MERCI et BRAVO Tu mérites de continuer à écrire et nous de continuer à te lire !
Un solide travesti black, le gagnant de la dernière saison d’une célèbre émission de drags américaine, vient de monter sur scène. Il est accoutré en Marie-Antoinette, un hommage tout en humour à la tenue célébrissime portée par la Star de la soirée lors d’une prestation aux MTV Music Awards plus de trente ans auparavant et devenue iconique.
Sur l’instrumentale de « Material girl », « Marie-Antoinette » commence à chauffer la salle. Il nous raconte une époque où Madonna n’était encore que Louise Veronica, une jeune fille du Michigan, il nous détaille la légende des 35 dollars en poche lorsqu’elle a débarqué à Time Square alors qu’elle n’avait que 19 ans. Il retrace, projections d’écrans à l’appui, les moments les plus sulfureux de quarante ans de carrière.
L’assistance est en délire. « Marie Antoinette » termine sa longue tirade en assenant :
« This is not a concert, this is not a party, this is a Celebration ! »
Alors que les notes du premier titre du concert font exploser la sono de la salle et nos tympans, tandis que les basses font vibrer le sol, nos pieds et nos tripes.
L’onde de choc se propage dans la salle, dans les esprits. Elle apparaît enfin, sur un plateau tournant, dans un immense nuage de fumée, sous mille feux de lumières.
Et elle entonne :
Quand j’étais très jeune/When I was very young
Rien n’avait vraiment d’importance pour moi/Nothing really mattered to me
Mais pour me rendre heureux/But making myself happy
J’étais le seul/I was the only one
Maintenant que je suis adulte/Now that I am grown
Tout a changé/Everything’s changed
Je ne serai plus jamais le même/I’ll never be the same
L’amour est tout ce dont nous avons besoin/Love is all we need
L’amour est tout ce qui compte. Et cet amour, c’est toi qui me l’apportes. Toi, qui es ici, ce soir, à côté de moi, à ce concert.
Je suis tellement content que tu sois là avec moi ! je te crie à l’oreille, en défiant les décibels. Sans succès.
Quoi ? tu gueules à ton tour.
Merci d’être là ! je crie à pleins poumons.
Paris, début mai 2023.
C’est à ce moment-là que ma vie a basculé. Que mes certitudes ont volé en éclat. Que j’ai changé d’état.
C’est au beau milieu du printemps que le vent s’est mis à souffler à nouveau, et très fort. Ce n’était pas le vent d’Autan, car le vent d’Autan n’arrive pas jusqu’à Paris. Mais ce vent qui soufflait sur la capitale lui ressemblait quand-même beaucoup.
Un soir, alors que je suis en train de préparer le dîner, je regarde comme d’habitude une émission de débat. Et lorsque j’entends la voix suave de l’animatrice présenter l’invité du jour, je manque de peu de faire un malaise.
« Notre invité du jour a 41 ans, il est originaire de la région toulousaine et il a été l’un des rugbymen les plus prometteurs de sa génération. Dans son palmarès, un bouclier de Brennus soulevé avec l’un des plus gros clubs de Top14, le Stade Français, ainsi qu’un Tournoi des Six Nations gagné en Equipe de France. Il a également connu une carrière internationale en Angleterre, puis en Afrique du Sud, et il a été l’un des rares joueurs natifs de l’hémisphère nord à participer au tournoi du « Super 14 », qui est devenu depuis « Super Rugby », une compétition disputée entre équipes d’Afrique du Sud, de Nouvelle Zélande et d’Australie. Autrement dit, le Saint des Saints du rugby mondial.
Ce soir, il est accompagné par Thibault Garcia et Ulysse Klein, tous deux également anciens rugbymen de premier plan.
Nous accueillons ce soir l’ancien ailier international Jérémie Tommasi ».
Et alors que la caméra montre les trois hommes et que le public les accueille avec de longs applaudissements, je me sens me liquéfier, ou carrément m’évaporer. Mon cœur vient de se décrocher de ma poitrine et de s’écraser au sol. J’ai le vertige, je dois m’assoir.
Bonsoir Jérémie…
Bonsoir…
Ça fait cinq ans que je ne l’ai pas vu, depuis mon voyage en Australie. Jérém va sur ses 42 ans. Les cheveux blancs sont un peu plus nombreux, les poils gris dans sa barbe aussi. Les années ont passé pour lui aussi, mais avec grâce. Il a l’air apaisé. Et cette belle chemise noire portée sur un t-shirt blanc le met terriblement en valeur.
Il y a 15 ans, tout allait bien pour vous, enchaîne l’animatrice. Votre carrière était bien lancée et rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Et pourtant, elle a été stoppée net lorsque vous n’aviez que 27 ans.
C’est exact.
Mais cet arrêt brutal n’a pas été causé par une blessure, comme c’est malheureusement souvent le cas pour les grands sportifs.
Non, en effet.
Elle a été stoppée à cause d’une photo.
Eh oui, malheureusement…
Jérém n’a pas l’air à l’aise devant les caméras. Je devine que l’exercice de se montrer devant les caméras est loin d’être anodin, qu’il prend grandement sur lui, et il en est carrément touchant. J’ai tellement envie de le prendre dans mes bras et de le soutenir, de l’encourager !
Alors, racontez-nous ce qu’il y avait de si terrible, de si scandaleux, de si repréhensible sur ce cliché pour que ce soit suffisant pour arrêter une carrière comme la vôtre.
Sur cette photo, il y avait deux garçons, moi et Rodney Williams.
La fameuse couverture du tabloïd à l’origine du « scandale » apparaît à l’écran, avec la mention : « Boys have fun ».
Rodney Williams est un ancien international de rugby que vous avez rencontré lorsque vous jouiez à Londres, précise l’animatrice.
C’est exact.
A cette époque Rodney Williams était votre petit ami…
La caméra fait un plan serré sur Jérém. Je vois l’hésitation traverser son regard, je reconnais sa pudeur, sa réticence à s’exposer de la sorte. Puis, je le vois prendre une inspiration profonde. Une étincelle nouvelle jaillit de son regard. Il saisit son courage à deux mains, et il lance, la voix plus sonore, l’attitude davantage affirmée :
Oui, c’est ça.
Avant de parler de cette photo et du bouleversement qu’elle a provoqué dans votre vie, je voudrais que vous me racontiez votre parcours. Vous avez commencé le rugby en tant qu’amateur lorsque vous étiez enfant…
C’est ça. C’est Thibault qui m’a fait découvrir le ballon ovale, explique Jérém en indiquant son pote d’enfance.
Et c’est au cours de votre adolescence que vous avez découvert votre attirance pour les garçons. Comment avez-vous vécu cela ?
Plutôt pas bien. Je ne pouvais pas accepter d’être comme ça. Je ne voulais pas être gay, comme si j’avais pu choisir. Je suis sorti avec des nanas pour éloigner les soupçons de moi. Mais avant tout pour me convaincre que je n’étais pas gay.
Et pourtant vous aviez déjà eu des expériences avec des garçons, vous les avez eues assez jeune…
Oui, mais j’espérais que ce ne serait qu’une passade, et que j’arriverais à maîtriser ce « truc ».
Mais vous n’y êtes pas arrivé…
Non, je n’y suis pas arrivé. Au contraire, j’ai peu à peu pris conscience de qui j’étais. A vingt ans, j’ai eu une relation avec un garçon, une très belle relation qui a duré près de 10 ans. Et cette relation m’a fait mûrir, m’a aidé à me respecter, à ne plus avoir honte de moi.
Mais ça n’a pas été toujours une relation de tout repos, en particulier à cause du rugby.
Quand j’ai commencé ma carrière dans le rugby professionnel, je venais tout juste d’apprendre à m’accepter tel que j’étais. A partir de ce moment, j’ai dû cacher cette partie de moi, j’ai dû mettre ma vie personnelle en arrière-plan. Et ma relation en a pâti.
Mais elle a quand-même perduré. Et puis il s’est passé quelque chose qui a à nouveau bouleversé votre vie.
Oui. C’était le soir de mes 25 ans, je sortais d’une petite fête qu’Ulysse ici présent m’avait préparée chez lui. J’étais en compagnie de mon copain de l’époque. On avait un peu bu, on a certainement été imprudents. Des types nous ont vus nous embrasser. Et nous ont tabassés.
Hasard ou pas, la caméra le montre désormais de profil. Un angle de vue qui fait ressortir cette légère cassure sur son nez, ce changement de son profil qui n’est pas la conséquence de coups reçus pendant ses années rugby, mais le stigmate indélébile de la violence aveugle dont nous avons été victimes il y a 17 ans.
Mon nez s’en souvient encore, plaisante Jérém en voyant le retour d’image dans un écran. A l’époque, on m’avait proposé de corriger ça. Mais je n’ai jamais voulu. Je voulais me souvenir de ce qui était arrivé pour ne plus jamais baisser la garde.
De cette agression, vous en avez remporté des blessures qui vous ont éloigné du terrain de jeu…
J’ai passé des mois à récupérer. Physiquement, ça allait. Mais mentalement, ce n’était pas du tout ça. J’ai quand même voulu rejouer, car le terrain était l’endroit au monde où je me sentais le mieux. J’espérais que ça m’aiderait à tourner la page.
Et comment avez-vous été accueilli ?
Je ne m’attendais pas un soutien inconditionnel après ce que j’avais subi, j’attendais juste qu’on me laisse une chance de reprendre ma place d’ailier.
Est-ce qu’on vous l’a donnée, cette chance ?
Pas vraiment. Cette agression m’avait « outé ». Dès le premier match, dès le premier accrochage avec un joueur, je me suis fait traiter de pédé.
C’est la double peine, s’indigne un chroniqueur. Vous aviez été la victime d’une agression homophobe, et au lieu de vous montrer du soutien, on vous a montré du mépris.
Je ne pouvais plus jouer dans mon équipe, ni dans le Top14, continue Jérém. Mais je ne pouvais pas concevoir de renoncer au rugby pour autant. Pas à 25 ans. Alors, quand j’ai eu une occasion de partir jouer en Angleterre, je l’ai saisie. C’est à ce moment que j’ai rencontré Rodney.
En Angleterre, vous vous êtes senti mieux accepté ?
Je ne sais pas trop. Je n’y suis pas resté assez longtemps pour le vérifier. Pendant la saison que j’ai faite là-bas, j’ai bénéficié de l’« intouchabilité » de Rodney. Rodney était un joueur très respecté, et personne n’aurait osé s’attaquer à lui. Ce qui m’offrait une sorte de protection, si on veut. Mais des propos homophobes, j’en ai entendu là-bas aussi.
Puis tout s’est enchaîné, raconte l’animatrice. La saison en Afrique du Sud, et les fameuses photos. Expliquez-nous ce que vous avez ressenti lorsque vous avez vu pour la première fois ces images dans la presse.
Quand je les ai découvertes, je me suis senti mis à nu devant la Terre entière. Mes proches savaient que j’étais homosexuel. Mais je n’étais pas prêt à partager publiquement cet aspect de ma vie. Je savais que si cela s’ébruitait, ça me porterait préjudice.
Vous vous ne trompiez pas…
Non. Après la publication de ces images, tout le monde m’a lâché, il continue. Les sponsors, l’entraîneur, l’équipe.
Vous n’avez donc eu aucun soutien après le scandale ? Si on peut appeler ça comme ça…
Aucun. Je savais que ma carrière était fichue. Je savais qu’aucun club important ne voudrait plus de moi. Et puis, de toute façon, j’étais tellement mal que j’avais perdu le mental nécessaire pour être un bon joueur. Je savais que je ne reviendrais jamais au top.
Alors vous êtes parti, loin, très loin, pour oublier ce que vous aviez subi…
Je suis parti en Australie pour oublier jusqu’à qui j’étais !
Quels sentiments vous habitaient à cet instant précis ?
Jérém a l’air très ému. Son regard pétille plus qu’il ne devrait. Je sens qu’il retient ses larmes de justesse. Visiblement, la violence qu’il a subie il y a quatorze ans, la violence de ces photos et de leur conséquence sur sa vie, est toujours là, enfouie quelque part en lui. Mais pas trop loin de la surface quand-même.
La honte et la colère, il finit par répondre après un instant de flottement. J’étais brisé. Cet instant a été pour moi le début d’une longue descente aux enfers. Il m’a fallu des années pour rebondir.
Suite à la parution des photos, Rodney Williams avait fait son coming out à la télévision anglaise…
C’était courageux de sa part. Mais moi je n’étais pas prêt pour ça.
Vous estimez que l’homophobie vous a privé d’une partie de votre carrière au rugby ?
C’est un fait. Mais elle ne m’a pas privé que de ça. Ça m’a privé aussi de ma vie, de mon bonheur et de… de … de…
Jérém est visiblement très ému. Quant à moi, je pleure devant ma télé.
Et de quelqu’un qui a beaucoup compté pour moi, il finit par lâcher.
Vous venez aujourd’hui dénoncer l’homophobie dans le monde du rugby ?
Je viens dénoncer l’homophobie dans le rugby et, plus en général dans le monde du sport et, encore plus en général, dans nos sociétés. Il est inadmissible de recevoir autant de haine et de discrimination pour le simple fait d’aimer un garçon. Tant que « pédé » sera considéré comme une insulte humiliante, il n’y aura pas le compte. Tant qu’il faudra faire son coming out, le compte n’y sera pas non plus. Quand on y pense. Un coming out est une façon de se « dénoncer », de se justifier devant la Terre entière, comme si on suppliait les autres de nous accepter et de nous pardonner de quelque chose. Quand on est gay, on n’a pas besoin de ça. On a juste besoin de respect, comme tout un chacun.
Jérém est de plus en plus à l’aise, il est habité, sincère, il parle avec ses tripes, il me fait vibrer.
Je ne suis pas certain qu’on arrivera un jour à supprimer définitivement l’homophobie, il continue, et toute autre forme de discrimination. Car, depuis tout jeune, c’est facile de se faire mousser en crachant sur l’autre, surtout quand il est « différent ». D’abord, on ne réalise pas à quel point ça peut faire du mal. Et après ça devient banal, c’est une façon de se faire accepter par ses potes, et par montrer qu’on est des petits malins. La souffrance de l’autre, on ne la voit pas, on ne la voit plus, ou on fait semblant de ne pas la voir. Pareil pour l’injustice de notre comportement…
La souffrance de l’autre, on ne la voit pas, on ne la voit plus, ou on fait semblant de ne pas la voir, répète l’animatrice. Avant d’enchaîner : Quel souvenir gardez-vous de votre carrière ?
Le souvenir d’un rêve qui s’est révélé être une illusion, et qui au final s’est transformé en une immense désillusion.
Vous pouvez être un peu plus précis ?
A 20 ans, j’avais de l’argent, j’avais le succès, j’étais connu, reconnu, apprécié. Paris et ses boîtes m’ouvraient grand les portes, j’aurais pu avoir toutes les nanas et tous les mecs que je voulais. A cette époque, j’avais l’impression d’avoir le monde à mes pieds. J’étais comme un enfant laissé seul dans un magasin de jouets. J’ai le souvenir de cette époque comme d’une cuite qui aurait duré pendant des années, une cuite qui m’est montée à la tête et qui m’a peu à peu déconnecté du réel.
Mais tout cela a un prix, lance l’animatrice.
Oui, un prix élevé. Tout marche bien tant que vous êtes au top. Tant que vous assurez, tout vous sourit. Mais gare aux moments de faiblesse ! Une blessure, quelques mois d’absence du terrain de jeu, vous avez à nouveau tout à prouver.
Si tant en est qu’on vous en donne la chance, bien entendu, fait l’animatrice.
Oui, car cette chance, on ne vous la donnera qu’à la condition d’être, ou de faire semblant d’être, celui que les autres attendent de vous. Si vous ne rentrez pas dans les clous, cette chance on vous la refuse. Quand on est sportif de haut niveau et homosexuel, le choix vous est très clairement posé entre la carrière et la vie personnelle. Et quand les deux s’entrechoquent, tout s’arrête d’un coup. Du jour au lendemain, on n’est plus rien. On est seuls au monde.
Et on finit par se demander ce qui est vraiment important dans la vie. On se demande si cette gloire, si cette carrière en valait vraiment ce prix qu’on a dû y mettre. On se demande après quoi on court en réalité. L’argent, la gloire, le besoin d’être acclamé par les supporters, de rendre sa famille et ses potes fiers de soi ? On se demande à quoi bon repousser toujours les limites, supporter les coups, obliger le corps et le mental à encaisser encore et encore, chaque jour…
Au fil des années, je repensais de plus en plus au plaisir de jouer qui m’avait fait aimer le rugby pendant mon adolescence. Et je me disais que dans le rugby professionnel je ne retrouvais rien de ce plaisir simple partagé entre potes. La pression sur les joueurs pour la performance à tout prix est si forte que ça en devient un fardeau et ça crée une ambiance propice aux blessures physiques et mentales.
Que diriez-vous aujourd’hui à des jeunes sportifs gays ? Ou à des jeunes sportifs tout court…
Je n’ai pas la prétention de pouvoir donner des conseils à qui que ce soit, j’ai fait toutes les erreurs possibles dans ma vie.
Alors, quelle est l’erreur que vous leur conseilleriez d’éviter à tout prix ?
Et là, après un long instant d’hésitation, Jérém finit par lâcher :
Ma plus grosse erreur a été celle de choisir la réussite professionnelle plutôt que la réussite personnelle.
J’ai réussi dans la vie, mais est-ce que j’ai réussi ma vie ? s’interrogeait un jour Dalida dans une interview, se souvient un chroniqueur.
C’est ça, admet Jérém. Et ça, on finit par le regretter, tôt ou tard.
Les applaudissements du public lui permettent de boire quelques gorgées d’eau et de souffler pendant quelques instants.
Vous êtes revenu en France pour reprendre le vignoble familial aux côtés de votre frère et de votre père, enchaîne l’animatrice.
C’est exact.
Mais ce n’est pas le seul projet qui occupe vos journées…
Non, en effet. Avec mes deux amis, Thibault et Ulysse, nous venons de créer une association qui a pour but de soutenir les jeunes gays, et de lutter contre l’homophobie.
Thibault Garcia est votre ami d’enfance, explique l’animatrice. Ulysse Klein a été votre coéquipier et votre mentor pendant les plus belles années de votre carrière dans le rugby.
La parole leur est donnée ensuite. Thibault parle de la façon dont il a vécu son attirance pour les garçons lorsqu’il évoluait dans le rugby professionnel, de sa décision de quitter ce dernier pour ne pas avoir à se cacher, pour ne pas avoir à choisir entre sa vie sportive et sa vie personnelle. Mais aussi, pour s’engager à plein temps auprès des Sapeurs-Pompiers. Il évoque également son compagnon, ainsi que son enfant de vingt ans. Il explique également le sens de son engagement dans l’asso.
Parce qu’on se sent parfois seuls, et qu’on a besoin de se sentir soutenus si on veut pouvoir donner le meilleur de soi.
On ne doit pas avoir à choisir entre sa vie professionnelle et sa vie tout court, abonde Ulysse. Un bon joueur est un bon joueur, un bon gars est un bon gars, quelle que ce soit son orientation sexuelle.
Un bon gars est un bon gars, quelle que ce soit son attirance, lui fait écho l’animatrice. C’est le plus beau message qu’on puisse faire passer. C’est le sens de votre engagement, il me semble.
Les trois garçons acquiescent en cœur.
Jérémie, vous avez dit tout à l’heure que vous étiez parti en Australie pour vous retrouver. Est-ce que vous y êtes parvenu ?
Je crois que oui. Il a fallu du temps, mais je crois que oui. Avant d’ajouter : En fait, je crois que j’ai commencé à être bien… et là, Jérém s’arrête, visiblement ému aux larmes. Thibault lui pose une main sur l’épaule. Le public applaudit. Jérém s’essuie une larme.
Je crois que j’ai commencé à être bien quand j’ai cessé d’avoir honte de qui je suis.
Mai 2023.
Jérém vient de disparaître de l’écran et je suis encore submergé par les images que je viens de voir et par les mots que je viens d’entendre. Comme si j’avais trop longtemps fixé le soleil, sa présence, ses mots, sa souffrance, m’aveuglent, résonnent en moi, me déchirent. Je suis abasourdi, incrédule, bouleversé. Je suis dans tous mes états. Ce à quoi je viens d’assister est tellement énorme que j’en viens à imaginer d’en avoir tout simplement rêvé.
Je me saisis de ma télécommande, je cherche le replay. Et le replay est bel et bien là, avec Jérém dedans, ses mots, sa présence, sa souffrance, ses larmes.
Près de 18 mois après notre dernier échange de message, cinq ans après notre dernière rencontre en Australie, vingt-deux ans jour pour jour après notre première révision dans l’appart de la rue de la Colombette, Jérém revient dans ma vie par écran interposé.
Le Jérém qui a fui à l’autre bout de la planète pour tenter d’échapper à la honte, le Jérém qui tenait à cacher à tout prix son homosexualité, pour qui ça paraissait inconcevable de s’assumer ne serait-ce que vis-à-vis de son entourage, le petit con de dix-neuf ans qui me baisait dans son appart de la rue de la Colombette et qui me sommait de ne rien en dire à personne « sinon je te pète la gueule », celui qui refusait toute marque de tendresse de ma part en se défendant « je ne suis pas pédé, moi ! », ce Jérém a été remplacé par un Jérém qui assume publiquement qui il est, prêt à montrer les cicatrices de ses anciennes blessures, et à apporter de l’aide à des garçons susceptibles de vivre ce qu’il a lui-même vécu.
Je suis touché par la sincérité de ses propos, par la beauté de son action. Si j’avais pu imaginer cela de lui, lors de nos révisions pour le bac, ou pendant ses années rugby !
Mai 2023.
La nuit suivante, je dors très peu. D’heure en heure, je sens monter en moi une envie de plus en plus irrépressible d’appeler Jérém. J’ai besoin de lui dire à quel point son apparition à la télé et son engagement m’ont bouleversé. J’ai besoin qu’il me parle, qu’il m’explique. Depuis combien de temps est-il en France ? Pourquoi ne m’a-t-il pas prévenu de son retour ? Pourquoi personne ne m’a pas prévenu ? Pourquoi a-t-il quitté l’Australie ? Et Ewan dans tout ça ? Et maintenant que la distance physique n’est plus là, quelle relation est possible entre nous ?
Le lendemain, cette envie, ce besoin se font de plus en plus dévorants. Je n’arrive à penser à autre chose. Entre midi et deux, je regarde une nouvelle fois le replay de l’émission sur mon téléphone. J’ai envie d’appeler Jérém. J’ai envie de le revoir. J’ai envie de le serrer dans mes bras.
Et Anthony dans tout ça ? J’aime ce petit gars de toutes mes forces. Et mon expatrièrent semble enfin prendre forme.
Et pourtant, je finis par craquer. Le soir même, après être rentré de ma journée de travail si peu productive. Je compose son numéro de portable australien. Mais je tombe sur un message en anglais qui m’informe que le numéro n’est plus attribué. En vrai, je m’y attendais un peu. Je ne traîne pas, je profite de ma lancée. Je compose un autre numéro dans la foulée.
Il est revenu peu avant Noël, m’explique Maxime. Mais il n’était pas certain de rester. Il a traîné pendant quelques semaines. Et puis, tout est allé très vite. Il a commencé à m’aider au domaine. Puis, Ulysse est venu, et ils ont commencé à imaginer cette asso.
Et Ewan ?
Il est resté en Australie.
Ils ne sont plus ensemble ?
Il n’en a pas trop parlé. Mais je crois que non.
Je frémis.
J’hésite à lui demander le nouveau numéro de Jérém. J’ai peur d’ouvrir une boîte de Pandore. J’ai peur que ma vie m’échappe des mains. Bien qu’au fond de moi, je sais pertinemment que la boîte de Pandore a été ouverte dès l’instant où Jérém est apparu à l’écran.
Lorsque je compose son nouveau numéro, qui ne commence pas par 06, mais par 07, comme les jeunes, je tombe direct sur son répondeur.
« Salut, c’est Jérém. Je ne suis pas là, laisse un message ! ».
Le simple son de sa voix enregistrée me file la chair de poule. Car ce message me donne la preuve tangible qu’il est revenu, et qu’il n’est plus qu’à quelques heures de moi.
Je suis tellement bouleversé que je ne sais pas quoi lui dire, et je raccroche sans laisser le moindre message.
Samedi 20 mai 2023.
Ce n’est pas à l’automne, mais au printemps. Ce n’est pas sous une pluie battante, mais accompagné par un beau soleil. C’est aujourd’hui que je vais retrouver Jérém. A Campan, près de 22 ans après ma première venue.
Par ailleurs, cette journée, cette lumière, ce petit vent qui semble me pousser à aller de l’avant, cet élan que je ressens en moi, ce bonheur qui m’habite, me rappellent une autre journée d’il y a 22 ans, cette journée de début mai par laquelle toute cette histoire a débuté.
Après mon premier coup de fil raté, Jérém m’a rappelé. Et je n’ai pu refuser son invitation.
Sous la halle en pierre du petit village, je ne retrouve pas le petit con à l’aube de ses vingt ans avec son pull à capuche, son t-shirt blanc et sa belle crinière brune. Je retrouve un homme élégant, habillé d’une belle chemise blanche et d’un blouson en cuir. Un homme qui, comme je l’avais vu à l’écran, a encore perdu de sa brunitude, le gris et le blanc ayant encore progressé en cinq ans, depuis nos retrouvailles en Australie. Mais à part cela, le temps semble glisser sur lui. A bientôt 42 ans, Jérém demeure un très bel homme.
Jérém est là, et il m’attend. Lorsque son image frappe ma rétine, lorsque je croise son regard, mon cœur a des ratés, je suis saisi par une sorte de vertige. Je n’arrive pas à croire ce qui est en train de se passer.
J’avance vers lui, il avance vers moi. Nous nous retrouvons face à face, à moins d’un mètre l’un de l’autre et nous nous fixons, aussi incrédules l’un que l’autre, les regards pleins d’émotions et de larmes retenues de justesse. Et puis les larmes coulent. Ce dernier pas qui nous sépare est franchi. Ses bras enveloppent mon torse, mes bras enveloppent le sien. Je plonge mon visage dans le creux de son épaule, puis dans celui de son cou. Je cherche l’odeur de sa peau, comme pour m’assurer que tout cela est bien réel.
Et je l’embrasse. Nous étions deux gosses, nous sommes deux hommes maintenant. Comme il y a 22 ans, nous nous embrassons sous la halle de Campan. A cet instant précis où je retrouve l’amour de mes vingt ans, j’ai l’impression d’avoir vingt ans à nouveau.
Comment tu m’as manqué, P’tit Loup !
Pas autant que tu m’as manqué, Ourson !
Ça fait plus de quinze ans que nous n’avons pas été nus, l’un contre l’autre. La dernière fois, c’était à Toulouse, le soir où il m’avait annoncé qu’il renonçait au rugby, quelques jours avant de changer d’avis et de s’envoler vers Londres et vers Rodney.
Aujourd’hui, dans la petite maison dans la montagne, je redécouvre l’amour avec l’homme de ma vie. Nos envies, nos désirs, nos corps affamés l’un de l’autre se reconnaissent instantanément, même après toutes ces années de séparation.
Et quel immense bonheur que de redécouvrir sa nudité, la douceur, la chaleur, le parfum de sa peau. Et malgré les changements opérés par le Temps – la musculature moins saillante qu’à l’époque, les quelques poils blancs qui progressent et remplacent peu à peu la brunitude des poils de son torse – mon désir demeure intact.
En redécouvrant la géographie de son plaisir de mec, je réalise que rien n’a changé de ce côté-là, et que je n’ai rien oublié. Lui non plus, il n’a rien oublié de la façon dont il s’y prenait pour me rendre dingue.
Je redécouvre le plaisir de lui offrir du plaisir, le bonheur de le voir et de le sentir prendre son pied. Je retrouve le plaisir de me faire posséder par sa mâlitude, et d’assister à l’explosion de son orgasme.
Je me souvenais d’un jeune mec entreprenant et fougueux, je retrouve un homme qui sait prendre le temps, et dont les caresses sont devenues furieusement sensuelles. C’est peut-être là, le changement le plus flagrant.
Tu la portes toujours, je considère, la tête posée son torse, et caressant sa chaînette, celle que je lui ai offerte il y a bien longtemps.
Je n’ai jamais pu la quitter. Et toi non plus… il enchaîne, en saisissant ma chaînette à son tour, cette chaînette qui a été la sienne.
Je n’ai jamais cessé de t’attendre.
Je n’ai jamais cessé de penser à toi, il me glisse, après un long silence. Pendant toutes ces années, pendant les moments les plus durs, à chaque fois que je devais faire un choix ou prendre une décision, je me suis demandé « Que ferait Nico à ma place ? Qu’est-ce qu’il penserait de telle ou telle décision ? J’ai essayé de ne pas te décevoir, même si tu n’étais pas à mes côtés.
Si tu savais comment j’ai été heureux de te voir débarquer à Bells Beach !
Moi aussi j’ai été content de te retrouver. Ça a été dur, mais ça m’a fait un bien fou.
J’ai été démoli quand tu es parti…
J’ai pleuré pendant tout le voyage de retour.
J’ai chialé aussi…
Il aurait suffi d’un mot pour me retenir.
Je ne pouvais pas faire ça à Ewan.
Je comprends très bien. Ewan m’a l’air d’un très bon gars.
Il l’est. Mais après ton départ, tout a changé.
Qu’est-ce qui a changé ?
Ma relation avec lui. Je n’arrêtais pas de penser à toi. J’avais envie de sauter dans un avion et de venir te retrouver. Ce qui me retenait aussi, c’était de savoir que tu avais quelqu’un.
Le vertige me saisit en pensant au nombre d’occasions manquées qui nous ont séparés pendant tout ce temps. Mais en même temps, ses mots me racontent comment, de son côté comme du mien, et malgré le temps et l’espace qui nous séparaient, le lien qui nous lie depuis le premier jour du lycée n’a jamais été vraiment cassé.
Ce soir, je redécouvre le bonheur de m’endormir dans ses bras après lui avoir offert un bel orgasme. Comment ils m’ont manqué, ses bras, pendant toutes ces années !
Le lendemain, nous nous rendons au centre équestre de Charlène. La « maman d’adoption » de Jérém vient de souffler ses 79 bougies. Le temps n’a pas été clément avec elle. Si battante et énergique jadis, Charlène me paraît désormais fragile, fatiguée. Je la trouve toute menue. Elle semble avoir rapetissé. Elle ne monte plus depuis plusieurs années, sa condition physique lui ayant ôté la souplesse et la force nécessaires pour l’équitation.
Par ailleurs, elle est toujours aussi lucide et agréable d’esprit. Et toujours aussi aimante et accueillante.
Comment je suis contente de vous revoir tous les deux ! elle nous accueille, les bras ouverts, les yeux humides.
Elle nous étreint à tour de rôle, avec un amour infini.
J’ai toujours pensé que votre séparation était un terrible gâchis. J’ai toujours espéré que vous vous retrouveriez.
On est là, maintenant…
C’est pas trop tôt, espèce de p’tit con ! Quand tu es revenu il y a dix ans et que tu n’as pas voulu aller voir Nico, je t’aurais mis des baffes !
Tu aurais dû m’en coller !
Je ne te le fais pas dire, sale gosse !
Et toi, Nico, quand tu es venu il y a des années me demander des nouvelles de Jérémie, je savais que tu irais le voir en Australie. Et j’étais convaincue que tu reviendrais avec lui. Quand tu es revenu les mains dans les poches, j’ai failli te mettre des baffes aussi !
Tu aurais dû m’en coller à moi aussi !
Vous avez été aussi nul l’un que l’autre ! J’ai failli perdre espoir ! Mais je savais que ça arriverait un jour. C’était évident que vous étiez faits pour vous retrouver, et que vos chemins se recroiseraient un jour. J’espérais juste être encore là ce jour venu, et pouvoir assister à ce moment que j’ai souhaité de tous mes vœux.
Peu importe les détours que la vie nous impose, ou que nous nous imposons nous-mêmes. Quand deux êtres s’aiment comme vous vous aimez, leurs chemins finissent par se recroiser. Il n’y a pas de rivière assez large, pas de montagne assez haute dont l’Amour ne puisse arriver à bout.
Et vous êtes chanceux, les garçons, de connaître cet Amour.
Charlène ne nous accompagne pas aux prés, car marcher lui est pénible. Tzigane, la jument qui a été le relais entre Jérém et son grand père, mais aussi Bille, la jument shetland qui a été la première monture de Jérém en culottes courtes, tout comme la brave Téquila que j’ai montée il y a vingt ans, tous sont partis galoper dans les étoiles. Ils sont partis pendant que nous n’étions pas là, sans que nous puissions leur dire au revoir.
Nous retrouvons le dernier survivant des montures de Jérém, Unico. Il est désormais un vieux cheval d’une trentaine d’années.
Il a pris du poil blanc, en même temps que moi, commente Jérém, visiblement ému.
Le centre équestre fonctionne toujours, et il est même davantage fréquenté qu’auparavant. En ce samedi, une poignée de mômes installés sur des poneys tournent dans la carrière en sable fin. Ils sont guidés par un moniteur, Baptiste, un beau gosse de vingt ans à la voix déjà éminemment virile et au regard délicieusement effronté.
La nouvelle de notre présence s’étant répandue comme une traînée de poussière dans la vallée, une soirée bonne franquette est organisée en notre honneur le soir même.
Jérém et moi sommes heureux de retrouver nos amis cavaliers. Mais notre joie se transforme très vite en mélancolie. Car nous constatons d’entrée que le relais est moins « rempli » qu’à la grande époque, celle de notre première jeunesse. Et, surtout, qu’il y a de grands absents.
De la grande famille que j’ai connue il y a vingt ans, il ne reste en fait plus grand monde. Les « rescapés » se comptent sur les doigts d’une main. Charlène qu’on ne présente plus, Satine à la grande gueule, Martine au rire tonitruant. Jean-Paul et Carine. Ils ont tous vieilli, beaucoup vieilli. Ils ont tous franchi le cap des trois quarts de siècle, et aucun d’entre eux n’a pu garder l’énergie nécessaire pour monter à cheval.
Les autres cavaliers ne sont plus là. Certains ont déménagé. D’autres sont partis, comme leurs montures, galoper dans les étoiles.
On n’est plus très nombreux, on ne monte plus à cheval, mais un bon gueuleton entre amis, on ne se le refuse jamais ! considère Jean-Paul, toujours aussi accueillant et bienveillant.
Surtout quand il y a quelque chose à fêter ! lance Martine.
Et quelle plus grande fête que pour le retour des fils prodigues ! plaisante Jean-Paul. Franchement, vous avez bien joué avec nos nerfs ! Vous avez foutu en l’air tous mes paris pendant des années !
Quels paris ?
J’ai toujours parié qu’on vous reverrait débarquer ensemble un de ces quatre. Pour moi, c’était une évidence. J’ai toujours pensé que pour toi, Jérémie, peu importe les détours, peu importe les erreurs d’aiguillage, tous les chemins que tu emprunterais dans ta vie finiraient par te ramener vers Nico. Et que tous les chemins que tu emprunterais dans ta vie, Nico, te ramèneraient vers Jérémie.
Tous les chemins de Jérém le ramènent à Nico. Tous les chemins de Nico le ramènent à Jérém. Comme elle me plaît, cette idée, cette image !
Parmi les présents à la soirée, quelques jeunes recrues de l’asso, la plupart des nanas. Elles semblent toutes subjuguées et intriguées par la présence du beau Baptiste, ce qui est parfaitement compréhensible. Mais le beau Baptiste semble être intrigué par autre chose. Par Jérém et moi. Il vient nous parler, longtemps, il nous questionne sur notre parcours. Il a l’air bien au courant de notre histoire, Charlène a dû lui en parler. Ce garçon est vraiment sublime. Il a un sourire à tomber à la renverse. Et il dégage une aisance, une insolence qui le rendent carrément craquant.
Dans cette belle soirée, quelque chose nous a terriblement manqué. Je veux parler bien évidemment des blagues, de la guitare, de la voix et de la présence de Daniel. Heureusement, quelqu’un a eu un jour, il y a des années, la bonne idée de filmer quelques-unes de ses prestations de l’époque. Et ce soir, Martine a eu la bonne idée d’apporter un écran, une enceinte connectée et une clé USB.
La présence de Daniel est reconstituée grâce à la technologie. Ce n’est pas pareil, certes. Car Daniel et Lola ne sont pas là. Mais les images sont là, le son de la guitare est là, leurs voix sont là, elles résonnent à nouveau sous le grand plafond du relais. Entre deux chansons, où même pendant une chanson, on les voit et on les entend jouer l’éternel duo comique qu’ils avaient monté pour amuser les amis. On les entend se lancer des piques comme toujours, on les voir amoureux comme toujours. Et ils parviennent à mettre l’ambiance même par écran et par enceinte interposés, à travers l’espace et le temps.
La nostalgie d’un temps révolu, du temps qui passe inexorablement, ainsi que le regret des absents planent sur cette soirée. Mais l’enregistrement de Daniel met une sacrée ambiance et nous chantons en playback, nous faisons les cœurs, nous faisons les cons.
L’enregistrement terminé, c’est le beau Baptiste qui prend le relais avec sa propre guitare. Evidemment, il sait jouer de la guitare. Evidemment, il coche une série presque vertigineuse de cases de la bogossitude. Il ne chante pas, mais il joue très bien. En communion avec son instrument, il est encore plus craquant.
Vous ne pouvez pas savoir quel beau cadeau vous nous avez fait en venant nous revoir, tous les deux, à nouveau ensemble ! nous lance Martine. Je suis tellement heureuse de vous voir heureux ! Votre amour, c’est ce que vous avez de plus précieux. Protégez-le, chérissez-le, choyez-le. Et profitez-en à chaque instant. Ça passe tellement vite, les garçons !
Dimanche 21 mai 2023.
Sur la butte devant la grande cascade de Gavarnie, je prends Jérém dans mes bras, et je savoure mon bonheur présent. C’était une évidence de revenir ici. Ça l’était autant pour lui que pour moi. On retourne dans un lieu pour retrouver des souvenirs, ou pour nous souvenir de qui nous avons été autrefois.
Comme il y a plus de vingt ans à ce même endroit, comme il y a quelques années sur la plage des « Twelve Apostles », nous restons longtemps enlacés, à contempler notre passé et notre présent. Mais aujourd’hui, nous avons quelque chose de plus à contempler. Notre avenir ensemble, un horizon qui n’a jamais été aussi dégagé. Non, cette fois-ci, le bonheur de nos retrouvailles ne se brisera pas sur l’écueil d’un « au revoir » incertain, ou d’un « adieu » sans appel. Jérém est revenu et il ne va pas repartir. Je crois que cette fois-ci, notre histoire, c’est pour de bon. L’avenir nous appartient désormais.
Je tiens dans mes bras un Jérém cabossé par la vie, mais un Jérém enfin assumé, et à nouveau battant. Un Jérém qui semble enfin avoir dompté ses démons, qui assume sa fragilité et ses fêlures, et dont le tempérament a été sensiblement adouci par les années.
Oui, Jérém a changé. Il est désormais dans son attitude – dans ses mouvements, tout comme dans ses pensées – une sorte de prudence, d’hésitation, de gravité. Quelque chose entre sensibilité et maturité. Quelque chose de terriblement touchant. Le passage de la fougue insolente de ses vingt ans à l’intense mâlitude de sa quarantaine est tout aussi radical que fascinant.
Et quand je repense à son engagement pour les jeunes homosexuels, quand je repense à cette force dont il fait preuve, cette volonté de transformer sa souffrance passée en moteur de son action pour aider les autres, cela m’émeut au plus haut point.
Je crois que je n’ai jamais été aussi amoureux de lui.
Je crois que je n’ai jamais été heureux comme à cet instant.
Un instant de pur bonheur qui me ramène à cette belle chanson :
Sat on a roof/Assis sur un toit
Named every star/On a nommé chaque étoile
Shed every bruise and/On s’est débarrassé de chaque ecchymose et
Showed every scar/On a montré chaque cicatrice
Sat on a roof/Assis sur un toit
Your hand in mine, singing/Ta main dans la mienne, chantant
« Life has a beautiful, crazy design »/ »La vie a une magnifique, et folle conception »
And time… seemed to say/Et le temps… semblait dire
« Forget the world and its weight »/ »Oublie le monde et son poids »
Here, I just wanna stay/Là, je voudrais juste rester
Amazing day/Excellente journée
Amazing day/Incroyable journée
Sat on a roof/Assis sur un toit
Named every star and/Tu as nommé chaque étoile et
Showed me a place/Tu m’as montré un endroit
Where you can be who you are/Où on peut être qui l’on est
And the view/Et la vue
The whole Milky Way/L’ensemble de la Voie Lactée
In your eyes/Dans tes yeux
I’m drifting away/Je dérive
And in your arms/Et dans tes bras
I just wanna sway/Je voudrais juste me bercer
Et dans tes bras, je me berce, aussi longtemps que j’en ai besoin.
Et dans tes bras, je me bercerai, aussi longtemps que j’en aurai besoin.
Amazing day/Excellente journée
Amazing day/Incroyable journée
Dans un vignoble gersois, le dimanche 20 octobre 2023.
C’est après les vendanges, lorsque le vignoble s’embrase de nuances allant du jaune au marron, en passant par le rouge, qu’un grand repas est organisé dans le domaine des Tommasi pour l’anniversaire de Jérém. Il y a quelques jours, l’ancien rugbyman a fêté ses 42 ans.
Ce lieu, chargé d’histoire familiale, m’a toujours impressionné et ému. J’ai désespéré pouvoir y retourner un jour, malgré les invitations répétées de Maxime pendant le long exil australien de Jérém.
Mais je savais qu’y retourner sans Jérém, je n’aurais pas supporté. Car ça m’aurait arraché le cœur.
Je suis si heureux de le retrouver enfin, de retrouver les rangées de vignes, les palissages, si bien rangés, le corps de ferme, si bien rangé, de retrouver ce site où tout me parle des racines et des jeunes années de l’homme que j’aime.
Quand je suis dans le salon, il me semble le voir gambader en culottes courtes.
Quand je suis dans la cuisine, j’ai l’impression de le voir en train de prendre son goûter.
Quand je suis dans le jardin, je me dis que derrière ce grand chêne, il a dû se cacher, enfant, en jouant avec Maxime. Je me dis que plus tard, Thibault a dû se joindre à eux pour ces jeux d’insouciance.
Une insouciance qui a été balayée net par le départ de sa mère. Du jour au lendemain, sans y être préparé, Jérém a réalisé et a dû accepter qu’elle ne serait plus jamais là. Mais ça n’a rien changé au manque, à sa tristesse d’enfant.
Je me dis qu’à cette époque, il s’est peut-être réfugié dans la grange pour être seul. C’est peut-être là qu’il a grillé ses premières clopes. Peut-être que Maxime s’y est réfugié aussi, et que Jérém l’y a rejoint pour le réconforter. Ou bien, c’est Maxime qui l’y a rejoint pour le réconforter.
Je me dis qu’adolescent, il a dû monter le grand escalier de la maison en boudant. Qu’il a dû s’enfermer dans cette chambre et faire exploser sa colère, ou pleurer à l’abri des regards.
Je me dis que dans cette grande maison, il a été heureux, il a été triste, il s’est senti protégé, puis rejeté, il a eu envie de partir.
Je me prends à imaginer ses états d’esprit pendant ses premières années. Je voudrais l’avoir connu à cette époque, je voudrais avoir partagé tous ces moments avec lui.
Mais ce lieu, ce « sanctuaire » a quelque peu changé depuis ma première visite. La chambre d’ado de Jérém a été rénovée pour permettre au petit Cédric de rester dormir parfois chez Papi et Mamie. Ce lieu, cette pièce que plus que toute autre me parlait du temps où j’ignorais l’existence de Jérém n’est plus.
Les affaires de Jérém enfant et ado ont été montées au grenier. Nous nous y rendons ce soir, pour faire un tri dans les affaires. En ouvrant les cartons, nous tombons sur des albums photo. Au fil de ces images, que je relie dans ma tête à des petites anecdotes que j’ai entendu raconter à table, je parcours les jeunes années de mon Jérém.
Toutes ces images du passé se superposent à celle du Jérém de 42 ans, mon compagnon, qui s’assume, qui assume notre relation, notre passé, notre présent, et notre avenir. Et cette superposition, ce mélange, m’émeut au plus haut point.
Dans ce vignoble, au cœur de tous les Jérémie, j’ai envie de pleurer de bonheur.
Autour de la grande table sont réunis tous les Êtres qui comptent pour Jérém et moi, la famille et les amis. Il y a bien évidemment le maître des lieux, Papa Tommasi. Lui aussi semble très bien vieillir avec le temps. Il y a Maxime, qui porte sa quarantaine tout aussi fabuleusement bien que son frère. Sa copine est là aussi, ainsi que son fils Cédric, un adorable garçon de six ans souriant et vraiment facile à vivre. Maxime est un véritable papa poule, et lorsqu’il regarde son fils, ses yeux débordent de tendresse et d’amour.
Un autre invité à qui la quarantaine va comme un gant, c’est le sublime Thibault. Il est accompagné par son compagnon Arthur. Mais également par son fils Lucas. Lucas vient de fêter ses 22 ans. Et je réalise qu’est plus âgé que ne l’était son papa lorsqu’il l’a conçu. Comment le temps passe !
Lucas est beau comme un petit Dieu. Il y a dans son regard une telle fraîcheur, une telle candeur, une innocence mais dans le bon sens du terme, un éclat si magique, si enviable. Sa simple présence dégage la plus sublime forme d’insolence, l’exhibition presque indécente de la beauté et de la jeunesse. Et ce qui le rend encore plus touchant, c’est le fait qu’à l’instar de son papa lorsqu’il avait son âge, il ne se doute même pas à quel point il est insoutenablement beau.
Ulysse est aussi de la partie. L’ancien rugbyman est parvenu à se faire un nom dans le monde de la gastronomie. Au fil du temps, son restaurant parisien est devenu le repère d’un certain nombre de célébrités. Ulysse est accompagné de sa femme, et de la petite Charlotte qui vient de fêter ses dix ans.
Charlène est là aussi, Jérém est allé la chercher exprès pour l’occasion. Malgré son âge et ses soucis de santé, elle demeure une bonne vivante qui ne renonce pas à la bonne chair.
Mes parents sont là aussi, avec tous leurs soucis de santé. Mais aujourd’hui ils font bonne figure, car aujourd’hui c’est la fête.
Autour de la table, une dernière présence contribue à mon bonheur. Une double présence. D’abord, la tienne, mon Galakou d’amour.
Depuis un certain temps déjà, lorsque je te regarde mon cœur s’emplit à la fois de joie et de tristesse. De la joie, tu m’en as donnée depuis le tout premier instant où je t’ai vu, lorsque tu n’étais âgé que d’une poignée de jours. Tu n’avais même pas encore ouvert tes yeux, et tu tenais dans ma main, petite boule d’amour. Depuis toutes ces années que tu es là, à mes côtés, tu as été le plus merveilleux et le plus fidèle des compagnons.
Mais tu as beaucoup vieilli dernièrement. Tu vas sur tes 13 ans, mon petit chien ! Nous en avons vécu des choses ensemble, tu en as essuyé des larmes ! Je contemple toutes ces années passées, le changement dans ton allure, et ça me donne le vertige. Ton poil n’est plus aussi brillant qu’avant, tes mouvements sont raides. Même le pouic pouic ne t’intéresse plus autant qu’auparavant. Le poil blanc couvre toute ta mâchoire inférieure. Et dans ton regard, je lis la fatigue et les années passées.
Mais dans ton regard, je lis toujours le même amour inconditionnel.
Je regrette le temps passé loin de toi, lorsque je suis parti parfois sans t’amener avec moi. Je sais que je t’ai fait de la peine. Et je regrette toutes ces heures passées à faire autre chose que te caresser et jouer avec toi. Je regrette toutes ces fois où tu as voulu jouer avec moi et que je croyais ne pas avoir le temps. Je regrette d’avoir fait passer mon clavier avant tes câlins.
J’ai voulu avoir un petit de toi, pour que tu lui transmettes ta mignonnerie génétique. J’ai essayé, je n’ai pas réussi. Peut-être que je n’ai pas assez essayé. Alors, il y a quelques mois, j’ai voulu prendre un autre labrador, Ugo (il est là lui aussi et joue avec Charlotte et Cédric). J’ai voulu lui offrir un stage de labradorisation auprès de toi, le plus gentil des chiens.
J’ai cru que tu jouerais avec lui, qu’il t’extirperait de la torpeur, et que sa présence t’offrirait un retour d’énergie. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que la fougue de sa jeunesse t’épuiserait autant. Que son côté chien fou ce serait trop pour toi. Que dans son inépuisable envie de jouer, il serait si brutal avec toi.
Je suis désolé de t’avoir imposé ça. Tiens bon, mon Galakou. Et ne sois pas jaloux. Ugo est super mignon. Mais tu seras à tout jamais le chien de ma vie. Reste encore un peu avec moi, mon amour de chien, d’accord ?
Au fur et à mesure que le repas avance et que la boisson donne de l’aisance, ça parle dans tous les sens, ça rigole de plus en plus fort. Le beau Lucas a certainement un peu abusé du bon vin de la maison, son regard pétille, pétille, pétille. Il a l’air un tantinet éméché et heureux. Il me rappelle Jérém à son âge, après une soirée, des bières, des shots, des joints. Avant l’amour. Après l’amour. L’insolence de sa beauté et de sa jeunesse m’émeut au plus haut point. Il est beau à se damner.
Les heures défilent, l’après-midi avance. Le repas touche à sa fin, la conversation s’étire, s’épuise. L’heure de nous quitter approche. On fait un rappel de café, on fait une tournée d’Armagnac maison, dans une tentative ultime de retenir les invités. Pour essayer de retenir l’instant de bonheur et de partage, pour essayer de retenir le Temps.
Ce repas, est à l’image de la Vie. Ça passe trop vite, beaucoup trop vite. Je voudrais pouvoir sauvegarder cet instant, le soustraire au Temps, garder à tout jamais autour de moi les personnes que j’aime.
Car les êtres aimés finissent par partir. A la fin d’un repas. Ou à la fin de leur chemin.
Je n’ai pas envie de dire au revoir, car certains au revoir ressemblent à des adieux. Et en effet, certains des « au revoir » dispensés au moment de prendre congé de cette belle journée, s’avèreront être des adieux. Ce sera la dernière fois que tous les présents à cet anniversaire seront réunis.
Il faut profiter de ceux qu’on aime, tant qu’il est encore temps. Tant qu’ils sont encore là.
Les invités partis, j’ai le cœur lourd. Jérém doit s’en rendre compte, car il me propose une balade dans la vigne. Nous marchons en silence, accompagnés par les pas lents de Galaak et par les bondissements infatigables d’Ugo.
Pas après pas, le souvenir remonte, d’un jour lointain, dans une autre vigne, bien verdoyante, elle, en pleine pousse, lors du retour d’un voyage en Italie. C’était le printemps et il faisait chaud, très chaud. Jérém portait un t-shirt blanc, aveuglant sous le soleil de printemps. Au pied d’un chêne, il l’avait ôté, mettant à nu ce torse déjà si bien développé pour le garçon de 17 ans qu’il était à l’époque. Il avait même ouvert sa braguette, sous prétexte qu’il avait trop chaud, me montrant ainsi son boxer, et la délicieuse bosse qu’il soulignait. Il avait osé cela alors que j’étais assis sur une grande pierre juste devant lui, juste à la bonne hauteur pour déclencher des envies brûlantes. Sale petit allumeur ! Plus tard, il m’avait avoué qu’il l’avait fait exprès, qu’il voulait précisément voir l’effet qu’il me faisait.
Ce soir, la vigne vire au rouge, et le vent est frais. Le petit con qui m’avait chauffé en ce jour lointain s’est transformé en un homme qui me réchauffe le cœur. Et ce soir, j’ai besoin de sa tendresse. J’ai besoin de sa présence, j’en ai besoin comme jamais pour calmer ma nostalgie et ma mélancolie.
Et cette tendresse, cette présence, je les trouve au détour d’un palissage, lorsqu’il me prend dans ses bras et qu’il me serre très fort contre lui. Quelques larmes silencieuses coulent sur ma joue. Et mon cœur s’apaise.
Je n’ai plus de remords, je n’ai plus de regrets. A part un, celui des trop nombreuses années que Jérém et moi avons passé loin l’un de l’autre, ce Temps perdu à souffrir au lieu d’aimer.
Heureusement, nous nous sommes retrouvés. Heureusement, nous allons pouvoir profiter du reste de notre vie ensemble.
Les chanceux, c’est nous !
C’est bon de ne pas avoir à traverser la vie tout seul.
Amsterdam, Ziggo Dome, le vendredi 1er décembre 2023.
Les notes du premier titre du concert font exploser la sono de la salle et nos tympans, tandis que les basses font vibrer le sol, nos pieds et nos tripes.
L’onde de choc se propage dans la salle, dans les esprits. Madonna apparaît enfin, sur un plateau tournant, dans un immense nuage de fumée, sous mille feux de lumières.
Et elle entonne :
Quand j’étais très jeune/When I was very young
Rien n’avait vraiment d’importance pour moi/Nothing really mattered to me
Mais pour me rendre heureux/But making myself happy
J’étais le seul/I was the only one
Maintenant que je suis adulte/Now that I am grown
Tout a changé/Everything’s changed
Je ne serai plus jamais le même/I’ll never be the same
À cause de toi/Because of you
Lien vers l’article complet du Celebration Tour.
J’ai appris à croire en moi et en ce que je fais, et à ne jamais cesser d’y croire.
J’ai appris à oser et à ne jamais avoir honte d’oser.
J’ai appris qu’il ne faut pas hésiter à dire « merde » à ceux qui voudraient nous voir échouer.
J’ai appris à ne pas me laisser décourager par l’échec, j’ai appris que l’action et la persévérance finissent toujours par porter leurs fruits.
J’ai appris qu’il faut regarder vers l’avenir même quand la tentation est forte de se laisser emporter par la fatigue, le désarroi et la nostalgie.
J’ai appris qu’on a le droit d’exister, indépendamment de nos préférences, tant que nos actes sont guidés par le respect de l’autre.
Que j’ai droit au bonheur, et que personne n’a à me dire par quel chemin l’atteindre.
Voilà ce j’ai appris à travers toutes ces années, à travers mon expérience, mes réussites et mes échecs.
Voilà ce que je ressens en pensant à Madonna. Voilà pourquoi je l’aime, voilà pourquoi elle m’inspire autant.
A Amsterdam elle était radieuse et magnifique. Sa prestation sur « Live to tell » en hommage aux victimes du SIDA, ainsi que son speech au sujet de la journée mondiale contre ce fléau, ont été des purs moments de grâce.
Jamais l’un de ses concerts n’a autant fait sens pour moi. C’est peut-être la dernière fois que je l’aurais vue en spectacle, en vrai, et de si près. Et je suis si fier d’elle !
L’amour est tout ce dont nous avons besoin/Love is all we need
L’amour est tout ce qui compte. Et cet amour, c’est toi qui me l’apportes, toi, qui es ici, ce soir, à côté de moi, à ce concert.
Je suis tellement content que tu sois là avec moi ! je te crie à l’oreille, en défiant les décibels. Sans succès.
Quoi ? tu gueules à ton tour.
Merci d’être là ! je crie à plein poumons.
Tu plonges ton visage dans le creux de mon épaule et me serres très fort contre toi.
Ce soir, tu es là, avec moi, mon Jérém. Ce soir, je suis heureux.
Cherès lectrices, chers lecteurs,
Nous y sommes, la fin approche. Ceci est l’avant dernier épisode de Jérém&Nico. Le tout dernier épisode sortira le 17 mai prochain. Je tiens à profiter de cette occasion pour remercier toutes celles et tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont participé à cette aventure. A FanB, qui depuis toutes ces années a corrigé mes manuscrits et m’a aidé à garder la cohérence de mon récit. A Yann, qui depuis de nombreuses années a été d’un grand soutien. A tous les tipeurs et mécènes, en particulier Cyril et Virginie, dont la contribution a duré jusqu’à présent. A tous ceux qui ont laissé des commentaires, sur le site ou en message privé, à tous vos encouragements qui m’ont aidé à avancer pendant les moments de doutes et de fatigue. Aux critiques que j’ai parfois reçu et qui m’ont elles aussi aidé à mener ce projet à bien. A tous ceux qui ont fait tourner les compteurs des vues, en répondant présent à chaque épisode publié. Votre fidélité à tous, votre considération pour mon travail, votre simple présence me touche immensément. Un chat est prévu le 21 mai à 21 heures sur Discord (plus de détails en page d’accueil, bientôt) pour échanger autour de ces dix années d’écriture et de son aboutissement. Je vous attends nombreuses et nombreux !
Fabien
Commentaires
gebl
05/11/2024 15:58
5 nov 2024: je suis très en retard. . Je ne commenterai pas ce chapitre , vus l’avez tous bien fait, très bien fait Constat : nous sommes tous fleurs bleues Mes soupçons sont encore plus grands , à l’idée que Fabien doit être un actionnaire de kleenex. Les larmes ne m’ont pas quitté, parfois asséchées, les yeux toujours gonflés y compris de à cet instant de commentaires, là pour évacuer ces émotions.
Cet avant dernier chapitre , est grand , dans son contenu, dans son écriture, tu es un maître du roman. merci merci merci
Etienne
15/05/2024 16:21
Je découvre cet avant-dernier épisode avec retard… Moi qui ai quelque fois demandé à Fabien de nous prévoir une fin « digne d’un compte de fée », du genre « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », je n’en crois pas mes yeux !!! Le titre n’annonçait pas ça, sauf à nous dire que « rien n’a vraiment d’importance sauf l’amour qui relie deux êtres » (?) Enfin Jerem et Nico se sont retrouvés et tout semble s’aligner pour qu’ils soient enfin heureux ensemble. Jérem semble enfin « bien dans ses baskets ». Malgré tout, une pensée attristée pour Anthony qui ne méritait peut-être pas de pâtir du bonheur soudainement retrouvé de Nico avec Jérem (tu es sans pitié Fabien…) Je partage aussi les inquiétudes vis-à-vis du « dernier » épisode qui doit sortir demain. J’espère que tout ceci ne va pas s’effondrer et que mon côté « fleur bleue » sera rassuré… Par exemple Nico et Jérem décideront de se marier et Madonna bénira leur mariage. Peut-être aussi deviendront-ils papa (je reconnais ça fait beaucoup pour un seul épisode… qui d’ailleurs doit déjà être écrit…)
Tonio
14/05/2024 23:58
Je ne suis pas sûr de bien comprendre le titre de cet épisode, peut-on m’éclairer ? Par ailleurs à la lecture des commentaires, on a presque l’impression que c’est le dernier épisode, alors que Fabien nous a annoncé des surprises. Je reste donc un peu anxieux et dubitatif sur ce qui attend J & N. Je suis très impatient de ce dernier épisode même si ce sera difficile de lire le mot FIN. Et je pense surtout à Fabien pour qui ce sera forcément tellement important de tourner cette page.
Patrick
14/05/2024 16:15
Cet épisode est effectivement surprenant et terriblement émouvant. L’interview à la TV est le moment fort de l’ensemble de l’histoire je trouve car elle met tout le reste en perspective. Elle fait de l’histoire personnelle de J&N un combat contre les discriminations dans le sport et au delà. Je rejoins Tonio sur Anthony. Cela est difficile mais il s’agit ici d’une rupture sentimentale somme toute « classique » alors que la séparation de Jérem & Nico était clairement d’un autre ordre. Merci encore Fabien pour la qualité de ton écriture. Merci aussi de proposer une fin car même si nous la regrettons sans doute, elle est logique et il n’a sans doute pas été facile pour toi de la décider.
Virginie-aux-accents
12/05/2024 00:00
C’est dur d’imaginer que nous allons lire le dernier épisode dans une semaine, mais c’est logique. Cet épisode nous montre que Jérèm et Nico se sont fait « rattraper » par leur histoire : enfin apaisés, ils peuvent se retrouver et ils n’ont pas besoin de nous pour les espionner dans leur nouvelle vie à deux. J’ai de la peine pour ceux qui se sont retrouvés écartés (notamment le charmant Anthony) mais je suis heureuse de voir que les amis de toujours sont là, physiquement ou non. Merci pour tout, Fabien.
Bdr 13
10/05/2024 21:43
Jérémy nico sont a nouveau ensemble et tous leurs fans sont heureux par cette fin qui vient conclure cette excellente saison quatre et des hors séries d’une rare qualité. La fin de ce roman d’amour gay m’attriste énormément et je pense que tous les fans de cette série doivent ressentir du chagrin
Yann
10/05/2024 08:12
Fabien tu nous annonces que le dernier épisode puisse nous surprendre tout autant que celui-ci. J’espère juste que ce soit que du bonheur pour nos deux personnages.
Merci pour ton commentaire aussi. Il est possible que le hors série 4 sorte le 16/05
Tonio
08/05/2024 01:26
Merci beaucoup Fabien pour cet épisode, je ne croyais plus qu’ils puissent se retrouver comme ça, et pourtant ces retrouvailles semblent tellement naturelles. Les explications avaient été données cinq ans plus tôt en Australie et leur nouveau départ est tellement émouvant, entre deux quarantenaires qui ont appris et mûri. J’avoue avoir un pincement au cœur pour Anthony. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ça a été à Nico de mettre fin à son histoire avec Anthony, alors que Jerem ne l’avait pas fait pour Nico 5 ans plus tôt alors qu’il était avec Ewan. Mais je ne lui en veux pas, chacun progresse à son rythme dans son parcours, et en définitive leur rupture n’avait pas été la décision de l’un ou l’autre mais causée par l’homophobie et la haine. Sinon j’ai été très touché par le souvenir lointain du voyage de classe en Italie, avant même les “révisions” du bac. Pour terminer, j’appréhende un peu le dernier épisode, d’abord parce que l’avant dernier sonne comme une fin, et que je me demande ce qui peut bien leur arriver. Mais surtout parce que ce sera le dernier et ce sera si émouvant d’en terminer la lecture le 17 mai.
Yann
07/05/2024 08:44
Franchement je n’y croyais plus. Depuis la lecture de cet épisode plein d’idées et d’images tournent dans ma tête sur le sens de toute cette histoire magnifique et aussi triste car que de temps et de bonheur perdu à cause de l’homophobie. S’il n’y avait pas l’homophobie, jérém se serait plus facilement accepté. Il aurait aurait fait une carrière de rugbyman… Et puis je pense aussi à Rodney et Ewan qui ont aimés Jérém, à Anthony qui a aimé Nico qui quelque part sont les victimes indirectes de l’homophobie. En revisitant les lieux de leur amour, en retrouvant leurs amis communs,Jérém et Nico ont recousu la plaie laissée béante par 15 années de séparation. Ils vont je l’espère à la veille de la seconde moitié de leur vie pouvoir profiter du bonheur retrouvé. Un grand merci Fabien pour cette fiction dans laquelle beaucoup de lecteurs j’en suis certain retrouvent un peu d’eux-mêmes.
Yann
06/05/2024 20:36
C’est avec une très grande émotion que je termine la lecture de cet épisode. Je n’y croyais plus. Après tant d’années passées sans ne plus se voir, ne plus se toucher, se montrer leur amour. J’en ai les larmes aux yeux. Et puis les « voir » tous enfin réunis. Thibault avec son fils de 22 ans… Je me dis que pour Jerem et Nico le bonheur parfait serait qu’ils soient parents eux aussi.
Julien1992
06/05/2024 13:27
Quel épisode, je ne croyais plus du tout à ce que Jerem et Nico soient enfin ensemble et pour de bon. Merci Fabien pour cet épisode magnifique et pour toutes les émotions que tu nous avais vivre depuis des années !
Tds31
06/05/2024 10:16
L amour à triomphé, Jerem et Nico sont enfin réunis. J’espère que tu continueras à écrire des récits, nous les attendons avec tellement d impatience. Bonne continuation
Amsterdam, Ziggo Dôme, le 1er décembre 2023, 22h17.
Un solide drag queen black, le gagnant de la dernière saison d’une célèbre émission américaine, vient d’apparaitre dans un coin du parterre. Il est accoutrée en Marie-Antoinette, un hommage tout en humour à la tenue célébrissime portée par Madonna lors d’une prestation aux MTV Music Awards en 1990 et devenue légendaire.
« Marie Antoinette » avance se frayant un chemin entre les spectateurs.
« Je trouve qu’il y a beaucoup de gays dans la salle » elle considère, sur un ton d’humour.
Puis, elle s’adresse à un mec dans l’assistance et s’amuse :
« Tu as l’air un brin gay ! ».
« Juste un peu ? » lui répond le gars en question.
« Oui, tu es le plus grand gay du monde » elle concède.
« Marie-Antoinette » vient de monter sur scène et commence à chauffer la salle. Les premières notes de l’un des tubes de la Star de la soirée résonne dans la grande salle. L’assistance est délire. Mais ça s’arrête.
« It’s showtime » assène « Marie Antoinette ».
A partir de 2 min 40.
Et ça repart aussitôt. Sur l’instrumentale très rythmée de « Material Girl », « Marie Antoinette » nous raconte les débuts de la Star. Images sur grand écran à l’appui, il nous parle de ce jour de 1978 où elle a débarqué à Time Square depuis sa Detroit natale, alors qu’elle n’avait que 19 ans et 35 dollars dans sa poche, à la veille de créer sa légende.
Pendant ces temps, j’arrive à capter un mouvement derrière les écrans, et je vois distinctement Louise Veronica Ciccone se mettre en place pour entrer en scène, un instant avant de se transformer, telle Wonder Woman, en « Madonna ». Pendant une poignée de secondes privilégiées, j’aperçois la femme derrière l’icône. Et j’arrive même à la filmer.
« Marie-Antoinette » conclut sa tirade avec un « avertissement » pour le public :
« This is not a concert, this is not a party, this is a Celebration ! ».
A partir de 4 min 30.
Les premières notes du premier titre du concert retentissent dans la salle. Les basses sont si puissantes qui font trembler toute l’arena, jusqu’à nos tripes. Dans un déluge de lumière, de fumée et des basses, elle apparait enfin. Elle est là, enfin, et elle remet aussitôt les pendules à l’heure.
L’attente a été longue, certes. Mais dès qu’elle chante, on lui pardonne le retard de plus de deux heures (d’ailleurs, qui est le plus en retard ? Ceux qui arrivent une heure trente après le début du spectacle, ou celle qui attend que tout le monde soit arrivé pour commencer ?), on lui pardonne même un choix de DJ tout à fait discutable pour assurer la première partie.
Bref, dès qu’elle apparaît, elle nous met tous d’accord. La salle est en délire.
J’ai beau avoir vu sur Youtube la captation intégrale de nombreux shows (une dizaine) depuis le début de la tournée, lorsque les basses de l’intro du premier titre font trembler la salle, lorsqu’elle apparait, l’émotion de la voir en vrai est toujours immense, puissante, indescriptible.
On retrouve une veille amie, on retrouve un Phenix qui renait une nouvelle fois de ses cendres. Et cette fois-ci tout particulièrement, alors qu’il y a quelques mois, de sérieux problèmes de santé nous ont fait craindre le pire.
Oui, cette femme est un phénix. Et dans sa tenue noire, elle est « impériale ».
Elle chante :
Quand j’étais très jeune/When I was very young
Rien n’avait vraiment d’importance pour moi/Nothing really mattered to me
Mais me rendre heureux/But making myself happy
J’étais le seul/I was the only one
(Je n’avais besoin de personne pour être heureux, ndr)
Maintenant que je suis adulte/Now that I am grown
Tout a changé/Everything’s changed
Je ne serai plus jamais le même/I’ll never be the same
À cause de toi/Because of you
Et avec sa main, avec son bras, elle fait un grand geste circulaire, comme pour nous désigner.
L’amour est tout ce dont nous avons besoin/Love is all we need
(…)
Et elle enchaîne avec quelques-uns de ses titres les plus dansants de ses débuts, « Everybody », « Into the groove », « Burning up », « Open your heart ». Les tableaux sont magnifiques, elle est en forme, elle est souriante, on est si heureux de la retrouver !
Mais à la fin du tube incontournable « Holiday », le ton change. Le beat ralentit. De festif, il se fait presque angoissant. Un homme est à terre. Il semble avoir poussé son dernier souffle. Madonna enlève sa cape et le recouvre avec.
Des éclairs et des tonnerres font trembler la salle.
La voix a cappella de Madonna retentit par-dessus la tempête. Elle déclame les deux premiers couplets d’une chanson de 1992, « In this life ».
Sitting on a park bench, thinking about a friend of mine
It was only 23, gone before he has is time
Cette chanson parle de la mort tragique de deux amis de Madonna. Le premier, le chanteur Martin Burgoyne, était un artiste d’origine britannique. Il était également le meilleur ami de la future star et son colocataire à l’époque où elle vivait à New York. C’était le début des années ’80, avant qu’elle ne devienne célèbre. Il a été une figure clé dans les débuts de sa carrière. Il a dirigé sa première tournée de clubs et a conçu la couverture de son single « Burning Up » en 1983. Burgoyne a été emporté par le SIDA en 1986 à l’âge de 23 ans.
Christopher Flynn était un coach de danse et mentor de Madonna, et il a été lui aussi emporté par le SIDA.
Voici la prestation du concert « The Girlie Show » de 1993 ». C’était il y a 30 ans, en pleine époque SIDA.
Voici le texte complet de cette chanson bouleversante :
Assis sur un banc de parc/Sitting on a park bench
Je pense à un de mes amis/Thinking about a friend of mine
Il n’avait que vingt-trois ans /He was only twenty three
Parti avant d’avoir eu son heure /Gone before he had his time
C’est arrivé sans avertissement /It came without a warning
Je ne voulais pas que ses amis le voient pleurer /Didn’t want his friends to see him cry
Il savait que le jour se levait /He knew the day was dawning
Et je n’ai pas eu l’occasion de dire au revoir/And I didn’t have a chance to say goodbye
Dans cette vie, je t’ai aimé par-dessus tout /In this life I loved you most of all
Pourquoi? /What for?
Parce que maintenant tu es parti et je dois me demander /’Cause now you’re gone and I have to ask myself
Pourquoi?/What for?
Pourquoi? /What for?
En descendant le boulevard /Driving down the boulevard
Je pense à un homme que je connaissais /Thinking about a man I knew
Il était comme un père pour moi /He was like a father to me
Rien au monde qu’il ne ferait pas /Nothing in the world that he wouldn’t do
M’a appris à me respecter /Taught me to respect myself
Il a dit que nous sommes tous faits de chair et de sang /He said that we’re all made of flesh and blood
Pourquoi devrait-il être traité différemment /Why should he be treated differently
Peu importe qui tu choisis d’aimer/Shouldn’t matter who you choose to love
Dans cette vie, je t’ai aimé par-dessus tout /In this life I loved you most of all
(…)
Les gens passent et je me demande qui est le prochain /People pass by and I wonder who’s next
Qui détermine, qui sait le mieux /Who determines, who knows best
Y a-t-il une leçon que je suis censé apprendre dans ce cas /Is there a lesson I’m supposed to learn in this case
L’ignorance n’est pas le bonheur/Ignorance is not bliss
Dans cette vie, je t’ai aimé par-dessus tout /In this life I loved you most of all
(…)
Avez-vous déjà vu un homme adulte pleurer (pourquoi) /Have you ever watched a grown man cry (what for)
Certains disent que la vie n’est pas juste (pourquoi) /Some say that life isn’t fair (what for)
Je dis que les gens s’en moquent (pourquoi) /I say that people just don’t care (what for)
Ils préfèrent tourner dans l’autre sens (pourquoi) /They’d rather turn the other way (what for)
Et attendre que cette chose s’en aille (pourquoi) /And wait for this thing to go away (what for)
Pourquoi devons-nous faire semblant (pourquoi) /Why do we have to pretend (what for)
Un jour, je prie pour que ça se termine/Some day I pray it will end
J’espère que c’est dans cette vie /I hope it’s in this life
J’espère que c’est dans cette période de la vie/I hope it’s in this life time
J’espère que c’est dans cette vie /I hope it’s in this life
Pendant sa tournée de 1993, le « Girlie Show », et juste avant de chanter ce titre, Madonna avait fait un court speech à propos de la tragédie du SIDA, en apportant son soutien à ceux qui souffraient. Elle avait terminé son propos en levant la main vers le ciel, tout en déclamant : « Don’t give up ! », « N’abandonnez pas ! ».
Elle était émue lorsqu’elle s’assoyait ensuite dans les escaliers de la scène, toute seule, pour chanter. La chanson clôturait le segment disco du concert, faisant référence à la façon dont le SIDA a mis fin à l’ère disco et à l’hédonisme des années 70.
A l’instar du concert de 1993, lors de cette tournée, c’est le tableau de « Live to tell » qui a été choisi pour montrer comment le SIDA a sonné le glas de l’insouciance des années 1970.
Le propos est illustré par des portraits de gens célèbres emportés par ce fléau, suivi d’une mosaïque de visages inconnus de vies fauchées dans la fleur de l’âge.
« Live to tell », Amsterdam, le 1er décembre 2023.
« Live to tell », Londres, octobre 2023, la captation la plus aboutie.
Voici le texte de cette chanson :
J’ai une histoire à raconter/I have a tale to tell
Parfois, il est si difficile de bien le cacher/Sometimes it gets so hard to hide it well
Je n’étais pas prêt pour l’automne/I was not ready for the fall
Trop aveugle pour voir ce qui est écrit sur le mur/Too blind to see the writing on the wall
Un homme peut dire mille mensonges/A man can tell a thousand lies
J’ai bien appris ma leçon/I’ve learned my lesson well
J’espère que je vis pour le dire/Hope I live to tell
Le secret que j’ai appris, jusque-là/The secret I have learned, ’til then
Ça va brûler en moi/It will burn inside of me
Je sais où habite la beauté/I know where beauty lives
Je l’ai vu une fois, je connais la chaleur qu’elle donne/
I’ve seen it once, I know the warm she gives
La lumière que tu ne pourrais jamais voir/The light that you could never see
Ça brille à l’intérieur, tu ne peux pas m’enlever ça/It shines inside, you can’t take that from me
(…)
La vérité n’est jamais loin derrière/The truth is never far behind
Tu l’as bien cachée/You kept it hidden well
Si je vis pour le dire/If I live to tell
Le secret que je connaissais alors/The secret I knew then
Aurai-je un jour à nouveau la chance/Will I ever have the chance again
Si je m’enfuyais, je n’aurais jamais la force/If I ran away, I’d never have the strength
Pour aller très loin/To go very far
Comment entendraient-ils les battements de mon cœur/
How would they hear the beating of my heart
Est-ce qu’il fera froid/Will it grow cold
Le secret que je cache, vais-je vieillir/The secret that I hide, will I grow old
Comment vont-ils entendre/How will they hear
Quand apprendront-ils/When will they learn
Comment sauront-ils/How will they know
Un homme peut dire mille mensonges/A man can tell a thousand lies
J’ai bien appris ma leçon/I’ve learned my lesson well
J’espère que je vis pour le dire/Hope I live to tell
Le secret que j’ai appris, jusque-là/The secret I have learned, ’til then
Ça va brûler en moi/It will burn inside of me
(…)
Pendant tout le tableau, Madonna se balade dans les airs, elle fait face à tous ces portraits de disparus de cette guerre silencieuse, elle leur rend un vibrant hommage, elle les regarde droit dans les yeux, elle crie l’injustice, elle se fait la voix de ceux qui l’ont perdue trop tôt.
Et à la fin de la chanson, une dédicace apparait sur le plus grand écran.
« EN SOUVENIR DE TOUTES LES LUMIERES BRILLANTES QUE NOUS AVONS PERDUES A CAUSE DU SIDA ».
Le tableau de « Live to tell » est l’un des moments les plus émouvants de son spectacle, et de toute sa carrière. C’est l’un des meilleurs moments en absolu auquel j’ai eu la chance d’assister au fil de mes désormais neuf concerts d’elle.
Aujourd’hui, le 1er décembre, c’est la journée mondiale contre le SIDA.
Madonna n’a pas attendu cette date pour rendre hommage aux victimes de l’épidémie, puisque l’un des moments forts du Celebration Tour est le tableau sur son tube « Live to tell ».
Mais ce vendredi, Madonna a voulu marquer le coup.
Au beau milieu du concert, elle a fait un long speech sur ce que le SIDA a été, et sur ce qu’il est encore aujourd’hui.
Aujourd’hui, c’est la journée mondiale contre le SIDA.
Vous pensez à ça ? C’est important pour tout le monde ?
Peut-être que tout ça peut paraitre très lointain, peut-être que cela ne vous parle pas, on peut même penser que chaque jour est un jour de fête.
Mais laissez-moi vous expliquer quelque chose. Il n’y a pas de cure pour le SIDA. Les gens continuent de mourir du SIDA, vous savez ?
Quand j’ai débarqué à New York, j’ai eu la chance de rencontrer et devenir amie avec de nombreux magnifiques artistes, musiciens, peintres, chanteurs, danseurs, écrivains.
Et puis, un jour, ces gens ont commencé à devenir malades, et personne ne comprenait ce qui se passait. Les gens commençaient par perdre du poids, et puis ils tombaient comme des mouches. Ils allaient à l’hôpital, et là non plus personne ne comprenait ce qui était en train de se passer.
Les infos appelaient ça le « cancer gay », parce que ça sévissait principalement dans la communauté gay. Et ça, c’était une honte terrible. Parce que, je ne sais pas si vous comprenez ça, maintenant, mais dans les premières années ’80 ce n’était pas cool d’être gay, ce n’était pas accepté d’être gay. Vous comprenez ça ou vous considérez juste vos droits pour acquis ?
Aujourd’hui, on peut se tenir debout et dire « je suis gay ».
Mais à l’époque, s’assumer était une action très brave et très courageuse.
Je ne sais pas si vous imaginez vraiment ce qu’a été, à cette époque où être gay était considéré comme un péché, comme quelque chose de dégoûtant, de voir soudainement une vaste portion de la communauté gay commencer à tomber comme des mouches.
Les gens mouraient partout. Et quand je dis qu’ils mouraient partout, je ne suis pas en train d’exagérer. Chaque jour je me réveillais et j’apprenais qu’un nouvel ami était touché. J’allais leur rendre visite, je m’assoyais sur le côté du lit pour les regarder mourir.
Et pendant ce temps, dans la communauté médicale personne ne voulait faire quoi que ce soit. Parce qu’ils disaient que ces gens méritaient de mourir. Oui, c’est ce qu’ils disaient.
C’étaient des temps affreux. J’ai personnellement perdu beaucoup d’amis bien aimés. J’aurais donné mes bras si j’avais pu trouver une cure pour leur permettre de vivre.
J’ai vu tellement de gens mourir, homme et femmes, enfants, hétéros, gays, etc. Parce qu’à cette époque le sang des transfusions n’était pas testé.
Les enfants aussi étaient ostracisés s’ils avaient le HIV. Je ne sais pas si vous comprenez, mais c’étaient des temps dévastateurs. Pour moi, c’est comme si une entière génération avait été anéantie.
Et j’ai vu mon meilleur ami Martin en train de mourir. J’ai serré sa main, il souffrait énormément, il pouvait tout juste respirer, il voulait me chanter Maria Callas, Casta Diva. Et je lui ai dit, s’il te plait, Martin, laisse tomber. Et je regardais son esprit quitter son corps. Je ne sais pas si vous le savez, mais pendant « Live to tell », il est le premier visage qui apparait.
Et il y en a beaucoup d’autres après.
Mais je ne dis pas ça pour que vous vous sentiez désolés pour moi. Je veux que vous sachiez à quel point vous êtes chanceux maintenant, à quel point vous êtes chanceux d’être vivants. Maintenant vous pouvez prendre un médicament et être protégés, c’est fou.
Et je me retiens chanceuse d’avoir moi-même survécu à cette triste époque.
Quand j’ai été à l’hôpital Saint Vincent à New York pour visiter des patients qui étaient mourants, leurs familles ne voulaient plus rien avoir affaire avec eux. C’était dans les années ’80.
Il y avait toute une salle dans laquelle il n’y avait que deux infirmières qui acceptaient de rentrer et de soigner ces malades. Car tout le monde disait « si tu touches une personne avec le SIDA, tu vas l’attraper ».
Et j’ai avance dans cette salle et j’ai vu tous ces hommes haletant leur dernier souffle, et tout ce qu’ils voulaient, c’était un câlin. Et j’ai marché entre les lits de beaucoup d’entre eux, et je leur ai fait des câlins. Et ils étaient dans un état de démence et ils pensaient que j’étais leur mère et ils disaient « Maman, merci d’être enfin venue ».
Je ne sais pas si cette scène, cette salle de spectacle est le bon endroit pour raconter ça, mais vous n’avez pas idée de ce que c’était pour tous ces personnes d’être laissés sur le côté, comme s’ils n’avaient pas d’importance, comme si leurs vies n’avaient pas d’importance.
Vous n’avez pas idée d’à quel point vous êtes chanceux maintenant, à quel point nous sommes chanceux.
Mais les gens peuvent être si cruels, vous savez ?
Et quand je suis revenue à la maison ce jour-là, après avoir visité cet hôpital, la presse était postée devant l’immeuble de mon appartement à Central Park West, et on m’a demandé : « Madonna, Madonna, c’est vrai que vous avez le SIDA ? ».
Je leur ai répondu : « Non, je me soucie juste des gens qui ont le SIDA ».
Il y a quelques années, j’ai écrit des livres pour enfants. Un jour, une femme s’est approchée de moi, elle est venue me parler et m’a dit : « Vous écrivez des livres pour enfants, vous avez des enfants, vous prenez soin des enfants, est ce que vous savez qu’il y a un pays en Afrique où plus d’un million d’enfants sont nés avec le SIDA ? ».
Et je lui ai dit : « De quoi parlez-vous ? ».
Et elle m’a parlé de ce pays appelé Malawi.
Et j’y suis allée, et c’était comme une histoire qui se répète. Je suis allée dans les hôpitaux, j’ai vu les corps empilés les uns sur les autres.
J’ai vu les gens mourir partout. Il n’y avait pas de médicament, aucun traitement, rien, pas d’antirétroviraux disponibles.
Des décennies plus tard, c’était comme voir l’histoire se répéter. Et c’est de cette façon que j’ai rencontré mon fils David, dont la mère était morte du SIDA, et tous mes enfants que j’ai adoptés au Malawi. Mes beaux enfants.
Une fois de plus, je ne vous raconte pas ça pour avoir votre compassion, je n’essaie pas de me faire mousser. Je veux juste parler de l’étroitesse d’esprit de certains gens. Et cela me rend malade, et cela devrait tous vous rendre malades aussi.
Où je veux donc en venir ?
Je veux juste honorer tous ceux que nous avons perdus à cause du SIDA, ceux qui vivent avec le SIDA, et ils sont nombreux.
Merci à la recherche médicale et aux gens qui ont consacré du temps à la sensibilisation.
Mais vous savez, à notre époque où nous avons accès à tant d’informations, l’ignorance n’a pas d’excuses. Si on peut mettre un terme à quoi que ce soit, que nous puissions s’il vous plaît mettre un STOP à l’ignorance !
Est-ce que je vous ai endormis ? Pensez-vous que j'allais terminer le spectacle de ce soir et ne pas parler de ça ?
La seule chose qui peut tous nous sauver, c’est la lumière qui nous fait briller, la lumière qui est dans chacun de nous. Nous devons la partager avec tout le monde. Alors, s’il vous plait, allumez vos lumières, s’il vous plait, allumez vos lumières, ne me faites pas supplier !
Son émotion lors de son discours est palpable par toutes et par tous. Sa voix chevrotante lorsqu’elle évoque tous ces amis touchés par la maladie et décédés m’a ému. Ses mots semblaient venir directement de ses tripes. J’étais assez près d’elle, à quelques mètres à peine, pour voir qu’elle était tellement habitée par ses propos qu’elle en tremblait comme une feuille. J’ai même cru que la petite bouteille qu’elle tenait entre sa paume et son pouce allait se fracasser au sol. Je la voyais si menue, si fragile, elle était si émouvante à cet instant.
J’ai envie de la croire sincère. En fait, je trouve que plus elle vieillit, plus elle devient humaine et touchante.
Elle demande qu’on allume les torches de nos portables.
« Ne me faites pas vous prier ! » elle nous encourage
A cet instant, la salle est illuminée par des milliers de lumières de portables. C’est beau et terriblement émouvant.
Et là, elle chante « I will survive » juste avec un accompagnement de guitare, elle chante avec le public :
Au début j'avais peur, j'étais pétrifié/At first I was afraid, I was petrified
Je pensais que je ne pourrais jamais vivre sans toi à mes côtés/
Kept thinking I could never live without you by my side
Mais ensuite j'ai passé tellement de nuits à penser à quel point tu m'avais fait du mal/
But then I spent so many nights thinking how you did me wrong
Et je suis devenu fort/And I grew strong
Et j'ai appris à m'entendre/And I learned how to get along
(…)
Vas-y maintenant, vas-y, sors par la porte/Go on now, go, walk out the door
Tourne-toi maintenant/Just turn around now
Parce que tu n'es plus le bienvenu/'Cause you're not welcome anymore
N'est-ce pas toi qui as essayé de me faire du mal en me disant au revoir ?/
Weren't you the one who tried to hurt me with goodbye?
Tu penses que je m'effondrerais ?/You think I'd crumble?
Tu penses que je m'allongerais et mourrais ?/You think I'd lay down and die?
Oh non, pas moi, je survivrai/Oh no, not I, I will survive
Oh, tant que je sais aimer, je sais que je resterai en vie/
Oh, as long as I know how to love, I know I'll stay alive
J'ai toute ma vie à vivre/I've got all my life to live
Et j'ai tout mon amour à donner et je survivrai/
And I've got all my love to give and I'll survive
Je survivrai, hé, hé/I will survive, hey, hey
Et après un tel discours, après les soucis de santé qu’elle a eu pendant l’été dernier ont auraient failli faire capoter cette sublime tournée ou, pire encore, éteindre sa belle voix à tout jamais, la chanson « I will survive » prend tout son sens.
« I will survive » un message qui parle à tout le monde.
Un peu plus tard pendant le spectacle, elle apparait avec le drapeau de l’arc en ciel en manteau, et c’est sans conteste l’une de mes plus belles photos de la soirée, si ce n’est pas la plus belle.
D’aucuns diront cyniquement qu’elle ne fait que flatter une frange de son public, le caresser dans le sens du poil.
Là encore, j’ai envie de la croire sincère dans son propos de tolérance et de soutien à la communauté LGBT.
C’est pour ça aussi qu’on l’aime.
Le reste du spectacle est festif, étincelant, grandiose, alternant des moments dansants, festifs, esthétiques, iconiques et des ballades magnifiques. Elle n’a pas oublié non plus de rendre hommage aux deux autres piliers de la trilogie des stars ultimes des années ’80, tous conscrits de l’année 1958, à savoir, Michael Jackson et Prince. Elle est la seule survivante.
Une tournée pour fêter ses 40 ans de carrière, un enchaînement de ses plus grand tubes remis au goût du jour, que ce soit musicalement ou visuellement. Une débauche de danseurs, d’écrans, de lumières, de projections, de jeux scéniques pour nous en mettre plein la vue, sans pour autant trahir l’essence du propos artistique d’origine.
La tournée récolte de très bonnes critiques dans les médias. Il souffle comme un air de retour en grâce. Je suis si heureux de voir qu’avec cette tournée Madonna nous montre qu’elle n’a pas dit son dernier mot, et qu’elle nous met tous d’accord.
Ce spectacle est du meilleur niveau « madonnesque », dans le top 5 des 12 tournées de sa carrière.
Un show de près de plus de deux heures, mené tambour battant malgré ses 65 ans, malgré les problèmes de santé de cet été et sa protection au genou signe d’une fragilité toujours présente de ce côté-là.
C’est un magnifique doigt d’honneur à ceux qui ont voulu la croire finie.
Madonna est une force de la nature. Ou, du moins, l’illusion est là.
Dans tous les cas, elle essaie comme toujours de donner le meilleur, tout en commençant à accepter de nous montrer que le temps passe sur son corps et son visage.
Au-delà de sa musique, de son image et de son soutien LGBT, ce qui m’émeut le plus chez elle ça a toujours été sa volonté de fer qui déplace des montagnes.
Sa façon de dire merde à ses détracteurs, de toujours trouver la force de s’accrocher et d’avancer, malgré l’âge, les problèmes et les critiques.
Dans sa chanson « Justify my love » elle chuchote « Poor is the man that pleasures depends by the permission of another ».
Et ça, quand on est gay, et que pendant près de dix ans on s’est fait harceler à l’école à a cause de ça, quand on a cru qu’être différent c’était mal parce que les autres ne sont pas assez intelligents pour l’accepter, ça parle, ça parle, ça parle.
Madonna m’a d’abord appris à croire en moi et en ce que je fais, et à ne jamais cesser d’y croire. Elle m’a appris à oser et à ne jamais avoir honte d’oser. Elle m’a montré que l’action et la persévérance finissent très souvent par porter leurs fruits, et que certains finiront par le remarquer. Que le respect et la légitimité se méritent. Qu’on vit pour raconter. D’où, le titre de l’une de ses plus belles ballades, « Live to tell ».
Elle m’a également appris à rester debout malgré les années qui passent et qui nous cabossent, à regarder vers l’avenir même quand la tentation est forte de se laisser emporter par la nostalgie du passé, la crainte de l’avenir et l’aliénation du présent.
Une philosophie de vie qu’elle a fait sienne le long de toute sa carrière, mais qui avait pris une dimension particulière lors du Madame X Tour de 2019, tournée qu’elle a mené au bout malgré des souffrances physiques importantes.
Une philosophie de vie qu’elle n’a jamais laissé tomber, même pendant ces quatre années de traversée du désert. Et qui a pris toute sa dimension lors du Celebration Tour, en remontant sur scène alors qu’elle revient de loi, de très loin.
C’est cette attitude que j’ai toujours aimé chez elle et c’est ça qui me l’a chevillé au corps.
Un jour elle a dit : « The most controversial thing I ever done… is to stick around ! ».
La chose la plus controversée que j’ai jamais fait, c’est de m’accrocher.
C’est cette attitude qui l’a établie définitivement en tant qu’icone de la communauté LGBT.
Ça résume toute sa carrière.
On peut aimer ou pas l’artiste, ses chansons, son image, la star, ses caprices. Mais il est un fait incontestable. Sa volonté, sa persévérance et sa résilience imposent le respect.
Voilà ce qu’elle représente pour moi.
Voilà ce que j’aime chez elle.
Voilà pourquoi son attitude m’inspire beaucoup.
A Amsterdam elle était radieuse et magnifique.
Oui, cette femme est un phénix. Et je l’aime plus que jamais.
Jamais un concert de Madonna n’a autant fait sens pour moi.
C’est peut-être la dernière fois que je l’aurai vue en spectacle, en vrai, et de si près.
Dans l’attente de la future captation officielle, qui sera encore ultra travaillée, avec des plans qui ne dureront que des fractions de seconde, où tout sera mis en œuvre pour continuer à dessiner le mythe en effaçant ce naturel qui fait toute la valeur ajoutée de ces spectacles, je ne me lasse pas de regarder les nombreuses captations de fans des différentes dates.
Car ces images tournées avec amour, ou l’on voit à la fois Madonna et Veronica, sont les plus précieuses qui soient.
Merci d’exister, Madonna, et à la prochaine !
CELEBRATION TOUR 2023
Le contexte depuis l’époque Madame X (2019-2020).
Malgré un dernier album plutôt original et bien réalisé, l’époque « Madame X » (2019) a été caractérisée par un retour en demi-teinte, entre looks peu convaincants, prestations télévisées ratées et critiques et tous azimuts – sur son physique, sur son visage, sur son âge, sur ses capacités artistiques, sa « hasbeenisation » – sur les réseaux sociaux et dans les médias. Madonna vieillit, et on ne le lui pardonne pas. D’ailleurs, elle-même semble ne pas l’accepter.
L’album s’est peu vendu, mais les tickets pour la tournée des théâtres, organisée sous la forme de mini-résidences dans plusieurs villes américaines et européennes, se sont écoulés en un claquement de doigts.
Mais le Madame X Tour ne s’est pas passé comme prévu. Il s’est en effet avéré être la tournée la plus difficile de Madonna, des problèmes de santé ayant entrainé des annulations tardives de plusieurs spectacles.
Après la fin du Madame X Tour, l’actualité de Madonna a été quelque peu chaotique. D’abord, il y a eu des longs mois de soins et de rééducation pour tenter de soigner ses problèmes articulaires. Puis, une longue, très longue, interminable traversée du désert, caractérisée par de nombreux posts Instagram aux propos douteux, aux images souvent de mauvais goût, aux provocations à deux balles. Une période ponctuée par quelques prestations live sans queue ni tête, par quelques collaborations musicales à oublier, ainsi que par la désastreuse tentative de remise au goût du jour de certains de ses titres iconiques avec des artistes à la mode, tentative se traduisant en autant de désastres.
Certes, de nos jours, il faut être présent sur les réseaux et avoir une actu régulière pour exister et ne pas tomber dans l’oubli. Et oui, le dicton « en bien ou en mal, pourvu qu’on en parle » est toujours l’une des bases du marketing. Mais tout cela est indigne de la légende vivante qu’elle est.
Fournissant ainsi à ses détracteurs d’innombrables bâtons pour se faire battre, elle n’a pas été épargnée par les coups, certains bas à souhait. Elle a tout pris, sur son âge, son apparence, sa mollesse, sa voix, sa chirurgie plastique, son cul, ses fringues, son maquillage, ses bijoux, ses lèvres, ses yeux, j’en passe et des meilleures.
Plus elle était moquée et insultée, plus elle se vautrait dans une provocation de plus en plus trash. Et plus elle se faisait descendre. En quelques années, elle est devenue la risée de la presse et du grand public. Elle a été bannie des télés, des radios, et des playlists.
Même les fans de la première heure doutaient qu’elle puisse un jour se relever du pétrin où elle s’était embourbée. D’autant plus que Madame X était le dernier album prévu par son contrat d’artiste.
Puis fin 2022, la tournée est annoncée. Une tournée mondiale, dans des arénas. Une tournée sans album à promouvoir, pour célébrer ses 40 ans de carrière.
On n’y croyait plus. On est heureux, mais on se demande si elle va pouvoir assurer.
Janvier 2023, les tickets sont mis en vente. Quarante dates sont annoncées au départ, mais au vu de l’engouement, elles deviennent vite 80. J’arrive à avoir des tickets pour Amsterdam pour le 1er décembre. Un pour moi, un pour Elodie, et l’un pour Lucie, elle va avoir 21 ans déjà, jolie fille à qui sa maman a inculqué les bases du goût musical, elle a été biberonnée à grands coups de tubes de Madonna. Et un pour le garçon qui devait m’accompagner.
Le début de la tournée est prévu pour le 15 juillet à Vancouver.
Les mois passent, les premières photos des répétitions filtrent sur Internet. L’été arrivé. L’impatience monte en flèche en ces derniers jours de juin à l’approche de la première date de la tournée. Je suis très impatient de voir les premières images du spectacle sur Internet, si elle ne nous fait pas à nouveau le sketch de nous kidnapper les portables à l’entrée comme lors du Madame X Tour.
Puis, le samedi 24 juin 2023 c’est la douche froide. Guy Oseary, le manager de Madonna annonce par un court communiqué sur Instagram que la star est hospitalisée en soins intensifs suite à une « attaque bactérienne sérieuse ».
A côté de cette version officielle, d’autres infos circulent sur la toile. Elle aurait été trouvée inconsciente chez elle et elle aurait été réanimée de justesse. En cause, le surmenage lié à la préparation de la tournée, définie comme étant « très ambitieuse » par des voix bien renseignées. Ah, non, non, non ! Pourvu qu’elle ne nous fasse pas une « Michael Jackson », qu’elle ne range pas l’arme à gauche en préparant un retour au-dessus de ses forces ! Je préfèrerais encore que tout soit annulé plutôt qu’elle mette en danger sa vie. Aucune tournée ne mérite autant de dévouement. Mourir sur scène, ce n’est pas une bonne idée !
Pendant deux longues semaines, aucune autre info ne filtre sur son état de santé.
Enfin, le 9 juillet, une photo fait surface sur la toile. On la voir debout, en pleine rue, avec un grand chapeau. Le lendemain, elle se fend d’un long post de remerciements pour tous ce qui se sont inquiétés pour sa santé. Pour elle.
Bien évidemment, elle a besoin de temps pour récupérer. Toute la première partie du tour, les dates en Amérique du Nord, est reportée à début 2024. Le Celebration Tour débutera désormais à Londres le 14 octobre 2023.
Toutes les autres dates européennes sont maintenues, je suis rassuré. Un peu, mais pas totalement. Pourvu que la tournée ne soit pas à nouveau marquée par des soucis de santé. Pourvu qu’elle ne se mette pas en danger !
Hommages à Madonna.
Un Megamix audio vidéo de grande qualité qui offre un vaste panoramique de l’étendue et de la richesse de la carrière de Madonna. Ça donne le vertige de voir toutes ces images, le travail produit, le temps qui passe. Never forget.
Madonna Rusical
Un hommage tout en humour et bienveillance.
GLEE S01E15 La puissance de Madonna
SUE:
Madonna. En prononçant simplement ce nom à haute voix, je me sens puissante. Désolé, Angie Jolie, Catherine La Grande, Madonna est la plus grande femme qui n’a jamais marché sur cette terre. Madonna est une légende. Madonna est la force, l’indépendance. Personne n’est comme la material girl.
Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit quand vous voyez ce nom ? Génie. Icône. Gloire. MILF.
Donc, nous sommes tous conscient de la signification culturelle de la musique de Madonna. Culturellement, elle transcende sa musique, parce que généralement, les textes de ses chansons portent sur le fait d’être fort, indépendant, confiant, sans différence de sexe. Mais plus que tout, le message de Madonna est porté sur l’égalité. Prendre le contrôle de soi même et de son corps.
Express Yourself
Tu mérites le meilleur de la vie/You deserve the best in life
Donc si le moment n’est pas venu, alors passe à autre chose/So if the time isn’t right, then move on
Le deuxième meilleur n’est jamais suffisant/Second best is never enough
Tu feras beaucoup mieux, bébé, tout seul/You’ll do much better, baby, on your own
Ne opte pas pour un pis-aller, bébé/Don’t go for second best, baby
(…)
Exprimez-vous/Express yourself
Tu dois le faire/You’ve got to make him
S’exprimer/Express himself
(…)
Respecte-toi, hé, hé/Respect yourself, hey, hey
(…)
Exprimez-vous/Express yourself
Podcasts :
https://www.radiofrance.fr/personnes/madonna
Billboard Femme de l’année 2016.
« D’abord, merci d’avoir reconnu ma capacité à mener ma carrière pendant 34 ans, face à une misogynie flagrante, le sexisme, des brimades constantes, et des abus incessants.
Lorsque j’ai débarqué à New York, j’étais une adolescente. C’était en 1979, et New York était un lieu très effrayant. La première année, j’ai été menacée avec une arme, violée sur un toit avec un couteau sous la gorge, et mon appartement a été cambriolé tellement de fois que j’ai fini par arrêter de verrouiller la porte.
Au cours des années qui ont suivi, j’ai perdu presque tous mes amis à cause du SIDA, de la drogue, des balles d’arme à feu.
Vous pouvez imaginer que tous ces évènements inattendus m’ont non seulement aidée à devenir la femme audacieuse qui se tient devant vous, mais cela m’a également rappelé que je suis vulnérable et que dans la vie il n’y a pas de véritable sécurité, mis à part la confiance en moi et la compréhension que je ne suis pas propriétaire de mes talents, que je ne suis pas propriétaire de rien, que tout ce que je possède est un don de Dieu. Et que tout ce qui m’est arrivé, c’est arrivé pour me donner de leçons et me rendre plus forte.
Lorsqu’on m’a annoncé qu’on me remettrait un prix pour avoir été « la femme de l’année dans la musique », je me suis demandé que puis-je dire sur le fait d’être une femme dans le monde de la musique. Quand j’ai commencé à écrire des chansons, je ne pensais pas au féminisme, je voulais juste être une artiste. J’ai bien sûr été inspirées par des femmes comme Debbie Harry, Chrissy Hind, ou Aretha Franklin. Mais ma vraie muse était David Bowie, il incarnait l’esprit à la fois masculin et féminin et cela me convenait très bien. Il m’a laissé imaginer qu’il n’y avait pas de règles, que je pouvais faire ce que je voulais.
Mais j’avais tort de penser cela. Il n’y a pas de règles, si tu es un garçon. Si tu es une fille, tu dois jouer le jeu. C’est quoi ce jeu ? Vous avez le droit d’être jolie, mignonne, et sexy. Mais n’agissez pas trop intelligemment, n’ayez pas d’opinion, n’ayez surtout pas d’opinion qui ne correspond pas au status quo. Lorsque je suis devenue célèbre, il y avait des photos de nues de moi dans Playboy et Penthouse, elles étaient issues d’écoles d’art pour lesquelles je posais à l’époque pour gagner de l’argent. Elles n’étaient pas très sexy, en fait j’ai l’air assez ennuyée, car je l’étais. On s’attendait à ce que j’aie honte quand ces photos sont sorties, et je n’avais pas honte. Mauvaise réponse !
Vous êtes autorisée à être « objectifiée » par les hommes, et habillée come une pute, mais, surtout, ne partagez pas vos propres fantasmes sexuels avec le monde. Soyez ce que les hommes veulent que vous soyez, mais plus important encore, soyez ce que les femmes veulent que vous soyez pour qu’elles se sentent à l’aise avec vous.
Et enfin, ne vieillissez pas. Parce que vieillir est un péché. Et lorsque cela arrivera, vous serez critiquées, vous serez vilipendées. Et vous ne serez plus jamais diffusée à la radio.
Les gens disent que je suis quelqu’un de très controversé. Mais je pense que la chose la plus controversée que j’ai jamais faite, c’est de m’accrocher.
Ce que j’aimerais dire à toutes les femmes ici aujourd’hui, c’est que les femmes ont été tellement opprimées, pendant si longtemps, qu’elles ont fini par croire que pour se sentir accomplies, elles doivent soutenir un homme. Car il n’y a que de très bons hommes qui valent la peine d’être soutenus.
En tant que femmes, nous devons commencer à apprécier notre propre valeur. Nous devons aller vers des femmes fortes avec lesquelles se lier d’amitié et collaborer, des femmes qui nous apprennent des choses, qui nous inspirent, qui nous soutiennent, qui nous éclairent.
Pour moi, le plus important ce n’est pas de recevoir ce prix pour recevoir ce prix. Le plus important à mes yeux, c’est plutôt l’opportunité qui m’est donnée de me tenir devant vous et vous dire merci en tant que femme, en tant qu’artiste, en tant qu’être humain. Non seulement aux personnes qui m’ont aimée et soutenue tout au long de mon chemin. Tant d’entre-elles sont assises devant moi en ce moment, et vous n’avez pas idée d’à quel point cela compte pour moi.
Madonna est émue, elle marque une pause, les applaudissements l’encouragent et la soutiennent.
Je veux également remercier les sceptiques, les opposants, tous ceux qui m’ont fait la misère, qui m’ont fait vivre l’enfer, ceux qui ont dit que je ne le pouvais pas, que je ne le ferais pas, que je ne devais pas le faire. Votre résistance m’a rendue plus forte. Vous avez fait de moi la combattante que je suis aujourd’hui. Vous avez fait de moi la femme que je suis aujourd’hui.
Alors, merci.
Commentaires
Virginie-aux-accents
11/05/2024 23:52
Quand j’étais ado dans les années 80 (et oui, je suis vieille), j’avais des badges avec son portrait. Son militantisme ne m’avait pas frappée mais sa puissance et son charisme étaient une évidence pour moi. Oui c’est une icône, comme Jackson (j’avais un billet pour son retour à Londres) et elle peut encore nous surprendre. Merci pour ce bel hommage.
Hier matin, Ewan est parti tôt au boulot. Il a eu la délicatesse et de nous laisser nous dire au revoir, seul à seul, Jérém et moi.
Les adieux ont été durs à Bellbrae. Les mots avaient du mal à sortir. Nous sommes restés longtemps dans les bras l’un de l’autre. Nos larmes silencieuses se sont mélangées les unes aux autres.
Puis, Jérém est parti vers Bells Beach. Et moi, je suis parti vers Melbourne. J’ai rendu la voiture, j’ai pris un taxi pour l’aéroport, j’ai fait le check-in, j’ai passé la douane. J’étais comme un zombie, j’avançais à marche forcée, j’avançais malgré moi. Une partie de moi a espéré qu’il y aurait un problème avec mes papiers, ou avec mon ticket d’avion, ou avec mon bagage. J’ai espéré que quelque chose m’empêche de partir. Lors d’un long voyage, on redoute toujours l’imprévu, le grain de sable dans le rouage qui ferait tout foirer. Moi, je l’ai souhaité. Mais tout s’est passé comme une lettre à la poste.
Depuis que j’ai quitté Bellbrae, je ressens une oppression de l’esprit et du corps, j’ai l’impression d’avoir la tête emplie de brouillard, le ventre lesté par un bloc de fonte. J’ai du mal à respirer. Je cumule le décalage horaire et le manque de sommeil. Je sais qu’une fois revenu chez moi, je serai HS.
Je sais qu’une fois revenu chez moi, Jérém va me manquer à en crever. Je sais qu’il va me falloir des semaines, des mois, peut être des années pour me remettre de toutes ces émotions. Une nouvelle longue période de deuil sentimental se profile dans mon horizon.
Et là, pendant cet interminable voyage de retour, je fais le triste décompte du temps et de l’espace qui me sépare chaque instant un peu plus de l’amour de ma vie. Je ne réalise toujours pas, et en même temps très bien, que c’est peut-être la dernière fois que je vois Jérém. Je suis comme sonné.
Par moments, je me demande si finalement j’ai fait le bon choix d’aller à sa rencontre. Mais au fond de moi, je sais que ce choix n’a été ni bon, ni mauvais. Il était juste inéluctable. Pour qu’il ne le soit pas, je n’aurais pas dû appeler Maxime. Je n’aurais pas dû aller passer le dernier réveillon à Campan pour questionner Charlène. Je n’aurais pas dû aller fouiller dans le passé. Avant que j’ouvre la boîte de Pandore, tout se passait si bien dans ma vie. Mon présent avait la couleur intense et pétillante d’un blouson bleu, il avait le regard doux et touchant du garçon qui le portait le jour de notre rencontre. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher.
Je sais que s’il y a une personne qui peut m’aider à me remettre de tout ça, c’est bien Anthony. L’idée de le retrouver est l’une des seules auxquelles je peux m’accrocher pour ne pas sombrer. La simple idée de sa présence dans ma vie, même à 10000 bornes de Toulouse, suffit à me faire me sentir mieux.
Mais est-ce qu’il m’a attendu, comme il me l’avait promis lorsque je lui avais annoncé mon départ pour l’Australie ? Je le souhaite, de toutes mes forces.
Mais est-ce que je le mérite ?
J’ai peur de renouer le contact, j’ai peur de son regard, de ses mots, de ses intentions. J’ai peur de l’avoir perdu. Une partie de moi se demande si c’est vraiment honnête de ma part d’essayer de rattraper le coup, après ce que je lui ai fait endurer. Je me dis que ce serait pénible pour Anthony de revoir ma gueule, et que le silence serait peut-être la meilleure option, celle qui lui permettrait de passer à autre chose et de m’oublier.
Une option, une esquive à la Jérém, en somme, à la Jérém d’il y a quelques années encore. Parce que le Jérém d’aujourd’hui, il a enfin appris à assumer ses choix. Le Jérém d’aujourd’hui, c’est un sacré bonhomme.
Alors, je choisis de l’être aussi. Dès que je serai chez moi, je vais appeler Anthony, et je vais assumer les conséquences de mes actes.
Martres Tolosane, le dimanche 1er avril 2018.
A mon retour d’Australie, ma cousine Elodie est là pour m’accueillir. J’avais besoin d’un sas de décompression entre « Là-bas » et « Ici ». Et elle est parfaite dans ce rôle. Elle sait écouter, apaiser, consoler. Et surtout ne pas juger.
Lucie arrive en début de soirée, de retour d’un après-midi en ville avec ses copines. Elle va sur ses seize ans, comme le temps file vite !
Elle me questionne sur mon voyage à l’autre bout de la planète. Elle m’appelle « Tonton » avec un naturel et un entrain touchants. C’est une marque d’affection, et je la reçois comme telle. Mais elle est aussi la marque du temps qui passe et qui me fait avancer dans l’âge. Être tonton, cela oblige à se resituer dans la vie.
Mais cette soirée est aussi l’occasion des retrouvailles avec Galaak, mon chien d’amour qu’Elodie a gardé en mon absence. Ces retrouvailles me tardaient ! Il me tardait de retrouver son regard plein d’amour, son poil doux, son envie de jouer. Son amour inconditionnel.
Je me suis royalement planté. Je m’attendais à ce qu’il me fasse la fête, il me fait la tête. Je constate que trois semaines de séparation ont laissé des traces. C’est certainement sa façon de me montrer que je lui ai manqué. Toujours est-il que ce soir je ne retrouve pas le Galaak affectueux et joueur que j’attendais.
Son « mauvais poil » dure pendant tout le voyage vers Martres. Il continue le lendemain, et même le surlendemain. Mes câlins, il ne les refuse pas, mais il affiche une indifférence certaine à leur égard. Lorsque je l’appelle pour jouer, j’ai droit à des regards pleins de dédain. Je pense qu’en partant aussi longtemps, je l’ai blessé.
Ce n’est qu’au troisième soir que je retrouve The Galaak. Alors que je suis sur le canapé, saisi par un bon coup de blues, la labranoir vient se coller lourdement contre ma jambe. Il sent que je ne vais pas bien et il vient chercher le contact. Il vient réclamer le câlin, il vient m’offrir du réconfort.
Toutes les larmes que j’ai retenues pendant les voyages en avion qui m’ont ramené en France, celles que je n’ai paslaissé couler depuis que je suis rentré, refusant inconsciemment d’admettre qu’il y a à nouveau vingt mille bornes entre Jérém et moi, toutes ces larmes qui pèsent sur mon cœur rompent enfin le barrage de ma pudeur et de mon déni. Les vannes s’ouvrent, je pleure par flots incessants. Je m’assois au sol, et Galaak vient se blottir dans mes bras. Sa présence est essentielle pour amortir le véritable choc de mon atterrissage.
Avril 2018.
Après mon rabibochage avec Galaak, après avoir vidé mon cœur de toutes ses larmes, je me suis senti assez « fort » pour reprendre contact avec le garçon au blouson bleu. Ça n’a pas été facile de franchir le pas. Lorsque son visage est apparu sur l’écran, j’ai tout de suite compris que, comme je m’y attendais, mon voyage en Australie l’avait beaucoup affecté lui aussi. Son regard était grave, son attitude distante, détachée. Je me suis dit que ce serait autrement plus difficile de rattraper le coup qu’avec Galaak.
Ça n’a pas été facile de lui parler de mon voyage à l’autre bout de la planète, de lui expliquer ma relation actuelle avec Jérém, mes sentiments à son égard. J’ai essayé d’être le plus sincère possible. Anthony m’a laissé parler, il n’a pas fait de scène. Il ne m’a même pas demandé s’il s’est passé quelque chose entre Jérém et moi. Il a voulu tout simplement savoir si j’avais trouvé la réponse à mes questions. Je lui ai répondu que c’était le cas.
Tu n’auras plus besoin de retourner en Australie ? il m’avait questionné.
Je crois bien que non.
Ne pars plus jamais aussi loin de moi, Nico !
Je sais que ce « loin » n’implique pas qu’une distance géographique.
Je te le promets.
Je crois qu’Anthony a été sensible à ma franchise. Au fil des appels visio, je retrouve sa présence, sa douceur, son regard plein d’amour. Nous recommençons à parler de mon futur voyage à New York. Nous recommençons à nous dire qu’il nous tarde de nous retrouver.
Mon « retour vers le futur » est amorcé.
Mi-avril 2018.
Un jour, je découvre en visio un Anthony particulièrement excité et souriant. Une belle opportunité vient de se présenter à lui, par le biais de la boîte de production pour laquelle il travaille. Un blog newyorkais vient de signer une commande pour un projet qui l’emballe tout particulièrement.
Dans ce processus, Anthony sera l’exécutant graphique. En fait, il est co-exécutant, car il travaille en étroite collaboration avec un auteur et deux autres dessinateurs. Il s’occupe de la conception du dessin de base, avant les retouches informatiques.
« Boys and the city » – c’est le nom de la rubrique web, faisant écho à une célèbre série télé des années ’90 – brosse en quelques bulles des petites histoires de mecs qui se croisent dans la Grande Pomme.
Au fil des semaines, je suis tout ça sur Internet. Ce sont très souvent des histoires de désir à sens unique, d’occasions manquées, de frustrations. Rien de plus ou de moins que le quotidien ordinaire de la plupart des garçons et des hommes qui aiment les garçons. Dans ces « strips », je reconnais bien la patte d’Anthony, la précision du trait et la tendresse dégagée de ses dessins « cachés », ceux qu’il m’avait montrés le dernier soir avant son départ pour New York.
Parmi les publications, j’ai été particulièrement touché par « Orange boy », récit d’une rencontre fugace dans un métro bondé entre un fan de Lady Gaga et un garçon au parfum d’orange. Mais aussi par « Waiter boy », le récit d’un homme foudroyé par la jeunesse d’un petit serveur dont il a croisé l’existence lors d’un déjeuner dans un restaurant. Ou encore par « The apprentice », l’histoire d’un apprenti cuisinier dont la présence bouleverse la vie de son patron, un homme à l’approche de la cinquantaine.
Ces petites histoires en images sont hyper percutantes, et dégagent d’intenses émotions. En lisant les commentaires des lecteurs, je constate sans surprise que « Boys and the city » a d’excellents retours.
Finalement, tu es arrivé à ouvrir ton « jardin secret », je considère un soir, en visio.
On dirait bien…
Je suis tellement fier de toi !
Merci, Nico !
New York, mai 2018.
La première fois où j’ai atterri dans la Grande Pomme, c’était il y a trois ans, et c’était pour retrouver Madonna. J’y reviens aujourd’hui pour retrouver Anthony.
Et là, alors que le compte à rebours de nos retrouvailles touche à sa fin, pendant ces interminables dernières heures de séparation, je ne tiens plus en place. J’ai envie de le serrer dans mes bras, j’ai envie de le couvrir de bisous et de câlins. J’ai envie de sentir son amour.
Anthony a pu prendre son après-midi et m’attend sur le quai du métro. Et lorsque je le vois, je suis instantanément ému aux larmes. C’est fou à quel point ce garçon m’émeut. Son regard un peu triste, un peu timide, empli de douceur me fait fondre. Il me fait penser à celui d’un chiot, empli d’une tendresse infinie, exprimant un besoin de recevoir de l’affection tout aussi grand que celui d’en donner. Un chiot qu’on a envie de protéger, de rassurer, et de câliner.
Nous tombons dans les bras l’un de l’autre, et nous osons même un petit bisou au milieu de la foule. Nous remontons à la surface en nous tenant par la main.
A l’appart – désert à cette heure-ci, car son frère et sa femme ne rentrent qu’en fin d’après-midi – nos envies de bisous et de câlins se mélangent à nos envies de sensualité.
Je peux te faire confiance ? il me questionne, alors que je viens de lui chuchoter que j’ai envie de lui.
Je n’ai couché avec personne depuis que tu es parti de Toulouse.
Même pas en Australie ?
Non, je t’assure. Et toi non plus ?
Non plus. Je t’ai dit que je t’attendrais, et je t’ai attendu.
Merci, Anthony !
La distance, la séparation, nos inquiétudes respectives ont exacerbé le désir. Nos accolades sont sensuelles, intenses, nos gestes précipités, empressés. Nos corps, nos désirs, nos sexes se cherchent, se mélangent, se reconnaissent, se redécouvrent. C’est intense, immensément bon.
Après l’amour, Anthony affiche cet air un peu sonné qui le rend craquant. Il est tellement beau !
Après une petite sieste, le petit mec en vient à me parler de son travail. Et comme à chaque fois qu’il a abordé le sujet à l’occasion de nos échanges en visio, son enthousiasme est beau à voir. Et il l’est encore plus « en présence ».
J’ai appris tellement de choses depuis que je bosse ici ! En fait, je n’ai pas l’impression de bosser. Je suis comme un gosse dans un magasin de jouets. Il y a tellement de choses à découvrir ! J’ai envie de tout voir, de tout essayer. Je me tape des journées de dingue, mais je m’en fous. Je suis tellement bien devant mes planches et mes écrans. Je suis entouré par des mecs qui ont dix, vingt, certains trente ans de métier et qui n’ont pas peur de partager leur savoir-faire. Je ne vois pas le temps passer, je suis comme dans une bulle. Je n’aurais pas cru que je m’y plairais autant ici, il conclut, l’air rêveur.
Tu ne vas plus vouloir revenir en France, je plaisante, tout en ressentant un petit pincement au cœur à l’idée que ma boutade puisse devenir réalité.
Si, je vais revenir. Parce que tu me manques de fou !
Bonne réponse ! je plaisante, soulagé et touché.
Je suis tellement content d’être là ! je lui lance, ému.
Je suis tellement content que tu sois là, enfin. Je ne vais plus te laisser repartir !
Et là, dans l’élan de mon émotion, j’ose enfin ce que nous n’avons pas osé depuis mon retour d’Australie :
Je t’aime, Anthony !
Je t’aime, Nico !
Quel soulagement de l’entendre me le dire enfin, à nouveau !
Après quelques échanges à distance avec ses collègues, Anthony s’est arrangé pour dégager un max de temps pendant la durée de mon séjour. Avec le p’tit brun, je visite New York. Et c’est pour moi une toute nouvelle découverte.
Déjà, parce que j’ai davantage de temps qu’il y a trois ans. Aussi, parce que le fait de parcourir une ville en compagnie de quelqu’un qui connaît les lieux permet d’avoir l’esprit léger, délesté des petits tracas qui parasitent souvent les vacances, notamment en solitaire, lorsqu’on est obligé de s’occuper de toute l’organisation.
En quelques mois, Anthony s’est bien acclimaté à l’« écosystème » newyorkais. Le jeune dessinateur possède désormais une solide connaissance de la géographie de la ville, de ses transports en commun, de ses bons plans. Il sait faire la différence entre les incontournables et les « pièges à touristes », il sait où bien manger sans se ruiner. Anthony est à la fois mon GPS et mon Routard.
Mais aussi, par l’intermédiaire de son frangin, mon hôte. Grâce à Anthony, j’ai à ma disposition non seulement un logement, mais carrément un foyer chaleureux, avec un beau frère et une « belle-sœur » on ne peut plus accueillants, toujours prêts à ajouter deux assiettes à table si besoin.
Mais, par-dessus tout, ce qui rend cette nouvelle visite de New York comme une nouvelle découverte, presque une nouvelle « première fois », c’est le bonheur de partager tout cela avec Anthony.
Il y a trois ans, j’avais fait beaucoup de photos. Lors de cette nouvelle visite, je me fabrique beaucoup plus de souvenirs. Des souvenirs d’autant plus vivants qu’ils sont partagés avec Anthony, le garçon qui détient le pouvoir magique d’apaiser mes blessures, de supporter mes errances, de pardonner mes erreurs, et de me rendre heureux.
Oui, pour que les souvenirs restent vivants, il est nécessaire qu’ils soient partagés. Pour que plus tard on puisse s’adresser à l’autre et lui lancer :
Tu te souviens de cette attente interminable pour visiter la Statue de la Liberté ?
Tu te souviens du vent froid lors de la croisière nocturne autour de Manhattan et de Ellis Island ? Je me souviens quand tu m’as pris dans tes bras pour me réchauffer.
Je me souviens de comment tu étais ému devant le mémorial du 11 septembre et je me souviens quand tu as pris ma main pour sentir ma présence.
Tu te souviens de la gare ferroviaire Grand Central Terminal, de ses escaliers que nous avons descendus en revoyant dans notre tête la scène de la poussette du film « Les incorruptibles » ?
Tu te souviens de cette balade à Central Park ? Nous avons passé un super moment. (Je ne te l’ai pas dit, mais un souvenir m’a happé lorsque j’ai reconnu la façade d’un immeuble « familier ». C’est le souvenir de Justin, un sublime petit con avec qui j’ai eu une aventure il y a trois ans. Mais ta présence a très vite fait de l’ombre à ce souvenir. Car je sais que je suis tellement plus heureux aujourd’hui, avec toi, qu’il y a trois ans, avec lui).
Tu te souviens de cette comédie musicale à laquelle nous avons assisté à Broadway et de comment nous avons tous les deux été soufflés par la musique, par les couplets coupants comme des lames, par ses tableaux de danse millimétrés ?
Une chanson m’a particulièrement touché :
« Vous pouvez aimer la vie que vous vivez, vous pouvez vivre la vie que vous aimez ».
Dans le petit lit de la chambre d’amis de l’appart, nous faisons l’amour aussi souvent que nous en avons l’occasion. Nous profitons de l’absence, le jour, ou du sommeil, la nuit, des propriétaires pour nous faire du bien. Qu’est-ce que j’aime faire l’amour avec ce petit mec ! Son petit physique me rend fou, ses tétons me rendent dingue !
Je passe des journées comme autant de rêves éveillés. Je suis tellement heureux que j’en perds la notion du temps. Mais le temps n’oublie jamais de nous rattraper.
New York, mai 2018.
J’ai l’impression d’être arrivé hier, je viens tout juste de surmonter le décalage horaire, mais la fin de mon séjour arrive impitoyablement. Demain, un avion va me ramener à Toulouse. Cette semaine est passée si vite ! Je n’ai vraiment pas envie de repartir, de quitter cette ville qui a encore tant de choses à offrir, ce foyer si accueillant, ce quotidien enchanté. Et, par-dessus tout, de quitter ce garçon qui emplit de joie mon quotidien.
A l’aéroport, les « adieux » sont très durs. Tout comme moi, Anthony est triste comme les pierres.
Je vais venir cet été, il me glisse, les yeux embués de larmes.
Je vais compter les jours…
Ne m’oublie pas… il me lance, triste à me fendre le cœur.
Comment je pourrais t’oublier ? Tu es tellement adorable, je suis tellement bien avec toi !
Je le prends dans mes bras. Dans cette dernière, longue accolade, nos baisers se mélangent à nos larmes. Ses grands yeux tristes de labrador sont la dernière image que je garde de lui en passant le sas d’embarquement.
Je quitte New York le cœur en miettes. Je sais que j’ai eu une chance inouïe qu’il m’ait attendu.
Déjà, parce que je l’ai délaissé pendant mon voyage en Australie. Et puis, j’ai vu comment certains garçons le regardent dans la rue. Mon petit Anthony plaît, je ne sais même pas s’il se rend compte à quel point il plaît. Un garçon si mignon, avec son joli accent frenchie, livré à lui-même dans cette ville pleine de tentations, de regards, de désirs, peut se trouver rapidement sollicité. Je sais qu’il m’aime. Et je l’ai cru lorsqu’il m’a assuré qu’il n’avait pas été voir ailleurs. Mais d’autres mois de séparation se profilent devant nous. Et un moment de solitude, de mélancolie, de tristesse, de faiblesse peut arriver. Et ça peut être tentant de le combler avec un peu de compagnie. Et puis, tout simplement, nous sommes des garçons. Parfois, nous avons envie de nous sentir désirés, parfois nous avons tout simplement envie de sexe.
Encore, qu’il ait une aventure, s’il se protège et que je n’en sais rien, soit. Mais un danger plus grand se niche dans les rencontres possibles. Celui qu’il tombe sur un garçon qui le fasse vibrer, rêver davantage que moi. Un garçon « sur place ».
Ce garçon me rend tellement heureux. Je crois que je l’aime vraiment. A dix-mille mètres au-dessus de l’Atlantique, je prends une grande résolution. Lorsqu’il reviendra de son apprentissage à New York, où que son futur emploi l’amène, que ce soit loin de Toulouse, ou même de France, je suis prêt à le suivre. Je repense aux mots du pauvre M. Charles de Biarritz et à ses regrets de ne pas avoir suivi l’amour de sa vie sur un autre continent. Je me souviens de mon erreur avec Jérém, celui de ne pas être allé le voir en Australie des années plus tôt. Je ne ferai plus la même erreur. Je ne laisserai pas passer le Bonheur. Je suis prêt à suivre le garçon que j’aime au bout du monde.
Août 2018.
Après mon retour d’Australie, j’ai eu besoin de temps pour remettre de l’ordre dans mon cœur. Je savais que ça viendrait, mais je ne savais pas quand. J’ignorais quand j’aurais la force de me poser pour raconter le dernier chapitre de mon histoire, ce chapitre que je suis allé chercher en Australie.
Cette force, cette envie, s’est manifestée à moi quelque temps après les retrouvailles avec Anthony, à la veille de mes vacances d’été. Soudain, l’envie d’écrire s’est présentée à moi. Imposée à moi, plutôt. Soudain, j’ai eu envie de calme et de solitude pour me consacrer à cette maîtresse exigeante qui réclame une attention toute particulière.
D’emblée, j’ai pensé à Gruissan. Je me sens bien à Gruissan. J’ai plein de bons souvenirs à Gruissan. Des souvenirs des vacances avec ma cousine Elodie, de nos discussions interminables, de notre complicité parfaite. Des souvenirs de quelques garçons qui m’ont fait vibrer de désir à la plage. Des souvenirs de vacances avec Jérém, juste avant notre fabuleux voyage en Italie. Les jours heureux.
Gruissan me connaît bien. Gruissan me manque. Alors, c’est décidé, j’y retourne. Mais ce ne sera pas à l’appart des parents d’Elodie. Cette année, mes oncles ont choisi de le louer pendant la saison.
Je me suis souvenu d’un gîte en lisière du massif de la Clape sur lequel j’étais tombé une année au gré d’une balade. Je me suis souvenu du grand jardin ombragé par de grands pins parasol, de la charmante bâtisse en pierre, du chant des cigales, de cette ambiance de garrigue et de langueur estivale qui apaise l’esprit. Je me suis souvenu du nom du Gîte. J’ai appelé et, par chance, l’un des logements était vacant pendant la période de mes vacances.
Là-bas, je ne serai pas loin de Gruissan, mais je serai au calme. Je pourrai facilement me rendre à la plage pour me baigner, mais je serai loin de l’agitation du monde des vacanciers. Je serai loin des distractions. Là-bas, je pourrai passer de longues journées à avancer sur mon histoire sans être perturbé par le Masculin.
Jour 1.
Le gîte est un ancien mas reconverti en accueil touristique, une grande bâtisse en pierre jaune avec un toit en tuiles rose. Le tout posé au centre d’un grand jardin ombragé où règne un calme presque palpable, avec le concert incessant des cigales en fond sonore. Ici, le temps semble s’écouler au ralenti. Ici, on a envie de se poser et de se laisser porter. En quittant la route pour emprunter le petit chemin qui mène au mas, on a l’impression de laisser ses soucis derrière soi, d’être délesté de toutes ses tentations, de toutes ses pulsions, de tous ses regrets. Ce lieu a des allures de havre de paix hors du temps et de l’espace.
Marie-Line, la propriétaire des lieux, est une femme d’un certain âge, accueillante et avenante. Elle m’explique que j’aurai le gîte « La Clape » et que je serai tranquille car le deuxième gîte « La Plage » est occupé par Valentin, son petit-fils, qui vient de passer son bac et qui est animateur de camping à Gruissan pour se faire un peu d’argent, et qui n’est pas souvent là. Car, soit il rentre à pas d’heure, soit il découche.
Ma première rencontre avec toi, Valentin, je la fais donc à travers des mots de ta grand-mère. Et rien que ces quelques premiers éléments attisent furieusement ma curiosité à ton sujet.
Déjà, « Valentin » est un beau petit prénom de mec. « Il vient de passer son bac », ça donne une indication au sujet de l’insolence de ta jeunesse. Tu dois donc avoir 18 ou 19 ans. C’est l’âge de l’insouciance, l’âge de tous les possibles, de toutes les impertinences, de toutes les découvertes. « Animateur de camping », ça laisse imaginer un garçon exposé à d’infinis regards, un garçon désiré, convoité, sollicité. « Il rentre à pas d’heure », ça suggère un garçon qui aime faire la fête avec ses potes, un « couche-tard », « un fêtard ». Quant à la dernière indication « il découche », ça pourrait même indiquer un « petit queutard ». Il ne m’en faut pas plus pour me faire de toi l’image d’un beau petit con, possiblement bien foutu, charmant par destin et charmeur par choix délibéré. Ma curiosité piquée à vif, je suis très impatient de faire ta connaissance en vrai, p’tit Valentin.
Après m’être installé dans mon gîte, je sors faire quelques courses et je rentre pour dîner. Je lis un bouquin. Ce n’est que la nuit tombée que je me cale enfin devant mon ordinateur. Je m’installe à la table située juste à côté de ma porte d’entrée, que la chaleur de cette chaude soirée m’impose de laisser ouverte.
Le chant incessant des cigales se mêle au tapotement discret des touches de mon clavier et au très léger ronronnement du refroidissement de mon ordinateur, doux accompagnement de mes heures d’introspection et d’évasion dans le monde de mes souvenirs et de mes plus belles années.
Et très vite, tu « disparais » de ma mémoire, p’tit Valetin. Car, si je te fantasme déjà, je ne te connais pas encore. De ce fait, ta présence n’a pas encore marqué mon esprit de façon indélébile comme une image aurait impressionné la pellicule d’un appareil argentique.
Mais tu ne vas pas tarder à faire ton apparition dans ma vie. Une entrée marquante, fracassante même.
Il est environ deux heures du matin lorsque ton arrivée m’est annoncée par le bruit d’un moteur de voiture, d’un claquement de porte dans l’allée de la maison, puis par le crissement de baskets sur les gravillons de la cour. C’est un pas rapide, cadencé, lourd. Pas de doute, c’est un pas de jeune mec.
Je détourne le regard de mon écran pour le glisser dans l’embrasure de ma porte d’entrée. Et là, je vois une silhouette avancer rapidement dans la cour et approcher du mas. Et lorsque tu sors de la pénombre, lorsque tu arrives dans le champ d’action des lumières du jardin, j’ai envie de hurler de toutes mes forces :
« Oh, p-u-t-a-i-n, Valentin, mais qu’est-ce que tu es beaaaaaaaauuuuuuuuuu ! ».
Tu n’es ni petit ni très grand, je dirais un mètre soixante-dix environ. Tu arbores une belle petite gueule aux traits à la fois quelque peu enfantins et déjà masculins, un brushing de bogoss – les cheveux bruns coupés à blanc autour de la tête, insolemment plus longs au-dessus, coiffés de façon instable vers l’avant, t’obligeant à les rajuster régulièrement avec ta main, geste que tu fais en traversant le jardin – l’ensemble te donnant un air canaille à craquer !
Et puis, il y a la tenue. Ce soir, tu portes un t-shirt assez ajusté pour mettre en valeur ton torse élancé, tes pecs déjà bien dessinés, pour coller à tes biceps. Le t-shirt est noir comme pour bien insister sur ta brunitude. Tu portes également un short en jeans avec les lisières plus claires, des baskets blanches, et un sac à dos rouge sur les épaules. Une tenue très « p’tit mâle sexy ».
Je ne peux m’empêcher de me demander si tu rentres directement du taf ou bien si tu as passé du temps avec tes potes. Est-ce que tu étais avec une nana ?
Et, pour achever le tableau, il y a l’attitude. Tu traverses le jardin d’un pas assuré et nonchalant, et d’emblée je me prends à imaginer que cela puisse refléter ta façon de traverser ta jeunesse, en profitant des meilleures années de ta vie sans trop te poser des questions, en regardant tout droit devant toi, sans remords, sans regrets. Avec le sentiment que rien ne peut te résister, rien ne peut t’atteindre. L’air de te sentir tout puissant, invincible, et immortel. C’est beau l’insouciance. Je crois que cela est même l’une des définitions de la jeunesse.
Ta présence tout entière dégage une telle impertinence que ça en donne le tournis. Ton allure me fait immédiatement te caser dans la catégorie de bogoss que j’appelle « le parfait p’tit con à la fraîcheur bouleversante ». C’est fou comme tu me fais penser à Jérém, lorsqu’il avait ton âge.
Tu approches de la bâtisse, et de moi, et mon regard est toujours rivé sur toi. Comment pourrait-il en être autrement ? Le mélange de beauté et de jeunesse est une drogue dure et violente, elle crée une addiction instantanée. J’ai désormais besoin de m’abreuver de ta présence, sans discontinuer.
Tu m’aperçois enfin, nos regards se croisent. Ça ne dure qu’une fraction de seconde, le temps que je réalise à quel point le mien puisse sembler déplacé. Mais dans le reflet du tien, j’ai le temps de percevoir une certaine douceur, pourtant mélangée à une insolence certaine. J’ai le temps de percevoir l’esquisse d’un petit sourire qui m’apporte un frisson inouï.
Bonsoir, tu me lances, sur un ton anodin, sans doute par politesse vis-à-vis d’un client de ta grand-mère. Ta voix est douce, mais déjà virile.
Bonsoir, je te salue, définitivement chamboulé par ton arrivée.
Comme une comète, ta trajectoire t’amène à t’approcher de moi, à environ deux mètres, puis à l t’éloigner à nouveau, tout droit vers ton logement situé juste à côté du mien.
Contact fugace, mais intriguant. Je n’en ai pas assez, j’ai envie de te regarder encore et encore, mais de plus près, de m’imprégner de ta beauté, de ta jeune mais déjà affolante virilité. Mais tu ne t’arrêtes pas. De toute façon, tu n’as aucune raison de t’arrêter. Tu ne me connais pas, je ne suis qu’un « type » de passage, et pas non plus du genre causant ou avenant, et surtout pas du genre à avoir le culot et le moyen de faire la conversation à un beau garçon comme toi. Même pas pour lui demander s’il a pleine conscience de sa beauté bouleversante.
Mais alors que je m’attends à t’entendre rentrer dans ton logement, j’entends le bruit du sac qui rencontre le sol sans trop d’égard, puis celui du frottement de la pierre d’un briquet. Tu fumes, petit mec. Je tends l’oreille et j’entends le bruit léger de tes expirations. Des volutes de fumée passent devant l’embrasure de ma porte, et l’odeur de la cigarette arrive jusqu’à mes narines. Je crève d’envie de sortir, de poser une nouvelle fois mon regard sur toi, de te mater en train de fumer. Je suis certain que la cigarette doit te rendre encore plus sexy.
Mais je n’ose pas. Mes jambes n’obéissent pas à mon désir. Les secondes passent, une minute, deux minutes. Je t’entends pousser une expiration un peu plus appuyée que les autres, que je devine être la dernière. Je t’entends bouger, ramasser ton sac à dos. J’entends le bruit de la porte qui s’ouvre, qui se referme derrière toi, accompagné d’un petit grincement des gonds qui, je l’ignore encore à cet instant, va vite devenir la signature sonore de l’achèvement de ces nuits d’été.
Je tombe de fatigue, et je sais pertinemment que je n’ai plus rien à attendre de cette nuit chaude. Je sauvegarde mon fichier, je ferme mon ordinateur et la porte de mon gîte. Je me glisse dans mon lit, j’éteins la lumière. Et dans le noir, je me branle en pensant à toi, beau Valentin, juste de l’autre côté de la cloison. Je me branle, mon excitation décuplée par les bruits venant de « ton côté », qui me parlent de ta présence. Celui de la douche, sous laquelle tu restes un bon petit moment, celui des sons des notifications de ton téléphone qui m’intriguent un peu plus à chaque fois.
Et je jouis en pensant à toi, beau jeune mâle de près de vingt ans mon cadet, et néanmoins capable, en une poignée de secondes, d’éveiller en moi un désir brûlant.
Juste avant de m’endormir, une chanson résonne dans ma tête :
Il venait d’avoir 18 ans
Il était beau comme un enfant
Fort comme un homme
Je suis venu ici chercher de la tranquillité pour l’esprit. Mais je sais déjà que c’est foutu. Car ta présence va me hanter pendant tout mon séjour.
Anthony n’a pas pu venir en France pendant l’été comme prévu. Son travail l’en a empêché.
Pendant ces longs mois de séparation, j’ai été occupé. J’ai passé mes vacances et mes congés à écrire. Le récit de mon histoire avec Jérém enfin terminé avec le chapitre consacré à mon voyage en Australie, j’ai senti qu’une page se tournait dans ma vie. Et que la nouvelle page qui s’offrait à moi était emplie par le bonheur que m’apportait un garçon au blouson bleu.
Et pourtant, je n’ai pas tardé à réaliser que dans cette nouvelle page, il y avait comme un vide.
Depuis près de dix ans, l’écriture m’a permis de me trouver moi-même, elle m’a appris à me connaître. Elle a été mon amie fidèle, ma confidente, mon pansement, l’instrument de ma rééducation sentimentale.
Et je crois bien qu’au fil du temps, elle est devenue bien plus que ça. L’écriture a été pour moi un clair exemple de sérendipité. Une découverte qui s’est avérée fructueuse bien au-delà de l’objectif visé au départ. En cherchant à essuyer mes larmes, j’ai trouvé une source de joie.
Alors, après avoir mis le mot fin à mon histoire, cette source de joie m’a très vite manqué. Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû y revenir.
Je ne suis pas allé très loin pour chercher mon inspiration. J’ai repris les centaines de pages consacrées à « Jérém&Nico » et j’ai commencé à les trier et à les structurer. Ce long journal intime, qui au départ n’était destiné qu’à moi-même – sorte de « Pensine » de Dumbledore dans laquelle déposer mes souvenirs pour ne pas les oublier, ma nostalgie et ma solitude pour m’en délester – a peu à peu pris une autre direction.
C’est à l’automne 2018 que le projet « Julien & Nathan » a commencé à prendre forme dans ma tête.
« Julien & Nathan » est l’histoire de deux camarades de lycée qui deviennent amants à la veille du BAC et dont la relation se poursuit pendant de nombreuses années jusqu’à leur séparation.
Je suis curieux de voir où est-ce que cette nouvelle aventure narrative va me conduire.
Martres Tolosane, le mardi 16 octobre 2018.
Aujourd’hui, Jérém a 37 ans.
J’ai très envie de l’appeler. Mais j’y renonce. Le décalage horaire, ainsi que la présence d’un garçon dans sa vie, tout cela rend délicate la tâche de trouver le moment opportun pour envisager un coup de fil. Et puis, je crois que malgré tout, entendre la voix de Jérém venant de vingt mille bornes de distance ce serait trop dur pour moi. Je me contente de lui envoyer un message.
« Bon anniversaire, Jérém ».
Sa réponse ne tarde pas à arriver. Elle aussi, par message. Le décalage horaire, j’imagine, et tout le reste, pour lui aussi…
« Merci, Nico ».
Et puis le silence, à nouveau.
Launaguet, le lundi 31 décembre 2018.
Anthony est revenu pour les fêtes de fin d’année. Il est venu avec son frère et sa belle-sœur. Nos retrouvailles ont été pleines d’émotion, de larmes, de bonheur.
Ce soir, toute la famille d’Anthony est réunie pour le réveillon dans la maison de Launaguet. Ses parents, que je rencontre pour la première fois, se montrent aux petits soins pour moi. Ce soir, je me sens bien. C’est tellement bon de se sentir accepté. C’est tellement bon de voir que, malgré la distance, « Anthony&Nico » est une histoire qui roule. Une nouvelle histoire à l’affiche de ma vie.
Et pourtant, à l’approche de minuit, une pensée m’échappe, et je n’arrive pas à la rattraper. Elle s’envole de moi, se perd dans le ciel, dans le temps et dans l’espace. Elle s’envole à l’autre bout de la planète. Dans quelques minutes, l’année 2018 va se terminer. Elle a été l’année de mes retrouvailles avec Jérém. Et elle a certainement été aussi celle de nos adieux.
Mais ce soir, entouré par l’amour d’Anthony et par la bienveillance de sa famille, je me sens fort, je me sens bien. Je me sens en bonne voie de guérison. Ça viendra, j’en suis convaincu.
La vie est belle.
L’année 2019.
Anthony a attendu le lendemain du Jour de l’An pour m’annoncer que « Boys and the city » a été renouvelé pour une année supplémentaire et qu’on lui a proposé de rester travailler à New York sur ce projet jusqu’à la fin de l’année. Je suis triste de le voir repartir pour plusieurs mois. Mais je suis heureux pour lui, heureux de sa réussite, de son bonheur. Je prends sur moi, et je l’encourage à poursuivre son rêve.
En ce tout début d’année, je me sens enfin prêt à partager mon histoire avec lui. Une nuit, je condense près de dix ans d’écriture dans un texte de dix pages, « De la cour du lycée de Toulouse à la plage de Bells Beach », que je lui envoie par mail lorsqu’il est dans les airs au-dessus de l’Atlantique.
Deux jours plus tard, je reçois deux dessins. Sur l’un, un garçon en t-shirt noir et casquette à l’envers est en train de discuter avec des potes sous un arbre, alors qu’un autre garçon se tenant à l’écart le regarde, visiblement aimanté par sa présence. Sur le second, deux hommes sont assis côte à côte sur la plage et semblent regarder l’horizon, tout en semblant nostalgiques.
Martres Tolosane, le mardi 12 mars 2019.
Il y a un an, j’étais à Bells Beach avec Jérém.
Je n’ai pas de ses nouvelles depuis, à part mes vœux pour son anniversaire, et je crois bien que je n’en aurai plus jamais.
La vie continue, à chacun la sienne.
J’espère qu’Ewan sera là pour lui pendant longtemps. J’espère qu’il est et qu’il sera heureux avec Ewan, je l’espère, de tout mon cœur.
Je ressens un certain apaisement en regardant le passé devenir enfin le passé.
Martres Tolosane, le vendredi 4 juin 2019.
Après la sortie officielle de nombreux titres sur les plateformes officielles, le nouvel album « Madame X » est enfin livré. Un nouvel album de Madonna est un événement pour le fan que je suis, d’autant plus qu’il sort 4 ans après le précèdent, et qu’il est le dernier prévu au contrat avec sa maison de disque. A 61 ans désormais, on est en droit de se demander s’il y aura un autre contrat et un autre album, un jour.
Je dévore les quelques titres encore inédits et je me laisse porter par la très belle surprise musicale qu’est « God Control », pamphlet contre les armes à feu en vente libre aux Etats Unis, et « Batuka », évocation de l’horreur de l’esclavage.
Dans un registre un peu plus fun, pour le titre d’ouverture de l’album, « Medellin », Madonna est accompagnée par cette bombasse colombienne qu’est Maluma.
Pendant l’été, je prends deux semaines pour aller retrouver Anthony à New York.
Martres Tolosane, le samedi 19 octobre 2019.
Ce samedi je déjeune avec mes parents. En évoquant Paris avec eux au détour d’une conversation, des souvenirs remontent. En pensant à Jérém, je réalise que pour la première fois de ma vie, j’ai oublié son anniversaire trois jours plus tôt.
Décembre 2019.
C’est un peu avant les fêtes de fin d’année qu’Anthony revient enfin en France. Plus de quatre mois que je ne l’ai pas vu en vrai. Et je le trouve plus mignon et craquant que jamais.
Dans ses valises, Anthony a de belles planches à me montrer, des instantanés de bonheur entre petits mecs. Son trait s’est encore amélioré, il a trouvé un style original et attachant pour célébrer la beauté du Masculin dans toutes ses nuances. C’est réaliste, poétique et sensuel, tout à la fois.
J’aimerais dessiner une vraie histoire, mais je n’ai pas de scénario, il m’avoue un jour.
Je suis heureux de le retrouver. Bien que nos retrouvailles soient marquées par une nouvelle inattendue, le genre de nouvelle qui change beaucoup de choses.
Les responsables de la boîte newyorkaise ont proposé à Anthony de rester encore. Ils lui proposent un contrat de deux ans, avec possibilité de prolonger.
Je suis super heureux pour Anthony. Il adore son travail, d’ailleurs, il est tellement épanoui dans ce qu’il fait, qu’il n’a même pas l’impression de travailler.
Mais le fait est que cette perspective change beaucoup de choses dans l’avenir de notre relation.
Anthony n’a pas encore donné sa réponse, il attendait d’en parler avec moi.
Qu’est-ce que tu en penses, Nico ?
J’en pense que ce serait dommage de ne pas accepter une telle proposition.
J’aime Anthony, et je dois prendre sur moi pour lui donner cette réponse. Mais je sais que c’est la seule que je peux lui donner, puisque je l’aime.
Mais je ne peux supporter l’idée de rester loin l’un de l’autre encore pendant au moins deux ans ! Je ne peux pas me contenter de te voir deux ou trois fois par an, c’est pas assez, tu me manques !
Toi aussi tu me manques !
Et si tu venais à New York avec moi ?
Toulouse, réveillon de Noël 2019.
C’est Papa qui m’a proposé de fêter le réveillon de Noël en famille, avec Anthony. Près de deux ans après notre première rencontre, j’organise enfin les présentations avec mes parents, chose que je n’ai pas eu l’occasion de faire jusqu’à présent. Je suis heureux de voir que mes parents semblent très bien s’entendre avec le garçon qui emplit ma vie de lumière.
Il est vraiment charmant ce garçon, me glisse discrètement Maman, alors que nous sommes tous les deux dans la cuisine en train de couper le rôti.
Il est adorable ! je confirme.
Tu es heureux avec lui ?
Très heureux, comme je croyais ne plus pouvoir l’être un jour.
Je suis très heureuse pour toi !
Merci Maman.
Il a l’air très amoureux.
Je le suis aussi.
Aimer et être aimé, c’est quelque chose de précieux.
Je sais, Maman.
Il faut choyer chaque jour l’Être qui nous rend heureux.
Je fais de mon mieux. C’est pour ça que je risque de partir vivre à New York avec lui.
Quoi ? Mais tu m’annonces ça comme ça ?
Il a eu une proposition de travail qu’il ne peut pas refuser. Et je ne peux pas le laisser seul là-bas. On ne tiendrait pas deux ans de plus à distance.
Mais c’est pour quand ?
L’année prochaine, je pense. Je n’ai pas encore décidé quand ni comment, j’ai besoin de temps pour me préparer. C’est un grand changement…
Si tu l’aimes, tu as raison de le suivre.
Merci maman, je savais que tu comprendrais.
Tu vas me manquer, P’tit Loup !
Toi aussi, Maman !
Tu le lui as déjà dit ?
Je vais le lui dire tout à l’heure.
Tout au long des derniers jour avant Noël, ce dilemme a tourné en boucle dans ma tête. Et puis, je me suis souvenu de la promesse que je m’étais faite. Je suis prêt à suivre le garçon que j’aime au bout du monde. Même si ça doit impliquer un changement de vie radical. Un grand saut dans le vide. Laisser mes parents, mes amis, ma ville derrière moi. Changer de travail, d’habitudes, de langue. Et retrouver le garçon qui me rend heureux.
Lorsque j’annonce la nouvelle à Anthony, il a du mal à retenir ses larmes.
Tu ne pouvais pas me faire plus beau cadeau de Noël, il arrive à me glisser, la voix coupée par les sanglots. Mais tu ne dois le faire que si tu en as vraiment envie. C’est un grand changement, il ne faut pas faire ça à la légère.
J’en ai envie, Anthony. J’ai envie d’être avec toi.
L’année 2019 se termine avec un horizon plus que jamais dégagé pour moi.
Je vais très rapidement prendre des renseignements pour organiser mon expatriation. En attendant d’être au point pour mon changement de vie, je prévois d’aller voir Anthony à New York au mois de février.
Un horizon à peine assombri par une info inquiétante qui commence à circuler dans les actualités. Mais les autorités se veulent rassurantes. Ce virus est loin, et il n’arrivera pas jusqu’à nous.
L’année 2020.
Un an que j’ai acheté les tickets, un an que j’attends ce rendez-vous avec la plus grande impatience.
Mais à l’approche de la date du concert, l’inquiétude grandit. Madonna souffre d’une fragilité au genou et à la hanche. Dans les villes américaines, certains soirs les concerts sont écourtés. Des annulations commencent à tomber, au gré du bulletin de santé de la Star.
« C’est pour moi une punition de ne pas pouvoir assurer mon show ce soir » écrit-elle dans l’un de ses posts Instagram.
J’ai prévu d’y aller le 8 mars, et d’y retourner le 11 mars, date du tout dernier spectacle de la tournée. J’espère pouvoir assister à au moins l’une des deux dates.
Paris, début mars 2020.
A Paris, dernière ville de la tournée, Madonna doit se produire une quinzaine de fois au Grand Rex entre fin février et mi-mars. Mais après des mois de concerts, la fatigue s’accumule, ses douleurs s’accentuent, et les annulations sont de plus en plus fréquentes. Je croise les doigts, ceux des mains et ceux des pieds.
Finalement, le spectacle du 8 mars est maintenu.
Ça fait bizarre de venir retrouver Madonna dans une salle de moins de trois mille places, après l’avoir vue en concert dans des arénas et des stades. Mais l’ambiance plus « intime » offre une expérience différente avec l’artiste. Elle interagit davantage avec le public que par le passé.
Oui, Madonna a mal au genou et à la hanche. Ça se voit, ses mouvements sont parfois gênés. Oui, Madonna est humaine, elle est faite de chair et de sang. C’est dur mais il faut s’y faire, le meilleur de sa carrière est derrière elle. Un jour, elle sera obligée de raccrocher.
Mais qu’importe, elle avance, comme elle l’a toujours fait, malgré les coups durs et les critiques. C’est ça qui me touche chez elle, sa résilience, son coté fonceuse.
« La chose la plus controversée que j’ai faite dans ma vie, est de m’accrocher » est justement le propos initial du Madame X Tour.
Je suis ravi par cette soirée. Je m’estime chanceux d’avoir pu y assister, d’autant plus après avoir craint une annulation jusqu’à la dernière minute.
Les deux dernières dates de la tournée, celles du 10 et du 11 mars 2020, sont annulées non pas à cause de sa condition physique, mais à la suite des dispositions du gouvernement pour tenter de faire face à la pandémie du COVID19 qui a finalement réussi à arriver jusqu’à nous.
Martres Tolosane, le mardi 17 mars 2020.
Et puis, un jour, le monde s’est arrêté de tourner. Du jour au lendemain, des millions de gens se sont vu notifier une interdiction de circuler sur le territoire national.
Le premier confinement vient de tomber. Et, avec lui, une avalanche d’infos anxiogènes.
Un virus mortel sorti d’un laboratoire chinois. Accident ou sabotage ? On évoque un complot entre le pangolin (animal inconnu jusque-là) et les chauves-souris. Une affection pour laquelle il n’existe ni de vaccin, ni de traitement efficace. Les infos officielles font état de morts, nombreux, de services d’urgences saturés.
Même pas de masques disponibles pour se protéger. La peur de la contagion. La peur pour nos proches.
Un pays à l’arrêt, un confinement qui est sans cesse rallongé, des gens pris de psychoses qui font des provisions pour des régiments, les difficultés de réapprovisionnement, les étals des supermarchés qui se vident, des images de pays en guerre.
Les chaînes télés qui multiplient les éditions spéciales et les intervenants autoproclamés experts, contribuant ainsi à l’alarmisme et la diffusion de la psychose. Les annonces parfois contradictoires et incohérentes des autorités. Les désaccords dans le monde scientifique. La perte de confiance dans les institutions et autorités politiques, sanitaires et scientifiques. Des prévisions apocalyptiques. Les théories du complot qui fleurissent de partout. Internet qui plus que jamais se substitue à la vie réelle et qui se fait vecteur de la désinformation.
Bref, un monde qui semble partir totalement à la dérive.
Perso, si je fais abstraction du fait que le confinement annule mon voyage prévu à New York, ainsi que d’une certaine crainte pour mes proches, je vis plutôt bien cette période. Je suis confiné mon labrador, soit l’un des deux êtres qui m’apporte le plus de bonheur au monde.
Je profite de cette période surréaliste pour avancer dans le projet « Julien&Nathan ». J’en fais lire des extraits à Anthony, qui a l’air d’apprécier. C’est lui qui m’encourage à diffuser mon histoire sur le Net. Je repère un site qui publie des histoires entre garçons. J’en lis certaines. J’en apprécie quelques-unes.
J’hésite à poster mon premier texte. Car, même si j’ai changé pas mal de choses par rapport au premier jet, il reste beaucoup de moi dans cette histoire romancée. Malgré la protection garantie par l’anonymat, l’idée de publier mes écrits me donne l’impression de me mettre à nu.
Après une longue hésitation, je décide de me lancer. C’est décidé. Le premier épisode de mon histoire, « Julien a 19 ans » va paraître. Après avoir longtemps hésité, je finis par cliquer sur le bouton « Poster ».
Et là, il se produit quelque chose que je n’avais pas prévu. Les jours se suivent sans que rien ne se passe. Deux, trois, dix jours. L’attente me paraît interminable. Je finis par me dire que les modérateurs ont dû trouver ça nul, qu’ils ont foutu ça à la poubelle en se moquant de l’« auteur ».
Et lorsque ça paraît enfin, je sens mon cœur bondir dans ma poitrine. Et je ne suis pas rassuré pour autant. Je me dis que personne ne va le lire, et que si quelqu’un devait le faire, il trouverait ça ridicule. Je n’ose même pas imaginer recevoir des commentaires, qui me démoliraient à coup sûr.
Et non, contre toute attente, le compteur des vues se met à tourner. Dix, cent, mille. Il se stabilise autour de 3500. Quelques commentaires apparaissent, et sont même plutôt élogieux.
Tu as vu ? fait Anthony, plein d’enthousiasme. Tu as un vrai talent, Nico, n’en doute pas !
Mais l’engouement d’Anthony ne s’arrête pas là. Un jour, dans mes mails, une surprise m’attend. Elle contient un lien vers un espace de stockage en ligne. Et ce stockage contient des dizaines de dessins Et les décors, les personnages, les situations ébauchés dans ces petits espaces me rappellent étrangement une histoire.
Première case, un garçon, prénomme Nathan sa balade dans des allées un jour de grand vent. Cases suivantes, le même garçon hésite, puis recommence à avancer vers sa destination. Il arrive face à un petit immeuble, il appuie sur une sonnette, monte des escaliers. Un autre garçon, prénommé Julien lui ouvre la porte en affichant un sourire ravageur et conquérant.
Le trait est épuré, sobre, et pourtant précis, net. C’est beau, spontané, émouvant. C’est tellement saisissant que de voir mon histoire mise en images. De voir mes souvenirs mis en images. J’en ai les larmes aux yeux.
C’est beau ce que tu as fait, Anthony !
C’est vrai, tu aimes ?
Beaucoup.
Alors, si tu es d’accord pour me céder les droits, je crois que j’ai trouvé le scénario de ma première BD…
Depuis ce jour, Anthony s’est attelé à mettre en images les premiers épisodes de mon histoire. Les visuels s’accumulent rapidement dans le cloud. Le petit brun me demande souvent mon avis sur ses dessins, sur la représentation de tel ou tel personnage, d’un visage, d’une attitude, d’une mise en scène, d’un décor. Il est très attaché de mon texte et il semble vraiment mettre un point d’honneur à respecter fidèlement mes intentions narratives.
Et moi, je suis ravi du résultat. Ses dessins, ce regard tendre qu’il porte sur les garçons, ce trait si particulier qui est le sien, subliment l’univers de mon histoire. Mes personnages sont plus vivants que jamais.
Les jours, les semaines de confinement défilent dans une ambiance créative très stimulante. Je passe mes journées à écrire, Anthony passe ses journées à dessiner. Ce travail en tandem, même si la distance nous pèse beaucoup, est vraiment très excitant. Notre complicité n’a jamais été aussi forte que depuis que nous partageons ce projet.
Pendant toute cette période, je finalise et publie un épisode par semaine. Un lecteur me contacte en message privé et me propose de faire une relecture avant publication pour vérifier l’orthographe et me donner ses premières impressions. Bien évidemment, j’accepte son aide bienvenue.
L’écriture m’accapare totalement, et je ne vois pas le temps passer. Parfois, du matin au soir, je ne me lève de mon ordi que pour aller aux toilettes et pour manger un bout. Je suis tellement happé par les destinées de mes personnages que j’ai tendance à moins m’occuper de Galaak.
Parfois, au bout de longues heures passées à l’ordi, le Labranoir vient se manifester pour obtenir un peu de mon attention. Il vient à mon bureau, il se colle contre ma jambe, il déplace ma chaise à roulettes avec toute sa masse, il pousse mon avant-bras avec son museau pour que je le décolle du plan de travail, et mes mains du clavier, il me montre fièrement la « carotte » qu’il tient dans la gueule, tout en la mâchouillant pour la faire « chanter » (elle a remplacé le ballon de rugby, ayant cessé de faire « pouic pouic » sous ses crocs, paix à son âme), et il finit par la faire tomber juste à côté de moi.
Lorsqu’il vient me bousculer de la sorte, je sais que je ne me suis pas assez occupé de lui, et je m’en veux. Je m’octroie une pause, et je lui donne un peu de mon temps. Je caresse son corps massif, son museau tout doux. Lorsque je lui caresse le poitrail, il est comme en état d’hypnose. Et je peux en faire ce que je veux, saisir ses grosses patounes, le faire rouler sur le dos, comme une boule. Ce chien est prêt à jouer dès qu’on le touche. Je me ressource de sa douceur, je suis ému par son excitation pour une carotte en plastique qui fait « pouic pouic », un son qui est presque sa voix, la voix de Galaak.
Mais parfois, je résiste à ses appels au jeu et au partage. Il arrive que son envie de jouer tombe au mauvais moment, lorsque je suis au beau milieu d’un passage « important », un moment où je ne peux pas quitter le clavier, de peur de perdre le fil de mon récit. Alors, je lui demande d’attendre, encore. Parfois, quand je suis enfin disponible, Galaak est déjà retourné sur son tapis, il est enroulé en boule, endormi, et il n’a plus envie de jouer.
Je m’en veux terriblement de ne pas savoir lui donner plus de mon temps. Je sais que l’horloge tourne, Galaak va déjà avoir 9 ans ! Du poil blanc a fait peu à peu son apparition sous son menton. Il me fait de plus en plus penser à Gabin ! Je sais que je devrais profiter davantage du temps qui nous reste. Je sais que je vais regretter le temps que je ne lui aurai pas consacré.
Début mai 2020.
Après plusieurs reports, le confinement est enfin levé. Le monde reprend peu à peu son rythme habituel. Mais les gestes barrière demeurent d’actualité. Et parmi eux, l’un est particulièrement dérangeant. Je veux bien entendu parler de l’obligation du port du masque dans l’espace public. D’abord manquant, puis conseillé, imposé, subi, critiqué, détesté, il est désormais partout.
C’est un simple bout de papier ou de tissu qui cache la moitié inférieure du visage. Il dissimule la bouche, les lèvres, nous prive de ce cadeau précieux qu’est le sourire d’un garçon. Le masque qui crée la frustration, qui tente de bâillonner la bogossitude.
Mais la bogossitude refuse pourtant de se laisser censurer, elle trouve d’autres moyens pour s’exprimer. Comme dans le regard. Un regard qui est devenu généralement plus charmant, plus charmeur, plus appuyé, plus intriguant, plus intrigué, plus insistant, plus mystérieux, plus interrogateur.
En cette période de déguisement, la bogossitude se laisse imaginer, deviner, désirer, fantasmer.
Pendant ce partiel retour à la normale, que certains annoncent d’ores et déjà comme n’étant pas définitif, les voyages sont toujours très règlementés. Toujours pas question de traverser l’Atlantique. Ni dans un sens, ni dans l’autre. Et dans cette situation inédite et contraignante dont on n’entrevoir toujours pas un dénouement franc, dans un monde qui est partiellement à l’arrêt, mes recherches et mes démarches pour l’expatriation le sont aussi.
Pendant ces mois surréalistes, je continue d’écrire, et Anthony de travailler au premier volume de son adaptation de mon histoire, sobrement intitulé « Julien, qui est-il ce garçon ? », titre qui est une référence à un tube de Madonna, « Who’s that girl ? ».
C’est un travail de longue haleine auquel Anthony se consacre avec acharnement et passion. Ça se voit qu’il a ça dans le sang, qu’il est dans son élément, et qu’il est heureux quand il dessine.
Avant de voir le petit brun à l’œuvre, je ne réalisais pas la masse de travail que représente la création d’une BD, plus imposante encore que l’écriture elle-même.
Octobre 2020.
Les oiseaux de mauvais augure ne s’y étaient pas trompés. Ça n’en était pas fini avec cette sale bête de COVID. Lors d’une intervention à la télé, notre Manu national nous annonce un deuxième confinement à partir du 30 octobre.
C’est à ce moment, pendant cette nouvelle période qui nous offre beaucoup de temps pour nos passions respectives, que nous décidons de nous lancer dans un nouveau projet. Celui de créer un site Internet pour héberger mes écrits et ses planches. C’est Anthony qui s’attèle à concevoir l’environnement numérique qui va accueillir nos loulous.
Au fils des semaines, je constate une forte tendance des lecteurs à migrer vers le site nouvellement crée. Je dois beaucoup au premier site où j’ai publié mes écrits, car il m’a permis une visibilité que je n’aurais pas pu atteindre par moi-même. Je continue d’ailleurs à y publier les épisodes de mon histoire. Mais julien-nathan.com est plus soigné (Anthony a fait un très beau travail), uniquement centré sur mon histoire, magnifiée par les quelques dessins qu’Anthony y a publié.
Je suis fier de notre travail. Et je suis tout particulièrement touché par le travail d’Anthony, par sa capacité à transcrire mon texte en images percutantes. Et par sa capacité de prendre du recul pour dessiner une histoire qui est très fortement inspirée par celle que son petit ami, moi en l’occurrence, a vécu avec un autre garçon.
Et les lecteurs apprécient.
Les commentaires sont nombreux. « Julien et Nathan » est en train d’attirer un certain public de « fidèles ». Parmi eux, beaucoup d’hommes gays, bien entendu. Certains m’ont raconté s’être reconnus dans mes personnages, dans leurs hésitations, leurs bonheurs, leurs désirs, leurs peurs, leurs erreurs. Ils m’ont affirmé que mon histoire avait ravivé des souvenirs. Qu’elle les avait accompagnés lors d’un cap difficile de leur vie, d’une rupture, ou dans ces périodes surréalistes de confinement. Certains d’entre eux sont devenus des amis.
J’ai été étonné de recevoir également de nombreux retours de la part de femmes de tout âge. Intrigué, j’ai voulu savoir ce qu’une nana pouvait bien trouver « intéressant » dans une histoire entre garçons. Il en est ressorti que l’élément « marquant » de ce genre de récits est le côté « interdit », clandestin, entravé, toujours présent. Dans les histoires entre garçons, il y a souvent des obstacles – l’amour impossible, à sens unique, le regard de l’autre, des autres, le rejet de la société, la difficulté à s’assumer – qui rendent le bonheur plus difficile à atteindre, et donc plus « précieux ». C’est le côté « Roméo et Juliette », en version « Roméo et Julien », bien entendu, qui semble faire mouche.
L’année 2021.
L’année 2021 commence plutôt bien. Dans le monde, car des vaccins contre le COVID sont annoncés. Une sortie définitive de l’époque COVID semble enfin se dessiner. La campagne de vaccination se met en branle. Les antivax, aussi. On ne sait plus qui croire, qui écouter.
Perso, il me semble que la validité d’une solution à un problème se situe toujours dans le point d’équilibre entre avantages et inconvénients, entre bénéfices attendus et risques encourus. Et c’est toujours par le vaccin que l’Humanité a vaincu des épidémies virales.
Peut-être que cette année je vais enfin pouvoir retrouver mon adorable petit Anthony à New York ! Il me tarde. Car il me manque.
Hélas, début avril, mes espoirs sont une nouvelle fois douchés sans ménagement. La saison 3 de la série « Confinement » est annoncée sur tous les écrans.
Paris, le mercredi 12 mai 2021, 18h16.
C’est en préparant le dîner que je découvre pour la toute première fois son regard, sa douceur, sa force, son courage, sa droiture, et son combat.
Ce garçon crève littéralement l’écran. Ce garçon est beau, terriblement beau. Non seulement parce qu’il est à la fois bogoss et puits à câlins. Mais parce que c’est un garçon lumineux, solaire, terriblement émouvant. Ce garçon est beau à l’intérieur.
Ce soir, il vient dénoncer la mentalité qui l’a détruit moralement et qui l’a privé de sa chance d’avoir une belle carrière dans le foot professionnel. Il vient dénoncer cette culture de l’homophobie qui détruit des jeunes hommes et des jeunes femmes. Mais il ne vient pas en criant, en accusant, en nommant. Il vient raconter ce qu’il a vécu, en montrant les dégâts que cela a occasionné, et en demandant que ça change. Ses propos sont justes, touchants, bouleversants.
Ses mots ont un écho tout particulier en moi, car elles me ramènent à l’agression dont nous avons été victimes Jérém et moi, et à cette ambiance homophobe qui a détruit la carrière de Jérém. Ce soir, je me sens révolté comme jamais par l’Injustice.
La voix de Ouissem est belle. Non seulement parce qu’elle est douce et chaude, comme le reflet de la nature profonde de son esprit, mais parce qu’elle porte un message de tolérance, de bienveillance et d’espoir.
Son plus beau message, c’est de voir qu’il a surmonté tout ça, qu’il a dit adieu à la honte, qu’il a accepté qui il est, qu’il s’est battu et est devenu ce qu’il est. Et que l’homophobie, et la souffrance qu’elle engendre, ne sont pas une fatalité. Et que se reconstruire après avoir été détruit, c’est possible aussi.
Son histoire est un bien bel exemple de résilience, de force, de noble courage, un espoir pour ceux qui doutent, qui ont peur, qui se cachent. Un témoignage pour tenter de faire changer les mentalités de ceux qui oppriment.
Seule la parole peut faire avancer les choses. Et il faut des gens comme Ouissem pour la porter, pour la faire entendre au plus grand nombre, pour montrer qu’on ne doit pas avoir honte de qui l’on est, qu’on a le droit d’être soi-même, qu’on n’est pas seuls et qu’il ne faut pas laisser la peur, et encore moins les autres, décider pour nous.
J’ai tellement envie de serrer ce garçon dans mes bras !
Lorsque sa belle petite gueule à bisous disparaît de l’écran et que la pub arrive, je réalise que ma pizza a commencé à cramer dans le four.
Paris, le samedi 16 octobre 2021.
L’été est passé sans encombre. Il semblerait qu’il n’y aura plus d’autres confinements. Et que le trafic aérien va reprendre, et que les frontières vont rouvrir, du moins pour les vaccinés.
Aujourd’hui, Jérém a 40 ans. Et c’est par le biais d’un simple message que je lui souhaite un bon anniversaire.
Quelques messages, voilà qui résume notre relation depuis trois ans. Les coups de fil, il n’y en a jamais eu. Le décalage horaire, ajouté au décalage de nos vies, les rendent presque impossibles de toute façon. Et puis, nous appeler, pour nous dire quoi ?
Alors, nous nous contentons de messages. Bon anniversaire, le mien, le sien. Bonne année…
Oui, aujourd’hui, Jérém a 40 ans. C’est un cap important. Je me demande comment il le vit, si ce changement de dizaine a impacté le regard qu’il porte sur sa vie, et sur la vie en général. Je le sais bien entouré, et ça me rassure.
L’anniversaire de Jérém me fait prendre conscience que j’approche moi aussi de la quarantaine, et que cette « échéance » arrivera dans moins d’un an. Mais elle ne me fait pas particulièrement peur. Car j’ai l’impression d’avoir enfin trouvé un certain équilibre dans la vie.
Je suis avec un garçon qui m’aime et que j’aime. J’ai une passion dans la vie, l’écriture, qui m’apporte beaucoup de joie. Je viens de trouver un emploi dans les services d’eau potable de la Mairie de Paris qui va m’assurer un certain équilibre financier.
Aussi, je crois que je suis enfin en paix avec moi-même et avec mon passé.
Toulouse, le vendredi 31 décembre 2021.
Une nouvelle année s’achève, une autre arrive. A l’approche de ma quarantaine, la course inarrêtable du temps me titille de plus en plus. Je regarde impuissant les jours et les mois se succéder, entraîné par la course du quotidien, au fond de moi l’impression de rater l’essentiel. Lorsqu’un nouveau jour s’achève, c’est comme une petite mort. Lorsqu’une nouvelle année s’achève, ça l’est un peu plus encore.
Mais l’âge a du bon aussi. On arrive à regarder les choses avec plus de recul.
Avec le temps, j’ai fini par réaliser que si j’ai eu autant de mal à renoncer à Jérém, c’est parce qu’il a été le garçon qui m’a fait ressentir le bonheur vertigineux qu’on ressent quand on aime pour la toute première fois. Il a été le garçon qui a foudroyé mon cœur le premier jour du lycée, celui qui m’a fait connaître le plaisir entre garçons et qui me l’a instantanément fait adorer. Celui qui m’a fait me sentir vivant pour la toute première fois de ma vie. Celui qui m’a offert les plus beaux frissons de mes dix-huit ans, les frissons d’aimer en cachette – c’était avant mon coming out, avant le sien – le frison de l’interdit, le frisson qu’était la peur qu’il disparaisse de ma vie après chacune de nos rencontres. Jérém m’a fait connaître des joies insensées et des souffrances inouïes. Des frissons exacerbés, que je ne retrouverai plus jamais avec la même folle intensité.
Jérém a été toutes mes premières fois.
J’avais dix-huit ans. Et on ne vit plus jamais les choses avec l’intensité des dix-huit ans quand tout est découverte et émerveillement. Quand on n’a pas peur de souffrir.
Si notre séparation m’a longtemps empli de tristesse, si le deuil de cet amour a été pendant longtemps chose impossible, c’était parce qu’au fond de moi, je savais que c’était la fin d’une époque de ma vie, l’époque de l’insouciance, et de l’amour fou. Et au fond de moi, j’étais persuadé que non seulement elle avait été la plus heureuse de toutes celles que j’avais vécues, mais aussi la plus heureuse de celles que je vivrai à tout jamais. J’ai cru pendant longtemps que je ne pourrais plus jamais être aussi heureux que je l’ai été avec Jérém.
Dès lors, je n’avais plus grand chose à espérer de la vie. Je pensant que tout m’aurait paru fade.
Aussi, j’avais peur qu’en m’autorisant à être heureux à nouveau, je finirais par oublier le bonheur avec un grand « B » que j’avais vécu avec Jérém.
Je sais à présent que je peux être heureux à nouveau. Et que je n’oublierai pas Jérém pour autant. J’oublierai certains détails, certainement. J’en ai déjà oubliés, d’ailleurs. Mais je sais que je n’oublierai pas ce qu’il a représenté pour moi.
Je me souviendrai
De la force que tu m’as donnée
De l’amour que tu m’as donné
De la façon dont tu m’as changé
Je sais désormais qu’il ne faut pas fuir ses souvenirs. Au contraire, il faut les aimer, les chérir, même si parfois ils peuvent faire mal. Il faut apprendre à se réconcilier avec. Car les souvenirs sont les témoins vivants de nos expériences de vie. Ils déterminent qui nous sommes et pourquoi nous le sommes devenus. Mes expériences ont fait de moi celui que je suis aujourd’hui. Il faut juste leur trouver une bonne place dans notre présent pour ne pas qu’ils nous empêchent d’avancer.
Mais il ne faut jamais oublier d’où l’on vient.
Mon amour pour Jérém sera toujours là. Mais désormais il ne m’empêchera plus d’être heureux à nouveau. D’aimer à nouveau. Tout ce qui m’a longtemps paru inconcevable me semble enfin envisageable, possible, souhaitable. La vie est trop courte pour ne pas écouter le Bonheur quand il toque à notre porte et nous appelle à le suivre.
Finalement, mon escapade en Australie, m’a fait du bien. J’avais besoin d’entendre ses mots, j’avais besoin d’entendre sa voix. J’avais besoin de revoir Jérém une dernière fois, de voir qu’il était bien dans sa nouvelle vie. Et son nouveau bonheur m’a autorisé à vivre le mien sans plus culpabiliser. Son bonheur m’a fait accepter que la vie nous a séparés, mais que chacun aura toujours une place spéciale dans le cœur de l’autre.
Oui, aujourd’hui, près de quinze ans après la fin de notre histoire, je me sens enfin apaisé.
« Bonne année » je lui envoie par message. Je sais que ce sera mon dernier message.
Tout comme je sais que le « Bonne année à toi aussi » que je reçois en retour quelques minutes plus tard sera son dernier message. Je crois que tout est fait, que tout est dit.
Je crois que je n’attends plus. Que je ne l’attends plus.
Mais tu m’as dit (…)
S’il te plait ne m’attends pas
Attends patiemment l’amour
Un jour ça viendra sûrement
Et il est venu. Anthony est là, enfin, à côté de moi, à l’occasion de cette soirée de réveillon.
Oui, ma séparation d’avec Jérém m’a longtemps empli de tristesse. Mais c’est fini. Je ne serai plus triste en pensant à cette époque de ma vie. D’autant plus que je le sais désormais, notre séparation a eu pour effet de préserver le souvenir de notre amour. Un amour foudroyé en plein vol, un amour sur lequel l’usure du temps n’aura pas eu d’effet.
Un amour qui restera à tout jamais comme une pure représentation de l’insouciance de notre première jeunesse.
Commentaires
gebl
28/10/2024 18:44
Cela faisait plus de 9 mois que j’avais lâcher l’histoire. Je suis aussi apaiser de savoir que Nico et Jerem vivent leur vie , en ayant chacun toujours gardé le souvenir du 1er Amour. Fabien, de ce que j’appellerais une accroche très sexe de tes 1er récits , tu nous captes , parce que tu as une capacité à décrire les envies , les sentiments, l’amour la haine la joie et la première histoire se sexe est devenu un roman sentimental, c’est comme cela que je le ressens. CE qui est formidable , ce sont tous les commentaires que l’on peut lire et ceux qui te sont adressés en direct j’imagine , qui expriment tant de partage entre les lecteurs Encore merci
Pierrick
21/04/2024 08:37
Fabien, je me rappelle t’avoir découvert des ton premier texte sur le site dont tu parles. Nous nous étions rencontrés et nous avions discuté je ne sais pas si tu te rappelles. En tout cas, je n’ai jamais cessé de te lire, j’ai les larmes aux yeux à chaque chapitre et l’histoire de Jerem et Nico me rappelle la mienne. Premier amour, histoire compliquée, séparation douloureuse et aboutir sur des souvenirs qui sont de moins en moins douloureux. Continues à partager tes textes, tu as un talent certain. Hate de lire les prochains épisodes !
Yann
02/04/2024 17:39
Je pense que la plus grande difficulté, quand on écrit une histoire par épisode (il y en a 214 aujourd’hui !) et sur une aussi longue durée, c’est de garder de la cohérence et de ne rien oublier. Ce n’est pas comme écrire un livre qu’on peut relire et corriger jusqu’à la fin avant de le faire éditer.
Tonio
31/03/2024 18:02
Ca se voit que tu y a passé beaucoup de temps (la chronologie est aussi super précise) et tu as bien fait car le réalisme et la crédibilité des personnages et des situations nous permet de nous identifier. On a tous des histoires différentes mais on se retrouve tous dans le ressenti des personnages à certains moments clés. Et ca fait du bien au final d’être addict a ton histoire … Tellement hâte de découvrir la suite !
fab75du31Auteur
30/03/2024 13:32
Ça a été un gros travail de fond que de prendre des notes pour me souvenir de tel ou tel événement, pour y revenir plus tard, dans les souvenirs des personnages ou dans des situations prenant racine dans le passé de l’histoire. Dans le but de donner du corps à l’histoire. Le réalisme, j’y suis attaché, c’est mon côté cartésien, signe astrologique taureau lol
Yann
29/03/2024 15:11
Ce qui me plaît dans cette histoire, c’est que tout en étant une fiction, l’authenticité des situations et des personnages sur une longue période de leur vie y est si marquée qu’elle pourrait s’apparenter à des témoignages. C’est probablement une des raisons qui fait que beaucoup de lecteurs se retrouvent çà et là au fil des épisodes.
Tonio
29/03/2024 13:18
Je souscris complètement aux deux commentaires précédents. J’ajouterai que l’évolution de Nico et de Jerem peut-être mise en parallèle de l’évolution de la société. A ce titre, l’histoire d’amour personnelle résonne avec l’histoire de l’évolution des mentalités ces 20 ou 30 dernières années. Et il y a aussi un caractère universel à cette histoire, qui montre des mécanismes amoureux qui peuvent s’appliquer dans des relations autres que celles entre garçons.
Bdr 13
28/03/2024 15:36
Une saison 4 fantastique et 2 hs sublime. Les retrouvailles de jeremy-nico sont le summum de cette histoire d’amour entre deux hommes. Si pendant dix ans nico a souffert ,jeremy quant à lui à traverser l’enfer. L’un et l’autre ont de nouveaux amoureux dans les personnes de ewan et Anthony. Certainement un nouveau départ pour nos deux héros . En attendant, j’espère que l’on retrouvera ces deux nouveaux couples dans des épisodes futurs et pourquoi pas imaginer jérémy faisant découvrir la France et ses anciens amis à étant ? Merci fabien pour ces dix années de bonheur par l’intermédiaire de tes épisodes que j’ai aimé lire et relire. Ton histoire a fait un bien fou à de nombreux gays. Tu as redorer le blason des homosexuels par cette histoire d’amour si captivante et profonde. Fabien tu as su toucher le cœur
Yann
28/03/2024 10:01
Pour moi aussi, cette histoire a fait remonter des souvenirs même si la mienne est tout à fait différente. Il est évident que Jérém a eu le parcours le plus difficile. Nico dès le début s’acceptait alors que Jérém n’avait pas encore vraiment pris conscience de son orientation. Tout le scénario de l’histoire repose sur les différentes étapes que Jérém a dû affronter. Il y a aussi deux familles différentes. Celle de Nico où tout de suite il a reçu le soutien de sa mère. Celui de son père est venu un peu après. La famille de Jérém était éclatée. Ce qui ressort aussi c’est qu’il faut du temps aux parents pour se faire à l’idée que leur enfant est gay, qu’ils n’auront peut être pas de petits enfants. Pour élargir cette question, je pense que ce processus de prise de conscience de son orientation et d’acceptation par soi et par les autres est propre à chaque personne. Il dépend probablement beaucoup de l’environnement dans lequel la personne se trouve, de son éducation et surtout du soutien qu’elle reçoit.
Tonio
27/03/2024 20:40
Je trouve justement qu’on appréhende très bien la cohérence de l’histoire et particulièrement le personnage de Jerem. Je me suis senti tout de suite proche de Nico que je comprends très bien (j’ai certainement pas mal de points communs à titre personnel en termes de caractère) mais j’avoue avoir eu du mal au départ avec le personnage de Jerem. Dans la version du livre, les chapitres de souvenirs qui s’insèrent vite dans la narration permettent de mieux le comprendre. Et si l’on prend l’histoire dans son ensemble, c’est finalement Jerem qui parcourt le plus de chemin sur les sujets majeurs de l’homophobie et de l’acceptation de soi. Son « parcours psychologique » est donc extrêmement riche. Même si tu l’as déjà fait (mais plus occasionnellement) sur certains passages de l’histoire, je rêve que tu écrives quelques épisodes clés dans lesquels Jerem serait le narrateur pour comprendre encore mieux son ressenti. D’un autre côté, l’histoire est très aboutie comme ça et il peut subsister une part de mystère.
Hello, au debut de cette aventure, il n’y avait pas encore une structure narrative. C’était un peu en roue libre, au gré de mes envies. Quand j’ai remanié les premiers épisodes pour le livre 1, cette structure existait désormais en grande partie. Il y a donc eu des ajouts, des nuances narratives nouvelles, et le style a évolué avec le temps. Je crois que je vais prochainement supprimer les premieres versions des premiers épisodes et les remplacer par les versions retravaillées pour le livre, beaucoup plus abouties. D’ailleurs, merci à FanB pour les corrections de chaque épisode avant publication, et à Yann pour les corrections après publication, car parfois j’en oublie. Il est vrai que desormais on peut mettre les épisodes en perspective et verifier la coherence de toute l’histoire. J’espere que cette coherence est là, malgré la longueur de l’histoire et la durée de sa redaction.
Tonio
25/03/2024 18:01
Il m’arrivait fréquemment de relire tel ou tel épisode plus ancien. Mais je suis en train de lire tout le début de l’histoire dans la version remaniée sous forme de livre. La fluidité de l’écriture et le nouvel agencement de certains chapitres rajoutent beaucoup à la qualité d’ensemble : le schéma narratif s’en trouve encore amélioré. Par ailleurs le fait de connaître la suite de l’histoire fait résonner très très différemment cette première partie. La cohérence des deux personnages principaux apparaît encore mieux à posteriori. Je conseille vivement cette lecture d’ensemble, même si je suis certain que vous êtes déjà nombreux à m’avoir précédé.
Tonio
22/03/2024 09:48
Je rebondis sur le commentaire de Patrick pour inciter tous les lecteurs de l’ombre à encourager Fabien à leur manière, avec un mot ou une petite contribution…Un encouragement bienveillant et sincère fait autant de bien à celui qui le donne qu’à celui qui le reçoit.
Patrick
20/03/2024 17:51
Merci Fabien, Oui, c’est mon premier commentaire. Je lisais en silence jusqu’à présent mais le dernier épisode m’a beaucoup remué. Beaucoup peuvent se retrouver dans tous ces épisodes car ici, il y a la traumatisme subit par Jerem et Nico lors de l’agression qui a, je pense, bouleversé leur vie. Et çà me parle. Ton écriture a prit une énorme densité tout au long des années et je mesure la somme de travail considérable qu’elle représente. Encore merci, Patrick
Yann
20/03/2024 10:38
C’est un plaisir partagé.
fab75du31Auteur
19/03/2024 22:00
Soyez rassurés, d’autres projets font leur chemin dans ma tête. Comme Nico, une fois qu’on a touché au bonheur de l’écriture, on ne peut plus s’en passer.
fab75du31Auteur
19/03/2024 21:29
Yann, Fred, Virginie, les habitués du commentaire, si agréable de vous retrouver à chaque épisode !
Patrick
19/03/2024 16:20
Merci Mon histoire perso est compliquée mais là, j’ai envie de dire merci. J’ai pleuré alors que je ne l’ai pas fait depuis des années. Cela remonte en moi des traumatismes que j’ai enfouis tant bien que mal mais cela me fait du bien. Votre écriture est tellement porteuse de sentiments. Bravo.
Virginie-aux-accents
19/03/2024 07:53
Yann a parfaitement su exprimer mes sentiments dans ses deux messages : il fallait les adieux australiens pour prendre un nouveau départ (que de souvenirs cette chanson!) et j’espère bien ne pas perdre ta trace, Fabien. Je voudrais juste ajouter qu’Anthony est vraiment une perle et j’aurais aimé « profiter » plus de lui. Merci pour cette formidable aventure.
Tonio
17/03/2024 16:28
C‘est bouleversant de vérité, ce texte retentit avec la réalité et la complexité de nos vies, tu décris la subtilité avec laquelle le souvenir peut-être à la fois heureux et source d’optimisme, et en même temps plein de nostalgie, Yann a mille fois raison, j’espère que le lien tissé entre Fabien et ses lecteurs va perdurer.
Yann
17/03/2024 10:36
J’ajoute un commentaire qui concerne une autre histoire que celle de J&N. En parallèle à cette fiction, où un garçon qui s’appelle Nico se met à l’écriture pour raconter son premier amour, il y en a une autre qui s’est nouée entre un autre garçon, bien réel lui et qui s’appelle Fabien, et ses lecteurs après qu’il se soit lancé lui aussi dans l’écriture pour notre plus grand plaisir. Fabien, tu as le talent pour nous émouvoir, et j’aimerais que la fin de J&N ne soit pas la fin de ton histoire avec les lecteurs qui te suivent et, pour reprendre les paroles de la chanson de Gérard Blanc Que tu prennes un nouveau départ Que tu démarres une autre histoire Et on prend avec toi un nouveau départ En laissant faire le hasard C’est une autre histoire Merci à toi.
Yann
17/03/2024 09:14
Ils se sont retrouvés pour mieux se perdre. C’est, à la lecture de cet épisode, la première réflexion qui me vient. Ils avaient autant besoin, l’un comme l’autre, de ne pas rester sur cette séparation causée par la fuite et dont l’homophobie était la seule responsable. Aussi douloureux que cela puisse être, et ça l’a été, il leur fallait écrire le dernier chapitre de leur histoire celui de leurs adieux qu’ils ne s’étaient jamais faits. Il leur aura fallu 10 ans. Après toutes ces années, c’était devenu un besoin vital pour construire à nouveau autre chose, aussi bien pour Jérém avec Ewan que pour Nico avec Anthony. Tout au long de cette semaine, ils se sont retrouvés, ils se sont reconnus aussi même s’ils avaient changé et si certains détails leur avaient déjà un peu échappé. Ils se sont parlé. Avec l’émotion, il y avait dans ces retrouvailles aussi beaucoup de pudeur et de retenue. Maintenant qu’ils ont clos avec tout le tac qu’il fallait ce chapitre de leur vie, ils peuvent enfin regarder vers l’avenir. J’ai de la peine pour tous ceux qui vont aussi rester sur le bord du chemin. Maxime, Thibault, Ulysse … Tous ceux qui ont été les témoins, à la fois de leur triste et belle histoire.
On oublie tout, tous les barrages Qui nous empêchaient d’exister Quelque chose de neuf a tout changé Quelque chose et ça me fait avancer On oublie tous les gens, tous les naufrages Tous les bateaux touchés coulés Je ne sais pas comment ça s’est passé Je ne sais pas pourquoi je n’ai plus peur d’aimer Et on démarre une autre histoire Et on démarre une autre histoire Mais ça c’est une autre histoire Une autre histoire Chanson de Gérard Blanc
Fred
16/03/2024 18:54
Nous nous sommes tellement attachés à tes personnages .ton écriture .ces derniers épisodes comme clap de fin me rendent triste et nostalgique . J’ai dévoré chaque épisode mois après mois .les premiers en quelques jours j’avoue .j aime Nico et Jerem Que je considère comme des membres de ma famille littéraire .cette fin d histoire Essonne en moi comme la fin d’une histoire familiale voire amoureuse . Bisous mon Fabien sous heureux encore et encore
Une nouvelle fois aujourd’hui, je cherche mon vol sur le tableau des départs. La porte d’embarquement n’est pas encore affichée. Normal, je viens d’atterrir et mon escale est de plus de trois heures. Il va falloir attendre.
Pour tromper le temps, je m’installe à une terrasse de café. En buvant mon cappuccino, j’observe le flux ininterrompu de voyageurs qui transitent dans les deux sens de ce grand couloir, qui se croisent sans jamais se rencontrer, et souvent sans même se voir. Certains se pressent, d’autres avancent avec nonchalance.
J’ai toujours adoré l’ambiance si particulière des aéroports, ou des gares, cette ambiance de « départ » vers d’infinis « ailleurs », avec toutes les possibilités que cela ouvre.
Bien entendu, mon attention et mon émotion sont tout particulièrement attirées par les beaux garçons. Et dans un aéroport international, il y en a, des beaux garçons.
Mon regard est capté, aimanté par une Bogossitude pendant quelques secondes à peine, le temps qu’elle pénètre, traverse et quitte mon champ de vision comme un étoile filante. Un brushing, un regard, une barbe, une façon de marcher, de porter un t-shirt. Des épaules solides, une plastique bien proportionnée, un tatouage, un brillant à l’oreille, une chaînette. Parfois un détail suffit pour m’enivrer du Masculin.
Depuis ma position stratégique, j’ai l’impression de prendre des gifles en rafales incessantes.
Ça me donne le vertige d’imaginer les attentes de tous ces voyageurs, leur état d’esprit vis-à-vis de leurs déplacements. Vers quelle destination se dirige ce petit con, cette formidable petite tête à claques ? Vers qui se dirige ce beau petit brun barbu à casquette à l’envers ? Quelles attentes, quels espoirs placent-ils dans leurs voyages vers « Je-ne-sais-pas-où » ?
En attendant mon vol, je repense également à ces premiers mois de l’année 2018.
Début février 2018.
Pendant ces dernières années, l’écriture m’a beaucoup aidé. Elle a été la béquille de ma phase de rééducation sentimentale après le départ de Jérém. Elle m’a accompagné jour après jour. Elle est devenue comme une amie fidèle à laquelle je me confiais. Et maintenant, après lui avoir tout confié, je ressens un grand vide intérieur. Et je me sens seul, très seul.
Anthony me manque beaucoup. D’autant plus qu’avec six heures de décalage horaire entre Toulouse et New York, il n’est pas toujours évident de garder le contact.
Au fil du temps, nous testons toutes les combinaisons possibles.
Au saut du lit, le mien, vers 6 heures. A New York, il est minuit. J’ai la tête dans le coltard, alors qu’Anthony a la tête d’un petit mec à qui on envie de faire l’amour.
Au saut du lit, le sien, alors que chez moi, c’est la pause déjeuner. J’ai envie de le prendre dans mes bras et de le couvrir de bisous, il est pressé de démarrer sa journée.
A sa pause déjeuner. Chez moi, il est entre 18 et 20 heures, je viens de rentrer du taf. Ce serait le moment le plus cool des journées en semaine. Le fait est qu’Anthony est tellement accaparé par ses dessins qu’il en oublie parfois même le repas de midi.
A la sortie de son taf, s’il ne rentre pas trop tard, pas trop après 18 heures. Chez moi il est minuit ou plus. J’ai envie d’aller au lit, alors qu’il a encore des courses à faire, un métro à prendre pour rentrer.
Heureusement, pendant le week-end nous pouvons parler plus tranquillement.
Mais malgré ça, nous sommes en déphasage perpétuel.
Un déphasage qui empire avec le temps. Car le décalage horaire n’est pas la seule complication liée à la distance. A cela s’ajoute le fait de ne rien partager au quotidien, ce qui finit par assécher nos sujets de conversation.
J’ai peur qu’Anthony s’éloigne de moi. J’ai l’impression de m’éloigner de lui. Et j’ai peur que, malgré mes efforts pour cacher ma mélancolie, il capte que je ne vais pas bien.
Car je ne vais pas bien.
C’était illusoire de ma part de me dire que d’écrire le dernier chapitre de mon histoire avec Jérém m’aurait aidé à tourner la page pour de bon. Après un premier soulagement, mes regrets et ma frustration sont revenus. Ce que Charlène m’a appris m’a bouleversé plus encore que je ne l’ai cru sur le moment.
J’ai toujours pensé qu’il était venu surtout pour te retrouver. Mais il était trop mal, il était trop déçu de lui-même, et il s’est dégonflé. Il se voyait comme un looser et il ne voulait pas que tu le voies comme ça. Jérém a eu peur de ton regard. Il a eu peur que tu le rejettes. Et ça, il n’aurait pas supporté.
Ce sont ces mots qui font le plus mal, qui m’ont le plus bouleversé. Que Jérém ait pu penser que je pourrais le rejeter, que je ne l’aimerais plus parce qu’il avait tout perdu du prestige de sa vie d’avant, parce qu’il n’arrivait pas à remonter la pente.
J’y pense sans cesse. Et à chaque fois, j’ai envie de pleurer, j’ai envie de hurler.
J’en perds mon équilibre émotionnel, j’en perds carrément mon appétit et mon sommeil. Je n’aurais pas dû aller fouiller dans le passé. A croire que parfois il vaut mieux rester avec des questions qu’avoir trop de réponses.
Mi-février 2018.
J’ai de plus en plus de mal à cacher mon mal être à Anthony. Pour l’instant, il se contente de me demander si je vais bien. Et moi, je me contente de lui répondre que oui, je vais bien, que je suis juste un peu fatigué. Je redoute le moment où il me posera des questions plus précises.
Pendant ce temps, le jeune dessinateur s’installe à New York. Il a posé ses valises dans la famille de son frère, il adore son travail qui est aussi sa passion, et il est en train de se faire de nouveaux potes. Malgré nos échanges quotidiens, malgré ses « tu me manques », « je t’aime, Nico », je le sens de plus en plus inquiet.
Je m’en veux de le faire s’inquiéter à 6000 bornes de distance. Je m’en veux de lui faire de la peine.
Par moments j’ai l’impression qu’il s’éloigne de moi. Je me fais des idées, assurément. Je ne suis pas bien, et tout me paraît noir.
Je ne veux pas perdre Anthony. L’idée de le retrouver me fait du bien. Je me dis que ma mélancolie se calmera quand je serai dans l’avion pour New-York.
Un peu plus tard en février 2018.
Les jours passent, et ça ne va pas mieux. Désormais, mon mal-être je le porte sur moi. Je me regarde dans le miroir, et je vois un zombie. Mes parents l’ont relevé, mes collègues aussi. Et Anthony ne tarde pas à le relever à son tour. Lors d’un appel en visio, il finit par me lancer :
Dis-moi ce qui ne va pas, Nico.
Et avant que j’aie pu commencer à dégainer des excuses vaseuses, il enfonce le clou :
Et ne me dis pas encore que c’est la fatigue, parce que c’est pas ça. Je vois bien que quelque chose te tracasse. C’est depuis le réveillon que tu as changé. Si tu es allé voir ailleurs, tu peux me le dire.
Non, c’est pas ça.
Et c’est quoi, alors ?
Au bord des larmes, je décide d’être franc avec lui.
Dimanche 11 mars 2018, 14h34.
Avec une petite demi-heure de retard, mon avion va enfin décoller de l’aéroport de Hong Kong. C’est la dernière ligne droite vers Melbourne. Neuf heures de vol sans escale.
Jérém n’est pas au courant de ma venue. Il aurait à coup sûr tenté de m’en dissuader, et il aurait été capable d’y parvenir. Je ne sais pas comment vont se passer ces retrouvailles. En attendant, je traverse la planète tout entière sans savoir ce que je vais trouver au bout de mon périple. Si ça se trouve, il n’y aura qu’un immense précipice. S’il le faut, je ne vais même pas pouvoir l’approcher. S’il le faut, la présence d’Ewan sera un obstacle insurmontable. S’il le faut, Jérém m’en voudra de cette « intrusion » dans sa nouvelle vie.
J’ai passé deux heures à regarder des gens défiler dans le hall de l’aéroport en me demandant quelles étaient leurs attentes vis-à-vis de leurs destinations. En réalité, je ne sais même pas exactement quelles sont les miennes.
Je crois que j’ai besoin de revoir Jérém une dernière fois.
J’ai besoin de lui parler, d’avoir des réponses à des questions qui me hantent toujours. J’ai besoin d’entendre ses mots.
J’ai besoin de dissiper les malentendus, de lui dire que jamais il n’aurait dû craindre et que jamais il n’aura à craindre mon regard.
J’ai besoin de savoir ce que nous serons dorénavant. Je ne veux surtout pas que nous ne soyons « rien ». Notre histoire ne peut pas se terminer ainsi, dans un silence infini et assourdissant.
Le personnel de bord nous fait la démonstration usuelle des gestes d’urgence, tandis que l’avion se positionne pour le décollage.
Une minute plus tard, les moteurs s’emballent, l’accélération me colle à mon dossier. Le moment où l’avion lève le nez et quitte le sol est toujours une expérience un tantinet bouleversante.
Ça y est, c’est parti. Dans 9 heures, je serai plus proche de Jérém que je ne l’ai été depuis onze ans. Dans moins de 24 heures, je pourrai le voir de mes propres yeux, entendre sa voix, croiser son regard, après onze ans de « black out ».
Comment va-t-il réagir en me voyant débarquer ?
Maintenant, ce n’est plus qu’une question d’heures pour en avoir le cœur net.
L’avion se stabilise en altitude. Mon esprit, mon cœur, mes tripes entrent en résonance. Je ne sais pas si je suis en train de faire la bonne chose.
Je m’en veux d’imposer ça à Anthony.
Je repense à notre dernière conversation avant mon départ.
Visiblement, il y a des choses non réglées entre ton ex et toi. Je pense qu’il faut que tu les règles.
Je ne veux pas te perdre.
Fais ce que tu as à faire, Nico. Je suis bien placé pour savoir que tant qu’on n’a pas fait la paix avec son passé, il revient toujours nous hanter.
Quelle sagesse, quelle grandeur d’esprit dans ce jeune, adorable garçon.
Malgré ses mots, il y avait dans son regard triste une immense inquiétude. Son regard triste, mon déchirement intérieur je les porte avec moi, dans mon cœur, à 10000 bornes de chez moi, à 10000 mètres d’altitude.
Melbourne, le lundi 12 mars 2018, 1h45.
Il fait nuit lorsque je pose le pied en terre australienne. Ces deux jours de voyage et toutes ces heures de décalage horaire m’ont mis KO. A bout de forces, je prends un taxi pour rejoindre l’hôtel que j’ai réservé. Je ne mange même pas. Je tombe sur le lit et je m’endors instantanément.
Melbourne, le lundi 12 mars 2018, 13h22.
Je n’émerge qu’en début d’après-midi, après quelque douze heures de sommeil. Après avoir pris un repas copieux, je ne sais pas quoi faire. En fait, je me sens un peu perdu. Même complètement perdu. J’avais prévu de louer une voiture pour aller à Bells Beach au plus vite. Mais là, j’hésite. Ma détermination flanche. Ces retrouvailles que j’ai appelées de toutes mes forces, cette motivation, cette évidence, cette urgence, cette nécessité qui m’ont poussé à traverser la planère tout entière pour aller à la rencontre de Jérém semblent complètement éclipsées par l’inquiétude vis-à-vis de sa réaction lorsqu’il me verra débarquer à l’improviste.
J’envisage d’attendre le lendemain pour pouvoir m’y préparer davantage. Mais au fond de moi, je sais que je ne serai jamais prêt pour ces retrouvailles. Et que je n’ai pas de temps à perdre.
Alors, malgré la fatigue persistante liée au décalage horaire, je décide de foncer.
Il me faut un certain temps pour me familiariser avec la conduite à gauche, ainsi qu’à son corollaire – les ronds-points à l’envers, les priorités à l’envers – tout comme avec la boîte automatique de ma voiture de location.
Mon trajet vers Bells Beach m’amène à parcourir une centaine de bornes en marge de l’immense Baie de Port Philip. Les paysages, la végétation, l’architecture du bâti, la configuration et la signalétique des routes, les toponymes, les couleurs, la lumière : ce sont autant de signes caractéristiques d’un lieu, autant d’éléments contribuant à cette sensation de « bout du monde » qui nous saisit lorsque nous découvrons un pays lointain.
Et dans cette terre immense à l’autre bout de la planète, au fil de ces grands espaces agricoles inhabités que je rencontre sur mon parcours, tout m’apparaît si différent, si nouveau, si fascinant. Un émerveillement qui arrive pendant un temps à détourner ma conscience de ses inquiétudes vis-à-vis des retrouvailles qui m’attendent au bout de ce trajet.
Je me demande comment il a changé en onze ans. J’imagine qu’il doit porter sa maturité de la même façon qu’il portait sa première jeunesse, avec un naturel désarmant et une aisance fabuleuse. Je l’imagine toujours aussi beau, toujours aussi sexy. Et peut-être même plus.
Quant à moi, je sais que j’ai changé depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Est-ce qu’il va seulement me « reconnaître » ? Ce que je veux dire, la question qui me taraude, est : est-ce que l’écart entre le Nico qu’il a quitté il y a onze ans et l’actuel ne va pas être trop important à ses yeux ? Au fond de moi, j’aimerais encore me sentir désirable dans son regard. Mais j’ai peur que ce ne soit plus le cas. Je sais qu’il a un copain, Ewan, qui non seulement est beaucoup plus jeune, mais qui a été capable de l’apprivoiser et de le sauver de lui-même. J’ai peur que son regard sur moi ne soit plus du tout le même qu’il y a onze ans.
Bells Beach, le lundi 12 mars 2018, 17h44.
La simple vue du panneau « BELLS BEACH » me donne d’immenses frissons, comme un vertige. Mon cœur s’emballe, devient lourd comme du plomb, écrase mes entrailles. J’ai froid, j’ai chaud, je tremble, je transpire, ma vue se brouille, la lumière m’aveugle, j’hyperventile, j’étouffe.
Je ressens les mêmes sensations, la même ivresse que j’avais ressenties en découvrant le panneau « CAMPAN », en son temps, lors des retrouvailles après notre premier clash.
En réalité, le vertige d’aujourd’hui est encore plus déstabilisant. Parce que la distance temporelle qui nous a séparés est infiniment plus grande qu’à l’époque. Et parce qu’aujourd’hui je ne suis ni invité, ni attendu. Je viens par surprise, et la surprise va être totale. Je prends un gros risque. Car il existe une possibilité, qui dans mon esprit se transforme en une probabilité de plus en plus importante au fur et à mesure que je m’approche de ma destination, que cette surprise ne soit pas bien accueillie.
S’il le faut, je vais me faire jeter. S’il le faut, j’ai mis en danger mon histoire avec Anthony pour rien.
Anthony, qui a été vraiment adorable. Anthony qui a compris que je ne serais pas bien tant que je n’aurais pas revu Jérém une dernière fois. Peu de garçons auraient cette empathie, cette compréhension.
Au détour d’un virage, l’océan apparaît au loin. Je sillonne désormais une route en bord de falaise surplombant les plages, les vagues, les surfeurs. Je roule jusqu’à rencontrer un panneau qui finit de transformer mon vertige en début de malaise.
« WELCOME TO BELLS BEACH ».
J’y suis. La quitte la route, je rentre sur le parking. Je suis en apnée, en surchauffe mentale, j’ai l’impression que je vais disjoncter. Avec une voiture qui n’a pas le volant du bon côté, l’esprit secoué par une tempête de mille sentiments contradictoires, le cœur qui cogne tellement fort dans ma poitrine que tout mon corps en tremble, j’ai un mal de chien à me garer.
Et une fois garé, j’ai tout autant de mal à m’extirper de la voiture. Je suis arrivé jusqu’ici, après un voyage de plus de deux jours. Je suis au plus près de Jérém, quelques pas seulement me séparent de lui. Et pourtant j’ai l’impression que je ne vais pas y arriver, que je ne vais jamais pouvoir traverser le parking, que mes jambes ne vont pas me porter.
L’idée de retrouver Jérém après onze ans, à l’autre bout de la planète, me paraît tellement irréelle ! J’ai l’impression que lorsque je vais le revoir, je ne vais pas tenir le choc. Le choc de le revoir. Le choc de croiser son regard. Quel sera-t-il donc, ce regard ?
Est-ce qu’il va seulement être là ? Il est bien possible que je tombe sur Ewan. Je doute de plus en plus de la pertinence de mon voyage.
Je tremble. Mes jambes refusent de se mettre en branle. J’étouffe. J’ouvre la fenêtre de la voiture dans l’espoir de retrouver mon souffle, et un peu de mon calme. Je regarde la plage en contrebas, l’océan et ses vagues impressionnantes chevauchées par un certain nombre de surfeurs.
Je reste là, immobile, assis devant mon volant, le regard perdu dans l’horizon, pendant peut-être une demi-heure. Tout en considérant de plus en plus sérieusement l’idée de faire demi-tour pour revenir demain, ou un autre jour, ou quand je serai mieux préparé, ou peut-être même jamais.
Je ferme les yeux. Je me concentre sur le bruit des vagues, sur l’odeur d’eau salée qui remonte de l’océan, sur la caresse insistante du vent sur ma peau. J’essaie de me calmer. J’essaie de reprendre le contrôle sur mon corps et de mon esprit.
Je prends une profonde inspiration, puis une autre, et une autre encore. L’excès soudain d’oxygène qui monte à mon cerveau m’apporte un regain d’énergie, accompagné d’une sorte de petite euphorie. Je sais que cet état ne va durer que quelques secondes. Alors, j’en profite. Je rouvre les yeux, j’ouvre la porte de la voiture, je bondis dehors.
Je trace comme un fou, avant que mon carburant mental ne me lâche. J’ai l’impression de voler, le léviter, comme si mon corps était devenu léger tout d’un coup, presque inconsistant. J’ai l’impression d’être une voile, poussée par le vent qui remonte de la plage. Ce soir, le vent de Bells Beach semble me pousser vers le pavillon du club de surf, tout comme le vent d’Autan semblait me pousser vers la rue de la Colombette, le jour de ma première révision avec Jérém avant le bac, en cet après-midi du mois de mai d’il y a 17 ans.
Mais une fois devant l’entrée du pavillon où Maxime m’a indiqué que je pourrai retrouver son grand frère, je stoppe net, comme épuisé par un marathon complet.
Avant de partir, j’ai regardé sur internet. J’ai vu la photo de la façade du club de surf. Et de son entrée. Et le fait de la retrouver en vrai, après ce long voyage, de la voir se matérialiser devant mes yeux, devenir enfin réelle, me dire qu’il ne me reste qu’une porte à passer pour retrouver Jérém, ça me fait un choc.
Dans cet instant d’hésitation, je perds tout le bénéfice de mon élan. Mon cœur s’emballe un peu plus encore, j’ai à nouveau l’impression d’être plombé sur place.
Une nouvelle fois, je ferme les yeux et je fais le plein d’oxygène. Et dès que mes neurones se mettent à crépiter, je passe la porte du pavillon comme une furie.
En passant ce seuil, j’ai l’impression de basculer d’un niveau de « Tetris » au suivant. Le décor change, l’ambiance avec. Mais au lieu de voir tout s’accélérer, j’ai l’impression que tout se passe désormais au ralenti autour de moi.
J’ai l’impression que chaque mouvement, y compris ceux de mes yeux, me coûte un effort de plus en plus immense. Et qu’il me faut un temps infini pour balayer le grand espace du regard. Comme un scanner avec le réglage de la définition paramétré trop haut.
Je LE cherche. Dans les moindres recoins de cet espace désert, je guette les signes de sa présence. Mais ma recherche n’aboutit pas. A la fois épuisé et déçu par cet « échec », je me laisse happer par la grande baie vitrée qui surplombe la plage et les vagues de l’océan. Pas dégueu comme décor de travail.
Dans un reflet pâle de la baie vitrée, j’aperçois une plastique solide, un short rouge, un t-shirt blanc. Mais le visage reste flou.
‘Evening ! Needing some help ?
Des frissons, des frissons, des frissons. Si forts que j’ai l’impression que je vais faire un malaise. Car, cette voix, c’est SA voix. Je ne l’ai pas encore vu, je n’ai entendu que sa voix. Une poignée de mots, dans une langue qui n’est même pas celle dans laquelle nous avions coutume de communiquer. Et tout remonte en moi. En dépit des années écoulées, des pages noircies pour raconter notre histoire et pour trouver un sens à sa fin, en dépit de ce que je me suis astreint à croire, non, le deuil n’est pas fait.
Mais est-ce qu’on peut vraiment faire le deuil d’un amour dont on a été privé si brutalement ?
Cet instant, c’est l’instant d’AVANT.
AVANT qu’il ne capte qui je suis.
AVANT que sa présence traverse ma rétine après onze ans d’absence.
AVANT ces retrouvailles que j’ai appelées de mes vœux les plus chers, et qui en même temps me donnent AVANT que je croise son regard.
L’instant AVANT d’être fixé sur sa réaction en me voyant débarquer à l’improviste dans sa nouvelle vie.
Hey, man, may I help you ? il revient à la charge.
Les secondes passent et je n’arrive pas à me retourner. J’ai peur de me montrer à lui, j’ai peur des émotions qui vont me submerger, et qui me submergent déjà. Alors, je me cache derrière mon anonymat éphémère.
Les émotions qui m’envahissent sont trop puissantes, j’ai l’impression que je ne vais pas tenir, que je vais faire un malaise. J’ai envie de rebrousser chemin, de partir très loin d’ici.
Mais non, non, non ! Je suis là pour lui, je suis là pour le revoir, pour lui apporter mon soutien. Il faut y aller, Nico ! Vas-y, putain, tourne-toi !
Enjoy the view ! je l’entends me lancer, sur un ton un brin agacé.
Une seconde plus tard, le bruit de ses pas qui s’éloignent agit comme un déclencheur.
Jérém ! je m’entends finalement l’appeler, au prix d’un effort surhumain.
Plus de dix ans que je n’ai pas prononcé ce beau prénom en m’adressant directement à son propriétaire. Ça fait tellement bizarre. Et c’est tellement bon de recommencer !
Les pas s’arrêtent d’un coup. Je me retourne enfin, et sa présence embrase ma rétine, transperce mon cœur, achevant le travail commencé par sa voix.
Jérém est de dos, à l’autre bout de la grande pièce, et il a l’air comme foudroyé sur place. A l’évidence, il a reconnu ma voix. Il reste ainsi pendant une poignée de secondes, d’interminables secondes. Je commence vraiment à redouter sa réaction, à me dire que je n’aurais jamais dû venir ici.
Mais lorsque Jérém se retourne enfin, il l’air à la fois surpris, touché, ému. Je cours vers lui, je le serre très fort dans mes bras. Jérém me serre à son tour dans les siens, il s’accroche à moi comme s’il m’avait attendu depuis longtemps.
Je m’étais attendu qu’il me demande « qu’est-ce que tu fiches ici ? » qu’il soit contrarié, et même agressif. Je m’étais complètement trompé. Ses larmes et son accolade me donnent la mesure d’à quel point ça lui fait plaisir de me revoir.
Je caresse son cou, sa nuque, ses épaules, son dos, ses cheveux. Je retrouve sa signature olfactive, ce mélange si familier d’odeur de cigarette froide et d’intense parfum de mec. Je retrouve, je redécouvre sa présence. Comment elle m’a manqué, sa présence !
Quelques instants plus tard, nous descendons l’un des grands escaliers en bois qui mènent à la plage.
Nous marchons pendant plusieurs minutes, en silence, l’espace sonore saturé par le sifflement du vent et par le rugissement des vagues. Nous marchons jusqu’à ce que Jérém se pose enfin sur le sable. Et je m’installe aussitôt à côté de lui.
Salut, toi, il finit par me lancer.
Salut, Jérém.
Nous avons tellement de temps à rattraper, j’ai tellement de choses à lui dire, à lui demander, que je ne sais même pas par où commencer. Et j’ai l’impression que c’est la même chose de son côté. Mais les mots ne viennent pas, ni de lui, ni de moi.
Car, avant les mots, ce sont les informations visuelles que nous devons appréhender. Pendant ces premiers instants de retrouvailles, nous essayons de nous remettre de notre surprise, de notre incrédulité, de nos émotions. Nous comparons le passé et le présent.
Je retrouve sa belle petite gueule, ces traits de mecs que le temps a un peu marqués. Des cernes se sont dessinées sous ses yeux, son sommeil ne semble pas être au beau fixe. Je retrouve son arête nasale un peu cassée, ce « stigmate » au beau milieu de son visage qui rappelle notre agression parisienne, l’instant où il a failli se faire tuer pour me sauver la vie. L’instant où notre bonheur a pris fin.
Je retrouve sa crinière brune, qui n’est d’ailleurs plus tout à fait aussi brune qu’auparavant. Quelques cheveux blancs se sont glissés ci et là, et notamment au niveau des tempes. Le brushing est moins soigné qu’avant, il est plutôt laissé en bataille. Et dans sa barbe, un peu négligée, des poils blancs ont là aussi fait leur apparition. Quant à sa plastique, elle s’est un brin épaissie.
Il est cependant des choses qui n’ont absolument pas changé. Jérém porte toujours aussi fabuleusement bien son t-shirt blanc, le coton fin mettant toujours aussi bien en valeur ses pecs, ses épaules, ses biceps, son cou, son torse, ses tatouages, sa peau mate et délicieusement bronzée au soleil d’Australie.
Posée sur le coton immaculé, je reconnais la chaînette que je lui avais offerte pour ses vingt ans. Il ne l’a jamais quittée. Tout comme moi je n’ai jamais quitté la chaînette qu’il m’a offerte lorsque nous quittions Campan au moment où la vie nous séparait géographiquement, lui s’installant à Paris pour débuter sa carrière dans le rugby professionnel, moi à Bordeaux pour mes études.
Toi, ici ? il finit par me lancer, comme s’il venait enfin de retrouver ses esprits après le choc de ces retrouvailles.
Je passais par là et je me suis dit que je pouvais passer te faire un petit coucou, je tente de plaisanter.
Comment tu m’as retrouvé ?
Un petit oiseau… ton frère !
Jérém se laisse basculer contre moi, la tête appuyée contre mon épaule. Un geste plus explicite que mille mots. A mon tour, je cherche le contact. Je passe un bras autour de son cou et de son épaule. A cet instant précis, je suis ému comme je l’ai rarement été dans ma vie.
Onze ans que j’attends cet instant. Et qu’est-ce que c’est bon de le retrouver !
Au-dessus de nous, le ciel est bleu et immense, le soleil couchant est aveuglant. Le vent souffle avec insistance, crée des vagues puissantes et sonores, nous amène des embruns parfumés. Il fait onduler les cheveux de Jérém, fait s’agiter son t-shirt sur ses pecs.
De longues minutes de silence s’écoulent ainsi. Nous restons là, immobiles et silencieux devant la puissance des éléments. Jérém se repose littéralement contre mon épaule.
Et moi, je fonds. Et je me liquéfie littéralement lorsque je sens son bras passer dans mon dos. La chaleur de son corps contre le mien fait remonter une foule de souvenirs, de sensations, d’émotions. Et de sentiments.
Pour cette nuit, j’avais prévu de prendre une chambre dans un hôtel. Mais Jérém me propose de dîner et même de dormir chez lui à Bellbrae, un village à quelques bornes de Bells Beach.
Mais tu es sûr que ça ne dérange pas Ewan ?
Certain !
Tu lui as dit quoi de moi ?
Pour l’instant, juste que tu es un très bon pote de lycée qui est venu visiter l’Australie et qui en a profité pour venir me retrouver après tout ce temps. Je lui dirai le « reste » plus tard.
Et il est ok pour que je reste dormir chez vous ?
Il n’y a pas de problème. Enfin… je ne veux pas te forcer. Si tu penses te sentir plus à l’aise à l’hôtel, je peux te déposer.
Je suis touché par son élan de m’accueillir chez lui alors que je viens de débarquer dans sa vie avec la soudaineté d’un voyageur dans le temps. Et j’apprécie son attention de me laisser le choix de ne pas l’accepter, au cas où sa nouvelle vie et son nouveau bonheur pourraient m’affecter. Jérém ne sait pas encore quelles sont les raisons qui m’ont amené à traverser la moitié de la planète pour venir le retrouver. Il ne sait pas quels sont mes sentiments actuels à son égard. Alors, il essaie de me protéger. Je trouve ça adorable.
En vrai, j’hésite un peu. Je repense à cette soirée à Paris où j’ai dormi chez Rodney et Jérém, je repense à comment ça m’a fait mal d’assister à leur complicité, à leur amour. Je me demande si je suis prêt à dormir cher Jérém et Ewan, à assister à leur complicité, à leur amour.
Onze ans ont passé depuis la fin de notre histoire. Il serait temps que je sois prêt.
Et puis, si je n’accepte pas l’invitation à dormir proposée par Jérém et approuvée par Ewan, cela pourrait d’une certaine façon paraitre suspect.
A l’approche de Bellbrae, je ressens un stress immense s’emparer de moi. J’appréhende l’instant où je croiserai le regard d’Ewan. J’ai peur qu’il détecte la multiplicité de mes sentiments vis-à-vis de Jérém. J’ai peur d’y voir de l’hostilité.
La petite maison en bois est située en marge du petit centre, installée sur un terrain très plat, entourée de quelques arbres solitaires et d’un sol mis à nu par la sécheresse. Une nouvelle fois, cette impression de « bout du monde » me saisit. Une sensation à la fois de déracinement, de solitude, de lâcher prise, de nouveau départ et de confiance en l’avenir. La sensation qu’ici, maintenant, tout serait possible.
Lorsque Jérém franchit la porte de la maison, j’ai l’impression que mon cœur tourne à mille battements par minute. En dépit de mes craintes, je suis accueilli plutôt chaleureusement.
Ewan est un sublime petit mâle à poil blond et aux yeux clairs. Ses cheveux, coupés presque à blanc autour de la nuque, sont plus denses au-dessus de la tête, ondulés, ils ont l’air très doux. En bon surfeur, c’est un garçon solide, musclé. Il a une belle petite gueule d’ange entourée par une petite barbe bien taillée. Ce qui, avec ce chapelet de petits grains de beauté dans son cou, le rend carrément craquant. En dépit de sa jeunesse, ce garçon semble solide et rassurant. Je comprends parfaitement comment Jérém ait pu tomber sous son charme.
Jérém s’approche de lui et l’embrasse. Puis, il fait les présentations.
Ewan, here is Nico, the high school friend I told you about. Nico, this is Ewan…
Ewan est un garçon plutôt sympathique, son sourire est magnifique. Et son rire, cristallin, sonore, spontané, possède quelque chose d’enfantin qui le rend craquant.
Ce soir, j’assiste à leur complicité, à leur tendresse. Une main qui se pose sur l’épaule, des taquineries, des regards, des sourires d’amoureux. Ils ont l’air heureux. Une partie de moi ressent une profonde tristesse. Une partie de moi ne peut pas s’empêcher de se dire que c’est moi qui devrais être à la place d’Ewan aux côtés de Jérém.
Sur une étagère de la pièce de vie trônent de nombreux trophées, ainsi que des photos d’Ewan. Sur la plupart d’entre elles, il est en tenue de surfeur, planche sur l’eau ou tenue à la main. Le petit mec a l’air d’être un crack de cette discipline.
Ewan est vraiment un très beau garçon. Il a une tête d’ange posée sur un corps de statue grecque. Et ses cheveux blonds, mon dieu comment ils sont beaux et fournis, et comment ils ont l’air doux ! Et sa jeunesse, elle est si aveuglante !
Sa passion, ainsi que son club, me donnent quelques bons sujets de conversation pour la soirée, ce qui m’aide à dissiper le malaise de m’être d’une certaine façon incrusté dans l’intimité de ce foyer.
Mais lors de retrouvailles après tant d’année, le passé finit toujours par s’inviter dans la conversation et par l’accaparer entièrement.
Ewan tente d’abord de prendre part aux échanges entre Jérém et moi, en posant des questions. Mais le fait est que ni moi ni Jérém ne possédons une assez bonne maitrise de l’anglais pour tenir une longue conversation, sans compter l’effort qu’il faut produire pour s’astreindre à parler avec un compatriote une langue autre que notre langue natale.
Ainsi, peu à peu, nous glissons vers le français, excluant ainsi Ewan de notre conversation. J’ai de la peine pour lui, et j’essaie parfois, tout comme Jérém, de traduire, de l’impliquer. Mais c’est trop dur. Jérém s’excuse auprès d’Ewan, et ce dernier lui dit que ça ne fait rien, qu’il comprend.
Nous passons un certain temps à évoquer l’insouciance des années de lycée, à nous souvenir des camarades, des profs, des bêtises faites entre et pendant les cours. Son regard empli de nostalgie et de tristesse me touche profondément.
Assez vite, je suis saisi par l’impression que le jeune surfeur passe de l’écoute poli à l’ennui, puis carrément à l’agacement. En clair, j’ai l’impression que non seulement il se fait de plus en plus chier en écoutant deux anciens camarades de lycée évoquer leurs jeunes années, dans une langue qu’il ne comprend pas en plus, mais qu’il est de plus en plus crispé par notre complicité.
Aussi, certains de ses regards, lancés à Jérém, d’autres que je capte sur moi, me font me poser des questions. Est-ce qu’il ne s’en pose pas, lui, Ewan, des questions au sujet de ce pote qui débarque à l’improviste venant de l’autre bout de la planète, ainsi que sur cette complicité si évidente avec son mec ?
Ewan finit par prendre congé, nous souhaitant une bonne soirée. Jérém me lance « Je reviens », il disparait un moment, probablement pour aller s’excuser encore auprès d’Ewan pour l’avoir exclu de la conversation, pour le rassurer, pour lui faire un bisou, pour le serrer dans ses bras.
Lorsqu’il revient, il semble plus à l’aise. Et je suis interloqué dès les premiers échanges.
Tu travailles toujours à Toulouse, dans le truc de l’eau ?
Et tu habites toujours Martres ?
Et comment va ton labrador… Galaak, c’est ça ?
Je suis surpris par la quantité d’informations qu’il connait à mon sujet, signe qu’il n’a jamais cessé de s’intéresser à moi, même à l’autre bout de la planète, même après toutes ces années.
Mais qui t’a raconté tout ça ? j’ai envie de savoir.
Mon frère ! Ça ne va pas que dans un sens, tu sais !
Ah, sacré Maxime !
Et tes parents, comment ils vont ?
Pas mal, ils t’envoient le bonjour.
Ce soir, je suis ivre, presque assommé, plongé comme dans un état second par le vertige d’avoir retrouvé Jérém à l’autre bout du monde, et après tout ce temps. Je n’arrive toujours pas à croire que je peux le regarder, là, devant moi, derrière une bière. Et que je pourrais le toucher, le serrer fort contre moi, si je le voulais.
Ce qui me bouleverse le plus, c’est de mesurer le temps que nous avons passé loin l’un de l’autre, les choses que nous n’avons pas vécues ensemble pendant toutes ces années. Et de me dire qu’au fond, ça aurait été facile de faire en sorte que notre séparation ne soit pas aussi longue. Que ça aurait été facile de prendre un billet d’avion plus tôt, il y a des années déjà, qu’il aurait suffi que je vienne plus tôt pour le retrouver plus tôt. Je me dis que j’aurais dû venir dès que j’ai su qu’il était revenu en Australie, après le coming out de Rodney. Rodney ou pas Rodney, j’aurais dû venir le voir. Rodney ou pas Rodney, peut-être nous aurions pu nous retrouver.
Ou alors, j’aurais dû venir il y a cinq ans, quand j’ai appris qu’il n’était plus avec Rodney, quand j’ai appris qu’il était venu en France sans passer me voir. J’aurais dû venir pour lui demander pourquoi il n’était pas venu me voir. Il n’avait pas osé, j’aurais dû oser. Mais je n’ai pas osé non plus. Et je ne saurais jamais si on aurait pu se retrouver à ce moment-là.
C’est toujours tellement facile de faire le bon choix « a posteriori », quand on sait ce qui s’est passé, une fois délivrés de l’inconnu et des peurs de l’instant où nous avons eu à faire ce choix.
Au fond de moi je me dis que si c’était à refaire, je n’oserai toujours pas. J’ai passé toutes ces années à me dire que Jérém voulait garder ses distances avec moi. Et puis, il y avait ma souffrance, la souffrance jamais éteinte de la séparation. L’idée de le retrouver amoureux d’un autre m’était insupportable.
En fait, l’idée la plus insupportable de toutes était celle de le retrouver et de constater qu’il n’était plus amoureux de moi, de nous retrouver en tant qu’« ex ». Cette idée est toujours difficile à accepter, même aujourd’hui, même à cet instant. Mais le temps a apaisé ma souffrance.
Tout au long de cette nuit, je retrouve d’autres détails de sa personne, de sa présence. Ce petit grain de beauté au creux de son cou qui m’a toujours rendu dingue, le teint mâte de sa peau, quelques poils du torse qui dépassent du col de son t-shirt. Je retrouve le son de sa voix, ses intonations, désormais teintées d’un léger accent anglo-saxon. Mais aussi les expressions de son visage, sa façon de bouger, de manger. Et chacun de ces détails retrouvés appelle à des sensations jamais oubliées, à des souvenirs vivants, et provoque des déflagrations émotionnelles à répétition.
Peu à peu, je prends pleinement conscience d’une impression qui m’avait déjà saisi tout à l’heure, lorsque nous étions sur la plage. Le fait que le changement de Jérém est moins dans son allure que dans son attitude. Plus je l’observe, plus je l’écoute parler, plus je me rends compte que son insolence, son impulsivité, son impatience, tous ces traits marquants de son caractère d’antan, semblent avoir disparu.
Le Jérém d’aujourd’hui, à quelques mois de son 37ème anniversaire, semble avoir été adouci par les années. Dans son regard, dans son attitude, une certaine fragilité semble s’être installée. Une fragilité qui a toujours été en lui, mais qu’il cachait auparavant derrière une assurance de façade. Une fragilité que les coups de la vie ont mis à nu. Une fragilité qu’il semble désormais assumer.
Je repense au sublime petit con du premier jour du lycée, au jeune loup sexy et insolent que j’ai désiré pendant les trois ans du lycée, au serial baiseur que j’ai connu pendant nos révisions avant le bac, au Jérém amoureux pendant les dernières années de notre histoire. Toutes ces images, tous ces Jérémies se superposent dans mon souvenir.
Et lorsque je réalise qu’entre mon premier souvenir de Jérém et le Jérém que je retrouve aujourd’hui en Australie se sont écoulés près de vingt ans, mon esprit est saisi par un immense vertige.
Notre conversation est plus fluide en l’absence d’Ewan. Nous passons une bonne partie de la nuit à parler de ces dix dernières années que nous n’avons pas partagées, de ce que nous avons fait chacun de notre côté. Tout en évitant toujours aussi soigneusement d’aborder notre séparation, ainsi que nos histoires sentimentales successives. Cette nuit, nous avons avant tout besoin de nous apprivoiser à nouveau. Avant d’aborder, peut-être plus tard, les sujets qui demeurent toujours sans réponse entre nous.
Oui, cette nuit nous évitons d’évoquer les souvenirs qui peuvent faire mal, ceux d’après Ourson et P’tit Loup. Cette nuit, je ne lui apprends pas l’existence d’Anthony.
Mais Anthony « s’invite » à sa façon dans nos retrouvailles. Mon portable se met à sonner. Je coupe au plus vite, je le mets « en vibreur ». Mais quelques minutes plus tard, la vibration vient renouveler mon malaise.
Tu peux répondre… me glisse Jérém, l’air détaché.
C’est juste ma mère, je mens. Je la rappellerai demain, je mens encore. Tout en essayant de cacher mon embarras grandissant.
Mais j’ai l’impression de ne pas y arriver, j’ai l’impression d’avoir les joues en feu, j’ai l’impression que tout trahit mes mensonges. Je me sens mal vis-à-vis de Jérém, mais aussi d’Anthony.
En dépit de mon malaise, Jérém fait mine de ne rien remarquer.
J’ai tellement envie de le serrer dans mes bras et de le couvrir de câlins !
Et en même temps, je ne peux ignorer le fait que j’ai terriblement envie de lui.
Il est près de quatre heures du matin lorsque je l’entends me lancer :
Allez, on va dormir…
Je suis un peu déçu que notre première soirée en soit déjà au coup de sifflet final. Je n’ai pas envie de me séparer de Jérém. Mais je tombe de fatigue et je le suis docilement vers la chambre d’amis.
Au moment de nous souhaiter bonne nuit, je croise son regard.
Ah, ce regard ! Il était déjà magnifique il y a vingt ans, lorsqu’il était le reflet de sa petit conitude, de son insolence, de son effronterie. Il est carrément insoutenable désormais, alors que les coups de la vie ont ajouté de la douceur à sa mâlitude, de la tendresse à sa sensualité, de la vulnérabilité à son assurance, de la gravité à son insouciance d’antan.
Je ne peux renoncer au besoin irrépressible de le prendre une dernière fois dans mes bras, et de le serrer très fort contre moi. Je suis bouleversé par le bonheur de sentir ses bras m’enserrer à leur tour. Le contact avec son torse puissant et chaud, la proximité avec sa mâlitude provoque en moi une émotion insoutenable. Je pleure en silence.
Quelques instants plus tard, Jérém a disparu dans le couloir, après avoir refermé la porte de la chambre derrière lui. Je reste là, debout, le cœur qui bat la chamade, le ventre balayé par les vents puissants d’envies complètement déraisonnables, à fixer la porte pendant de longues minutes. Jusqu’à ce qu’un silence parfait se fasse dans la maison.
Mardi 13 mars 2018, 10h49.
Lorsque j’émerge le lendemain matin, Jérém et Ewan sont déjà partis au taf. Jérém a laissé un mot sur la table de la cuisine.
« Fait comme chez toi. Vien au club à midi on dejeune ensemble ».
Son écriture n’a pas changé depuis le lycée. Elle a gardé quelque chose d’enfantin dans le trait, ainsi que ses erreurs d’orthographe. Elle est toujours aussi touchante à mes yeux.
Le temps de prendre un café et de m’habiller, je vais le rejoindre à Bells Beach.
Contrairement à la veille, en cette fin de matinée le club est bondé de monde. Jonglant entre les moniteurs, les surfeurs, les employés, et des gars qui ont tout l’air d’être des commerciaux, des publicitaires et/ou des journalistes, Jérém a l’air débordé et tendu. Le téléphone de l’accueil ne cesse de sonner, tout comme son téléphone portable à lui. Dans la pièce, le brouhaha est assourdissant. J’imagine que toute cette agitation est le raz de marée qui précède la fameuse compétition qui doit avoir lieu la semaine prochaine.
Je cherche Jérém dans ce fourmillement. Aujourd’hui, c’est t-shirt noir. Et le t-shirt noir lui va lui aussi toujours aussi fabuleusement bien.
Jérém est la cible de mille sollicitations, et il semble très tendu. On dirait un élastique sur le point de casser. Il est tellement absorbé par tout ce bordel qu’il ne m’a même pas vu arriver.
Ewan, de son côté, a l’air beaucoup plus détendu. C’est lui qui me capte en premier et qui vient me dire bonjour. Ce matin, son sourire est de retour, et son agacement de la veille semble avoir totalement disparu. Je lui explique que je voudrais me rendre utile, filer un coup de main, mais que je ne sais pas par où commencer.
Ewan appelle Jérém, qui vient nous rejoindre.
Tu ne t’es pas tapé deux jours d’avion pour venir t’empêtrer dans ce bordel ! il me lance
(Non, je me suis tapé deux jours d’avion pour te retrouver !).
Profite de ton séjour en Australie !
(Rester à tes côtés, est pour moi la plus belle façon de profiter de mon séjour en Australie).
J’en profiterai plus tard. Dis-moi comment je peux vous aider, j’insiste.
Finalement, Jérém me demande d’aider Emily, c’est le prénom de l’employée que j’avais aperçu la veille dans le magasin, à trier et ranger du matériel de surf. Emily se révèle être une nana plutôt sympathique, ainsi nous travaillons en bonne entente pendant un bon petit moment.
A la machine à café, Jérém m’explique la situation.
Une grande compétition de surf va avoir lieu à Bells Beach la semaine prochaine. Les sponsors et les organisateurs de la compétition se tirent la bourre pour se mettre au premier plan. Les journalistes veulent des infos, ils me saoulent. Je n’ai jamais aimé donner des interviews, et j’aime toujours pas, et encore moins en anglais !!! J’en ai marre !!!
Mais c’est une compétition si importante ?
L’une des plus importantes d’Australie, et l’une des plus réputées au niveau mondial. Le gratin des surfeurs de la planète entière va débarquer sur cette plage en fin de semaine. Ça va être un bordel monstre !
Je veux t’aider, Jérém. Dis-moi ce que je peux faire !
Ewan et Jérém finissent par décréter que deux bras de plus au club ne seront pas de refus, surtout pendant ces quelques jours de préparation de la compétition.
Ce soir, après qu’Ewan soit parti se coucher, Jérém me parle longuement de l’Australie. Au fil de son récit, je réalise à quel point il a aimé découvrir ces paysages, ces décors, ces grands espaces, prendre un nouveau départ, redevenir anonyme, rencontrer plein de gens différents, apprendre une autre langue, découvrir une autre culture, une autre ouverture d’esprit.
Sans qu’il prononce la formule « bout du monde », je comprends qu’il a ressenti cette même sensation qui m’a cueilli dès que j’ai posé le pied en terre australienne. Cet état d’esprit si particulier, une sorte de « saudade » des antipodes, entre nostalgie d’un bonheur perdu et envie irrépressible d’un sursaut vital vers l’avenir.
Je suis fasciné par son récit. Tout comme je le suis de sa façon de fumer, plus sensuelle que jamais. La sensualité est dans la lenteur du mouvement, dans ces inspirations voluptueuses, ces longues pauses, ces lentes expirations. Elle est dans l’attitude, une sorte d’abandon de toute sa personne, le regard dans le vide, et dans le silence absolu par lequel ce moment est enveloppé.
Pourquoi l’Australie ? je m’entends le questionner. Je veux dire… pourquoi tu as choisi l’Australie parmi d’autres destinations ?
Sa réponse vient après une nouvelle, lente expiration de fumée grise.
Parce qu’un jour j’ai croisé un gars qui venait d’y passer un an. Il avait l’air de dire que ça lui avait fait un grand bien de venir ici. Il regrettait carrément d’être retourné en France. Alors, quand j’ai eu besoin de prendre l’air, je me suis souvenu de ce qu’il m’avait raconté et j’ai voulu venir à mon tour me perdre ici.
Et tu as trouvé ce que tu cherchais ?
J’ai trouvé le calme qu’il me fallait…
Pourquoi tu es revenu en France, alors ?
Tu te souviens de cette soirée à Toulouse après mon retour d’Australie ?
Je m’en souviens comme si c’était hier ! Depuis près de onze ans, il ne s’est pas passé un jour sans que je me demande pourquoi tu m’as dit que tu voulais renoncer au rugby, et rester avec moi, alors que quelques semaines plus tard tu étais à Londres, chez les Wasps, et en couple avec Rodney !
Ce soir-là, j’étais sincère.
Et qu’est-ce qui s’est passé alors, pour que tu changes tes plans du tout au tout ?
Ce soir-là, tu m’as dit que si j’avais renoncé au rugby j’aurais été malheureux.
Je me souviens…
Tu m’as fait regarder la réalité en face. Et la réalité c’était que je n’aurais pas supporté de rester en France et d’être regardé comme « le mec qui avait foiré sa carrière parce qu’il était pédé ». Et je n’aurais pas supporté non plus de regarder mes potes continuer à jouer, alors que j’avais tout perdu.
Le lendemain de cette soirée, je ne savais vraiment pas quoi faire. Je ne voulais pas te perdre. Mais je ne pouvais pas me résigner à renoncer au rugby. Pas à ce moment-là, pas encore, alors que j’étais au top de ma forme physique ! Pas parce que les autres m’y obligeaient.
Alors, je suis parti à Londres pour rencontrer le coach des Wasps. J’espérais qu’il m’aide à prendre une décision. Je lui ai dit « qui » j’étais, je lui ai raconté ce qui m’était arrivé à Paris. D’un côté, j’espérais qu’il m’offrirait une deuxième chance. Mais au fond de moi, je m’attendais à ce qu’il tique, de peur que le harcèlement me rattrape même dans son équipe, et que ça m’empêche de faire le job. S’il m’avait dit que j’étais foutu en tant que joueur, ça aurait mis un terme à mes ambitions.
Mais le coach m’a dit : « Si j’arrive à te faire recruter, tu joues du mieux que tu peux, et tu te fiches du reste. Et si on te fait chier, tu viens me voir, je m’en occupe personnellement ! ».
L’après-midi, il m’a fait participer aux entraînements de l’équipe. C’est là que j’ai rencontré Rodney. Rodney est un garçon adorable. On a sympathisé tout de suite. Le soir même, il m’a proposé de crécher chez lui en attendant de voir venir.
Le lendemain, le coach avait convaincu la direction de m’engager à l’essai. En tout juste 24 heures, ma vie avait basculé. J’ai enfin recommencé à croire que j’y arriverais. Et que je pouvais emmerder tous ceux qui m’avaient humilié, que je pouvais faire bien mieux que tous ces cons. Et cette idée me faisait un bien fou.
La clope de Jérém arrive à sa fin. Il expire un dernier nuage de fumée avant d’écraser son mégot.
Je ne savais pas comment t’annoncer que je ne reviendrais pas en France, et encore moins que j’étais avec un autre gars, alors que quelques jours plus tôt je t’avais promis de ne pas partir, et de rester avec toi. J’ai été lâche. Comme d’hab.
Mon esprit semble flotter, poussé par les mots de Jérém, porté par le calme et le silence presque irréel de cet endroit. Ici, cette nuit, le temps semble s’écouler au ralenti. Et mes pensées, mes émotions semblent elles aussi peu à peu s’adapter à ce rythme, à cette douceur.
Rodney était l’un des meilleurs joueurs de sa génération, il continue. Il était aussi le capitaine de l’équipe, l’une des plus grandes d’Angleterre. En plus, c’est un garçon très charismatique, droit dans ses bottes, et il a le cœur sur la main.
A côté de ça, il est gay, et il s’assumait sans faire des vagues. Tout le monde était au courant, mais tout le monde le respectait. Personne n’aurait pensé à l’emmerder.
Jusque-là, je n’avais entendu que du mépris dans le milieu sportif pour les gars comme nous. Et je m’étais toujours senti en danger. Et là, entre la côte de Rodney et le soutien du coach, je me suis dit que personne n’aurait osé me faire chier. Pour la première fois dans ma vie, je me suis senti en sécurité. Tant que j’étais avec Rodney, j’avais l’impression qu’il ne pouvait rien m’arriver.
Rodney a réussi là où j’ai échoué, je considère tristement.
Eh, Nico ! Ne dis pas ça ! Tu m’as aidé, tu m’as soutenu, tu m’as fait m’accepter tel que je suis. Tu as toujours été là quand j’avais besoin de toi, alors que je t’en ai fait baver plus que de raison.
Jérém marque une nouvelle pause, scandée par le rythme à trois temps de la cigarette.
De toute façon, ce n’était qu’une illusion…
Quoi donc ?
Quand ces putains de photos sont apparues, j’ai cru que le ciel me tombait sur la tête. Je me suis senti humilié comme jamais. Je me suis senti à poil devant la terre entière. J’ai compris que je ne serais en sécurité nulle part, que la faute d’être pédé me suivrait où que j’aille, quoi que je fasse. Je savais que je ne me relèverai pas de ça, et que c’était la fin de ma carrière au rugby. J’étais démoli.
Et Rodney, lui, il vivait ça très bien, il prenait ça avec le sourire. Je ne comprenais pas comment il pouvait rester si cool. Quand il a accepté de faire son coming out devant les caméras, je me suis senti encore plus mal, car je savais que cela attirerait encore l’attention sur moi. Et moi je voulais juste qu’on m’oublie !
Je trouve qu’il a été courageux de faire ce qu’il a fait, je considère. Il a été couillu de se montrer à la télé « la tête haute » et de dire « je suis gay, et alors ? », et d’attirer l’attention sur le fait qu’on peut être gay et être un excellent sportif. C’était un message d’encouragement aux sportifs qui vivent cachés de peur de voir leur carrière brisée à cause de ce qu’ils sont. Je l’ai trouvé juste, ferme, sincère.
Je sais qu’il a fait ce qu’il fallait. Mais sur le coup, je n’avais pas la lucidité de l’admettre.
J’imagine que ça n’a pas été facile de supporter toute cette exposition médiatique, je considère.
C’était affreux ! J’ai cru devenir fou. Alors, j’ai voulu fuir le plus loin possible. J’ai repensé à mon voyage en Australie deux ans plus tôt, j’ai repensé à comment je m’y étais senti bien, loin de tout. Je me suis dit que j’y serais bien à nouveau, et que ce serait plus facile de surmonter ce qui m’arrivait.
Que ce serait plus facile avec Rodney… je m’avance.
J’ai été étonné qu’il vienne me rejoindre.
Il t’aimait…
Je crois, oui, je crois qu’il m’aimait.
Et toi, tu l’as aimé ? je veux savoir.
Rodney a beaucoup compté pour moi. C’est en bonne partie grâce à lui si j’ai pu retrouver mon niveau sportif d’avant l’agression…
Je te demande si tu l’as aimé, j’insiste.
Je crois que j’aimais surtout sa façon de rendre les choses simples, de me redonner espoir, et de me faire me sentir bien. J’aimais sa générosité et j’admirais sa capacité à concilier sa vie privée et sa carrière.
Je comprends sa souffrance de l’époque, je la touche de près. Et je comprends aussi qu’il ait pu trouver en Rodney un soutien que je n’aurais jamais pu lui apporter.
Tu sais, raccrocher le maillot a été vraiment très dur. J’ai bossé dur, très dur. Je voulais y arriver coûte que coûte. Et j’y suis arrivé. J’ai eu une belle carrière. J’ai porté des maillots prestigieux, j’ai joué dans des stades de dingue. J’ai été champion de France avec des gars en or. Je n’oublierai jamais la sensation quand j’ai soulevé le bouclier de Brennus. J’étais si heureux ! J’ai joué dans le XV de France, j’ai gagné un Tournoi des Six Nations et j’ai même joué en Coupe du monde.
Le plus dur a été d’accepter l’injustice de me voir privé de ma carrière parce que j’étais pédé. Et accepter que le rugby continue sans moi.
Je n’allais pas bien, j’ai fait la misère à Rodney. Pourtant, ce mec a tout fait pour me faire me sentir bien. Lui aussi, je l’ai fait souffrir. De toute façon je ne sais que faire du mal aux personnes qui m’aiment. Tu es bien placé pour le savoir.
La compétition approche, les préparatifs s’intensifient, le stress monte. Le club devient un hall de gare aux va-et-vient incessants. Le téléphone chauffe. De plus en plus de monde envahit cette plage paisible. Les organisateurs installent des chapiteaux, des estrades, des gradins, des aménagements de sponsoring. Des enceintes puissantes émettent de la musique si fort qu’elle couvre même le bruit des vagues.
Jérém ne quitte pratiquement plus la plage. Grandes lunettes de soleil sur le nez, la plupart du temps en t-shirt blanc, il lui arrive parfois de se laisser surprendre torse nu. Je peux ainsi constater que sa plastique a évolué, que ses muscles ne sont plus aussi saillants que lorsqu’il était rugbyman, mais que son torse demeure très bien dessiné. Et que dans sa toison mâle, tout comme dans sa chevelure et sa barbe, quelques poils blancs ont trouvé le moyen de se faufiler. Ce qui n’empêche pas sa peau bronzée, ses pecs et ses tétons de demeurer furieusement appétissants.
La maturité lui va si bien. A l’aune de ses 37 ans, Jérém est plus séduisant que jamais.
Parfois, la nuit, je ressens un pincement au cœur en entendant des petits bruits venant de la chambre de Jérém et d’Ewan, et en m’imaginant qu’ils font l’amour.
Bells Beach, le vendredi 16 mars 2018.
L’ambiance à Bells Beach est de plus en plus survoltée. Peu à peu, tout se met en place. Jérém est toujours autant débordé. Mais il a l’air plus serein, plus détendu.
Au détour d’une conversation, presque de but en blanc, Jérém me glisse une petite phrase qui m’émeut aux larmes.
Je suis content que tu sois là.
Si tu savais comme je suis content d’être là, moi aussi !
Dimanche 18 mars 2018.
Bells Beach, le mardi 20 mars 2018 et suivants.
Jour après jour, la compétition se passe sans accrocs. Pas d’accident grave, pas de débordement. Dans ce cadre naturel magnifique, sur cette plage entre falaise et océan, balayée par la puissance du vent et des vagues, l’ambiance est cosmopolite.
Jérém et Ewan sont très occupés, beaucoup de monde vient les voir, s’adresse à eux pour la logistique.
Un jour, je me retrouve seul avec Ewan, Jérém étant parti faire une course. Soudain, je panique à l’idée de rester seul à seul avec lui. Je redoute les questions qu’il pourrait me poser seul à seul.
Et ça ne rate pas.
Nîcô ! il s’adresse à moi, en faisant bien claquer les voyelles, une poignée de secondes après que Jérém ait passé la porte du club.
Thank you for helping us, il enchaîne.
You’re welcome ! je lance, sur un ton badin, tout en sachant que cela ne va pas éviter « la suite », cette explication que je sens dans l’air depuis quelques jours déjà.
Jérémy told me that you were in love in high school.
Yes, we were, j’admets.
But now, he is really in love with you, je m’empresse d’ajouter. And I’m so happy for you, for both of you.
Thank you, Nico. I’m sure he was really in love with you too.
He did, yes, he did. But this is the past. We are friends now.
Chaque soir, c’est la fête sur la plage au frais des sponsors qui ne lésinent pas sur les moyens.
Mais le dernier jour de la compétition est clôturé par une soirée hors-normes. Le stress est retombé pour tout le monde et l’ambiance est vraiment à la fête. Un DJ de marque est derrière les platines, il y a des danseuses, des lumières, et la boisson coule à flots.
Ce soir Jérém arbore une belle chemise noire manches courtes, le col ouvert sur trois boutons, laissant une belle vue sur la naissance de ses pecs et sur leur délicieuse pilosité, ainsi que sur sa chaînette de mec. Un short blanc et une casquette noire, portée à l’envers, complètent sa tenue de bogoss.
Le beau brun a changé sur beaucoup de points, mais pas sur sa faculté à se mettre en valeur sans grand effort. C’est l’une des propriétés de la bogossitude.
Pour lui aussi le stress vient de retomber, après une période particulièrement intense. Lui, qui a été plutôt raisonnable pendant toute la durée de la manifestation, se lâche ce soir. A dix heures, il est déjà bien démarré. A minuit, il est bien éméché.
C’est vers une heure du matin que je perds sa trace. Je me balade partout dans la fête, je commence à m’inquiéter, je l’appelle sur son portable, il ne répond pas.
Je finis par le retrouver, seul sur la plage, au bord de l’eau, à l’écart de la fête.
Tu fais quoi, la, tout seul alors que tout le monde fait la fête ?
Je réfléchis.
Tu réfléchis à quoi ?
C’est rien, juste un petit coup de blues. Allez, on y retourne, il me lance, comme pour éviter une discussion qu’il n’a pas envie d’affronter.
Ce « petit coup de blues » me touche, m’intrigue. Je le sens depuis mon arrivé, il est des mots qui ont besoin de sortir, mais qui sont toujours restés bloqués au fond de sa gorge.
Dans un peu plus de 24 heures, je serai dans l’avion qui me ramènera en France. Et Jérém restera ici, en Australie. Nous nous reverrons peut-être dans onze ans. Ou peut-être jamais. Alors, j’ai besoin de savoir.
Mais Jérém est déjà loin, et je n’ai pas le courage de le rattraper.
Il est déjà quatre heures du matin, et je tombe de fatigue. Je lui envoie un message pour lui dire que je rentre, et je prends la route dans la foulée.
Bellbrae, le mercredi 29 mars 2018, 11h07.
Sur la « Great Ocean Road », le soleil est chaud, le ciel d’un bleu intense. Pour mon dernier jour ici, l’Australie m’offre une journée magnifique. Je sais que ce sera un déchirement de partir, de quitter cette terre du bout du monde qui m’a ravi le cœur. Je sais que ce sera un crève-cœur de remettre près de 20.000 bornes entre Jérém et moi.
J’ai envie de pleurer, mais j’essaie de profiter de ces derniers instants avec lui, de graver son image dans ma mémoire. L’image de Jérém à 37 ans, avec ses lunettes noires et son t-shirt blanc furieusement sexy sur sa peau mate et bronzée, tenant fermement le volant, sur fond d’océan de de vagues et de ciel bleu. Un Jérém cabossé par la vie, mais qui a retrouvé le sourire. Je me risque à prendre une photo, il me sourit.
Nous roulons pendant des heures le long des falaises abruptes qui surplombent l’océan. Nous faisons une première escale à Apollo Bay, un site spectaculaire composé de deux plages immenses balayées par de belles vagues et animées par la présence de nombreux surfeurs.
Pour la prochaine étape de notre périple, Jérém m’amène au « London Bridge », un site naturel jadis caractérisé par un pont naturel à double arche jusqu’à l’effondrement de l’une des deux voûtes dans les années ’90.
C’est vers la fin de l’après midi que nous arrivons à « Twelve Apostles ». Les « apôtres » ne sont pas 12 mais 8 et sont représentés par de grandes aiguilles calcaires balayées par les vagues.
Nous descendons à la plage. Jérém s’assoit sur le sable, je m’assois à côté de lui. Il s’allume une clope, la fume lentement, le regard perdu vers l’océan.
J’adore cet endroit. Je viens ici quand je ne suis pas bien, il me glisse.
Ça t’arrive souvent ?
De venir ici ?
Euh… oui…
Moins, maintenant…
Je ferme les yeux et je me concentre sur le bruit du vent et des vagues, la bande son de mon séjour en Australie. Et je suis happé par un constat, par une pensée troublante. Je réalise que ces vagues étaient là bien avant que Jérém et moi ne voyions le jour. Qu’elles l’étaient quand nous avons fait nos premiers pas, quand nous avons prononcé nos premiers mots, quand nous avons ressenti notre première émotion en regardant un garçon, quand nous nous sommes rencontrés et quand nous avons fait l’amour. Elles étaient là au temps d’Ourson et P’tit Loup, elles ont survécu à leur séparation. Et elles seront toujours là bien après que de nous il ne restera plus le moindre souvenir. Un constat qui me donne le vertige, comme une vision de l’Eternité et de la finitude de l’existence.
Ça va me manquer, tout ça, les couleurs, les sons, les paysages de ce Pays du bout du monde. Et mon Jérém, il va me manquer à en crever.
Je suis désolé… je l’entends se lancer, puis s’arrêter net, comme s’il n’osait pas aller au bout de ses propos.
Les secondes s’écoulent et plus rien ne vient, à part la voix des éléments. Je ne veux pas le brusquer, ça viendra quand il sera prêt.
Je regrette d’être parti après ce qui nous est arrivé à Paris. J’aurais dû rester avec toi, comme je te l’avais promis…
J’aurais tellement aimé que tu restes. J’avais tellement besoin de toi à ce moment-là !
Et moi, j’avais besoin de toi.
Mais tu avais encore plus besoin de continuer ta carrière au rugby.
Quand on est jeunes on ne mesure pas bien la valeur des choses de la vie.
Qu’est-ce que tu m’as manqué, Jérém !
Toi aussi tu m’as manqué, Nico.
Pendant toutes ces années, je n’ai jamais cessé de penser à toi, je pleure.
Moi non plus.
C’est maintenant ou jamais. C’est le moment de poser LA question qui m’a hanté depuis des mois et qui est l’un des moteurs qui m’ont poussé à traverser la planète pour venir à sa rencontre.
Pourquoi tu n’es pas venu me voir quand tu es revenu en France après le départ de Rodney ?
Un jour je me suis rendu dans la rue de tes parents et j’ai surveillé la maison pendant des heures, en espérant te voir. Et je t’ai vu rentrer avec des sacs de courses. Mais je n’ai pas pu sortir de ma voiture.
Je ne t’ai pas vu… je sanglote, assommé par ses mots.
Quand Rodney est parti, j’ai voulu revenir en France. J’ai voulu venir te retrouver. Mais une fois sur place, je me suis dit que je n’avais rien à t’offrir. Je n’avais pas de projet, tout ce que j’avais était ma colère d’avoir été privé du rugby.
Ta présence m’aurait suffi !!!
Je n’avais pas le droit de me pointer comme une fleur après le départ de Rodney, après ce que je t’avais fait vivre.
Si, tu avais le droit !
Et puis, de toute façon, au bout de quelques jours en France, j’ai compris que je n’y serais toujours pas bien.
Tu aurais dû venir me voir quand-même !!! je me désespère.
Et pour te proposer quoi ? De tout quitter pour venir t’installer avec moi, ici ?
Je t’aurais suivi sur la Lune s’il l’avait fallu !
Crois-moi, à cette époque, je n’étais pas un cadeau ! Si j’étais venu te voir à ce moment-là, nous aurions fini par nous fâcher et nous quitter.
Comment tu peux être si sûr de ça ?
Je n’étais pas bien. Et tu sais à quel point je peux être insupportable quand je ne vais pas bien. Tu aurais fini par partir, comme Rodney. On aurait tout gâché, même les souvenirs de notre première histoire.
Je pleure, j’en tremble. Jérém se glisse derrière moi, et me prend dans ses bras. Le souvenir remonte d’un jour lointain, celui d’une même accolade, devant un autre spectacle naturel majestueux, celui de la grande cascade de Gavarnie.
En vrai, quand j’étais avec toi, j’avais tout ce qu’il me fallait, je l’entends me glisser à l’oreille. Il fallait juste que je cesse d’avoir honte de moi.
Est-ce que tu as cessé d’avoir honte ?
Je crois que j’y suis arrivé, oui. Mais il a fallu que je touche le fond d’abord. Et je ne voulais surtout pas t’entraîner avec moi !
Tu es heureux avec Ewan ?
Je crois, oui, il admet, avant d’ajouter : Et toi, tu es heureux avec le gars qui n’arrête pas de t’appeler ?
Je crois, oui, j’admets à mon tour.
Lui comme moi, nous avons fini par jouer cartes sur table.
Je suis sûr que c’est un bon gars, il me glisse. Et il a de la chance de t’avoir rencontré.
Ewan aussi a beaucoup de chance…
Je ne sais pas. Je crois que c’est moi le plus chanceux. Il est arrivé pile au bon moment dans ma vie.
On aurait pu être heureux tous les deux, je considère tristement.
On aurait pu, oui. Et nous l’avons été. Mais c’était une autre époque de notre vie.
Sur cette plage du bout du monde, nous sommes deux hommes à l’aune de leur quarantaine qui contemplent les enfants amoureux qu’ils ont été.
Je suis content d’être venu, d’avoir traversé la planète pour revoir le premier garçon que j’ai aimé dans ma vie. J’avais besoin de savoir ce qui restait entre Jérém et moi. Je le sais désormais. Nous le savons.
Nous savons l’un comme l’autre qu’une infinie et inaltérable tendresse nous lie pour toujours.
Et nous savons également tous les deux que ça, personne ne pourra nous le voler.
Même pas le Temps.
Et je me souviendrai
Je me souviendrai
De la force que tu m’as donné
De l’amour que tu m’as donné
De la façon dont tu m’as changé
J’ai appris à lâcher prise
A voyager en silence
Et je me souviendrai du bonheur
Je m’en souviendrai
Maintenant, j’ai enfin une raison pour laquelle
Me souvenir
Souviens-toi
Commentaires
gebl
28/10/2024 16:26
MERCI
Etienne
07/03/2024 17:18
On sent qu’on se rapproche de l’épilogue des aventures de Jerem et Nico. Quel bel épisode, émouvant, plein de finesse dans l’écriture. Jamais je n’aurais imaginé en lisant le premier il y a presque 10 ans que nous irions de la rue de la Colombette (à 3km de chez moi) jusqu’à l’Australie. Voilà, Nico, maintenant tu sais… Jérem a fait ce qu’il a pu avec ses doutes, ses fragilités. Tout comme toi, nous … Mais on ne vit pas avec des regrets, et comme tu ne peux pas changer le passé, change plutôt ton billet de retour et fait escale à New-York ! Il y a un p’tit mec qui t’attend là-bas avec qui tu devrais essayer de construire un bel avenir en commun, tu le mérites, vous le méritez… même si ça ne fera peut-être pas des dizaines d’épisodes que nous pourrions lire pour t’accompagner – enfin, c’est Fabien qui décide. Merci encore Fabien pour toutes ces émotions Etienne
Julien
28/02/2024 08:41
Bonjour Fabien Je n’ai encore jamais écrit de commentaires et pourtant je suis un fan assidu de la première heure des aventures de Jerem et Nico. Je voulais te remercier de l’histoire que tu nous fais vivre depuis tant d’années, j’ai vibré et pleuré depuis le début devant ton écriture, les ressentis que tu arrives à transmettre à travers les personnages. J’ai lu au moins à cinq reprises ce dernier épisode et même si je suis heureux qu’après 11 années, ils aient pu se retrouver, je suis triste qu’il y’a peut-être une chance que ce soit la dernière fois qu’ils se voient et ne donnent pas une chance à leur amour qui crève les yeux. Je me doute, comme tout le monde, que nous arrivons bientôt à la fin de l’histoire et que quel que soit l’issue que tu as prévu pour nos chouchous (même si j’espère sincèrement qu’un happy end entre eux voit le jour et qu’après tant d’années à souffrir l’un et l’autre, ils puissent enfin être heureux ensemble), merci pour nous avoir partagé cette histoire durant toutes ces années 🙂
Tonio
27/02/2024 10:06
Bonjour Fabien J’ai suivi toute l’histoire de Nico et Jerem, j’ai vibré, j’ai pleuré et je m’en veux de ne pas t’avoir soutenu par des commentaires, par une contribution. J’espère qu’il n’est pas trop tard, que l’histoire de Nico et Jerem va peut-être rebondir … D’autant plus que la construction de ton récit, la profondeur et la crédibilité de tes personnages, la force de ton écriture ont tellement progressé. S’il n’est pas trop tard donc, je voudrais ne plus rester un lecteur de l’ombre mais t’aider – à ma très modeste mesure – à continuer à écrire Tonio
Tonio
26/02/2024 13:52
C’est si beau, si émouvant, si bien écrit et décrit. J’ai tellement de choses à dire, je crois qu’il vaut mieux que j’écrive en message privé Tonio
Merci à vous tous pour vos commentaires ! Je suis vraiment touché par votre considération pour mon travail. Fabien
Sophie
25/02/2024 18:21
J’ai adoré ! Décidément, Fabien, tu es un véritable écrivain. J’étais curieuse, haletante de connaitre la suite. Bravo ! (Et merci pour cette chanson de Madonna que je ne connaissais pas).
Bdr 13
25/02/2024 14:29
Cet épisode m’a profondément secoué. Le corps parcouru par de longs et intenses frissons tellement l’émotion des retrouvailles de jeremy-nico sont percutantes. C’est simple, durant toute la lecture de cet épisode je n’ai cessé de pleurer. Tant de tendresse et d’amour de nos deux amis prouvent que leur très longue séparation n’aurait pas du exister. Mais la vie en a décidé autrement. Jerem-nico nous démontrent que rien ne peut détruire un véritable amour. Fabien,tu m’as littéralement buffle par la maîtrise de ton art narratif. Pendant toute la lecture de cet épisode, j’ai ressenti comme jamais l’amour qui relie nos héros,leurs explica Éblouissant, renversant, Cet épisode de jerem-nico m’a laissé sur les rotules. Tant d’amour et de tendresse prouvent que leurs retrouvailles étaient indispensables. Tant d’émotions ont fait que je n ai pu retenir mes larmes de couler Tant j’étais secoué par la joie de retrouver jerem-nico face à face et de ressentir leur plaisir intense, de se voir,de se toucher ,en bref de rompre une décennie de séparation. Les explications sont fournies,mais par dessus tout, on sent que les liens amoureux de nos deux héros sont toujours là. Une douce nostalgie se saisit de nous et de nombreux lecteurs et fans de cette série doivent penser »et si jerem-nico se remettaient ensembles « . Pour quoi
Pourquoi pas ? Après tout l’élément essentiel est déjà là.
Virginie-aux-accents
25/02/2024 14:05
Un épisode bouleversant! Il fallait ces retrouvailles, tout en douceur, en délicatesse. Il fallait du temps pour Nico autant que pour Jérém. Tous les deux partageront à tout jamais cet amour magnifique de leurs vingt ans. Malgré les années de séparation, malgré la présence d’Ewan (et d’Anthony), malgré le brouhaha de la compétition, Fabien nous a montré des moments de calme, de tendresse, d’intimité. Oui, ils se sont aimés, oui ils s’aiment encore, mais différemment. Cette nouvelle séparation qui s’annonce n’est plus à redouter car Jérém et Nico se sont retrouvés. Merci Fabien
Yann
25/02/2024 10:35
Ils s’étaient perdus, ils se retrouvent enfin. S’il y avait beaucoup d’émotion entre eux, il y avait aussi une grande délicatesse, une grande retenue, comme quand deux personnes qui, après s’être perdues, se redécouvrent comme si elles ne s’étaient jamais connues. Comme le dit Nico ils doivent se « réapprivoiser » être attentifs aux réactions de l’autre pour ne rien gâcher de cet instant admirable. J’attendais depuis longtemps ce moment de les retrouver tous les deux, ensemble. Je l’espérais, je le souhaitais car Jérém sans Nico c’était simplement pas possible. Cette longue traversée du désert qui s’éternisait devait finir. Jérém, une fois encore avait fui. Loin, très loin, longtemps. Et même s’il a mis le temps, une fois encore Nico l’a retrouvé là-bas au bout du monde car ce lien qui les relie est plus fort que tout. Est-ce encore le même amour que celui qu’ils ont partagé ? Un autre amour semble-t-il. Ils se sont retrouvés et je suis heureux que, l’un comme l’autre, ait pu enfin avoir les réponses à ce qu’il cherchait. · On aurait pu être heureux tous les deux. · On aurait pu, oui. Et nous l’avons été. Mais c’était une autre époque de notre vie. Même si cet épisode n’est pas encore l’épilogue de l’histoire, j’ai moi aussi un pincement au cœur car cela fait 10 ans que j’ai fait la rencontre de Jérém et Nico et je sais que bientôt, ils vont me quitter. J’espère que pour la suite Fabien nous réserve encore des surprises.
Fred
24/02/2024 22:36
Il est beau cet épisode..je l’attendais depuis longtemps .mais il sonne comme la fin et ça me rend tellement triste .j ai les larmes qui montent…bisous
Deux jours qu’Anthony est parti. Et il me manque à chaque instant de la journée. Sa présence remplissait mes journées de si belles couleurs. C’était délicieux de pouvoir penser à chaque instant au temps, quelques heures au plus, qui me séparaient de nos retrouvailles. Ça me faisait un bien fou. Et maintenant, tout cela n’est plus. Les appels vidéo quotidiens me font du bien, mais ne replacent pas la présence du garçon aimé. Je tente de me réconforter en m’imaginant aller le rejoindre à New York au printemps.
Toulouse, le dimanche 24 décembre 2017, au soir.
La nostalgie. Elle s’est présentée à moi, comme le premier éclair d’un orage qui approche, une première fois la veille de Noël. Le réveillon se passe en famille. Parmi les invités, mes oncles, les parents de mon cousin Cédric. Et comme à chaque Noël, les grands classiques reviennent. Je ne parle pas de « Maman j’ai raté l’avion », ou du cycle « Sissi », ou des dessins animés d’Astérix. Je parle du « live » de ma tante au sujet de son fils. Les années passent, et elle est toujours aussi intarissable sur le sujet, et elle l’est tout autant des deux mioches que celui-ci leur a pondu coup sur coup il y a quelques années. En faisant défiler une infinie farandole d’images sur son téléphone qu’elle veut à tout prix nous faire partager, elle nous explique avoir saturé la mémoire à force de les prendre en photo, tellement ils sont mignons ! Car ils ont bien pris du côté du père, son fils Cédric, quelle chance ! Heureusement, Elodie et sa petite famille sont aussi de la partie. Heureusement, sinon je crois que je craquerais. Avec l’aide de Lucie, elle a discrètement attrapé une guirlande lumineuse à piles qui décorait le sapin, et l’a enroulée autour de Galaak, lui aussi de la partie, à l’écart des regards. Avant de lâcher le « tout » dans la salle à manger, provoquant ainsi l’hilarité générale et interrompant enfin le récit hagiographique de ma tante au sujet de son fils.
Mais rien n’y fait, car elle revient vite à la charge. Malgré les années passées, malgré le fait que les ados que nous avons été sont devenus des hommes chacun avec leur vécu, elle ne renonce pas à la sempiternelle comparaison entre nos vies. — Vous vous entendiez bien quand vous étiez ados ! elle me lance. — Oh, oui, on s’entendait bien ! (J’avais envie de le sucer ! je manque de peu d’ajouter). — Et vous n’avez pas du tout suivi le même parcours par la suite… — Chacun suit le parcours qui se présente à lui… — Ça ne te manque pas d’avoir une femme et des gosses ? Là, trop c’est trop. Il faut que ça cesse. — Ecoute, Tata, je ne veux pas gâcher la soirée, mais il faut que je te dise un truc, une fois pour toutes. — Quoi donc ? — Voilà, tata, les nanas et les gosses, c’est pas pour moi. Moi, ce que j’aime, ce sont les mecs. Je suis gay, ok ? Et c’est pas la peine non plus de me comparer sans cesse à Cédric. J’aime beaucoup mon cousin et, si tu veux tout savoir, plus jeune je le trouvais vraiment mignon. Mais il a sa vie, qu’il a certainement mieux réussi que moi la mienne, surtout si ça te fait plaisir de le penser. Mais moi j’ai une vie aussi, et j’en suis content. J’ai mon travail, j’ai mes occupations, et j’aime le garçon avec qui je suis en ce moment. — Ça, c’est fait, lance Papa sur un ton enjoué. Et maintenant on peut passer au dessert ? Papa ne cessera jamais de me surprendre. — Décidemment, on ne s’ennuie jamais aux réveillons chez Tonton, fait Elodie, ma cousine, morte de rire, alors que je l’ai vue, un instant plus tôt, lever discrètement vers moi un petit pouce de soutien.
Après cette petite mise au point, la soirée se poursuit sans accrocs. Tata ne revient pas sur le sujet « Cédric », elle se fait beaucoup plus discrète, elle évite mon regard. Quant à Galaak, sa présence – son regard mendiant quelques bribes de notre repas, son museau stratégiquement posé sur la cuisse des uns et des autres – est suffisante pour mettre de l’animation.
Ce soir, Anthony m’appelle peu après minuit pour me souhaiter « Joyeux Noël ». Il n’est que 18 heures chez lui, mais il a voulu marquer le coup. Il se prépare à fêter ça avec la famille de son grand frère. Ça me fait du bien de l’entendre et de le voir, mais son image dans l’écran de mon téléphone me donne la mesure d’à quel point il me manque, d’à quel point la distance est là, et le partage absent, ce partage qui est la fondation des sentiments et des liens entre les Êtres. Ce partage et cette présence qui sont le seul remède contre la solitude. La solitude qui, elle, est un préalable à la nostalgie.
Toulouse, le lundi 25 décembre, 2 h 41.
La nostalgie. Je l’ai entendue gronder de plus en plus fort, de plus en plus inexorable, à l’approche des douze coups de minuit. Mais entre une coupe de vin blanc et une conversation avec ma cousine, j’ai réussi à ne pas me laisser happer. Elle était bien là, comme une ombre menaçante, mais je pouvais lui tourner le dos et essayer de l’ignorer. Mais cette nuit, dans mon lit, sans défense, elle revient et elle s’abat sur moi avec la violence brutale d’un orage d’été qui a longuement grondé au loin. Je suis happé par la nostalgie de CE Noël, celui d’il y a tant d’années déjà, le plus beau Noël de ma vie. Un Noël comme un conte de féé, un Noël dont le scénario vaut, à mes yeux, mieux que ceux de tous les téléfilms qui envahissent les chaînes de télé à cette période de l’année. J’ai la nostalgie de ce Noël où Jérém est venu me chercher chez mes parents, où il m’a amené à l’hôtel, où il m’a fait l’amour pendant toute la nuit. J’ai la nostalgie de ce réveil du lendemain sous la neige, de notre escapade improvisée et un peu folle vers Campan. Oui, cette nuit, la tristesse et la nostalgie m’empêchent de trouver le sommeil. Mais un autre sentiment vient se greffer et aggraver mon insomnie. Ce sentiment, c’est la culpabilité. Au fond de moi, je m’en veux de ressentir cette nostalgie pour un garçon que je n’ai pas vu depuis dix ans, pour une histoire déjà lointaine. Et, surtout, je m’en veux de ressentir cette nostalgie alors que l’adorable garçon au blouson bleu fait désormais partie de ma vie. Pendant les deux semaines heureuses que j’ai passées avec Anthony, ce passé était toujours présent mais de plus en plus loin, comme la lumière d’une étoile, ou celle de la Lune elle-même, complètement effacée par l’éclat intense du jour. Mais maintenant que le « jour » a changé de continent, la « nuit » qu’il a laissée dans ma vie me rappelle les fantômes jamais partis. Je m’en veux, car ce petit mec ne mérite pas ça. Je crois qu’il est sincèrement amoureux de moi, et je crois que je le suis aussi. Je crois que nous avons tout pour être heureux, et que ce garçon mérite bien que je l’attende pendant un an. Mais je ne peux rien y faire. La solitude est là, la nostalgie vient, et je n’arrive plus à la faire partir. Je voudrais le pouvoir. Je voudrais ne pas culpabiliser d’être à nouveaux heureux, je voudrais ne pas avoir peur que le bonheur présent me fasse oublier le bonheur passé. Je voudrais pouvoir penser à Jérém, à notre histoire, et à notre séparation, de façon apaisée. Mais à chaque fois que j’y pense, tout remonte en moi, la joie de cette période de ma vie, son sourire, le plaisir, la tendresse, le bonheur, notre complicité. Je n’arrive toujours pas à penser à Jérém sans me dire que notre séparation a été un effroyable gâchis. Le fait est que trop de questions sans réponse subsistent autour de notre séparation, et qu’elles me hantent toujours. Je voudrais avoir Anthony avec moi, ou l’avoir en visio H24, pour que sa présence tienne mes démons à distance.
Martres Tolosane, le jeudi 28 décembre 2017.
La nostalgie. Elle me poursuit tout le long de la période de Noël. D’autant plus que j’attends un coup de fil de la part de Charlène. Un coup de fil qui pourrait déboucher sur des retrouvailles à l’occasion desquelles je suis susceptible d’apprendre des choses elles-mêmes susceptibles d’entraîner encore plus de nostalgie. A partir du jour de Noël, accablé par une mélancolie persistante, je commence à redouter ce coup de fil. Une partie de moi n’a pas vraiment envie de savoir des choses sur Jérém, ne veut pas remuer le passé, ne veut pas avoir encore mal. Une partie de moi espère que Charlène ne tienne pas parole, qu’elle m’oublie. Cette partie de moi a envie d’éviter ces retrouvailles, d’inventer un empêchement, une grippe très opportuniste, de donner forfait, le cas échéant. Mais une autre partie a besoin de savoir, de remplir les lignes vides, et de mettre le mon « FIN » à cette histoire, préalable pour qu’une nouvelle soit bâtie sur des fondations solides. Mais Charlène n’oublie pas, et Charlène tient parole. Son coup de fil arrive au beau milieu de la semaine entre Noël et le jour de l’An.
— Désolé ne pas t’avoir appelé plus tôt, mais j’étais en déplacement, elle s’excuse. — C’est pas grave… — Ecoute, pourquoi tu ne viendrais pas pour le réveillon du 31 ? — A moins que tu aies déjà prévu quelque chose de ton côté… elle tempère, devant mon silence, qui en réalité est surtout stupeur, car je ne m’attendais pas à ce genre d’invitation. Il y a également dans mon hésitation la peur de faire quelque chose qui ne serait pas vraiment correct vis-à-vis d’Anthony. Mais est-ce que revoir les amis communs de son ex qui habite désormais à l’autre bout de la Terre et que je n’ai pas vu depuis dix ans peut être considéré comme un manque de respect ? Est-ce qu’aller chercher des réponses aux questions qui n’en ont pas eues est un manque de respect ? Et puis, je m’étais dit jusque-là que je ne voulais pas y aller, que je ne voulais pas savoir. Il est clair que si Anthony était là, je ne pourrais pas envisager cela. En même temps, cela était prévu avant qu’Anthony rentre dans ma vie. En même temps, j’ai vraiment besoin de savoir. — Non, je n’ai rien prévu… je finis par lâcher, sans vraiment savoir comment je vais présenter ça à Anthony. — Bah, alors, viens. Et si tu as quelqu’un, tu peux l’amener. — J’ai quelqu’un… je lui glisse, mais il ne sera pas avec moi pour le réveillon.
Campan, le dimanche 31 décembre 2017.
J’ai fini par raconter à Anthony qu’à l’occasion du réveillon du 31 j’allais retrouver des amis dans les Pyrénées chez qui j’allais faire du cheval plus jeune. C’est un demi-mensonge, certes. Les retrouvailles avec les cavaliers sont toujours aussi joyeuses. Et plus affectueuses encore que d’habitude, puisque depuis la dernière fois où je les ai vus, plus de dix ans se sont écoulées. Et dix ans, ce n’est pas rien. A priori, tous les cavaliers que j’ai connus sont encore de ce monde. Mais les années passent, c’est flagrant. Les silhouettes se sont alourdies pour certains. Les visages ont changé. Les cheveux ont grisonné, voire blanchi, pour à peu près tout le monde, sauf pour celles qui font des couleurs. Même le local du relais a pris un sacré coup de vieux. D’ailleurs, des travaux de rafraîchissement sont prévus au printemps. Dommage qu’on ne puisse rénover aussi facilement les gens que les bâtisses. Pendant ces dix ans, certains ont dû renoncer à partager des balades avec leur monture « historique », celle que je leur avais connue lors de ma première venue. D’autres ont dû se résoudre à contre cœur à mettre à la retraite un compagnon de cent randonnées, pour reprendre une monture plus jeune, et entamer ce long processus de création de ce lien privilégié que lie le cavalier et son cheval. Certains cavaliers regrettent de plus pouvoir monter, à cause d’un corps qui ne suit plus les élans de l’âme qui, eux, demeurent intacts. D’autres ont vu leurs compagnons à quatre fers dépérir et partir. D’ailleurs, ça a été le cas pour Bille, le premier poney de Jérém. Quant à Tzigane, Charlène m’annonce qu’elle ne passerait peut-être pas l’hiver. Pour Unico et Tequila, le temps de la retraite a sonné depuis quelques années déjà. Ça fait déjà quinze ans déjà. Quinze ans que j’ai randonné avec Jérém dans les bois de Campan. Par ailleurs, certaines amitiés se sont relâchées, certains anciens membres ont quitté l’asso. Certains des couples que j’avais croisés se sont séparés, d’autres ont déménagé aux quatre coins de l’Occitanie. Certains ont eu des pépins de santé graves, certains sont en train d’essayer de les régler en ce moment même, ce qui explique leur absence à ce réveillon. De nouveaux sont arrivés, et ils ont l’air de s’être bien intégrés au noyau historique. Noyau historique dont les seuls « survivants » sont Charlène, Carine et Jean-Paul, Daniel et Lola. Oui, depuis dix ans l’asso de cavaliers a fait peau neuve. Elle a perdu certains de ses piliers historiques, mais elle a accueilli de jeunes pousses qui seront les piliers de demain. L’asso de 2017 ne ressemble plus du tout à celle de 2001, ni même à celle d’il y a dix ans, mais l’esprit de partage, de bonne humeur, de bonne franquette, de complicité, d’amitié demeure. La bienveillance survit à ceux qui la dispensent. La bonne humeur de Jean-Paul et la guitare joyeuse de Daniel rendent ce moment fort en émotion.
Campan, le lundi 1er janvier 2018, 2h23.
A deux heures après minuit, après avoir aidé à ranger le relais, je me retrouve chez Charlène, devant le feu de cheminée. Dehors, il neige, et le crépitement du feu dégage un je-ne-sais-quoi de particulièrement réconfortant. Une tasse de chocolat chaud entre les mains, j’écoute Charlène me raconter le parcours des différents membres de l’asso depuis dix ans. C’est un instant d’une douceur exquise. Je l’écoute parler longuement, jusqu’à épuiser le sujet, jusqu’à que les silences dans son récit commencent à m’apparaître comme autant des perches tendues afin que je puisse enfin poser la ou les questions qui me brûlent les lèvres. Oui, elles me brûlent les lèvres, mais elles ne sortent pas. Je crois que Charlène sait que je suis venu pour savoir, et je crois qu’elle sait aussi que j’ai peur de savoir. C’est donc elle qui bâtit carrément le pont pour me faire traverser l’immense rivière de mes craintes. — Alors, tu as quelqu’un ? elle me questionne à un moment. — Oui, depuis deux semaines. — Comment il s’appelle ? — Il s’appelle Anthony. — Et ça se passe bien ? — Ça a l’air. Ce garçon est vraiment adorable. Et si tu voyais comment il est mignon ! — Pourquoi il n’est pas avec toi ? — Il est dessinateur et il est parti à New York pendant un an pour se perfectionner. — Il a fait un bon choix. Là-bas, il va pouvoir faire ses preuves. — Oui, je pense… — Il te manque ? — Beaucoup. Le silence se fait autour des gorgées de chocolat que nous savourons lentement. Et c’est là que je trouve le courage de me lancer. — Et Jérém ? J’ai l’impression de m’être lancé dans le vide sans parachute. Je vais me fracasser au sol, je ne vais pas survivre à l’impact. Pourquoi j’ai fait ça ? — Jérém est toujours en Australie… — J’imagine. Mais qu’est-ce qu’il devient ? — Tu es vraiment prêt pour ça, Nico ? — Il faut bien que je le sois un jour. — On peut ne jamais l’être… — Je n’en peux plus de me protéger, je pense que si je veux aller de l’avant, j’ai besoin de savoir. — Je l’ai eu au téléphone cet été, elle m’annonce, après un petit moment d’hésitation. — Ça faisait un moment qu’il boudait dans son coin. Mais là, je l’ai trouvé bien. La chute me donne des frissons, le vent me décoiffe, mais je tiens le coup pour l’instant. — Qu’est-ce qu’il fait, là-bas ? — Il travaille dans une boîte qui vend des équipements de surf, si j’ai bien compris… — Et il fait du surf ? — Je crois… Je sens que je tombe de plus en plus vite, j’ai l’impression que je ne peux plus respirer. Mais je serre les dents, de toute façon, je n’ai plus le choix, je ne peux plus revenir en arrière. Alors, je regarde tout droit en direction du sol qui approche à vitesse grand V, je tente de prendre une grande respiration, et je demande : — Et… il a quelqu’un… dans sa vie ? — Oui, elle assène avec une simplicité désarmante. Je vois le sol approcher, et je réalise que je ne vais pas survivre à l’impact. — Il s’appelle Ewan, elle ajoute. J’ai l’impression que mes poumons sont en train de brûler à cause de la vitesse de la chute et que je ne peux plus respirer. — Depuis longtemps ? — Depuis ce printemps… Et là, elle me raconte ce que Jérém lui a confié pas plus tard que cet été. Sa souffrance et sa longue traversée du désert après l’arrêt brutal du rugby, de la belle vie, et de ses rêves. L’humiliation qu’a été pour lui l’agression parisienne, lorsqu’il s’était senti impuissant à assurer sa propre défense et la mienne, avant de l’exposer à au outing forcé. La nouvelle humiliation qu’avait été pour lui la publication de ces photos avec Rodney qui avaient inondé la presse il y a quelques années. Sa descente aux enfers après le départ de Rodney et son retour en Angleterre. Et elle me parle également de ce voyage de Jérém en France, en 2013, après le départ de Rodney. Et là, au détour d’une phrase, elle me glisse : — J’ai toujours pensé qu’il était venu surtout pour te retrouver. Soudain, je ressens une sorte de vertige. Je réalise que ma chute s’est arrêtée, et que je flotte au-dessus du sol. Je suis bouleversé par la chute. Je crois que j’aurais préféré aller à l’impact, et ne plus rien ressentir, rien au lieu de cette douleur atroce qui me transperce comme une lame plantée en plein ventre. — Tu crois ? je finis par lui demander, comme pour m’assurer d’avoir bien compris. — J’en suis persuadée. — Et pourquoi il ne l’a pas fait ??? — Parce son élan est retombé quand il a réalisé le mal qu’il t’avait fait. Tu sais, même quand il était avec Rodney, il n’a jamais cessé de prendre de tes nouvelles. Et il était triste d’apprendre que tu n’allais pas bien. Quand il est venu en 2013, il a beaucoup hésité. Et il a fini par penser que sa démarche était égoïste, car il était venu te retrouver parce que Rodney était parti… — Il aurait dû venir me voir ! — En fait, je pense qu’il a surtout réalisé qu’il n’allait pas bien, et qu’il ne voulait pas que tu aies encore à supporter ses démons. Il a voulu t’épargner son mal-être. Il s’est dit qu’il t’avait déjà fait trop de mal, que tu en avais assez bavé. Alors il n’a pas osé venir te voir. Il ne m’en a jamais parlé explicitement, mais je pense que je le connais assez pour ne pas trop me tromper… — Si seulement j’avais su qu’il était là ! je me désespère. — Je lui ai dit, Nico, ce n’est pas faute de lui avoir dit et répété ! Je lui ai dit, va le voir, ça ne coute rien ! Si vous vous aimez toujours, et je suis certaine que c’est le cas, vous reprendrez là où vous vous êtes laissés. Mais il était trop mal, il était trop déçu de lui-même, et il s’est dégonflé. Il se voyait comme un looser et il ne voulait pas que tu le voies comme ça. Jérém a eu peur de ton regard. Il a eu peur que tu le rejettes. Et ça, il n’aurait pas supporté. — Je l’aurais aimé quoi qu’il soit devenu ! — Je sais… — Pourquoi tu ne m’as pas prévenu, Charlène ? je pleure. — Il n’a pas voulu, on s’est même accrochés à ce sujet. Et il est reparti le lendemain.
De cette rencontre avec Charlène, j’espérais obtenir des réponses, de l’apaisement, tout autant que je redoutais d’apprendre des choses capables de mettre à mal mon fragile équilibre miné par la nostalgie. Les rencontres ne se passent jamais comme nous les avons imaginées. J’avais anticipé qu’il puisse avoir retrouvé quelqu’un, et je m’étais (presque) préparé à cette éventualité. Mais je n’avais pas anticipé cet immense gâchis de sa venue en France en 2013. Une nouvelle blessure déchire désormais mon esprit. En écoutant le récit de Charlène, je réalise enfin à quel point nous nous sommes ratés. Complètement ratés. Et désormais, c’est foutu. Nous sommes chacun à un bout de la planète, on ne peut plus loin l’un de l’autre, chacun de nous deux en couple avec un autre garçon. Désormais, nous ne nous retrouverons plus jamais. Si seulement j’avais su, si seulement il avait osé ! Quel gâchis, quel horrible, insupportable gâchis ! J’ai envie de pleurer ! J’ai envie de hurler ! Aurions-nous pu nous retrouver ? Ou bien ça aurait été une immense déception ? Je ne le saurai jamais !
Charlène m’a également parlé de la bagarre où Jérém avait tabassé un mec, ce qui lui avait valu quelques jours de garde à vue. Elle m’a raconté des déboires, des errances, des malheurs, de sa honte pour ce qu’il était devenu et qui lui faisait garder ses distances de tous ses amis en France. Charlène m’a raconté tant de choses tristes que j’en ai eu mal au ventre. Et puis, elle m’a parlé plus en détail de cette rencontre au printemps de cette année qui a été comme une renaissance pour Jérém.
[Bells Beach, Etat de Victoria, début avril 2017.
La fin de l’été approche. C’est à cette époque que sur cette plage se tient l’une des compétitions de surfs les plus renommées au monde. Tu ne t’es jamais encore essayé au surf, mais tu es venu par curiosité. Et il est là. Tu le regardes sortir de l’eau après une prestation assez impressionnante. Il ouvre sa combinaison, tu croises son regard et son sourire te foudroie. Il y a trop de monde sur la plage, vous vous contentez de vous apprivoiser à distance. Puis, le soir, autour du feu allumé sur la plage et de la grande fête organisée par le sponsor, vous vous retrouvez. Ses cheveux blonds en bataille, son visage viril et son regard doux, son corps solide, sa peau bronzée, te font vraiment craquer. Tu vas avoir 36 ans, il vient tout juste d’en avoir 24. Depuis tes errances et tes déboires, tu as perdu un peu de ta superbe. Mais dans ta tête, tu as l’impression d’avoir perdu beaucoup de ta superbe. Alors, qu’un si jeune et beau mec s’intéresse à toi, ça te met du baume au cœur. Son regard te fait du bien, il t’aide à retrouver confiance en toi. Mais c’est surtout son sourire qui t’a percuté de plein fouet et qui t’a mis KO. Un sourire qui, soudain, te fait reprendre espoir en l’avenir, et te fait envisager que tu puisses être heureux à nouveau].
— Je crois qu’il a trouvé le bon garçon, conclut Charlène, et je crois qu’il est enfin à nouveau heureux. Et ça me fait plaisir de voir que ça en est de même, pour toi…
Au fond de mon cœur, un abysse sans fond vient de s’ouvrir. Et en regardant dedans, je suis pris par un intense, vertigineux tournis.
Nous nous sommes ratés. Nous nous sommes ratés. Nous nous sommes ratés. Nous nous sommes ratés. Et comment, nous nous sommes ratés !
Je n’arrête pas à penser à cela, à ce terrible, insupportable gâchis. Ça tourne en boucle, ça devient obsessionnel, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Je n’arrive pas à réaliser, je n’arrive pas à accepter que nous nous soyons ratés à ce point. Je repense à la scène finale, l’« Epilogue » de ce film que j’ai vu avec Anthony. Sur le coup, je m’étais dit que cette scène faisait écho à la fin de mon histoire avec Jérém. Après les mots de Charlène, je réalise à quel point j’avais sous-estimé le parallèle.
Je revois comme dans un kaléidoscope les souvenirs du temps heureux. Son sourire le premier jour du lycée. La première fois où je l’ai vu nu sous la douche dans les vestiaires du lycée. La première « révision », la première fois où je l’ai sucé. Le bonheur de le retrouver à son appart pour coucher avec lui encore et encore. Nos retrouvailles sous la Halle de Campan. Moi, dans ses bras, sur la butte devant la grande cascade de Gavarnie. Le premier « Je t’aime » qu’il m’avait glissé, à minuit pile, le soir du réveillon d’il y a bien des années déjà, dans la petite maison en pierre au pied de la montagne. Le soir où il a débarqué à Bordeaux par surprise pour fêter mon anniversaire. Le réveillon de Noël où il était venu me chercher chez mes parents. Nos voyages en Italie, en Islande, au Québec. Nos retrouvailles à Biarritz. Jérém heureux, souriant, amoureux. Non, Mia et Sébastien ne se remettront pas ensemble, leur séparation est définitive et irrémédiable, la vie les a trop éloignés. Tout comme Jérém et moi.
J’ai longtemps cru que Jérém et moi nous retrouverions, que le destin nous réunirait un jour. C’était une promesse que j’avais cru lire dans ses yeux émus lors de cette belle soirée d’été d’il y a dix ans, la dernière que nous avions passée ensemble à Toulouse après son premier retour d’Australie. En fait, ce n’était peut-être qu’une illusion, une chimère dont j’avais besoin pour amortir le choc de mon cœur au moment de nous quitter, après avoir fait l’amour une dernière fois. C’est une illusion que j’ai serrée contre moi pendant dix ans. Mais je sais désormais qu’il est temps de se débarrasser de cette illusion, et de régler les derniers comptes avec le passé. J’ai essayé d’en vouloir à Jérém pour le fait d’avoir pris sa liberté si facilement après avoir reçu ma bénédiction. Je n’ai pas réussi. Car, au fond de moi, je suis heureux d’avoir, dans une certaine mesure, contribué à lui offrir quelques belles années de rugby supplémentaires. J’ai essayé de lui en vouloir pour m’avoir promis de ne pas m’oublier, et de l’avoir fait, si vite, dans les bras de Rodney. Je n’ai pas réussi non plus. Car, au fond, c’est à moi-même que j’en ai voulu. Je m’en suis voulu de ne pas avoir su trouver les mots qui auraient pu l’apaiser, ce petit rien qui aurait pu le retenir. Il m’a fallu longtemps pour comprendre que ces mots n’existaient pas, et que ce petit rien était en réalité un immense tout qui n’était pas à ma portée à cet instant.
Dimanche 31 décembre 2017, 4h18.
Cette nuit, j’ai encore des tas de questions à poser à Charlène au sujet de Jérém. Mais je n’en ai plus le courage, la force d’en entendre davantage. Cette nuit, j’en ai eu ma dose. Après ce que je viens d’apprendre, notamment au sujet du grand raté de son voyage en France après sa séparation d’après Rodney, après avoir appris l’existence d’Ewan, je sais désormais que nos planètes nous séparaient irrémédiablement. Et tout ce que je pourrais apprendre de plus ne ferait que me montrer un peu plus l’étendue de la catastrophe, de l’immense gâchis. Alors, à quoi bon continuer à me torturer ?
J’ai été triste d’apprendre à quel point ces dernières années ont été difficiles pour lui. Je suis triste, révolté, assommé par la découverte du fait que nous aurions peut-être pu nous retrouver en 2013, mais que le destin en a décidé autrement. Je suis heureux qu’il ait trouvé un garçon qui l’ait remis sur des bons rails. Je me surprends à pleurer à chaudes larmes mon déchirement, tout en étant heureux pour son bonheur, même s’il se passe loin de moi. J’ai l’impression que dans ma tête et dans mon cœur, c’est tout et son contraire. Comme dans ces journées bizarres où il fait soleil et il pleut en même temps.
Cette nuit, j’ai compris qu’avec Jérém tout est dit, tout est joué.
Cette nuit, j’ai compris qu’il n’y aurait pas de suite à Jérém&Nico.
Campan, le lundi 1er janvier 2018, 15h00.
Le lendemain du réveillon de la nouvelle année, je suis tellement bouleversé par ce que m’a appris Charlène que j’ai du mal à faire bonne figure avec Anthony. — Tu es sûr que ça va ? s’inquiète le petit mec en détectant ma tête de chiffon mal essoré, même à plusieurs milliers de bornes de distance, même d’après une qualité d’image très médiocre. — Ça va, ça va, j’ai juste pas dormi, je mens. — On dirait que tu as pleuré… — J’ai des allergies…
Martres Tolosane, janvier 2018.
Lorsque j’ai commencé à écrire sur ma relation avec Jérém, je n’avais pas de but précis. J’ai commencé par ébaucher des notes lors des moments difficiles, des notes au sujet des moments heureux, pour garder espoir. Au début, ce n’était qu’une sorte de journal intime, quelques lignes, des petits textes en vrac griffonnés dans un carnet, puis dans des fichiers dans mon ordinateur. Après notre séparation, je m’y suis remis avec plus d’assiduité. Pour ne pas oublier, pour qu’il reste une trace de notre bonheur, pour que les mots en soient les témoins immémoriaux. J’ai alors repris mes notes en vrac et j’ai entrepris de les organiser. Au fil de l’écriture, la passion pour les mots s’est emparée de moi et est devenue peu à peu un fleuve rugissant qui a tout emporté tout sur son passage. Elle a occupé mes soirées, mes nuits, mes week-ends, mes solitudes. Elle m’a offert un bonheur intense. Lorsque j’écris, je suis dans une bulle où je ne vois pas le temps passer. Parfois, lorsque la fatigue me saisit, je regarde l’heure et je réalise qu’il est déjà deux heures du matin. Pas très judicieux, en sachant que je travaille le lendemain. Mais je ne peux rien y faire. L’écriture m’accapare à 100%. Plus je tape sur mon clavier, plus ça me prend aux tripes. L’écriture a été ma thérapie, mon « power-point » grâce auquel j’ai pu regarder l’ensemble de mon histoire avec Jérém. J’en avais besoin pour tenter de comprendre. Ou, du moins, pour me faire une raison. Avec Charlène, j’ai eu quelques réponses à mes questions. D’autres restent en suspens. Mais à quoi bon chercher toutes les réponses, remuer le passé sans cesse ? On peut se perdre dans cette recherche, en cherchant à tout comprendre, à tout décortiquer, et on court le risque de vivre une vie tout entière « dans le rétroviseur ». Tant pis, le tableau restera à tout jamais inachevé, et je vais devoir apprendre à vivre sans ces réponses. Parfois, dans la vie, on ne sait pas toujours tout. Et c’est peut-être mieux ainsi. Je crois que je vais désormais me laisser porter par la vie, découvrir et apprécier ce qu’elle me réserve. Je crois que je suis enfin prêt à laisser le passé au passé et à vivre le présent en essayant d’en profiter du mieux que je peux. Et mon présent, c’est Anthony. Avec Anthony, ma vie a repris de nouvelles couleurs, de nouvelles saveurs. C’est plus facile de tourner une page du passé, de chasser la tristesse, d’apaiser la mélancolie, lorsqu’un nouveau bonheur illumine notre existence. Le petit Anthony est un cadeau du ciel, et je me dois de le respecter, de le choyer, et de tout faire pour être à la hauteur de son amour. Il me tarde de le revoir, mon beau petit artiste !
Martres Tolosane, le samedi 27 janvier 2018, 4h18.
Cette nuit, j’ai veillé très tard. Car j’avais un rendez-vous important avec l’Écriture. Je savais que cela arriverait ce soir, cette nuit. La fin de mon premier « voyage » avec l’écriture. Qui sait, peut-être qu’elle me réserve d’autres belles aventures. Dans quelques mois, je vais retrouver Anthony à New York. Il faut donner une chance à la vie de nous apporter du bonheur. Il faut vivre pour aimer, ce qui nous donnera des choses dont nous nous souviendrons. Et puis, nous serons là pour les raconter.
Living for love
Something to remember
Live to tell
Oui, cette nuit, j’ai écrit le dernier chapitre de l’histoire de « Jérém&Nico ». Et j’ai aussitôt « commencé » à en écrire une autre. Avant d’aller me coucher, j’ai réservé un billet d’avion pour New York.
Blagnac, dimanche 11 mars 2018, 7h55.
Devant le tableau d’affichage, je cherche mon vol. Le voilà, perdu entre des dizaines d’autres départs. Il est toujours prévu à l’heure. La porte d’embarquement vient d’être affichée, c’est la 46. Je parcours l’immense hall pour rejoindre les autres voyageurs avec lesquels je vais partager de nombreuses heures de vol. Un frisson me saisit lorsque je réalise que, dans une heure à peine, je serai dans les airs. Un frisson encore plus grand me secoue de fond en comble en essayant d’imaginer les retrouvailles au bout de mon voyage. Des retrouvailles qui sont devenues une évidence, une urgence, une nécessité.
Cher lecteur, tu viens de lire le dernier épisode de la saison 4 de Jérém&Nico.
Commentaires
gebl
25/10/2024 16:17
Vous Etes formidables, je ne peux qu’être d’accord avec vous . Notre Gourou fabien , nous tient il est devenu maitre dans l’art de tenir nos émotions en alerte , à être addict . J ai pensé un moment qu’une série ou sage serait bien. Mais la puissance des mots n’a pas d’égal dans sa transcription cinématographique, mlagré les teès bon scénaristes
Yann
25/01/2024 07:33
Dernier chapitre : la fin de l’histoire ? Ouf, non pas encore, juste le dernier chapitre de la saison 4. Pendant 2 jours et jusqu’à ce que Fabien apporte cette précision, je me suis interrogé car, je dois avouer honnêtement qu’une fin comme ça, je n’aurais pas aimé même dans la perspective où Jérém et Nico aient trouvé la sérénité et le bonheur chacun de leur côté. Comme Virginie-aux-accents je suis assez fleur bleue et je me suis souvent pris à espérer des retrouvailles romantiques entre J&N. Qu’il se trompe d’avion, qu’il croise Jérém par hasard dans l’aéroport… Bref un truc de fait pas très réaliste comme on en voit que dans certains romans. Je crois que Fabien n’ira pas vers cette facilité et a mieux que ça à nous offrir. Car il faut bien voir que dix ans ont passé et qu’avec le temps, comme Virginie-aux-accents mais je me trompe peut-être, ils n’ont peut-être pas besoin de reprendre une relation qui s’est interrompue alors qu’ils étaient tout juste des adultes, mais simplement de se retrouver. Durant ces deux jours d’incertitude après la publication de l’épisode où j’ai cru que c’était peut-être la fin, je me suis pris à repenser à toute l’histoire. Toute l’histoire est construite sur la complexité du personnage de Jérém et c’est elle qui fait le cœur de l’histoire. Un garçon sportif, qui sous son air macho, sûr de lui et bagarreur… cache une grande fragilité. Et je pense encore, mais je peux me tromper que c’est lui qui sera la clé de l’épilogue. Moi aussi, je trouve émouvante cette rencontre entre Nico et Charlène quand elle lui raconte cette occasion ratée de 2013 et ce que lui a confié Jérém à l’été 2017 sur sa souffrance et sa longue traversée du désert. Elle a tout fait pour les faire se retrouver, mais a échoué parce que Jérém ne l’a pas voulu. En fait, si Jérém n’a pas voulu reprendre contact avec Nico, ce n’est pas tant comme elle le dit, parce qu’il a honte de lui avoir fait autant de mal, ce qui est vrai qu’en partie, mais parce qu’il sait qu’il le fera encore souffrir. Le problème de Jérém n’est pas tant la honte qu’il a de lui-même, que le fait qu’il ne se sent pas capable de pouvoir promettre à Nico qu’il ne fuira pas à nouveau comme il l’a déjà fait plusieurs fois. Il le lui a d’ailleurs dit « je ne suis pas capable de te rendre heureux ». Et de fait, il a souvent rendu Nico malheureux, tout comme ce fut le cas de Rodney. Un peu long comme post mais après ces deux jours, j’avais besoin de me libérer.
Virginie-aux-accents
24/01/2024 06:56
C’est émouvant de voir Charlène être « le pont » entre nos deux héros (je n’ose plus dire amoureux). Cependant, même si Nico se dit qu’il n’a pas besoin d’avoir toutes les réponses, je pense qu’il faut qu’il puisse voir une dernière fois Jérèm pour que tous les deux puissent enfin vivre apaisés. Ils n’ont peut-être pas besoin de se retrouver, mais sans doute de se revoir. Mon côté fleur bleue me pousse à espérer que l’avion dans lequel monte Nico va en Australie.
Fred
21/01/2024 07:47
Et bien. On me traitera d indécrottable romantique mais je suis sûre que ce n’est pas fini cette histoire .tu ne me croiras peut-être être pas Mais depuis plus d’ un an j’ai écris la fin de cette histoire .ma’fin idéale en quelque sorte. J’espère que ça sera la’bonne. J’aime toujours autant ta façon d’écrire et de conter le fil des idées de Nico . A chaque épisode je me dis que l on se rapproche de la fin .et je n’ai APS envie d’avoir Al fin de cette .je ne veux pas perdre mes amis que j’aime retrouver chaque mois en te lisant car oui Jerem et Nico font aussi partie de ma vie et de toutes celles de ceux qui te lisent ét te suivent.. Bisous mon Fabien
Cet été, je me suis brièvement rebranché sur l’application, et j’ai eu quelques aventures. Je n’ai pas pris de gros risque, et il n’y a jamais eu d’accident majeur. Mais en cette fin d’année, l’envie m’a pris de faire un dépistage. Je me rends donc tout naturellement au dispensaire de l’hôpital de La Grave pour faire les prises de sang.
C’est toujours un brin intimidant de s’approcher de cette structure à la coupole majestueuse, de rentrer dans ses entrailles aseptisées et bardées d’affiches de prévention, pour faire un dépistage « anonyme ». L’anonymat a été une très bonne « trouvaille » pour diffuser le dépistage, à une époque où les MST, et le SIDA en particulier, étaient objets de discrimination et de rejet.
Certes, l’anonymat protège, mais il est également facteur de « ghettoïsation ». L’anonymat me fait me sentir un peu honteux, un peu coupable. Comme si j’avais quelque chose à cacher, quelque chose à me reprocher.
En réalité, il n’en est rien. Se dépister, c’est prendre soin de soi-même et des autres. C’est un simple geste citoyen. On devrait y aller la tête haute. La honte ne devrait pas s’ajouter à l’inquiétude. L’anonymat, c’est la conséquence du regard hostile de la société.
Au centre, le personnel est exquis, tout le monde fait un boulot nécessaire et précieux. Mais il est toujours difficile d’affronter le regard de l’infirmière qui vous reçoit pour la prise en charge, de répondre à ses questions, dont certaines assez intimes, puis de répondre à nouveau aux mêmes questions de celui ou à celle qui nous fait la prise de sang. On est obligés de se « mettre à nu » à plusieurs reprises, et l’exercice est loin d’être anodin.
Et puis, il y a l’attente. 48 heures. C’est court et interminable à la fois. Une fois de plus, je m’accroche à l’idée que je n’ai pas grand-chose à craindre. Mais le risque zéro n’existe pas. Alors, sait-on jamais. Désormais, je compte les heures jusqu’au rendez-vous de remise des résultats.
Toulouse, le mercredi 06 décembre 2017.
Le jour est enfin arrivé, et l’heure approche. Dans quelques minutes, je vais en avoir le cœur net. En traversant le pont Saint Pierre, je trouve que le vent souffle très fort aujourd’hui sur la Garonne.
En m’approchant de la coupole, je sens une certaine appréhension s’emparer de moi, malgré moi. Au moment de passer la porte vitrée de l’hôpital, j’ai le cœur qui fait de grands bonds dans ma poitrine.
Mais lorsque j’arrive dans la salle d’attente, j’ai l’impression que, soudain, il s’arrête de battre.
Car, assis tout seul dans un coin, le garçon au blouson bleu est là.
Someone in the crowd could be the one you need to know
Quelqu’un dans la foule pourrait être celui que vous devez connaître
The one to finally lift you off the ground
Celui qui te fera enfin décoller du sol
Il n’y a pas de foule, il y a juste le garçon au blouson bleu. Mais c’est une fulguration. Au plus profond de moi, je suis saisi par la certitude que ce garçon est celui que je dois connaître, celui qui me fera enfin décoller du sol.
En attendant, le garçon au blouson bleu est un petit brun à la peau mate, avec un brushing très sage, très naturel, très masculin, les cheveux courts tout simplement peignés vers l’avant. Il a l’air plutôt jeune, 23-25 ans, je dirais. Et il est mignon, terriblement mignon. Il a l’air d’un garçon très doux, un garçon a qui j’ai instantanément envie de faire des tonnes de câlins.
Je croise son regard. Dans ses grands yeux un peu tristes j’ai l’impression de lire la même fébrilité due à l’attente de ses résultats qui m’habite. Je le trouve hyper touchant.
Je croise son regard et je suis instantanément aimanté. Et j’ai l’impression que le sien est tout autant aimanté par le mien. J’ai l’impression que le courant passe d’amblée, que la connexion est faite sans besoin de rentrer de mot de passe. C’est la première fois que je ressens ça avec un garçon.
Même avec Jérém la connexion ne s’était pas établie si vite. Enfin, si, elle l’avait été, en ce premier jour du lycée. Mais, justement, il fallait un mot de passe, et il m’a fallu trois ans pour le trouver.
Certes, le contexte est différent. Mais ça ne m’empêche pas de me sentir transporté par l’intensité réciproque de nos regards.
Je sens d’infinis frissons m’envahir. Je ressens un besoin irrépressible d’aller vers lui, d’aller lui parler, de faire sa connaissance. Et de le prendre dans mes bras. Ça fait longtemps, très longtemps, que mon cœur n’a pas battu aussi fort pour un garçon.
Puis, une porte s’ouvre, un mec en sort, les feuilles de son dépistage à la main. Il a l’air décomposé. Il est suivi d’un médecin qui lui glisse : « Et surtout ne tardez pas à prendre rendez-vous pour le suivi. Plus vite on commence le traitement, mieux vous allez vous en sortir. Il n’y a rien de catastrophique, mais il faut réagir au plus vite ».
J’ignore par quelle MST ce garçon a été contaminé. Mais, soudainement, je sens mon inquiétude monter d’un cran. Ça me rappelle violemment qu’un dépistage peut annoncer de mauvaises nouvelles, et même changer le cours d’une vie.
Le garçon part sans rien répondre aux mots bienveillants du médecin. La blouse blanche regarde sa feuille et appelle le « numéro de dossier » suivant. C’est ça qui est bizarre aussi, dans l’anonymat. Quand on est dans l’anonymat, on n’est plus des individus, mais des « numéros de dossier ».
Le garçon au blouson bleu bondit aussitôt de son siège et suit le médecin dans son bureau. Le petit mec n’est pas très grand, moins d’un mètre soixante-dix je dirais, et il a l’air de rentrer dans cette catégorie de p’tits mecs que j’appelle volontiers les « petits formats très bien proportionnés ».
Le contact avec son regard est rompu, mais son éblouissement demeure, comme après avoir fixé le soleil trop longtemps. J’ai les jambes en coton. Dans le ventre, un tambour de machine à laver en mode essorage.
Je regarde la porte du bureau se refermer et faire disparaître le blouson bleu de ma vue. J’espère vraiment que tout va bien se passer pour lui. Soudain, je suis inquiet pour un inconnu. Techniquement, ce n’est plus un inconnu. Je crois que j’ai lu plus de choses dans son regard, et lui dans le mien, que si on avait parlé pendant des heures.
Il faut absolument que je trouve un moyen de l’approcher, de lui parler. Le fait est qu’après lui, il n’y a que moi. Lorsqu’il sortira, je serai aussitôt appelé, et je n’aurai pas le temps de l’aborder. Il faut que je trouve le moyen de le retenir. Mais comment ?
Tout se passe très vite. Le garçon au blouson bleu ressort une poignée de minutes plus tard, et il a l’air beaucoup plus détendu qu’auparavant. Il faut y aller, Nico, il faut y aller !
Tout s’est bien passé ? je le questionne, au culot, alors que le médecin appelle déjà mon numéro.
Très bien, merci.
Sa voix est douce, elle transpire la gentillesse et une certaine timidité. Définitivement, ce petit gars me plaît vraiment beaucoup. Plus que jamais, je voudrais trouver le moyen de lui donner rendez-vous, de ne pas rater ce rendez-vous avec le Destin.
Mais déjà du coin de l’œil je vois la blouse blanche s’impatienter.
Bon courage, me lance le garçon au blouson bleu, avec un sourire doux et charmant.
Merci…
Vite Nico, trouve le moyen de forcer ce putain de Destin, va droit au but, tente-le, soit ça passe, soit ça casse !
Tu m’attends ? je m’entends lui lancer, droit au tutoiement, comme si on avait gardé les vaches ensemble.
Quoi ? il réagit, visiblement interloqué par ma démarche.
Allez, Monsieur, venez en consultation, me presse le médecin.
Attends-moi une minute, attends-moi, ok ? S’il te plaît…
Dans le petit bureau, le médecin m’annonce tout de suite que je suis clean. L’essentiel étant spoilé, je voudrais quitter le cabinet au plus vite pour tenter de rattraper le garçon au blouson bleu. Je suis presque certain qu’il a dû me prendre pour un fou, et qu’il a dû prendre les jambes à son cou dès que je suis rentré dans le bureau du médecin. J’ai besoin de le rattraper, de lui expliquer que je ne suis pas fou. Ou que, si je suis fou, je le suis de lui, que je l’ai été dès l’instant où il est rentré dans mon champ de vision.
Mais le médecin se lance dans un interminable laïus sur la prévention. Ça m’agace, car chaque seconde réduit ma chance de pouvoir rattraper le garçon au blouson bleu.
Lorsque j’arrive enfin à m’extirper de là, je passe la porte du petit bureau comme une furie, tout en me préparant à me lancer dans une course poursuite effrénée soit sur le pont Saint Pierre, soit en direction de Saint Cyprien. Pourvu que ce ne soit pas trop tard !
Mais mon élan désespéré est coupé net en une fraction de seconde.
Alors, ces résultats ? j’entends une voix lancer.
Cette voix, c’est celle du garçon au blouson bleu. Et cette question, m’est tout spécialement adressée.
Ah, tu es là ? je m’étonne en freinant comme dans un dessin animé. J’ai l’impression d’entendre le crissement des pneus, le sifflement des freins, et de voir la fumée se dégager sous mes chaussures.
Bah, oui, tu m’as dit de t’attendre. Alors, tout est bon pour toi aussi ?
Tout est bon, oui !
Bah, c’est cool. En attendant, je ne sais toujours pas pourquoi j’ai attendu… il me glisse, un brin taquin.
Tu fais toujours tout ce qu’on te dit ? je fais, moqueur.
Non, pas toujours. Juste quand c’est demandé gentiment.
Et si je te demande gentiment d’aller prendre un verre ?
Je risque de ne pas pouvoir dire non…
Alors je te le demande très, très, très gentiment !
C’est pour ça que tu m’as demandé de t’attendre ? il lâche, l’air faussement déçu.
C’est pas une raison suffisante ? je le cherche.
Ça peut, en effet… Il y en a d’autres ?
Tu as l’air d’un garçon sympa et j’ai eu envie de faire ta connaissance.
Bon bah, ça me va. Allons faire connaissance, alors !
Moi c’est Nicolas, Nico pour les intimes, je me présente.
Et moi c’est Anthony, Antho pour les intimes. Mais j’aime pas qu’on m’appelle Antho !
Eh, beh, voilà un beau prénom de p’tit gars !
Promis, je ne t’appellerai jamais Antho !
Nous traversons le pont Saint Pierre alors que souffle un vent à décorner des bœufs. Nous atterrissons dans un bar sur la place du même nom, ce haut lieu des soirées étudiantes du jeudi soir.
Anthony tombe le blouson bleu et dévoile ce physique de petit format très bien proportionné que j’avais deviné caché sous la doudoune. Il porte un petit pull marron qui épouse parfaitement son torse et qui, au gré des mouvements, laisse deviner des pecs tout à fait respectables.
Autour d’un chocolat chaud, nos échanges prennent peu à peu des allures de premier rendez-vous. Le petit mec m’apprend qu’il a 25 ans. Lorsque je lui apprends que j’en ai 10 de plus que lui, il me lance, moqueur :
Tu es un vieux !
T’es qu’un petit con ! je lui lance, sûr de le faire rire.
Ça ne rate pas. Il y a entre nous une complicité immédiate qui me fait chaud au cœur.
En vrai, j’aime les garçons plus âgés que moi, mon ex avait près de 40 ans !
Anthony m’apprend qu’il est Toulousain pur jus et qu’il vient d’obtenir sa licence en arts plastiques à Jean Jaurès. Et qu’il doit bientôt partir à New York pendant un an pour travailler dans une grosse boîte spécialisée dans la conception de BD. Il espère ainsi pouvoir perfectionner sa technique et trouver des partenaires potentiels. Car son rêve de carrière professionnelle est de devenir dessinateur de BD.
Quel type de BD ? je le questionne. Toujours faire parler un beau garçon de ce qui le passionne.
Je suis fasciné par les univers de science-fiction, avec pour thèmes de prédilection les voyages stellaires ou encore les voyages dans le temps. Tu vois, j’aime beaucoup les histoires écrites par un auteur d’ici, de Toulouse, celui qui a écrit la trilogie des fourmis…
Werber !
Tu connais ?
J’adore ! J’ai tout lu de lui !
Moi pareil ! J’aimerais adapter certains de ses livres en BD…
Et ce serait lequel que tu aimerais adapter en premier, si tu pouvais t’y mettre dès demain ?
Le Papillon des étoiles !
Celui qui parle de cet immense vaisseau spatial construit pour fuir une planète Terre à bout de souffle et pour faire voyager des pionniers dans les étoiles pour qu’ils arrivent à vivre ensemble en harmonie.
Exactement ! Mais ça représenterait un travail titanesque. Il faudrait être toute une équipe à travailler dessus. Et c’est pas certain que le tirage attendu pourrait couvrir les frais engagés.
Tu dois beaucoup dessiner, alors !
Un peu, oui. Je fais pas mal de strips en ce moment, des BD courtes qui racontent une petite histoire en quelques cases, dix au plus. Une planche, quoi…
Sur des mondes fantastiques ?
Non, en ce moment, je suis à fond sur… les rencontres…
Les rencontres amoureuses ?
Toutes sortes de rencontres, entre gens qui tombent amoureux, mais aussi entre potes, des rencontres inattendues, des rencontres silencieuses. Parfois je capte un mec dans le bus, et j’ai envie de le dessiner avec ses potes, j’ai envie de capter ces instants de vie.
Ça m’a l’air bien intéressant tout ça. J’aimerais bien voir quelques-uns de tes dessins !
Bah, écoute, il faudrait que tu viennes chez moi pour ça.
Avec plaisir !
Mais ce ne sera pas aujourd’hui, car je suis attendu ce soir.
On va devoir se revoir alors, je constate avec joie.
On dirait bien !
Le courant passe vraiment bien entre nous, chacun de nos échanges sonne comme une évidence. Tout semble couler de source, tout a l’air facile avec ce petit Anthony. J’ai l’impression qu’on se connait depuis une éternité. Alors qu’il y a une heure encore, nous ignorions jusqu’à l’existence de l’autre.
Le petit brun me questionne à son tour au sujet de mon travail. Je le lui explique en quelques mots, et je lui explique également que je ne vis plus à Toulouse, mais que j’y viens régulièrement pour voir mes parents.
Le chapitre « ex » vient juste après. Anthony me raconte qu’il sort d’une histoire de trois ans avec un garçon dont il était amoureux fou et qui l’a quitté pour un autre. Après sa rupture en début d’été, il a eu quelques aventures lui aussi, d’où ce dépistage.
Je ne sais pas comment on peut seulement envisager de quitter un garçon adorable comme toi ! je considère.
A mon tour, je lui parle de Jérém. Ça me fait bizarre de parler de Jérém à un autre garçon, de parler de lui comme étant mon « ex ». Je réalise qu’en dix ans, je n’ai jamais vraiment parlé de Jérém à aucun des garçons que j’ai croisés.
Mais avec Anthony, je me sens en confiance. Je lui raconte notre rencontre le premier jour du lycée, nos révisions avant de bac, sa difficulté à s’assumer, la difficile conciliation de sa carrière dans le rugby professionnel avec notre histoire. Mais aussi de nos années heureuses, de notre agression à Paris, de son départ en Angleterre, de Rodney, le garçon qui avait pris ma place dans son cœur, et de son départ en Australie après un outing forcé dans la presse à scandale. Je survole cinq ans d’histoire et dix de séparation, je raconte tout ça avec un certain détachement. D’une part, je veux éviter de lui montrer que je n’ai toujours pas vraiment fait le deuil de cette histoire. Mais aussi, parce qu’avec Anthony, j’ai l’impression que quelque chose vient de commencer. J’ai l’impression que ce garçon va me redonner goût à la vie. Et quand on reprend goût à la vie, le passé devient enfin le passé, et nous pouvons le regarder enfin avec détachement.
Avant de nous quitter, nous échangeons nos numéros de portable et nous convenons de nous revoir le samedi suivant, chez lui, pour qu’il me montre ses dessins.
En nous quittant, je me retiens de justesse de l’embrasser, et j’ai l’impression qu’il en est de même de son côté. Je sens que l’attraction est là, elle est presque palpable. En lui serrant la main, en croisant une dernière fois son regard, j’ai l’impression que notre proximité génère des étincelles. Qu’est-ce que c’est beau quand les désirs se croisent et se reconnaissent.
Je sors de ce rendez-vous comme d’un marathon. Je suis émotionnellement HS. Ce petit mec m’a vraiment retourné comme une crêpe. Il est mercredi 18 heures. Je réalise que 72 heures me séparent de notre prochain rendez-vous. Et ça me paraît long, terriblement long. Un autre compte à rebours commence.
Heureusement, les téléphones portables nous permettent de maintenir le lien jusque-là.
« Il me tarde de te revoir, Nicolas » je lis sur mon portable quelques minutes plus tard, en arrivant chez mes parents. Je réalise que ce soir je me sens heureux et vivant comme je ne m’étais pas senti depuis si longtemps. Je ressens en moi des frissons, des désirs, des sentiments que j’avais désespéré retrouver un jour.
« Tu me manques déjà. Vivement samedi ! » je lui renvoie aussitôt.
Oui, il me manque déjà. Il me manque parce que…
‘Cause morning rolls around/Parce que le matin arrive
And it’s another day of sun/Et c’est un autre jour de soleil
Toulouse, le samedi 09 décembre 2017.
Cette année, l’approche des fêtes de Noël n’est plus synonyme de nostalgie et de mélancolie. Cette année, les fêtes de Noël ont une saveur toute nouvelle. Une saveur de petit mec au blouson bleu.
Samedi après-midi je me rends comme prévu à l’appartement d’Anthony situé du côté de Saint Orens. Mais la première chose que nous faisons, ce n’est pas regarder ses dessins, et encore moins faire le tour du propriétaire. Ce n’est même pas nous dire « bonjour ».
Non, la première chose que nous faisons, une fois la porte d’entrée refermée, est de tomber dans les bras l’un de l’autre, en silence, et de nous serrer très fort. Et de nous embrasser, longuement, tendrement. Nos corps parlent mieux que tous les mots que nous pourrions mettre sur ce que nous ressentons l’un pour l’autre.
Tu m’as manqué ! il finit quand-même par me glisser.
Je vois ça ! je plaisante. Avant d’ajouter : Toi aussi, tu m’as manqué, beaucoup !
Une minute plus tard, nous sommes dans sa chambre. Nous sommes tous les deux torse nu. Je découvre enfin ce physique de petit format aux pecs honnêtement dessinés, délicieusement parsemés d’une douce pilosité de jeune mâle, au ventre plat marqué par une sublime, épaisse ligne de poils bruns disparaissant derrière l’élastique de son boxer.
Qu’est-ce que c’est beau quand les désirs se rencontrent enfin, quand l’attraction est là, si forte, si visible, si évidente, aussi affichée d’un côté que de l’autre. Nous sommes des aimants, impatients de laisser l’attraction nous coller l’un à l’autre.
Qu’est-ce que c’est beau, le frisson de la toute première fois, le frisson de découvrir pour la toute première fois la nudité d’un garçon. Ce sont des instants magiques, qui sont trop souvent expédiés par la fougue de l’action. Mais cette fois-ci, je prends le temps de faire les choses bien. Et d’apprécier. Et de m’imprégner de cet instant intense, éphémère et unique.
Je prends le temps de découvrir le parfum et la texture de sa peau mate.
Je prends le temps de découvrir ses points érogènes, ses tétons, mais aussi toute la région des pecs, son cou, ses oreilles, sa nuque, ses épaules.
Je prends le temps de le caresser d’abord avec le regard, puis avec mes mains, et encore avec mes lèvres.
Anthony se laisse faire et semble beaucoup apprécier. Lorsque mon « tour du propriétaire » est fait, il s’engage dans la même exploration vis-à-vis de moi.
Il prend le temps de me regarder, de me caresser, de découvrir l’une après l’autre mes zones érogènes, tel un musicien en train d’accorder son instrument.
Et ce n’est qu’après ce long moment de sensualité que je laisse enfin mon envie de lui donner du plaisir prendre le pas sur la tendresse.
Mes baisers, pendant de longues minutes réservées à ses lèvres et à son cou, descendent enfin le long de la ligne médiane de son torse, dépassent son nombril, suivent la ligne de petits poils qui part vers sa queue.
Le fait de nous savoir réciproquement « clean », vu les circonstances de notre rencontre, contribue à rendre tous ces gestes et cette première fois totalement détendus, et nous permet de nous abandonner au plaisir le cœur léger, sans interdits, sans stress, sans tabous, sans injonctions.
Et de laisser libre cours à nos envies. Alors, autant dire, que mes envies sont multiples.
J’ai envie de toi ! je finis par décréter au bout d’un combat intérieur particulièrement difficile à trancher.
Moi aussi, j’en ai envie, il me glisse, la voix chuchotante d’un mec bien excité. Un instant plus tard, Anthony est en moi, nous faisons l’amour. Il est doux, tendre, attentionné. Il a l’air un peu perdu, un peu stressé. Il est juste adorable. C’est furieusement bon.
Et en même temps, je guette l’instant auquel aucun garçon, même pas le plus doux, ne peut échapper, cet instant où la violence de la montée de l’orgasme fait obligatoirement ressortir cette animalité qui est quelque part tapie en lui, dans l’ombre. Ces quelques instants où, happé par la fulguration du plaisir, tout garçon n’est plus qu’instincts, désir de jouir. Et j’ai envie de voir sa belle petite gueule traversée et secouée par l’orgasme.
Je viens… il assène, alors que l’apothéose du plaisir vient d’exploser dans son corps.
Ses paupières retombent lourdement, alors qu’un petit bout de langue se glisse entre ses lèvres entrouvertes. Le voilà tout tendu vers son plaisir, balançant des petits coups de reins au rythme de ses éjaculations.
Quelque chose de lui vient en moi. Et c’est tellement bon de le faire en toute confiance. C’est le summum du plaisir. Je réalise que c’est le premier garçon à qui j’accorde cette confiance ultime depuis dix ans. Depuis Jérém.
Son orgasme passé, le p’tit mec s’abandonne sur moi de tout son poids. Je le serre dans mes bras, je caresse doucement son dos et sa nuque, je tente d’accompagner au mieux sa descente depuis le Paradis.
Dans l’abandon après l’amour, ce garçon m’inspire à nouveau une immense tendresse. Je le serre un peu plus fort dans mes bras, et nous nous assoupissons.
Lorsque je me réveille, Anthony est déjà debout. Enfin, il est assis, assis derrière un grand bureau recouvert de feuilles et de crayons. On dirait qu’il est en train de dessiner.
Salut, toi, je cherche son attention.
Attends une seconde, ne bouge pas !
Quoi ?
Ne bouge pas, je suis en train de te croquer et j’ai encore quelques lignes à ébaucher.
Tu me croques ?
Oui, je te croque !
Moi aussi j’ai envie de te croquer !
Arrête, ne me fais pas rire, j’ai besoin de concentration !
Ok, ok !
Juste une petite minute…
Je le regarde tracer de grands coups de crayons, tout concentré à sa tâche. Il a l’air vraiment passionné, totalement happé par son ouvrage. Et qu’est-ce qu’il est beau ! Je crève d’envie d’aller le rejoindre et de le couvrir de bisous. Ce garçon est vraiment, vraiment, vraiment un puit à câlins.
C’est bon, j’ai fini !
Je peux bouger ?
Tu peux.
Et là, je bondis du lit, je m’approche du bureau, je le contourne, j’arrive dans son dos, je passe mes bras sous ses aisselles et je l’enlace. Et je laisse mes lèvres embrasser son cou, sa nuque, ses joues. Très vite, je rencontre ses lèvres.
Mon regard finit par tomber sur le croquis qui est juste devant lui. Et là, je me vois, endormi, la tête sur l’oreiller, un bras et le haut de mon torse qui dépassent du drap. Je reconnais ma tête, mes cheveux, mes traits. Je me reconnais.
Le dessin est approximatif, brut, mais toutes les lignes principales sont là. Et la ressemblance est plutôt bluffante. Le trait est doux, chargé de tendresse. Mais à bien regarder, il ne s’agit pas d’un simple portrait du « Nico au bois dormant ». On dirait qu’il s’agit bel et bien d’une histoire, ou plutôt de l’une de ces « rencontres » dont il m’a parlé la dernière fois, ces instants fugaces qu’il aime bien dessiner.
Plusieurs détails du dessin me font pencher pour cette hypothèse. La partie gauche du drap est défaite, tandis que l’oreiller de gauche porte encore la trace fraîche de la présence d’une autre « tête ». On devine qu’il y a eu quelqu’un d’autre dans ce lit, il y a peu. Et une certaine sensualité se dégage du dessin. Le garçon croqué a l’air heureux dans son sommeil, tout laisse penser qu’il fait des beaux rêver ou bien qu’il s’est passé quelques chose de bien agréable avec l’autre personne qui vient de partir.
D’autres détails précisent le propos.
Non, ce dessin n’est pas un simple portrait, c’est une petite histoire qui est racontée, avec beaucoup d’astuce et de sensibilité.
C’est beau ! je ne peux me retenir de m’exclamer.
C’est juste une ébauche, il faut que je le termine, il y a du taf encore.
C’est déjà magnifique. Tu as un talent fou pour faire parler le dessin…
Alors, dis-mo, qu’est-ce qu’il raconte, mon dessin ?
On voit le drap défait, la marque sur l’oreiller, on voit un garçon qui a l’air heureux. Et on voit un boxer abandonné sur le bord du lit. On comprend que c’est un instant qui suit une rencontre d’amour… entre deux garçons !
C’est facile pour toi, tu connais l’histoire !
Certes, mais tous les éléments sont là. Tu peux montrer ça à n’importe qui, il comprendrait.
Si tu le dis.
Je l’affirme !
Merci à toi, mais j’ai vraiment besoin de me perfectionner. Cette année à New York va me faire vraiment du bien.
Cette année à New York qui se profile me rend déjà infiniment triste.
Et tu pars quand ?
Le 20…
Le 20… décembre ?!?!!! je tombe de haut.
Oui, je vais passer les fêtes de Noël chez mon frère qui est installé là-bas. Et je vais enchaîner avec le taf en janvier.
Mais c’est dans 10 jours ! Tu vas me manquer !
Toi aussi tu vas me manquer ! Si j’avais su, je serais resté pour Noël. Mais je ne peux pas changer mon billet si tard…Je n’avais pas prévu de rencontrer un mec comme toi, pas maintenant, pas au centre de dépistage ! il enchaîne.
J’ai envie de pleurer. Et lui, aussi, je le sens ému.
Alors, tu me montres tes autres dessins ? je tente de faire diversion pour ne pas éclater en sanglots.
Oui, oui…
Et là, le petit mec me montre des dessins d’univers fantastiques, oniriques, avec des chevaliers post-modernes, des armures, des vaisseaux, d’immenses planètes à l’horizon, des paysages irréels aux couleurs vives.
Mais il y a un « détail » qui me saute immédiatement aux yeux dans cette débauche de traits et de couleurs. Il me semble que le visage et la plastique du personnage principal de chaque dessin sont toujours les mêmes.
C’est beau ce que tu fais, vraiment beau.
Merci.
Tu dessines très bien tes personnages. Ce sont de très beaux petits mecs. D’ailleurs, on dirait que c’est toujours le même « héros » dans chaque dessin…
Ce « héros » est inspiré d’un garçon réel, Adam…
J’ai envie de savoir qui est Adam, mais je ne veux pas trop le questionner, il me le dira s’il en a envie. Visiblement, il en a envie.
Adam était un camarade de lycée et…
Il prend un grand soupir.
Tu n’es pas obligé de m’en parler si tu n’as pas envie.
Adam a été le premier garçon dont je suis tombé amoureux quand j’avais 16 ans, il lâche d’un coup, comme s’il avait besoin de se libérer d’un grand poids.
Je le sens ému et je ressens chez lui une blessure toujours pas cicatrisée.
Ça a dû être très fort pour que tu le dessines autant de fois.
C’est la façon dont ça s’est terminé qui m’a longtemps hanté. Je ne veux pas que tu croies que j’espère qu’il pourra revenir dans ma vie. Il m’a fallu longtemps, mais j’ai fait le deuil de cette histoire. Je veux juste ne rien te cacher.
J’étais fou de lui, il m’explique. Pendant un an, ça a été génial. Jusqu’à ce que ses parents comprennent ce qui se passait entre nous. Son père était militaire, il a demandé une mutation. Et il a été affecté en Guadeloupe. Pendant des années, j’ai essayé de retrouver Adam sur les réseaux sociaux, mais il n’y avait pas de trace de lui nulle part. J’imagine que ses parents devaient le lui interdire.
J’ai fini par le retrouver il y a quelques années sur un réseau. Mon cœur a failli exploser. Il était devenu militaire lui aussi. J’ai essayé de reprendre contact avec lui. J’ai envoyé des messages. Mais au lieu de recevoir une réponse, j’ai reçu un blacklist direct. Son compte a disparu de mon radar, fin de l’histoire. Il ne voulait plus avoir affaire à moi.
Il a dû être traumatisé par la réaction de son père, et s’il est devenu militaire, ça ne doit pas être pas simple pour lui, je considère.
Et puis, un jour, un an après, je reçois un coup de fil. C’était lui.
Adam ?
Oui, Adam. Il était revenu en France et il avait appelé chez mes parents. C’est comme ça qu’il avait eu mon portable. Il est venu me voir, un dimanche. Il était en permission, il était encore en uniforme, il était beau comme un Dieu. J’ai cru renaître.
Il m’a raconté qu’il était marié, et que sa femme était enceinte. J’ai cru mourir.
Et il m’a raconté aussi combien il avait souffert de notre séparation, des brimades de son père, de ce déménagement violent et punitif. Il m’a avoué avoir pensé à moi pendant tout ce temps. Et de n’avoir rencontré aucun autre garçon après moi. Il m’a dit qu’il était satisfait de sa vie de militaire, de son couple, de ce gosse qui allait arriver. Et du regard de son père.
Je lui ai demandé s’il était heureux. Il m’a dit que ce qu’il avait, lui suffisait.
J’ai eu besoin de lui poser la question qui me brûlait les lèvres depuis des années. Je lui ai demandé s’il croyait que ça aurait pu marcher entre nous si on n’avait pas été séparés. Il s’est contenté de sourire. C’était un sourire triste, plein de regrets.
En partant, il a ajouté qu’il avait été très heureux pendant l’année où nous nous étions aimés. Mais que pour lui tout ça appartenait au passé. Et qu’il fallait que le passé reste au passé.
Sur le coup, j’ai cru mourir mille fois. J’ai pensé que finalement j’aurais préféré ne rien savoir. Mais avec le temps, j’ai compris que cette rencontre, cette explication, même si elle avait été douloureuse, m’avait aidé à me réconcilier avec le passé. En fait, c’est à partir de ce moment, de ses explications, que j’ai pu faire le deuil de cette histoire.
Et le dessin m’a aidé à canaliser ma souffrance, et à ne pas oublier son visage. Je n’ai aucune photo de lui, aucune.
Touché par son récit, j’ai envie d’être tout aussi sincère avec lui qu’il l’a été avec moi. Je lui raconte que mon besoin d’écrire découle de la même raison, celle de ne pas oublier le bonheur passé.
Tu me comprends alors !
Très bien, même !
Le petit mec ne me demande rien de plus à ce sujet, et ne me demande pas de le lui faire lire mes écrits. J’apprécie son tact. Car je ne me sens pas prêt pour ça. Déjà, parce que j’estime que mes écrits sont loin d’être aussi aboutis que ses dessins. Mais aussi, et surtout, car ils sont « bruts », dans le sens où ils ne font que retracer mon histoire avec Jérém, telle quelle. Dans mes écrits, il n’y a pas de filtre, aucune transposition, ce qui est le cas justement dans ses dessins. Mes écrits demeurent au stade de journal intime, un journal intime très détaillé, et ils sont à ce titre très intimes. Les faire lire à qui que ce soit, ce serait trop me mettre à nu. Et ce serait l’entraîner dans une comparaison avec Jérém que je veux éviter à tout prix.
Anthony et moi passons tout le week-end ensemble et c’est un week-end d’amour. Et de sexe.
Un mec si beau et si jeune qui s’intéresse à moi, c’était tellement inattendu ! Son regard me redonne confiance en ma capacité de séduction. Sa fougue me rappelle celle que j’avais à son âge, et me la fait redécouvrir.
De mon côté, je m’emploie à lui faire découvrir de nouvelles nuances de plaisir, et à lui montrer à quel point il peut m’offrir du plaisir tout simplement en recherchant le sien. Et à lui faire prendre confiance en lui, car il semble en manquer lui aussi. C’est ça aussi qui le rend si touchant.
Et après le plaisir, le petit mâle qui me fait craquer laisse la place au puits à câlins qui m’émeut aux larmes. J’avais oublié que faire l’amour avec un garçon pouvait être aussi bon.
Dimanche après-midi, après une bonne séance de galipettes et une sieste, le p’tit brun me propose de faire une sortie cinéma.
Ça fait un moment que ce film est sorti mais je n’ai pas eu le temps d’aller le voir. Et maintenant, l’Utopia vient de le reprogrammer pour une seule séance. Ça te dit ?
Vraiment, je ne sais pas comment tu fais… je lui lance, une fois de plus ému par notre entente presque télépathique.
Comment je fais… quoi ? il s’étonne.
Pour lire dans mes pensées…
C’est à dire ?!
Moi aussi j’ai toujours voulu aller voir ce film, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment !
Bah, on y va, alors !
On y va !
Dès les premières images, dès les premières notes de la scène d’ouverture, je sais que ce film va me prendre aux tripes et me bouleverser. Et ça ne rate pas. L’histoire de Mia et Sebastian est portée par une bande originale fabuleuse, par une esthétique riche et soignée, par des acteurs attachants (et beaux, surtout Ryan Gosling qui, porte fabuleusement bien sa belle petite gueule et ses chemises blanches), par une histoire romantique, et par un final qu’on n’a pas vu venir et qui nous étreint le cœur.
Ce film me prend aux tripes, car il me fait à la fois penser à mon présent et à mon passé.
Anthony est mon « Another day of sun ».
Someone in the crowd could be the one you need to know
Quelqu’un dans la foule pourrait être celui que vous devez connaître
The one to finally lift you off the ground
Celui qui te fera enfin décoller du sol
Définitivement, Anthony est le garçon que je devais connaître, celui qu’il me fera enfin décoller. Je l’ai trouvé, il m’a trouvé. Car j’étais peut-être enfin prêt à être trouvé.
Someone in the crowd could take you where you wanna go
Quelqu’un dans la foule pourrait t’emmener là où tu veux aller
If you’re the someone ready to be found
Si tu es quelqu’un prêt à être trouvé
L’« Epilogue » du film me déchire les tripes car il fait impitoyablement écho à mon bonheur perdu.
Mais Anthony est là, et même si je me prends un gigantesque retour de nostalgie, elle glisse sur moi.
Je ne suis plus seul, et je crois que je suis à nouveau amoureux. Oui, je crois qu’un nouveau jour de soleil est enfin arrivé pour moi.
Après la projection, je passe une merveilleuse soirée en compagnie de mon adorable Anthony.
Nous montons à l’Observatoire de Pech David pour observer la ville et ses lumières de Noël.
Nous restons un long moment assis sur un banc à contempler Toulouse, enlacés, à nous faire des câlins et des bisous. Je passe une véritable « Lovely Night ».
Et j’ai l’impression de danser avec les étoiles.
Martres Tolosane, le lundi 11 décembre 2017, jour du départ d’Anthony – 9 (JDA – 9 jours).
Anthony, c’est vraiment la belle surprise, la belle rencontre, le bonheur auxquels je ne croyais plus depuis longtemps. Je remercie la vie de m’avoir fait ce cadeau inespéré et inestimable !
Je commence vraiment à m’attacher à lui. Je crois même que je suis en train de tomber amoureux de ce petit mec. Amoureux comme je l’ai été une seule autre fois dans ma vie.
Avec Anthony, j’ai retrouvé les frissons que je désespérais retrouver un jour, que je désespérais retrouver après Jérém.
Par moments, je culpabilise. Je me dis que mon bonheur avec Anthony va me faire oublier le bonheur que j’ai connu avec Jérém. Mais je suis tellement heureux que j’arrive enfin à faire taire cette petite voix au fond de moi. Je suis tellement heureux que je me laisse porter par ce qui m’arrive, en oubliant de plus en plus facilement les liens qui me relient encore au passé.
En fait je crois que j’ai été fou de ce petit mec dès le premier instant où je l’ai vu emmitouflé dans son blouson bleu dans la salle d’attente du centre de dépistage. D’amblée, ce garçon m’a paru différent de tous les autres que j’ai croisés auparavant. En fait, il m’a paru familier. C’est comme si on s’était connus dans une vie antérieure et qu’en se croisant par le hasard du Destin, on s’était instantanément reconnus. Notre complicité immédiate, notre entente parfaite semblent être là pour appuyer cette hypothèse.
Ce petit mec me fait un bien fou. Car il y a dans son regard une douceur qui me fait fondre. Car son sourire est à la fois touchant, timide, solaire, tout en recelant toujours une pointe de tristesse. Une tristesse dont je connais désormais l’origine, une blessure violente de celles qui marquent à vie. Une blessure cicatrisée, certes, mais qui redevient parfois douloureuse, quand la vie joue des tours.
Ce garçon me plaît terriblement, et à tout point de vue.
J’aime son « petit format » pas trop musclé mais bien ramassé, bien proportionné, sa peau mate, ses sourcils qui se mettent en chapeau lorsqu’il manifeste de la surprise, son regard pétillant, ses longs cils qui ajoutent encore de l’éclat à l’intense brunitude de son regard.
J’aime le regard qu’il porte sur moi, et qui me fait sentir attirant, désirable.
J’aime sentir que je lui ai manqué tout autant qu’il m’a manqué.
J’aime son regard amoureux. Et j’aime sentir que je suis amoureux de lui.
Je commence vraiment à croire au bonheur avec CE garçon. Et le temps nous est si cruellement compté ! Une poignée de jours avant son départ ! Mais quel dommage !
Le temps d’un regard, ce garçon a rempli ma solitude, a redonné de si belles couleurs à ma vie, et il m’a fait redécouvrir le bonheur. Et je sais que lorsqu’il sera parti, il va me manquer à en crever.
Maintenant que je sais que le temps nous est impitoyablement compté, j’essaie de faire en sorte de voir Anthony le plus souvent possible.
Ce qui n’est pas toujours facile puisque, en attendant de partir à New York, il travaille dans un fastfood de son quartier.
Ce n’est que le mercredi suivant que nous arrivons à nous revoir.
Martres Tolosane, le mercredi 13 décembre 2017 (JDA – 7 jours).
Ce soir, il est convenu qu’Anthony fasse la connaissance de Galaak. Anthony n’a pas de permis, il vient donc en train, et je vais le chercher à la gare de Martres.
La rencontre avec le beau brun à quatre pattes et le petit brun au blouson bleu se passe comme prévu. Coup de foudre au premier regard. Nous disputons un match de rugby-pouic-pouic à trois dans le jardin, et c’est vraiment un super moment. A la fin de la « rencontre », les joueurs à deux pattes se font des bisous. Galaak demande sa part de câlins. Et Anthony les lui offre avec une spontanéité et une générosité qui m’inspirent une profonde tendresse. Il n’en a rien à faire qu’avec sa fougue et ses grosses pattes humides il lui salisse son jeans ou son pull ou son blouson bleu. Pendant cette séance de câlins, Anthony semble avoir la même attitude que Galaak, tout absorbé par le bonheur de l’instant, comme si le passé et l’avenir n’existaient pas. Il a l’air d’un gosse qui s’amuse avec toute l’insouciance de son enfance. C’est beau et terriblement émouvant. Je craque !
Galaak est fou d’Anthony et Anthony est fou de Galaak. Les deux Êtres qui insufflent chacun à leur façon de la lumière dans ma vie s’entendent à merveille. Et ça me rend tellement heureux.
A la fin de la séance câlins, le petit brun sort quelque chose de la poche de sa veste. Il s’agit d’un « os » en couenne séchée pour nettoyer les dents des chiens.
Est-ce que je peux le lui donner maintenant ? il me questionne, tout mignon.
Cette petite attention pour mon chien d’amour me fait littéralement fondre. Comme je l’aime, ce garçon !
Toulouse, le mardi 19 décembre 2017, 20 heures (JDA – 10 heures)
Après deux semaines de pur bonheur, le dernier soir est arrivé. Il est arrivé si vite que je me le prends en pleine figure. Depuis ce matin, je suis envahi par une tristesse qui leste mon esprit.
Au resto, je tente de faire bonne figure. Mais le cœur n’y est pas. Anthony non plus n’a pas l’air bien dans ses baskets. Notre conversation est moins fluide que d’habitude. C’est peut-être à cause du fait que lui comme moi évitons de parler du seul sujet qui nous préoccupe.
Pendant le repas, Anthony boit plusieurs verres. Au dessert, il a les yeux qui brillent, le regard caressant et la voix qui flanche. Il est si mignon, si touchant.
En allant vers la voiture, il plane un peu.
J’ai trop bu ! il me lance, avec une voix légèrement « désaccordée ».
Puis, lorsque nous sommes dans la voiture :
J’ai plus envie de partir à New York ! Je veux rester avec toi !
Le petit brun fond en larmes, et je le serre très fort dans mes bras.
Ne pleure pas, sinon tu vas me faire pleurer aussi.
Ça fait depuis qu’on est arrivé au resto que j’ai envie de chialer. J’ai bu pour ne pas chialer, il m’avoue.
Tu es vraiment trop mignon ! Moi non plus je n’ai pas envie que tu partes. Mais ce que tu as à faire là-bas est très important pour ton avenir professionnel. Tu ne peux pas tout foutre en l’air sur un coup de tête…
Ce n’est pas un coup de tête ! Je t’aime, Nico !
Je t’aime.
Trois petits mots qui dessinent un monde entier.
Trois petits mots que je n’ai pas entendus depuis tellement longtemps.
Trois petits mots qui me font un bien fou, mais qui me déchirent le cœur en ce soir d’« au revoir ».
Moi aussi je t’aime, Anthony. Tu me fais tellement de bien ! Tu m’as redonné de la joie, tu sais, je n’y croyais plus. Mais tu ne peux pas renoncer à tes rêves. Et puis, un an ça passe vite, et je viendrai te voir dès que je pourrai.
Nous rentrons à son appart. Il est prévu que je reste dormir chez lui et que je l’amène à l’aéroport de Blagnac demain matin.
Il faut que je te montre quelque chose, il m’annonce.
Et là, il sort une grande chemise à la couverture verte, il l’ouvre et il en extrait une quantité de dessins qu’il étale lentement sur le bureau. Des dessins d’un tout autre genre que ceux qu’il m’a montrés la première fois.
Je n’ai encore jamais montré ça à personne.
Sur ces nouveaux dessins, il y a des garçons, et rien que des garçons. Seuls, à deux, potes, ou amoureux, habillés ou torse nu, ou complètement nus, en ville ou à la plage, des garçons lambda ou portant un drapeau arc en ciel. Le juger ? Le juger, de quoi ?
Moi, ce que je vois sur ces nouveaux dessins, ce sont des petits mecs avenants, souriants, qui ont l’air de s’amuser, de s’assumer, d’être heureux.
Avec des traits assez simples, Anthony arrive à rendre les garçons vivants. Les visages, les corps, les abdos, les pecs, les tétons, les brushings, les t-shirts, tout est à la fois réaliste et idéalisé, mais jamais surfait. Il se dégage de ces dessins une sensualité certaine. Mais même quand la nudité est totale, même quand deux garçons s’embrassent ou se caressent, rien n’est jamais obscène, car il y a toujours de la tendresse dans le regard de l’artiste.
J’adore le regard qu’il porte sur ses personnages, mais aussi son trait à la fois précis et un peu enfantin.
Parfois, une seule image semble raconter une histoire, comme ce garçon torse nu assis au bord du lit qui regarde par la fenêtre et qui a l’air si triste. On jurerait qu’il regarde partir le garçon avec qui il vient tout juste de faire l’amour. Et que dans son for intérieur, il se dit qu’il ne le reverra jamais.
C’est juste… magnifique ! je ne peux contenir plus longtemps mon émotion.
Tu le penses vraiment ?
Et comment !
Tu trouves où toutes ces inspirations ?
Ça vient d’un peu partout, ça peut venir d’une scène vue dans la rue ou dans le bus, d’une image trouvée sur le net, d’un pote, d’une rencontre.
En tout cas, ces dessins sont superbes. On capte ta passion, et le regard que tu portes sur ces garçons est vraiment touchant. Tu devrais essayer de publier ces images !
Je ne suis pas à l’aise avec ces images… enfin, elles sont trop… intimes… j’aurais l’impression de me mettre à nu, si je les montrais. C’est pour ça que je n’ai jamais osé les montrer…
Alors, je te remercie de la confiance que tu me fais en me les montrant.
Je savais que tu comprendrais. Et que tu ne me jugerais pas.
Je te juge en tant qu’artiste très prometteur. Tu ne dois pas avoir honte de ces dessins, bien au contraire, tu dois en être fier !
Merci, Nico !
Et j’irai même plus loin. Je pense que ces dessins ne sont qu’un tout petit avant-goût des très belles choses que tu pourrais réaliser si tu laissais ton inspiration libre de s’exprimer.
J’aimerais bien, mais l’art homo est mal perçu en général, surtout quand il y a de l’érotisme. Je ne pense pas qu’il y aurait des éditeurs prêts à prendre le risque.
Publie-les sur Internet !
J’y ai pensé. Mais je ne sais pas si je suis prêt à ouvrir mon « jardin secret » à tous les regards…
Je comprends parfaitement. Peut-être que tu le seras un jour. En attendant, saches que tu as gagné ton premier admirateur !
Tu es super, Nico ! me glisse le petit brun, tout en appuyant sa tête contre mon épaule.
Et sinon, ça fait longtemps que tu dessines des garçons ?
Je l’ai toujours fait, plus ou moins. Mais j’ai vraiment commencé à faire des dessins avec des sujets gays il y a deux ou trois ans. En surfant sur Internet, je suis tombé sur le site d’un gars qui dessinait des mecs, et ses dessins ont été comme une révélation. Quand j’ai vu ses dessins, je me suis dit : « Mais c’est ça que je veux faire ! Malheureusement, ce gars n’est plus de ce monde, il a été emporté il y a deux ans par une crise cardiaque, au milieu de sa quarantaine.
C’est jeune !
Attends, je vais te montrer le site mémoriel que son entourage a mis en ligne…
Anthony ouvre son ordinateur et tape « sven » dans la barre de recherche. L’adresse du site s’affiche instantanément.
Regarde comment c’est beau ! Regarde comment ses « petits mecs » étaient mignons et heureux !
Ses dessins sont autant de célébrations de la jeunesse, des belles plastiques, des beaux sourires, du bonheur entre garçons, de la sensualité, du désir, du désir assumé. Mais aussi de la douceur de vivre, de la tendresse. Ses dessins sont des hymnes à la tolérance, à la beauté et à la légitimité de l’amour entre garçons.
J’aimerais tellement arriver à faire quelque chose d’aussi beau !
Mais tu y es déjà parvenu. Ton style est très proche du sien, tout en restant très personnel. Tes « petits mecs » à toi, sont tout aussi beaux et craquants que les siens !
Tu es gentil, mais je suis loin d’avoir son niveau !
Tu es encore jeune, tu as juste besoin de pratique et d’expérience.
J’aime beaucoup cette petite BD qu’il avait réalisée…
Il y a beaucoup d’érotisme dans cette petite BD. Mais quand on regarde ces deux « petits mecs », on se sent bien, on est heureux parce qu’on les sent heureux, et ça donne la pêche.
Il a vraiment l’air de t’inspirer beaucoup, ce Sven…
Oui, beaucoup. Et j’aime beaucoup aussi les dessins de « Tom of Finland », un dessinateur qui a marqué la culture gay par ses représentations à la patte ultra-reconnaissable.
Certains sont des purs fantasmes, certains font même un peu cliché, mais tous dégagent un érotisme brut presque palpable. Regarde ces deux chats mâles au blouson en cuir et à la casquette de policier qui se tournent autour, qui se jaugeant du regard, cette transposition animalière du désir homosexuel déborde d’érotisme ! On les imagine déjà en train de baiser !
C’est vrai ! j’admets.
Sven l’aimait beaucoup aussi. D’ailleurs son nom d’artiste, « Sven de Rennes », faisait écho à celui de « Tom of Finland ».
Mais l’érotisme brut de Tom est absent des dessins de Sven. Il y a de la sensualité et du désir, mais aussi beaucoup de tendresse. Et ça, ça me parle davantage.
Un peu comme le croquis que tu as fait après notre premier rendez-vous ?
Oui. D’ailleurs, je l’ai terminé, il me lance, en sortant le dessin d’une autre chemise.
Il est pour toi.
Le croquis de départ est désormais un magnifique dessin où chaque détail est soigné, ou tout regorge de vie.
C’est sublime !
Comme ça, tu te souviendras de moi !
Il est magnifique, mais je n’ai pas besoin de ce dessin pour me souvenir de toi ! Tu es un cadeau du ciel !
Ce soir, ce dernier soir avant son départ pour New York, nous faisons l’amour une dernière fois. Qu’est-ce qu’il est beau pendant l’amour ! De chacune de ses jouissances, le p’tit brun en ressort comme assommé. Et dans son abandon total, il cherche volontiers la chaleur de mes bras, le visage enfoncé dans le creux de mon épaule, ou bien en cuillère.
Ce soir, après l’amour, il se blottit contre moi. Je l’entends s’endormir, et je m’endors les yeux embués de larmes. Comment il va me manquer, ce petit ange brun !
Aéroport de Blagnac, le mercredi 20 décembre 2017 à 4h15.
Lorsque nous sortons de l’immeuble, il fait encore nuit, et il fait froid. Nous sommes tous les deux fatigués, et tristes. La nuit a été courte, le réveil violent et implacable.
Le voyage vers l’aéroport se passe dans le silence. Il est lui aussi lourd de fatigue et de tristesse. Je ressens la désolation des adieux qui se profilent, la morsure des angoisses.
Ce que nous partageons est si fort, il l’est à cet instant. Mais un an de séparation c’est long, contrairement à ce que je lui ai dit hier soir pour tenter de le calmer. En un an, il peut se passer tellement de choses, il pourrait faire tellement de rencontres, dans une ville comme New York, lui si mignon !
Alors, une question me hante. Est-ce que ceci n’est qu’un au revoir, ou bien un adieu ?
Je redoute tellement les jours qui viennent, et même l’instant où il aura passé le portique de l’embarquement. Il disparaîtra de ma vue, et le manque sera atroce. Je ne pourrai plus, comme je l’ai fait depuis notre première rencontre au centre de dépistage, projeter chacune de mes pensées, chacun des instants dans ma journée, vers la joie de retrouvailles proches, le soir même, le lendemain. Sa présence ne sera plus à une distance géographique et temporelle facilement annulable. Ces deux distances seront vertigineusement augmentées. La projection vers le bonheur des retrouvailles sera impossible, et la joie qu’accompagnait ces pensées sera annulée.
La peur de la solitude, la peur de revivre un nouvel abandon, étreignent mon cœur et serrent ma gorge, empêchant tout mot d’en sortir. Et derrière ces peurs, une autre se cache, tapie dans l’ombre. Celle d’être rattrapé par mes anciens démons. Ces mêmes démons que la présence d’Anthony a bien réussi à dompter depuis deux semaines, sans avoir pour autant eu le temps de les terrasser pour de bon.
Je sais que ce silence est tout aussi violent pour moi que pour lui, et je m’en veux de lui imposer ça. Mais j’ai le cœur tellement lourd que je ne sais vraiment pas de quoi parler pour détendre l’ambiance. Il me semble que tout mot serait vain. Et puis, surtout, je sais que dès le premier mot prononcé, je n’arriverais pas à retenir mes larmes.
C’est Anthony qui se charge de briser la glace. Vraiment, ce garçon est un rayon de soleil.
Merci de m’accompagner à l’aéroport, me lance le petit mec, avec une voix basse.
Mais c’est avec plaisir…Façon de dire, je me corrige. Tu vas trop me manquer !
Toi aussi tu vas me manquer !
Après avoir garé la voiture à proximité des « Départs », nous nous faisons nos « au revoir » à l’abri des regards. Une longue séance de bisous, d’accolades, de caresses, de larmes.
Devant le portique de l’embarquement, je suis pris comme d’un vertige. Je n’ai tellement pas envie de le voir disparaître de ma vue !
Ça y est, c’est ici qu’on se dit au revoir pour de bon, il me lance, l’air aussi triste que Galaak quand il me regarde manger et que rien ne tombe de la table.
Ah, putain, comment il est mignon ce garçon, comment il est touchant, et comment il est amoureux ! Le voir si triste me fend le cœur.
Je vais venir te voir dès que possible, dès que j’aurai des congés.
Et là, pour toute réponse, il me lance :
Ne m’oublie pas, Nico !
Mais comment veux-tu que je t’oublie ? je lui lance à mon tour, les larmes aux yeux. Tu es ce qui m’est arrivé de mieux depuis tellement longtemps ! Tu es un rayon de soleil, je suis tellement bien avec toi ! Je t’aime, Anthony !
Moi aussi je t’aime !
Une dernière accolade, nos bras qui enserrent l’autre très fort, nos lèvres qui se posent sur nos cous pour quelques derniers baises dérobés, des larmes qui se mélangent. Voilà le récit de nos derniers instants.
Le petit brun au blouson bleu passe le portique et disparaît dans les méandres de l’espace canalisé qui donne accès aux contrôles de sécurité.
Je quitte l’aéroport les larmes aux yeux, le cœur en miettes.
Commentaires
gebl
25/10/2024 14:48
Yann est ton meilleur apôtre. Il faut lui laisser la page de dos de couv qui résume les livres . Comme Fred, Jérem me manque et le renvoi à l’épisode 405 trop facile tout comme notre artiste Anthony, ce que tu écris est beau. sois en fier
Etienne
04/01/2024 16:06
Après beaucoup d’épisodes où on a vu Nico tourner en rond dans les regrets, les questions, et ne pas (ou presque) dépasser le stade du phantasme, cet épisode est l’immense rayon de soleil qui éclaire sa vie… et que nous attendions. Hélas, les nuages et le doute reviennent vite : Fabien, tu es trop dur avec nous comme avec tes personnages ! Que va t’il se passer pendant les 12 prochains mois ? Nico aura-t’il par Charlène la réponse à ses questions ? Jérem re-apparaitra t’il ? Aura t’il appris à s’aimer, pour pouvoir aimer quelqu’un d’autre ? Nico oubliera t’il Anthony à cause du retour de son 1er amour ? Ou bien Nico prend un congé sabbatique et s’envole pour NY ? Fabien, tu nous as annoncé que l’aventure de Jérem & Nico touche à sa fin… est-ce pour commencer celle de Nico & Anthony ? Quoiqu’il en soit Fabien, je te souhaite ainsi qu’à tous les lecteurs/lectrices le meilleur pour cette nouvelle année ! Etienne, de Toulouse PS: le CAPTCHA est un peu pénible…
Yann
30/12/2023 16:41
Après toutes ces années passées dans le souvenir de Jérém, Nico retrouve l’émotion de l’amour. Cette émotion suprême qui, à la simple vue de l’autre, qu’on ne connaît pas encore, nous fait perdre tous nos moyens, nous attire vers lui. Cette résonance positive et irrationnelle qui déclenche en nous, frissons, papillons et nous procure ce sentiment d’insouciance, de béatitude, de véritable bien-être et aussi ce besoin de s’approcher de lui, de tout connaître de lui, ses envies et ses désirs pour les satisfaire. Cet état merveilleux dans lequel, pensées et actions s’enchaînent spontanément, naturellement. Ces signaux visuels, olfactifs et auditifs échangés dès le premier instant et qui instantanément, selon notre compatibilité potentielle, vont engendrer une profusion d’hormones qui vont plonger notre corps tout entier dans cet état second ou rien d’autre n’a d’importance. C’est tout cela qui transparaît dans ce bel épisode. Un de plus. Et puis pour Nico c’est une nouvelle fois que l’amour lui est volé par une passion. La première fois, c’était le rugby, celle-ci c’est le dessin. Très bonne et heureuse année à toutes et tous et à toi Fabien et encore merci pour tout le plaisir que tu nous donnes à ta lire.
Maxence
30/12/2023 10:56
Magnifique épisode pour cette fin d’année 2023 ! Quel plaisir de retrouver (enfin !) Nico passionné et amoureux ! On le retrouve aussi toujours attentif au bonheur de l’autre lorsqu’il encourage Anthony de ne pas rester à ses côtés au détriment du perfectionnement de son art à NY ! J’espère que cette fois, cette belle relation trouvera une fin heureuse pour l’un comme pour l’autre … ENSEMBLE ! Merci Fabien pour toutes les émotions que tu nous offres … Belle et radieuse année 2024 à toi et à tes proches ainsi qu’à tous tes lecteurs.
Bonjour cher Fabien je te suis depuis pas mal d’année. Tu as un talent d’écriture fou. Merci pour ces trois derniers épisodes pour clore l’année 2023. J’aurai encore beaucoup de joie à suivre ta saga en 2024. Merci. Steeve
Fred
29/12/2023 09:25
Coucou mon Fabien. D abord le meilleur pour toi en cette fin d’année . Cet épisode est tout ce que j’aime dans ta façon d’écrire .de la douceur de la sensibilité et un la description d un moment heureux mais fugace . Prouver a Nico que ça peut être possible de nouveau ..j espère que tu vas refaire un épisode sur Jerem .j’aime bien les destins croisés. Et puis jerem me manque aussi ..voilà plein de bisous continue. Tu sais a quel point j’aime ton histoire .